Rendre Pâques possible
Rendre Pâques possible
Homélie du Dimanche de Pâques / Année B
31/03/24
Cf. également :
Le kintsugi pascal
La danse pascale du labyrinthe
Les Inukshuks de Pâques
Conjuguer Pâques au passif
Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours
Pâques : les 4 nuits
Pâques : Courir plus vite que Pierre
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Trois raisons de fêter Pâques
Le courage pascal
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?
La Madeleine de Pâques
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Incroyable !
On voudrait être un baume versé sur tant de plaies…
Rousseur et cécité : la divine embauche !
Catalyseurs de Pâques
Nous fêtons ce matin la victoire de l’amour sur la mort. À trop vite exulter, nous risquerions d’oublier ce qui a rendu possible le matin de Pâques. Et notamment l’intervention étonnante de Nicodème et Joseph d’Arimathie. En effet, sans eux le corps de Jésus aurait été versé dans une fosse commune à la hâte, comme l’exigeait la Loi (Dt 21,23) et les coutumes de purification pour les préparatifs de la Pâque juive :
« Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. » (Jn 19,38–42)
Identifions-nous à ces deux compagnons qui ont rendu Pâques possible. Aujourd’hui encore, nous pouvons être les catalyseurs de la ‘réaction pascale’ en quelque sorte, en prenant comme eux des risques multiples au nom de notre foi.
Il leur a fallu en effet un sacré courage pour oser demander puis recueillir le corps du crucifié maudit.
Détaillons ces risques, en réalisant que ce sont les nôtres aujourd’hui.
Oser prendre des risques multiples pour le crucifié
- se dévoiler devant Pilate
Demander à Pilate l’autorisation officielle d’enlever le corps de Jésus est risqué. Joseph se dévoile ainsi comme l’un de ses disciples, ce qui l’expose à d’éventuelles poursuites, menaces, intimidations et pressions diverses. Pilate tient à jour ses fichiers de la sûreté publique, et Joseph comme Nicomède y figureront désormais en bonne place, fichés S en quelques sorte.
Dans certains pays musulmans, hindous ou communistes, se dévoiler chrétien devant les autorités est source d’innombrables tracasseries, inégalités, discriminations, voire de persécutions sordides. Nous ne connaissons pas notre bonheur en France de pouvoir nous réclamer de Jésus sans trop d’encombre. Certes il y aura des moqueries, des insultes, peut-être même des mises à l’écart ou des ‘peaux de banane’, mais globalement le risque est limité pour nous. Ce n’est pas le cas des 365 millions de chrétiens persécutés de par le monde (selon l’association Portes Ouvertes).
Que Joseph d’Arimathie nous inspire ce courage, cette audace d’aller réclamer aux autorités le respect et la dignité dus aux crucifiés de notre temps !
– défier les chefs religieux
Jean précise que Joseph d’Arimathie se cachait d’être un disciple « par crainte des juifs » (Jn 19,38). C’est la même crainte qui avait poussé Nicodème à venir interroger Jésus « au cours de la nuit » (Jn 19,39), et non en plein jour.
Se réclamer de Jésus suscitera toujours la colère des chefs religieux de tous bords, même chrétiens !
– devenir soi-même maudit avec les maudits
Leur crainte va redoubler après l’exécution, car Jésus était devenu le maudit de Dieu que la Loi juive demandait d’exécrer et surtout de ne pas toucher (Dt 21,23). Cette malédiction est contagieuse. Joseph et Nicodème savent bien qu’ils allaient devenir par capillarité des maudits aux yeux des chefs juifs. D’ailleurs, ces autorités religieuses avaient déjà menacé lourdement les gens du peuple qui acclamaient Jésus comme le prophète annoncé, et comme Christ : « Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! » (Jn 7,49).
Nous voilà prévenus : si nous suivons Jésus, nous risquons d’être assimilés avec lui à des maudits, parce que nous subvertissons les lois religieuses, les coutumes des puissants, les traditions trop humaines !
– pallier l’absence des Douze
Où sont passés les soi-disant amis de Jésus, les glorieux Douze apôtres ? À part peut-être Jean, qui l’a suivi jusqu’au pied de la croix ? Même Jean ne fait rien après la mort de son ami. C’est pourtant à lui, avec Marie, que revenait le devoir d’ensevelir rapidement le cadavre déshonoré. En prenant cette initiative en dehors des Douze, Joseph et Nicodème se montrent plus respectueux, plus utiles, plus fraternels que les apôtres officiels.
À nous aussi de prendre des initiatives risquées – même en ‘doublant’ l’Église officielle – parce que la dignité des exclus de ce temps le demande…
Pourquoi Joseph d’Arimathie ?
Il surgit de nulle part, ce disciple caché qui semble n’attendre que ce moment pour se manifester ! On ne sait rien de lui avant cet épisode, ni après. Il est là juste pour jouer de sa réputation auprès de Pilate afin d’obtenir son autorisation. Mathieu précise que c’est un homme riche (Mt 27,57), Marc que c’est « un homme influent, membre du Conseil, et il attendait lui aussi le règne de Dieu » (Mc 15,43). Luc ajoute : « il n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le règne de Dieu » (Lc 23,51).
On a donc un personnage riche, influent, juif sincère séduit par la paix la personnalité de Jésus, membre du Sanhedrin sans pourtant avoir voté la condamnation de Jésus.
Cela suffirait à nous donner courage et envie de l’imiter !
Utiliser notre influence, nos réseaux, notre argent, non pour magouiller et corrompre, mais pour servir le juste, et préserver la dignité des exclus : voilà un programme toujours actuel !
Il y a plus. L’étymologie du nom Arimathie peut également nous inspirer. Elle n’est pas certaine, mais on peut penser que c’est le lieu de naissance de Samuel : « il y avait un homme de la ville de Rama, dans la montagne d’Éphraïm ; il s’appelait Elcana, fils de Yéroham, fils d’Éliou, fils de Tohou, fils de Souf ; c’était un éphratéen » (1S 1,1).
En hébreu Arimathie s’écrit הרמתים, Ha-Ramathaïm. Cela peut désigner l’actuel village de Rantis, Ha-Ramathaïm, au nord-ouest de Jérusalem. La racine hébraïque רם (RM, Rama) signifie hauteur, endroit élevé, et se retrouve dans le nom de plusieurs localités. Ha-Ramathaïm veut donc dire, littéralement : les hauteurs.
« Joseph des hauteurs » (d’Arimathie) est celui qui accompagne Jésus au plus bas, dans l’abaissement du tombeau après la déchéance de la croix. Il s’associe à la kénose du Christ, du plus haut au plus bas.
Joseph est donc comme un nouveau Samuel. Or Samuel est le prophète qui reconnaît David entre tous les fils de Jessé (1S 16,10–13). Il passe les sept fils en revue, mais c’est le huitième, celui auquel Jessé ne pense pas, que Samuel choisit pour lui donner l’onction d’huile et ainsi le désigner comme roi-Messie (oint, christ). Joseph d’Arimathie, en écho, est celui qui reconnaît en Jésus humilié le fils qui doit recevoir l’onction d’huile (grâce à Nicodème).
De plus, David était roux, ce qui était signe de malédiction dans les superstitions populaires (comme hélas encore dans bien des cultures et traditions). Joseph choisit donc en Jésus un maudit, comme Samuel avait choisi un roux, pour le désigner comme roi (selon la pancarte du gibet : INRI). Jésus, mort humilié, est le ‘roux de Dieu’ que Joseph et Nicodème savent reconnaître comme le Messie.
De plus, David était le huitième fils de Jessé. Or 8 est le chiffre de la résurrection (Jésus est ressuscité un dimanche matin, soit le 8e jour de la semaine juive). Joseph d’Arimathie annonce donc la résurrection de Jésus en recueillant son corps pour l’oindre d’huile. Un peu comme Marie de Béthanie l’avait fait avec l’onction de parfum précieux sur les pieds de Jésus lors d’un repas chez Lazare (Jn 12,1-11).
Parce qu’il est d’Arimathie, Joseph nous fait donc penser à Samuel : son rôle n’est pas seulement funéraire, mais prophétique. Il sait discerner le futur roi-Messie parmi les enfants d’Israël. Il va dépasser le dégoût inspiré par la rousseur de David / la condamnation de Jésus. Comme Samuel choisissant le huitième fils, il choisit Jésus sous le signe de la résurrection. Il va oindre son corps pour en faire un Christ.
Pourquoi Nicodème ?
Le texte de Jean précise que Nicodème apportait 100 livres de myrrhe et d’aloès, soit environ 33 kg d’aromates ! Énorme…
Nicodème ‘met le paquet’ pour faire de la dépouille de Jésus une dépouille royale, embaumée comme seuls les princes et les grands personnages le sont. La myrrhe qu’il apporte fait irrésistiblement penser à celle des mages à Bethléem : cadeau royal pour un bébé sur la paille. Cette myrrhe avec l’aloès désignent elles aussi Jésus comme le roi des juifs : « Ton trône est divin, un trône éternel ; ton sceptre royal est sceptre de droiture : tu aimes la justice, tu réprouves le mal. Oui, Dieu, ton Dieu t’a consacré d’une onction de joie, comme aucun de tes semblables ; la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement. Des palais d’ivoire, la musique t’enchante. » (Ps 45,7–9).
Cet aromate est aujourd’hui encore incorporé au saint chrême qui accompagne le baptême, l’ordination et l’onction des malades. La myrrhe de Nicodème continue à faire de nous des christs.
À nous d’apporter comme lui un parfum de vie à tous ceux qui gisent dans l’ombre de la mort autour de nous…
En outre, Nicodème avait entendu Jésus lui faire la promesse de « naître d’en-haut » pour entrer dans le royaume de Dieu : « “Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ?” Jésus répondit : “Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3,4-5). Voilà que cette « naissance d’en-haut » va se produire maintenant au tombeau pour Jésus. Nicodème est le mieux placé pour y voir l’accomplissement de la parole de Jésus, dite « pendant la nuit » (Jn 2,1), cette nuit de Pâques.
À nous d’aider nos contemporains à croire qu’il est possible de naître de l’eau et de l’Esprit aujourd’hui encore, que ce soit à travers les sacrements ou la vie selon l’Esprit…
« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies », écrivait Etty Hillesum en 1942. Nous pouvons être ces Nicodème qui versent de la myrrhe sur les pieds des crucifiés de notre époque, les appelant ainsi à ressusciter avec le Christ…
Joseph d’Arimathie et Nicodème n’ont pas ressuscité Jésus, mais ils ont rendu Pâques possible.
À nous de prendre leur relais, quels que soient les risques auxquels nous expose le recueil des maudits de notre siècle…
MESSE DU JOUR DE PÂQUES
PREMIÈRE LECTURE
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
PSAUME
(117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (117, 24)
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.
DEUXIÈME LECTURE
« Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » (Col 3, 1-4)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre.
En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
SÉQUENCE
À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié ! Amen.
ÉVANGILE
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Alléluia. Alléluia. Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick Braud