Ascension : la joyeuse absence
Ascension : la joyeuse absence
Homélie de l’Ascension
29/05/2014
« Dieu a fait l’homme comme la mer a fait les continents : en se retirant »
Cette phrase d’un poète allemand (Hölderlin) peut nous aider à mieux comprendre cette fête de l’Ascension que nous célébrons aujourd’hui.
Car, rendez-vous compte : la joie qui est la nôtre aujourd’hui est paradoxale !
Celui que nous aimons nous est enlevé.
Celui que depuis Pâques nous reconnaissons comme le Vivant devient absent, insaisissable ;
le Christ ressuscité disparaît à nos yeux, et nous pourtant nous fêtons cela comme l’un des grands évènements liturgiques de l’année, au point de nous faire revenir à la messe en ce milieu de semaine !
L’image de la mer qui se retire pour laisser la terre ferme exister peut nous aider à comprendre le départ du Christ et sa remontée vers le Père comme une nouvelle création. Plus encore, une re-création du monde dont la naissance de l’Église à la Pentecôte sera le premier acte. « Il est bon pour vous que je m’en aille », disait Jésus, « car si je pars, l’Esprit Saint ne viendra pas à vous ». Oui, le départ du Christ vers son Père, son absence apparente, sont pour nous la chance d’une nouvelle création, d’une liberté nouvelle en Église sous l’influence de l’Esprit. Et ce n’est pas par hasard que Luc commence son Livre des Actes des Apôtres comme il avait terminé son Évangile par le récit de l’Ascension : début d’une nouvelle période de l’humanité, commencement de la vie de l’Église, comme une nouvelle Genèse.
Les textes d’aujourd’hui nous le redisent : le Christ glorifié a été élevé au-dessus de tout. Ses disciples ne peuvent plus le voir en restant les yeux fixés au ciel : ce n’est qu’en vivant en Église et en étant missionnaire que l’on peut percevoir les signes, les traces de l’action du Seigneur qui travaille toujours avec nous.
Un peu comme lorsque vous vous promenez sur la plage à marée basse : les traces et les coquillages sur le sable témoignent du travail de la mer lors de sa venue.
Le Christ élevé de terre n’est plus là, du moins n’est plus là comme nous le voudrions : nous ne pouvons plus le voir, le toucher, le saisir, comme les apôtres ont pu le faire pendant les 40 jours symboliques après Pâques.
Le Christ est absent, et pourtant il travaille avec nous, nous dit Évangile de Marc. Il est monté auprès du Père et il reste Dieu avec nous. Il est assis à la droite de Dieu et pourtant il est plus intime à nous mêmes que nous-mêmes.
Cette expérience de la présence-absence, nous la faisons souvent dans notre vie.
- C’est l’absence de l’enfant qui part de la maison lorsque pour ses études, son métier, il doit habiter ailleurs dans une autre ville.
- C’est l’absence des amis lorsque par suite de déménagements ou d’obligations professionnelles, on est obligé de couper des relations pourtant très fortes.
- C’est l’absence du pays pour l’étranger ou le voyageur loin de chez lui.
- C’est encore l’absence de l’être aimé lorsque la mort nous l’a enlevé…
Oui en vérité, tout homme fait dans sa vie l’expérience de l’absence.
C’est même une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de faire.
Tout au long de notre existence, de déchirure en déchirure, de départs en départs, nous serons arrachés aux cercles de nos amis, de nos parents, de nos relations.
‘C’est la vie’, et ce n’est pas forcément négatif.
La maison familiale vide d’enfants qu’on avait connue bruyante et agitée, c’est quelquefois triste pour les parents qui restent, mais c’est aussi le signe que les enfants sont devenus hommes et femmes, qu’ils volent maintenant de leur propres ailes. Et d’ailleurs, quand les enfants sont au loin, on les découvre parfois différents, sous un autre angle : plus profondément, en échangeant à égalité les soucis familiaux, professionnels avec eux.
L’épreuve des disciples au jour du départ de Jésus fut également d’abord l’expérience humaine d’une perte. Mais le Ressuscité les empêche de se complaire dans la nostalgie : « ne rêvez pas dans les nuages, ne restez pas les yeux fixés au ciel, allez vers les hommes annoncer la Bonne Nouvelle, vivez en Église et là vous me verrez ».
Un humoriste disait : à l’Ascension, Jésus a dit à ses disciples : « Allez voir ailleurs si j’y suis ». Ils y allèrent et effectivement il y était…
Effectivement Jésus est toujours ailleurs ; il disparaîtra toujours au moment où nous voudrions mettre la main dessus pour en faire une idole. Les disciples d’Emmaüs en savent quelque chose !
Toujours présent, toujours ailleurs, jamais atteint : l’Ascension nous empêche de faire du Christ glorifié une idéologie ou un système.
Ainsi en est-il de l’expérience de l’absence dans nos vies : si nous refusons de la voir en face, de l’assumer, nous restons prisonniers de notre mélancolie et de notre imaginaire.
Si nous refusons de perdre les gens que nous aimons, nous nous condamnons à l’immobilité, voire à la régression, nous privant ainsi de la possibilité de les retrouver vivants, d’une autre manière.
Si au contraire nous assumons ce qui dans notre vie est absence, vide, manque, alors nous sommes appelés à de nouvelles rencontres, de nouvelles relations, à repartir vers d’autres aventures.
Célébrer l’Ascension, c’est vivre l’expérience de l’absence, comme un moteur pour aller vers les autres. Une absence positive qui crée des relations nouvelles.
C’est refuser que le vide inscrit dans nos c?urs soit comblé, refuser que la blessure de l’amour du Christ en nous se referme.
C’est découvrir dans l’Eucharistie le vrai Corps du Christ qui est l’Église : par l’Église seulement, par l’amour fraternel vécu entre nous, nous pourrons toucher et voir celui qui n’est plus là devant nos yeux et qui nous attend pour nous faire nous aussi asseoir à la droite du Père.
Que l’absence réelle, la joyeuse absence de ce jour de l’Ascension nous fasse vivre autrement toutes les absences qui peuplent nos histoires humaines…
1ère lecture : L’Ascension du Seigneur (Ac 1, 1-11)
Commencement du livre des Actes des Apôtres
Mon cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’était montré vivant après sa Passion : il leur en avait donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur était apparu, et leur avait parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis. Il leur disait : « C’est la promesse que vous avez entendue de ma bouche. Jean a baptisé avec de l’eau ; mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. »
Réunis autour de lui, les Apôtres lui demandaient : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? »
Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine.
Mais vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée.
Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient :
« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
Psaume : Ps 46, 2-3, 6-7, 8-9
R/ Dieu monte parmi l’acclamation, le Seigneur aux éclats du cor.
Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.
Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !
Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.
2ème lecture : Domination universelle du Christ assis à la droite du Père (Ep 1, 17-23)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens
Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment.
Qu’il ouvre votre c?ur à sa lumière, pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur, qu’il a mis en ?uvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
Il l’a établi au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir.
Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.
Evangile : « Allez vers toutes les nations…je suis avec vous »(Mt 28, 16-20)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur s’élève parmi l’acclamation, il s’élève au plus haut des cieux. Alléluia. (cf. Ps 46, 6.10)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD