Le speed dating en mode Jésus
Le speed dating en mode Jésus
Homélie pour le 23° dimanche du temps ordinaire / Année B
09/09/2018
Cf. également :
Le coup de gueule de saint Jacques
La revanche de Dieu et la nôtre
Effata : la Forteresse vide
L’Église est comme un hôpital de campagne !
Connaissez-vous le speed dating ?
Eh bien, figurez-vous que c’est un rabbin qui a inventé ce mode de rencontre [1] ! Au départ, il voulait favoriser les mariages entre juifs (vieille obsession biblique, pour que la foi ne se perde pas car c’est la mère juive qui fait l’identité juive de ses enfants). Cela a tellement bien marché que le principe en a été étendu à toutes les rencontres.
La méthode est simple. Réunissez dans une même pièce sept hommes et sept femmes (ou plus). Les femmes sont assises à une table et ne bougent pas. Toutes les sept minutes, un homme différent vient s’asseoir à leur table, et c’est parti pour sept minutes de conversation à bâtons rompus, histoire d’éprouver ou non un déclic pour une relation d’amitié ou d’amour par la suite. On peut ainsi et rapidement (speed) mettre en contact (dating) ceux qui désirent tous les deux en savoir plus l’un sur l’autre. La technique s’est même étendue au recrutement de nouveaux embauchés : les entreprises cherchant de nouveaux talents tiennent la place des femmes, les chercheurs d’emploi celle des hommes (on parle alors de job dating).
Il semblerait que les foules pratiquent souvent sans le savoir le Jésus dating dans les Évangiles !
Ainsi dans le passage de ce dimanche (Mc 7, 31-37) :
« Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui ».
Amener quelqu’un au Christ, voilà qui n’est pas banal ! Servir cette rencontre, unique entre toutes, rapide, bouleversante, sans forcément revoir ce Jésus après… Ici c’est un sourd qu’on amène à Jésus. On ne sait pas s’il est d’accord ou non : sa guérison devra beaucoup plus à ceux qui l’ont amené qu’à lui-même ! On les présente l’un à l’autre, puis on les laisse tranquilles tous les deux, et d’ailleurs Jésus s’isole pour mettre de la salive sur la langue du sourd-muet et prononcer son fameux : Effata !
Qui est ce « on » sans qui rien ne serait arrivé ? Pourquoi organise-t-il cette rencontre ? On peut deviner que ce sont des proches, des voisins, les habitants d’un même village. On peut imaginer qu’ils font cela parce qu’ils ont entendu parler de la réputation de guérisseur de Jésus, et que l’intéressé n’était pas prêt à y aller tout seul. Donc ils l’accompagnent, le convainquent, le portent s’il le faut, bref : ils l’amènent au Christ.
Dans l’Évangile de Marc, ce verbe amener (à Jésus) est employé plusieurs fois (du verbe φέρω = pheró en grec).
- La première fois, c’est pour lui amener tous les malades qui traînent dans le coin :
Mc 1,32 : Le soir, après le coucher du soleil, on lui amena tous les malades et les possédés.
La maison de Simon et André à Capharnaüm, que Jésus a adoptée comme sa maison en fait, est devenue alors une mini grotte de Lourdes, envahie par tous ceux que la médecine de l’époque ne pouvait soigner. Voilà un peu l’hôpital de campagne dont parlait le pape François pour désigner l’Église aujourd’hui : une maison fraternelle où l’on peut amener au Christ tous les malades, tous les possédés de nos sociétés, et Dieu sait s’il y en a !
- La deuxième fois, c’est un paralytique qu’on lui présente, soulevé par des porteurs de brancards :
Mc 2,3 : On vient lui amener un paralytique, soulevé par quatre hommes.
La scène se passe « à la maison », c’est-à-dire à Capharnaüm. Le geste d’amener un frère paralysé est ici hautement symbolique de la foi de la foule, qui obtient non seulement la guérison physique, mais surtout la rémission des péchés, ce qui fait grincer des dents les scribes au milieu de la foule enthousiaste.
- La troisième fois que ce verbe amener (à Jésus) est utilisé, c’est pour notre sourd-muet mal parlant.
Mc 7,32 : On lui amena un sourd, qui avait de la difficulté à parler, et on le pria de lui imposer les mains.
- La troisième fois, c’est pour lui présenter un aveugle :
Mc 8,22 : Ils se rendirent à Bethsaïda; et on amena vers Jésus un aveugle, qu’on le pria de toucher.
À nouveau la salive de Jésus (avec l’imposition de ses mains) transforme cet aveugle, à l’écart.
- La cinquième fois, c’est un enfant épileptique qu’on lui amène. Le père avait pris l’initiative et Jésus demande la foule de lui apporter cet enfant aux crises si effrayantes pour les mentalités de l’époque.
Mc 9,17-20 : Quelqu’un de la foule lui dit: « Maître, je t’ai amené mon fils qui a un esprit muet. Quand il le saisit, il le jette à terre, et il écume, grince des dents et devient raide. Et j’ai dit à tes disciples de l’expulser et ils n’en ont pas été capables » — « Engeance incrédule, leur répond-il, jusques à quand serai-je auprès de vous? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi. » Et ils le lui amenèrent.
Jésus peut donc demander qu’on lui amène des gens, ce n’est pas à sens unique.
- La sixième fois, c’est pour lui amener (προσφέρω = pros- pheró) des enfants.
Mc 10,13 : On lui amena des petits enfants, afin qu’il les touchât. Mais les disciples reprirent ceux qui les amenaient.
Il s’agit de provoquer un contact physique (toucher, imposer les mains comme pour le sourd ou l’aveugle) non pour guérir, mais pour bénir :
Mc 10,16 : Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains.
Amener au Christ ne relève pas uniquement d’une démarche de guérison : portés par leurs proches, les petits-enfants – que nous pouvons devenir pour recevoir le royaume de Dieu, selon Mt 18,13 – sont entourés de tendresse, d’affection et de de bénédiction dans cette brève rencontre avec le Christ.
À l’inverse de ces usages positifs du verbe amener (au Christ), Marc mentionne le sombre épisode où Hérode fait amener à sa belle-fille la tête de Jean-Baptiste sur un plat :
Mc 6,27-28 : Et aussitôt le roi envoya un garde en lui ordonnant d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla et le décapita dans la prison; puis il apporta sa tête sur un plat et la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
On peut donc aujourd’hui encore apporter à son idole (la convoitise de la fille de son frère ici pour Hérode) la tête de quelqu’un de valeur… Hélas, sacrifier quelques têtes pour obtenir des faveurs est toujours d’actualité ! C’est le mouvement symétrique, inverse de la foi : tuer l’autre pour l’amener mort à une idole, au lieu d’amener l’autre souffrant au Christ pour qu’il guérisse et vive pleinement.
Pour être complet signalons deux autres usages du verbe amener (à Jésus) :
- Mc 11,1.7 : vous trouverez, à l’attache, un ânon que personne au monde n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. (…) Ils amènent l’ânon à Jésus et ils mettent sur lui leurs manteaux et il s’assit dessus.
Même les ânes peuvent être amenés au Christ ! Il saura comment transformer l’humble petit âne en monture royale pour la procession dite des rameaux.
- Même un denier apporté au Christ (Marc 12,15 — 16) peut révéler ce qui revient à César et ce qui revient à Dieu.
Mc 12,16 : Apportez-moi un denier, que je le voie. Ils en apportèrent un (…)
Le dernier usage du verbe amener chez Marc n’est plus pour amener au Christ mais pour amener le Christ au Golgotha.
Mc 15,22 : Et ils amènent Jésus au lieu-dit Golgotha, ce qui se traduit lieu du Crâne.
Ultime inversion des rôles : celui à qui on avait amené l’humanité est maintenant celui qu’on amène à l’inhumain.
Il imposait les mains, à l’écart, pour guérir et bénir. On lui impose les clous, en public, pour le tuer et le maudire.
Parce qu’il se laisse ainsi amener au sacrifice, Jésus renverse la violence faite à toutes les victimes qu’on amène à l’abattoir. Par sa résurrection, il fera de ce chemin de perdition une voie de salut, dont le criminel à sa droite est le premier bénéficiaire.
On le voit, amener quelqu’un au Christ n’est pas chose banale !
Et si c’était la mission de ses disciples aujourd’hui encore ? À la manière d’un speed dating ou d’un job dating astucieux, n’est-ce pas de notre responsabilité de baptisés d’organiser des rendez-vous avec le Christ ? De provoquer ces rencontres-éclair d’où un coup de foudre peut jaillir et bouleverser une vie ? De mettre en présence du Christ ceux qui souffrent dans leur cœur ou dans leur corps ?
Amener au Christ en français, c’est prendre par la main pour accompagner quelqu’un vers quelqu’un (on apporte quelque chose, mais on amène quelqu’un, par la main). Ce n’est donc pas le forcer, le contraindre. Amener au Christ relève de la proposition de la foi, pas de l’imposition d’une religion. Si les sourds-muets, paralytiques et aveugles se laissent conduire à Lourdes par exemple en pèlerinage, c’est parce qu’ils ont confiance dans les hospitaliers qui les y amènent. Ils n’ont pas forcément la foi ni même l’espoir de guérir. Ils se laissent faire par des aidants, des amis, des soignants, l’immense foule des hospitaliers et hospitalières au service des malades dans ces énormes pèlerinages d’été notamment à Lourdes.
Même les enfants qu’on amène au Christ n’y sont pas forcés : eux aussi font confiance aux adultes qui leur font découvrir qui est Jésus, à travers le catéchisme, les messes des familles, les histoires bibliques qu’on raconte avant de dormir le soir etc.
Certaines fois, la rencontre avec le Christ semble impossible. Tant de grands-parents aimeraient amener leurs petits-enfants au Christ, mais tout s’y oppose… Reste alors le speed dating de la prière. On peut toujours présenter au Christ dans la prière tel collègue, telle personne souffrante, tel enfant éclatant de vie, tel adolescent doutant de lui-même. Et c’est même souvent la seule prière possible : « Seigneur, je te présente Léa. Je ne sais pas ce qui est le meilleur pour elle. Mais je crois qu’elle trouvera auprès de toi ce qu’elle cherche. Touche-la, bénis-la, par les moyens que toi seul connais et peux mettre en œuvre… » Sainte Monique a ainsi présenté son fils Augustin à Jésus dans les larmes de sa prière pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que l’attrait éblouissant du Livre parmi les livres le renverse comme Paul vers Damas (« tolle et lege ! »).
Il ne nous appartient pas de savoir comment se passera cette rencontre. Nous n’avons pas à maîtriser ce qu’elle va produire ou non. Il nous revient seulement, comme la foule amenant le sourd-muet à Jésus, de rendre possible le face-à-face, d’en être le catalyseur, acceptant de disparaître quand les deux sont réunis. C’est ce que Jean-Baptiste appelait « être l’ami de l’époux », les amenant l’un à l’autre, puis s’éclipsant sur la pointe des pieds…
Jn 3,29 : Qui a l’épouse est l’époux; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète.
Cette semaine, qui puis-je amener au Christ ? Comment ? Par une invitation, une lecture, une conférence, une célébration, un coup de fil ? Par la prière ?
Soyons les « speed daters » du Christ !
[1]. La méthode a été créée par le rabbin Yaacov Deyo de Aish HaTorah aux États-Unis à la fin des années 1990. Deyo avait pour objectif de préserver la culture juive en poussant aux mariages intracommunautaires. La méthode s’est depuis propagée aux autres communautés, puis à d’autres pays.
Lectures de la messe
Première lecture
« Alors s’ouvriront les oreilles des sourds et la bouche du muet criera de joie » (Is 35, 4-7a)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes.
Psaume
(Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Je veux louer le Seigneur, tant que je vis. ou : Alléluia. (Ps 145, 2)
Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.
Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !
Deuxième lecture
« Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres pour en faire des héritiers du Royaume ? » (Jc 2, 1-5)
Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied. » Cela, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon de faux critères ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ?
Évangile
« Il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7, 31-37)
Alléluia. Alléluia. Jésus proclamait l’Évangile du Royaume et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Patrick BRAUD