L'homélie du dimanche (prochain)

12 mars 2023

Les faits sont têtus !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les faits sont têtus !

Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année A
19/03/2023

Cf. également :

Rousseur et cécité : la divine embauche !
Témoin, à la barre !
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?
La barre de fraction de la foi
Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge
La violence a besoin du mensonge

Faites tourner la danseuse…
Les faits sont têtus ! dans Communauté spirituelle danseuse-deux-sensRegardez bien cette image. Voyez la danseuse tourner.
Oui, mais dans quel sens ? Fixez-la un certain temps et vous serez surpris de la voir tourner en sens inverse, alors qu’évidemment l’image n’a pas changé d’un iota ! Le plus étrange, c’est qu’à aucun moment nous n’avons conscience de la moindre ambiguïté : on est sûr de la voir tourner comme ceci ou comme cela. L’ambiguïté n’apparaît qu’après coup, quand on se rend compte que notre point de vue a changé alors que le film est toujours le même. Cette perception, que l’on appelle perception bistable oscille entre deux interprétations possibles.
Comme quoi notre cerveau nous joue des tours, il ne voit que ce qu’il veut bien voir…
Ces illusions d’optique sont connues et exploitées depuis longtemps. Il faut croire malheureusement que l’aveugle-né de notre évangile (Jn 9,1-41) est un peu une danseuse aux yeux des pharisiens : ils veulent qu’il tourne dans un sens, et ne comprennent pas pourquoi lui dit tourner en sens inverse !

Niels Bohr vs Albert Einstein

Niels Bohr vs Albert Einstein

Les faits sont têtus
C’est le propre des idéologues que de tordre la réalité jusqu’à ce qu’elle corresponde plus ou moins à leur conception théorique.
En science, ce genre d’aveuglement a empêché de grands savants d’accepter des théories nouvelles pourtant plus performantes. Bien sûr on se souvient de l’Église romaine, si imbue de son interprétation (littérale) de la Bible qu’elle ne pouvait accepter la réalité d’une Terre tournant autour du soleil et non l’inverse.
Même le grand Einstein est tombé par deux fois dans ce piège. Quand il a voulu sauver la fixité de l’univers à laquelle il croyait dur comme fer, a priori, il a rajouté une « constante cosmologique » dans ses équations de l’univers pour que la réalité s’ajuste à son schéma préconçu. Et quand il a voulu prouver que « Dieu ne joue pas aux dés » dans sa célèbre controverse avec Niels Bohr. Il a perdu, car le hasard est bel et bien à l’œuvre dans l’infiniment petit. Et ce fut un échec cuisant, très difficile à accepter pour Einstein car cela heurtait toutes ses idées sur le réel. Si même Einstein a voulu tordre la réalité pour qu’elle colle à ses représentations, n’espérons pas éviter cette tentation, ce piège de l’intelligence et du cœur.
Comme quoi un schéma préconçu peut empêcher de constater l’évidence physique ! Rassurez-vous, il paraît qu’il y encore 9 % de ‘platistes’ en France, c’est-à-dire de gens qui croient que la Terre est plate ! 

Pendant le Covid, nous avons eu droit aux théories délirantes des antivax et autres complotistes refusant de constater la réalité et bricolant de faux arguments pour contredire les faits. Pendant la guerre en Ukraine, nous avons droit aux contrevérités ahurissantes doctement énoncées par Poutine et ses sbires, mentant ‘les yeux dans les yeux’ à la caméra comme autrefois Mitterrand devant Chirac dans un débat télévisé célèbre… Il faut dire que côté russe, le déni de la réalité est une tradition de plus de 70 ans, et ça laisse des traces. Le sultan d’une époque ancienne aurait dit à propos de l’ambassadeur de Russie, le comte Ignatov : « Cet homme est tellement menteur que même le contraire de ce qu’il dit n’est pas toujours vrai ». TRUTH___PRAVDA_by_asyenka-257x300 aveugle dans Communauté spirituelleUne vieille blague soviétique circulait au sujet de la Pravda (« Vérité ») et Izvestia (« Les informations »), les deux grands journaux de l’URSS : « Il n’y a aucune vérité dans Les informations, et pas la moindre information dans La Vérité ».

On attribue à Lénine la phrase apparemment solide : « les faits sont têtus ». Il l’emploie pour la première fois dans une « lettre aux camarades » de 1917, à propos du soulèvement paysan en Russie :
« Le fait capital dans la vie actuelle de la Russie, c’est le soulèvement paysan. Voilà comment s’effectue en réalité le passage du peuple aux côtés des bolcheviks ; la démonstration est faite non point en paroles, mais en actes. […] Ainsi, les faits confirment la justesse de la ligne du bolchévisme et ses progrès. […] C’est un fait. Les faits sont têtus ». En réalité, il va choisir dans les évènements ceux qui confortent sa thèse…
Il réemploie l’expression pour opposer les matelots de Petrograd, qui se révoltaient, à leurs amiraux en fuite : « Ce sont les héroïques matelots qui combattent, mais cela n’a pas empêché deux amiraux de prendre la fuite avant la prise de l’île d’Œsel !! C’est un fait. Les faits sont têtus. Les faits prouvent que des amiraux sont capables de trahir tout comme Kornilov. Le commandement est partisan de Kornilov, c’est un fait incontestable ».
On apprend quand même au détour d’une autre lettre de 1918 que Lénine reconnaît avoir emprunté le dicton à la sagesse anglaise…
On sait surtout que ce même Lénine, que l’on présente quelquefois comme un ‘doux’ que Staline aurait trahi, était partisan du mensonge, et même de la terreur, pour faire aboutir la cause bolchevique :
« Si pour l’œuvre du communisme il nous fallait exterminer les neuf dixièmes de la population, nous ne devrions pas reculer devant ces sacrifices », écrit-il froidement. Il  ajoute : « Le mensonge n’est pas seulement un moyen qu’il est permis d’employer, c’est le moyen le plus éprouvé de la lutte bolchévique ». Parfois le masque se lève.
C’est lui qui écrivit au Commissaire du peuple Koursky en 1921 : « Camarade Koursky, d’après moi il faut étendre l’application de la fusillade… Pour compléter notre conversation je vous envoie une esquisse d’un paragraphe supplémentaire du Code pénal….La pensée de base, j’espère, est claire, malgré tous les défauts du brouillon : il faut exposer ouvertement une position véridique du point de vue des principes et de la politique (et non pas étroitement juridique), de façon à motiver l’essence et la justification de la terreur, sa nécessité, ses limites. La Justice ne doit pas supprimer la terreur (promettre cela serait tromper ou se tromper) mais la fonder et la légitimer en principe, clairement, sans faux-fuyants ni ornements ».

citation4-1 cécité

Le mensonge totalitaire comme moyen de gouvernement impose par le contrôle des communications et par la terreur répressive une vérité obligatoire, conduisant au double langage et à la construction d’une « surréalité » sans rapport avec le réel.
Tordre la réalité est légitime aux yeux de Lénine si c’est pour faire réussir la lutte ! Malheureusement, le mensonge et la terreur vont de pair comme l’avait si bien diagnostiqué Soljenitsyne : le communisme est le règne du mensonge, et il est terrifiant. Le pouvoir russe actuel est le digne héritier de ces pratiques soviétiques.
Vous me direz : les mensonges des Américains pour envahir l’Irak n’étaient pas plus vrais ! Et vous aurez raison. Et il faut y ajouter pêle-mêle les affolantes ‘post-vérités’ de Donald Trump, l’obstination déraisonnable des climatosceptiques, le déni du génocide arménien par les Turcs, des Vendéens par la République française, des Ouïghours par les Chinois, le refus de la différence sexuée en Occident, le négationnisme contestant la réalité de la Shoah ou de l’Holodomor, le déni de la réalité de l’IVG etc.
Arrêtons là, car la liste est épouvantable.
 

Il n’y a pas pire aveugle…
Jésus et les PharisiensDécidément, l’aveuglement des pharisiens est de toutes les époques et de toutes les cultures, hélas !
Le pauvre aveugle de naissance a beau leur fournir son dossier médical, la preuve de son opération par Jésus, et son état actuel de voyant, les pharisiens n’en démordent pas : Jésus n’est qu’un pécheur, donc il ne peut pas guérir, encore moins un jour de shabbat, donc soit l’aveugle n’est pas vraiment guéri, soit il n’était pas vraiment aveugle.
Croit-on ce que l’on voit ou voit-on ce que l’on croit ?
Nier la réalité ne change pas la réalité mais la perception que nous en avons.
Un peu comme la danseuse qui tourne dans un sens ou dans un autre selon ce que le cerveau a décidé de voir, les témoins de la scène de l’aveugle-né tournent comme des girouettes au vent de leurs croyances.
« N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble ».
Et lui est obligé de réaffirmer l’évidence : « c’est bien moi ».
Pour être juste avec les pharisiens, il faut noter qu’ils sont divisés eux aussi. Certains croient une réalité, d’autres une autre :
« Certains pharisiens disaient : « Celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat ». D’autres répliquaient : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés ».
Les parents de l’aveugle restent prudents : ils se contentent de constater les faits, mais refusent de les interpréter, par peur des juifs.
« Nous savons que c’est bien notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir à présent, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer ».
Pour la seconde fois, les pharisiens veulent tordre la réalité des faits jusqu’à ce qu’ils correspondent à leur vision a priori :
« Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur ».
Et à nouveau le pauvre homme les ramène à la réalité des faits, que lui ne peut nier car il en est le centre :
« Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien ; mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et maintenant je vois ».
Décidément, il y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !
 

Ceux qui voient deviennent aveugles
D’où le constat amer que fait Jésus à la fin : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles ».
La remise en question (en grec κρίμα = krima= jugement) apportée par Jésus nous concerne chacun et tous.
C’est bien rare si à l’échelle d’une vie vous n’aurez pas de radicales questions à vous poser, de radicales remises en cause à opérer, dans un domaine ou un autre.
 LénineD’anciens marxistes disciples de Che Guevara comme Régis Debray ont ouvert les yeux sur la folie de leur engagement de jeunesse. Des traders de Lehman Brothers n’ont échappé au suicide que par une reconversion totale. Des salariés démissionnent d’un bullshit job après que les confinements successifs leur aient fait voir l’inanité ou la dangerosité de leur emploi. Bienheureuse crise qui nous lave le regard…. !

Une vraie crise personnelle relève du traitement de Siloé : de la boue pour se rappeler l’humus de notre condition humaine, s’en frotter les yeux pour qu’une nouvelle Création débute comme à la Genèse, une marche vers Siloé pour apprendre à être autonome, un plongeon dans la piscine pour se laver de ce qui nous empêchait de voir, un retour parmi les nôtres pour témoigner de la réalité de l’action du Christ en nous…

Bienheureuse crise qui verra s’effondrer nos certitudes idéologiques aveuglantes !
Bienheureuse boue qui nous obligera à nettoyer en profondeur notre manière de voir les choses et les êtres !
Quand cette crise, quand ce jugement arrive, réjouissons-nous, laissons-nous faire !
Et surtout ne laissons pas les autres raconter à notre place ce qui nous est arrivé…

 

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : Dieu choisit David comme roi de son peuple (1S 16, 1b.6-7.10-13a)

Lecture du premier livre de Samuel
Le Seigneur dit à Samuel : « J’ai rejeté Saül. Il ne règnera plus sur Isaraël. Je t’envoie chez Jessé de Bethléem, car j’ai découvert un roi parmi ses fils. Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars ! »
En arrivant, Samuel aperçut Éliab, un des fils de Jessé, et il se dit : « Sûrement, c’est celui que le Seigneur a en vue pour lui donner l’onction ! »
Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »
Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là. N’as-tu pas d’autres garçons ? »
Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. »
Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu’il ne sera pas arrivé. »
Jessé l’envoya chercher : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.
Le Seigneur dit alors : « C’est lui ! donne-lui l’onction. »
Samuel prit la corne pleine d’huile, et lui donna l’onction au milieu de ses frères. L’esprit du Seigneur s’empara de David à partir de ce jour-là.

Psaume : Ps 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer. 

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ; 
il me conduit par le juste chemin 
pour l’honneur de son nom. 

Si je traverse les ravins de la mort, 
je ne crains aucun mal, 
car tu es avec moi : 
ton bâton me guide et me rassure. 

Tu prépares la table pour moi 
devant mes ennemis ; 
tu répands le parfum sur ma tête, 
ma coupe est débordante. 

Grâce et bonheur m’accompagnent 
tous les jours de ma vie ; 
j’habiterai la maison du Seigneur 
pour la durée de mes jours.

2ème lecture : Vivre dans la lumière (Ep 5, 8-14)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtres aux Éphésiens
Frères,
autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ; vivez comme des fils de la lumière ? or la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité ? et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur.
Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt.
Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte d’en parler.
Mais quand ces choses-là sont démasquées, leur réalité apparaît grâce à la lumière, et tout ce qui apparaît ainsi devient lumière. C’est pourquoi l’on chante :
Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

Évangile : L’aveugle-né (Jn 9, 1-41 [Lecture brève : 9, 1.6-9.13-17.34-38])
Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. Lumière du monde, Jésus Christ, celui qui marche à ta suite aura la lumière de la vie.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (cf. Jn 8, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? »Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais l’action de Dieu devait se manifester en lui. Il nous faut réaliser l’action de celui qui m’a envoyé, pendant qu’il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »

Cela dit, il cracha sur le sol et, avec la salive, il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle, et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (ce nom signifie : Envoyé). L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui étaient habitués à le rencontrer ? car il était mendiant ? dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui affirmait : « C’est bien moi. »
Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il m’en a frotté les yeux et il m’a dit : ‘Va te laver à la piscine de Siloé.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »
On amène aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandèrent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et maintenant je vois. »
Certains pharisiens disaient : « Celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres répliquaient : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés.

Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »
Les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme, qui maintenant voyait, avait été aveugle. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents
et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’il voie maintenant ? »
Les parents répondirent : « Nous savons que c’est bien notre fils, et qu’il est né aveugle.
Mais comment peut-il voir à présent, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, les Juifs s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien ; mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et maintenant je vois. »
Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé ; quant à celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Comme chacun sait, Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire qu’un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

Jésus apprit qu’ils l’avaient expulsé. Alors il vint le trouver et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! », et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Des pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’ votre péché demeure. »
Patrick Braud

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20 février 2022

La parabole des aveugles selon Bruegel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La parabole des aveugles selon Bruegel

Homélie du 8° Dimanche du temps ordinaire / Année C
27/02/2022

Cf. également :

La paille et la poutre

Deux versions

Dans notre Évangile de ce dimanche (Lc 6, 39-45), Luc rapporte une parabole devenue célèbre : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? »
Le contexte suggère que Jésus parle des maîtres (didascales en grec = enseignant réputé et confirmé) que les premiers chrétiens devraient choisir pour intégrer l’Église naissante. Matthieu utilise la même parabole dans un autre contexte, celui du conflit grandissant avec les pharisiens du temps de Jésus : « les disciples s’approchèrent et lui dirent : ‘sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ?’ Il répondit : ‘(…) Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou’ » (Mt 15, 10 14).
On voit que chaque époque fait passer l’actualité de son siècle au tamis de cette parabole ! Une fois n’est pas coutume, intéressons-nous à l’interprétation du génial peintre flamand Bruegel l’Ancien, au XVI° siècle, en Hollande.

 

Une toile de maître

Bruegel l’Ancien (1525-1569) a peint cette parabole sans doute vers 1568, sur une commande d’un Italien, le comte Masi, ce qui fait que cette toile est conservée au musée de Naples. On ne sait pas comment la peinture est arrivée en Italie, même si on sait que Cosimo Masi est revenu des Pays-Bas en 1595 avec un grand nombre de peintures hollandaises.

La parabole des aveugles selon Bruegel

À première vue, on se dit que c’est une illustration graphiquement très élaborée de la mésaventure inventée par Jésus. Il y a comme une décomposition du mouvement de la chute d’aveugles, qui fait penser au carnet de dessins qu’on feuillette à toute vitesse pour donner l’illusion du mouvement, un peu l’ancêtre du dessin animé ! Le premier aveugle à gauche est stable, mais au fur et à mesure les regards se perdent dans le vide, les pieds hésitent puis trébuchent, les corps se penchent en avant jusqu’à basculer les 4 fers en l’air dans le fossé pour le dernier aveugle. Quelle gamelle collective ! Presque réjouissante… si elle ne mettait des aveugles en scène. On dirait un carambolage sur l’autoroute le premier week-end des vacances d’été… Les espaces entre les aveugles se réduisent, les bâtons s’affolent, l’ensemble crée l’illusion du mouvement en accéléré.
Les paires d’yeux crevés sont clairement identifiées : énucléation, leucome, atrophie des globes oculaires, glaucome mal soigné… Des mirettes aux petits oignons, soignées par Bruegel et son réalisme hyper-documenté. La tradition folklorique de l’époque est friande des physiques « baroques » : fous, aveugles, boiteux, nains ou édentés (cf. Jérôme Bosch avant Bruegel) …

On pourrait s’arrêter là et admirer la technique de Bruegel pour rendre cette dynamique de « chute en aveugle » aussi vivante et réaliste.

 

Lectures politico-religieuses

Pourtant, un premier détail intrigue l’admirateur et le met sur d’autres pistes : il n’y a pas 2 aveugles comme dans le texte mais 6 sur le tableau ! C’est donc que la parabole est retravaillée pour dire autre chose que la première lecture évidente. Et là, l’œil du spectateur avisé va repérer des détails moins en vue : les maisons du village à gauche, l’église dans le fond au milieu (identifiée comme l’église de Sint-Anna, aujourd’hui Dilbeek), l’arbre sans feuilles devant l’église, le minuscule château fort à l’horizon au loin sur la droite. Visiblement, ces détails ne sont pas là pour faire joli, mais pour faire sens ! [1]

La parabole des aveugles selon Bruegel Analyse

Les 2 axes (traits oranges) qui traversent le tableau de gauche à droite tracent un chemin divergeant : les aveugles s’éloignent du village et de l’église. On peut penser que la cécité dénoncée par Bruegel est le lot des dissidents qui quittent leur communauté villageoise et leur église pour s’aventurer ailleurs. Lorsque Bruegel peint, les Pays-Bas sont déchirés par la guerre entre catholiques et protestants. En 1568, l’année du tableau, le duc d’Albe, vice-roi des Pays-Bas espagnols nommé par le roi Philippe II d’Espagne et fort de 60 000 soldats, fait juger et décapiter à Bruxelles deux chefs des « gueux » protestants, les comtes d’Egmont et de Hoorn, en réplique à des agressions contre des lieux catholiques. La guerre de 80 ans qui s’ensuivit (1568-1648) fera des milliers de morts, et se terminera par l’indépendance des Provinces-Unies, ancêtre de nos Pays-Bas actuels. La domination espagnole aux Pays-Bas s’exerçait avec une grande violence. Les actes iconoclastes perpétrés par les protestants (comme le saccage des églises d’Anvers, où exerçait Bruegel, en 1566), donnaient lieu à de sanglantes représailles.
Période incertaine et dangereuse, où personne n’était certain de son voisin.

Comme c’est un prince catholique qui a commandé le tableau, il sera satisfait d’y lire une dénonciation de l’aveuglement des protestants-pharisiens se coupant de leur communauté d’origine et de leur Église pour suivre Luther et finir avec lui dans le fossé de l’hérésie ! Voilà comment Bruegel assure astucieusement sa sécurité en permettant au prince catholique de se voir conforté dans ses choix par la contemplation de son tableau ! Ce sentiment sera renforcé si on remarque que la verticale passant par l’église (trait blanc) sépare le groupe des aveugles en 2 : les 4 premiers, encore debout même s’ils se bousculent de plus en plus, et les 2 derniers déjà déstabilisés ou les 4 fers en l’air ! L’avertissement semble clair : dès que vous dépassez la ligne-Église, vous allez chuter dans le fossé ! Avant, la rédemption est encore possible ; après, non ! Ouvrez les yeux avant qu’il ne soit trop tard et refusez de suivre les luthériens dans leur aveuglement !

Les protestants aveuglés par Luther, devenus schismatiques, s’égarent et se perdent en le suivant aveuglément sur le chemin de la perdition
Est-ce la seule lecture possible ?

Bruegel aveugles ChapeletL’œil d’un spectateur malicieux va dénicher d’autres indices pour aller plus loin. En effet, ces aveugles semblent fort bien vêtus pour des soi-disant mendiants : ils ont de belles tuniques, des guêtres propres et élégantes, des chaussures de bourgeois, et même des gourdes et sacoches bien pleines, avec des chapelets (très catholiques) par-dessus le marché ! Ils font plus penser à des bourgeois catholiques et à leurs princes qu’à de pauvres paysans suivant la Réforme… Et regardez bien l’Église : juste devant elle, un arbre desséché, alors qu’autour la nature est luxuriante. Comme si Bruegel chargeait cet arbre de dire : ‘l’Église catholique est bien malade. Elle ne porte plus de fruits. Elle est devenue stérile comme les pharisiens du temps de Matthieu’. Le psaume 91 (92) d’aujourd’hui ne chantait-il pas : « Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban ; planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu. Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur ». Notre arbre est l’antitype de celui du psaume.

À la verticale de cet arbre desséché et de l’église se trouve d’ailleurs la main du 4e aveugle, qui commence juste à trébucher, et les deux aveugles à droite sont déjà dans la chute. L’avertissement pourrait alors être le suivant : ceux qui continuent à suivre le chemin de cette Église desséchée vont tomber avec elle dans le fossé de la perdition. Cette impression est accentuée par la pente inclinée vers le bas que tracent les toits des bâtiments paroissiaux (trait rouge) : l’Église de Rome décline et chute comme Babylone autrefois vers sa perte. Dans sa cécité spirituelle, elle entraîne dans sa chute les fidèles qui continuent à obéir au pape, désigné par Luther comme « aveugle chef des aveugles » [2]. En outre, le bâton du 3° aveugle désigne clairement le clocher de l’église (trait blanc), ce qui ne laisse guère de doute sur la cécité spirituelle de celle-ci…

La même culbute des 2 aveugles de droite (ceux de la parabole en fait) peut être lue dans un sens comme la perte des protestants et dans l’autre sens comme la perdition des fidèles catholiques abusés par le pouvoir clérical (symbolisé par l’église à l’arbre desséché et aux toits en pente déclinante).
Avec malice, Bruegel poursuit d’ailleurs cette suggestion grâce au minuscule château-fort sur l’horizon en haut à droite : il représente sans doute le pouvoir espagnol, dictateur et tyrannique, qui sera bientôt obligé de quitter les Pays-Bas étranglés par cette occupation. La forteresse est si loin qu’on la croirait déjà rentrée chez elle… À la verticale de ce château-fort (dont la petitesse de la taille déjà est ironique), on trouve le 6e aveugle culbuté dans le fossé, les 4 fers en l’air (trait bleu). Voilà ce qui attend le pouvoir espagnol, puissance d’occupation étrangère ! N’oublions pas que Napoléon sera l’envahisseur suivant, opprimant ces provinces au nom de la Révolution française… À bon entendeur salut !

On a ainsi au moins 4 interprétations de la parabole de Jésus :
1. Bien choisir ses maîtres spirituels (contexte évangélique de Matthieu contre les pharisiens, ou de Luc contre les hérétiques du premier siècle)
2. Condamner l’aveuglement de Luther et de ses partisans qui les mènent à la perdition
3. Dénoncer l’aveuglement des catholiques qui ne voient pas que leur Église est desséchée
4. Avertir les puissants et les politiques (château-fort) que leur oppression aura un terme et qu’ils devront quitter le pays. 

Pas mal pour une toile qui au départ pourrait passer pour une facétie de chutes en série à la Charlot !

 

Apprenez à penser par vous-même

1° aveugleUn mot sur le premier aveugle de gauche. Il est à l’intersection de la ligne d’horizon et de la ligne du bord du chemin (traits oranges). Il est également le point de départ des 2 parallèles constitués par les bâtons et les épaules à l’horizontale des 4 premiers aveugles (traits verts). De plus, il est le seul des 6 à être à encore vraiment stable, car il s’appuie sur son propre bâton de gauche tout en donnant celui de droite à son compagnon de devant qui le tient dans sa main droite. Peut-être un subtil indice ? S’appuyer sur son propre bâton à l’époque de Bruegel peut signifier apprendre à penser par soi-même au lieu d’obéir à d’autres penseurs, ce qui reviendrait finalement à suivre d’autres aveugles. Puisque les religions occasionnent tant de conflits, il vaudrait mieux réfléchir par soi-même au lieu de suivre aveuglement ces prophètes de malheur, de quelque bord qu’ils soient. Bruegel renverrait ainsi dos à dos les fanatiques des deux camps, annonçant le camp de la Raison qui veut penser par elle-même.

Ce premier aveugle fait encore partie du village : il est devant les chaumières, à leur porte, pas encore vraiment parti. On aurait ainsi une 5° interprétation de la parabole par Bruegel, très moderne en ce qu’elle annonce en filigrane Spinoza d’Amsterdam (1632–1677) et son déisme rationnel :
5. Apprenez à penser par vous-même, même et surtout en matière religieuse, au lieu de suivre aveuglément les autorités du moment, qu’elles soient catholiques ou protestantes, espagnoles ou autres. Les Lumières reprendront cette intuition de Bruegel pour la porter à son extrême en s’émancipant totalement des religions institutionnelles.

Jésus ne disait-il pas dans notre évangile : « une fois bien formé, chacun sera comme son maître » ? Le baptême nous libère de toute sujétion idéologique, et même de toute dépendance hiérarchique : « l’onction que vous avez reçue du Christ demeure en vous, et vous n’avez pas besoin d’enseignement. Cette onction vous enseigne toutes choses, elle qui est vérité et non pas mensonge » (1Jn 2,27). La Pentecôte ne réalise-t-elle pas la prophétie de Joël : « Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature » (Ac 2,17) ?
On voit que penser par soi-même, sous l’inspiration de l’Esprit, est plus fidèle à l’Évangile que le cléricalisme encore trop répandu…

 

L’opposition ville-campagne

La parabole des aveugles selon Bruegel dans Communauté spirituelle Die-Parabel-von-den-Blinden

La parabole des aveugles (Bruegel le Jeune)

Une copie de ce tableau de Bruegel (réalisée par un de ses fils) exposée au Louvre mentionne encore un détail qui n’est plus visible sur l’original : autour de l’église paissent des vaches, et un troupeau d’oies guidé par un paysan. Il y aurait donc une opposition entre la vie rurale agricole, saine et naturelle, et les plaisirs des cours princières figurées par l’instrument de musique du 6° aveugle et les riches vêtements de ces étranges fêtards. L’opposition campagne vs ville, paysans vs bourgeois ou seigneurs serait ainsi une 6° interprétation suggérée par Bruegel.
Remarquez d’ailleurs l’instrument de musique culbuté avec le 6° aveugle dans le fossé : symbole des plaisirs pratiqués dans le château-fort espagnol au-dessus et promis eux aussi à chuter lamentablement ? Le luxe, la vie facile des cours princières à l’abri des murailles seront bientôt renversés. L’univers simple du village paraît plus sûr que le faste des palais…
La puissance de contestation – voire de révolution – politique de cette parabole est étonnante !

 

Les harmoniques de la parabole

Les-aveugles-%C2%A9-visit.brussels-Jean-Paul-Remy-2-scaled aveugle dans Communauté spirituelleUne petite parabole de deux lignes à peine peut donc ouvrir une multitude de lectures, selon le contexte politique et religieux du lecteur ! Elle porte en germe la critique de toute autorité religieuse instituée. Elle redonne de la liberté là où on nous dit de suivre aveuglément. Toute traduction ecclésiale de l’Évangile sera vivement critiquée par ce même Évangile chaque fois qu’elle demande une obéissance aveugle. Cette parabole nourrit en quelque sorte la thèse de Marcel Gauchet, selon laquelle le christianisme de Jésus est « la religion de la sortie de la religion » [3]. Le vieux constat d’Isaïe n’en finit pas de retentir : « Ceux qui guidaient ce peuple l’ont fourvoyé, la piste de ceux qu’ils guidaient a été brouillée » (Is 9,15), réactualisé par Victor Hugo : « L’humanité marche comme un homme ivre »… Un théologien catholique parle de l’Évangile comme d’une « tradition d’un rapport critique à la tradition » [4] .

Bruegel traite du même thème dans une gravure de la suite des « Douze proverbes flamands », qui porte cette inscription : « Marchez toujours avec prudence, soyez fermes, ne vous fiez totalement à personne, sinon à Dieu. Parce que lorsqu’un aveugle conduit un autre aveugle, on les voit tomber tous deux dans la fosse ».

Outre les innombrables copies de ce tableau de Bruegel, amusez-vous à repérer les autres reprises de la parabole des aveugles dans l’art d’hier ou d’aujourd’hui. Par exemple parmi les fontaines de Bruxelles. Ou dans l’œuvre du dessinateur de bande dessinée F’Murr (album « Les aveugles », 2005). Ou encore dans les « Fleurs du mal » de Baudelaire (1821-1867) :

Les aveugles

Aveugle_by_Brick_art_brack BruegelContemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. 

Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?


Le spectateur interpellé

Pieter_Bruegel_the_Elder_-_The_Parable_of_the_Blind_Leading_the_Blind_%28detail%29_-_WGA3514 parabole

En écho à l’interrogation de Baudelaire, fixez le 5e aveugle qui bascule sur le 6e dans le fossé. Au moment de tomber, il semble nous jeter un regard désespéré et menaçant. Or ces orbites sont vides. Ce non-regard jeté dans le vide en notre direction nous interpelle : et toi, tu assistes à cet effondrement collectif sans réagir ?
Accusation glaçante qui prend tout son sens au milieu des violences faites au nom de Dieu…

Ces orbites vides nous questionnent : et toi, qui suis-tu aveuglément ?
Quand et comment vas-tu apprendre à penser par toi-même ?

 

 


[2]. Recommandations de Luther à la noblesse chrétienne de la nation allemande (La liberté du chrétien, 1520) :
« (…) Puisque ces bouffonneries ne sont pas abolies, il faut que tous les bons Chrétiens ouvrent leurs yeux, qu’ils ne se laissent pas induire en erreur par les bulles, les cachets et leur fausse dévotion, qu’ils restent chez eux dans leur église et se contentent parfaitement de leur baptême, de l’Évangile, de la foi, du Christ et de Dieu qui sont les mêmes en tous lieux, sans se soucier du pape, aveugle, chef des aveugles (…) ».

[3]. Marcel Gauchet, Le Désenchantement du Monde, 1985.

[4]. Henri-Jérôme Gagey, La nouvelle donne pastorale, Ed. de l’Atelier, 1999, p. 53 ss.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé » (Si 27, 4-7)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage
Quand on secoue le tamis, il reste les déchets ; de même, les petits côtés d’un homme apparaissent dans ses propos. Le four éprouve les vases du potier ; on juge l’homme en le faisant parler. C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger.

Psaume
(Ps 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)
R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce !
 (cf. Ps 91, 2)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits !

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

Deuxième lecture
« Dieu nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ » (1 Co 15, 54-58)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, au dernier jour, quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; ce qui donne force au péché, c’est la Loi. Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue.

Évangile
« Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (Lc 6, 39-45)
Alléluia. Alléluia. Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.
Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Patrick Braud

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15 mars 2020

Témoin, à la barre !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Témoin, à la barre !

Homélie du 4° dimanche de Carême / Année A
22/03/2020

Cf. également :

Rousseur et cécité : la divine embauche !
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?
La barre de fraction de la foi
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous
Le témoin venu d’ailleurs


Castle : Le témoin Rick Castle est appelé à la barre ! (8.10)Témoigner

Avez-vous déjà été convoqué comme témoin à la barre d’un tribunal ? La première fois, c’est impressionnant, et cela marque pour longtemps. Pour ma part, je me souviens d’avoir été appelé à témoigner en faveur d’une femme à qui la justice voulait enlever son enfant, avec déchéance de ses droits parentaux. J’ai rassemblé du mieux que je pouvais les événements, les souvenirs, les attitudes de cette mère démunie matériellement et intellectuellement qui se battait pourtant pour son enfant, à sa manière. On ne m’a pas laissé développer tout cela plus de quelques minutes, et j’étais triste et frustré de n’avoir pas pu tout dire, et mieux le dire. Mon témoignage a-t-il été utile ? Je n’en ai aucune idée, mais je devais à cette mère-courage de prendre position pour elle face à ses juges.

L’importance du témoignage est capitale dans notre évangile de l’aveugle-né. Les interrogatoires s’y succèdent en série, comme au tribunal. Les disciples interrogent Jésus sur le lien cécité-péché ; les voisins questionnent l’ex-aveugle, une fois, puis deux, avec des accusations qui vont crescendo, non sans interroger les parents également. Le dernier interrogatoire – salvateur celui-là – émane de Jésus qui sollicite la profession de foi de l’aveugle guéri.

Cette cascade d’interrogatoires, serrés et menaçants, s’enchaînent selon le schéma suivant, avec pour effet surprenant de faire jouer au non-témoignage des parents le rôle de pivot du récit :

Étape   Interro-     Interrogé     Question     Réponses
              gateurs          

 Aveugle-né

La question du comment ? est obsédante, lancinante dans le texte : le mot revient six fois et semble bloquer toute progression spirituelle des voisins et des pharisiens. Peut-être est-ce l’indice que se focaliser trop sur le comment empêche de voir le pourquoi ?!

Il se produit également un chassé-croisé, un renversement surprenant entre le début et la fin du texte, puisque les disciples demandent au début à Jésus : « est-ce lui le pécheur ? », alors que les pharisiens-disciples demandent à Jésus à la fin : « est-ce nous qui sommes aveugles ? » La culpabilité est renversée, de même que les causalités habituelles : ce n’est plus l’aveugle qui le mérite à cause de son péché, mais les pharisiens qui sont pécheurs à cause de leur refus de s’accepter aveugles !

 

Les différentes stratégies en présence

Reprenons le fil rouge du témoignage (quasi-judiciaire).

Certains voisins acceptent de témoigner publiquement en faveur de l’ex-aveugle en proclamant publiquement : « c’est lui ». D’autres ne veulent pas l’admettre, et contre toute évidence inventent une explication un peu bricolée : « c’est quelqu’un qui lui ressemble ». Pseudo-explication que l’on retrouve d’ailleurs dans la tradition musulmane, qui prétend que c’est un sosie de Jésus et non Jésus lui-même qui a été cloué sur la croix, sort trop infamant pour un prophète d’Allah. « C’est quelqu’un qui lui ressemble » qui a été crucifié à sa place, affirment-ils en cœur depuis des générations… [1]

La nécessité du témoignage qui s’impose divise donc les voisins : certains assument publiquement, d’autres se défaussent en inventant une version plus ou moins plausible. Ils cherchent à faire rentrer l’évènement de la guérison de l’aveugle dans un cadre qui soit acceptable pour la raison humaine. Ils veulent trouver une explication qui tienne la route : l’homme qui était aveugle n’est pas celui qui voit maintenant. Ce dernier n’a donc pas été guéri parce qu’il n’a jamais été aveugle. Dieu n’a rien à voir avec cette histoire.

De la même manière aujourd’hui, dans notre culture tellement marquée par la science, nous nous méfions – et nous n’avons pas tort – de toute lecture un peu magique ou surnaturelle des événements. Nous n’aimons pas – et nous avons raison – laisser intervenir Dieu trop rapidement dans nos histoires. Nous cherchons des explications à tout. Mais c’est au risque quelquefois de devenir des esprits étroits et matérialistes qui ne savent plus accueillir la part de mystère dans nos vies ni voir l’impact de Dieu dans l’existence d’un homme.

Nous sommes ces voisins : le devoir du témoignage au sujet de l’action du Christ nous divise. Certains osent, d’autres n’osent pas ; à tel moment ce courage nous est donné, et à tel autre non.

Refus de témoigner. Une jeunessePuis vient le non-témoignage des parents, peut-être le pire. En effet, quel père ou quelle  mère ne voudrait pas prendre parti pour son enfant afin de le tirer d’un mauvais piège tendu par des accusateurs assez fourbes pour déformer la réalité ? Eh bien, ceux-là ne veulent pas prendre de risques. Le risque, c’est celui d’être exclu de la synagogue, donc de la communauté (et du salut), comme le sont les disciples du Christ depuis la décision du grand Sanhedrin à Jamnia vers 70, comme le fils jeté « hors de la vigne » dans la parabole des vignerons  homicides, comme Jésus jeté « hors de la ville » pour être crucifié à l’extérieur de Jérusalem sur le mont Golgotha. Ils ont peur ces parents-là, pas pour leur fils mais pour eux-mêmes. On les comprend. Rares étaient ceux qui, soumis à l’interrogatoire des nazis,  refusaient de livrer un ami, un proche, un camarade. Ce faisant, les parents de l’ex-aveugle  le jettent symboliquement dehors, hors de leur famille : « il est assez grand pour s’expliquer tout seul. Nous ne voulons plus être mêlés à cette affaire ».

Nous sommes ces parents, tremblant de peur prendre des risques pour le Christ, n’osant  pas déposer publiquement en sa faveur. Le non-témoignage est presque pire que l’accusation, surtout de la part de proches. C’est la lâcheté ordinaire, discrète, apparemment insignifiante, qui participe pourtant de cette réaction en chaîne conduisant les innocents à être  injustement accusés, condamnés, « jetés dehors »…

Nous avons tant à perdre que détourner la tête des injustices est plus prudent. Nous tenons tant à notre tranquillité que témoigner pour le Christ nous paraît exagéré, presque fanatique, surtout en ces temps où les religions sont priées de se taire dans l’espace public. Mais c’est impossible ! « Si eux se taisent, les pierres crieront ! » a prévenu le Christ (Lc 19,40).

Témoigner à la barre du procès Jésus – qui est toujours en cours aujourd’hui – fait partie intégrante de notre vocation de baptisés.

 

Trois dimensions du témoignage

Trois aspects, trois conditions de notre témoignage en faveur du Christ méritent d’être détaillés :

1) – avoir quelque chose à raconter

2) – se risquer à prendre parti

3) – assumer les conséquences de son témoignage


1) Avoir quelque chose à raconter

M Truc, dites-nous pourquoi le Christ est vraiment lumière pour votre existence ?
Mme Machin, racontez-nous ce qui vous amène à croire que ce Jésus a traversé la mort ? …
Si M. Truc bredouille deux ou trois formules toutes faites du genre: « Dieu est lumière », on va lui répondre: « baratin, tout çà ».
Si Mme Machin bégaie que c’est ce qu’on lui a appris depuis toujours, on va lui dire : « libérez-vous de votre éducation ». Par contre, s’ils peuvent dire : « à tel moment il s’est passé telle chose dans ma vie, et voilà ce que l’Évangile a changé dans ma manière de vivre à partir de là ». « Telle personne, telle discussion, tel livre, telle musique m’ont profondément bouleversé et dans la prière, dans la Bible, dans l’Église, j’ai trouvé une signification, une énergie, un dynamisme nouveau ».

La force du témoignage, c’est qu’il passe par des évènements concrets, en partie vérifiables, objectifs, et que c’est une parole au singulier. L’aveugle guéri peut raconter sa rencontre de Jésus, la piscine de Siloé etc. « Voilà ce qui m’est arrivé » (à moi, personnellement, ce qui laisse libre l’autre d’interpréter autrement). Par exemple: « avant de connaître le Christ, ma vie n’avait pas de sens. Depuis que je l’ai découvert, je ne vis plus pour l’argent, ni pour le pouvoir ou le confort : ma vie a changé ».

Bien sûr, ce n’est pas toujours aussi net. Bien sûr, il y a des périodes où on ne peut pas citer des transformations spectaculaires. Mais à l’échelle d’une vie, il y a bien quelques évènements-clés qui continuent à imprimer leur marque des années après. A bien y réfléchir, il y a eu quelques tournants dont je me souviens, quelques éblouissements en forme de comète, dont la queue d’étoiles continue à scintiller, même dans la nuit…

Rendre témoignage au Christ demande de pouvoir faire le récit de ce que j’ai vécu avec lui, de ce qu’il me permet aujourd’hui d’expérimenter…et ce témoignage peut s’élargir à celui d’une communauté, d’un groupe, d’une équipe, de notre Église qui raconte comment dans sa propre histoire elle a expérimenté la puissance du Christ à travers sa faiblesse.

Et vous, quels passages de votre histoire avez-vous à verser au dossier de la défense de Jésus, dans son procès qui reste encore ouvert dans ce monde ?

Témoin, à la barre ! dans Communauté spirituelle 37452932-crit-%C3%A0-la-main-obtenez-les-faits-concept-d-entreprise

2) Se risquer à prendre parti

Femme Débardeur sans Manche Amour Jésus Christ, Religion Chrétienne - Pâques, Résurrection, Nativité, Idées Cadeaux Religieux (Small Blanc Bleu)Le témoin du Christ ne peut rester extérieur à ce qu’il raconte.
Il s’implique, et il est impliqué par les autres. Impossible de déposer pour la Résurrection de Jésus sans être classé parmi les partisans du Christ. Le témoin est obligé à un moment donné de s’engager, dans le respect de la liberté des autres. Comme le dit l’aveugle-né guéri par Jésus : « vous avez beau l’accuser. Moi je sais ce que j’ai vécu : j’étais aveugle; grâce à lui je vois. Pour moi il est la lumière du monde. »
Il y a quelquefois des discussions mondaines où il vaut mieux ne pas témoigner plutôt que d’en rester à un discours superficiel où personne ne dit « je ».
Témoigner, c’est prendre un risque, se risquer.
Impossible de rester neutre. Mais prendre le parti du Christ demande de le faire avec infiniment de respect et de douceur…


3) Assumer les conséquences de son témoignage

Si mon témoignage m’implique, je dois me préparer à en assumer les conséquences. Si c’est du Christ dont je témoigne, je reconnais aussitôt mes contradictions, mes décalages personnels par rapport à Celui que je défends. Comme le reconnaît Jean-Baptiste, « je ne suis pas la lumière, mais je rends témoignage à la lumière ».

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Deux conséquences :

- Ne pas attendre d’être parfaits pour témoigner, car c’est un autre que moi-même que j’annonce.
C’est une fausse humilité de se défausser de sa propre indignité pour échapper au devoir de témoignage.
C’est une erreur de croire que nos contradictions nous interdisent de parler.
Si un fou a été en Chine et en parle abondamment, ce n’est pas parce qu’il est fou qu’on doit en déduire que la Chine n’existe pas…

Un siècle de témoins par Rance- Se souvenir que le témoignage se dit « martyr » en grec.
C’est toujours un choc lorsque les parents d’un baptême s’aperçoivent que le prénom qu’ils ont donné à leur enfant est la plupart du temps le prénom de quelqu’un qui a été martyrisé : Pierre (crucifié la tête en bas), Paul (décapité), Agnès (égorgée), Laurent (grillé vif)… Loin de protéger, le baptême de ces témoins les a au contraire exposés au martyr, et c’est là finalement une dimension logique de la condition chrétienne.

Rassurez-vous, le martyr actuel chez nous n’est pas de sang (ce qui n’est pas le cas, hélas, dans bien d’autres pays du monde). Mais c’est un martyr soft, fait d’indifférence polie, de dérision médiatique, de marginalisation folklorique, de faux procès historiques…

Un témoin appelé à la barre peut facilement être traité comme l’accusé qu’il défend. Le Christ avait prévenu ses disciples : « ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront également », « le monde vous haïra », « les pères livreront leurs fils, les fils leurs pères »…
Il y a beaucoup d’époques de l’histoire de l’Église où demander le baptême était synonyme d’emprisonnement, de représailles familiales, de carrière brisée, de prison, de torture même. Hélas, c’est toujours vrai dans de nombreuses contrées du monde.

Réjouissons du beau risque de la foi de notre baptême, et reprenons conscience de la force du témoignage en faveur du Christ, de son urgence pour aujourd’hui…

 

________________________________

[1]. « Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué Mais Allah l’a élevé vers lui, et Allah est puissant et sage » (Sourate 4, 157-158).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

David reçoit l’onction comme roi d’Israël (1 S 16, 1b.6-7.10-13a)

Lecture du premier livre de Samuel

En ces jours-là, le Seigneur dit à Samuel : « Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars ! Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, car j’ai vu parmi ses fils mon roi. » Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab, il se dit : « Sûrement, c’est lui le messie, lui qui recevra l’onction du Seigneur ! » Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là. » Alors Samuel dit à Jessé : « N’as-tu pas d’autres garçons ? » Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. » Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu’il ne sera pas arrivé. » Jessé le fit donc venir : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau. Le Seigneur dit alors : « Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! » Samuel prit la corne pleine d’huile, et lui donna l’onction au milieu de ses frères. L’Esprit du Seigneur s’empara de David à partir de ce jour-là.

 

PSAUME

(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5, 8-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d’en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

 

ÉVANGILE

« Il s’en alla et se lava ; quand il revint, il voyait » (Jn 9, 1-41)
Gloire et louange à toiSeigneur Jésus. !Moi, je suis la lumière du monde, dit le Seigneur. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. Gloire et louange à toiSeigneur Jésus ! (Jn 8, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.

Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : ‘Va à Siloé et lave-toi.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle. Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? » Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »

Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.

 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’, votre péché demeure. »
Patrick Braud

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24 février 2019

La paille et la poutre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

La paille et la poutre

Homélie pour le 8° dimanche du temps ordinaire / Année C
03/03/2019

Au royaume des aveugles

En Afrique Noire, le long des pistes d’un rouge latérite, on voit souvent des silhouettes marcher de concert. Entre les deux : un long bâton ou bambou, comme un témoin anormal d’une course de relais improbable. Devant, un jeune garçon très sérieux avance sans rien dire. Derrière, quelqu’un se guide d’une main au balancement du bâton qu’il serre fermement car il est aveugle, et il profère d’abondantes bénédictions à l’approche de tous ceux qui pourraient déposer quelques pièces dans la sébile qu’il fait sonner de l’autre main en secouant la monnaie ostensiblement. Jésus a sûrement remarqué ces aveugles qui se font conduire lorsqu’il rappelle à tous :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? »
 [1]

Choisir ceux dont on va suivre les pas est tout un art. Dans la tradition juive, choisir un maître d’étude de la Torah à la yeshiva est tout aussi important que de choisir son mari ou sa femme ! Dans la tradition monastique chrétienne, choisir de devenir le disciple de saint Benoît, saint Augustin, saint Basile ou saint Bruno est le choix de toute une vie. La relation maître-disciple était tellement structurante au temps de Jésus que les adultes se définissaient toujours en mentionnant leur rabbin de référence, comme Paul revendiquait d’être l’élève de Gamaliel (Ac 22,3).

 

Quels maîtres choisir ?

La paille et la poutre dans Communauté spirituelleNous avons trop oublié cette école d’initiation – par l’enseignement et par l’exemple – d’un guide nous faisant accéder au meilleur de nous-mêmes. Alors le risque est grand de se choisir des petits maîtres d’occasion, le temps d’une brève séduction.

Faute de maîtres spirituels authentiques, ou faute d’envie de les suivre, beaucoup s’attachent désormais à tel Youtuber, à tel rappeur, à telle page Facebook, ou deviennent followers sur Twitter de telle ou telle figure le temps d’un buzz médiatique.

Faute de maîtres politiques inspirant le respect et l’admiration, d’autres se tournent vers la violence pour s’affirmer.

Pourtant, les sportifs et les musiciens par exemple savent bien qu’ils ne parviendront pas au sommet de leur art sans un champion à admirer, un coach à pratiquer, un artiste référent, bref une école marquée par la personnalité de quelques-uns

Si nous choisissons des aveugles pour nous guider, que ce soit en politique, sport, littérature, musique ou religion, alors ne nous étonnons pas de devenir médiocres à leur image. Il s’agit en somme de bien choisir son chien d’aveugle pour ne plus l’être.

 

Voir clair

Paille2 aveugle dans Communauté spirituelleMais qu’est-ce que voir clair, à l’inverse d’un guide aveugle ? L’enjeu de la parabole de la paille et de la poutre est bien de choisir quelqu’un qui voit clair pour nous guider. Pour ce faire, Jésus force le trait comme toujours dans ses paraboles. Une paille dans l’œil ? Bigre ! Un grain de poussière est déjà énorme. Il suffit à nous faire pleurer, cligner de l’œil sans arrêt, jusqu’à ce que les larmes ou la paupière parviennent à l’enlever. Mais nul n’a jamais ôté une paille entière de son œil ou d’un autre. Alors pour la poutre, c’est encore plus gros (si j’ose dire !) : impossible d’avoir une poutre digne de ce nom dans l’œil ! L’exagération est la même quand on dit que telle personne m’a tapé dans l’œil, ou que se tromper c’est se mettre le doigt dans l’œil jusqu’au coude…

FAUX-PROHHETES maître

Dans tous les cas, il s’agit de forcer le trait pour comprendre l’effet produit. Paille ou poutre empêchent d’y voir clair, et peuvent rendre borgne sinon aveugle. Jésus pense aux scribes et pharisiens : « Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moucheron et avalez le chameau ! » (Mt 23,24) [2]. Ils accablent le peuple de lourds fardeaux (les obligations rituelles de pureté, pour se vêtir, se nourrir etc.) qu’eux-mêmes ne peuvent pas porter (Mt 23, 14). Avec de tels maîtres, le risque est grand de tomber ensemble dans le trou de l’hypocrisie religieuse !

Nous pouvons penser aujourd’hui à tous ces maîtres improvisés dans les médias, les réseaux sociaux, les entreprises : accorder sa confiance à de tels ‘borgnes’ nous condamnerait à nous noyer avec eux dans l’inconsistance de leur pensée. Pourtant ils ont du succès, ces stars d’un instant ! On se rue à leur suite en s’abonnant à leur compte Twitter, en se précipitant dans leurs stages de développement personnel, en adoptant sans esprit critique leur dernière trouvaille managériale etc.

 

Exigence envers soi d’abord

Le retour de Garry Kasparov aux échecs - Photo © site officiel

À l’inverse, Jésus nous avertit que la tentation d’être le maître de l’autre, voire son sauveur, en lui enlevant sa paille de l’œil, est tout aussi dangereuse que de vouloir suivre un borgne ou un aveugle. N’est pas maître qui veut ! Il y faut des années de pratique et de labeur sur soi. 10% de génie et 90% de travail : c’est le cocktail gagnant des grands champions, que ce soit aux échecs ou au tennis, au judo ou au violon, en mathématiques ou en économie… Celui qui voudrait transformer les autres sans s’être transformé lui-même ne produirait pas de bons fruits. D’ailleurs, au désert en Égypte, les premiers moines ne cherchaient pas de disciples. Ceux qui voulaient devenir disciples les recherchaient eux, car ils étaient reconnus comme de vrais guides.
On raconte qu’un jour, un homme harcelait un abbé du désert pour qu’il l’adopte comme son élève. À chaque fois, le maître l’éconduisait sans rien dire. Une énième fois, n’en pouvant plus, il prit la tête de l’homme et la plongea sous l’eau jusqu’à ce qu’il étouffe. Le relâchant in extremis, il lui dit : « quand tu désireras me rejoindre plus que tu ne désirais respirer à moitié noyé, tu pourras revenir ».

Vouloir enlever la paille de l’œil de quelqu’un, c’est s’imposer comme son sauveur, et on sait tous les dégâts (psychologiques notamment) que cette posture engendre.

 

Conjuguer humilité et correction fraternelle

Notons bien que Jésus ne demande pas de renoncer à ôter la paille. Ôter la poutre en soi d’abord, mais ensuite assumer ses responsabilités de répondre du salut de son frère : « Si ton frère a péché contre toi, va,  reprends-le entre toi et lui seul; s’il t’écoute, tu auras gagné ton frère » (Mt 18,15).

Il faut tenir les deux ensemble : avertir quelqu’un de son péché pour qu’il s’en détourne sans l’avoir fait d’abord pour soi-même relève de l’hypocrisie. Ce n’est d’ailleurs pas crédible, car l’écart est visible aux yeux de tous entre ce qui est dit et ce qui est vécu. Pas de correction fraternelle sans humilité et exigence envers soi d’abord.

Mais réciproquement, pas de chemin personnel qui se désintéresse des impasses de l’autre. La sainteté n’est pas pour soi : elle diffuse d’elle-même, sans le vouloir. Elle rayonne, et éclaire les zones d’ombre de ceux qui s’approchent du saint, sans aucun jugement ni condamnation. « Venez voir, j’ai trouvé un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ! », s’écrie toute joyeuse la Samaritaine qui enfin peut entendre qu’elle a consommé cinq hommes en vain sans pour autant en être jugée, mais pour en être libérée (Jn 4,29). La délicatesse et le tact avec lesquels Jésus lui enlève cette épine du pied, cette écharde dans sa chair, cette paille dans son œil sont la marque de sa bien-veillance exceptionnelle (au sens étymologique).

Cette bienveillance peut alors se conjuguer avec une très forte exigence : « ne pèche plus » dit Jésus à la femme adultère (Jn 8,10). C’est parce qu’il n’est pas aveugle – au contraire il voit clair en elle – que Jésus croie en la capacité de chacun à aimer. « Moi non plus je ne te condamne pas », car tu vaux plus à mes yeux que ton adultère, et tu ne te réduis pas à ce que tu as fait.

S’il ne comporte ni jugement ni condamnation, mais espérance et amour, le geste d’ôter la paille établit entre les deux une relations d’entraide, de communion fraternelle qui ressemble furieusement à la communion des saints…

Quels maîtres allons-nous choisir ?
Comment allons-nous conjuguer bienveillance et exigence, et d’abord envers soi ?

 


[1]. Curieusement, la poutre et l’aveuglement sont les thèmes du texte de l’AT sur Élisée et les Syriens que nous avons déjà cité à propos de l’amour des ennemis (cf. 2Rois 6, 1-24).

[2]. L’Antiquité connaissait déjà cette comparaison. Ainsi Sénèque : « Vous avez remarqué des boutons chez autrui, vous qui êtes affligés de plusieurs ulcères. Ce qui est le fait de quelqu’un qui se moquerait des verrues des corps les plus beaux, tout en étant défiguré par la gale » (de Vita Beata, 27).

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé » (Si 27, 4-7)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage

Quand on secoue le tamis, il reste les déchets ; de même, les petits côtés d’un homme apparaissent dans ses propos. Le four éprouve les vases du potier ; on juge l’homme en le faisant parler. C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger.

Psaume
(Ps 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)
R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce !
(cf. Ps 91, 2)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits !

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

Deuxième lecture
« Dieu nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ » (1 Co 15, 54-58)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, au dernier jour, quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; ce qui donne force au péché, c’est la Loi. Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue.

Évangile

« Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (Lc 6, 39-45)
Alléluia. Alléluia.
Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Patrick BRAUD

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