Que demander dans la prière ?
Que demander dans la prière ?
Cf. également :
La force de l’intercession
Les 10 paroles du Notre Père
Ne nous laisse pas entrer en tentation
Homélie du 17° dimanche du temps ordinaire / Année C
24/07/2016
Des milliers de cierges brûlent chaque jour devant la grotte de Lourdes. Ils portent les espoirs de ceux qui les ont déposés là : pour guérir, pour moins souffrir, pour des proches… Pourtant chacun de nous a déjà fait l’amère expérience d’une prière déçue : j’ai demandé ceci, et rien n’est arrivé, au contraire…
Il y a une énigme dans la prière que Jésus veut lever à travers l’enseignement du Notre Père et de ses paraboles sur la force de l’intercession (Lc 11, 1-13). La plupart des malades à Lourdes savent bien qu’ils ne guériront pas par la seule force de la prière, et pourtant ils ne cessent pas de demander. À l’opposé, beaucoup sont devenus athées parce qu’ils ont assisté, impuissants malgré leur prière, à la mort d’un parent, au succès de l’injuste, à la victoire des puissants, à la réussite des malfaisants…
Qu’est-ce donc qu’une prière de demande ?
Pas d’instrumentalisation de la prière
Le Décalogue commande : « Tu n’invoqueras pas le Nom du Seigneur ton Dieu en vain ». C’est vrai du blasphème, mais plus encore de cette prière païenne que serait utiliser le Nom de Dieu pour ses propres intérêts.
Maître Eckhart stigmatisait avec un humour féroce ceux qui utilisent la foi pour leurs objectifs purement terrestres :
« Celui qui aime Dieu en vue de son propre intérêt l’aime comme il aime sa vache…
pour le lait et le fromage qu’elle lui donne…
Ainsi font toutes les personnes qui aiment Dieu pour l’extérieur ou la consolation intérieure…
ils n’aiment pas vraiment Dieu …
mais leur propre avantage… »
Sermon 16b
Saint Augustin allait encore plus loin, dénonçant tous les « Gott mit uns » futurs comme des impostures :
Beaucoup demandent ce qu’il ne faut pas demander, dans l’ignorance où ils sont de ce qui leur est vraiment utile. Il faut éviter deux choses dans la prière, demander ce qu’il ne faut pas demander et demander à celui qu’il n’est pas permis d’invoquer. Il ne faut rien demander au démon, aux idoles, aux faux dieux. C’est à Jésus-Christ, le Seigneur notre Dieu, au Dieu, Père des prophètes, des apôtres et des martyrs, au Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, au Dieu, Créateur du ciel, de la terre, de la mer et de tout ce qu’ils contiennent, c’est à lui qu’il faut demander ce dont vous avez besoin. Cependant il faut éviter de demander même à Dieu des choses défendues. Sous prétexte qu’on doit demander ce qui est nécessaire à la vie présente, ta prière sera sans fruit si tu l’adresses à des idoles sourdes et muettes ; de même si tu demandes à Dieu le Père qui est dans les cieux la mort de tes ennemis, à quoi ta prière te servira-t-elle ? N’avez-vous pas entendu dire ou lu vous-mêmes, dans le psaume où est prédit le châtiment du traître Judas, comment le prophète parle de lui : « Que sa prière lui soit imputée comme un nouveau péché ! » Si donc, quand tu te lèves pour prier, c’est du mal que tu souhaites à tes ennemis, ta prière t’est comptée comme un péché (…).
Saint Augustin, sermon LVI
Demander un scorpion pour empoisonner son voisin n’est évidemment pas une prière chrétienne. Crier Allah Akbar en se faisant sauter au milieu d’une foule encore moins. Au moment le plus tragique pour lui, Jésus a crié non pas pour être sauvé, mais pour que ses bourreaux soient sauvés : « Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Essentialiser la demande
Alors, est-il encore légitime de demander quelque chose à Dieu pour soi-même ?
Des milliers de personnes persévèrent dans la supplication, mais des milliers d’autres ont renoncé à demander quoi que ce soit à Dieu, parce qu’il semble impuissant à agir dans l’histoire des hommes. D’ailleurs, ne serait-il pas profondément injuste que Dieu change le cours des choses pour quelques-uns seulement en échange de leur soumission dans la prière ? Et les autres ? Un tel Dieu serait inique, et ennemi de la liberté humaine…
Face à toutes ces contestations de la prière de demande, la Bible n’a cessé de purifier cet élan de l’homme vers Dieu pour que la prière devienne accueil plus que manipulation, disponibilité plus qu’exigence, cheminement plus que volontarisme. Le plus bel exemple dans l’Ancien Testament de cette essentialisation de la prière est la demande de Salomon. Alors que Dieu lui offre de demander ce qu’il veut, Salomon condense son désir en allant au plus important : la sagesse, la capacité de discerner ce qui est bon pour le peuple dont il a la charge.
Dieu dit à Salomon : « Puisque tel est ton désir, puisque tu n’as demandé ni richesse, ni trésors, ni gloire, ni la vie de tes ennemis, puisque tu n’as pas même demandé de longs jours, mais sagesse et savoir pour gouverner mon peuple dont je t’ai établi roi, la sagesse et le savoir te sont donnés. Je te donne aussi richesse, trésors et gloire comme n’en eut aucun des rois qui t’ont précédé et comme n’en auront point ceux qui viendront après toi « . (Sg 1, 11-12)
Voilà le deuxième cheminement qui est le nôtre : après le renoncement à demander ce qui est contraire à l’amour, essentialiser notre demande pour finalement nous concentrer sur le plus important : le pain quotidien, le pardon, la délivrance du mal, ainsi que nous l’enseigne le Christ dans le Notre Père.
Demander l’Esprit Saint
Jésus va encore plus loin : le véritable objet de la prière chrétienne de demande n’est pas quelque chose, mais quelqu’un : l’Esprit Saint en personne.
« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Demander l’Esprit Saint, ce n’est pas demander la richesse ou la santé, la réussite ou la gloire, c’est chercher à habiter dans l’intimité divine, la laisser habiter en nous, pour traverser tous les événements qui nous arrivent en pleine communion avec Dieu.
St Ignace de Loyola a très bien indiqué à ses compagnons jésuites que l’objet de la prière n’est pas de demander ceci ou cela, mais de demeurer en Dieu quoiqu’il arrive. Cette « indifférence » ignacienne est aujourd’hui encore enseignée dans les exercices spirituels des retraites jésuites :
« L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.
D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin
et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont pour lui un obstacle à cette fin.
Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées,
en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et ne lui est pas défendu ;
de telle sorte que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage
la santé que la maladie,
la richesse que la pauvreté,
l’honneur que le déshonneur,
une vie longue qu’une vie courte
et de même pour tout le reste,
mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. »
Exercices Spirituels de saint Ignace, n° 23, Principe et Fondement
Charles de Foucauld à sa manière avait découvert lui aussi que l’essentiel de la prière est de se laisser tomber dans les bras de Dieu, en lui faisant confiance au point de ne rien lui demander d’autre que lui-même :
Mon Père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu….
Qu’est-ce qui est le meilleur pour moi ?
Demander l’Esprit Saint, ce n’est donc pas faire pression sur Dieu pour obtenir ce que je veux, car moi-même je ne sais pas ce qui est le meilleur pour moi. Peut-être tel succès deviendrait-il ma perte spirituelle ? Peut-être telle guérison m’emmènerait-elle loin de ma vocation cachée ? Peut-être ce divorce se révélera-t-il finalement plus fécond que je ne peux le penser ? Peut-être ce licenciement m’orientera-t-il sur d’autres réussites professionnelles ?
Nous ne savons pas où nous conduisent les événements : pourquoi vouloir à tout prix maîtriser ce qui arrive ? Pourquoi ne pas nous laisser façonner par ces événements pour que Dieu invente avec nous un autre accomplissement, sur d’autres routes ?
Jésus a incarné au plus haut point cette prière de demande : décentrée de ses intérêts propres, renonçant à imposer sa vision de l’avenir (« Père, si cette coupe peut passer loin de moi… Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux… »), habitée par l’Esprit jusqu’au bout (« il rendit l’Esprit »).
Apprenons à convertir notre prière de demande, pour qu’elle devienne finalement le désir fort, le désir vrai de vivre en communion avec Dieu tout ce qui nous arrive, ce qui est le propre de l’Esprit Saint habitant en nous.
1ère lecture : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère si j’ose parler encore » (Gn 18, 20-32)
Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. Alors le Seigneur dit : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Si c’est faux, je le reconnaîtrai. » Les hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu’Abraham demeurait devant le Seigneur. Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » Le Seigneur déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. » Abraham répondit : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? » Il déclara : « Non, je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq. » Abraham insista : « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? » Le Seigneur déclara : « Pour quarante, je ne le ferai pas. » Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? » Il déclara : « Si j’en trouve trente, je ne le ferai pas. » Abraham dit alors : « J’ose encore parler à mon Seigneur. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? » Il déclara : « Pour vingt, je ne détruirai pas. » Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? » Et le Seigneur déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »
Psaume : Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8
R/ Le jour où je t’appelle, réponds-moi, Seigneur. (cf. Ps 137, 3)
De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.
Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.
Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre,
ta main s’abat sur mes ennemis en colère.
Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.
2ème lecture : « Dieu vous a donné la vie avec le Christ, il nous a pardonné toutes nos fautes » (Col 2, 12-14)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix.
Évangile : « Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; c’est en lui que nous crions « Abba », Père.
Alléluia. (Rm 8, 15bc)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. » Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’. Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Patrick BRAUD