L'homélie du dimanche (prochain)

17 février 2021

Ce déluge qui nous rend mabouls

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Ce déluge qui nous rend mabouls

Homélie pour le 1° dimanche de Carême / Année B
21/02/2021

Cf. également :

Gravity, la nouvelle arche de Noé ?
Poussés par l’Esprit
L’île de la tentation
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Une recette cocktail pour nos alliances
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…

Noé au Mont-Saint-Michel

Mt St MichelEntre deux confinements cet été, j’en avais profité pour visiter à nouveau cette merveille qu’est le Mont-Saint-Michel, improbable monastère fortifié entouré de mer et de sables. La vue depuis la terrasse de pierres de l’abbaye est splendide. À marée basse, le regard se perd dans les circonvolutions des sables mouvants tout autour, la rêverie se dilate à l’infini le long des sillons de vase transformant la laisse de mer en un vaste désert marron. Puis vient le flot de la marée montante, spectacle magnifique et angoissant à la fois. Même si l’eau ne monte pas à la vitesse d’un cheval au galop comme l’affirme la légende (6 à 8 km/h quand même !), elle submerge rapidement le désert de vase, et ceinture très vite les murailles du Mont. Impossible au fond de soi de ne pas avoir peur d’être englouti par cette puissance que rien n’arrête ! Et là, sur le caillou coiffé par l’abbaye, on se sent tout petit, protégé par seulement quelques mètres de hauteur… Les récentes crues de la Garonne et de la Charente suite aux pluies diluviennes nous ont hélas fait expérimenter à nouveau la puissance de l’eau qui monte sans que rien ne puisse l’arrêter.

Toutes proportions gardées, c’est à un mini-déluge que s’expose le pèlerin de marée montante au Mont-Saint-Michel ! Être cerné par l’eau, chercher un refuge, échapper à la submersion : Noé et sa famille ont dû eux aussi ressentir cette frayeur, à la puissance deux car l’eau venait aussi du ciel avec la pluie ! L’Arche fut leur Mont-Saint-Michel : bien au sec au sommet des vagues, protégés de la violence des flots par le bois de ce bateau étrange comportant un condensé du règne animal avec quelques humains.

Noé est le personnage central de notre première lecture (Gn 9, 8-15) ; il est cité à l’appui de la seconde.
Mais de quoi Noé est-il le nom ?

 

La promesse de l’arc-en-ciel

Ce déluge qui nous rend mabouls dans Communauté spirituelle rainbow-67902_960_720Bien des civilisations antiques ont raconté de tels phénomènes de submersion que nous appellerions aujourd’hui tsunamis. Les mésopotamiens, les perses, les babyloniens et tant d’autres ont connu de tels événements dramatiques depuis 5000 ans avant notre ère. Leurs nombreux récits – dont l’épopée de Gilgamesh est la plus connue – relataient déjà comment un héros a su échapper à ces flots meurtriers. Les chapitres de la Genèse sur Noé s’inspirent directement de ces textes plus anciens, perpétuant dans l’humanité le souvenir de sa fragilité : tout peut être englouti, balayé en quelques jours ! Des collapsologies avant le mot en quelque sorte.

La différence avec la Bible est que, avec Noé, Dieu promet de ne jamais recommencer ! Il s’engage – unilatéralement – à ne plus jamais détruire l’humanité : « Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre » (Gn 9, 11). Nous n’avons donc plus à vivre sous la menace d’une extinction globale, malgré les peurs contemporaines. La Bible a cette espérance chevillée au corps. Il est de la responsabilité humaine – et de sa compétence – désormais de ne pas provoquer d’autre déluge, et l’humanité a reçu l’intelligence et l’éthique pour cela. Il n’y a pas de menaces que nous ne puissions écarter : l’arc-en-ciel scintille de cette promesse divine, source de force et d’inspiration dans l’épreuve.

 

L’Arche, notre humanité enfin réconciliée

arche_de_noe-69bd8 arc en ciel dans Communauté spirituelleLes Pères de l’Église interprètent de façon allégorique la composition animale de l’Arche de Noé. Ils notent que les bêtes sauvages ne s’entredévorent pas, que de farouches  adversaires dans la nature vivent pacifiquement ensemble pendant des semaines au sein de l’Arche. Alors ils y ont vu l’image des passions bestiales qui se déchaînent d’habitude en l’être humain. Dans l’Arche, ces passions s’apaisent, la violence s’efface, les ennemis d’hier vivent en paix. L’Arche est donc la figure de notre humanité enfin réconciliée avec elle-même, avec ses passions. En elle, nous pouvons accueillir les lions et les serpents, les colombes et les gazelles qui peuplent notre personnalité et jadis la déchiraient. Le psychologue Carl Jung dirait que l’Arche nous permet d’apprivoiser notre part d’ombre, en la nommant, en lui permettant de monter à bord, en l’inscrivant dans un projet plus grand.

Aujourd’hui, nous pourrions prolonger en voyant dans l’arche le symbole de la réconciliation de l’humanité avec la Création qui l’entoure. Dans l’Arche, l’homme lui-même est pacifique : il ne tue ni par besoin ni par plaisir, il apprend à vivre en symbiose avec toutes les espèces. Le monde nouveau qu’annoncera un vol de colombe sera habité de cette autre promesse : il est possible de vivre en paix entre nous avec toutes nos différences, en paix avec les animaux dans leur diversité, en paix avec la nature qui devient une alliée après avoir été une menace (la pandémie actuelle nous rejoue la même partition…).

 

L’Arche figure de l’Église

1759 ArcheLa comparaison s’est imposée tout de suite aux premiers chrétiens : l’Église est la nouvelle arche que Dieu nous envoie, avec Jésus comme nouveau Noé pour nous sauver du déluge du péché et de la mort. L’analogie est facile : le bois de la croix renvoie à celui de l’Arche, les flots du baptême à ceux du déluge, la barque de Pierre au vaisseau de Noé, le baptême comme l’Arche nous gardent la tête hors de l’eau après avoir failli nous noyer etc. C’est cette image qui a inspiré Jean Vanier (malgré ses autres travers inacceptables) pour créer des foyers où des personnes handicapées mentales et physiques seraient accueillies pour vivre avec des bénévoles comme dans une famille. Dans ces maisonnées aujourd’hui encore, ces handicapés échappent au déluge de mépris, de dérision, d’incompréhensions ou de maltraitance qui serait leur lot autrement.

C’est un peu cela notre Église : une arche où il nous est donné d’expérimenter une communion venant de Dieu lui-même. Communion trinitaire entre nous – si juxtaposés, si séparés d’ordinaire – ; avec nos compagnons animaux dont on redécouvre la sensibilité, l’intelligence, et ce n’est que justice ; avec le monde créé qui nous entoure et dont les chrétiens partagent avec les écologistes de tous bords l’amour, le respect, la volonté de protection.

 

Les huit personnes sauvées dans l’Arche

La Menorah : histoire et signification du chandelier juifL’Arche est donc lieu de salut, pour tous les vivants. Notre deuxième lecture (1 P 3, 18-22) l’affirme à travers le nombre symbolique des personnes sauvées grâce à l’Arche : 8. « Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau ». Car il y a Noé et sa femme, ainsi que ses trois fils et leurs femmes, donc 8 personnes en tout. Or 8 est le chiffre messianique par excellence : le Messie viendra le huitième jour car c’est le premier jour de la nouvelle Création, après les sept jours de l’ancienne. Le chandelier de la fête juive de Hanoucca a 8 branches, car la fiole d’huile retrouvée dans les ruines du premier Temple a permis d’allumer les lampes pendant huit jours, le temps de fabriquer les nouvelles pour le nouveau Temple. Les chrétiens se sont appropriés cette symbolique messianique du 8 : Jésus est ressuscité un dimanche, le huitième jour de la semaine juive. Nos clochers et nos baptistères s’en souviennent, grâce à leur forme octogonale qui ne doit rien au hasard ni à l’architecture.

Bref : souligner que 8 personnes ont été sauvées grâce à l’Arche, c’est voir en Noé la figure de Jésus instaurant les temps messianiques pour toute l’humanité à travers sa résurrection. Efficace et convaincant pour les lecteurs familiers de la Genèse !

 

Le déluge à la lettre

silvioL’hébreu biblique est une langue merveilleuse, autant imagée que le français est conceptuel. En hébreu le mot déluge s’écrit מַּבּוּל et se prononce… « maboul » ! En français, le mot « Maboul » est un mot familier signifiant « fou ». Il vient de l’arabe ma’hbul, « fou, sot, stupide ». Mais en hébreu, Maboul, sans H, c’est le Déluge, selon Gn 6, 17 : « Et Moi, Je vais faire venir le déluge d’eaux (הַמַּבּוּל מַיִם, HMBWL MYM, HaMaboul Mayim) sur la terre, pour détruire toute chair ayant souffle de vie sous le ciel; tout ce qui est sur la terre périra ».

On pourrait d’ailleurs traduire ce terme par confusion d’eaux, folie furieuse de flots déchaînés, plutôt que par le latin diluvium = inondation. En effet, la confusion est à son comble pendant le déluge, car l’eau d’en-haut (la pluie) se joint à l’eau d’en-bas (la mer) pour faire disparaître tout horizon et tout repère. Sans GPS, impossible de se repérer dans cette confusion liquide ! Or le fou est celui qui vit dans la confusion et a perdu tout repère. L’homme devient maboul lui-même dans cette folie destructrice. Car la folie est la perte des repères, alors que la création est l’acte de séparer le ciel de la terre, la mer du sol  ferme etc. (Gn 1). Ne plus distinguer le bien du mal, l’homme de la femme, le juste de l’injuste, le droit du devoir, voilà un déluge qui à toutes les époques rend l’homme maboul de se laisser submerger par l’indifférenciation…

L’épisode de la tour de Babel sera à ce titre une reviviscence du déluge : les hommes – devenus fous à vouloir prendre la place de Dieu grâce à cette tour montant vers le ciel – s’élancent, comme les flots montant autour de Noé ou du Mont-Saint-Michel, engendrant une confusion meurtrière de l’humain et du divin. Du coup, Dieu répond par un anti-déluge en quelque sorte : la pluralité des langues, qui fait redescendre les bâtisseurs de la tour en d’un immense mascaret humain dispersant les nations à la surface de la terre pour les obliger à se parler à travers leurs différences.

Décidément, il y a mille manières de devenir maboul !

Les autres étymologies de notre récit du déluge sont elles aussi éclairantes.

- Le nom de Noé signifie : repos, tranquillité, en hébreu, selon Gn 5, 29 : « Il (Lamek) l’appela du nom de Noé, en disant : “Celui-ci nous soulagera de nos labeurs et de la peine qu’impose à nos mains un sol maudit par le Seigneur” »
La vocation de Noé et donc d’être le repos, non pas du guerrier mais de son père, Lameck, dans le nom signifie « puissant ». La puissance n’est pas tout : elle a besoin de s’apaiser. D’ailleurs, c’est vrai aussi de Dieu lui-même, car le terme Noé est utilisé pour décrire le Temple de Jérusalem : « Et maintenant, monte, Seigneur Dieu, vers le lieu de ton repos, toi, et l’arche de ta force ! Que tes prêtres, Seigneur Dieu, soient vêtus de salut, que tes fidèles exultent dans le bonheur ! » (2 Ch 6, 41). Tiens ! Dans la traduction française l’arche d’alliance est associée au repos–Noé, comme l’arche du déluge….

- Le seul autre usage du mot désignant l’Arche (הַתֵּבָ֔הcf. Gn 9,18) du déluge est… pour Moïse, sauvé des eaux lui aussi grâce au panier d’osier posé sur le Nil que la Bible appelle arche : « La fille de Pharaon descendit au fleuve pour s’y baigner, tandis que ses suivantes se promenaient sur la rive. Elle aperçut la corbeille (הַתֵּבָ֔ה) parmi les roseaux et envoya sa servante pour la prendre. » (Ex 2, 5).
Les figures de Noé et de Moïse se superposent ainsi, annonçant Jésus en filigrane comme le Messie du huitième jour venant accomplir les promesses de l’arc-en-ciel et de l’Exode.

Quant aux fils de Noé, leurs prénoms sont riches de signification.

Fils de Noé: Japhet, Cham, Sem à l'origine des ethnies de la terre- Cham signifie : chaud, bouillant. Autant son père Noé est calme et reposant, autant Cham  est « chaud-bouillant », tempérament que les Égyptiens incarneront dans l’histoire, « au pays de Cham » : « Alors Israël entre en Égypte, Jacob émigre au pays de Cham. » (Ps 105, 23).

- Japhet est « celui qui s’étend » : la Bible lui attribue une expansion sur les bords de la Méditerranée, vers le nord en Europe et une partie de l’Asie.

- Sem quant à lui porte un nom qui atteste de la grandeur de Dieu : Sem signifie « le nom, la renommée » en hébreu, et on sait que le nom de Dieu – YHWH – est imprononçable dans la tradition juive. « Béni soit son nom » (Sem) accompagne toute mention de l’Éternel. Sem est l’incarnation de ce respect du Nom de Dieu, le Tout-Autre, qui a donné aux hommes le pouvoir de nommer tout être, toute chose, excepté Dieu lui-même, plus grand que tout, échappant à toute mainmise. Les peuples sémites se reconnaissent de la descendance de Sem.

Évidemment, il manque dans cette liste les noms des quatre femmes qui accompagnaient ces quatre hommes aux noms si symboliques… La Genèse est encore très patriarcale !
Reste que les étymologies employées, par notre récit du déluge nous mettent sur la piste de notre vocation chrétienne pour nous aujourd’hui : être un lieu de repos, chaud-bouillant pour agir dans l’histoire, être celui qui s’étend au-delà des frontières connues, nommer  toutes choses… le tout pour ne pas devenir maboul !

En ce début de Carême, la liturgie nous remet en mémoire la figure de Noé pour y déchiffrer celle du Christ qui devient la nôtre par le baptême. En quoi me parle-t-elle ?

En outre, la liturgie fait le parallèle entre les tentations des 40 jours déserts et le déluge des 40 jours dans l’arche ! Mais ceci est une autre histoire…


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse

Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité,et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité,et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
 Patrick BRAUD

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25 février 2012

Une recette cocktail pour nos alliances

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Une recette cocktail pour nos alliances

 

1° Dimanche de Carême  / Année B

26/02/2012

 

« Quand on verra l’arc dans la nuée,  je me souviendrai de mon alliance entre moi, vous, et tout être vivant… »

 

Ce célèbre passage marque la première d’une longue série d’alliances. Il y aura après cette alliance noachique l’alliance abrahamique (la circoncision, l’alliance « entre les morceaux »), l’alliance davidique (avec l’onction d’huile pour introniser le roi) etc., jusqu’à la nouvelle Alliance en Jésus (le pain et le vin eucharistiques).

Ces alliances ont une structure commune, qui peut nous aider à faire vivre les alliances qui sont les nôtres, qu’elles soient amicales, sociales, ecclésiales, associatives etc…

Leur but ultime est finalement l’amour, à travers quatre composantes essentielles : l’amour demande des signes, une parole, une  mémoire, il est un appel à l’unité trinitaire.

 

1. Une alliance demande des signes

L’arc dans la nuée, c’est d’abord un signe, signe visible pour qui sait relever la tête et ne pas toujours rester le nez sur ses souliers. Un signe comme il nous en est souvent donné dans une relation profonde.

Que ce soit en amour, en amitié, dans une aventure professionnelle ou ecclésiale, chacun de nous a dans le coeur mille petits signes de son existence qu’après coup, nous pouvons interpréter comme des clins d’oeil divins, des clins d’yeux pourrait-on dire, si l’on craignait que Dieu n’attrape une crampe à la paupière à force de nous faire des signes… À nous de continuer sans cesse à déchiffrer les événements de notre vie pour y lire les signes de la venue de Dieu vers vous.

 

Encore faut-il savoir lever la tête et scruter le ciel pour y voir l’arc en ciel, au lieu de rester collé à la surface de soi-même, ce que trop de gens font, en croyant que c’est le matériel qui est le plus important à assurer. D’où l’importance des temps de prière, de retraite, de dialogue (le fameux « devoir de s’asseoir ») etc…

On remarque d’ailleurs qu’un arc en ciel n’est jamais seul : il y a toujours un deuxième arc, estompé, en léger décalage avec le premier. Comme si Dieu, connaissant notre tête dure, redoublait d’attention pour nous faire signe !

 

2. Une alliance demande à être parlée

L’arc-en-ciel est donc un signe, mais qui demande d’être interprété par une parole humaine, dans un dialogue entre deux partenaires d’alliance.

 

Dieu dit à Noé: « Je vais établir mon Alliance avec vous et votre descendance, et l’arc en sera un signe ». Dès lors, au lieu d’avoir peur de ce phénomène cosmique, au lieu d’être fasciné et paralysé par cet événement autrefois terrifiant, Noé, grâce à cette parole, y verra l’invitation que Dieu lui fait d’humaniser la terre par sa science et ses techniques. Les chrétiens savent depuis  longtemps combien ce « désenchantement du monde » permet de développer la responsabilité et le travail de l’homme. Le monde n’est pas Dieu: il nous parle de Dieu. Nous n’avons rien à craindre de la nature, qui nous est donnée comme une partenaire, une soeur, une amie. Les événements de notre vie non plus ne sont pas terrifiants: ils sont à interpréter à la lumière de la Parole de Dieu. C’est pourquoi Jésus n’arrête pas de dire à ses disciples : « confiance, c’est moi; n’ayez pas peur ».

 

Joindre la parole aux gestes, et les gestes à la parole… : c’est tout l’enjeu du symbole d’alliance, que le oui sacramentel du mariage symbolise au plus haut point, par l’anneau glissé au doigt l’un de l’autre.

 

3. Une alliance est un mémorial

Alors, quand il est parlé dans l’amour, ce signe d’alliance devient un mémorial.

« Je me souviendrai de mon alliance, dit Dieu, lorsque je verrai l’arc-en-ciel ». Les gens Une recette cocktail pour nos alliances dans Communauté spirituelle mariagemariés se souviennent lorsqu’ils touchent ou regardent leur anneau à leur doigt. Mais plus encore lorsqu’ils font mémoire de tout ce qui a jalonné leur vie. Leur alliance à leur annulaire est le « mémorial portatif » de la promesse d’aujourd’hui, où Dieu les donne l’un à l’autre. Le mémorial des moments heureux et des moments difficiles traversés ensemble. L’anamnèse des transformations que la parole d’amour et les gestes d’amour auront pu provoquer en eux. Graver dans sa tête et dans son coeur ces moments-là est un atout précieux lorsque l’horizon s’assombrit.

Les peuples ou les couples sans mémoire sont des peuples ou des couples fragiles.

Parce qu’ils croient que leur histoire n’a pas de poids, parce qu’ils ne voient pas la sainteté de leur histoire commune, ils risquent de sacrifier trop vite ce que des années avaient mis à construire. Dans et par le mémorial, un peuple peut non seulement se souvenir, mais aussi retrouver la confiance fondamentale en Dieu et en l’autre: nous avons déjà traversé des moments merveilleux, ne les renions pas; nous avons traversé des moments difficiles, ne les oublions pas. Ce que Dieu a fait pour nous hier, il le refait aujourd’hui, même si nous ne savons pas comment, à cet instant précis. Car Dieu est fidèle à son amour. Le mémorial eucharistique devient ici vraiment une nourriture et un chemin de vie pour le couple, qui sait associer sa propre histoire à celle du Christ, qui sait offrir sa vie avec celle du Christ dans le pain et le vin sur l’autel.

 

Dieu est fidèle. Il a d’ailleurs promis à Noé que jamais, jamais plus les eaux du Déluge ne submergeraient la terre. En voyant l’arc dans la nuée, l’homme retrouve confiance dans la bonté de la vie et de la Création. D’ailleurs, l’arc dans le ciel est justement l’arc du guerrier, mais retourné à l’horizontale, comme une arme accrochée au porte-manteau signifie que la guerre est finie. Le mal ne peut plus avoir le dernier mot. Et c’est encore plus vrai depuis la Résurrection du Christ.

 

4. L’alliance appelle à l’unité trinitaire

Une dernière interprétation symbolique de l’arc-en-ciel peut aider à deviner la beauté de nos propres alliances.

Qu’est-ce qu’un arc-en-ciel en effet, sinon le mariage du feu et de l’eau, c’est-à-dire l’union des contraires ? Le feu du soleil et l’eau de la pluie composent dans le ciel cette figure unique de plénitude et d’harmonie… C’est l’annonce que Dieu et l’homme, si différents l’un de l’autre tellement Dieu est transcendant par rapport à l’homme, sont faits pour se mêler, pour s’allier. Éloge de la différence, éloge de l’unité aussi.

 

Les sciences physiques nous disent la même chose: dans l’arc-en-ciel, l’unique lumière du soleil est diffractée en une infinité de couleurs à travers les mille gouttelettes d’eau en suspension dans l’air. Dieu, la lumière une et inaccessible, donne naissance aux mille couleurs de l’existence humaine. Le blanc n’est-il pas la somme de l’infinité de toutes les couleurs possibles, qui en dérivent et y participent ? Et inversement, quand les hommes vivent entre eux la communion de l’amour, ils deviennent eux-mêmes la lumière divine. C’est donc que l’amour humain, en conjuguant l’un et le multiple, est capable de diviniser l’homme. De cela, les couples mariés sont pour nous des sacrements vivants: en s’aimant mutuellement comme le Christ aime l’Église, ils marchent vers cette unité lumineuse dont témoigne l’arc-en-ciel. En devenant un à la manière trinitaire, ils diffractent vers l’Église, et vers l’humanité entière, leur vocation ultime: vivre pleinement la communion trinitaire, où l’amour sait conjuguer l’un et le multiple, la différence et l’identité, l’intimité et la distance, l’altérité et la proximité…

 

Dans nos engagements de tous ordres, dans nos amitiés, nos amours, nous devenons les signes vivants qu’une alliance de paix est possible entre amis, entre groupes différents, entre un homme et une femme, entre le Christ et son Église, entre l’humanité et Dieu.

 

Pendant ce Carême qui commence, revisitons les alliances qui sont les nôtres, de tous ordres, pour qu’elles retrouvent la force et la solidité de l’alliance avec Noé.

Signe, parole, mémoire, unité : où en sommes-nous ?

Entraînons à repérer ces ‘arcs-en-ciel’ dont Dieu jalonne nos routes.


1ère lecture : Dieu fait une alliance avec l’homme (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse

Après le déluge, Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec tous vos descendants, et avec tous les êtres vivants qui sont autour de vous : les oiseaux, les animaux domestiques, toutes les bêtes sauvages, tout ce qui est sorti de l’arche pour repeupler la terre. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être vivant ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. »
Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont autour de vous, pour toutes les générations à venir : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc-en-ciel paraîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance avec vous et avec tous les êtres vivants, et les eaux ne produiront plus le déluge, qui détruit tout être vivant. »

 

Psaume : 24, 4-5ab, 6-7, 8-9, 10.14

R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

2ème lecture : L’eau du baptême nous sauve de nos péchés (1P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre Apôtre

Frères, le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes ; lui, le juste, il est mort pour les coupables afin de vous introduire devant Dieu. Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a été rendu à la vie. C’est ainsi qu’il est allé proclamer son message à ceux qui étaient prisonniers de la mort. Ceux-ci, jadis, s’étaient révoltés au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau. C’était une image du baptême qui vous sauve maintenant : être baptisé, ce n’est pas être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite, et participer ainsi à la résurrection de Jésus Christ qui est monté au ciel, au-dessus des anges et de toutes les puissances invisibles, à la droite de Dieu.

 

Evangile : Jésus au début de sa mission (Mc 1, 12-15)

Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venant de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »

Patrick Braud 

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