L'homélie du dimanche (prochain)

28 janvier 2024

Sacrée belle-mère !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sacrée belle-mère !

 

Homélie pour le 5° Dimanche du Temps ordinaire  /  Année B 

04/02/2024

 

Cf. également :
Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile !
Des sommaires pas si sommaires
Sortir, partir ailleurs…
Avec Job, faire face à l’excès du mal
Vers un diaconat féminin ?
Conjuguer Pâques au passif
La Résurrection est un passif
Recevoir de se recevoir

 

La matrone de Capharnaüm

Blague - Sacrée Belle-mèreCe pourrait être une blague belge :

– Pourquoi Pierre a-t-il trahi Jésus, trois fois ?

– Parce qu’il a guéri sa belle-mère, une fois…

Les belles-mères ont mauvaise réputation, c’est bien connu ! C’est sans doute freudien : une histoire de rivalité d’attachements possessifs…

Mais dans l’Évangile de Marc, la belle-mère est carrément une icône, un modèle pour la communauté croyante. À l’image de l’autre belle-mère célèbre dans la Bible – Noémi – qui a accueilli chez elle Ruth l’étrangère de Moab lorsque celle-ci est devenue veuve. C’est grâce à sa belle-mère que Ruth put épouser Booz, devenir juive, et incarner ainsi l’une des plus belles figures d’Israël à tel point qu’un livre de la Bible lui est entièrement dédié. Comme Noémi, la belle-mère de Pierre a accueilli chez elle sa fille, sans doute parce que le couple avait besoin d’une habitation près du lac où Pierre exerçait son métier de pêcheur. Le premier pape était donc marié [1], comme tout bon juif adulte qui se respecte (Jésus en restant célibataire est hors normes, voire choquant). Plus tard, il emmènera sa femme lors de ses missions, comme l’atteste Paul (marié également, mais qui lui s’est sans doute séparé de sa femme pour ses voyages missionnaires) : « N’aurions-nous pas le droit d’emmener avec nous une femme croyante, comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Pierre ? » (1Co 9,5). La tradition attribue même à Pierre une fille nommée Pétronille, honorée comme martyre dans la catacombe romaine de Domitille, puis au sein même de la basilique Saint-Pierre.

 

La belle-mère de Pierre assumait donc la vie ordinaire de cette petite famille chez elle, et en plus elle assurait l’intendance régulièrement pour le groupe des disciples qui venaient manger et se réunir chez elle.

 

Mettons-nous donc dans la peau de cette belle-mère iconique, en éprouvant pour nous-mêmes les étapes de son parcours à Capharnaüm. Suivons-la avec les 4 qualificatifs qui jalonnent son parcours : elle est successivement alitée / fiévreuse / relevée / servante.

 

Alitée

Sacrée belle-mère ! dans Communauté spirituelle agyhoz-kotott-betegRappelez-vous quand vous avez été obligé de rester au lit : à cause d’une grippe, du Covid, après une opération, parce que vous étiez exténué etc. Être alité est signe d’une faiblesse généralisée, où l’on ne tient plus sur ses pieds. Comme le paralysé couché sur son brancard (Mc 2,4), comme les foules des malades couchés sous les colonnades de la piscine de Bethzatha (Jn 5,2-3), la belle-mère de Pierre est momentanément impotente, incapable de faire quoi que ce soit par elle-même, sinon garder le lit.

 

Nous avons tous de ces périodes où le corps dit : ‘stop’, où l’esprit exige de s’arrêter pour récupérer. Je me souviens d’un ami hospitalisé après une prothèse de hanche. Il trouvait le temps long, trop long, lui d’habitude si actif. Je lui ai dit, avec le plus de douceur possible : « mon ami, c’est le moment d’expérimenter ta radicale inutilité… » 

Conseil un peu scandaleux dans un monde où chacun se définit par ce qu’il fait. Et plus il fait, plus il existe aux yeux de tous. Mais voilà que la maladie ou autre motif de faiblesse oblige à être passif, alité (professionnellement, socialement, spirituellement etc.). Comment dès lors continuer à se définir par ses titres, ses cartes de visite, ses missions importantes ? Ce serait risquer de condamner tous les inutiles à être sans valeur : handicapés, malades psychiatriques, seniors trop âgés, et tous ceux qui ne peuvent ‘rien faire’ aux yeux de l’activisme ambiant.

Apprendre à être alité fait donc partie de la maturité spirituelle. Il s’agit de ne pas s’attacher à ses œuvres (réussite professionnelle, famille, responsabilité, réalisations diverses). La faiblesse de la belle-mère de Pierre nous sera salutaire si elle nous libère de la vanité d’exister par nous-même.

 

Et vous, quand avez-vous été alité d’une manière ou d’une autre ? Qu’est-ce cela vous a appris sur votre ‘radicale inutilité’ ?

 

Fiévreuse

coloriage-fievre-dl11754 belle-mère dans Communauté spirituelleLa fièvre est plus qu’une fièvre dans la Bible. À travers la poussée de température, elle y voit la symbolique du feu dévorant des passions humaines consumant chacun dans des convoitises épuisantes. En hébreu, le mot fièvre קַדַּחַת qaddachath vient de קָדַח qadach qui veut dire brûler comme un feu : feu de bois qui flambe (Dt 32,22 ; Is 50,11 ; 64,2), c’est également le feu de la colère de Dieu (Dt 32,22 ; Jr 15,14 ; 17,4).

De plus, le mot belle-mère en hébreu se dit חָמוֹת (chamowth) qui vient de la racine חָם (cham) signifiant beau-père mais également chaud, bouillant :

« Voyez notre pain : il était encore chaud (cham) quand nous en avons fait provision… » (Jos 9,12). « Toi, dont les habits sont trop chauds (cham)  quand repose la terre au vent du midi… » (Jb 37,17).

La belle-mère brûle donc ‘par nature’ pourrait-on dire avec humour : les beaux-parents ont toujours une certaine difficulté à laisser leur fille partir avec un autre… C’est chaud-bouillant !

 

En tout cas cette fièvre est symbole de jalousie et d’amertume.

Fiévreuse, la belle-mère de Pierre est la figure de notre humanité en proie au feu intérieur du désir d’avoir toujours plus : plus de richesse, plus de pouvoir, plus de reconnaissance etc. Cette soif inextinguible se trompe de cible : elle nous fait brûler pour des idoles alors que la vraie libération est de brûler nos idoles, comme Moïse a brûlé le veau d’or au désert pour affranchir les hébreux de son esclavage. Et Moïse les a forcés à boire les cendres du veau d’or fondu (« Il se saisit du veau qu’ils avaient fait, le brûla, le réduisit en poussière, qu’il répandit à la surface de l’eau. Et cette eau, il la fit boire aux fils d’Israël » Ex 32,20), pour que « la fièvre de l’or » ne les consume plus et qu’ils en soient dégoûtés à jamais.

 

Jésus en guérissant la belle-mère de Pierre nous libère de nos fièvres intérieures, de nos passions brûlantes d’un désir mal orienté.

 

Et vous : de quoi êtes-vous fiévreux en ce moment ?

 

Relevée

2021-02-07-Hitda-EvangeliarHeilungSchwiegermutter-Guerison-belle-mere-de-Pierre-731x1024 CapharnaümMarc fait exprès d’inverser les moments logiques de la guérison. Normalement, Jésus aurait dû prendre la belle-mère par la main avant de la relever. Là c’est l’inverse : « il la fit se lever / en lui prenant la main ». C’est pour souligner la primauté de la résurrection : le verbe se lever (γερω = egeirō) est celui que Marc et les évangélistes emploient pour la résurrection de Jésus : « Dieu l’a relevé d’entre les morts » (Ac 13,30). « Christ s’est levé d’entre les morts » (Rm 6,4). La belle-mère est la figure du disciple parce qu’elle est ressuscitée, gratuitement, et se conduit ensuite comme telle. Mais le don de la résurrection est premier.

Elle ne demande rien. Elle n’a rien fait pour mériter cela. Jésus la guérit sans conditions. Rien n’est dit sur la qualité de sa foi, ni de ses œuvres avant. Jésus lui offre son secours gratuitement, inconditionnellement. Telle est la chance du chrétien, ressuscité par grâce pour porter du fruit. Autrement dit, les bonnes œuvres viennent après le don reçu, comme une conséquence et non pas avant comme une condition.

 

Être chrétien est donc d’abord un passif : se laisser aimer, recevoir le don de la résurrection dès maintenant, accepter d’être guéri au lieu de vouloir se guérir soi-même. C’est cependant un passif actif : la belle-mère saisit la main tendue. Elle l’agrippe. Elle se remet sur pieds et aussitôt se met à servir la petite communauté qui squatte chez elle. Marie est d’ailleurs le plus bel exemple de cette passivité active, elle qui accueille le don de la vie en son sein et y coopère de toutes ses forces.

 

À nous de redécouvrir sans cesse le bon ordre de la séquence : résurrection–œuvres, salut reçu–charité donnée, afin d’accomplir les œuvres que Dieu veut et non les nôtres.

 

Et vous : que pourrait signifier ‘être ressuscité’ pour vous dès maintenant ? Qu’est-ce que cela changerait dans les chantiers que vous menez ?

 

Servante

diaconessesDiaconesse serait le mot exact : elle les servait (ιακονω = diakoneō). Comme, juste avant,  les anges servaient le Christ au désert selon Mc 1,13 : « dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ». En servant le corps du Christ qui est la communauté, la belle-mère est l’ange de l’Église…

Comme seules les femmes savent le faire jusqu’au bout : « Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui suivaient Jésus et le servaient quand il était en Galilée, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem » (Mc 15,40-41).

Servir est la vraie manière d’être configuré au Christ, « car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45). Ce sont les quatre seuls usages du verbe servir chez Marc.

 

Normalement la fièvre, même après avoir baissé, laisse le malade affaibli. Pourtant la belle-mère de Pierre n’eut pas besoin de prendre un temps de repos pour retrouver toutes ses forces. Cette guérison immédiate est typique des miracles de Jésus : il s’agit toujours d’une restauration totale et immédiate des forces et de la santé. Ce que Dieu ressuscite  est plus neuf que le neuf !

Pour la belle-mère de Pierre, comme pour nous, la reconnaissance se manifeste dans le service. Le temps employé (l’aoriste = un imparfait qui se prolonge) implique une action qui dure, et non un service occasionnel. C’est donc que la belle-mère de Pierre remplit longtemps cet office : servir l’Église, à travers Jésus et les Douze.

La diaconie du Christ-serviteur trouve dès le début de l’Évangile une figure féminine pour l’incarner : la belle-mère de Pierre, première diaconesse en quelque sorte !, en tout cas la première dans l’Évangile de Marc à servir Jésus et ses disciples, juste après les anges….

De quoi renouveler la réflexion sur le diaconat féminin, dont le Nouveau Testament et les Pères de l’Église gardent une trace bien vivante pendant plusieurs siècles.

 

Recevoir la vie de ressuscité en plénitude se manifeste donc aussitôt par le service. C’est un indicateur précieux pour discerner si je progresse dans la mise en œuvre du don reçu : servir est-il pour moi un vrai bonheur, une évidence intérieure, une seconde nature ? ou un devoir, une performance, une preuve à donner ?

 

Notons que c’est un jour de shabbat que la guérison a eu lieu : cela n’empêche pas la belle-mère de reprendre son rôle de matrone de Capharnaüm en allumant le feu et en remuant chaudrons et ustensiles pour la communauté, toutes activités interdites le jour du shabbat. La résurrection affranchit du shabbat. Ce n’est plus l’observance de la Loi qui compte, mais la force de la reconnaissance pour le salut offert.

 

Servir ainsi n’est pas forcément multiplier les actions en volume. C’est plutôt une qualité de relation, une façon d’être.

Servir n’est pas une question de quantité. La grâce n’est pas stakhanoviste ! Bernadette Soubirous a passé des années à Nevers à accomplir les tâches ménagères de son couvent avec amour, sans rien faire d’extraordinaire, mais en servant, par reconnaissance, par amour, jusque dans sa maladie où elle était ‘radicalement inutile’. Et c’est pour cela qu’elle a été reconnue sainte, pas pour ses visions à Lourdes.

 

Et vous : votre désir de servir est-il hypertendu, forcé, dicté par un surmoi exigeant ? Ou découle-t-il avec simplicité de votre expérience spirituelle intérieure ?

 

Alitée, fiévreuse, relevée, servante : la belle-mère de Pierre, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Elle est la figure du disciple qui a conscience du présent offert, et en tire toutes les conséquences.

À nous de saisir la main tendue…

 __________________________________________

[1]. Selon Eusèbe de Césarée, citant saint Clément d’Alexandrie, l’épouse de Pierre serait morte martyre avant son mari. Il l’assista et l’encouragea dans l’épreuve (Histoire Ecclésiastique, 3, ch. 30).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-4.6-7)

Lecture du livre de Job
Job prit la parole et dit : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

PSAUME
(Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7)
R /  Bénissons le Seigneur qui guérit nos blessures ! ou : Alléluia ! (Ps 146, 3)

Il est bon de fêter notre Dieu,
il est beau de chanter sa louange :
il guérit les cœurs brisés
et soigne leurs blessures.

Il compte le nombre des étoiles,
il donne à chacune un nom ;
il est grand, il est fort, notre Maître :
nul n’a mesuré son intelligence.

Le Seigneur élève les humbles
et rabaisse jusqu’à terre les impies.
Entonnez pour le Seigneur l’action de grâce,
jouez pour notre Dieu sur la cithare !

DEUXIÈME LECTURE
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16-19.22-23)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.

ÉVANGILE
« Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 29-39)
Alléluia. Alléluia. Le Christ a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. Alléluia. (Mt 8, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Patrick BRAUD

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29 janvier 2018

Des sommaires pas si sommaires

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Des sommaires pas si sommaires


Homélie pour le 5° Dimanche du temps ordinaire / Année B
04/02/2018

Cf. également :

Sortir, partir ailleurs…

Avec Job, faire face à l’excès du mal

Qu’est-ce que « faire autorité » ?

Ce n’est pas le savoir qui sauve

 

Comment résumeriez-vous l’essentiel de vos activités ordinaires de la semaine ?
Sur quoi mettriez-vous l’accent ?
Qu’est-ce qui occupe 80 % de votre temps ?

Pour beaucoup d’entre nous, le tiercé transport – boulot – dodo risque fort d’arriver en tête… Quantitativement, oui, sans doute. Mais qualitativement ?

Des sommaires pas si sommaires dans Communauté spirituelle 39301735-ic%C3%B4ne-de-document-de-contr%C3%B4le-de-la-grammaire-Banque-d%27imagesL’évangéliste Marc est confronté à cette question lorsqu’il commence son évangile. Comment résumer simplement l’essentiel des activités ordinaires de cet homme extraordinaire nommé Jésus ? Le passage de ce dimanche (Mc 1, 29-39) nous donne quelques pistes. Marc campe tout de suite le paysage des années publiques de Jésus : Capharnaüm, une guérison, un sommaire, une nuit de prière, un autre sommaire. La guérison de la belle-mère de Pierre, outre qu’elle nous apprend que Pierre était marié, nous montre le ministère de la diaconie au cœur de la vie de famille et d’Église, accompli par une femme : « et elle les servait »… Le temps utilisé par Marc (l’aoriste = un imparfait qui se prolonge) souligne combien servir est la conséquence de la guérison opérée par Jésus au contact de son corps (« la prenant pas la main, il la fit se lever », et se lever – egeïro-  est le verbe de la résurrection). La diaconie du Christ serviteur trouve dès le début une figure féminine pour l’incarner : la belle-mère de Pierre, première diaconesse en quelque sorte !

Pourquoi appelées ‘sommaire’ ces deux passages ? Parce que Marc y fait la synthèse du ministère de Jésus, en évoquant son activité en général.

Premier sommaire :
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.

Deuxième sommaire :
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.

Que nous apprennent ces deux sommaires ?

 

- Un mouvement d’accueil / de sortie

La réputation de guérisseur de Jésus est telle que dans un premier temps, il n’a pas besoin d’aller vers les gens : ce sont eux qui viennent à lui. « La ville entière se pressait à la porte ». Il est lui-même cette porte qui attire à lui l’humanité souffrante. Saint Jean dira la même chose, autrement, dans son langage théologique : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». « Je suis la porte ».

Cette mission d’accueil de ceux qui souffrent fait structurellement partie de la mission de l’Église, de tout disciple. Accueil gratuit, inconditionnel (le sommaire n’énonce aucune exigence pour être guéri, sinon venir vers le Christ). Accueil libérateur, car selon la culture de l’époque (encore si prégnante dans nombre de continents et de visions du monde préscientifiques) les maladies et troubles personnels viennent de forces invisibles, de démons, qui causent « toutes sortes de maladies ».

Cet accueil à la maison aurait pu suffire à Jésus, qui aurait bien vécu après avoir posé sa plaque de guérisseur à Capharnaüm… Mais non, il est sorti de Dieu pour aller à la rencontre de l’humanité. Il sortira donc de Capharnaüm pour aller jusqu’au bout de la sortie de soi (exode/kénose) qui est la caractéristique de l’amour trinitaire : « allons ailleurs dans les villages voisins. C’est pour cela que je suis sorti ».

Le double mouvement d’accueil / sortie – qui nous fait penser au mouvement du cœur (diastole / systole), ou à la respiration (inspiration/ expiration) – est constitutif de note identité chrétienne.

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- Prier pour rester fidèle

Le succès facile de Capharnaüm aurait pu griser Jésus. Les foules adorent le pain et les jeux. Elles voudront faire roi ce guérisseur extraordinaire. Mais Capharnaüm est trop petit pour contenir son amour, et ‘roi de Judée’ est un titre trop étroit pour le roi de l’univers. Pourtant, la tentation est là : s’installer, surfer sur l’adulation des foules, se construire un petit bonheur tranquille et durable. Qui n’en rêve pas ? C’est sans doute à cause de cette tentation qui veut le détourner de sa vocation que Jésus à nouveau se rend dans un endroit désert pour prier. Cette prière avant l’aube lui permet de se recentrer sur l’essentiel de sa mission : proclamer l’Évangile dans les villages voisins, toute la Galilée, et à Jérusalem.

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Lorsque la tentation nous vient d’arrêter notre course, de nous installer dans nos succès faciles, le Christ nous montre le chemin de la prière solitaire pour y trouver la force de devenir fidèle, c’est-à-dire de continuer notre route nous aussi. Nous retrouvons parfois  l’urgence de la prière dans l’épreuve, pourquoi l’abandonnerions-nous dans les temps heureux où tout va bien ? L’infidélité nous y guette tout autant. Prier pour rester fidèle reste pour nous une ressource précieuse dans les Capharnaüm comme dans les Gethsémani de notre existence.

 

- Guérir et délivrer

Les deux sommaires de ce début d’évangile de Marc font la part belle aux guérisons et aux exorcismes pratiqués par Jésus. Guérir les malades et expulser les démons sont visiblement au cœur de l’activité de Jésus. Aux yeux de ses contemporains, avant d’être un prophète, un sage ou un messie, Jésus est un thérapeute, un faiseur de miracles, un exorciste (les trois étant liés dans les mentalités de l’époque). D’ailleurs, si l’on supprimait des évangiles les récits de guérison, les miracles et les exorcismes, il faudrait enlever au moins un tiers du texte en volume ! Autant dire que l’Église doit rechercher et comprendre ce que veut dire guérir et libérer aujourd’hui, avec la même puissance de l’Esprit qui animait le Christ autrefois.

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Soigner les corps, les esprits, les cœurs, les âmes ont toujours été des composantes essentielles de l’évangélisation. Dispensaires et PMI fleurissaient en Afrique autant que les églises. Les religieuses ont été infirmières bien avant le service public. Et délivrer les gens de leurs passions morbides a toujours fait partie du ministère de la confession et du charisme de l’accompagnement spirituel.

À continuer !

 

 

- Le savoir ne sauve pas

Jesus-et-la-gnose diaconieLe premier sommaire précise : Jésus « empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient eux, qui il était ». La foi n’est donc pas une question de connaissance, car ici ceux qui savent (les démons) sont expulsés, alors que ceux qui font confiance (les malades-possédés) sont accueillis. La gnose n’apporte pas le salut, contrairement à ce que prêcheront toutes les sociétés secrètes ultérieurement, des cathares aux francs-maçons…

 

- Parcourir / proclamer / libérer sont finalement les trois activités qui occupent 90 % de l’agenda de Jésus lors de ses trois années publiques. À sa suite, l’Église doit infatigablement sortir à la rencontre des peuples et de leurs cultures (Paul VI avait ré-initié cette tradition des voyages pontificaux dans le monde entier), proclamer l’Évangile à temps et à contretemps (même lorsque la liberté religieuse est limitée, comme sous le communisme autrefois où l’islam d’État actuellement), et libérer chacun et tous des démons qui les aliènent collectivement ou individuellement (de la soif d’argent qui déshumanise une société aux liens psychologiques et spirituels qui peuvent enchaîner une personne).

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Finalement, ces sommaires de Marc sont assez instructifs !

Et vous, si on vous demandait de faire le sommaire de vos journées, de vos semaines, qu’écririez-vous ? Y trouverait-on, selon votre charisme, la passion de parcourir, de proclamer, de libérer ?

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Je ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-4.6-7)
Lecture du livre de Job

Job prit la parole et dit : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

Psaume
(Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7)
R/ Bénissons le Seigneur qui guérit nos blessures ! ou : Alléluia ! (Ps 146, 3)

Il est bon de fêter notre Dieu,
il est beau de chanter sa louange :
il guérit les cœurs brisés
et soigne leurs blessures.

Il compte le nombre des étoiles,
il donne à chacune un nom ;
il est grand, il est fort, notre Maître :
nul n’a mesuré son intelligence.

Le Seigneur élève les humbles
et rabaisse jusqu’à terre les impies.
Entonnez pour le Seigneur l’action de grâce,
jouez pour notre Dieu sur la cithare !

Deuxième lecture
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16-19.22-23)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.

Évangile
« Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 29-39)
Alléluia. Alléluia. Le Christ a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. Alléluia. (Mt 8, 17)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Patrick BRAUD

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