La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
Homélie pour le 3° dimanche de Pâques / Année B
15/04/2018
Cf. également :
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
L’agneau mystique de Van Eyck
La Résurrection est un passif
Le berger et la porte
Jesus as a servant leader
Du bon usage des leaders et du leadership
« Une vie offerte ne peut pas être perdue ». Les mots de Mgr Planet, évêque de Carcassonne, en hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame résonnent encore à nos oreilles pendant ce temps pascal. Particulièrement en ce dimanche du Bon Pasteur : « le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire s’enfuit dès que viennent les voleurs » (Jn 10, 11-18)…
Nul doute qu’Arnaud Beltrame incarne cette valeur évangélique du don de soi pour que l’autre vive. Sa femme a d’ailleurs témoigné que ce sens du sacrifice était pour lui inséparable de sa récente foi chrétienne de baptisé adulte. En cela, il est pour les chrétiens une figure de sainteté et pas seulement d’héroïsme. Le Père Maximilien Kolbe a été canonisé pour avoir pris volontairement la place d’un père de famille qui allait être condamné à mourir de faim à Auschwitz en représailles d’évasion. L’Église pourrait de même déclarer saint Arnaud Beltrame, qui a pris la place d’une hôtesse de caisse d’un Super U prise en otage par un djihadiste en pleine folie meurtrière.
Comme quoi le profil du Bon Pasteur n’est pas réservé aux prêtres !
Au matin de Pâques, six militaires gardaient l’entrée de l’église voisine, fusil-mitrailleur en bandoulière. Drôle d’impression que de devoir rejoindre l’assemblée sous escorte militaire ! Nous avions oublié en France que pratiquer sa foi pouvait nous coûter la vie. Et voilà qu’un gendarme courageux et quelques jeune gens en armes au portail de l’église nous rappellent que croire est une question de vie et de mort. Plusieurs paroissiens sont allés spontanément saluer ces militaires à la sortie de l’église : « merci d’avoir veillé sur nous pendant la messe. Bonne fête de Pâques à vous ! » Car eux aussi étaient prêts à intervenir, quel qu’en soit le prix, si nécessaire.
Arnaud Beltrame incarne parfaitement le renversement de la logique sacrificielle que René Girard attribue au christianisme : le vrai sacrifice n’est pas de prendre la vie d’autrui, mais de donner la sienne pour que d’autres vivent. Le sacrifice chrétien n’est pas d’offrir quelque chose mais de s’offrir soi-même. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Saint Paul va même encore plus loin : le sacrifice du Christ est de se donner pour ceux qui apparemment ne le méritent pas. « À peine en effet voudrait-on mourir pour un homme juste; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir; mais la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous » (Rm 5,7-8).
L’Évangile du Bon Pasteur fait une différence très nette entre le berger et le mercenaire. Nous devons aujourd’hui préciser nous aussi les mots employés, afin notamment que les médias ne mélangent pas tout.
· La sainteté chrétienne ne peut être kamikaze
L’étymologie de ce mot japonais [1] renvoie aux dieux du vent qui auraient permis une victoire inespérée sur les flottes mongoles s’apprêtant à envahir le Japon en 1274 et 1281. En 1944, ce vent meurtrier qui coule les vaisseaux ennemis est devenu le nom des pilotes-suicides faisant écraser leur avion sur les destroyers américains. Par extension, nous appelons kamikaze tous ceux qui sacrifient leur vie pour ôter celle de leurs ennemis. Mais c’est un sacrifice meurtrier, dont le but est de tuer, non de sauver. Que ce soit l’homme ceinturé d’explosifs au milieu de la foule d’un marché ou les pilotes du 11 septembre s’écrasant sur les tours jumelles de Manhattan, cette logique sacrificielle est païenne en fait. Elle exalte la violence, magnifie la guerre, instrumentalise la vie de quelques militants manipulés pour infliger le plus de souffrance possible à l’ennemi. Les généraux orgueilleux de 14-18 ont hélas poussé leurs hommes dans de telles offensives-suicides, pour reprendre une colline ou une butte aux prussiens ou aux français, et ces offensives n’avaient rien à envier aux folies meurtrières actuelles.
Le kamikaze donne sa vie pour tuer, il parle de gloire et d’honneur pour valider sa démarche.
Les commanditaires de ces actes kamikaze recrutent alors d’autres candidats en appelant héros ceux qui ont cru se sacrifier ainsi pour la patrie, l’empereur, le Führer tout autre cause supérieure.
· La sainteté chrétienne n’a rien à voir avec le djihadisme
Ces kamikazes sont des anti-héros païens. Les djihadistes se veulent des combattants au nom de Dieu. C’est en criant le nom d’Allah qu’ils décapitent ou kidnappent. Ils se croient dans une guerre sainte contre les mécréants, ce qui légitime la ruse, la dissimulation à seule fin de tuer ceux qui ne sont pas de bons musulmans. Une guerre juste contre les injustes. Certes, le mot arabe djihad employé par le Coran signifie d’abord l’effort intérieur, le combat contre soi pour se soumettre à Allah [2]. Le djihad majeur est un chemin d’ascèse spirituelle pour se conformer à la loi de Dieu. Mais le djihad militaire, pour mineur qu’il soit, physique, violent, ne peut être éliminé du texte du Coran [3]. Il y est bien question d’exterminer les ennemis de l’islam, de soumettre chrétiens et juifs en les tuant ou en les réduisant en dhimmitude [4]. Le djihadiste est donc persuadé de servir la cause du Coran, et sa propre cause personnelle au passage à cause du paradis promis à ceux qui se sacrifient ainsi au combat.
S’ils savaient combien leurs meurtres ajoutent à la Passion du Christ, ils reculeraient épouvantés devant leurs actes…
Le djihadisme est un peu cousin des croisades et autres Inquisitions chrétiennes, lorsque même les papes et les prédicateurs croyaient honorer Dieu en appelant à la haine de l’autre. La seule différence – de taille – est que l’Évangile condamne fortement cette violence sacrificielle alors que le Coran l’encourage. La non-violence et l’amour des ennemis sont ineffaçables dans les Évangiles ; ils font partie de l’identité chrétienne. La domination ou l’extermination des ennemis de l’islam sont en toutes lettres dans le Coran ; ils font partie de l’ambition musulmane de soumettre le monde à Dieu, par la force s’il le faut.
Les chrétiens sont donc deux fois plus coupables lorsqu’ils succombent eux aussi à la logique du djihad : parce qu’ils commettent l’inexcusable et parce qu’ils sont en contradiction flagrante avec leurs textes fondateurs.
· Le martyr subvertit la violence en acceptant d’être victime
Le martyr chrétien n’est pas auteur de la violence. Il en dénonce le caractère illusoire. Il proclame l’innocence des victimes prises pour bouc émissaire. Il préfère devenir victime de cette violence plutôt que de se taire, ou de lui répliquer par une violence semblable. Le martyr témoigne (c’est le sens du terme) du Christ à la manière du Christ : en aimant ses ennemis, en pardonnant à ses bourreaux, en dénonçant l’injustice sans répondre au mal par le mal.
Ne croyons pas trop vite que les mercenaires, les kamikazes ou les djihadistes sont toujours dans l’autre camp. Ne nous habillons pas trop vite de la tunique du Bon Berger ou du martyr. C’est devant le vrai danger que se révèle la différence.
Préparons-nous intérieurement en faisant du don de soi notre vrai moteur intérieur, au travail, en famille, entre amis…
[1]. Mot japonais (composé de kami « seigneur, dieu » et de kaze « vent ») désignant à l’origine deux tempêtes qui, en 1274 et 1281, détruisirent la flotte d’invasion des Mongols.
[2]. De l’arabe جهاد, djihâd (« lutte, guerre sainte »). Dans le Coran, l’expression al-jihad bi anfousikoum (« lutte contre les penchants de votre âme ») est l’équivalent de l’expression se faire violence ou al-jihad fi sabil Allah (« combat sacré dans le chemin d’Allah »).
[3] . Selon Averroès, l’islam compte quatre types de jihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée.
[4]. Statut spécial de sujétion imposé aux non-musulmans en terre musulmane. « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés » (Coran Sourate 9, 29).
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« En nul autre que lui, il n’y a de salut » (Ac 4, 8-12)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »
PSAUME
(Ps 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29)
R/ La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle.
ou : Alléluia ! (Ps 117, 22)
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur
que de compter sur les hommes ;
mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur
que de compter sur les puissants !
Je te rends grâce car tu m’as exaucé :
tu es pour moi le salut.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.
Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
De la maison du Seigneur, nous vous bénissons !
Tu es mon Dieu, je te rends grâce,
mon Dieu, je t’exalte !
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-2)
Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.
ÉVANGILE
« Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11-18)
Alléluia. Alléluia.
Je suis le bon pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent.
Alléluia. (Jn 10, 14)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Patrick BRAUD