L'homélie du dimanche (prochain)

20 avril 2025

Un seul cœur, une seule âme

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Un seul cœur, une seule âme

 

Homélie du 2° Dimanche de Pâques / Année C
27/04/25


Cf. également :
 
Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel
Quand vaincre c’est croire
Thomas, Didyme, abîme…
L’esprit, l’eau et le sang 
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?


1. La France éparpillée, façon puzzle

« Moi les dingues, j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle… Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile ».

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et diviséeLes cinéphiles auront reconnu une des répliques-cultes ciselées par Michel Audiard dans le film « les Tontons Flingueurs » (1963) ! Eh bien, il faut croire que la France est devenue un peu dingue, plus dingue que Raoul ! En effet, les sociologues et politologues analysant depuis des décennies l’évolution de notre société cumulent des diagnostics de plus en plus inquiétants sur les fractures françaises. Le sentiment d’insécurité culturelle (Laurent Bouvet, 2015) se répand de plus en plus dans certaines catégories populaires ou rurales. C’est un sentiment diffus de dilution de l’identité nationale dans un melting-pot de communautarisme à l’anglo-saxonne. Certaines enclaves paraissent même vivre à l’écart des autres et en dehors du mode de vie traditionnel : ce sont les fameux territoires perdus de la de la république (Georges Bensoussan, 2002).

Cet éparpillement façon puzzle – pour reprendre les mots d’Audiard – conduisent à une dangereuse archipélisation de la France (Jérôme Fourquet, 2019) en de multiples îlots juxtaposés, mais étrangers les uns aux autres. La société française apparaît de plus en plus clivée, où les fractures territoriales, sociales, culturelles, politiques et religieuses s’imbriquent mutuellement. La France périphérique (Christophe Guilluy, 2014) a engendré les manifestations des ‘Gilets jaunes’ en octobre 2018, et continue à dériver loin des métropoles, loin des banlieues et quartiers populaires. Ces oppositions rejoignent les clivages repérés par David Goodhart (The road to somewhere, 2017) entre les Somewhere et les Anywhere, les enracinés et les cosmopolites, les perdants et les gagnants de la mondialisation…

 

Bref : depuis l’effondrement après-guerre de la matrice catholique qui maintenait une certaine unité sociale, la cohésion de la société française est mise à rude épreuve, source de profonds changements à venir, et des violences qui vont avec…

 

2. Un unanimisme de façade ?

Cette archipélisation touche-t-elle l’Église de France ? Les catholiques ne sont-ils pas unis, et ce d’autant plus qu’ils se savent minoritaires ?

La première lecture de ce dimanche (Ac 4,32-35) nous fait rêver. Elle dépeint une communauté chrétienne n’ayant qu’« un seul cœur et une seule âme », partageant ses richesses pour prendre soin des pauvres, rendant témoignage à la résurrection de Jésus « avec grande puissance »… Trop beau pour être vrai ?

Acts 4:33-35 Ananie et SaphireLuc lui-même montre à plusieurs reprises dans les Actes des Apôtres que cette vision de l’Église unie est idyllique. Cela commence tout de suite après le beau tableau précédent avec Ananie et Saphire (Ac 5,1-11) qui trichent dans le partage de leurs biens, ce qui leur vaut une mort symbolique (une excommunication sans doute) par Pierre en personne. Certains dans la communauté avaient donc le cœur trop près du portefeuille ! Visiblement, tous ne jouent pas le jeu de ce communisme ecclésial idéal, et ce dès le début…


Les fractures internes s’aggravent avec les conflits opposant Grecs et Hébreux dans l’Église de Jérusalem : « En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien » (Ac 6,1). Le risque de division est si fort, si grave, qu’on invente alors le ministère diaconal – sous l’inspiration de l’Esprit Saint – pour éviter la rupture (Ac 6,5-6).


Plus tard, un autre conflit opposera les partisans de la circoncision qui veulent l’imposer aux nouveaux baptisés non juifs. Conflit redoublé avec la question des viandes provenant des sacrifices d’animaux faits aux idoles : peut-on les manger ou non ? Il faudra convoquer une assemblée de crise avec tous les courants représentés ; il faudra l’autorité collégiale des Douze, l’autorité singulière que Pierre mettra dans la balance, et la prière et le discernement de tous pour que ce premier concile de Jérusalem apaise quelque peu les tensions (Ac 15).


Le problème n’est pas réglé pour autant, car les judéo-chrétiens continuent de s’attacher aux prescriptions alimentaires et rituelles de la Torah, ce qui les coupent des autres (séparatisme religieux, déjà !). Paul est obligé de tonner contre Pierre en lui reprochant cette complicité avec des pratiques fragmentant la communauté (aujourd’hui, il tournerait contre la cacherout, le halal et autres coutumes séparatistes !) : « Quand Pierre est venu à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, parce qu’il était dans son tort. En effet, avant l’arrivée de quelques personnes de l’entourage de Jacques, Pierre prenait ses repas avec les fidèles d’origine païenne. Mais après leur arrivée, il prit l’habitude de se retirer et de se tenir à l’écart, par crainte de ceux qui étaient d’origine juive. Tous les autres fidèles d’origine juive jouèrent la même comédie que lui, si bien que Barnabé lui-même se laissa entraîner dans ce jeu. Mais quand je vis que ceux-ci ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre devant tout le monde : “Si toi qui es juif, tu vis à la manière des païens et non des Juifs, pourquoi obliges-tu les païens à suivre les coutumes juives ?” » (Ga 2,11-15).

Le même Paul, au caractère visiblement irascible, va se fâcher avec son collègue Barnabé ‑ à cause de Marc –, si bien qu’on faillit en venir aux mains : « L’exaspération devint telle qu’ils se séparèrent l’un de l’autre » (Ac 15,39) ! Même entre apôtres, on peut avoir de telles incompatibilités d’humeur qu’il vaut mieux rester loin l’un de l’autre pour éviter les clashs !

 

Tout cela lézarde significativement le bel unanimisme de façade proclamé dans notre première lecture…

Ces lézardes s’élargiront jusqu’à constituer des gouffres, des schismes, des oppositions meurtrières générant des guerres de religion et massacres en tout genre dans l’histoire des Églises. Le schisme de 1054 entre l’Orient et l’Occident déchire pour longtemps le tissu ecclésial. La réforme de Luther au XVI° siècle a mis l’Europe à feu et à sang. Et depuis, les protestants ne cessent de s’éparpiller façon puzzle : à chaque fois qu’un leader ne pense pas comme les autres, il fonde sa propre Église, à côté. Il existe plus de 45 000 dénominations protestantes dans le monde, d’après le Center for the Study of Global Christianity (ces dénominations incluent des Églises évangéliques, luthériennes, réformées, baptistes, pentecôtistes, adventistes etc.)

 

On voit que le rêve d’être « un seul cœur, une seule âme » s’est évanoui avec les siècles !

 

Le pape François parle de polarisation pour décrire les forces antagonistes et centripètes qui ont malmené l’Église catholique dans la réception du concile Vatican II :

« Le Concile nous rappelle que l’Église, à l’image de la Trinité, est communion (cf. Lumen gentium, n. 4.13). Le diable, au contraire, veut semer l’ivraie de la division. Ne cédons pas à ses flatteries, ne cédons pas à la tentation de la polarisation. Combien de fois, après le Concile, les chrétiens se sont-ils efforcés de choisir un camp dans l’Église, sans se rendre compte qu’ils déchiraient le cœur de leur Mère ! Combien de fois a-t-on préféré être « supporter de son propre groupe » plutôt que serviteurs de tous, progressistes et conservateurs plutôt que frères et sœurs, « de droite » ou « de gauche » plutôt que de Jésus ; s’ériger en « gardiens de la vérité » ou « solistes de la nouveauté », plutôt que de se reconnaître comme enfants humbles et reconnaissants de la Sainte Mère l’Église. Le Seigneur ne nous veut pas ainsi. Tous, nous sommes tous fils de Dieu, tous frères dans l’Église, tous Église, tous. »

Homélie du Pape François pour le 60° anniversaire du Concile Vatican II, 

Basilique Saint-Pierre, Mardi 11 octobre 2022, 

Mémoire de Saint Jean XXIII, Pape.

Un seul cœur, une seule âme dans Communauté spirituelle verresPolaClassiques
Polarisation
est un terme des sciences de l’optique : la lumière blanche du soleil est comme filtrée à travers les verres polarisants, qui ne laissent passer qu’une partie des spectres de cette lumière, en absorbant ou réfléchissant les autres. Une communauté polarisée filtre les lumières qu’elle tire de l’Écriture ou de l’Église, en ne laissant passer que les couleurs qui la conforte dans ses opinions a priori. La polarisation religieuse rejoint ainsi l’enfermement algorithmique par lequel les abonnés des réseaux sociaux ne vont aller regarder que les vidéos qui vont dans leur sens, poussés par les algorithmes qui ont détecté leur préférence.

 

Alors, « un seul cœur et une seule âme » ?

Il se pourrait que le portrait dressé par Luc de la communauté de Jérusalem ne soit pas un reportage journalistique, mais plutôt ce que le sociologue allemand Max Weber appelait un « idéal-type ». Autrement dit un modèle théorique rassemblant des éléments partiellement vécus (ici : l’unité, le partage, l’élan missionnaire) dans une construction « idéale » où s’exprime la vocation de la communauté.

« On obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie. » [1]

 

Par exemple, la visée du partage des richesses pour venir en aide aux pauvres est une caractéristique incontournable pour qu’un groupe se dise Église. Mais les modalités pour la réaliser pourront varier dans le temps. À Antioche, les chrétiens ne pratiquent déjà plus le communisme ecclésial de Jérusalem, mais l’entraide, la solidarité, l’aumône, sans vendre la totalité de leurs biens (Ac 11,29). Et dans les Actes des Apôtres, on voit Paul organiser une collecte pour les pauvres de l’Église de Jérusalem sans demander aux baptisés de se déposséder de tout (Ac 11,30 ; 1Co 16,1-3 ; 2Co 8).

 

Prendre soin des pauvres est essentiel. La manière de le faire variera.

Être unis dans la communauté est au cœur du message du Christ. La manière de vivre cette unité variera.

Rendre témoignage à la Résurrection est capital. Les visages de l’activité missionnaire de l’Église seront multiples et changeants.

 

3. La méthode du « consensus différencié »

En matière d’unité, les chrétiens ont très vite abandonné un modèle unitaire unique. Il y avait dans les cinq premiers siècles une pentarchie, c’est-à-dire une communion entre cinq sièges apostoliques (Jérusalem, Rome, Antioche, Constantinople, Alexandrie) qui chacun avait une primauté et une certaine indépendance. On était alors loin du monolithisme ecclésial ! Cette communion entre différents patriarcats ne s’est pas imposée par pragmatisme, mais sous l’influence de l’Esprit Saint, qui puise au cœur de Dieu une communion trinitaire rejaillissant en communion différenciée au sein des Églises et entre elles.


La doctrine de la justification ; déclaration communeLe mouvement œcuménique né du Congrès des Sociétés missionnaires protestantes d’Édimbourg en 1920 a très vite renoncé à la restauration d’une seule Église, pour promouvoir des liens d’affection, de connaissance et reconnaissance mutuelle, de charité entre toutes les Églises.

Depuis 1937, il existe un dialogue non officiel entre des théologiens catholiques et protestants francophones, fondé par l’abbé Paul Couturier (1881-1953) et quelques pasteurs réformés suisses. En 1942, ce groupe prit le nom de Groupe des Dombes. Il a publié, depuis, un certain nombre de rapports de haute valeur comme « Un seul maître. L’autorité doctrinale dans l’Église » en 2006. La méthode est le « consensus différencié » où chacun expose sa foi dans un souci de spécificité pour « entrer dans le point de vue de son frère, pour le mieux comprendre dans sa cohérence et pour s’en enrichir ».


Le 31 octobre 1999, catholiques et luthériens signaient la Déclaration commune sur la doctrine de la justification, mettant fin au conflit théologique sur le salut qui provoqua la Réforme. Le document précise comment chaque Église comprend le rôle premier de la foi dans le salut offert en Christ, tout en reconnaissant que la compréhension des autres Églises, exprimée en des termes différents, n’est pas incompatible avec la sienne.

Les artisans de la Déclaration commune peuvent se féliciter non seulement d’un geste historique, mais aussi d’avoir démontré la pertinence de la méthode du « consensus différencié ». Elle consiste à chercher et trouver les termes d’un consensus dans les vérités fondamentales, sans interdire que subsistent des différences dans le langage et les accentuations de chaque Église. On pourrait dire que les deux doctrines différentes ‑ catholique et luthérienne – représentent deux perspectives différentes sur le même Évangile. De la même manière que si je regarde la cathédrale de Strasbourg de deux côtés différents, je vois des choses différentes, néanmoins, c’est la même Église. Cette approche implique une compréhension de la vérité qui n’impose pas l’uniformité. Le pasteur André Birmelé aime ainsi parler de « consensus différenciant ». « C’est une manière de bien montrer que la différence fait partie du consensus. Que le consensus est lui-même ouvert à la différence, précise-t-il. Le texte biblique nous montre l’exemple d’un consensus différenciant : Matthieu, Jean ou Paul disent la même vérité en se servant de langages tout à fait différents. »

Cette méthode évite les pièges du relativisme comme du dogmatisme. C’est tout à fait différent d’une compréhension postmoderne qui dirait “tout se vaut”. Accepter les différences nécessite d’abord d’identifier ce qui est commun.

 

Les catholiques auraient intérêt à retrouver pour eux-mêmes la pratique de ce consensus différencié et différenciant !

En paroisse, c’est l’acceptation de pratiques liturgiques autres (répertoire de chants, styles de prière, gestes et expressions de foi etc.) sans imposer un seul style à tous les pratiquants, ni fuir ailleurs dès que quelque chose (ou quelqu’un) ne me convient plus…

Entre Églises, c’est la valorisation du charisme particulier propre à chacune. Les Églises orientales catholiques par exemple nous rappellent que les prêtres et diacres peuvent être mariés, que la vénération de l’icône peut avoir autant d’importance que l’adoration eucharistique etc.

Ce consensus différencié se concentre d’abord sur ce qui est commun, le noyau dur de la foi en quelque sorte, et opère un discernement entre les différents niveaux d’importance et de vérité des pratiques et des croyances de chacun.

 

Ce concept de consensus différencié et différenciant pourrait d’ailleurs être une source d’inspiration en entreprise également : cultiver une vision commune de la raison d’être et des valeurs de l’entreprise, tout en promouvant les initiatives diverses sans les aligner sur un seul modèle hiérarchique.

 

Avoir « un seul cœur, une seule âme » suppose de rester plusieurs ! C’est l’enjeu trinitaire de toute évangélisation : « qu’ils soient un comme nous sommes UN » (Jn 17,22), non pas à la manière des sociétés totalitaires, mais à la manière du Dieu-Trinité, dont l’unité résulte des relations d’amour entre les Trois. Sans cette visée « idéaltypique », malgré nos fractures actuelles, nous manquerions à notre vocation chrétienne : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35). Cette unité de cœur et d’âme n’est pas une construction humaine, mais un don de Dieu, à accueillir activement : « Je leur donnerai un seul cœur, un seul chemin, afin qu’ils me craignent chaque jour, pour leur bonheur et celui de leurs fils après eux » (Jr 32,39). Ézéchiel annonçait cette unité comme le fruit de l’Esprit de Dieu : « Je leur donnerai un même cœur, et je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de leur corps le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair » (Ez 11,19). Et les chroniqueurs de la royauté en Judas attribuent à « la main de Dieu » l’élan enthousiaste qui unissait le peuple dans l’exécution de la parole de YHWH : « Dans Juda aussi la main de Dieu se déploya pour leur donner un même cœur et leur faire exécuter l’ordre du roi et des chefs, selon la parole de YHWH » (2Ch 30,12).

 

Être un seul cœur, une seule âme : aspirer à ce don de Dieu demeure la ligne d’horizon de tout groupe se disant chrétien !

 

4. Thomas, ou l’unité par la foi

 archipel dans Communauté spirituelleRevenons à nos lectures de ce dimanche, en regardant Thomas parmi les Douze (Jn 20, 19-31). Curieusement, il n’était pas avec eux « en ce premier jour de la semaine » ; on dirait aujourd’hui qu’il a séché la messe du dimanche ! Ou plus exactement : il a manqué à l’Église en n’étant pas présent. Or déserter l’assemblée, c’est priver le Corps du Christ d’un de ses membres, irremplaçable. Thomas est le premier d’une longue série d’absences qui fracturent l’unité de l’Église : « Ne désertons pas nos assemblées, comme certains en ont pris l’habitude » (He 10,25). Comme quoi l’absentéisme dominical ne date pas d’aujourd’hui… Or c’est un coup de canif dans la tunique sans couture du Christ qu’est l’Église !

 

Thomas fait l’effort d’être là le dimanche suivant, sans doute intrigué par le récit des autres. C’est la rencontre avec le Ressuscité qui le convertira définitivement à l’unité ecclésiale. En touchant ses plaies, Thomas touchait le Corps du Christ (l’Église) et désormais ne le quittera plus.

Sans cette rencontre pascale, comment aimer l’Église, la pratiquer, vivre en communion avec elle ? C’est bien dans cet ordre que nous devons examiner à frais nouveaux l’absence de tant de baptisés à nos assemblées : non pas d’abord l’impératif moral ou une exigence autoritaire (‘aller à la messe’) mais d’abord une expérience pascale, dont découle l’amour de l’Église, en Église (faire corps avec le Christ, comme Thomas).

 

« Un seul cœur, une seule âme » : nous n’avons pas fini de laisser résonner cet appel de Luc ! Dans nos couples, nos familles, nos entreprises, nos paroisses… : où et comment pourrais-je pratiquer la méthode du consensus différencié pour progresser vers cet horizon de communion ?

__________________________________

[1]. Max Weber, L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales (1904) in Essais sur la théorie de la science, Paris, Pocket, 1992, p. 181.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32-35)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.

PSAUME
(117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! ou : Alléluia ! (117,1)


Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !


Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !


Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.
Il m’a frappé, le Seigneur, il m’a frappé,
mais sans me livrer à la mort.


La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !


DEUXIÈME LECTURE
« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » (1 Jn 5, 1-6)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.


ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia.Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick Braud

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14 juillet 2024

Droit dans le mur !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Droit dans le mur !

 

Homélie pour le 16° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

21/07/24

 

Cf. également :

Les écarts de Jésus et les nôtres
Il a détruit le mur de la haine
Medium is message
Du bon usage des leaders et du leadership
Des brebis, un berger, un loup
Le berger et la porte
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
Un manager nommé Jésus
Le Passe-murailles de Pâques


La faillite du mur de Gaza

Sur un tracé de 708 km, environ 500 km de murs ont été réalisés Il s’agit à 95 % d’une haute clôture, mais dans les endroits urbains, comme ici à Bethléem, le mur est en béton et atteint 9 m de haut.C’est un peu la ligne Maginot des Israéliens : le « mur de fer » séparant la bande de Gaza d’Israël était censé protégé les colons juifs des commandos du Hamas. Mais le 7 octobre 2023 au matin, des milliers de roquettes enfoncèrent le poste-frontière d’Eretz, y ouvrant une brèche énorme, des dizaines d’ULM de combattants volèrent par-dessus des 8 m de métal, un bulldozer ouvrit un passage à travers l’immense grillage fortifié prolongeant le mur de Gaza…

Stupéfaits, les Israéliens découvraient que ce mur si coûteux (plus d’un milliard de dollars), si technologique (bardé de capteurs, radars, surveillance vidéo etc.), fièrement construit depuis 2002 (à cause de l’intifada) pour garantir leur sécurité était en réalité un leurre…

La faillite de ce système sécuritaire est totale. Le mur n’a pas empêché les 1200 victimes et 252 otages juifs du Hamas. Que deviendra-t-il après la guerre actuelle en riposte à ce pogrom ? Peut-être Israël devait-il méditer sur la 2e lecture de ce dimanche :

« Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père » (Ep 2,13-18).

Paul sait bien qu’il y a un mur invisible séparant les juifs des non-juifs : les habits, la cuisine, les prescriptions juridiques, les rites, la circoncision, le shabbat, les papillotes, les  tsitsits etc. : tout sépare les uns des autres, tout nourrit la haine réciproque. On mesure mal aujourd’hui la révolution apportée par le christianisme, qui abolit ces différences en n’imposant plus ni la circoncision ni l’incirconcision, ni la cashrout, ni la kippa, ni tout le reste ! Mais il suffit d’appliquer le texte de Paul aux relations actuelles entre juifs et palestiniens pour réaliser le renversement inouï opéré en Christ : « en sa personne, il a tué la haine » (Ep 2,16) qui séparait les deux. Il a détruit le mur qui divisait la Terre sainte. Car « le Seigneur ne fait pas de différence entre les hommes » (Ac 10,34 ; 15,9), là où pourtant eux sacralisent ces différences au point de les ériger en murs infranchissables.

 

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, on croyait que cette époque d’enfermement des peuples était révolue. C’était oublier que l’humanité ne cesse d’ériger des murs tout au long de son histoire.

- Muraille de Chine

Le plus vieux est sans doute la Grande Muraille de Chine : plus de 6000 km de protection contre les invasions mongoles et autres, construit depuis le III° siècle et sans cesse reconstruit.

N’oublions pas les autres murailles hélas célèbres :

– Mur de Corée

238 km de murs dans la zone démilitarisée entre Corée du Nord et Corée du Sud (le film « Meurs un autre jour » s’ouvre sur une séquence spectaculaire où James Bond traverse cette zone en hovercraft !).

– Mur des sables

2700 km, 3 m de hauteur : ce mur construit par le Maroc dans les années 50 traverse le Sahara occidental pour protéger le pays des incursions du Front Polisario.

– Mur Inde–Bangladesh

3200 km de fil de fer barbelé : l’Inde a construit cette séparation entre les deux pays jusqu’en 2013, pour stopper les immigrations clandestines bangladaises.

- « Bouclier Est »
La Pologne va construire une ligne de fortification militarisée de 700 km de long en frontière de la Biélorussie et de Kaliningrad.

- Sans oublier les « Peace Walls » qui en Irlande séparent encore certains quartiers catholiques et protestants depuis 1970. Ni la « Ligne verte » (mur surveillé par la Force des Nations Unies) qui coupe l’île de Chypre en deux entre Turcs et Grecs.

- Ni le fameux mur USA–Mexique dont Donald Trump avait fait le symbole de sa détermination anti immigrationniste.

On le voit, l’humanité ne cesse d’ériger des murs depuis 1989 (plus de 70 autour du globe, sur 41 000 km, soit le tour de la Terre !). Sous couvert de préoccupations légitimes : terrorisme, immigration massive, trafics illégaux, insécurité, ils s’exposent au tard à la faillite de celui de Gaza. Et ils tombent sous la condamnation de Paul : Christ est venu détruire les murs de séparation entre les peuples, il est venu pour la communion et non la partition.

Comment puis-je contribuer à démasquer l’idéologie des murs de haine ?


Le mur du séparatisme

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et diviséeNous pourrions en France nous croire loin de ces dangers. Pourtant, le mur de Calais sépare la jungle des migrants de l’agglomération de Calais. Et la séparation dont parlait Paul est parfois dans les têtes plus que dans les parpaings, dans les cœurs plus que dans les barbelés. L’archipélisation de la France décrite par Jérôme Fouquet nous dessine en effet un paysage morcelé. Des groupes ethniques se rassemblent pour vivre entre eux dans certains quartiers ; des modes de vie s’imposent ici, incompatibles avec ceux qui sont pratiqués là. Moins de mariages mixtes, peu de liberté de changer de religion, police des mœurs, repli sur une langue étrangère… : des îlots se forment, afghans, marocains, algériens, turcs, comme autrefois polonais, italiens, portugais, mais plus radicaux, et portés  par des schémas culturels incompatibles. La perspective n’est plus le fameux « vivre ensemble », mais plutôt vivre séparés : chacun selon ses coutumes, ses langues, ses habits, sa cuisine, son quartier, son droit coutumier etc.


Bref : le séparatisme progresse à pas de géant. Le modèle anglo-saxon en faisait autrefois un éloge très idéologique, accusant la laïcité française de ne rien comprendre au mélange des peuples. Il semblerait que les Britanniques en reviennent, comme les Suédois, les Danois, les Norvégiens, tous pays où la montée des partis nationalistes inquiète mais révèle en creux la faillite du multiculturalisme.


Dans tous ces pays, pourquoi les chrétiens ne font-ils pas valoir davantage leur vision paulinienne de la société ? Pour Paul, prêcher le Christ c’est refuser tout séparatisme, qu’il soit juif ou païen. Abolir la circoncision, manger des viandes consacrées aux idoles, s’affranchir du shabbat, s’asseoir à la même table que les païens, laisser libre et ne rien imposer sinon le respect de l’autre : les premiers chrétiens ont appris à cohabiter – non sans tensions – entre hébreux, grecs, romains, esclaves et hommes libres, hommes et femmes…

Retrouvons cette capacité d’innovation sociale pour aujourd’hui ! Inventons des manières d’être où chacun peut exprimer le génie propre de sa culture d’origine tout en se mélangeant réellement aux autres.

Refusons le séparatisme qui fait mentir la croix du Christ, lui qui est « mort afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). Nous voulons la communion et non la séparation, la communion et non la créolisation (qui n’est jamais que la domination du nombre), la communion et non le mode de vie unique.

Comment puis-je contribuer à faire reculer le séparatisme autour de moi ?

 

Notre mur intérieur

clivage du moiDétruire le mur qui sépare juifs et nations, chrétiens et musulmans, israéliens et palestiniens, hindous et bangladais etc. : la division à l’extérieur ne doit pas nous faire perdre de vue la division à l’intérieur. Car le mur de la division passe au-dedans de nous. Ce que les psychologues appellent le clivage du moi est un défi commun à tous.
Qui ne s’affronte pas en effet à ce clivage intime où, comme le dit Paul encore, « je fais le mal que je ne voudrais pas et je ne fais pas le bien que je voudrais » (Rm 7,19) ? Au-dedans de notre esprit, de notre conscience, intelligence et volonté, s’affrontent des pulsions antagonistes, des projets contradictoires. Il y a en chacun des forces opposées le déchirant intérieurement. Surmonter ce clivage intime pour devenir davantage Un est la voie spirituelle ouverte par le Christ et en lui. Lui-même s’est battu à Gethsémani pour ne faire qu’un avec la volonté de son Père. Lui-même a dû accepter de surmonter sa répulsion juive envers la femme cananéenne, les lépreux embarrassants, la femme hémorroïsse, les impurs et les exclus de l’Israël d’alors. Et le possédé de Gérasa avoue lui-même être clivé au point d’utiliser le pluriel en parlant de lui, symptôme diabolique d’une personnalité profondément désunie : « que nous veux-tu Jésus de Nazareth ? Je sais fort bien qui tu es… » (Lc 4,34).

N’oublions pas que diabolos (diable) signifie diviseur en grec, exactement à l’opposé du synbolon (symbole) = rassembler, réunir, mettre ensemble.

Le clivage est diabolique ; l’unification est intérieure et divine.


Unifier sa conscience intérieure, unifier sa personne et ses actes, unifier son intelligence, sa volonté et ses sentiments : la vocation chrétienne est d’abord de vivre la communion trinitaire offerte en Christ, en devenant toujours plus cohérent avec soi-même, à la manière de Dieu.

Les incohérents finissent dans la folie. Incohérente, la lumière se dissipe, se disperse ; cohérente, elle a la puissance du faisceau laser capable de toucher les étoiles et sa précision pour toucher l’infiniment petit.

Dans quel domaine puis-je travailler à éliminer mes clivages intérieurs ?

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ramènerai le reste de mes brebis, je susciterai pour elles des pasteurs » (Jr 23, 1-6)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Quel malheur pour vous, pasteurs ! Vous laissez périr et vous dispersez les brebis de mon pâturage – oracle du Seigneur ! C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, contre les pasteurs qui conduisent mon peuple : Vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles. Eh bien ! Je vais m’occuper de vous, à cause de la malice de vos actes – oracle du Seigneur. Puis, je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées. Je les ramènerai dans leur enclos, elles seront fécondes et se multiplieront. Je susciterai pour elles des pasteurs qui les conduiront ; elles ne seront plus apeurées ni effrayées, et aucune ne sera perdue – oracle du Seigneur.
Voici venir des jours – oracle du Seigneur, où je susciterai pour David un Germe juste : il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, et Israël habitera en sécurité. Voici le nom qu’on lui donnera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »
 
PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.


Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.


Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.


Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.


Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

 
DEUXIÈME LECTURE
« Le Christ est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité » (Ep 2, 13-18)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père.
 
ÉVANGILE
« Ils étaient comme des brebis sans berger » (Mc 6, 30-34)
Alléluia. Alléluia. Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, après leur première mission, les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.
.Patrick Braud

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7 avril 2019

Rameaux : le conflit ou l’archipel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Rameaux : le conflit ou l’archipel

Homélie pour le Dimanche des Rameaux / Année C
14/04/2019

Cf. également :

Comment devenir dépassionnés
Rameaux : assumer nos conflits
Rameaux, kénose et relèvement
Briser la logique infernale du bouc émissaire
Les multiples interprétations symboliques du dimanche des rameaux
Le tag cloud de la Passion du Christ
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
C’est l’outrage et non pas la douleur
Il a été compté avec les pécheurs
Sortir, partir ailleurs…

L'Archipel français (Sciences humaines (H.C.)) par [Fourquet, Jerome]« L’archipel français ». Le dernier livre de François Fourquet [1] fait sensation, car il met des chiffres et un récit sur un phénomène que tous peuvent constater : la France depuis plusieurs décennies se fragmente en une multitude d’îlots sociologiques, ethniques, religieux, économiques de plus en plus morcelés, de plus en plus éloignés les uns des autres. François Hollande confiait paraît-il sa crainte de voir arriver l’éclatement du pays : « Comment peut-on éviter la partition ? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire : la partition. » [2] À en croire Fourquet, l’archipélisation de la France est en marche, si l’on peut oser ce néologisme et ce jeu de mots.

Quel rapport avec les Rameaux, direz-vous ? Plusieurs.

- Le premier est le sens même de la mort du Christ. Selon Jean, Jésus est mort « afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). Toute fragmentation d’une société qui s’émiette en communautés juxtaposées et presque étrangères les unes aux autres contredit le sens de la Passion du Christ et annule pour ainsi dire le don de l’unité liée à la Croix. Le modèle de la communion entre les citoyens pour les chrétiens est trinitaire, conjuguant l’altérité et l’unité, la communion et la différence, la distinction et le lien, à l’image des trois personnes divines ne faisant qu’un, sans séparation ni confusion. Si les enfants d’ouvriers et d’employés sont quasiment absents des écoles préparatoires et des grandes écoles, si les clubs de sport ne mélangent plus les classes sociales, si les musulmans mangent avec les musulmans, les juifs avec les juifs, les riches avec les riches, les pauvres avec les pauvres, si l’on ne fréquente plus l’autre au point d’ignorer comment il vit, alors le désir du Christ de rassembler sera mis en échec de façon dramatique.

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- La deuxième raison théologique qui nous pousse à dénoncer et combattre l’archipélisation de la France tourne autour de la question de la vérité. Pourquoi Jésus est-il mis à mort ? Parce qu’il dit la vérité sur l’homme, et que cette vérité dérange les groupes religieux juifs qui ne veulent pas l’entendre, dérange les révolutionnaires comme Judas qui lui préfèrent  l’action armée, dérange Hérode qui veut des miracles et non le vrai, dérange Pilate qui craint le désordre… Alors les grands prêtres préfèrent mentir et accuser Jésus de blasphème plutôt que d’accueillir sa vérité. Alors Judas préfère livrer Jésus en espérant peut-être une alliance contre nature, sourd aux paroles de Jésus sur la non-violence et sur le Royaume qui n’est pas de ce monde. Alors Hérode traite par le mépris ce prophète qui ne veut pas faire le magicien. Alors Pilate choisit la compromission pour ne pas avoir d’ennuis, et trouve l’habile stratagème de Barabbas pour se défausser de sa responsabilité.

Qu'est-ce que la vérité ? : conférences Notre-Dame de Paris, carême 2007Ainsi en est-il encore aujourd’hui. Chaque groupe ne reçoit que ce qu’il a envie d’entendre. Pire encore, il se fabrique sa vérité en fonction du bien qu’elle lui procure et du renforcement qu’elle donne à ses croyances. Il n’y a plus guère de monde commun, mais un archipel de mondes qui s’ignorent et ne s’affrontent même plus. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène en créant des communautés virtuelles où l’on ne côtoie que le même grâce à la technologie. C’est le fameux enfermement algorithmique [3] qui enclot chaque groupe dans sa radicalisation en ne lui donnant à consulter que ce qui lui ressemble déjà.

Ce faisant, chacun évite le débat avec l’autre, la confrontation avec ses idées. Or il n’y a pas de démocratie sans débat d’idées, sans conflits d’interprétations. Sinon, le totalitarisme pointe le bout de son nez, même s’il est circonscrit à un petit groupe.

Tout se passe comme si la question de la vérité n’intéressait plus nos concitoyens, à l’image de Pilate désabusé : « qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18,38). À tel point que la conseillère de Trump parlait de « faits alternatifs » (!) pour justifier sa revendication extravagante d’une foule immense à l’investiture de son candidat. Le très sérieux dictionnaire Oxford a même fait du mot « post-vérité » (post-truth) le mot de l’année 2016, avec la définition suivante : « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Brice Couturier commente : « La démocratie est donc entrée dans l’ère de la post-vérité : des faits avérés ne parviennent plus à convaincre les électeurs » [4].
Plutôt que de se confronter au réel, ou à la contradiction, chaque île de l’archipel bricole sa vérité pour conforter ses croyances. Les « fake news » pullulent. Les médias officiels se croient obligés de faire du « fact checking », de démêler « l’infox » de l’info, mais retombent dans le politiquement correct et le discours des dominants. L’émiettement de la société se fait sur le dos de la vérité, qui ne passionne pas les foules.

Rameaux : le conflit ou l'archipel dans Communauté spirituelle droppedImage_1

Que faire pour conjurer ces forces de fragmentation sociale ?

Jésus dans sa Passion entre résolument en conflit avec les fausses interprétations de Dieu qui sont dominantes autour de lui. Il aurait pu rester tranquille, et développer à l’écart une secte évitant d’avoir des problèmes avec les juifs, les Romains et les autres. Or il prend avec courage le chemin de Jérusalem, « rendant son visage dur comme la pierre » ainsi que  le note Luc (Lc 9,51 ; 19,28 litt), ce qui en dit long sur sa conscience du conflit à venir. Ses disciples lui reprochent ce suicide politique : « Rabbi, tout récemment encore les Juifs cherchaient à te lapider ; et tu veux retourner là-bas ? » (Jn 11,8).

S’engager pour la vérité leur fait peur, à juste titre. D’ailleurs, Pierre préférera mentir que de prendre parti une fois ce conflit ouvert : « je ne connais pas cet homme » (Mt 26,12.74). Le regard que Jésus pose alors sur lui le hantera toute sa vie : impossible de suivre le Christ sans entrer en conflit avec les mensonges et les idéologies qui le  contredisent.

C’est donc en assumant publiquement le conflit, sans haine ni violence – au contraire en pratiquant l’amour de ses ennemis – que le Christ va mettre la question de la vérité au centre de la possibilité du vivre ensemble. « Je suis né pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). Si nous abandonnons cette question de la vérité, en la renvoyant au subjectivisme et au relativisme ambiant, nous deviendrons complices de l’archipélisation de nos sociétés. Pas facile, car cela va nous entraîner des ennuis, inévitablement. Par exemple, proclamer la valeur de toute vie du tout début jusqu’à la mort heurte de front les intérêts eugénistes et sélectifs revendiqués comme des droits aujourd’hui au nom d’une liberté individuelle coupée du bien commun. Se battre pour les exclus et les moins-que-rien nous attirera les foudres des puissants. Fréquenter les infréquentables fera rejaillir sur nous le mépris dont on les accable. « Il a été compté avec les impies » (Lc 22,37 cf. Is 53,12) : si cette phrase d’Isaïe s’est appliquée à Jésus, elle s’appliquera également à nous lorsque comme lui nous entrerons en conflit avec les mensonges de notre temps.

CrucifixPrenons donc garde à ne pas contredire les rameaux que nous rapportons chez nous pour les mettre au-dessus de nos crucifix. Tout ce qui alimente l’archipélisation de la société reproduit et amplifie la Passion du Christ. Toutes les pratiques de l’entre-soi, depuis les crèches des enfants jusqu’à leurs lycées en passant par l’apartheid social des quartiers d’habitation, des loisirs sans mélanges, des manières de se nourrir ou de s’habiller, tout ce qui fragmente l’appartenance à un monde commun devient un péché contre la mort du Christ, bien plus grave que de manquer la messe ou ne pas jeûner le vendredi.

Le refus de cet éclatement social passe par le courage et la passion pour la vérité. Une vérité qui se joue dans le combat contradictoire, dans les argumentations rigoureuses, dans  la recherche du consensus. Si nous ne laissons pas l’Esprit du Christ insuffler en nous son courage pour dénoncer les mensonges actuels sur l’homme, la fragmentation sociale continuera : par îlots juxtaposés, chacun se bricolera sa vérité, évitant soigneusement la rencontre et le débat avec les autres vérités.

Or le conflit de la Passion ouvre la possibilité de l’unité au-dessus des parties en présence. Alors qu’il aurait pu prospérer dans son coin sur le succès des Rameaux lors de l’entrée à Jérusalem, Jésus a choisi de porter le conflit au cœur du Temple, au cœur du pouvoir romain et des collaborateurs de l’occupant. Sans ce conflit ouvert, pas de manifestation de la vérité, pas de communion possible entre tous.

La Passion du Christ que nous célébrons en ce dimanche des Rameaux nous avertit : rendre témoignage à la vérité (le Christ en personne) est plus important que de vivre tranquillement.

Choisir le conflit vaut mieux que consentir à l’archipel…

 


[1]. Seuil, 2019.
[2]. Gérard Davet et Fabrice Lhomme : Un président ne devrait pas dire ça…, Stock, 2016.
[3]. Cf. La déradicalisation selon saint Paul
[4]. Brice Couturier, « Comment on a tué la vérité », dans Le Point, 19 janvier 2015.

 

 

Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur

Procession des Rameaux
Entrée messianique (Lc 19, 28-40)

En ce temps-là, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem. Lorsqu’il approcha de Bethphagé et de Béthanie, près de l’endroit appelé mont des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, en disant : « Allez à ce village d’en face. À l’entrée, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous demande : ‘Pourquoi le détachez-vous ?’ vous répondrez : ‘Parce que le Seigneur en a besoin.’ » Les envoyés partirent et trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. Alors qu’ils détachaient le petit âne, ses maîtres leur demandèrent : « Pourquoi détachez-vous l’âne ? » Ils répondirent : « Parce que le Seigneur en a besoin. » Ils amenèrent l’âne auprès de Jésus, jetèrent leurs manteaux dessus, et y firent monter Jésus. À mesure que Jésus avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin. Alors que déjà Jésus approchait de la descente du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus, et ils disaient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, réprimande tes disciples ! » Mais il prit la parole en disant : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. »

Messe de la Passion
Première lecture (Is 50, 4-7)

Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.

Psaume (21 (22), 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a)

Tous ceux qui me voient me bafouent ;
ils ricanent et hochent la tête :
« Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure ;
Ils me percent les mains et les pieds, je peux compter tous mes os.
Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement.
Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin : ô ma force, viens vite à mon aide !

Tu m’as répondu !
Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
Vous qui le craignez, louez le Seigneur.

Deuxième lecture (Ph 2 6-11)

Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

Évangile (Lc 22, 14 – 23, 56)

Indications pour la lecture dialoguée : Les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants : X = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. Quand l’heure fut venue, Jésus prit place à table, et les Apôtres avec lui. Il leur dit : X « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. » L. Alors, ayant reçu une coupe et rendu grâce, il dit : X « Prenez ceci et partagez entre vous. Car je vous le déclare : désormais, jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. » L. Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : X « Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » L. Et pour la coupe, après le repas, il fit de même, en disant : X « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang répandu pour vous. Et cependant, voici que la main de celui qui me livre est à côté de moi sur la table. En effet, le Fils de l’homme s’en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme-là par qui il est livré ! » L. Les Apôtres commencèrent à se demander les uns aux autres quel pourrait bien être, parmi eux, celui qui allait faire cela. Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? Mais il leur dit : X « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi. Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu sera revenu, affermis tes frères. » L. Pierre lui dit : D. « Seigneur, avec toi, je suis prêt à aller en prison et à la mort. » L. Jésus reprit : X « Je te le déclare, Pierre : le coq ne chantera pas aujourd’hui avant que toi, par trois fois, tu aies nié me connaître. » L. Puis il leur dit : X « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous donc manqué de quelque chose ? » L. Ils lui répondirent : D. « Non, de rien. » L. Jésus leur dit : X « Eh bien maintenant, celui qui a une bourse, qu’il la prenne, de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une. Car, je vous le déclare : il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : Il a été compté avec les impies. De fait, ce qui me concerne va trouver son accomplissement. » L. Ils lui dirent : D. « Seigneur, voici deux épées. » L. Il leur répondit : X « Cela suffit. » L. Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. Arrivé en ce lieu, il leur dit : X « Priez, pour ne pas entrer en tentation. » L. Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant : X « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » L. Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse. Il leur dit : X « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. » L. Il parlait encore, quand parut une foule de gens. Celui qui s’appelait Judas, l’un des Douze, marchait à leur tête. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Jésus lui dit : X « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ? » L. Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : D. « Seigneur, et si nous frappions avec l’épée ? » L. L’un d’eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille droite. Mais Jésus dit : X « Restez-en là ! » L. Et, touchant l’oreille de l’homme, il le guérit. Jésus dit alors à ceux qui étaient venus l’arrêter, grands prêtres, chefs des gardes du Temple et anciens : X « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres. » L. S’étant saisis de Jésus, ils l’emmenèrent et le firent entrer dans la résidence du grand prêtre. Pierre suivait à distance. On avait allumé un feu au milieu de la cour, et tous étaient assis là. Pierre vint s’asseoir au milieu d’eux. Une jeune servante le vit assis près du feu ; elle le dévisagea et dit : A. « Celui-là aussi était avec lui. » L. Mais il nia : D. « Non, je ne le connais pas. » L. Peu après, un autre dit en le voyant : F. « Toi aussi, tu es l’un d’entre eux. » L. Pierre répondit : D. « Non, je ne le suis pas. » L. Environ une heure plus tard, un autre insistait avec force : F. « C’est tout à fait sûr ! Celui-là était avec lui, et d’ailleurs il est Galiléen. » L. Pierre répondit : D. « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » L. Et à l’instant même, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. Alors Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement. Les hommes qui gardaient Jésus se moquaient de lui et le rouaient de coups. Ils lui avaient voilé le visage, et ils l’interrogeaient : F. « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » L. Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres blasphèmes. Lorsqu’il fit jour, se réunit le collège des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, et on emmena Jésus devant leur conseil suprême. Ils lui dirent : F. « Si tu es le Christ, dis-le nous. » L. Il leur répondit : X « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si j’interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. » L. Tous lui dirent alors : F. « Tu es donc le Fils de Dieu ? » L. Il leur répondit : X « Vous dites vous-mêmes que je le suis. » L. Ils dirent alors : F. « Pourquoi nous faut-il encore un témoignage ? Nous-mêmes, nous l’avons entendu de sa bouche. » L. L’assemblée tout entière se leva, et on l’emmena chez Pilate. On se mit alors à l’accuser : F. « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le trouble dans notre nation : il empêche de payer l’impôt à l’empereur, et il dit qu’il est le Christ, le Roi. » L. Pilate l’interrogea : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui le dis. » L. Pilate s’adressa aux grands prêtres et aux foules : A. « Je ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation. » L. Mais ils insistaient avec force : F. « Il soulève le peuple en enseignant dans toute la Judée ; après avoir commencé en Galilée, il est venu jusqu’ici. » L. À ces mots, Pilate demanda si l’homme était Galiléen. Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les grands prêtres et les scribes étaient là, et ils l’accusaient avec véhémence. Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux. Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple. Il leur dit : A. « Vous m’avez amené cet homme en l’accusant d’introduire la subversion dans le peuple. Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous et, parmi les faits dont vous l’accusez, je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation. D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé. En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » L. Ils se mirent à crier tous ensemble : F. « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. » L. Ce Barabbas avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre. Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole. Mais ils vociféraient : F. « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » L. Pour la troisième fois, il leur dit : A. « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. » L. Mais ils insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ; et leurs cris s’amplifiaient. Alors Pilate décida de satisfaire leur requête. Il relâcha celui qu’ils réclamaient, le prisonnier condamné pour émeute et pour meurtre, et il livra Jésus à leur bon plaisir. L. Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu’il la porte derrière Jésus. Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit : X « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : ‘Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !’ Alors on dira aux montagnes : ‘Tombez sur nous’, et aux collines : ‘Cachez-nous.’ Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? » L. Ils emmenaient aussi avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter. Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit : Le Crâne (ou Calvaire), là ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait : X « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » L. Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort. Le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : F. « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » L. Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant : F. « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » L. Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. » L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : A. « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » L. Mais l’autre lui fit de vifs reproches : A. « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » L. Et il disait : A. « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » L. Jésus lui déclara : X « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » L. C’était déjà environ la sixième heure (c’est-à-dire : midi) ; l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure, car le soleil s’était caché. Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu. Alors, Jésus poussa un grand cri : X « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » L. Et après avoir dit cela, il expira. Ici on fléchit le genou et on s’arrête un instant) À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : A. « Celui-ci était réellement un homme juste. » L. Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder. Alors arriva un membre du Conseil, nommé Joseph ; c’était un homme bon et juste, qui n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le règne de Dieu. Il alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix, l’enveloppa dans un linceul et le mit dans un tombeau taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé. C’était le jour de la Préparation de la fête, et déjà brillaient les lumières du sabbat. Les femmes qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée suivirent Joseph. Elles regardèrent le tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et, durant le sabbat, elles observèrent le repos prescrit.
Patrick BRAUD

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