L'homélie du dimanche (prochain)

27 janvier 2019

L’oubli est le pivot du bonheur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

L’oubli est le pivot du bonheur

Homélie pour le 4° dimanche du temps ordinaire / Année C
03/02/2019

Cf. également :
Les djihadistes n’ont pas lu St Paul !
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
Dès le sein de ta mère…
Amoris laetitia : la joie de l’amour
La hiérarchie des charismes
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies
Toussaint : le bonheur illucide

L’oubli est le pivot du bonheur dans Communauté spirituelle 65440_5_photo3_g

Dans mon enfance, nous traversions souvent la ville de Tarbes en voiture pour aller visiter de la famille. À chaque fois, mon regard était accroché à travers la vitre par l’inscription du monument aux morts : Ni haine ni oubli. Je trouvais que c’était une belle formule, mais je n’en mesurais pas la portée. Il m’a fallu des années pour éprouver la tentation de la haine, sinon la haine elle-même. Ce n’est pas si facile de haïr… C’est plus moral et valorisant de haïr quelque chose (le nazisme, l’injustice, la misère…) que quelqu’un (un nazi, un injuste, un exploiteur…).

Refuser la haine est pourtant en notre pouvoir. L’hymne à l’amour de Paul de ce dimanche le dit bien (1Co 12,31 – 13,13) :

« L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il couvre tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout ».

Par contre, saint Paul va beaucoup plus loin que le monument aux morts de Tarbes : il fait l’éloge de l’oubli comme sommet de l’amour. « L’amour couvre tout ». Le terme utilisé par Paul évoque l’acte de recouvrir quelque chose afin de l’oublier. Le verbe « stegô » en grec veut dire : couvrir, protéger, cacher… « Stegè », c’est le toit, ou encore tout édifice couvert, la maison, le tombeau… L’amour met un toit au-dessus du péché, voire même il l’enferme dans un tombeau… Les emplois de ce terme sont plutôt rares dans la Bible, mais ont la même signification. Pierre écrit: « Conservez entre vous une très grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés » (1P 4,8) , citant en cela le livre des Proverbes : « La haine excite les querelles, mais l’amour couvre toutes les fautes » (Pr 10,12) .

Il y a quelque chose de scandaleux dans ce lien établi entre amour et oubli ! Les officiels déposant une gerbe au monument aux morts vanteront plutôt la mémoire. « Never let us forget » est le leitmotiv des cimetières où les soldats morts de l’empire britannique reposent en longues lignes de croix blanches.

L’oubli ne conduit pas au pardon, mais le pardon à l’oubli
Les horreurs de la guerre d’Algérie furent telles que beaucoup ne voulaient pas en parler une fois revenus, de peur d’y sombrer. Oublier les attentats, la torture, les massacres étaient pour eux une condition de survie. De même mon grand-père, poilu de 14-18, n’évoquait qu’exceptionnellement l’horreur des tranchées, des mutilés, des gazés. Par contre, quand il parlait des Boches, des Fritz ou des Fridolins, sa barbe tremblait et on sentait bien que la haine n’était pas loin.

Oublier est utile pour se reconstruire, pour mobiliser son énergie à faire du neuf, pour ne pas vivre prisonnier de son passé en le ressassant sans cesse.

La généalogie de la morale par NietzscheNietzsche s’est fait le meilleur prophète de la puissance de l’oubli. Pour lui, oublier c’est se libérer du poids de l’histoire pour inventer un présent joyeux. L’oubli est le pivot du bonheur, en ce sens qu’il libère en nous la force de savourer le présent sans entraves.

« Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier […] Toute action exige l’oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l’obscurité. Un homme qui ne voudrait sentir les choses qu’historiquement serait pareil à celui qu’on forcerait à s’abstenir de sommeil ou à l’animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli. Ou plus simplement encore, il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens, historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu’il s’agisse d’un homme, d’une peuple ou d’une civilisation » (Généalogie de la morale, 1887).

« Fermer de temps en temps les portes et les fenêtres de la conscience ; demeurer insensibles au bruit et à la lutte que le monde souterrain des organes à notre service livre pour s’entraider ou s’entre-détruire ; faire silence, un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu’il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles […] voilà, je le répète, le rôle de la faculté active d’oubli, une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l’ordre psychique, la tranquillité, l’étiquette. On en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli » (Considérations inactuelles, 1873-1876).

Cet oubli-là est salutaire, car il ouvre au présent. Mais il ne conduit pas au pardon. C’est juste un antalgique, au mieux un anesthésique. Pour la foi chrétienne, c’est au contraire le pardon qui conduit à l’oubli. Puisque « l’amour couvre tout », il n’y a plus besoin de faire mémoire du mal commis ou subi ! Dieu le premier oublie nos révoltes, nos ruptures d’alliance, nos incohérences, afin de nous recréer à son image et ressemblance.

La Bible met dans la bouche de Dieu la promesse de cet oubli d’autant plus salutaire que c’est celui de Dieu lui-même :
« Je deviendrai leur Dieu, ils deviendront mon peuple.
[…] Je serai indulgent pour leurs fautes, et de leurs péchés, je ne me souviendrai plus (He 8,12)
« De leurs péchés et de leurs iniquités je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché » (He 10,17-18).

À l’inverse, lorsque Dieu est en colère contre Israël, il le menace de ne pas oublier :
« Yahvé l’a juré par l’orgueil de Jacob; jamais je n’oublierai aucune de leurs actions (Am 8,7) ».

Rébecca, la mère de Jacob, l’invite à compter sur le temps pour qu’Ésaü oublie le préjudice du vol du droit d’aînesse en échange du fameux plat de lentilles :
« Ton frère Ésaü veut se venger de toi en te tuant. Maintenant, mon fils, écoute-moi: pars, enfuis-toi chez mon frère Laban à Harân. Tu habiteras avec lui quelques temps, jusqu’à ce que se détourne la fureur de ton frère, jusqu’à ce que la colère de ton frère se détourne de toi et qu’il oublie ce que tu lui as fait; alors je t’enverrai chercher là-bas ». (Gn 27, 42-45).

Joseph, après le pardon accordé à ses frères qui l’avaient vendu comme esclave, constate que ce passé ne pèse plus sur sa mémoire, et il en fait le prénom de son fils :
« Joseph donna à l’aîné le nom de Manassé (= oublieux, en hébreu) car, dit-il, Dieu m’a fait oublier toute ma peine et toute la famille de mon père » (Gn 41,51).

Isaïe annonce à Jérusalem qu’elle sera réconciliée avec elle-même grâce à l’oubli de ses iniquités : « N’aie pas peur, tu n’éprouveras plus de honte, ne sois pas confondue, tu n’auras plus à rougir; car tu vas oublier la honte de ta jeunesse, tu ne te souviendras plus de l’infamie de ton veuvage » (Is 54).

Et il décrit un Dieu qui ne tient plus compte du passé :
« On oubliera les angoisses anciennes, elles auront disparu de mes yeux » (Is 65,).
« C’est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi, et je ne me souviendrai plus de tes fautes » (Is 43,25).

C’est la prière constante des psaumes :
« Ne te souviens pas des égarements de ma jeunesse, mais de moi, selon ton amour souviens-toi ! » (Ps 25,7)

 

L’oubli illucide
Le monument aux morts disait : « Ni haine ni oubli ». Paul écrit : « Le pardon, donc l’oubli ». Pour vivre ensemble à nouveau, les traces du passé sont comme des points d’infection ne demandant qu’à se réveiller. Que génèrent les chapelets égrenant les exactions d’autrefois sinon le ressentiment et la méfiance ? On ne peut sans cesse invoquer les guerres de religion, les dragonnades, l’Inquisition si on veut vivre en communion catholiques et protestants. On ne peut pas brandir les invasions, les croisades, les génocides, l’esclavage à tout moment et vivre en paix musulmans et chrétiens. Ruminer la colonisation et ses horreurs finit à la longue par enfermer les Africains dans un complexe nourrissant l’aigreur et l’impuissance. Entretenir le souvenir d’une agression, d’un attentat, d’une injustice peut faire sombrer dans la dépression ou la violence. Les psychologues diront qu’on ne peut jamais oublier de tels traumatismes. C’est parce qu’ils fondent l’oubli sur une démarche volontaire, un effort sur soi. C’est vrai que vouloir oublier quelque chose (ou quelqu’un) c’est paradoxalement le faire exister davantage ! S’efforcer d’oublier quelque chose, c’est déjà s’en rappeler.

le-bonheur-illucide--homlies-2009-10--anne-c amour dans Communauté spirituelleOr nous croyons que l’oubli ne relève pas de l’effort. Refuser la haine relève de la volonté, mais l’oubli relève du don, du par-don car il est donné par-delà la blessure. Couvrir le mal au sens de Paul n’est pas naïf, au contraire. Paul sait d’expérience que le mal existe, terrible ! Il sait également qu’il peut détruire celui qui le subit (ou l e commet) si justement il s’y enferme. En pardonnant (ou en étant pardonné), l’amour stoppe cette contamination du présent par le passé. L’oubli du mal survient alors sans que l’on ait à le vouloir. Nulle thérapie ne pourra produire ce qui est proprement spirituel, c’est-à-dire le travail de l’Esprit en nous lorsqu’il fait toutes choses nouvelles (Ap 21,5). Cet oubli-là est illucide, c’est-à-dire qu’il n’a pas conscience de lui-même. Ce n’est pas par un travail sur soi que l’oubli viendra, mais par l’accueil de la faculté de pardonner (ou d’être pardonné). Sans mérite de notre part, le souvenir du mal sera couvert par l’amour.

Saint François de Paule, ermite italien, fondateur de l’Ordre des Minimes, écrit: « Pardonnez-vous mutuellement pour ensuite ne plus vous souvenir de vos torts. Garder le souvenir du mal, c’est un tort, c’est le chef d’œuvre de la colère, le maintien du péché, la haine de la justice; c’est une flèche à la pointe rouillée, le poison de l’âme, la disparition des vertus, le ver rongeur de l’esprit, le trouble de la prière, l’annulation des demandes que l’on adresse à Dieu, la perte de la charité, l’iniquité toujours en éveil, le péché toujours présent et la mort quotidienne » (Lettre de 1486).

 

Oublier jusqu’au bien accompli

Un homme ailé portant une tunique blanche tient une balance avec un homme miniature dans chaque plateau. Il est entouré de quatre anges portant des tuniques rouges avec des trompettes.L’oubli du mal est donc une condition du bonheur, en agrandissant la disponibilité au présent et à toutes ses potentialités. L’Évangile va plus loin encore. Jésus conseille à ses amis de ne pas tenir comptabilité de l’aide apportée aux autres : « lorsque tu donnes, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite » (Mt 6,3). Le bon samaritain de la parabole quitte l’auberge sans attendre de remerciement, en sachant qu’il ne reverra jamais le blessé secouru sur la route, comme s’il laissait derrière lui son acte de compassion. D’ailleurs, la plupart des rencontres de Jésus sont sans lendemain : il laisse ceux qu’il a guéris, écoutés, sauvés aller leur propre chemin sans lui. Une fois, cela va même jusqu’à faire le bien « à l’insu de son plein gré », lorsqu’une force sort de lui à la seule demande d’une femme malade qui touche son manteau (Lc 8,44). Et au Jugement dernier, Jésus nous prévient que nous serons surpris du bien que nous aurons accompli : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer,  étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir,  malade ou prisonnier et de venir te voir ? » (Mt 25,37-39).

Il est bon de ne pas compter les bonnes actions que nous pouvons accomplir. Il est meilleur encore de les oublier, pour ne pas rendre dépendants ceux que nous avons aidés, pour ne pas en tirer orgueil, pour garder un cœur de pauvre. Dietrich Bonhoeffer résumait cela ainsi : « Qui a le cœur pur ? C’est celui qui ne souille son cœur ni avec le mal qu’il commet, ni avec le bien qu’il fait ».

Répétons-le : cet oubli-là est illucide. Il sur-vient. Il nous est donné par surcroît, par-dessus le marché, sans que nous ayons à le chercher pour lui-même. C’est une heureuse conséquence spirituelle et non un but obsessionnel.

Alors oui, « l’amour couvre tout », comme le chante saint Paul.
L’amour couvre les fautes de l’autre, et par le pardon me permet de les oublier sans m’en apercevoir.
L’amour couvre les fautes que j’ai commises, et il n’y a plus de ressentiment envers soi-même.
L’amour couvre le bien que j’ai pu faire, et je ne peux plus ni ne veux plus en faire la liste.
L’amour me donne de me présenter devant Dieu les mains vides, ouvert à son présent.

Si tu savais le don de Dieu…, tu ne te laisserais pas entraver par ton passé. Tu pourrais t’écrier, avec Paul :
« oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être,  et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus » (Ph 3,13).

« L’amour couvre tout » : crois cela, et tu expérimenteras la puissance de l’oubli comme le pivot du bonheur présent.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Je fais de toi un prophète pour les nations » (Jr 1, 4-5.17-19)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Au temps de Josias, la parole du Seigneur me fut adressée : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations. Toi, mets ta ceinture autour des reins et lève-toi, tu diras contre eux tout ce que je t’ordonnerai. Ne tremble pas devant eux, sinon c’est moi qui te ferai trembler devant eux. Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses princes, à ses prêtres et à tout le peuple du pays. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer – oracle du Seigneur. »

Psaume
(Ps 70 (71), 1-2, 3, 5-6ab, 15ab.17)
R/ Sans fin, je proclamerai ta justice et ton salut.
(cf. Ps 70, 15)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge :
garde-moi d’être humilié pour toujours.
Dans ta justice, défends-moi, libère-moi,
tends l’oreille vers moi, et sauve-moi.

Sois le rocher qui m’accueille,
toujours accessible ;
tu as résolu de me sauver :
ma forteresse et mon roc, c’est toi !

Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance,
mon appui dès ma jeunesse.
Toi, mon soutien dès avant ma naissance,
tu m’as choisi dès le ventre de ma mère.

Ma bouche annonce tout le jour
tes actes de justice et de salut.
Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse,
jusqu’à présent, j’ai proclamé tes merveilles.

Deuxième lecture
« Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité » (1Co 12, 31 – 13, 13)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, recherchez avec ardeur les dons les plus grands. Et maintenant, je vais vous indiquer le chemin par excellence.
J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien.
L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais.
Les prophéties seront dépassées, le don des langues cessera, la connaissance actuelle sera dépassée. En effet, notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles. Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel sera dépassé. Quand j’étais petit enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j’ai dépassé ce qui était propre à l’enfant.
Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu. Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité.

Évangile
Jésus, comme Élie et Élisée, n’est pas envoyé aux seuls Juifs (Lc 4, 21-30) Alléluia. Alléluia.
Le Seigneur m’a envoyé, porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération. Alléluia. (Lc 4, 18cd)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : ‘Médecin, guéris-toi toi-même’, et me dire : ‘Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !’ » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.. En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

Patrick BRAUD

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29 octobre 2018

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif


Homélie pour le 31° dimanche du temps ordinaire / Année B
04/11/2018

Cf. également :

Simplifier, Aimer, Unir
J’ai trois amours
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Aime ton Samaritain !

Sans condition, ni délai
Boali, ou l’amour des ennemis
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?


« Tu aimeras » : que ce soit pour aimer Dieu, son prochain ou soi-même, Jésus use aujourd’hui d’un impératif catégorique qui devrait nous étonner :

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Mc 12, 28b-34)

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N’y a-t-il pas en effet une contradiction dans les termes ? Interrogez vos proches, vos amis. Ils vous diront que l’amour est un sentiment, qu’on n’y peut rien lorsqu’il vous tombe dessus (d’ailleurs on « tombe » amoureux comme on tombait enceinte autrefois !), qu’il vaut mieux s’y résoudre en se séparant lorsqu’il s’absente etc. Cette conception moderne (à partir du 18° siècle) de l’amour-sentiment imprègne la littérature romantique et la philosophie des Lumières. Ainsi Emmanuel Kant :

« L’amour est une affaire de sentiment et non de volonté ; je ne peux aimer parce que je le veux, encore moins parce que je le dois ; il s’ensuit qu’un devoir d’aimer est un non-sens. » [1]

Bertrand Russell, philosophe du 20° siècle, dans Le Mariage et la morale, en remet une couche :

« L’amour ne peut fleurir que s’il reste libre et spontané. Nous dire que c’est notre devoir d’aimer telle personne, c’est le moyen le plus sûr de nous la faire haïr ».

Comment le Christ peut-il commander d’aimer ? Peut-il ordonner d’éprouver du sentiment pour l’autre, surtout quand celui-ci n’est pas aimable ?

Albert Camus pourtant voulait tenir ensemble l’obligation et l’amour :
« Je ne connais qu’un devoir : c’est celui d’aimer. » [2]

Comment se sortir de ce dilemme ?

Procédons en deux étapes :

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

 

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

Le mariage d'amour a-t-il échoué ? par BrucknerLes historiens comme Georges Duby, Le Roy Ladurie, Denis de Rougemont dans son histoire de l’amour en Occident ou même Luc Ferry ont bien montré que la conception romantique de l’amour est finalement assez tardive. L’idéalisation du sentiment naît avec l’amour courtois dès le haut Moyen Âge, et se focalise ensuite au 18° siècle sur l’émotion ressentie dans les bras de l’aimé ou loin de lui (cf. Lamartine, Baudelaire…). Auparavant, il n’en était pas ainsi. Et d’ailleurs nombre de cultures (Afrique, Asie…) ont conservé une autre approche : le couple n’est pas d’abord le lieu du sentiment, mais de l’entraide mutuelle, de l’accueil de la vie, du rayonnement social. Si avec le temps vient l’amour-émotion – et c’est souvent le cas – tant mieux, mais c’est un plus, une cerise sur le gâteau. Voilà pourquoi les mariages forcés ne choquaient pas les mentalités. C’est en assumant ensemble leur place et leur mission que les époux apprenaient à s’apprécier et à développer tendresse et affection. Dans cette vision traditionnelle, le temps construisait l’amour, alors que c’est l’inverse en Occident désormais.

Or réduire l’amour au sentiment, au cœur qui bat, appauvrit l’amour, qui est bien plus grand que cela.

Saint Augustin dans ses Confessions distingue trois stades dans son évolution amoureuse, qui peuvent nous éclairer pour pressentir ce qu’aimer en vérité signifie.

Amare amari

Les Confessions de Saint augustinLe premier stade est celui de l’amour adolescent : amare amari (aimer être aimé).

Ma plus vive jouissance n’était-elle pas d’aimer et d’être aimé ? Mais je ne m’en tenais pas à ces liens d’âme à âme, sur la chaste lisière de l’amitié spirituelle. D’impures vapeurs s’exhalaient des fangeuses convoitises de ma chair, de l’effervescence de la puberté ; elles couvraient et offusquaient mon cœur : la sérénité de l’amour était confondue avec les nuages de la débauche. L’une et l’autre fermentaient ensemble, et mon imbécile jeunesse était entraînée dans les précipices des passions et plongeait dans le gouffre du libertinage. (Confessions II,2)

L’adolescent aime être aimé, parce qu’il retire un plaisir immense du trouble amoureux, dont il découvre la profondeur et le vertige. Peu importe l’objet ou la personne aimée à la limite, l’essentiel pour lui est de se fondre, de vibrer, de s’immerger dans un océan fusionnel avec l’autre (dont Freud ne manquera pas de souligner le caractère narcissique et régressif). Beaucoup de gens sont encore adolescents lorsqu’ils affirment : « si je ne ressens rien pour l’autre, je ne peux pas l’aimer, et nul ne peut m’y forcer ».

Amare amare

Le deuxième stade de l’amour est celui de l’amour adulte : amare amare (aimer aimer).

102567857 amour dans Communauté spirituelleJ’aime aimer, non plus pour recevoir en retour, mais pour construire quelque chose de vrai et de durable.

Je vins à Carthage, où bientôt j’entendis bouillir autour de moi la chaudière des sales amours. Je n’aimais pas encore, et j’aimais à aimer; et par une indigence secrète, je m’en voulais de n’être pas encore assez indigent. Je cherchais un objet à mon amour, aimant à aimer; et je haïssais ma sécurité, ma voie exempte de pièges. Mon cœur défaillait, vide de la nourriture intérieure, de toi-même, mon Dieu; et ce n’était pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n’avais pas l’appétit des aliments incorruptibles: non que j’en fusse rassasié; je n’étais dégoûté que par inanition. (Confessions III,1,1)

Devenir mari/femme, puis père/mère relève de cette volonté de se donner pour que d’autres vivent. L’amitié sincère s’inscrit également dans ce mouvement qui mobilise la volonté, l’intelligence, les ressources financières etc. au service de la croissance de l’autre. C’est un amour responsable, qui ne fait pas dépendre son investissement ni sa durée du nombre de battements de cœur ressentis pour l’autre.

Amare

Le troisième stade selon Augustin est celui de l’amour gratuit, inconditionnel, totalement désintéressé : amare (aimer).

Saint Bernard le dit en ces termes :

L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche pas hors de lui-même sa raison d’être : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer (Saint-Bernard, sermon sur le cantique des cantiques).

Aimer, sans autre raison que l’amour même.

Le pur amour dont Fénelon et Mme Guyon  débattaient avec Bossuet.

Les Grecs l’appelaient agapè, qui a donné le mot français agapes pour désigner des repas fraternels et aimants. Parce qu’il est sans pourquoi, l’Agapè peut choisir de se porter sur ce que le sentiment ne choisirait jamais, et que l’amour responsable n’assumerait pas : aimer ses ennemis, aimer ceux qu’on présente comme des monstres inhumains, aimer les effrayants mourants de Calcutta ou les SDF repoussants de Paris, aimer ceux à qui on dénie toute dignité du tout début à la toute fin de leur existence…

Comment aimer ceux qui sont laids, répugnants, tombés en déchéance, si ce n’est en voulant les aimer et en choisissant de se faire leur serviteur ?

Les deux premiers stades sont connus de tous, même si beaucoup s’arrêtent au premier. Le troisième est plus subtil, à contre-courant des mentalités de ce siècle. Il ne s’apprend qu’au contact de ceux qui le vivent eux-mêmes, bien souvent sans en avoir conscience, et qui l’irradient sans rien faire qu’être eux-mêmes.

Ainsi Jésus salue dans le scribe de ce dimanche un alter ego : comme lui, cet homme a appris à distinguer l’essentiel de l’accessoire dans la loi juive (au milieu de 613 commandements !). Il a appris grâce à l’étude comment simplifier et unir les trois amours au cœur du judaïsme (Dieu/soi-même/le prochain). Jésus et lui se reconnaissent, se saluent, et chacun laisse l’autre aller son chemin sans que cet éloignement soit une distance entre eux, au contraire.

 

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

Les philosophes modernes comme Kant et Russell font du commandement : « tu aimeras » une obligation morale. Or dans la foi chrétienne, aimer est une conséquence de l’union à Dieu et non un préalable. « Tu aimeras » est donc une obligation spirituelle et non morale, au sens où c’est l’Esprit de Dieu qui vient aimer en moi parce que, par le Christ et avec lui, je suis en communion profonde avec Dieu. À ce moment-là, ce n’est plus une obligation, car cela découle de l’amour même qu’est Dieu, se donnant gratuitement, sans calcul ni retour.

Il n’y a donc pas lieu de se forcer à éprouver quelque sentiment que ce soit pour Hitler ou Pol Pot ! Il s’agit d’abord de laisser le Christ m’unir à lui, afin que son Esprit vienne m’inspirer des paroles, des gestes, des pensées qui conviendront pour témoigner à l’autre – même horrible – qu’il est aimé, et que cela peut changer son existence. Si l’autre accueille Dieu à travers moi, il se détournera du mal commis. S’il refuse, il n’en sera pas moins aimé de Dieu, de moi uni à Dieu.

On pourrait presque jouer avec les temps, et transformer l’impératif en futur. « Tu aimeras » résonne comme une promesse : ‘si tu es uni à Dieu, tu aimeras comme lui et toi-même et ton prochain’…

Facile à dire… Mais quand on est face à un bourreau, un violent, un malfaisant, la répulsion prend le dessus. L’objection est réelle : elle souligne le travail intérieur auquel je dois me livrer pour laisser Dieu aimer en moi au lieu de vouloir aimer comme Dieu.

Paul a suivi ce chemin de communion spirituelle avec Jésus ressuscité, au point de s’écrier : « ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Rien ne sert être volontariste pour aimer. Sinon, il y aura toujours quelque intérêt caché qui entachera notre désir d’aimer. Car on peut se montrer aimant et en réalité rechercher des félicitations, de la gloire, des remerciements, des avantages en retour, ne serait-ce qu’une bonne image de soi et une bonne réputation. Loin de chercher la morale pour elle-même, nous la pratiquons pour des raisons extérieures à elle. Nous nous soumettons à la loi morale pour ne pas perdre l’amour de nos parents, de nos proches, pour sauvegarder notre image sociale, pour ne pas subir les sanctions des uns et des autres etc.

41-no-m60cL._ commandementLa seule manière d’aimer impérativement chacun est de lâcher prise sur cette volonté elle-même. Si nous communions à la vie divine, Dieu fera son œuvre en nous mille fois mieux que nous pourrons faire l’œuvre de Dieu.

Ce que la jeune juive Etty Hillesum écrivait en 1943 à Amsterdam de l’écoute intérieure vaut également pour le mouvement de l’amour de Dieu en nous :

Même un corps maladif n’empêchera pas l’esprit de continuer à fonctionner et apporter ses fruits. Ni de continuer à aimer, à être à l’écoute de soi-même, des autres, de la logique de cette vie, et de toi (mon Dieu). Hineinhörchen, écouter au-dedans : je voudrais disposer d’un verbe bien hollandais peux dire la même chose. De fait, ma vie n’est qu’une perpétuelle écoute au-dedans de moi-même, des autres, de Dieu. Et quand je dis que j’écoute au-dedans, en réalité c’est plutôt Dieu en moi qui est à l’écoute. Ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l’essence et la profondeur de l’autre. Dieu écoute Dieu[3]

« Dieu aime Dieu en moi » si je laisse son Esprit m’unir à lui. Alors, même le soldat nazi du camp de Westerbrok apparaissait à Etty comme un frère en humanité qu’elle pouvait aimer de toutes ses forces, de toute son intelligence, quel que soit le sentiment du moment.

Cette unification intérieure naît de l’amour pour Dieu, le premier amour qui engendre tous les autres.

Mais aujourd’hui, qui ose appeler à aimer Dieu d’abord et en toutes choses ?

 


[1]. Emmanuel KANT, Doctrine de la vertu, Introduction, XII, c, « De l’amour des hommes », Vrin, 1968, pp. 73-74.

[2]. Albert Camus, Carnets II, janvier 1942 – mars 1951 (1964).

[3]. Etty Hillesum, Une vie bouleversée (Journal 1941-43), Seuil, coll. Points, 1995, pp 207-208.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Écoute, Israël : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur » (Dt 6, 2-6)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu. Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie. Israël, tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le Seigneur, le Dieu de tes pères.
Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. »

Psaume
(Ps 17 (18), 2-3, 4, 47.51ab)
R/ Je t’aime, Seigneur, ma force.
(Ps 17, 2a)

Je t’aime, Seigneur, ma force :
Seigneur, mon ro ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

Louange à Dieu !
Quand je fais appel au Seigneur,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !

Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire,
Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie.

Deuxième lecture
« Jésus, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas » (He 7, 23-28)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, dans l’ancienne Alliance, un grand nombre de prêtres se sont succédé parce que la mort les empêchait de rester en fonction. Jésus, lui, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas. C’est pourquoi il est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. La loi de Moïse établit comme grands prêtres des hommes remplis de faiblesse ; mais la parole du serment divin, qui vient après la Loi, établit comme grand prêtre le Fils, conduit pour l’éternité à sa perfection.

Évangile
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain » (Mc 12, 28b-34) Alléluia. Alléluia.

Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Patrick BRAUD

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20 août 2018

Sur quoi fonder le mariage ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Sur quoi fonder le mariage ?


Homélie pour le 21° dimanche du temps ordinaire / Année B
26/08/2018

Cf. également :

Voulez-vous partir vous aussi ?
La liberté de partir ou de rester
Le peuple des murmures
L’homme, la femme, et Dieu au milieu


Notre deuxième lecture (Ep 5, 21-32) est devenue presque illisible un dimanche ordinaire en paroisse. Ce texte est le pilier de la théologie du sacrement de mariage pour les catholiques, mais aucun couple ou presque n’ose plus le choisir pour leur liturgie de mariage. Car certaines expressions ne passent plus dans notre culture contemporaine : « femmes, soyez soumises à vos maris ». « Pour la femme, le mari est la tête (le chef) ». La réputation machiste de Paul vient de là, et son influence sur l’Église en est d’autant plus décriée.

« Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. »

Comment interpréter aujourd’hui ces versets apparemment insupportables ?

Revenons d’abord au texte.

La première ‘soumission’ dont il est question n’est pas celle des femmes à leurs maris mais la soumission fraternelle de chacun envers chacun qui doit être la règle générale dans une communauté vraiment chrétienne : « soyez soumis les uns aux autres ». Tout le monde est concerné donc. Comme Paul l’écrit ailleurs : « que chacun estime l’autre comme supérieur à lui-même » (Ph 2,3). D’ailleurs, le texte grec original ne mentionne pas ce mots soumis la première fois qu’il évoque la relation homme / femme : il se contente de poser le parallèle (homme / femme) // (Christ / Église) :

Ep5,22

Les         femmes,         envers   leurs     maris   ,   comme envers le Seigneur (Ep 5,22)

De plus, il ne s’agit pas de n’importe quelle ‘soumission’. Ce n’est pas celle d’un dominé envers un dominateur. Ce n’est pas celle de l’islam où le croyant doit obéir absolument à Dieu dont la volonté est censée être transcrite littéralement dans le Coran et la charia. Non : le modèle de cette soumission est la relation Christ / Église (« puisque l’Église se soumet au Christ ») dont Paul précise bien que c’est une relation d’amour. « Le Christ a aimé l’Église, il s’est livré pour elle ». Se soumettre au Christ, c’est donc reconnaître l’amour premier dont il nous entoure, jusqu’à livrer sa vie pour chacun. C’est accepter ce don qui nous précède : nous sommes placés au-dessous (c’est ce que signifie le verbe grec employé ici : hypotássō = soumettre) du Christ en ce sens qu’il est avant nous, plus grand que nous, nous constituant comme sujets libres et aimants. Car nous ne sommes pas à nous-mêmes notre propre origine. Le but de cette « soumission » est que finalement Dieu soit tout en tous :

« Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. (1Co 15,28) »

Ce que complète l’autre image employée par Paul, celle de la tête et du corps : « pour la femme, le mari est la tête » (le chef, du terme latin caput = tête, qui a donné par exemple le chapeau, couvre-chef), tout comme pour l’Église le Christ est la tête. Encore une fois, on commet un contresens si on comprend ce binôme tête (chef) / corps sans le référer au binôme Christ / Église. C’est la même qualité de relations unissant le Christ à son Église qui doit unir maris et femmes.

6.PNGOn peut sans doute reprocher à Paul d’avoir trop vite identifié terme à terme les protagonistes de cette identité relationnelle, ce que la culture de son époque jugeait évident (comme il nous est évident aujourd’hui que l’égalité est première). Or, le programme de mathématiques de la classe troisième au collège nous oblige à respecter les règles de calcul des fractions ! Dans le texte de Paul, c’est une identité de rapport, et pas une identité terme à terme. Et nous avons tous appris en algèbre que (a/b = c/d) n’implique pas que a=c ou b=d !

Christ/Église = mari/femme, mais le mari n’est pas le Christ et la femme n’est pas l’Église !

La liberté de partir ou de rester dans Communauté spirituelle mariageRedisons-le c’est une identité de relation et non pas une identité terme à terme. Autrement dit : la relation entre un homme et une femme est élevée à une intensité si grande dans le sacrement de mariage qu’elle devient un signe, un sacrement de la relation Christ – Église.

La réponse est peut-être dans la comparaison que Paul fait entre la relation mari / femme et la relation Christ / Église. « Ce mystère (mysterion en grec = sacramentum en latin = sacrement) est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Église ». En grec, le terme mysterion (mystère) que nous traduisons par sacrement désigne une réalité inépuisable, infinie, que seule une approche symbolique peut évoquer sans la trahir. Le mariage est sacrement de l’amour Christ / Église parce qu’il la symbolise (il la rend présent) aux yeux des hommes et la désigne comme l’horizon de tout amour humain.

Dans l’histoire, souvent l’Église a « trompé » le Christ (et elle continue…) : en s’égarant à la recherche du pouvoir politique ou financier, en enfouissant ses trésors culturels par peur de déplaire, en n’incarnant pas les valeurs évangéliques etc. Les Pères de l’Église la décrivaient comme une prostituée, capable de se vendre à ceux qui lui promettaient le plus… mais une « prostituée que le Christ ré- épouse tous les jours ».

La relation Christ – Église est réellement indissoluble, parce que sans cesse Dieu vient séduire et reconquérir l’humanité tentée par les idoles. « Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2Ti 2,12).

On touche là une des limites du Nouveau Testament : il contient de quoi dynamiter et révolutionner les évidences des cultures de tous pays et de tous temps, mais les auteurs n’osent pas à en tirer toutes les conséquences, notamment sociales, économiques et politiques.

« Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il se doit dans le Seigneur.
Maris, aimez vos femmes, et ne leur montrez point d’humeur.
Enfants, obéissez en tout à vos parents, c’est cela qui est beau dans le Seigneur.
Parents, n’exaspérez pas vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent.
Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas, non d’une obéissance tout extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de cœur, dans la crainte du Maître. (…)
Maîtres, accordez à vos esclaves le juste et l’équitable, sachant que, vous aussi, vous avez un Maître au ciel ». (Col 3,19-4,1)

Ainsi pour l’esclavage, que Paul n’ose pas appeler à abolir, alors que pourtant il met le ver dans le fruit en appelant à traiter les esclaves comme des frères. Ainsi pour la séparation juifs / païens, que Jésus n’ose pas abolir de son vivant (« je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » Mt 15,24) alors même qu’il la transgresse en pratique assez souvent. Il faudra la Pentecôte pour que les apôtres découvrent que l’Esprit du Christ abolit les séparations sociales antérieures. Et là, Paul est à la pointe du combat : « en Christ, il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, » (Ga 3,28).

Sur quoi fonder le mariage ? dans Communauté spirituelle Lapinbleu668C-Jn16_13C’est peut-être cela la promesse du Christ : « l’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 16,13). Autrement dit : avec le temps, avec l’inspiration divine, vous découvrirez les conséquences (personnelles, sociales, politiques, économiques…) de l’Évangile. Car les textes seuls ne peuvent contenir la vérité tout entière.

Pour en revenir à notre lecture, l’équivalence (homme / femme) = (Christ / Église) est posée  avec force, sans que Paul en tire toutes les conséquences que nous y voyons actuellement. D’ailleurs, dans quelques siècles, on en tirera sûrement d’autres conséquences encore !

Reste que cette équivalence est posée, établissant le mariage comme un sacrement (mysterion en grec = mystère) de la relation Christ / Église.

Du coup, Paul – il n’est pas idiot ! – prend soin de développer longuement tout ce que cela implique pour le mari vis-à-vis de sa femme. Il emploie environ deux fois plus de mots pour les maris que les femmes ! Dans ce paragraphe deux fois plus long, il parle d’aimer sa femme, de se livrer pour elle, d’en prendre soin et de s’en occuper comme de son propre corps. C’est sans doute parce qu’il a bien conscience que la tâche sera deux fois plus ardue du côté des hommes que des femmes…

Qu’en conclure ?

- Paul affirme que le mariage est un sacrement (mysterion) parce qu’il symbolise la relation Christ / Église : la relation mari / femme se nourrit de la relation Christ / Église et la rend présente au milieu de nos contemporains. En voyant les gens mariés s’aimer, on devrait comprendre comment le Christ aime l’Église (et réciproquement).

- Nous ne sommes pas obligés de suivre Paul lorsqu’il identifie terme à terme les partenaires de ces deux relations, comme le faisait sa culture liée à son époque.

amour_nonpartag%C3%A9 détachement dans Communauté spirituelle- Par contre, nous devons en tirer toutes les conséquences, et pas seulement celles conformes à la culture de notre époque et de notre continent. Il y a bien sûr l’égalité fondamentale, le principe de l’amour mutuel et la symétrie des obligations dans ce que Paul dit du mariage. Mais il y a également d’autres conséquences plus ‘piquantes’ pour un occidental du XXI° siècle : le mariage ne se réduit pas au seul sentiment, il suppose une volonté de se livrer pour l’autre, inconditionnellement, ce qui implique l’indissolubilité, à l’image de l’amour du Christ pour l’Église et chacun d’entre nous.

Le texte d’Éphésiens 5 est un bon exemple du danger qu’il y a à lire un texte trop rapidement en plaquant les évidences de son siècle. Qui sait si dans mille ans les observateurs ne jugeront pas très sévèrement les relations homme / femme de nos sociétés postmodernes ? Je me souviens par exemple de la figure épouvantée d’amis africains venus pour la première fois en France. « À voir les femmes sur vos affiches, disaient-il, sur vos écrans, la publicité partout, à parler avec tant de mères célibataires galérant pour élever seules leurs enfants, à entendre la souffrance de tant de couples qui explosent en plein vol après quelques années de mariage ou de vie commune, à écouter les femmes si nombreuses qui ont connu une IVG, ne venez pas nous dire que l’avenir de la femme est chez vous ! Nous ne voulons pas de ce modèle de société individualiste engendrant plus de solitudes que de couples heureux de vieillir ensemble ! »

On est toujours le ‘sauvage’ d’un autre …

Puissions-nous continuer à scruter les Écritures, pour que l’Esprit du Christ nous conduise à la vérité tout entière. Or, sur la question des relations homme / femme, notre société comme les autres a encore bien du chemin à parcourir.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu » (Jos 24, 1-2a.15-17.18b)

Lecture du livre de Josué

En ces jours-là, Josué réunit toutes les tribus d’Israël à Sichem ; puis il appela les anciens d’Israël, avec les chefs, les juges et les scribes ; ils se présentèrent devant Dieu. Josué dit alors à tout le peuple : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate, ou les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur. » Le peuple répondit : « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux ! C’est le Seigneur notre Dieu qui nous a fait monter, nous et nos pères, du pays d’Égypte, cette maison d’esclavage ; c’est lui qui, sous nos yeux, a accompli tous ces signes et nous a protégés tout le long du chemin que nous avons parcouru, chez tous les peuples au milieu desquels nous sommes passés. Nous aussi, nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu. »

Psaume
(Ps 33 (34), 2-3, 16-17, 20-21, 22-23)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur affronte les méchants
pour effacer de la terre leur mémoire.

Malheur sur malheur pour le juste,
mais le Seigneur chaque fois le délivre.
Il veille sur chacun de ses os :
pas un ne sera brisé.

Le mal tuera les méchants ;
ils seront châtiés d’avoir haï le juste.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

Deuxième lecture
« Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église » (Ep 5, 21-32)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari.
Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée. C’est de la même façon que les maris doivent aimer leur femme : comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin.
C’est ce que fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit l’Écriture : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. 

Évangile
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 60-69) Alléluia. Alléluia.
Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie ; tu as les paroles de la vie éternelle. Alléluia. (cf. Jn 6, 63c.68c)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm. Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !… C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
Patrick BRAUD

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10 mai 2018

Les saints de la porte d’à côté

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Les saints de la porte d’à côté


Homélie pour le 7° dimanche de Pâques / Année B
13/04/2018

Cf. également :

Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
Dieu est un trou noir
Quand Dieu appelle
Le dialogue intérieur
Poupées russes et ruban de Möbius…
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Sans condition, ni délai
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

Soyez dans la joie et l'allégresse, Gaudete et exsultate : exhortation apostolique du Saint-Père FrançoisLe pape François emploie cette belle expression dans sa dernière exhortation apostolique, Gaudete et exultate, du 19/03/2018.

« J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté ‘‘de la porte d’à côté’’, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, ‘‘la classe moyenne de la sainteté’’ [1] » (n° 7).

Cette sainteté ‘ordinaire’ donne un relief particulier aux paroles de Jésus dans notre Évangile de ce dimanche (Jn 17, 11b-19) :

« Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité ».

Être sanctifié dans la vérité n’est donc pas réservé aux héros de la foi, aux martyrs glorieux des persécutions, aux seuls premiers de cordée. Être sanctifié est ce qui arrive  sans cesse à ceux qui nous entourent, « notre propre mère, une grand-mère ou d’autres personnes proches (cf. 2Tm 1,5) comme aime à les décrire le pape François (n° 3). Il enracine la sainteté chrétienne dans la réalité ordinaire.

Les saints de la porte d’à côté dans Communauté spirituelle ob_f10caf_bp7lapinbleu773c-1jn4-12

Cette sainteté vient de l’Esprit qui nous unit au Dieu seul saint et nous fait vivre l’amour mutuel où se révèle la présence de Dieu en nous, comme l’écrit Jean dans la deuxième lecture (1 Jn 4, 11-16) :

« Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection. Voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné part à son Esprit. »

 

1026471247 amour dans Communauté spirituelleLes saints de la porte d’à côté nous redisent qu’il nous est également possible d’emprunter cette voie, humble et toute simple, où demeurer dans l’amour et demeurer en Dieu se nourrissent mutuellement l’un de l’autre (1Jn 4,16).

Le secret de cette sainteté d’à côté n’en est pas un : chacun pressent qu’aimer jour après jour, en paroles et en actes, est le vrai critère d’une vie réussie. Plus qu’une Roleix à 40 ans ou une start-up à 30 ans, l’amour familial et amical transforme une existence ordinaire en un parcours qui vaut la peine. C’est un témoignage quasi-sacramentel rendu à la communion d’amour qu’est Dieu en lui-même. C’est pourquoi le concile Vatican II (dans le document Lumen Gentium = LG) n’a pas reculé devant l’audace théologique de définir l’Église, l’assemblée (ekklèsia) des fidèles, comme une communion d’amour dont la source directe est l’amour trinitaire :

LG 1: « sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ».
LG 9: « sacrement visible de cette unité salutaire » (l’unité de ceux qui regardent avec foi vers Jésus, auteur du salut, principe d’unité et de paix).
LG 48: « sacrement universel du salut ».

Répondant à l’appel du Christ, l’Église est sacrement de la communion trinitaire (Catéchisme de l’Église Catholique n° 747, 837, 950, 1108, 1126, 1301, 1469, 1522, 1532), lorsqu’elle permet à des hommes et des femmes de faire l’expérience d’une unité dans la foi aussi forte que celle qui unit le Christ à son Père dans l’Esprit. Rien moins que cela ! La foi n’est donc pas une aventure individuelle, privée, n’en déplaise aux néolibéraux ou aux partisans d’une laïcité ultra-stricte. C’est par nature une aventure sociale, où les liens vécus dans la cité, l’entreprise, la famille, le quartier sont des sacrements des liens d’amour trinitaires. Le pape François réaffirme tranquillement cette dimension populaire du salut offert dans et par l’Église :

« L’Esprit Saint répand la sainteté partout, dans le saint peuple fidèle de Dieu, car « le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (Lumen Gentium n° 9). Le Seigneur, dans l’histoire du salut, a sauvé un peuple. Il n’y a pas d’identité pleine sans l’appartenance à un peuple. C’est pourquoi personne n’est sauvé seul, en tant qu’individu isolé, mais Dieu nous attire en prenant en compte la trame complexe des relations interpersonnelles qui s’établissent dans la communauté humaine : Dieu a voulu entrer dans une dynamique populaire, dans la dynamique d’un peuple. (n° 6).

 Augustin

Les saints de la porte d’à côté nous portent, et nous relient à ce réseau spirituel bien plus puissant que Facebook ou Twitter. Souvent à notre insu : tel voisin de palier, tel collègue de travail, tel cousin ou neveu… se révéleront un jour être de vrais amis de Dieu, consciemment ou non, à travers qui circulent l’unité et l’amour dont nous profitons à côté d’eux.

Apprenons à reconnaître ces saints et saintes « d’à côté », non pour les mettre en avant – ce que leur humilité ne supporterait pas – mais pour se plugger sur la bonté et la vérité qui émanent simplement de leur vie.

Ils nous ramènent à l’essentiel. Ils nous aident à simplifier nos modes de vie. Ils nous feront entendre en nous-mêmes des désirs plus forts. Ils nous élèveront vers Dieu par le  témoignage de leurs responsabilités assumées avec amour. Ils nous invitent à expérimenter nous aussi cette petite voie chère à Thérèse de l’enfant Jésus.

« Pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux qui ont la possibilité de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas ainsi. Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve.
Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement.
Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église.
Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères.
Es-tu père, mère, grand- père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus.
As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels (n° 14) ».

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Si Dieu est amour, si demeurer en Dieu et demeurer dans l’amour ne sont qu’une seule et même chose, alors saint Augustin à raison de nous appeler à tout essentialiser autour de ce roc solide, pour en faire la fondation de notre maison commune :

« Ce court précepte t’est donné une fois pour toutes :
Aime et fais ce que tu veux.
Si tu te tais, tais-toi par amour,
Si tu parles, parle par amour,
Si tu corriges, corrige par amour,
Si tu pardonnes, pardonne par amour.
Aie au fond du cœur la racine de l’amour :
De cette racine, rien ne peut sortir de mauvais. »

St Augustin, Homélie sur la première épître de saint Jean VII, 7-8

 


[1]. Cf. Joseph Malègue, Pierres noires. Les classes moyennes du Salut, Paris 1958.

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Il faut que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de la résurrection de Jésus » (Ac 1, 15-17.20a.20c-26)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères qui étaient réunis au nombre d’environ cent vingt personnes, et il déclara : « Frères, il fallait que l’Écriture s’accomplisse. En effet, par la bouche de David, l’Esprit Saint avait d’avance parlé de Judas, qui en est venu à servir de guide aux gens qui ont arrêté Jésus : ce Judas était l’un de nous et avait reçu sa part de notre ministère. Il est écrit au livre des Psaumes : Qu’un autre prenne sa charge. Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection. » On en présenta deux : Joseph appelé Barsabbas, puis surnommé Justus, et Matthias. Ensuite, on fit cette prière : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs, désigne lequel des deux tu as choisi pour qu’il prenne, dans le ministère apostolique, la place que Judas a désertée en allant à la place qui est désormais la sienne. » On tira au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias, qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres.

Psaume
(102 (103), 1-2, 11-12, 19-20ab)
R/ Le Seigneur a son trône dans les cieux. ou : Alléluia ! (102, 19a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ;
aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.

Le Seigneur a son trône dans les cieux :
sa royauté s’étend sur l’univers.
Messagers du Seigneur, bénissez-le,
invincibles porteurs de ses ordres !

Deuxième lecture
« Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 11-16)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection. Voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné part à son Esprit. Quant à nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Évangile
« Qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jn 17, 11b-19)
Alléluia. Alléluia. Je ne vous laisserai pas orphelins, dit le Seigneur ; je reviens vers vous, et votre cœur se réjouira. Alléluia. (Jn 14, 18 ; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde.
Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »
Patrick BRAUD

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