Cendres : une conversion en 3D
Cendres : une conversion en 3D
Homélie pour le Mercredi des Cendres / Année C
06/03/2019
Cf. également :
Cendres : soyons des justes illucides
Mercredi des Cendres : le lien aumône-prière-jeûne
Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres
Les 3 manières de nous laisser convertir…
« Convertissez-vous et croyez à l’évangile » : cette phrase résonne en boucle ce Mercredi pendant la procession d’imposition des cendres dans nos églises. Cet appel relaie celui de Joël dans la première lecture (Jl 2, 12-18) : « revenez à moi de tout votre cœur », celui de Paul dans la deuxième ((2 Co 5, 20 – 6, 2) : « laissez-vous réconcilier avec Dieu », et celui de Jean-Baptiste au désert « proclamant un baptême de conversion » (Lc 3,3).
Mais qu’est-ce que se convertir ? Ou plutôt : se laisser convertir, car ce mouvement nous est donné plus que nous ne le produisons.
Le Nouveau Testament fait apparaître 3 types de conversion – qui sont encore les nôtres aujourd’hui – au titre de notre baptême, et les cendres du Carême nous y ramènent : retournement / redressement / accomplissement.
Illustrons à chaque fois la dimension de la conversion évoquée par la façon dont Charles de Foucauld l’a vécue, pour nous convaincre de la puissance de transformation symbolisée par la cendre sur nos fronts ou nos mains.
1) La conversion par retournement (comme une crêpe qu’on retourne en la faisant sauter dans la poêle !)
Lorsqu’un petit bout de chou apprend à faire du ski, sur les pentes de Serres-Chevalier ou du Mont d’Or, très vite il se heurte à une impasse : un mur de neige impraticable arrive tôt ou tard devant ses skis. Que faire ? Les moniteurs de ski nous apprenaient autrefois à effectuer une conversion : savante manœuvre (qu’il faudrait mimer !) où on tord une jambe pour qu’elle reparte en sens inverse, puis l’autre, à 180°.
Or, devenu adulte, je trouve que c’est une grande sagesse que de savoir reconnaître les impasses où je me suis enfermé, et d’avoir le courage de me retourner exactement à l’opposé.
Le baptême dans l’Esprit Saint est cette source de courage qui nous permet de dire non à des pentes suicidaires, qui nous appelle à effectuer une conversion radicale, par retournement.
Dans l’Évangile, c’est par exemple Zachée : il aimait tant l’argent, il voulait tant profiter de sa situation pour traverser la vie en 1ère classe. Il aura suffi que Jésus s’invite chez lui pour qu’il change du tout au tout, redistribuant l’argent volé, devenant fraternel…
À l’inverse, certains refusent cette conversion-là et persévèrent dans leurs impasses. Ainsi le criminel à la gauche de Jésus en Croix, qui jusqu’au bout ne veut pas se détourner du mal qui lui colle à la peau…
Charles de Foucauld a été ‘retourné comme une crêpe’ par Dieu lui-même :
+ du fêtard de l’école St Cyr (il avait toujours du foie gras et un bon sauternes sur sa table de nuit…) à l’ascète du désert,
+ du riche noble, cherchant à séduire, au moine caché de Nazareth cherchant ‘l’abjection de la croix’,
+ de l’agitation superficielle de son milieu social parisien à l’adoration eucharistique, silencieux moteur de sa vie au milieu du désert du Sahara.
Qu’y a-t-il en moi qui doive être retourné, pour que je devienne fidèle à l’Esprit de mon baptême ?
2) La conversion par redressement (comme un bâton tordu qu’on redresse pour s’appuyer dessus)
Je contemplais autrefois – fasciné - le maréchal-ferrant taper les fers des chevaux rougis au feu de braise. Avec dextérité, en maniant force et savoir-faire, il arrivait à détordre les fers, à les aplatir, à leur faire épouser la forme exacte du sabot du cheval…
L’Esprit de Dieu joue un peu au maréchal-ferrant avec nous : il redresse ce qui est tordu, nous embrase pour nous rendre malléables, nous ajuste à la forme divine qui est en nous.
Dans l’Évangile, la conversion par redressement c’est par exemple Lévi. Lévi, fonctionnaire des écritures fiscales, qui devient Matthieu, passionné de l’écriture de son Évangile sur Jésus. Il aura suffi que Jésus le voie à son bureau de douanes et lui dise : « suis-moi ». Et sa merveilleuse capacité d’écriture, il va maintenant la mettre au service du Christ.
À l’inverse, Pilate refusera finalement de réorienter la soif de vérité qui était la sienne : « qu’est-ce que la vérité ? » Au lieu de laisser Jésus l’emmener vers une vérité radicale, il en restera à une recherche désordonnée et finalement cynique.
Ainsi Charles de Foucauld devient Charles de Jésus, pour signifier qu’il ne veut recevoir sa noblesse que du Christ. Son réseau de relations mondaines et puissantes, il l’a utilisé pour lancer un appel à la solidarité et à la justice en faveur, de l’Algérie et du Maroc, alors colonies françaises. Il a comme « redressé » son capital culturel et relationnel pour le mettre au service des Touaregs, de manière authentiquement désintéressée.
Qu’y a-t-il en moi qui doive être redressé, pour que je devienne fidèle à l’Esprit de mon baptême ?
3) La conversion par accomplissement (comme une fleur qui s’épanouit)
C’est la plus belle. C’est le bourgeon qui s’épanouit en fleur, puis la fleur en fruit.
C’est l’attitude de milliers de personnes qui mettent leurs qualités, leur énergie, leur compétence, le meilleur d’eux-mêmes, au service de Dieu et de leurs frères.
Dans l’Évangile, c’est par exemple Nicodème, qui fait jouer sa culture, son érudition juive pour interroger Jésus pendant la nuit ; puis il fait jouer son appartenance au Sanhédrin pour plaider en sa faveur et réclamer un procès juste. Enfin il ose demander le corps de Jésus pour l’ensevelir.
Il y a aujourd’hui des milliers de justes qui osent aller jusqu’au bout de ce qu’ils portent en eux, quitte à prendre des risques. L’Esprit Saint leur donne d’accomplir leur vie en se mettant au service de Dieu et de leurs frères.
À l’inverse, il est hélas possible de gâcher, de gaspiller ses talents les meilleurs en ne les poussant pas à l’accomplissement maximum. Pensez par exemple au jeune homme riche, si près du but, si proche de la communion intime avec le Christ, et qui n’ose pas aller jusqu’au bout du radicalisme évangélique. Il s’en alla tout triste…
Charles de Foucauld a accompli le meilleur de son héritage et de ses talents : sa passion d’explorateur du Maroc se réalise en plénitude dans son retour à Béni Abbés, puis à l’Assekrem en Algérie ; sa formation scientifique à St Cyr, il l’épanouira au service de la culture des Touaregs du désert : c’est lui qui a écrit le premier dictionnaire touareg, qui a fixé la grammaire, l’écriture de cette langue.
Qu’y a-t-il en moi qui aspire à s’accomplir en se laissant féconder par l’Esprit de mon baptême ?
L’Esprit Saint nous donne de vivre en plénitude le baptême de conversion proclamé par Jean-Baptiste.
« Combler les ravins, et abaisser les collines », c’est se laisser retourner par l’appel du Christ.
« Rendre droits les sentiers tortueux », c’est accepter d’être redressé, appuyé sur le Christ.
« Préparer les chemins du Seigneur », c’est mobiliser mes énergies les plus vraies pour que s’accomplisse en moi sa venue.
Nous sommes maintenant invités à venir en procession recevoir les Cendres du Carême qui commence, temps de conversion du cœur et non seulement des lèvres.
Pour accueillir la Résurrection de Pâques en nous, acceptons de recevoir des mains d’un autre ce poussiéreux symbole de notre condition humaine appelée à porter la gloire du Vivant.
Que l’Esprit du Christ imprègne avec les cendres nos fronts offerts, qu’il fertilise notre désir de changer vraiment, et qu’il nous prépare au combat du Carême.
Seigneur, à quelle(s) conversion(s) m’appelles-tu ?…
Lectures du Mercredi des Cendres
1ère lecture : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)
Lecture du livre du prophète Joël
Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra- t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.
Psaume : 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave- moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends- moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
2ème lecture : « Laissez- vous réconcilier avec Dieu.
Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui- même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez- vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.
Evangile : « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)
Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD