L'homélie du dimanche (prochain)

15 octobre 2023

Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce

Homélie pour le 29° Dimanche du temps ordinaire / Année A
22/10/2023

Cf. également :
Charlie, César et Dieu
Résistez à la dictature du format court !
Refusez la pression fiscale !

« Tous pourris » ?
INRI : annulez l’ordre injuste !

Il s’agit d’impôt et non de laïcité
Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce dans Communauté spirituelle Rendez-a-Cesar-Philippe-de-Champaigne
Évacuons d’emblée une lecture courante de notre célébrissime maxime de l’Évangile de ce dimanche (Mt 22,15-21) : « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Certains commentateurs – et non des moindres – voudraient trouver dans cette phrase de Jésus le fondement d’une laïcité ‘à la française’, avec une séparation nette des deux pouvoirs, politique et spirituel.

Cette lecture apologétique est doublement anachronique :
– d’abord parce qu’à l’époque de Jésus, la question ne se pose pas. Elle est même totalement hors champ, impensable. Il est évident pour tous les peuples de l’Antiquité que le politique et le religieux sont inextricablement mêlés, inséparables. Les juifs sont persuadés que Dieu seul est au principe d’Israël : même un roi – accepté avec réticence après les Juges, car toujours infidèle – n’est que le ‘lieu-tenant’ de Dieu. Les prophètes ne cessent de lui rappeler la supériorité de la Torah sur son gouvernement.

– ensuite, parce que tout au long de 20 siècles d’histoire, les Églises n’ont jamais interprété ni vécu cette maxime selon notre conception moderne Quanta Cura & Syllabusd’une laïcité à la française. Pendant les trois premiers siècles, sous les persécutions, l’Église clandestine refuse d’adorer César et de lui offrir des sacrifices. Après Constantin, elle fait alliance avec le pouvoir impérial et devient religion d’État. Point de séparation dans l’alliance du trône et de l’autel, dans la théorie féodale des trois ordres (chevaliers, prêtres, paysans), dans la monarchie de droit divin, dans la théorie de la symphonie des pouvoirs en Orient (l’aigle à deux têtes de Byzance ou de la Russie actuelle) ou dans la théorie des deux glaives de l’Occident (où le glaive religieux doit l’emporter sur le politique, comme à Canossa). Le Syllabus de 1864 résume cette longue histoire de subordination – ou au mieux de lien intime – de César à Dieu en qualifiant la liberté de conscience de « liberté de perdition », de « délire », et en condamnant la séparation de l’Église et de l’État (‘erreur’ 55). Les Églises orthodoxes sont toujours sur cette ligne. L’Église anglicane continue de couronner rois et reines du Royaume-Uni. Les protestants certes sont les plus critiques envers ces collusions, mais les évangélistes américains font tout pour soumettre les lois des États à leur interprétation de la Bible (avortement, peine de mort, homosexualité etc.) et les luthériens du nord de l’Europe continuent à être une quasi religion d’État.

Bref : notre évangile de ce jour n’est pas un débat sur la laïcité, quoi qu’en disent les Français un peu isolés dans le monde à cause de leur conception si singulière des relations Églises-État.

Le texte évangélique est on ne peut plus clair : le piège tendu à Jésus porte sur l’impôt, et non sur la séparation des pouvoirs. C’est une question très pragmatique, casuistique même comme les aiment les juifs : dois-je remplir ma déclaration d’impôts ou choisir la désobéissance civile ? Dois-je accepter le prélèvement automatique sans broncher s’il vient de l’occupant ? C’est ce qu’on appelle le consentement à l’impôt : les citoyens l’acceptent de bon cœur s’ils le trouvent légitime. Sinon ils le boycottent ou ils fraudent, et en France la fraude fiscale est un sport national…
C’est donc d’argent dont il est question.

 

Jésus n’a pas un sou en poche
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La suite de la controverse confirme que l’argent est au centre de la dispute : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt ». Tiens : pourquoi Jésus ne sort-il pas lui-même une pièce de monnaie de sa poche ? Pourquoi est-il obligé de demander aux pharisiens et Hérodiens en face de lui ? Parce que Jésus « n’a pas une pierre où reposer la tête » (Lc 9,58). Parce qu’il a choisi de vivre littéralement sans argent sur lui, sans argent à lui. Il n’a pas un sou en poche. Car il savait qu’avoir toujours sur soi cette double image de César gravée dans l’argent finit par rendre dépendant, comme une drogue, ou plutôt comme une idole.

On finit souvent par idolâtrer ce qu’on a constamment sous les yeux, que ce soit son smartphone, sa carte bancaire, son ordinateur ou sa montre. Nos objets nous possèdent, bien plus que l’inverse. Nous finissons par ressembler à ce que nous contemplons. Si c’est une icône, elle nous conduit vers Dieu. Si c’est une idole, elle nous déshumanise et nous nous résignons à notre servitude volontaire.
Les pharisiens et les Hérodiens sont du côté du pouvoir et de l’argent : ils ont toujours leur Dieu dans la poche.
Jésus lui n’a pas un sou en poche : son Dieu est ailleurs.

 

Où est l’autre pièce de monnaie ?
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On montre à Jésus la pièce de César. Mais où donc est celle de Dieu ? Si l’on veut comparer César et Dieu, il faut comparer leurs deux monnaies, leurs deux impôts. Or le denier d’argent est à l’image (icône en grec) de César ; l’autre pièce devrait donc être à l’image de Dieu. On devine que c’est chaque personne humaine qui est la vraie monnaie de Dieu. L’effigie dont parle Jésus est l’image divine en tout homme. Car Dieu a créé l’homme à son image (icône). L’homme est l’icône de Dieu.
La seule monnaie que Jésus a toujours sur lui est l’image de Dieu, qui resplendit sur son visage en plénitude, et qu’il scrute amoureusement sur le visage de chaque rencontre. Si payer l’impôt à César est lui rendre son image, rendre à Dieu ce qui est à Dieu est alors reconnaître son image en chacun, et la laisser resplendir sur nous-même.

Voilà comment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce : voir en chacun son icône, et servir en lui sa vocation divine.

 

De l’image à la ressemblance
Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26-27;5,1). C’est ce qui fonde son inaliénable dignité : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image » (Gn 9,6).
Plus exactement, le texte hébreu de Gn 1,26 écrit :
וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃
« Dieu dit : faisons l’homme dans (בְּ) notre image, comme (כִּ) notre ressemblance »
.

L’image est donnée dès le départ, la ressemblance est une potentialité à développer. C’est la subtile différence entre « dans notre image » et « comme notre ressemblance ».
Image et ressemblance : ces deux termes ne sont pas équivalents pour les Pères de l’Église. L’image est comme le sceau royal apposé au bas d’un traité. Il est scellé par le roi et garde en creux dans la cire la trace de son propriétaire. En regardant le sceau et le symbole royal qu’il porte (un lion, un lys, des armoiries etc.), on sait que le prince s’est engagé et que, même absent, il garantit sa signature. De même l’image divine en tout être humain : elle est gravée, indélébile, et nous parle en creux de Celui qui nous a façonné et qui s’est engagé pour nous. Même le pire des criminels a toujours cette image, cette icône de Dieu enfouie en lui. La vie du croyant est alors de dégager cette image de tout ce qui l’obscurcit, pour laisser resplendir la ressemblance divine. « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29).

Le couple « image et ressemblance » n’est pas utilisé pour les animaux mais pour l’homme seulement. Ainsi, en Gn 5,3, après avoir dit que Dieu créa l’homme à la ressemblance de Dieu, le texte poursuit : « Adam engendra un fils à sa ressemblance, selon son image« . C’est le propre de l’humain que d’être appelé à ressembler à Dieu en engendrant la vie.

A son image et ressemblance : l'homme à l'image de Dieu ou Dieu à l'image de l'homme ?L’image divine en l’homme échappe à toute définition, mais elle peut être caractérisée comme une capacité à participer à la nature divine. Cette capacité est déjà inscrite comme « en creux » dans la nature, humaine, mais elle devient vraiment effective par la grâce du baptême. Il ne s’agit pourtant encore que d’une capacité initiale, d’un germe appelé à se développer par la coopération de notre liberté et de la grâce divine ; la « ressemblance » est le plein accomplissement de l’image, fruit de la coopération de la liberté humaine et de la grâce. Elle s’identifie avec la déification, la pleine participation aux énergies divines incréées. Elle est une participation à la filiation du Fils par nature, à la gloire du Père. Elle fait ainsi entrer l’homme dans une relation d’amour personnel et d’intimité avec les divines Personnes de la Trinité. Elle ne sera pleinement achevée que par notre résurrection corporelle au dernier jour : « Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit et vérité » (2 Co 3,18).

Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce, c’est passer de l’image (innée) à la ressemblance (acquise) par l’accueil de l’amour divin.
Déjà au IV° siècle, on lisait sous la plume d’un auteur anonyme :

« L’image de Dieu n’est pas imprimée sur l’or mais sur le genre humain. La monnaie de César est d’or, celle de Dieu est l’humanité… Par conséquent, donne ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’unique innocence de ta conscience, là où Dieu est contemplé… En effet, César a voulu son image sur chaque monnaie, mais Dieu a choisi l’homme qu’Il a créé pour refléter sa gloire » (Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, Homélie 42).

Et saint Augustin a utilisé plusieurs fois cette référence dans ses homélies :

« Si César exige sa propre image sur la monnaie, Dieu n’exigera-t-il pas que l’homme grave en lui-même l’image divine ? » (En. in Ps. Ps 94,2).
Comme l’on rend à César sa monnaie, ainsi rend-on à Dieu l’âme illuminée, reflet de la lumière de son visage… Christ, en effet, habite dans l’homme intérieur » (Ibid., Ps 4,8).

Au XVI° siècle, Saint-Laurent de Brindisi tire ce même fil : rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est passer de l’image à la ressemblance :

« Il nous faut payer à César le denier portant l’effigie et l’inscription de César, à Dieu ce qui a reçu le sceau de l’image et de la ressemblance divines: La lumière de ton visage a laissé sur nous ton empreinte, Seigneur (cf. Ps 4,7).
Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance (Gn 1,26) de Dieu. Tu es homme, ô chrétien. Tu es donc la monnaie du trésor divin, un denier portant l’effigie et l’inscription de l’empereur divin. Dès lors, je demande avec le Christ : cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? Tu réponds: « De Dieu ». J’ajoute : « Pourquoi donc ne rends-tu pas à Dieu ce qui est à lui ? »
Si nous voulons être réellement une image de Dieu, nous devons ressembler au Christ, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu et l’effigie exprimant son être (cf. He 1,3). Et Dieu a destiné ceux qu’il connaissait par avance à être l’image de son Fils (Rm 8,29) ».
(Hom. 22° dimanche après la Pentecôte)

Restaurer l’homme dans sa dignité d’enfant de Dieu, c’est sans doute la mission que le « bon samaritain » confie à l’aubergiste, en lui donnant deux deniers pour subvenir à la guérison du blessé sur la route (Lc 10,35). En effet, dans l’évangile de Luc, le seul autre usage du mot δηνάριον (= denarion, denier) de notre passage se trouve dans la parabole du bon samaritain. L’humanité blessée par le péché, gisant sur le bord du chemin, est défigurée. C’est le rôle de l’aubergiste (Pierre ?) et de son auberge (l’Église ?) que de lui redonner image et ressemblance d’avec Dieu, les deux deniers que le Christ lui a confiés avant de s’absenter de l’histoire…

 

L’inscription de César, et celle de Dieu
« Cette effigie (εκν, eikon = icône) et cette inscription (πιγραφ, épigraphe), de qui sont-elles ? »
Si l’icône nous met sur la voie service de la vie divine en chaque être humain, de quoi l’inscription est-elle le nom ?

L’inscription de César renvoie clairement à la condamnation écrite du Juste innocent sur la croix. En effet il n’y a que 5 usages du mot πιγραφ (épigraphe) dans le Nouveau Testament : 3 pour notre controverse sur l’impôt (Mt 22,20 ; Mc 12,16 ; Lc 20,24), et 2 pour les mots gravés sur le bois du gibet (Mc 15,26 ; Lc 23,38) : « L’inscription (πιγραφ) indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : ‘Le roi des Juifs’ » (Mc 15,26).
Rendre à César son inscription, c’est donc constater que sa condamnation est vaine, injuste, et n’aura pas le dernier mot. INRI, cet écriteau multiplié à l’infini sur nos crucifix, calvaires, tableaux et autres statues est un défi lancé à César : ‘tu as cru éliminer le Juste par la force de ton pouvoir, cet épigraphe te revient en pleine face comme un signe de victoire du condamné sur l’injustice, le mal et la mort’.

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Rendre à Dieu son inscription à Lui, c’est découvrir ce qu’a gravé sur nos cœurs l’Esprit de la Loi, et non sa lettre, comme l’écrit Paul : « Dieu nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3,6).
C’est aussi agir en conscience : « la façon d’agir prescrite par la Loi est inscrite dans le cœur des païens, et leur conscience en témoigne… » (Rm 2,15).
Pour l’apôtre, c’est également offrir à Dieu des communautés vivantes et animées par l’Esprit : « De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3,3).

Chaque être humain porte au fond de lui en filigrane ce titre royal : enfant de Dieu, et c’est vraiment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce que de devenir pleinement ce fils/cette fille bien-aimés à qui il partage son intimité.

 

Par ici la monnaie !
Par ici la monnaie !
Résumons-nous : l’enjeu de la controverse entre Jésus et les pharisiens unis aux Hérodiens  concerne l’impôt, et non la laïcité. Pendant des siècles, on y a lu l’invitation à cultiver notre ressemblance d’avec Dieu plutôt que notre servitude envers César. Il s’agit de participer à la nature divine (2P 1,4), selon la parole de la Loi reprise par Jésus : « vous êtes des dieux » (Jn 10,34). Nous avançons sur la voie de cette divinisation lorsque nous désacralisons le pouvoir en lui rendant son effigie pour ne pas lui être soumis, lorsque nous combattons son injustice mortelle en lui rendant son inscription (INRI).

Nous rendons à Dieu la monnaie de sa pièce lorsque nous révélons à tout homme sa dignité en tant qu’icône de Dieu, appelé à lui ressembler toujours davantage, et lorsque nous rendons à Dieu son épigraphe, c’est-à-dire la loi d’amour gravée en nos cœurs par l’Esprit de vérité.

Ne rendez plus la monnaie comme avant…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« J’ai pris Cyrus par la main pour lui soumettre les nations » (Is 45, 1.4-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur à son messie, à Cyrus, qu’il a pris par la main pour lui soumettre les nations et désarmer les rois, pour lui ouvrir les portes à deux battants, car aucune porte ne restera fermée : « À cause de mon serviteur Jacob, d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai donné un titre, alors que tu ne me connaissais pas. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre : hors moi, pas de Dieu. Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas, pour que l’on sache, de l’orient à l’occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre. »

PSAUME
(Ps 95 (96), 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac)
R/ Rendez au Seigneur la gloire et la puissance. (Ps 95, 7b)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Il est grand, le Seigneur, hautement loué,
redoutable au-dessus de tous les dieux :
néant, tous les dieux des nations !
Lui, le Seigneur, a fait les cieux.

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.
Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.
Allez dire aux nations : « Le Seigneur est roi ! »
Il gouverne les peuples avec droiture.

DEUXIÈME LECTURE
« Nous nous souvenons de votre foi, de votre charité, de votre espérance » (1 Th 1, 1-5b)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Paul, Silvain et Timothée, à l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus Christ. À vous, la grâce et la paix. À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous, en faisant mémoire de vous dans nos prières. Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père. Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous, simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint, pleine certitude.

ÉVANGILE
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-21)
Alléluia. Alléluia. Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Patrick BRAUD

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21 septembre 2013

Éthique de conviction, éthique de responsabilité

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Éthique de conviction, éthique de responsabilité

Homélie du 25° dimanche du temps ordinaire / Année C
22/09/13

Faut-il agir uniquement en fonction de ses convictions, quelles que soient les conséquences ?
Ou vaut-il mieux se montrer responsable en choisissant les actes en fonction de leurs conséquences prévisibles ?

Ce vieux débat qui parcourt l’histoire de l’humanité traverse également la Bible. À preuve : le contraste entre la première lecture et l’évangile de ce dimanche.
Amos, prophète intransigeant de la justice sociale, tonne contre les inégalités de la Jérusalem de son époque (environ 750 avant JC). Il est convaincu que les lois de l’Alliance doivent être respectées pour elles-mêmes, quelles que soient leurs conséquences sur le commerce par exemple. Alors que les marchands de Jérusalem pestaient contre le shabbat où ils devaient fermer boutique, contre les fêtes religieuses chômées etc. Le débat sur le travail le dimanche fait régulièrement ressurgir ces arguments de part et d’autre !

Un prophète ne se soucie pas de la gestion courante. Il pose la question du sens, du but ultime de notre activité. Il ne regarde pas le comment, mais le pour quoi. Amos avertit ses concitoyens : si vous continuez à déchirer l’Alliance en ne respectant ni les pauvres ni le shabbat, vous allez droit dans le mur.

En rappelant ce qu’il faut observer sans condition, Amos est le champion de ce qu’on peut appeler – à la suite de Max Weber – l’éthique de conviction (Gesinnungsethisch).

L’exil à Babylone sera perçu après-coup comme l’accomplissement de cet avertissement prophétique qui malheureusement n’a pas été entendu.

Dans la parabole dite du gérant malhonnête ou de l’argent trompeur, Jésus semble faire l’éloge d’un autre point de vue. Le gestionnaire qui s’en mettait plein la poche grâce à ses commissions réfléchit avec sagesse : ?tant que j’ai encore un peu de pouvoir avant d’être licencié pour de bon, autant en faire un usage intelligent. Je vais m’arranger pour me faire des obligés qui me dépanneront lorsque je serai sans emploi’. Autrement dit : il pense d’abord aux conséquences de l’usage de son pouvoir, et c’est en fonction de cela qu’il fait le choix de renoncer à ses commissions exorbitantes. Le calcul qu’il fait est effectivement habile : mieux vaut sacrifier des profits immédiats si cela me permet d’éviter la case Pôle Emploi plus tard… Si je veux des résultats, il faut que je calcule les effets de mes actes et que j’agisse en conséquence.

Ce gérant habile est le champion de l’éthique de responsabilité (Verantwortungsethisch, toujours selon Max Weber). D’ailleurs c’est justement parcequ’il doit répondre (=>responsable) de sa gestion qu’il se met à calculer la suite.

Alors : agir par conviction ou en fonction des conséquences ?

Max Weber résume ainsi le dilemme :

Éthique de conviction, éthique de responsabilité dans Communauté spirituelle b522f96642a028000e9e7110.L._SY445_Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordon­née à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité ou selon l’éthique de la convic­tion.

Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de responsabilité à l’absence de conviction. Il n’en est évidemment pas question.

Toutefois il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction – dans un langage religieux nous dirions: « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action il s’en remet à Dieu »?, et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. »

Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l’éthique de conviction que son action n’aura d’autre effet que celui d’accroître les chances de la réaction, de retarder l’ascension de sa classe et de l’asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi.

Au contraire le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir. Il dira donc : « ces conséquences sont imputables à ma propre action. »

Le partisan de l’éthique de conviction ne se sentira « responsable » que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas, par exemple sur la flamme qui  anime la protestation contre l’injustice sociale. Ses actes qui ne peuvent et ne doivent avoir qu’une valeur exemplaire mais qui, considérés du point de vue du but éventuel, sont totale­ment irrationnels, ne peuvent avoir que cette seule fin : ranimer perpétuellement la flamme de sa conviction.

Max Weber, le savant et le politique, 1919 (Politik als Beruf)

Prenez l’exemple de la corruption, si courante dans certains milieux professionnels (le BTP, l’armement, les marchés publics, voire certains milieux administratifs à Marseille ou en Corse etc.). Les « réalistes » vous diront : ?si je veux garantir mon carnet de commandes, il faut que je sacrifie comme les autres à la pratique du dessous-de-table, sinon je n’obtiendrai aucun marché. Mieux vaut écorner les grands principes et être efficace au service de mes salariés’. Les « idéalistes » rétorqueront : ?vous n’avez donc aucune conviction ? Vous vous reniez vous-même en acceptant de corrompre ou d’être corrompu. Et puis à terme, vous perdez en compétence ; vous compromettez votre survie car vous ne serez plus le meilleur sur le marché si vous vous habituez à le remporter sur d’autres critères que votre compétence’.

argent_1_4 argent dans Communauté spirituelleOn présente souvent le Christ du côté de l’éthique de conviction : prophète de l’amour de l’autre, il semble se moquer éperdument des conséquences de ses affirmations. Son impératif d’amour des ennemis, le pardon illimité, le renoncement volontaire semblent contre-productifs dans une économie moderne. L’intérêt de notre parabole du gérant malhonnête est de nuancer ce portrait. Jésus pratique visiblement l’éthique de responsabilité avec subtilité. « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur » résonne comme un appel à réfléchir aux conséquences de ses actes, et à agir en responsable pour aujourd’hui et pour demain. Jésus regrette que « les fils de ce monde soient plus habiles que les fils de la lumière ». L’habileté prônée ici, c’est justement l’éthique de responsabilité qui doit louvoyer de manière efficace entre les écueils des contraintes qui s’imposent pour arriver à ramener le bateau à bon port.

Alors : agir en fonction de ses convictions ou en fonction des conséquences ?

Le Christ a savamment assumé ces deux lignes de conduite. Il a préféré risquer l’humiliation de la croix plutôt que de renoncer à sa conviction sur l’amour inconditionnel. Il a également dosé ses paroles ses actes en fonction de son auditoire, et a fait preuve « d’habileté » pour gagner les coeurs et les esprits.

Faut-il choisir entre ces deux éthiques ?
Ne vaudrait-il pas mieux pour chacun de nous prendre conscience de son penchant naturel, et ainsi le corriger en travaillant davantage l’autre posture éthique ?
Ceux qui auraient tendance à être des prophètes absolutistes feront bien de réfléchir aux effets induits de leurs prises de position, notamment sur les plus pauvres. On sait en économie qu’il y a des effets pervers à toute bonne intention.
Ceux qui seraient naturellement de bons gestionnaires visant l’efficacité avant tout feraient bien d’interroger leurs pratiques : au service de quoi / de qui suis-je en train de me dépenser ?

Que serait un convaincu irresponsable ?
Que serait un responsable cynique ?

 

 1ère lecture : Les mauvais riches (Am 8, 4-7)
Lecture du livre d’Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix, et fausser les balances. Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
Le Seigneur le jure par la Fierté d’Israël : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. »

Psaume : Ps 112, 1-2, 5-6, 7-8

R/ Béni sois-tu Seigneur, toi qui relèves le pauvre.

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? 
Lui, il siège là-haut. 
Mais il abaisse son regard 
vers le ciel et vers la terre. 

De la poussière il relève le faible, 
il retire le pauvre de la cendre 
pour qu’il siège parmi les princes, 
parmi les princes de son peuple.

2ème lecture : La prière universelle (1Tm 2, 1-8)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée
J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux. Voilà une vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter, car il veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité.
En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous les hommes. Au temps fixé, il a rendu ce témoignage pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’Apôtre ? je le dis en toute vérité ? moi qui enseigne aux nations païennes la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions.

Evangile : L’argent trompeur (brève : 10-13) (Lc 16, 1-13)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour qu’en sa pauvreté vous trouviez la richesse. Alléluia. (2 Co 8, 9)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu’il gaspillait ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.’
Le gérant pensa : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n’ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m’accueillir.’
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ? ? Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’
Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ? ? Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris quatre-vingts.’
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande. Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. »
Patrick Braud

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18 septembre 2010

Trompez l’Argent trompeur !

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Dimanche 19 septembre 2010

25° Dimanche du temps ordinaire / Année C

 

Trompez l’Argent trompeur !

 

L’argent à toutes les sauces

Trompez l'Argent trompeur ! dans Communauté spirituelle 341254-illustration-de-l-39-argent-sale-dans-un-panier--linge« L’argent sale » : les plus anciens se souviennent de la charge de François Mitterrand contre l’argent à une émission de Bernard Pivot en 1975.

« Les années fric » ont consacré, juste après, l’échec de cette volonté morale. Les années 80 ont vu des anti-héros comme Tapie ou des bombes à retardement comme les « affaires » exalter l’individualisme et le cynisme comme réussites indispensables.

« L’argent roi » semble avoir pris le relais plus récemment, des traders aux primes ahurissantes jusqu’au bling-bling de ceux qui affichent leur fortune.

De l’argent roi à « l’argent fou », il n’y avait qu’un pas, vite franchi avec la crise financière et l’éclatement des bulles spéculatives…

 

Est-ce tout cela (et bien d’autres choses encore !) que Jésus vise en parlant de « Mammon d’iniquité » (traduit par « argent trompeur ») ?

Sans doute, mais pas par moralisme.

Jésus n’a rien de puritain ni d’austère dans sa dénonciation de l’argent inique. Il s’attaque à la racine du mal qui peut causer tant de dégâts : non pas l’argent, mais le culte de l’argent.

 

Le dieu Mammon

Mammon  [1] sonne comme le nom d’une divinité devant laquelle on se prosterne.

 mammon-euro-dollar1 argent dans Communauté spirituelle

Ce terme n’est employé que cinq fois dans la Bible :

Siracide 31,8 : « bienheureux le riche qui se garde sans tache et qui ne court pas après l’or ».

Matthieu 6,24 et Luc 16,13 : « vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ».

Courir après la richesse équivaut donc à rendre un culte à l’argent comme à une divinité : Mammon.

 

Cet « argent trompeur » (Luc 16,9. 11) a pour amis les pharisiens (aux dires de Luc 16,14 qui exagère un peu…). Alors que le gérant habile va se faire des amis parmi les débiteurs de son maître.

 

L’argent trompeur glorifie « ce qui est élevé pour les hommes, mais dégoût devant Dieu » (Lc 16,14), ce qui correspond bien au bling-bling… [2] Le gérant « habile » lui est glorifié par Jésus lui-même : « le maître fit son éloge parce qu’il s’était montré avisé » (16,8).

 

Tromper l’Argent trompeur

Par quelle ruse ce gérant a-t-il réussi à diminuer la dette des pauvres, étranglés par son maître ?

Peut-être tout simplement en renonçant à sa commission. Employé au service des contentieux et recouvrements, il avait droit à un pourcentage sur les remboursements des prêts qu’il arrivait à obtenir. En sacrifiant un juteux profit immédiat, il investissait à long terme dans des amis reconnaissants, et donc très sûrs.

Très bon calcul d’efficience économique, où la foi n’intervient pas !

Mais Jésus montre avec sagesse que lorsque sa vie est en jeu, même un « fils de ce monde » est capable de tromper l’argent trompeur. Ordinaire_25_C_94D économie

 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit :

- détourner la formidable puissance de l’argent au service de l’amitié avec les pauvres (les débiteurs) plutôt qu’avec les puissants ;

- ruser avec le prêt à intérêt pour qu’il rapproche les hommes au lieu de les soumettre (le micro-crédit est une harmonique moderne de cette habileté évangélique) ;

- rétablir la primauté du long terme (relationnel) sur le court terme (financier) : la crise des subprimes a fait exactement l’inverse) ;

- utiliser les marchés financiers pour que la dette des pauvres soit moins lourde : vaste programme qui va aujourd’hui de la renégociation de la dette des pays en voie de développement jusqu’à l’expansion de l’épargne solidaire, des fonds de placement éthiques, de la finance « solidaire », « islamique » etc?

- considérer le don comme juste redistribution [3] (et non comme une attitude compassionnelle), voire même un investissement à long terme.

 

Les croyants (de toute religion) sont ainsi invités à se montrer plus habiles que les ?adorateurs’ de Mammon : non pas en dénigrant l’argent, ni en y renonçant, mais en rusant avec lui, tel un barrage avec le torrent de montagne, pour qu’il soit un bon serviteur et non un mauvais maître.

 

Une famille aisée peut ainsi redistribuer jusqu’à 10 % de ses richesses (la dîme !) sans en tirer aucune gloriole. Une autre famille saura accepter ces dons (car c’est humiliant d’accepter d’être aidé sinon) sans se décourager.

Au contraire : l’argent habilement détourné de sa tendance idolâtre deviendra un vrai lien de fraternité [4].

 

Comment tromper l’argent trompeur ?

De la gestion de vos économies/vos dettes à votre attitude envers la course au profit/à la gloire, laissez cette question tourner et retourner en vous cette semaine…

« Car là où est ton trésor, là aussi est ton coeur » (Mt 6,21)


[1]Le mot Mammon est d’origine incertaine. Certains le rapprochent de l’hébreu matmon signifiant : trésor, argent. D’autres du phénicien mommon = bénéfice. L’Encyclopaedia Universalis en fait la transcription du mot grec mamônas, probablement dérivé de la racine hébraïque amên = ce qui est fidèle, sûr. On aurait alors un paradoxe de l’argent dans le nom lui-même : destiné à être fidèle, sûr, digne de confiance (penser à la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire digne de foi - fides -, de confiance), Mammon est dévoyé de sa vocation lorsqu’on en fait un Dieu.

Tromper l’argent trompeur, c’est finalement rendre Mammon à sa vraie nature : être vecteur de confiance, de fidélité, de foi au Dieu véritable, pas aux idoles…

 

[2] Le mot ?argent’ vient d’ailleurs d’une racine indo européenne ?arg’, signifiant : brillant !

 

[3]Somme Théologique, II-II Qu.32 a. 7 ad 2. : 3. Dans le cas d’extrême nécessité tous les biens sont communs. Il est donc permis à celui qui se trouve dans une telle nécessité de prendre à autrui ce dont il a besoin pour sa subsistance, s’il ne trouve personne qui veuille le lui donner. Pour la même raison, il est permis de détenir quelque chose du bien d’autrui et d’en faire l’aumône, et même de le prendre, s’il n’y a pas d’autre moyen de secourir celui qui est dans le besoin. Cependant, quand on peut le faire sans péril, on doit venir en aide à celui qui est dans une nécessité extrême après avoir recherché le consentement du propriétaire.

 

[4]Le Catéchisme de l’Église catholique de 1998 écrit au n° 2424 : Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l’activité économique est moralement inacceptable. L’appétit désordonné de l’argent ne manque pas de produire ses effets pervers. Il est une des causes des nombreux conflits qui perturbent l’ordre social (cf. GS 63; LE 7; CA 35).

   Un système qui « sacrifie les droits fondamentaux des personnes et des groupes à l’organisation collective de la production » est contraire à la dignité de l’homme (GS 65). Toute pratique qui réduit les personnes à n’être que de purs moyens en vue du profit, asservit l’homme, conduit à l’idolâtrie de l’argent et contribue à répandre l’athéisme. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon » (Mt 6,24; Lc 16,13).

 

 

1ère lecture : Les mauvais riches (Am 8, 4-7)

Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays,
car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix, et fausser les balances.
Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
Le Seigneur le jure par la Fierté d’Israël : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. »

 

Psaume : Ps 112, 1-2, 5-6, 7-8

R/ Béni sois-tu Seigneur, toi qui relèves le pauvre

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut. 
Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre. 

De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre 
pour qu’il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.

2ème lecture : La prière universelle (1Tm 2, 1-8)

J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes,
pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux.
Voilà une vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter,
car il veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité.
En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus,
qui s’est donné lui-même en rançon pour tous les hommes. Au temps fixé, il a rendu ce témoignage
pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’Apôtre – je le dis en toute vérité – moi qui enseigne aux nations païennes la foi et la vérité.
Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions.

 

Evangile : Tromper l’argent trompeur  (Lc 16, 1-13)

Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu’il gaspillait ses biens.
Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.’
Le gérant pensa : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n’ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte.
Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m’accueillir.’
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ? -
Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’
Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ? – Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris quatre-vingts.’
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière.
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande.
Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ?
Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera ?
Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. » 
Patrick Braud 

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