S’asseoir, calculer, aller jusqu’au bout
S’asseoir, calculer, aller jusqu’au bout
Homélie du 23° Dimanche du temps ordinaire/ Année C
08/09/2013
S’asseoir
Il y a un instant, Jésus demandait de marcher à sa suite? et voici qu’il recommande pour cela de commencer par s’asseoir !
Prendre le temps de se mettre en position de réflexion : comment ne pas penser au « devoir de s’asseoir » des équipes Notre-Dame ?
Il s’agit de faire silence pour se débarrasser de l’immédiateté, et de pouvoir non seulement délibérer intérieurement, mais d’entendre résonner en soi la Parole que Dieu nous adresse. La conscience est ce que nous discernons au plus profond de nous-mêmes des savoirs que Dieu nous donne.
Quand on chemine, a fortiori à deux, il est fortement recommandé de faire un point régulièrement, pour s’assurer que l’on est dans la bonne direction, que les options prises et les ajustements à apporter sont bien partagés. Aux Équipes Notre-Dame, cela s’appelle le devoir (ou le plaisir) de s’asseoir.
Le devoir de s’asseoir est un temps particulier, au moins chaque mois, dédié à un échange avec son conjoint sur les questions essentielles de notre vie, un tête à tête pour souffler, pour se poser, pour se regarder, pour s’écouter.
Nous échangeons bien sûr en couple très souvent dans la semaine. Mais si nous réfléchissons bien, avons-nous un seul moment dédié spécifiquement à cela dans nos agendas surchargés, sans que la télévision ou l’ordinateur ne soit allumé ?
L’échange commence par une prière, pour placer ce temps sous le regard de Dieu. Cette étape est indispensable pour aller à l’essentiel avec humilité !
Ensuite, nous faisons un point sur notre vie de couple. Chacun écoute son conjoint s’exprimer. Le « je » (« j’ai été heureux(se) de? ou j’ai été blessé(e) par? » est utilisé de préférence au « tu » (« tu n’as pas fait ceci? »), pour faire part de son ressenti sans accuser.
Quelques sujets sensibles peuvent occuper l’essentiel de l’échange. Nous nous efforçons de les aborder avec tact et respect de l’autre.
Nous pouvons également réaliser un tour d’horizon plus large :
- sur soi-même, sur nous deux (la qualité de notre relation de couple, de notre relation personnelle à Dieu, nos efforts, nos progrès, nos faiblesses, nos difficultés,?)
- nos enfants (leur éducation, leur santé, leur caractère, leurs progrès, leurs difficultés,?)
- notre famille (nos parents, petits-enfants, proches âgés, souffrants?), nos amis?
- notre vie professionnelle (nos inquiétudes, nos joies, nos déceptions, nos collègues, les décisions à venir?)
- nos engagements (actions, moyens, objectifs, durée, joies, peines,?)
Les priorités de notre vie doivent être clairement définies : faisons le point sur le temps consacré à la vie de famille depuis quelques mois. N’est-il pas le moment de prévoir un week-end en couple sans enfants pour se retrouver ? Ou alors d’organiser une activité pour tel enfant qui a du mal à trouver sa place dans la fratrie ?
Le devoir de s’asseoir, pratiqué régulièrement, contribue à prendre conscience d’éventuelles dérives de notre relation de couple et à procéder aux ajustements nécessaires. Il est un jalon important dans notre vie de couple.
Cf. http://www.equipes-notre-dame.fr/article/le-devoir-de-sasseoir
Le devoir de s’asseoir ne concerne pas que les couples. Chacun de nous, avant de se lancer dans une grande oeuvre, avant de prendre une décision importante, avant de suivre quelqu’un, a tout intérêt à prendre ce temps de réflexion.
Être assis c’est se laisser porter par le sol avant que de demander à nos deux jambes de le faire. C’est un passif qui va fonder l’action suivante. Être assis, c’est l’attitude du Christ en gloire, depuis l’Ascension où Dieu le fait asseoir à sa droite. <
Dans cette position, nous nous souvenons de notre avenir en Christ, car nous serons assis à ses côtés.
C’est donc symboliquement fonder nos décisions en les évaluant à l’aune du but ultime.
C’est peser le pour et le contre en regardant devant, en discernant si cela correspond à l’avenir auquel Dieu nous appelle.
Calculer
Jésus emploie bien le verbe calculer. « S’asseoir pour calculer la dépense » est une attitude de sagesse. Le calcul permet l’anticipation ; il introduit la raison et la logique dans nos projets et nos envies autrement dé-mesurés.
Le calcul est désavoué par Dieu lorsqu’il devient orgueilleux au point de ne vouloir compter (tiens, un verbe apparenté à calculer) que sur nos propres forces.
Souvenez-vous du roi David voulant dénombrer ses armées pour être sûr de sa puissance militaire : » Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer les Israélites. » (1 Ch 21) Dieu visiblement n’approuve pas ce genre de calcul !
Dans l’évangile, c’est de manière ironique que le calcul de l’empereur romain va être subverti par Dieu : le même recensement par lequel César voulait manifester l’immensité de son empire va servir à manifester l’humble roi de Bethléem (Lc 2,1-19).
Compter les multitudes soumises deviendra finalement compter sur un fils unique…
Reste que le calcul des dépenses de la tour est ici très évangélique. Car c’est bien de dépenses que parle le Christ : impossible de le suivre sans perdre (avant de gagner, ce qui fait de la dépense un investissement en fait).
On ne se lance pas comme cela à la suite du Christ. C’est pour cela que le catéchuménat des adultes dure deux à trois ans au minimum. Car il faut du temps pour évaluer les conversions à vivre, les pertes à assumer, les changements à engager. Devenir prêtre ou moine demande cette forme de sagesse calculant les effets et les impacts de la suite du Christ. La prime en ce domaine revient sans doute aux jésuites (il faut 10 à 15 ans pour le devenir !)…
Aller jusqu’au bout
Le calcul, une fois bien assis, a pour but de savoir si on peut aller jusqu’au bout de l’aventure, que ce soit le mariage, le monastère, la création d’une entreprise ou une responsabilité associative à prendre. Dans l’Ancien Testament, l’homme n’a pas pu aller jusqu’au bout de la construction d’une tour célèbre (Gn 11,1-9). Babel est demeurée inachevée, parce que les ouvriers n’ont pas pris le temps de s’asseoir pour réfléchir aux conséquences de leur folle envie. Jésus y fait référence implicitement. Car lui ira jusqu’au bout de la volonté de son Père de bâtir une autre tour touchant le ciel, dont la croix sera le signe. « Aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10) pour les associer à l’intimité divine : voilà la construction pour laquelle Jésus est prêt à aller jusqu’au bout. Mais il a pris pour cela 30 années de réflexion auparavant. La vie cachée à Nazareth est la session de préparation à ce chef-d’oeuvre. Et Gethsémani en sera l’intense et bref rappel, pour re-décider – au moment ultime – d’aller jusqu’au bout de cette volonté de son Père.
Comment achever nos projets les plus vrais, familiaux ou professionnels ou autres, si nous ne prenons pas régulièrement le temps de nous asseoir, pour calculer avec sagesse ce qu’il va falloir lâcher, ce qui nous mobilise vraiment, les conséquences à anticiper etc. ?
Le devoir de s’asseoir des équipes Notre-Dame les invite à prendre une soirée par mois, une semaine par an pour se retrouver à deux devant Dieu. C’est le même devoir de s’asseoir qui en Lc 14 presse chacun de nous de fonder notre désir d’agir.
Prenez ce temps de sage réflexion, même au travail, pour voir où vous avez envie d’aller et comment y aller jusqu’au bout : vous n’aurez pas perdu la soirée, l’heure, la plage de solitude que vous aurez su vous réserver.
S’asseoir, calculer, aller jusqu’au bout…
1ère lecture : C’est Dieu qui donne la vraie sagesse (Sg 9, 13-18)
Lecture du livre de la Sagesse
Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?
Les réflexions des mortels sont mesquines, et nos pensées, chancelantes ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées.
Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à portée de la main ; qui donc a découvert ce qui est dans les cieux ?
Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit saint ?
C’est ainsi que les chemins des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.
Psaume : Ps 89, 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc
R/ D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge.
Tu fais retourner l’homme à la poussière ;
tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! »
À tes yeux, mille ans sont comme hier,
c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.
Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ;
dès le matin, c’est une herbe changeante :
elle fleurit le matin, elle change ;
le soir, elle est fanée, desséchée.
Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos coeurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.
Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.
2ème lecture : Ton esclave est devenu ton frère (Phm 1, 9b-10.12-17)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre à Philémon
Fils bien-aimé,
moi, Paul, qui suis un vieil homme, moi qui suis aujourd’hui en prison à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, dans ma prison, j’ai donné la vie du Christ.
Je te le renvoie, lui qui est une part de moi-même.
Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile.
Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses librement ce qui est bien, sans y être plus ou moins forcé.
S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, bien mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, il le sera plus encore pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur.
Donc, si tu penses être en communion avec moi, accueille-le comme si c’était moi.
Evangile : La vraie sagesse, c’est de renoncer à tout pour le Christ (Lc 14, 25-33)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Répands sur nous, Seigneur, la lumière de ton visage, apprends-nous tes volontés. Alléluia. (cf. Ps 118, 135)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et s?urs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple.
Quel est celui d’entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
Car, s’il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui : ‘Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever !’
Et quel est le roi qui part en guerre contre un autre roi, et qui ne commence pas par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui vient l’attaquer avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander la paix.
De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »
Patrick Braud