L'homélie du dimanche (prochain)

7 octobre 2015

Chameau et trou d’aiguille

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Chameau et trou d’aiguille

Homélie du 28° dimanche du temps ordinaire/Année B
11/10/2015

Cf. également :

À quoi servent les riches ?
Plus on possède, moins on est libre
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Les sans-dents, pierre angulaire
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

Dans ce texte archi connu dit « du jeune homme riche » (mais dans notre évangile de Mc 10, 17-30 rien ne dit qu’il est jeune !) les pistes d’actualisation foisonnent (cf. liste ci-dessus).
Pour une fois, attardons-nous sur un détail amusant, passé dans la sagesse proverbiale populaire : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». Étonnant non, ce rapprochement entre un chameau et une aiguille !? Comme dirait Lautréamont (le poète), c’est beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie !

Comment interpréter cette sentence énigmatique de Jésus ?

Explorons quatre pistes.

 

1. L’hyperbole : Jésus force le trait pour décourager les riches
CamelL’image utilisée relève du procédé littéraire appelé hyperbole : on exagère, on en rajoute, on radicalise la réalité évoquée. Ainsi lorsque Jésus dit qu’il vaut mieux enlever la poutre qu’on a dans son oeil plutôt que de voir la paille qui est dans l’œil du voisin. Cela relève de ce procédé hyperbolique. Ici, le rapprochement d’un chameau et d’une aiguille est tellement improbable, impossible, qu’on voit très clairement que Jésus veut décourager les riches de persévérer dans leur richesse. Et quand on connaît la difficulté qu’il y a à faire passer un camélidé bi-bosse par le trou d’une aiguille, sauf dans le cas où cette dernière serait aux proportions de la Tour Eiffel, on se rend compte que les portes du Paradis sont définitivement fermées à notre Oncle Picsou.

Le message est fort : vous les riches, vous êtes dans une impasse si vous continuez à jouer sur les deux tableaux. Le Royaume de Dieu est incompatible avec l’état d’esprit d’égoïsme, d’absence de compassion, de séparation des pauvres, de domination, d’exploitation etc. qu’engendre inéluctablement la richesse accumulée.
Point barre.
Même la phrase suivante : « pour Dieu rien n’est impossible », ne suffira pas à sauver les riches malgré eux.

L’avertissement n’a rien perdu de son actualité.

 

2. Le symbole.

camel gateCertains commentaires font allusion à une petite porte dans les remparts de Jérusalem. Après le coucher du soleil, cette porte restait ouverte plus longtemps que les grandes portes qui étaient plus difficiles à défendre. Les chameaux ne pouvaient y passer qu’en se défaisant de toutes leurs charges. C’est une porte identique qui se trouvait autrefois à Toulouse, à l’emplacement de la place du Capitole à l’entrée de la rue du Taur ; une maquette de cette porte se trouve au musée Raymond IV de Toulouse.

Malheureusement, dans Néhémie 3, une liste des 12  portes de Jérusalem est donnée et il n’y est pas question de cette porte de l’Aiguille. On n’a trouvé aucune trace archéologique de cette porte, et l’expression ‘trou d’une aiguille’ (et non pas ‘trou de l’aiguille’) ne semble pas vraiment confirmer cette explication…

Reste que faire allusion à cette petite porte – si elle existait - était très efficace pour les auditeurs de Jésus connaissant les accès à Jérusalem.

Du coup le message est plus positif : de même que les caravaniers sont obligés de faire plier les  genoux aux chameaux, et de les décharger de leurs colis pour passer sous la porte du Trou de l’Aiguille, de même les riches, s’ils acceptent de ployer le genou devant Dieu et de se décharger de leur superflu, peuvent entrer dans le Royaume de Dieu. L’homme riche de notre évangile tombe à genoux devant Jésus : allusion à ce passage de la porte étroite ?…

D’ailleurs, les usages du mot chameau dans la Bible consonnent avec cette interprétation  symbolique. Le nombre de chameaux possédés par un clan était un étalon de sa réussite. Une dot se mesurait en chameaux, ânes et autres troupeaux d’animaux. Et quand la reine de Saba vient rencontrer le roi Salomon à Jérusalem, c’est avec des caravanes de chameaux chargés d’aromates et de pierres précieuses :
2Ch 9,1 : « La reine de Saba apprit la renommée de Salomon et vint à Jérusalem éprouver Salomon par des énigmes. Elle arriva avec de très grandes richesses, des chameaux chargés d’aromates, quantité d’or et de pierres précieuses » Cf. 1R 10,2.
Le prophète Isaïe s’en souviendra :
« Des multitudes de chameaux te couvriront, des jeunes bêtes de Madiân et d’Epha; tous viendront de Saba, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges de Yahvé » »  Is 60,6.

Le chameau était un animal impur, comme en témoigne Dt 14,7 :
« Toutefois, parmi les ruminants et parmi les animaux à sabot fourchu et fendu, vous ne pourrez manger ceux-ci: le chameau, le lièvre et le daman, qui ruminent mais n’ont pas le sabot fourchu; vous les tiendrez pour impurs ».
Associer le chameau à la richesse était habile, car cela engendrait instinctivement une réaction de répulsion.

Dans le Nouveau Testament, il n’y a que trois usages du mot chameau : ici en Mc 10 et parallèles, en Mc 1,6 pour Jean-Baptiste vêtu d’une peau de chameau, et encore Mt 23,24, où le chameau représente les énormes contradictions et incohérences que les pharisiens acceptent sans sourciller dans leur vie :
« Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau… »

Quand Jean-Baptiste s’habille de poils de chameau, c’est comme si en quelque sorte il avait tué l’animal, en portant sa dépouille : son vêtement désigne son combat contre la richesse qui empêche d’entrer l’homme dans le Royaume de Dieu.

L’avertissement symbolique lié à cette interprétation rejoint celui, explicite, de l’Apocalypse :
« Tu t’imagines: me voilà riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien; mais tu ne le vois donc pas: c’est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! » (Ap 3,17)

 

3. Un jeu de mots hébraïque

L’hébreu est une langue qui invite à jouer avec les lettres, les sens et les pictogrammes [1].  Même si nous ne devons pas forcément chercher là le premier sens, il est fort probable que Jésus tenait compte de ces images connues pour appuyer son enseignement. Chameau, “Gamal” (en Anglais : camel), vient du verbe distribuer, rétribuer, faire participer aux bénéfices. ‘Gamal’ est apparenté à la 3ème lettre de l’alphabet hébraïque : GIMEL. Le mot chameau s’écrit ainsi :

dalethgimel_resizedbeth

Le pictogramme de la lettre du milieu a la forme de quelqu’un qui marche. L’hébreu se lit de droite à gauche… La lettre GIMEL vient après la lettre BETH (qui signifie : maison – pensez à Bethléhem = maison du pain) et avant la lettre DALETH, qui signifie « pauvre ».
Selon le Midrash (commentaire rabbinique), le GIMEL suggère un homme riche qui quitte sa maison (BETH) en courant à la rencontre du pauvre DALETH avec qui il partage ses bénéfices.

riche et pauvre les 3 lettres

Tout ce jeu de lettres et de mots souligne moins l’idée que l’homme devrait se défaire de toutes les choses matérielles (ce qui est un discours religieux habituel mais assez moralisant), mais accentue plutôt la nécessité d’un élan du cœur qui conduit à un mouvement sincère et spontané vers les autres. C’est peut-être ce qui manquait à ce jeune homme riche qui semblait se contenter de ses devoirs religieux…

 

4. Un chameau qui donne du fil à retordre

Chameau et trou d’aiguille dans Communauté spirituelle 85267421_oDans cette dernière interprétation, on pense qu’il y a pu avoir confusion entre deux mots grecs : KAMELON = chameau (cf. Camel en anglais et ses fameuses cigarettes, Kamel en allemand etc.) et KAMILON = corde.

D’ailleurs, l’araméen GAMLA peut signifier aussi bien le chameau que la corde (tressée de poils de chameau).

En français, le dictionnaire Larousse de 1929 donnait encore une définition similaire du mot chameau : « Ensemble des fils de la chaîne, qui, sous le nom de poils, forment la partie veloutée des moquettes et de certains velours. Se dit aussi des velours coupés sur le métier pendant le tissage ». C’est donc un chat-mot qui a mot-chas le sens de la phrase [2]

La phrase exacte de Jésus serait alors : il est plus facile a un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à une corde de passer par le chas d’une aiguille. Ce qui avouons-le est déjà moins disproportionné ! La tâche semble difficile, mais moins improbable avec une corde qu’avec un chameau !

Signalons enfin que le Coran a gardé une trace de célèbre verset évangélique : Mohamed a réutilisé ce qu’il avait entendu des chrétiens de Médine en forgeant le verset suivant :
« Pour ceux qui traitent de mensonges Nos enseignements et qui s’en écartent par orgueil, les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes, et ils n’entreront au Paradis que quand le chameau pénètre dans le chas de l’aiguille. Ainsi rétribuons-Nous les criminels » (Sourate 7,40).

Quelle que soit l’interprétation qui vous semble la plus pertinente - et après tout les quatre méritent peut-être d’être gardées ensemble - l’avertissement est clair : la richesse est un obstacle à la suite radicale du Christ.

À l’heure des parachutes dorés, retraites chapeaux et autres indemnités ou salaires invraisemblables de certains sportifs ou autres dirigeants, le rappel du danger que représente la richesse pour la vie spirituelle est salutaire.

Quel chameau ! Quel chas !

À bon entendeur chalut…

 


[2]. De même que le dromadaire n’est finalement qu’un chameau qui bosse à mi-temps…

 

 

 

1ère lecture : « À côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sg 7, 7-11)
Lecture du livre de la Sagesse

J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.

Psaume : Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17

R/ Rassasie-nous de ton amour, Seigneur :
nous serons dans la joie.
cf. Ps 89, 14)

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Rends-nous en joies tes jours de châtiment
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs
et ta splendeur à leurs fils.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ;
oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

2ème lecture : « La parole de Dieu juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12-13)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.

Evangile : « Vends ce que tu as et suis-moi » (Mc 10, 17-30)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit: « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit: « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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13 octobre 2012

À quoi servent les riches ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

À quoi servent les riches ?

Homélie du 28° Dimanche ordinaire / Année B
14/10/2012 

 

Casse-toi, riche con !

À quoi servent les riches ? dans Communauté spirituelle une-lib%C3%A9Ce titre provocateur était là une du quotidien Libération juste au lendemain de l’annonce de Bernard Arnault (PDG de LVMH) demandant la nationalité belge. La violence et la vulgarité de cette diatribe faisait écho à la violence et à la vulgarité de Nicolas Sarkozy envers un jeune de banlieue : « casse-toi, pauvre con ! ».

On peut être atterré devant ce niveau zéro du débat public. On peut y voir une résurgence – version people – de la lutte des classes. Toujours est-il que le mépris des pauvres engendre le mépris des riches, et les deux se nourrissent mutuellement jusqu’à l’explosion de violence.

On peut aussi noter la différence notable entre ces apostrophes et celle de Jésus à l’homme riche. Il ne lui dit pas : « casse-toi », mais « suis-moi ». Il ne l’insulte pas mais pose son regard sur lui, et se met à l’aimer. Et quand cet homme de lui-même choisit de s’en aller, Jésus est rempli d’une déception amère qui est celle de l’amour : « il est décidément plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ! »

C’est un constat, légèrement désabusé, en tout cas empreint de la souffrance du Christ de voir combien la richesse est un handicap si lourd pour le suivre. Rien à voir avec une dénonciation trop moraliste – style Mélanchon – de la nuisance sociale des riches.

Jésus dit en substance : ‘toi qui es riche, suis-moi, et pour cela apprend à quitter, apprend à relativiser ce qui faisait ta puissance’.

Il n’y a pas que la richesse d’ailleurs qui soit concernée dans ce bouleversement à la suite de Jésus. La famille également est en jeu : « quitter frères, soeurs, père, mère, enfants ».

le+jeune+homme+riche+1 aiguille dans Communauté spirituelleLa vraie sagesse est donc de ne rien préférer au Christ : ni ses biens, ni ses proches, ni sa patrie etc.

Paradoxalement, ce qui a été ainsi quitté sera retrouvé, mais situé autrement : ordonné à l’amour et non désordonné, relativisé pour servir et non absolutisé pour dominer.

 

La première lecture annonçait cet étonnant jeu perdu-retrouvé : « j’ai préféré la sagesse aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle et j’ai tenu pour rien à la richesse » se réjouit Salomon. Et pourtant, « tous les biens me sont revenus avec elle, et par ses mains une richesse incalculable » ajoute-t-il, surpris de retrouver ainsi ce qu’il avait cru quitter (Sg 7,7 – 11).

Le Christ le redira à sa manière : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus le marché ».

On le voit : ce n’est pas la richesse en soi qui est condamnée par la Bible, c’est sa prétention à occuper la place de Dieu, à devenir le but ultime de la vie d’un homme. Et cette prétention est si forte qu’il est hélas très difficile d’y résister.

Si l’homme riche de Mc 10,17-30 avait vendu sa fortune pour être libre de suivre le Christ, il aurait expérimenté cette transformation du sens de la richesse.

« Si tu admires l’argent pour la considération qu’il procure, dis-toi que tu gagneras bien plus de gloire à être appelé le père de milliers d’enfants qu’à posséder des milliers d’écus dans une bourse » (saint Basile le Grand).

Basile essaie d’ailleurs, avec habileté, de persuader ses lecteurs que c’est leur intérêt finalement de préférer la sagesse à la richesse :

« Tu as donné à manger à l’affamé ; ce que tu as donné te revient, augmenté des intérêts. Comme le grain jeté en terre profite au semeur, de même le pain tendu à l’affamé rapporte un gain immense, pour plus tard. Quand se termine la moisson sur la terre, c’est le moment pour toi de semer dans le ciel. « Faites vos semailles pour la justice ! »(Os 10,12) ».

Jésus n’a jamais eu la prétention d’établir une nouvelle doctrine économique. Lorsqu’il constate avec douleur qu’un riche n’est pas assez libre pour le suivre, il avertit simplement ses disciples qu’effectivement la possession de richesses est un handicap paralysant. Il ne se pose pas notre question moderne - et intéressante ! - de l’utilité sociale des riches qui, si elle existe, légitimerait leur fortune. Il laisse ce débat aux économistes et aux politiques. Par contre, il se soucie de la destinée de chacun, riches ou pauvres ; il sonne l’alarme lorsque, jugeant l’arbre à ses fruits, il constate que les riches n’accueillent pas la Bonne Nouvelle.

À y regarder de près, les riches ont cependant quelques belles figures et quelques beaux rôles dans le Nouveau Testament. Joseph d’Arimathie intervient pour donner son superbe tombeau à la dépouille de Jésus. Lydie, la riche dame de Thyatire (Ac 16,9-40), aide la communauté chrétienne de Paul de sa générosité financière. Zachée rectifie sa fortune sans y renoncer. Des chefs de synagogue et des centurions romains - des CSP+ de l’époque – seront loués pour leur foi admirable, qui visiblement se conjugue bien avec leur aisance sociale.

Bien sûr, il y a le fameux : « malheureux, vous les riches » de Luc 5. Mais loin d’être une 41yPFYShLHL._SL500_AA300_ chameaumalédiction, ce cri de désolation devant l’état des riches résonne comme un appel à ne plus se laisser dominer par la richesse, à changer pour ne plus être malheureux. Ce n’est surtout pas une condamnation inéluctable. Même l’image du chameau et de l’aiguille se termine par cette déclaration qui vaut finalement pour tout le monde, riches ou pauvres : « qui peut être sauvé ? Pour les hommes cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu ».

Revenons à nos débats actuels.

Le mépris des riches n’apparaît pas très évangélique. La glorification de la richesse tout autant.

Difficile alors pour les chrétiens d’attiser la violence envers les uns ou les autres. Difficile également d’entrer dans la course aux biens matériels, à l’argent, au pouvoir, comme si la vie professionnelle n’avait rien à entendre de l’Évangile du jeune homme riche.

Certains ressentiront cet appel intérieur à tout quitter pour une vie radicalement centrée sur le Christ. D’autres garderont leur salaires élevé, leur rang hiérarchique, leur patrimoine, voire leur fortune, tout en relativisant fortement ces symboles de la réussite sociale. Comment ? En mettant leur richesse au service de la création d’emplois, d’actions humanitaires ou sociales ; en gardant une vraie humilité, en restant simples et sobres dans leur mode de vie ; en réinvestissant leurs plus-values dans des entreprises en accord avec leurs convictions etc.

Ce n’est pas tout vendre pour suivre le Christ, mais c’est déjà remettre à sa juste place chaque objectif qui autrement serait tyrannique. Et ce n’est déjà pas si mal !

 

Reste que pour devenir chrétien, il faut apprendre à quitter.
Quitter ses héritages familiaux, nationaux, patrimoniaux.
Passer par les persécutions promises par le Christ à ses disciples.
Et redécouvrir dès aujourd’hui le centuple qui est redonné : de nouveaux compagnons de route, une nouvelle famille, de nouvelles richesses qui ne contredisent pas les anciennes, mais les assument elles transcendent en les mettant au service de l’essentiel.

« Vends ce que tu as, et suis-moi » : comment cet appel résonne-t-il en nous ?

 

1ère lecture : Les trésors de la Sagesse (Sg 7, 7-11)
Lecture du livre de la Sagesse

J’ai prié, et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi.
Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas mise en comparaison avec les pierres précieuses ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue.
Je l’ai aimée plus que la santé et que la beauté ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas.
Tous les biens me sont venus avec elle, et par ses mains une richesse incalculable.

Psaume : 89, 12-13, 14-15, 16-17cd

R/ Rassasie-nous de ton amour : nous serons dans la joie.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos c?urs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin, 
que nous passions nos jours dans la joie et les chants. 
Rends-nous en joies tes jours de châtiment 
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton ?uvre à tes serviteurs 
et ta splendeur à leurs fils. 
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ; 
oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

2ème lecture : « Elle est vivante, la parole de Dieu » (He 4, 12-13)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre au plus profond de l’âme, jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du c?ur.
Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, dominé par son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.

Evangile : Tout abandonner pour suivre Jésus (brève : 17-27)(Mc 10, 17-30)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Heureux les pauvres de c?ur : le Royaume des cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus se mettait en route quand un homme accourut vers lui, se mit à genoux et lui demanda : « Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. »
L’homme répondit : « Maître, j’ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse. »
Posant alors son regard sur lui, Jésus se mit à l’aimer. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarde tout autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! »
Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Mais Jésus reprend : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? »
Jésus les regarde et répond : « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus : « Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre. »
Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des s?urs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, s?urs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle.
Patrick Braud

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