L'homélie du dimanche (prochain)

11 juin 2023

Choisir Judas comme ami

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Choisir Judas comme ami

Homélie pour le 11° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
18/06/2023

Cf. également :
Quand Dieu appelle
Le principe de gratuité
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Remplacer Judas aujourd’hui

On ne choisit pas sa famille…

« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
De Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher
Être né quelque part
Être né quelque part, pour celui qui est né
C’est toujours un hasard… »

Cette belle chanson de Maxime le Forestier nous invite à accepter d’être né quelque part, pas forcément là où on aurait rêvé. Par contraste, c’est aussi l’invitation à choisir nos amis : alors que la famille nous est imposée, nos amis relèvent de notre libre volonté de nous lier à eux.
Mais sommes-nous si sûrs de vraiment choisir nos amis librement ?
Combien avez-vous d’amis venus d’un milieu social très différent du vôtre ? Combien ont 20 ans de plus ou de moins que vous ? Combien parlent une autre langue ? Combien votent à l’opposé de vos opinions ? Etc.
Vous mesurez ainsi que choisir ses amis n’est pas si évident que cela.
D’autant qu’avec les années, certains que l’on pensait fiables s’évanouissent dès qu’ils sont loin, ou dès qu’un malheur vous frappe. Au contraire, de manière surprenante et imprévue, certains se révèlent être de vrais soutiens dans l’épreuve alors qu’on les connaissait à peine auparavant.
Bref : il se pourrait que nos amis nous soient également donnés, à travers aléas et autres événements révélateurs.

Jésus n’échappe pas à cette règle humaine. Il n’est pas allé chercher des non-juifs, ni des trop vieux ou des trop jeunes, ni même des femmes (car les coutumes de son temps excluaient ce genre de familiarité), et il a eu bien des surprises avec ses compagnons de route. Dans l’Évangile de ce dimanche (Mt 9,36-10,8), on le voit appeler 12 hommes (en référence bien sûre aux 12 tribus d’Israël), des Galiléens proches de Capharnaüm et de Nazareth, cette contrée paumée de mauvaise réputation.
http://www.sedifop.com/wp-content/uploads/2015/10/Communion-des-saints-avec-le-Christ.jpg
« Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra. »
Comme il n’a pas fait l’ENA, Jésus ne peut pas taper dans l’association des anciens élèves pour avoir des noms prestigieux sur sa liste. Il se contente d’appeler ceux qu’il a sous la main : des pêcheurs peu instruits, des galiléens, un fonctionnaire douteux (Matthieu lui-même !), deux  militants politiques exaltés (Simon et Judas)… Sûrement pas la Dream Team que le cabinet Mac Kinsey aurait recrutée pour un futur leader mondial !
Jésus les appelle 2 par 2, comme il les enverra 2 par 2, pour éviter d’être trop possessif ou trop exclusif. Il appelle également 2 × 2 frères, car il pense que les liens familiaux peuvent devenir des liens de foi.

Donc Jésus à la fois choisit les 12, et il les reçoit, tels qu’ils sont. Car ils sont rebelles, râleurs, un peu ‘bouchés’, lâches, et aucun ne va réagir comme Jésus aurait pu l’espérer. Ça ne fait rien : tels qu’ils sont, Jésus prend le risque. D’abord de les appeler, puis de les envoyer, et tout au long de les aimer. Ainsi ils seront disciples au début (ceux qui suivent un rabbin), puis apôtres (envoyés), et tout au long amis.
Il recevra d’autres amis imprévus que la vie lui enverra : Marie de Magdala, un groupe de femmes qui le suivaient, Joseph D’Arimathie après sa mort etc.

Comment vivre sans amis, même peu reluisants ?
Jésus le sait bien. Et il a l’audace de tenter ce qu’on appellerait aujourd’hui une vraie mixité sociale au sein de son groupe. Car c’est un chaudron explosif que de mélanger des pêcheurs rugueux et un fonctionnaire véreux, des impurs comme Mathieu collaborant avec les Romains pour lever les impôts et les purs et durs comme Simon et Judas, des fils de leaders (Alphée = conduire le troupeau) avec des fils de followers (Thaddée = celui qui est nourri), des révolutionnaires politiques professionnels comme Simon le zélote et Judas l’Iscariote avec des ‘doux’ comme Jean ou André etc.
Ces Douze forment une solution chimique hautement instable, que seule l’autorité charismatique de leur leader semble maintenir en émulsion permanente. Quelque chose entre le RPR de Jacques Chirac et la NUPES de Mélenchon…

Notre liste de contacts-amis est-elle aussi bigarrée et diverse que celle des Douze ?…

Intéressons-nous maintenant aux deux derniers de la liste, les deux violents qui forment une paire de choc : Simon le zélote et Judas l’Iscariote.

 

Simon et Judas
Ils ont dû s’indigner ces deux-là de la présence d’un publicain dans la bande à Jésus. « Social traître », comme aimaient à dire les staliniens des années 60, Mathieu (Lévy) est le prototype du fonctionnaire corrompu qui profite de l’Occupation pour se faire de l’argent facile sur le dos des contribuables, tout en étant protégé par le nouveau régime étranger. C’est comme si Jésus demandait à Jean Moulin et Lucie Aubrac de faire équipe avec Klaus Barbie. Car les zélotes étaient la Résistance armée, et le sicaire auquel fait allusion le qualificatif « l’Iscariote » n’est rien d’autre que le poignard pour égorger le plus de Romains  possible [1].
Premier pari risqué donc de la part de Jésus : apprendre aux extrêmes à travailler ensemble.
Deuxième pari : désamorcer la violence des deux terroristes de la bande, pour leur faire peu à peu découvrir que le Royaume appartient aux doux et aux artisans de paix.Choisir Judas comme ami dans Communauté spirituelle

Il semble que Jésus ait gagné son pari avec Simon le Zélote. On le voit avec les autres à la Pentecôte. Puis le Nouveau Testament perd sa trace. Mais la Tradition rapporte que, après avoir évangélisé l’Égypte et les Berbères, il aurait rejoint l’apôtre Jude de l’autre côté de l’Euphrate pour prêcher en Perse, ce qui à l’époque correspond à l’Empire parthe. De très nombreuses sources chrétiennes convergent pour parler de cette prédication dans l’espace parthe et au sud de l’Arménie. D’autres sources le situent dans la région de la mer Noire comme l’apôtre André principalement en Abkhazie actuelle où il aurait séjourné dans une grotte à Soukhoumi (à l’époque Sebastopolis). Selon les sources, il serait mort martyr, découpé à la scie ou crucifié.

Évidemment, Judas le symétrique ne suit pas le même chemin, et diverge très vite de l’itinéraire de Simon, alors qu’ils auraient pu évoluer ensemble. La version officielle (celle de Jean, puis de l’Église romaine) présente Judas comme le traître, le cupide qui pour 30 deniers a fait tomber son ami aux mains de l’occupant. Du coup, Jean le noircit à outrance : il serait possédé par Satan, et son péché est plus grand que tous, impardonnable.
Est-ce si sûr ?

 

Celui qui livra Jésus
Le verbe livrer qu’emploie Matthieu (« Judas, celui qui livra Jésus ») signifie certes la plupart du temps trahir, faire arrêter, condamner (environ 85 usages en ce sens dans le Nouveau Testament). Mais il y a une quinzaine d’autres usages qui pourraient faire penser à autre chose [2].
Livrer (παραδίδωμι, paradidomi) signifie d’abord : remettre entre les mains de quelqu’un, avec confiance. Ce qu’on remet ainsi peut être une chose : un commandement, des talents à faire crucifier, la foi, la Parole, le Royaume de Dieu lui-même etc. Ce peut être également quelqu’un. Livrer Jésus serait alors pour Judas un acte de confiance envers le pouvoir juif  pour trouver un accord avec Jésus afin d’unir leurs forces en vue de chasser les Romains hors d’Israël [3]. Ce qui serait cohérent avec la flamme nationaliste qui animait Judas : il voyait en Jésus le Messie libérateur capable de soulever les foules contre l’occupant étranger, comme Mattathias autrefois (en -167) avait réussi à obtenir l’indépendance grâce un soulèvement populaire, pour quelques décennies.

Giotto, le Baiser de JudasLe malentendu serait alors celui-ci : Judas est persuadé d’accomplir le désir de son maître en l’aidant à établir le Royaume de Dieu par la force. D’où son enthousiasme lors de la Cène, lorsqu’il demande : « est-ce moi Seigneur qui te livre ? » Lorsque Jésus lui répond : « ce que tu as à faire, fais-le vite », Juda se sont confirmé dans sa mission d’intermédiaire et de négociateur pour trouver une alliance entre les prêtres juifs et Jésus. Il y croit. Quand il embrasse Jésus à Gethsémani, ce n’est pas par dérision : c’est l’authentique geste d’amitié de celui qui va donner à son maître l’occasion enfin d’en finir avec les Romains.

Si l’on suit cette interprétation du rôle de Judas, nulle trahison, nulle traîtrise en l’apôtre, mais seulement un énorme malentendu du côté de Judas qui se méprend sur la nature de la révolution prêchée par Jésus. Du coup, lorsque tout cela échoue lamentablement au Golgotha, Judas considère que sa mission est un désastre, et – à la vie à la mort – reste solidaire de son maître et ami qu’il croyait mener au triomphe. Il se suicide pour partager le même sort que son héros. Par pendaison ou par éventration ? On a les deux versions dans le Nouveau Testament, signe d’une relecture tardive, visiblement à charge, de cet événement. En tout cas, il ne peut ni ne veut survivre à la mort de son ami qui est en même temps la mort de son rêve politique.

Jésus savait-il tout cela ?
Jean lui prête la faculté de connaître tout à l’avance. Mais quand on choisit ses amis, on prend un risque. On ne peut savoir à l’avance – à moins de n’être que Dieu sans être homme – ce que la liberté de l’autre va l’amener à faire envers nous. Connaissant le tempérament violent et les idées politiques extrêmes de Judas (et de Simon), Jésus pourtant a fait confiance, et a pris le risque de se livrer entre les mains de gens peu recommandables. Simon a compris que le Royaume serait tout intérieur, et a progressivement abandonné la lutte armée. Judas lui a fantasmé sur Jésus des rêves de renversement et d’indépendance. Il l’a fait sincèrement, s’aveuglant lui-même. Jésus a souvent observé ce malentendu grandissant qui allait creuser un fossé entre lui et Judas. Il a essayé de l’avertir. Il a continué à faire confiance malgré tout, croyant que son Père saurait se débrouiller avec ce violent. « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28), même le choix d’un terroriste parmi les Douze, pensait Jésus. Car « le Seigneur a tout fait selon son dessein, même le méchant pour les jours de malheur » (Pr 16,4).
Ne sachant plus comment se dépêtrer de l’attachement encombrant de ce guérillero, Jésus finit par tout remettre entre les mains de son Père en laissant le champ libre à Judas.

Judas, un coupable idéal ?Choisir Judas pour ami est encore aujourd’hui une redoutable mission qui nous incombe.
Nombre de divorces ressemblent à ce malentendu grandissant qui se glisse entre Jésus et Judas jusqu’à provoquer la rupture. Et chacun accuse alors l’autre de le trahir.
Nombre de brouilles entre amis partent de l’idéalisation de l’autre lui prêtant des qualités ou des désirs qu’il n’a pas.
Nombre de conflits au travail reposent sur ce manque d’explicitation d’un projet commun.
Nombre de schismes en Église se sont d’abord nourris de ce processus d’estrangement comme on dit en franglais – où chacun devient étranger à l’autre en ne comprenant plus ce qu’il cherche.

Car, sans Judas, les Douze ne seraient pas les Douze. À tel point qu’il a fallu le remplacer fissa après la mort de Jésus, pour continuer l’aventure.
N’ayons donc pas peur de prendre Judas pour ami encore aujourd’hui. Même s’il nous trahit, même s’il nous livre à d’autres projets que le nôtre,
Dieu sera bien s’en débrouiller, lui qui « écrit droit avec des lignes courbes »…
Ce risque est grand, mais le jeu en vaut la chandelle. Car que serait l’amitié si elle se limitait à ceux qui nous ressemblent ?

 


[1]. Son nom pourrait être la forme sémitisée de l’épithète latine sicarius, en considérant que le « i » a été placé devant le surnom pour lui donner une forme sémitique.
En latin, le mot sicarius signifie le « porteur de dague ». Dans la Peshitta, version araméenne des évangiles, il est appelé Judas sikariot, « sicaire » étant probablement un nom péjoratif pour désigner les Juifs révoltés contre le pouvoir romain comme les zélotes, les Galiléens et autres « brigands » ou « bandits ». Robert Eisenman fait remarquer que la plupart des consonnes et des voyelles correspondent, entre le sicarioi/sicariōn de Flavius Josèphe et le Iscariot du Nouveau Testament. Le suffixe « -ote » dénote l’appartenance à une communauté – dans ce cas, celle des sicaires.

[2]. Mt 11,27; 25,14.20.22 Lc 1,2; 4,6 Jn 19,30 Ac 6,14; 15,40; 16,4 Rm 6,17 1Co 11,2; 15,3.24 2P 2,21 Jud 1,3

[3]. C’est la thèse développée notamment par Armand Abécassis dans : En vérité je vous le dis, une lecture juive des Évangiles, Editions N° 1, 1999 et Judas et Jésus. Une liaison dangereuse, Éditions N° 1, 2001.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte » (Ex 19, 2-6a)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, les fils d’Israël arrivèrent dans le désert du Sinaï, et ils y établirent leur camp juste en face de la montagne. Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l’appela du haut de la montagne : « Tu diras à la maison de Jacob, et tu annonceras aux fils d’Israël : Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. »

PSAUME
(Ps 99 (100), 1-2, 3, 5)
R/ Il nous a faits, et nous sommes à lui, nous, son peuple, son troupeau. (Ps 99, 3bc)

Acclamez le Seigneur, terre entière,
servez le Seigneur dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !

Reconnaissez que le Seigneur est Dieu :
il nous a faits, et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.

Oui, le Seigneur est bon,
éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.

DEUXIÈME LECTURE
« Si nous avons été réconciliés par la mort du Fils, à plus forte raison serons-nous sauvés en recevant sa vie » (Rm 5, 6-11)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. À plus forte raison, maintenant que le sang du Christ nous a fait devenir des justes, serons-nous sauvés par lui de la colère de Dieu. En effet, si nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils alors que nous étions ses ennemis, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, serons-nous sauvés en ayant part à sa vie. Bien plus, nous mettons notre fierté en Dieu, par notre Seigneur Jésus Christ, par qui, maintenant, nous avons reçu la réconciliation.

ÉVANGILE
« Jésus appela ses douze disciples et les envoya en mission » (Mt 9,36-10,8)
Alléluia. Alléluia. Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1,15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »
Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.
Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »
Patrick BRAUD

 

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