Dès le sein de ta mère…
Homélie pour le 12° dimanche du temps ordinaire, fête de la Nativité de St Jean Baptiste / Année B
24/06/2018
Cf. également :
Personne dans la famille ne porte ce nom-là
Faites votre métier… autrement
Un présent caché
Révéler le mystère de l’autre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Le Verbe et la voix
Res et sacramentum
Éloge de la déontologie
Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Dès le sein de ta mère…
L’Irlande vient de voter par référendum ce 26 mai 2018 à plus de 66 % la légalisation de l’avortement. Bien sûr, cette décision historique est saluée en France et dans de nombreux pays occidentaux comme un progrès social. Et nos commentateurs sont persuadés qu’il y a là comme une loi de l’histoire, inexorable : plus les pays sont développés, plus ils pratiquent l’IVG ; plus ils sont démocratiques, plus ils autorisent, remboursent et banalisent l’acte d’avorter.
Soyons clairs : même si l’Église catholique se désole de ce résultat, elle doit absolument l’accepter. Car qui a le droit d’imposer sa morale aux autres ? De plus, elle devrait avec humilité mesurer le fossé qui s’est creusé entre la morale individuelle contemporaine et ses propres points de repères en la matière. C’est de sa responsabilité en grande partie : perte de confiance à cause des scandales multiples, règles morales trop rigides et mal argumentées, position d’autorité – des évêques notamment – qui frise à l’autoritarisme sur ces sujets familiaux etc.
Reste que la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste en ce dimanche nous met sous les yeux des textes impossibles à édulcorer (Is 49, 1-6) :
« J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. […] Le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur… »
Pour le prophète Isaïe, il n’y a pas de discontinuité entre l’être humain qu’il est aujourd’hui et celui qu’il était dans le sein de sa mère !
Cette intuition spirituelle se voit aujourd’hui confirmée par la science : il n’y a aucune discontinuité biologique entre l’œuf fécondé, l’embryon, le fœtus et finalement l’enfant nouveau-né. La nature a programmé ce cycle pour qu’un enfant apparaisse sans qu’on puisse isoler l’instant où des cellules deviendraient soudain humaines alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant. 12 semaines, 14 semaines, un cœur qui bat ou un cerveau qui devient visible : qui peut dire le seuil où avant il y avait une chose et ou après il y aurait un être humain ? Aux yeux de Dieu, tel que la Bible nous le transmet, celui/celle qui est dans le ventre maternel n’est pas un sujet différent de l’homme mûr. Notre psaume 138 de ce jour le dit très simplement :
Dieu, c’est toi qui as créé mes reins,
qui m’as tissé dans le sein de ma mère. […]
Mes os n’étaient pas cachés pour toi
quand j’étais façonné dans le secret.
Plus tard, l’Incarnation du Verbe en Marie sera saluée par Gabriel et la tradition unanime comme le Messie rempli de l’Esprit saint dès sa conception en Marie.
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit » (Mt 1,20).
La Visitation marquera un moment privilégié où la relation mère enfant à naître est bouleversante de communion : « l’enfant a tressailli d’allégresse au dedans de moi » (Lc 2,44) dira Élisabeth en parlant de Jean-Baptiste. La rencontre des deux cousines Marie et Élisabeth manifeste un lien entre ceux qu’elles portent en elles, Jésus et Jean-Baptiste. D’ailleurs, Jésus, Marie et Jean-Baptiste sont les trois seuls personnages du calendrier chrétien dont on fête la naissance. Pour les autres saints, on fête leur mort (leur naissance à la vie éternelle). La naissance et la vie avant la naissance de ces trois-là est donc particulièrement importante.
La liste des autres textes bibliques appelant au respect de la vie dès le ventre maternel est bien connue :
« Avant de t’avoir formé dans le sein de ta mère, je t’ai choisi ; et avant ta naissance, je t’ai consacré : je t’ai destiné à être prophète pour les peuples ». (Jérémie 1,5)
« Si des hommes, en se battant, heurtent une femme enceinte et causent un accouchement prématuré, mais sans qu’il y ait d’autre conséquence grave, l’auteur de l’accident devra payer une indemnité dont le montant sera fixé par le mari de la femme et approuvé par arbitrage. Mais s’il s’ensuit un dommage, tu feras payer vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, contusion pour contusion ». (Ex 21, 22-25)
« Dès qu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. » (Luc 1,41).
« Comme tu ne sais pas quel est le chemin du vent, ni comment se forment les os dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait tout. » (Ecclésiaste 11,5).
« Celui qui m’a créé dans le ventre de ma mère ne l’a-t-il pas créé ? Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel ? » (Job 31,15).
« Tes mains m’ont formé, elles m’ont créé, Elles m’ont fait tout entier… Et tu me détruirais! Souviens-toi que tu m’as façonné comme de l’argile; Voudrais-tu de nouveau me réduire en poussière? Ne m’as-tu pas coulé comme du lait? Ne m’as-tu pas caillé comme du fromage ? » (Job 10, 8-12)
« Oui, tu m’as fait sortir du sein maternel, Tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère; Dès le sein maternel j’ai été sous ta garde, Dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu ». (Psaume 22, 9-10 )
Il y a encore plusieurs textes soulignant la continuité d’une vie personnelle avant et après la naissance: Genèse 25, 22-23 (même rivalité avant et après la naissance); Luc 1,15.41.44 (même ministère de Jean-Baptiste); Ps 139.13-16; Jérémie 1.5; 20.17-18; Job 10.18-19 etc.
Il y a consensus entre croyants (juifs, musulmans, chrétiens) pour respecter la vie dès le sein maternel autant que possible [1], et également pour ne jamais mettre en danger la vie de la mère en cas de grossesse difficile. Il y a débat sur les cas de viol, inceste ou grave malformation physique ou mentale. Mais l’immense majorité des IVG ne concerne pas ces situations douloureuses. Le fait que les croyants soient minoritaires en Europe occidentale et aux USA sur cette question reflète leur position minoritaire dans ces sociétés, et c’est finalement fort logique. C’est peut-être également parce que beaucoup de ceux qui se disent croyants ne suivent plus là-dessus leur Église, leurs rabbins, leurs imams. Ainsi en Irlande, 80 % de la population se déclarent catholique, avec une pratique de 40 % en moyenne. Ce n’est donc pas à cause d’une situation minoritaire que l’Église catholique n’a pas été suivie en Irlande lors du référendum sur l’avortement. C’est parce qu’un divorce a éloigné le peuple des clercs, suite aux multiples scandales qui ont ruiné leur crédibilité, suite à des prises de position trop autoritaires et mal fondées.
En France ou ailleurs, être minoritaire demande d’accepter de l’être. On peut être en désaccord avec la pensée ambiante sur l’IVG sans chercher pour autant à imposer son point de vue à quiconque. Il suffit que chacun soit cohérent avec sa conscience pour lui-même. Le sort des enfants non-nés peut certes être un angle mort sociétal qui un jour sera donc dénoncé comme tel par tous. Et pour ceux qui croient que la vie intra-utérine possède tout de la dignité humaine, le fait qu’une grossesse sur cinq n’arrive pas à terme est un grand malheur, la généralisation de l’IVG résonne comme un signal social très grave.
En attendant, la liberté de choix permet aux croyants comme aux non-croyants d’être respectés dans leurs convictions, pour peu que l’objection de conscience et le débat sur le fond continuent à exister. Difficile donc de se réjouir du résultat de ce référendum irlandais ; difficile également de ne pas l’accepter démocratiquement.
Mieux vaudrait pour les catholiques notamment revoir leur discours sur la contraception en particulier et la sexualité en général. Mieux vaudrait réformer l’Église de l’intérieur pour qu’elle soit plus proche des pauvres et les petits.
Nous connaissons tous des personnes touchées de près ou de loin par un avortement, peut-être nous-mêmes directement. L’accueil inconditionnel et la miséricorde sans jugement doivent toujours être notre premier réflexe. Cela n’empêche pas de continuer à réfléchir, débattre, argumenter. La Bible, le Talmud ou le Coran fournissent pour les croyants des points de repère clairs et exigeants. Les discussions scientifiques et philosophiques doivent permettre d’élargir ce débat à tous les hommes de bonne volonté. L’humanité a pu pendant des siècles pratiquer l’esclavage sans mauvaise conscience et se désintéresser de la souffrance animale. Il y a toujours un temps où les yeux s’ouvrent et où les comportements changent…
[1]. Cf. par exemple pour l’Église catholique le n° 2271 de son catéchisme : « Depuis le premier siècle, l’Église a affirmé la malice morale de tout avortement provoqué. Cet enseignement n’a pas changé. Il demeure invariable. L’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme une fin ou comme un moyen, est gravement contraire à la loi morale : ‘Tu ne tueras pas l’embryon par l’avortement et tu ne feras pas périr le nouveau-né’ (Didaché 2,2 cf. Barnabé, ep. 19,5 Épître à Diognète 5,5 Tertullien, apol. 9). Dieu, maître de la vie, a confié aux hommes le noble ministère de la vie, et l’homme doit s’en acquitter d’une manière digne de lui. La vie doit donc être sauvegardée avec soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables ( GS 51 ). »
Messe du jour
Première lecture
« Je fais de toi la lumière des nations » (Is 49, 1-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Écoutez-moi, îles lointaines ! Peuples éloignés, soyez attentifs ! J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois. Il m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Et moi, je disais : « Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. » Et pourtant, mon droit subsistait auprès du Seigneur, ma récompense, auprès de mon Dieu. Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
Psaume
(Ps 138 (139), 1-2.3b, 13-14ab, 14c-15ab)
R/ Je te rends grâce, ô mon Dieu, pour tant de merveilles. (cf. Ps 138, 14)
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m’assois, quand je me lève ;
de très loin, tu pénètres mes pensées,
tous mes chemins te sont familiers.
C’est toi qui as créé mes reins,
qui m’as tissé dans le sein de ma mère.
Je reconnais devant toi le prodige,
l’être étonnant que je suis.
Étonnantes sont tes œuvres,
toute mon âme le sait.
Mes os n’étaient pas cachés pour toi
quand j’étais façonné dans le secret.
Deuxième lecture
« Jean le Baptiste a préparé l’avènement de Jésus » (Ac 13, 22-26)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, Paul disait aux Juifs : « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus, dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement en proclamant avant lui un baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. Au moment d’achever sa course, Jean disait : “Ce que vous pensez que je suis, je ne le suis pas. Mais le voici qui vient après moi, et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds.” Vous, frères, les fils de la lignée d’Abraham et ceux parmi vous qui craignent Dieu, c’est à nous que la parole du salut a été envoyée. »
Évangile
« Son nom est Jean » (Lc 1, 57-66.80)
Alléluia. Alléluia. Toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut : tu marcheras devant, en présence du Seigneur, et tu prépareras ses chemins. Alléluia. (Lc 1, 76)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l’enfant. Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère prit la parole et déclara : « Non, il s’appellera Jean. » On lui dit : « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! » On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler. Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : « Jean est son nom. » Et tout le monde en fut étonné. À l’instant même, sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu. La crainte saisit alors tous les gens du voisinage et, dans toute la région montagneuse de Judée, on racontait tous ces événements. Tous ceux qui les apprenaient les conservaient dans leur cœur et disaient : « Que sera donc cet enfant ? » En effet, la main du Seigneur était avec lui.
L’enfant grandissait et son esprit se fortifiait. Il alla vivre au désert jusqu’au jour où il se fit connaître à Israël.
Patrick BRAUD
Mots-clés :
avortement,
Baptiste,
Irlande,
IVG,
Jean Baptiste,
morale