L'homélie du dimanche (prochain)

1 mars 2020

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Homélie du 2° dimanche de Carême / Année A
08/03/2020

Cf. également :

Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu

Splash sur la surface de l'eau 3d réaliste. couronne liquide bleue, mouvement figé avec des gouttelettes et des vagues Vecteur gratuitAvez-vous déjà observé une pierre tombant dans une eau calme et lisse ? Oui, sans aucun doute ! Vous avez vu alors le point d’impact de la pierre en être bouleversé : un cratère se forme et des gouttelettes d’eau jaillissent en couronne perlée tout autour. Et très vite, des ondes apparaissent, concentriques, se propageant à partir du point d’impact jusqu’à faire rouler les algues et ce qui flotte tout autour. La physique nous a appris que ce n’est pas l’eau qui se déplace en cercles de plus en plus grands, c’est chaque gouttelette d’eau qui est prise dans un mouvement vertical, oscillant de haut en bas jusqu’à ce que l’inertie de l’eau amortisse ce mouvement périodique. Les premiers cercles autour du point de chute paraissent des tsunamis à leur échelle, et transmettent leur énergie de plus en plus loin, de moins en moins haut…

Il y a quelque chose de cette chute d’une pierre dans l’eau avec la promesse que Dieu fait à Abraham dans notre première lecture (Gn 12, 1-4). Chouraqui traduit ainsi :
« Je fais de toi une grande nation. Je te bénis, je grandis ton nom : sois bénédiction. Je bénis tes bénisseurs, ton maudisseur, je le honnirai. Ils sont bénis en toi, tous les clans de la glèbe. »
Le point d’impact, c’est Abraham recevant la bénédiction de Dieu. Les cercles concentriques seront plus tard les 12 tribus issues de lui, puis toutes les nations éclairées par la révélation confiée à Israël. Le Christ ne revendique rien d’autre que d’accomplir pleinement la promesse faite à Abraham d’étendre la bénédiction de Dieu à toutes les nations, par la résurrection offerte à tous.

 

Sois bénédiction

Il y a donc comme une transitivité de la bénédiction : Dieu bénit Abraham qui bénit les nations, en commençant par sa famille, son clan qu’il emmène avec lui vers le mystérieux pays inconnu où Dieu le conduit.
On a longuement développé – à raison – la signification bouleversante (comme la pierre tombant dans l’eau) de l’injonction faite à Abraham : « va vers toi ! » L’appel de Dieu à devenir soi-même est peut-être sa bénédiction la plus intense. Dieu dit du bien (bene–dicere latin) d’Abraham en lui révélant la grandeur de sa vocation : un pays nouveau, un rayonnement universel. En même temps que cet appel à aller vers soi, Dieu formule l’autre appel, symétrique : « sois bénédiction ». Ce que tu as reçu gratuitement, donne-le gratuitement à ton tour. Dis du bien de ceux que tu rencontreras, c’est-à-dire révèle-leur leur dignité, la grandeur de leur qualité d’êtres humains, la beauté qu’ils portent en eux…

Puisque nous sommes enfants d’Abraham et que nous avons part à son héritage (cf. Rm 4), nous recevons nous aussi cet appel à devenir une bénédiction pour tous ceux que nous rencontrons. « Unis à Jésus-Christ, vous êtes tous un. Si vous lui appartenez, vous êtes la descendance d’Abraham et donc, aussi, les héritiers des biens que Dieu a promis à Abraham » (Ga 3, 29).

Que peut signifier concrètement : sois une bénédiction pour chacun d’entre nous ?

L’étymologie nous met sur une première piste : être une bénédiction ambulante, c’est être capable de dire du bien de l’autre. Ce qui demande d’avoir la passion de discerner chez lui ce qui est vrai, beau et grand. Autrement dit, cela demande de la bienveillance (bene -videre en latin) : bénédiction et bienveillances vont bien ensemble ! Or il faut parfois une sacrée dose de patience et de foi pour dénicher en quelqu’un son étincelle divine, alors qu’apparemment il n’est pas aimable, voire repoussant ou haïssable. Mais les éducateurs savent bien que les gamins les plus difficiles sont ceux qui attendent un regard de bienveillance, des paroles de bénédiction, pour découvrir en eux-mêmes une aptitude à la bonté qu’ils ne soupçonnaient pas.

Bénir est donc l’inverse de maudire : dire du mal de l’autre est destructeur, même si le mal constaté est réel, tant que cela n’est pas accompagné par dire du bien. Exercez-vous avec vos enfants, votre conjoint, vos collègues : obligez-vous à ne dire du mal de quelqu’un que si vous êtes capable auparavant d’en dire du bien ! Cherchez une qualité à valoriser, une prédisposition positive à mettre en avant, un effort à saluer, un apport à féliciter. Ensuite vous pourrez reprocher, car alors ce reproche sera perçu sur fond de bénédiction comme un désir de se rapprocher, en justice et en vérité. Devenir une bénédiction ambulante à la manière d’Abraham demande cette acuité du regard et de la parole pour ouvrir à l’autre un chemin de croissance à partir de ce qu’il porte en lui, sans jamais l’enfermer dans le mal commis.

La prière de louange – la plus belle de toutes les prières, celle qui ne finira jamais – nous éduque à cet art de la bénédiction et nous habitue à voir et dire le bien en premier. Celui qui respire au rythme de la louange – celle des psaumes par excellence – s’habitue à espérer en l’autre comme Dieu espère en lui. Sa parole devient constructive, réconfortante tout en étant exigeante, source de courage pour « devenir soi-même ».

 

Bénir, pas bannir ni médire

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En ce sens, ne pas bénir, c’est bannir. La proximité phonétique en français nous donne à penser que ne jamais dire du bien de quelqu’un c’est l’effacer de la vie commune, c’est l’exclure de la reconnaissance accordée aux autres, c’est le frapper de non-existence puisqu’il est non-dit. À l’inverse, bénir c’est ne pas bannir. Ne jamais tirer un trait sur l’autre pour le rayer de sa famille, de sa communauté, de la société au nom du tort qu’il aurait commis. Si Jésus demande de visiter les prisonniers, ce n’est pas parce qu’ils seraient innocents, c’est pour les assurer de leur appartenance au monde des vivants, pour maintenir en eux la possibilité d’une communion authentiquement humaine : pour les bénir. Sans le savoir, les bénévoles des maraudes du SAMU social, des Blouses roses dans les hôpitaux, des Petits Frères des Pauvres auprès des personnes âgées etc. sont des bénédictions ambulantes qui redisent à chaque banni (SDF, malade, vieillard) qu’il est béni. Ils le disent en actes et en paroles, avec des fleurs et avec du pain. Ils retissent patiemment et indéfiniment les liens d’humanité abîmés ou cassés par les événements de la vie de chacun.

Bien sûr, la bénédiction transmise en Abraham a une consistance encore plus dense que cet humanisme pourtant indispensable et déjà salutaire. Car le pays nouveau indiqué à Abraham est finalement le pays de la Résurrection inauguré en Jésus de Nazareth. Transmettre sa bénédiction est donc ouvrir à l’autre la possibilité d’une vie éternelle, partagée en Dieu et à partir de lui. Principal impact de la chute divine (kénose) dans notre humanité, la résurrection du Christ se propage par cercles concentriques à ceux qui se laissent joyeusement bouleverser par cette onde si puissante que rien cette fois-ci n’épuisera son énergie, pas même la mort. De cela nous somme les vecteurs, les transmetteurs, greffés sur Abraham et sur le Christ.

 

Pour toutes les nations

 Abraham dans Communauté spirituelleUn mot enfin sur la destination universelle de cette bénédiction abrahamique. Elle n’est pas la propriété d’Israël. Israël en est au contraire le serviteur. Elle n’est pas destinée aux seuls chrétiens : au contraire, les chrétiens et l’Église reconnaissent que la grâce déborde leurs frontières, et que « l’Esprit souffle où il veut ». Elle est la nappe d’eau disponible à tous les animaux assoiffés du désert. Elle concerne mon ennemi autant que moi. Elle atteint ceux que je ne connais pas, ceux que je ne peux pas atteindre. Elle est pour tous, alors que moi dans ma finitude je ne peux être que pour quelques-uns. Par là-même, elle m’oblige à ne jamais me satisfaire des premiers cercles concentriques auxquels je me limite naturellement. Par là-même, elle m’invite à agir avec d’autres pour démultiplier ensemble notre force de frappe en la matière, notre puissance de bénédiction. La bénédiction papale  « Urbi et Orbi » (à la ville = Rome et au monde) est l’expression spectaculaire de cette responsabilité de l’Église envers tous les peuples : les bénir sans conditions.

Le repli sur soi et sur ses proches est incompatible avec la vocation reçue en Abraham. D’ailleurs, l’Église ne serait pas l’Église si elle n’était pas catholique (du grec kat-olon = selon le tout, la totalité), ouvrant à tous la totalité de la bénédiction se propageant d’Abraham à Jésus puis à nous aujourd’hui. Catholique et bénédiction sont donc indissociables, sous peine de se transformer en club privé, très vite privé de Dieu lui-même…

Devenir bénédiction nous appelle à discerner le travail de l’Esprit dans d’autres cultures, religions, manières de vivre, pour en dire du bien et les inclure ainsi dans l’héritage d’Abraham.

Sois bénédiction, pour tous : comment allons-nous traduire en actes et en paroles cet appel qui depuis Abraham nous met en mouvement vers un pays inconnu ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.

PSAUME

(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)

R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE

Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

 

ÉVANGILE

« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)

Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur.De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

 

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16 juin 2019

Bénir en tout temps en tout lieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 42 min

Bénir en tout temps en tout lieu

 

Homélie pour la fête du Saint Sacrement, Corps et sang du Christ / Année C
23/06/2019

Cf. également :

Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

 

La bénédiction, moteur de l’action juive et chrétienne

Dans l’évangile de ce dimanche (Lc 9, 11b-17), Jésus accomplit le geste à la fois liturgique et familial de la bénédiction avant le repas : « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit… ».

Bénir en tout temps en tout lieu dans Communauté spirituelleUne légende juive illustre le pouvoir qu’induit la bénédiction (berakah en hébreu) sur le monde [1]. Elle raconte qu’au moment de la création du monde, les 22 lettres de l’alphabet hébreu vinrent une à une supplier l’Éternel de créer l’univers par elles.

Après que les revendications de toutes ces lettres eurent été rejetées s’approcha du Saint – Béni soit-Il – la lettre Bet (B) qui Lui fit cette prière : « Seigneur de l’univers ! Crée le monde, je T’en prie, par moi – pour que tous les habitants du monde puissent Te louer chaque jour par moi, comme il est dit : Béni soit le Seigneur chaque jour à jamais. Amen. Amen ! Le Saint, Béni soit-Il, accueillit aussitôt la demande de Bet, et il dit : « Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur ». Et il créa le monde au moyen de Bet, comme il est écrit : « Bereshit Dieu créa le ciel et la terre ». Une seule lettre s’était abstenue de faire des revendications : c’était la lettre ’Alef (A), la petite. Dieu l’en récompensa plus tard : il la plaça en tête du Décalogue.

Le sens de cette parabole de l’alphabet est clair : le monde a été créé par Bet parce que c’est l’initiale du mot berakah (bénédiction). Une façon de dire que le monde s’appuie sur la berakah : elle révèle l’identité du monde, et en entrouvre le sens à celui-là seul qui sait la prononcer. C’est pourquoi la tradition juive enjoint de prononcer une bénédiction en présence de toute réalité. Bénir Dieu traduit alors une connaissance fondamentale, un savoir radical, qui est le fondement et la condition épistémologique (epi-steme : un savoir au-dessus) des autres savoirs sur le monde et sur l’homme. C’est en quelque sorte la condition de possibilité de l’exploration humaine de l’univers, par l’intelligence et la pensée. Einstein s’en faisait l’écho lorsqu’il déclarait : « ce qui m’étonne, c’est que le monde soit intelligible ». La bénédiction célèbre la cohérence interne du créé, porté par l’amour de Dieu. « Sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques – écrivait encore Einstein – sans la croyance en l’harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique » [2].

 

Bénir Dieu, en tout temps et en tout lieu.

Le Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme nous rappelle que l’idéal du juif pieux est de réciter chaque jour 100 bénédictions… ! « Il est interdit de goûter quoi que ce soit avant de faire une bénédiction », dit le Talmud (Ber 35a). Pour se rendre compte de l’importance de cette pratique dans la vie quotidienne, il faut lire ce que le Talmud prescrit de réciter, depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, en passant par toute la journée, et aussi en cas d’événements particuliers comme la maladie, le voyage ou la mort….

SAJ38-03 bénédiction dans Communauté spirituelleAinsi par exemple, avant de manger du pain, le fidèle doit dire : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, qui fais germer le pain de la terre » ;

avant de boire du vin : « Béni sois-tu… qui crées le fruit de la vigne »;
en regardant des épis de blé : « Béni sois-tu… qui crées la nourriture de la terre »;
quand on se parfume : « Béni sois-tu… qui crées les herbes parfumées »;
à l’approche du shabbat : « Béni sois-tu… qui nous as fait don du shabbat »;
en lisant la Torah : « Béni sois-tu… qui nous sanctifies par tes préceptes »;
en contemplant les collines, les montagnes et les fleuves : « Béni sois-tu… qui accomplis l’œuvre de la création »;
en découvrant l’océan : « Béni sois-tu,… toi qui as fait le grand océan »;
en construisant une nouvelle maison ou en en achetant le mobilier : « Béni sois-tu… lui nous as fait subsister et nous as fait arriver à ce moment »;
en revoyant un ami après trente jours : « Béni sois-tu… qui nous as gardés en vie et fait arriver jusqu’à ce jour »;
lorsqu’on rencontre un singe, un éléphant ou une chouette : « Béni sois-tu… qui rends les créatures si variées » etc…

Il existe même une bénédiction récitée à l’occasion des besoins physiologiques quand on va aux toilettes, et qui fait partie du Siddour (Livre de prières) : « Béni sois-tu… toi qui as formé l’homme avec sagesse et as créé en lui des orifices et des cavités. Il est bien évident devant ton trône glorieux que si l’un d’entre eux s’ouvrait ou se fermait, nul ne pourrait subsister et exister devant toi. Béni sois-tu, médecin de tout être créé, qui opères des prodiges ».

C’est justement parce que les bénédictions occupent, dans la tradition juive, une place si importante que leur est consacré le premier des trente (et plus) volumes du Talmud, tant babylonien que palestinien, les deux recueils de la science juive encyclopédique, rédigés aux environs des Vème et VIème siècles de l’ère chrétienne.

Cette coutume de réciter les bénédictions ne remonte pas seulement à un passé lointain, elle est encore vivante et bien actuelle, même chez bon nombre d’intellectuels. On raconte que S. Agnon (1888-1970), à l’annonce qu’il allait recevoir le prix Nobel, en 1966, a récité la bénédiction que voici : « Béni sois-tu… toi qui es bon et qui fais le bien »; et que, à la vue du roi de Suède, à l’occasion de la remise du prix, il prononça cette autre bénédiction : « Béni sois-tu… toi qui rends les mortels participants de ta gloire ». On raconte également qu’à l’École rabbinique de Paris, un orage ayant éclaté au moment où il donnait son cours, le professeur abandonna précipitamment sa chaise et s’approcha de la fenêtre pour réciter cette bénédiction : « Béni sois-tu… toi dont la force et la puissance remplissent la création » [3].

 

Genou

toddler girl sleeping on planeLe terme hébraïque de bénédiction (berakah) provient de la même racine que le terme bèrekh (genou), car le geste de plier le genou accompagnait la prière, les remerciements et les louanges adressées à Dieu (Is 45,23 : devant moi tout genou fléchira (// Rm 14,11); Ps 95,6 : à genoux devant YHWH qui nous a faits; Dn 6,11; 2 Ch 6,13… Cf. Mc 15,19 et l’hommage des mages; Lc 5,8 : Pierre aux genoux de Jésus; Lc 22,41 : fléchissant les genoux, il priait en disant…; Ac 7,60; 9,40; 20,36; 21,5; Rm 11,4; Ep 3,14; He 12,12…). En ce sens, la berakah rejoint l’étymologie grecque d’eu-logia , et celle latine de bene-dictio : il s’agit, en ployant les genoux devant Dieu, de lui rendre toute gloire en disant du bien de lui, en proclamant tout le bien qu’il fait pour l’homme.

La racine hébraïque : ‘tenir sur ses genoux’ est l’expression corporelle traduisant la bénédiction. Bénir quelqu’un signifie lui exprimer, quasi-physiquement, la tendresse de Dieu pour lui, comme une mère chérit son nouveau-né sur ses genoux (Gn 30,3; 50,23), selon la promesse transmise par Isaïe : « Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux » (Is 66,12).

 

Nappe d’eau

Berekah veut également dire ‘nappe d’eau’, près de laquelle on s’agenouille pour boire. La bénédiction est un don, et l’expression et la reconnaissance de ce don par la parole. On peut faire ici une distinction entre bénédiction et action de grâces : on bénit Dieu pour lui-même, pour ce qu’il est, de même que Dieu le premier bénit l’œuvre de sa création (Cf. le leitmotiv de Gn 1 : et Dieu vit que cela était bon… Gn 1,22.28 : Dieu les bénit…); alors qu’on rend grâces à Dieu pour tel don bien précis reçu de lui (ex : le pharisien en Lc 18,11 : je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes…). Le bien qu’apporte la bénédiction n’est pas un objet précis, un don défini, parce qu’il n’est pas de l’ordre de l’avoir, mais de celui de l’être. Bénir, c’est dire le don créateur et vivifiant. Le terme le plus proche en français serait peut-être celui de louange, qui connote bien une notion de gratuité et de désintéressement : on loue Dieu pour lui-même.

La bénédiction, remontant du particulier au Dieu créateur, prend toujours une dimension universelle, tandis que l’action de grâces part d’un événement historique, ponctuel et précis, même si elle s’ouvre à l’infini de Dieu à partir de cet événement.

Les doxologies du Psautier représentent une forme développée de la bénédiction [4] : chacun des cinq livres du Psautier se termine par un tel cri de louange. Le livre I se termine par (Ps 41,13) : « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, depuis toujours et à jamais (litt : depuis le monde jusqu’au monde). Amen ! Amen ! » Le livre II par (Ps 72,18-19) : « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, qui seul fait des merveilles. Et béni soit à jamais son nom glorieux, que sa gloire remplisse toute la terre ! Amen ! Amen ! » Le livre III par (Ps 89,52) : « Béni soit le Seigneur à jamais ! Amen ! Amen ! » Le livre IV par (Ps 106, 49) : « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël depuis toujours jusqu’à toujours ! Et tout le peuple dira : Amen, célébrez YHWH ! » Le livre V par le Ps 150, magnifique doxologie finale où culmine tout le mouvement de louange du Psautier.

Bénir des objets ?

51zeAR6DESL._SX331_BO1,204,203,200_ eucharistieCette bénédiction n’a rien de magique, contrairement aux invocations païennes sur les objets pour les ‘protéger’ des maléfices ou pour en faire une sorte de talisman. D’ailleurs, en rigueur de termes, c’est toujours quelqu’un et non quelque chose qui est béni.. La bénédiction s’adresse d’abord à Dieu, et ce, non pas pour qu’il envoie sa grâce sur nous ou sur nos biens, mais pour nous référer à lui-même comme la source de la vie et de l’amour, dans une perspective foncièrement désintéressée (Cf. Dn 3, 24-90 : la louange des trois enfants dans la fournaise). La formule la plus classique par laquelle commencent toutes les berakhot est : ‘Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers…’. Rien à voir donc avec une formule magique qui conférerait un pouvoir à des objets. On peut cependant remarquer que l’action de bénir a pour complément d’objet, sinon des choses, du moins des hommes (et Dieu en premier, mais au passif : béni sois-tu). En Gn 32, 26, Jacob implore cette bénédiction : « je ne te laisserai pas aller que tu ne m’aies béni ». La bénédiction paternelle accordée pour l’héritage ou le voyage des enfants s’applique de même à ceux qui sont l’objet de la sollicitude familiale.

L’habitude chrétienne de bénir des objets doit donc sérieusement se purifier en retrouvant la source de la berakah juive : Dieu le premier est béni, il nous bénit lui-même, et permet ainsi à l’homme de jouir de toutes les réalités créées, à l’intérieur de la relation d’Alliance et comme une réponse à cette Alliance, comme des signes de la tendresse et de l’amour de Dieu à notre égard.

 grâceLe Livre des Bénédictions de l’Église catholique, traduit en français en 1988, en garde la trace. Il est divisé en 6 grands chapitres, qui commencent, fort heureusement, par les bénédictions concernant directement les personnes, puis celles concernant les bâtiments et autres ouvrages; viennent ensuite celles concernant les objets du culte et les objets de dévotion populaire; puis celles liées aux fêtes et aux saisons, et enfin celles pour des nécessités et occasions diverses. Dans ce Livre des Bénédictions, l’Église met en garde contre des pratiques purement mécaniques dont on ne donnerait pas oralement l’interprétation : ‘Les signes extérieurs de bénédiction, et particulièrement le signe de la croix, sont eux-mêmes des manières de prêcher l’Évangile et d’exprimer la foi; mais afin d’assurer une participation active à la célébration et d’éviter tout danger de superstition, il n’est pas permis ordinairement de bénir quelque chose et ou quelque lieu que ce soit par le signe seul de la bénédiction, sans l’accompagner en même temps de la Parole de Dieu ou de quelque prière’ .

Le danger de s’attacher à des détails sans importance est un problème constant de la religion. Le fait que les Grecs aient appelé ‘phylactères’ (amulettes) les tefillin des juifs montre, par exemple, que certaines personnes (des Gentils peut-être) attribuaient une puissance particulière à ces étuis contenant des textes sacrés. S’il est extrêmement important de répondre au besoin qu’ont les êtres humains de symboles et de gestes, les responsables de communautés religieuses doivent constamment veiller contre la tendance, chez le peuple, à attribuer une puissance particulière aux signes extérieurs eux-mêmes. Tout comme le bon roi Ezéchias dut détruire le serpent de bronze Nehushtan qu’avait fait Moïse (2 R 18,4; cf. Nb 21,9), les responsables religieux doivent, à chaque génération, purifier la foi de leurs communautés. « Les richesses de cette tradition biblique intégrées dans les cérémonies et rituels de ce Livre des Bénédictions devraient amener les fidèles catholiques à reconnaître toujours davantage l’amour et l’action de Dieu dans leur vie. » [5]

La bénédiction sacerdotale de Nb 6, 24-26 toujours en vigueur exprime cela mieux que toute autre : « Que le Seigneur vous bénisse et vous garde; que le Seigneur fasse luire sa face sur vous et vous soit favorable; que le Seigneur fasse lever sur vous son visage et vous apporte la paix ! »

 

Une vie eucharistique

La bénédiction que Jésus fait sur le pain et le vin en ce dimanche du Saint Sacrement peut devenir la nôtre : bénir, dire du bien en tout temps en tout lieu, de Dieu, de la Création, de nos proches, de nos collègues… Voilà une existence authentiquement eucharistique !

 


[1]. Cf. DI SANTE C., Le sens de la berakha juive, in SIDIC XXVI/1, 1993, pp 42-45.
[2]. EINSTEIN A. / INFELD L., L’évolution des idées en physique, Flammarion, coll. Champs n° 119, Paris, 1983, p. 276.
[3]. Cf. DI SANTE C., op. cit., pp. 11-12.
[4]. Cf. LOEWE H., Le concept juif de bénédiction, in SIDIC XXVI/1, 1993, 2-10.
[5]. FRIZZELL L.E., Réflexions sur le nouveau Livre Catholique des Bénédictions, in SIDIC XXVI/1, 1993, 18.

 

Lectures de la messe

Première lecture
Melkisédek offre le pain et le vin (Gn 14, 18-20)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.

Psaume

(Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
R/ Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melkisédek.
(cf. Ps 109, 4)

Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite,
et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »

De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »

Le jour où paraît ta puissance,
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui naît de l’aurore,
je t’ai engendré. »

Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais
selon l’ordre du roi Melkisédek. »

Deuxième lecture
« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Séquence

Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.

* Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

Évangile
« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Lc 9, 11b-17)
Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. » Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.
Patrick BRAUD

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25 septembre 2010

Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

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Où est la bénédiction ? Où est le scandale ?

dans la richesse, ou la pauvreté ?

 

 

Homélie du 25/09/2010

26° Dimanche du temps ordinaire / Année C

 

·      Les textes de ce dimanche sont encore fois à connotation très économique ! Décidément, on ne peut pas soupçonner la Bible de se désintéresser des enjeux économiques et sociaux, au contraire.

Amos tonne contre la « bande des vautrés » qui oublie l’alliance d’Israël avec Dieu, et à cause de cela précipite le peuple dans la catastrophe de la déportation. Le scandale des riches étalant leur luxe façon bling-bling révèle l’idolâtrie où Israël s’est égaré.

Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ? dans Communauté spirituelle 146Jésus, quant à lui, se sert d’une parabole pour dénoncer le scandale de la pauvreté. Que le pauvre Lazare voisine avec le riche anonyme en Israël montre qu’il y a ?quelque chose de pourri’ dans le circuit économique et la répartition des richesses.

 

·      Les attitudes issues de la Bible (ou du Coran) ont toujours hésité entre ces deux approches :

- la richesse est une bénédiction, mais la pauvreté est un scandale (qui contredit l’Alliance). C’est la ligne des textes de sagesse ou des textes de Loi dans l’Ancien Testament, et de certains courants du Nouveau Testament (Actes, Paul…).

- la richesse est un scandale, et la pauvreté est la condition privilégiée des élus de Dieu. C’est la ligne des prophètes dans l’Ancien Testament, et de Jésus (« heureux vous les pauvres ! »), de Jacques… Et à leur suite de St Benoît, François d’Assise…

 

·      De manière assez caricaturale, on présente souvent les juifs et les protestants (anglo-saxons) comme les héritiers de la première ligne de pensée, et les catholiques européens comme héritiers de la seconde. C’est un peu caricatural, car c’est oublier la grande tradition des Pères de l’Église des six premiers siècles. « Pas de pauvre chez toi » : telle était leur leitmotiv (tiré de Dt 15,4) pour réfléchir sur l’économie de l’époque. Ils n’élevaient pas tant la voix pour critiquer les riches que pour sauver les pauvres.

 

- Abraham qui reçoit ce pauvre, avait été riche, et par conséquent Dieu ne condamne pas tous les riches. Mais ce riche était pauvre de c?ur, il était humble, il était croyant, il faisait le bien (saint Augustin, sermon XIV).

 

- Ce n’était pas à cause de sa pauvreté que ce pauvre fut honoré par les anges, ni à cause de ses richesses que ce riche fut condamné aux tourments : dans le pauvre, c’est l’humilité qui fut honorée, et dans le riche, c’est l’orgueil qui fut condamné (…) Vous tous, qui que vous soyez, riches ou pauvres, apprenez à être pauvres et humbles : car on trouve des mendiants qui sont orgueilleux et des riches qui sont humbles (saint Augustin,  commentaire du Psaume LXXXV, 3).

 

- Il n’englobe pas tous les riches dans cet homme, car de même que toute pauvreté n’est pas sainte, toute richesse n’est pas criminelle : c’est la jouissance effrénée qui entache la richesse, et c’est la sainteté qui relève la pauvreté (saint Ambroise de Milan, commentaire de l’évangile selon saint Luc, VIII 13).

 

·      Où est le scandale ? Où est la bénédiction ?

Selon que l’on réponde : la richesse, où la pauvreté (en s’appuyant à chaque fois sur la Bible) ont aura des régimes économiques fort différents.

- Si la richesse est une bénédiction et la pauvreté un scandale, alors aucun complexe à avoir vis-à-vis de la réussite ou de la fortune. Au contraire, elle servira à combattre le scandale de la pauvreté, essentiellement par le don et la philanthropie d’ailleurs. Pensez par exemple à Bill Gates, qui assume son statut d’homme le plus riche de la planète (ou presque), en consacrant tout son temps depuis l’an 2000 à sa Fondation Bill et Melinda Gates. Il y consacre 95 % de sa fortune pour lutter contre les maladies et l’analphabétisme dans les pays du Sud.

 

- Si la pauvreté est une béatitude et la richesse un scandale, alors l’idéal chrétien est incarné par des moines, des religieux (François d’Assise, mère Teresa, soeur Emmanuelle…) qui échappent à la course à l’argent. Les autres chrétiens, faute de mieux, s’appliquent à leur travail en ne cherchant pas d’abord à s’enrichir.

 

·      Faut-il choisir ?

- C’est vrai que beaucoup de juifs et de protestants (et de musulmans) sont sur la première ligne.

 9782717840346 bénédiction dans Communauté spirituelleAvec d’autres : l’utopie d’éradiquer la pauvreté est présente aussi bien dans le libéralisme d’Adam Smith que dans le marxisme. Adam Smith « enquête sur les causes des richesses des nations » en 1776 justement pour comprendre comment on devient riche, et pour étendre ce mécanisme à toutes les sociétés. Le marxisme ? lui - lutte pour une société sans classes, où tout est commun, où il n’y a plus de pauvres.

Des catholiques eux aussi rêvent d’une société sans pauvres. Paul VI par exemple faisait en 1967 une lecture très politique de cette parabole, qui allait en ce sens, en l’appliquant aux rapports Nord-Sud de l’époque :

« Il ne s’agit pas seulement de vaincre la faim ni même de faire reculer la pauvreté. Le combat contre la misère, urgent et nécessaire, est insuffisant. Il s’agit de construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre une vie pleinement humaine, affranchie des servitudes qui lui viennent des hommes et d’une nature insuffisamment maîtrisée; un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s’asseoir à la même table que le riche. »

Paul VI, Popularum Progressio n° 47, 1967

 

- C’est vrai également que beaucoup de catholiques suivent la deuxième ligne. La volonté de régulation morale du capitalisme par exemple s’inscrit dans ce courant réaliste. « Des pauvres vous en aurez toujours parmi vous » disait Jésus (Mc 14,7 ; Mt 26,11 ; Jn 12,8). On peut juste éviter les excès, moraliser les appétits, protéger les plus faibles.

 

- Pourtant, on se prend à rêver d’un monde où la richesse des riches serait une bénédiction pour les pauvres, et où le dépouillement volontaire serait un chemin de sainteté et de bonheur pour tous.

L'abondance frugale : Pour une nouvelle solidarité

Certains parlent de « l’abondance frugale » (Jean-Baptiste de Foucauld, Ed. Odile Jacob, 2010) ou de « sobriété / simplicité volontaire et heureuse » (cf. par ex. : MONGEAU, Serge : La simplicité volontaire, plus que jamais? Ed. Écosociété, Montréal, 1998? à ne pas confondre avec la décroissance?).

Adam Smith faisait déjà l’éloge de l’opulence nouvelle alliée à « la frugalité de nos pères » :

« Voilà ce que fait le prodigue : en ne bornant pas sa dépense à son revenu, il entame son capital. Comme un homme qui dissipe à quelque usage profane les revenus d’une fondation pieuse, il paye des salaires à la fainéantise avec ces fonds que la frugalité de nos pères avait pour ainsi dire consacrés à l’entretien de l’industrie. »

Et Smith n’oubliait pas de conjuguer l’opulence et la frugalité avec la sympathie pour l’autre, c’est-à-dire le désir d’être aimé, respecté, dans la confiance et la réciprocité.

Alors : où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Ne répondons pas trop vite…

 

 

 

1ère lecture : Contre le gaspillage insolent des riches (Am 6, 1a.4-7)

Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Jérusalem, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les meilleurs agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres ; ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël !
C’est pourquoi maintenant ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus.

 

Psaume : Ps 145, 5a.6c.7ab, 7c-8, 9-10a

 

R/ Chantons le Seigneur : il comble les pauvres !

Heureux qui s’appuie sur le Seigneur son Dieu ;
il garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain.

Le Seigneur délie les enchaînés,
le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera !

 

2ème lecture : Vivre la foi au Christ (1Tm 6, 11-16)

Toi, l’homme de Dieu, cherche à être juste et religieux, vis dans la foi et l’amour, la persévérance et la douceur.
Continue à bien te battre pour la foi, et tu obtiendras la vie éternelle ; c’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as été capable d’une si belle affirmation de ta foi devant de nombreux témoins.
Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à toutes choses, et en présence du Christ Jésus qui a témoigné devant Ponce Pilate par une si belle affirmation, voici ce que je t’ordonne :
garde le commandement du Seigneur, en demeurant irréprochable et droit jusqu’au moment où se manifestera notre Seigneur Jésus Christ.
Celui qui fera paraître le Christ au temps fixé, c’est le Souverain unique et bienheureux,le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs,
le seul qui possède l’immortalité,lui qui habite la lumière inaccessible,lui que personne n’a jamais vu,et que personne ne peut voir. A lui, honneur et puissance éternelle. Amen.

 

Evangile : Parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31)

Jésus disait cette parabole :
« Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux.
Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.
Alors il cria : ‘Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. ?
Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c’est ton tour de souffrir.
De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.’
Le riche répliqua : ‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père.
J’ai cinq frères : qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ! »
Abraham lui dit : ‘Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
- Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.’
Abraham répondit : ‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.’ »
Patrick Braud

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