L'homélie du dimanche (prochain)

26 juillet 2020

Les inséparables

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les inséparables

Homélie du 18° Dimanche du temps ordinaire / Année A
02/08/2020

Cf. également :

2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie
La 12° ânesse
Éveiller à d’autres appétits
Gardez-vous bien de toute âpreté au gain !
Le principe de gratuité
Multiplication des pains : une catéchèse d’ivoire
Donnez-leur vous mêmes à manger
La soumission consentie

Peur sur Hong Kong

Les inséparables dans Communauté spirituelle Fuck-China-Free-Hong-Kong-Flag-ShirtLe 30 juin dernier, le régime communiste de Pékin a voté une loi visant manifestement à reprendre le contrôle de Hong Kong. Principal objectif : « faire peur ».

Près de 2 millions de Hongkongais avaient défié le gouvernement central en manifestant pour demander plus d’autonomie. Un affront que n’a pas toléré Pékin. La loi du 30 juin comprend six chapitres de 66 articles qui puniront quatre crimes : la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec l’étranger.  Ces crimes pourront conduire à la prison à perpétuité (ou un minimum de 10 ans). Exemple : détruire un véhicule de transport ou un équipement public sera désormais considéré comme un acte terroriste. Moins de 24 heures après l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale, la police a procédé aux premières arrestations à Hong Kong en vertu de ce texte. Les forces de l’ordre ont arrêté au moins 180 personnes alors que des milliers de Hongkongais s’étaient rassemblés pour marquer le 23° anniversaire de la rétrocession de l’ex-colonie britannique à la Chine. Depuis, la censure ne cesse de s’étendre…

Les reportages télévisés sur place montrent des hongkongais partagés : les uns se disent prêts à lutter jusqu’au bout pour conserver leur système démocratique actuel, les autres avouaient avoir peur de la répression qui va s’abattre. Ces derniers sont sans doute les plus nombreux. Et on les comprend, car risquer la prison, voire la torture, la déportation ou la mort pour avoir osé manifester, utiliser sur un téléphone une application interdite, ou simplement porter un T-shirt « Hong Kong free » semble trop cher payer.

Ainsi, par la peur, Pékin étend son emprise, ignorant les protestations occidentales elles aussi marquées par la peur de froisser un tyran colossal (économiquement, militairement) de qui nous sommes si dépendants.

Pourtant, dans le passé, des peuples ont su secouer le joug du tyran. Souvenez-vous des grèves des ouvriers de Gdansk en Pologne, des veillées dans les églises de l’ex-Allemagne de l’Est, du renversement de Pinochet, des marches non-violentes de Gandhi, des marches contre les lois raciales de Martin Luther King etc. C’est la peur du châtiment et non le châtiment qui maintient les peuples sous la domination des tyrans. La Boétie l’avait bien compris : notre servitude est volontaire, car c’est notre peur qui donne leur puissance à nos maîtres. « Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres ! », écrivait-il. Autrement dit : dès lors que votre peur disparaît, nulle chaîne ne peut plus vous retenir en esclavage. D’où la première parole de Jean-Paul II ouvrant son pontificat en proclamant place Saint-Pierre : « N’ayez pas peur ! »

Que faire contre quelqu’un qui n’a pas peur de la prison, de la torture, de la mort ?

C’est la terrible impuissance des démocraties envers les djihadistes musulmans qui sont prêts à tout sacrifier pour leur cause inhumaine. Mais c’est également le formidable témoignage des martyrs chrétiens dans l’arène.

 

L’intime conviction de Paul

Se séparer après 50 ansPaul a expérimenté cette extraordinaire libération que produit l’évanouissement de toute peur : « Frères, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (2° lecture de ce dimanche : Rm 8, 35-39). Cette redoutable énumération fait la liste des dangers qu’il a déjà croisés : la détresse d’être abandonné de tous, l’angoisse de l’arrestation, la persécution qui mettait sa tête à prix, la faim et le dénuement pendant ses voyages sans bagages, le danger du naufrage ou de la lapidation, le glaive qui allait le décapiter à Rome… Sa vie est déjà donnée, abandonnée : qui pourrait la lui prendre ? Elle ne lui appartient plus.

Les huit motifs qui pourraient l’effrayer se heurtent à la conviction inébranlable qui habite Paul : « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre seigneur ». La tradition liturgique parle de certitude, mais le texte grec utilise le verbe : πέπεισμαι = ‘j’ai la conviction que’, ‘je suis persuadé que’. En effet, la foi ne fait pas bon ménage avec la certitude (sinon où serait l’espérance ?). Alors qu’elle se marie fort bien avec la conviction intime qui permet d’espérer au-delà des apparences.

Paul n’emploie ce même verbe πέπεισμαι que deux autres fois dans sa lettre. En Rm 14,14, il s’annonce convaincu que rien n’est impur, qu’aucun aliment n’est souillé en lui-même. C’est seulement aux yeux de celui qui va voir cet aliment impur (non casher, non halal) que l’impureté existe, pas dans l’aliment lui-même. « Je le sais, j’en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n’est impur en soi. Mais une chose est impure pour celui qui la considère comme telle ». Ainsi la peur n’existe-t-elle que dans les entrailles de ceux qui l’acceptent : elle n’a pas de réalité en elle-même, si bien que ni l’angoisse ni la mort ne peuvent dominer, puisqu’elles ne font plus peur.

Le troisième passage de la lettre où Paul utilise le verbe πέπεισμαι est celui où il affirme croire en la capacité des membres de l’Église de Rome à veiller sur leur foi. Ce n’est pas une certitude objective, mais un regard de foi sur les baptisés romains : « En ce qui vous concerne, mes frères, je suis personnellement convaincu que vous êtes vous-mêmes pleins de bonnes dispositions, comblés d’une parfaite connaissance et capables de vous avertir mutuellement » (Rm 15,14). Malgré les désillusions et déceptions inévitables que cette communauté lui procurera, il est persuadé de sa richesse d’âme potentielle. Nul doute que cette confiance de Paul à leur égard provoquera en retour les chrétiens de Rome à vivre à la hauteur de cette conviction, notamment lorsque Paul sera emprisonné, puis décapité, et que les persécutions se déchaîneront.

Le secret de l’intrépidité de Paul face à tous les dangers auxquels sa mission l’expose réside donc dans cette conviction intime qui lui permet de tenir bon, les yeux fixés vers le but de sa course, « comme s’il voyait l’invisible ». Du coup, la deuxième énumération des obstacles possibles se fait universelle, voire cosmique : « J’en ai la conviction : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ». Ces dix motifs d’inquiétude ne tiennent pas devant la conviction que nous sommes inséparables de l’amour de Dieu.

L’inséparable ne peut vivre qu’en couple

Un couple d’inséparables

Si c’était une certitude au sens actuel du terme, elle ne résisterait pas à l’examen des faits. De très grands croyants se sont détournés de Dieu suite au malheur innocent, à la Shoah, ou à la théorie de l’évolution etc. Le dénuement et la fin ont éloigné de Dieu des millions de victimes des sécheresses et des guerres. La peur envahit des familles entières encore aujourd’hui, de la Chine communiste aux populations africaines tremblant devant Boko-Haram, Daesh ou les Shebabs provoquant la fuite ou la soumission. Oui : beaucoup de périls ont le pouvoir hélas de nous séparer de l’amour de Dieu !

La conviction de Paul nous fait voir les choses autrement : même si certains y succombent, ces dangers n’auront pas le dernier mot. Apparemment le mal semble gagner, trop souvent, en trop d’endroits. Mais pour ceux qui veulent ne plus avoir peur, ce ne sont que les avant-derniers combats impuissants à changer l’issue finale : Christ victorieux de la mort, nous associant à sa victoire.

Celui qui n’a plus peur, qui peut le soumettre, à Hong Kong ou au Sahel ?

Faisons nôtre l’intime conviction de Paul, et nous pourrons déjouer l’un après l’autre chaque piège, chaque obstacle qui voudrait nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Venez acheter et consommer » (Is 55, 1-3)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur : Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David.

PSAUME
(Ps 144 (145), 8-9, 15-16, 17-18)
R/ Tu ouvres ta main, Seigneur : nous voici rassasiés. (cf. Ps 144, 16)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Les yeux sur toi, tous, ils espèrent :
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
tu ouvres ta main :
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ » (Rm 8, 35.37-39)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.

ÉVANGILE
« Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés » (Mt 14, 13-21)
Alléluia. Alléluia.L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Alléluia. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, quand Jésus apprit la mort de Jean le Baptiste, il se retira et partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de compassion envers eux et guérit leurs malades.
Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà avancée. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter de la nourriture ! » Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. » Jésus dit : « Apportez-les moi. » Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés. On ramassa les morceaux qui restaient : cela faisait douze paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.
Patrick Braud

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25 janvier 2015

La soumission consentie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

La soumission consentie

 

Discours de la servitude volontaireDans le numéro de Janvier 2015, le mensuel Philosophie Magazine publie des extraits de la célèbre œuvre de La Boétie (16° siècle) : Discours de la servitude volontaire”.

Le philosophe Miguel Benasayag en fait une lecture pour aujourd’hui, où la servitude de l’ancien tyran est remplacée par celle des nouvelles technologies (NTIC). Chacun peut continuer cette transposition, en repérant quelle soumission, consciente ou inconsciente, individuelle et/ou collective, le soumet à des forces obscures, et à un conformisme ambiant le privant finalement de sa liberté.

« Voici un texte baigné de références antiques, dont la genèse épouse la situation politique du Périgord au XVIe siècle. Qu’a-t-il encore à nous dire, près de cinq cents ans plus tard ? Nos démocraties ne nous ont-elles pas affranchis de la tyrannie, faisant de nous des individus libres de congédier leurs dirigeants ? Et pourtant, si La Boétie pouvait observer les mœurs de nos contemporains, parions qu’il jetterait sur notre époque un regard des plus pessimistes. Car les mécanismes de l’asservissement ne se sont pas éclipsés avec l’Ancien Régime : nous continuons à goûter les douceurs d’une servitude sinon volontaire, du moins allègrement consentie.

Certes, la servitude volontaire revêt aujourd’hui des atours bien différents de ceux décrits par La Boétie.

 

1. Le premier changement majeur tient à la nature de la domination: celle-ci n’est plus politique, mais avant tout technologique et macroéconomique.

Les nouveaux tyrans ne sont plus nécessairement des chefs d’État; la tyrannie s’appuie désormais sur des rouages inédits, notamment incarnés par les sorciers du néomarketing : se vantant d’avoir le monde comme terrain de jeu, ces derniers explorent désormais, à l’aide des sciences cognitives, les mécanismes de notre désir de consommation. L’une des principales caractéristiques de cette nouvelle servitude tient à la généralisation des instances prédictives : chacun d’entre nous est devenu prédictible en étant réduit à un profil de consommateur. On peut désormais savoir si vous allez divorcer dans les trois ans à venir en analysant par des algorithmes vos relevés de carte de crédit… La politique des partis s’est elle-même rendue prisonnière de cet immédiat prédictif, en sondant sans relâche les intentions de vote des citoyens. En résulte une dissolution générale du sensdeuxième caractéristique de la servitude contemporaine — qui fait de nous les marionnettes d’une stratégie sans stratège.

 

2. Le deuxième changement majeur par rapport au type de servitude décrit par La Boétie tient à la dématérialisation de la domination.

La soumission consentie dans Communauté spirituelle

La tyrannie aujourd’hui ne passe plus par le corps du tyran, présenté dans le Discours comme l’incarnation de l’Un, ni par le corps des sujets, qui était malmené par l’autorité en cas d’insoumission. Les instruments de l’asservissement ne sont plus tant les armes que les machines : ordinateurs, téléphones, objets connectés en tout genre qui, sous couvert d’ouvrir de nouveaux possibles, nous rendent toujours davantage complice de notre esclavage. Ce constat ne relève aucunement d’une technophobie primaire. Regardons la place de plus en plus grande que prennent dans nos vies les applications installées sur nos téléphones, qui permettent de nous suivre pas à pas. N’entend-on pas résonner la mise en garde de La Boétie, demandant d’où le tyran « tire-t-il les innombrables argus [espions] qui nous épient, si ce n’est de nos rangs »?

Cette nouvelle forme de servitude volontaire a une conséquence décisive : si l’asservissement ne passe plus par le corps du tyran, comment s’en défaire ? Même si le Discours n’appelle aucunement à l’insurrection armée, il suffisait auparavant de faire feu contre le tyran pour voir la tyrannie s’effondrer. Mais aujourd’hui, contre qui tirer ? On répondra qu’il suffit de débrancher la machine pour que la servitude s’évanouisse. Or, si la logique de colonisation de l’humain par la machine arrive à son terme, il n’y aura plus personne pour débrancher l’instrument de notre asservissement. Là encore, il ne s’agit pas de professer un humanisme catastrophiste, se contentant d’en appeler à la dignité humaine contre la machine, mais de regarder en face le cauchemar de la servitude moderne : le tyrannicide y est rendu impossible.

 

3. La force de l’habitude.

En dépit de ces changements, et c’est là toute la force du texte de La Boétie, la structure de la servitude volontaire est fondamentalement restée la même. Celle-ci passe toujours par une dislocation des instances organiques et du tissu social. « Le tyran asservit les sujets les uns par les autres », écrit-il. Or, c’est toujours le même plaisir glauque de la complicité avec la domination qui continue à motiver les insultes racistes ou sexistes proférées par les « petits  tyranneaux » de notre temps. Cette dislocation du corps social va même plus loin encore aujourd’hui, puisque l’individu n’est pas capturé en tant qu’unité par les nouvelles formes de l’asservissement, mais morcelé d’après ses diverses habitudes de consommation.

On retrouve là un autre ressort de la soumission identifié par la Boétie : `La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. » J’ai en effet constaté dans mon expérience de clinicien à quel point l’incorporation de la soumission au travers d’habitudes autodestruc­trices est source de souffrances. Enfin, le signe le plus éclatant de la lucidité de La Boétie, c’est que la servitude actuelle passe plus que jamais par le divertissement, évoqué dans le Discours à travers la catégorie du « passe-temps ». Le credo du marketing moderne, c’est en effet que le produit doit amuser, donner du plaisir, afin de pouvoir vendre du désir. Pour ainsi dire, on n’est plus soumis par la force, mais par le rire.

 

Peut-on encore trouver dans le Discours de la servitude volontaire des pistes pour s’affranchir de cette aliénation ?

Trois voies de libération peuvent être dégagées dans l’appel de La Boétie.

- Tout d’abord, recouvrer sa liberté, c’est sortir des habitudes mortifères, sortir du pli qu’on a pris.

Méfions-nous ici des appels à l’émancipation qui disloquent un peu plus l’individu, en opposant la conscience claire de ce qu’il faudrait faire à l’habitude où il se trouve englué. Mieux vaut chercher d’autres possibles dans son pli, essayer de trouver de nouvelles surfaces de contact avec le monde qui nous entoure.

- Ensuite, face à la dématérialisation actuelle de la domination, la libération passe par la reconquête des corps, la « recorporisation ».

Il est frappant que le sursaut contre la servitude passe toujours par les corps : pensons au vendeur de fruits et légumes tunisien qui s’est immolé en 2010. C’est dans le sacrifice d’un corps que la révolution a trouvé son point de départ, bien plus que dans les réseaux sociaux.

- Enfin, la colonisation de l’humain par la machine n’a rien d’une fatalité : on peut lui opposer la colonisation de la machine par le vivant et la culture, à travers l’art aussi bien que des collaborations où se renouent affinités, désirs et projets. On retrouve ainsi l’amitié, sur laquelle La Boétie achève son Discours, comme le rempart le plus solide à notre asservissement.

Ainsi donc, sortir de la servitude volontaire est simple, mais pas facile. Quelle que soit la complexité de la situation, le choix de la liberté est simple. On sait pertinemment ce qu’il faudrait faire ! Mais la reconquête effective de la liberté n’est pas facile: elle implique de renoncer à la jouissance, du côté de la pulsion de mort, pour retrouver le plaisir d’être libre, qui fait, selon La Boétie, notre nature. « 

Propos recueillis par Mathilde Lequin

 

 

Miguel Benasayag

Né en Argentine, où il a lutté contre la dictature, ce philosophe et psychanalyste vit en France depuis 1978.11 est à l’initiative du réseau Malgré tout, qui milite pour une «résistance alternative ». Il a publié Organismes et Artefacts (La Découverte, 2010), De rengagement dans une époque obscure (avec Angélique Del Rey, Le Passager clandestin, 2011). Son dernier ouvrage Clinique du mal-être parait en février 2015 à La Découverte.
Patrick BRAUD

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