L'homélie du dimanche (prochain)

15 mai 2022

Se réjouir d’un départ

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Se réjouir d’un départ

Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année C
22/05/2022

Cf. également :

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
La gestion des conflits
L’Esprit et la mémoire
Dieu nous donne une ville
L’Esprit nous précède
Lier Pâques et paix
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous
Les chrétiens sont tous des demeurés
Ton absence…
Ascension : la joyeuse absence

La politique de la chaise vide

En entendant cette expression, les plus anciens d’entre nous penseront immédiatement à la décision du Général De Gaulle de ne plus participer aux réunions du Conseil des ministres de la CEE, pour protester contre la modification du principe de l’unanimité dans la prise de décision au profit de la règle majoritaire. Cette politique française de la chaise vide bloqua de facto toute prise de décision, et le bras de fer dura du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966. Le compromis trouvé à Luxembourg en janvier 1966 mit fin à la crise institutionnelle en affirmant la nécessité d’une prise de décision à l’unanimité pour les votes importants.
Comme quoi s’absenter est quelquefois le meilleur moyen de faire bouger les lignes, et de faire évoluer l’histoire !
La génération des années Mitterrand associera plutôt cette expression à la séquence devenue culte où l’on entend l’ex-futur président Giscard d’Estaing battu aux présidentielles de 1981 prononcer un sépulcral « au-revoir » en laissant sa chaise vide après un long silence devant la caméra à la fin de son allocution d’adieu…
Comme quoi laisser sa chaise vide, c’est reconnaître – même forcé ! – qu’il faut partir…

Icône de la PentecôtePlus fondamentalement, il y a dans l’Église orthodoxe une autre symbolique de la chaise vide. Regardez l’icône de la Pentecôte : les apôtres sont réunis autour de la table pour recevoir l’Esprit, et au milieu d’eux, en haut de la couronne qu’ils forment, il y a un vide. Vide central volontaire, qui représente le Christ parti vers son Père. C’est sa place - au sommet de l’Église - et elle doit rester vide. Pour ne jamais mettre quelqu’un à sa place – fut-ce un patriarche, un pape ou un saint – les orthodoxes laissent vide le siège principal dans une cathédrale ou une basilique. On appelle cela l’étimasie, du grec ἑτοιμασία = etoimasia, préparer, selon les termes de Jésus dans l’Évangile de Jean : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14,2-3). La chaise vide nous rappelle que le Christ est parti nous préparer une place auprès de son Père, et que personne ne doit prendre sa place d’ici là.

Cette disposition rituelle liturgique est majeure : le Christ seul est la tête du Corps qu’est l’Église. Comme il n’est plus là devant nos yeux, sa place doit rester vide. Comme il s’est absenté de l’histoire depuis l’Ascension, son absence ne doit pas être remplacée, sinon l’idolâtrie nous guette. Souvenons-nous qu’au désert, lorsque Moïse s’est absenté 40 jours au mont Sinaï, le peuple ne supportant plus cette attente avait remplacé YHWH par un veau d’or fabriqué de leurs bijoux et richesses (Ex 32). Ne pas laisser vide la place du Christ, c’est préparer la voie à tous les veaux d’or modernes !
Et comme le Christ doit revenir à la fin des temps, qui prendrait le risque d’occuper son trône en attendant ? qui oserait usurper sa place ?

Dans l’Évangile de ce dimanche (Jn 14,23-29), le Ressuscité rappelle à ses disciples qu’il va bientôt s’en aller : « vous m’avez entendu dire : ‘je pars vers le Père’ » ; « je m’en vais… ». Notre première ascèse pascale est de regarder cette absence en face, de ne pas la masquer par des petits dieux dérisoires, comme on dissimule un trou dans le mur avec un poster recouvrant le vide. Or il est si facile de boucher les vides de notre existence ! Certains le font même avec des objets très religieux, des pratiques très spirituelles, des savoir-faire remarquables, d’autant plus dangereux qu’ils sont excellents, puisqu’ils occultent alors la béance laissée par le Christ de l’Ascension.

 

Partir c’est mourir un peu

Se réjouir d’un départ dans Communauté spirituelle ChatPeurMortS’en aller, partir : en français, c’est une façon pudique de parler de la mort. ‘Il s’en est allé…’ Mais il y a quelque chose de vrai dans ce langage : nos départ ont souvent la couleur du deuil, nos deuils ne sont en fait que de nouveaux départs. Jésus nous dit aujourd’hui qu’il part (πορεύομαι) vers le Père (Jn 14,2). C’est le même verbe que Jean emploie lorsque Jésus se rend au Mont des oliviers (Jn 8,1), ou montre le bon Pasteur sortant de l’enclos devant ses brebis (10,4), ou annonce que son départ est la condition de l’envoi de l’Esprit (16,7). C’est ce verbe encore qui montre Jésus allant réveiller Lazare, son ami mort (11,11). Les juifs hostiles à Jésus vont même jusqu’à imaginer qu’il pourrait quitter Jérusalem et partir pour la Diaspora dispersée chez les Grecs : « Les Juifs se dirent alors entre eux : où va-t-il bien partir (πορεύομαι) pour que nous ne le trouvions pas ? Va-t-il partir (πορεύομαι) chez les nôtres dispersés dans le monde grec, afin d’instruire les Grecs ? » (Jn 7,35). Sans le savoir (mais Jean lui le sait !), ils lient déjà départ et mission, absence et universalité, Ascension et catholicité de l’Église (« élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » Jn 12,32). Avec son humour habituel, Jean dénonce ainsi leur suffisance, puisqu’ils croient pouvoir mettre la main sur Jésus à leur guise !

Tous ces départs de Jésus nous mettent la puce à l’oreille : avec lui, il doit être possible de vivre nos propres départs autrement ! Nous aussi nous allons vers le Père. Nous aussi nous ne cessons de rencontrer et de quitter, d’être intensément présent puis de devoir nous absenter, de partir devant pour que d’autres puissent nous suivre, d’aller réveiller ce qui est mort ailleurs en acceptant de quitter notre zone de confort, d’anticiper pour préparer une place à nos enfants, notre conjoint etc.
Tous ces départs ont la saveur d’une Ascension sans cesse réactualisée ! Impossible de vivre sans quitter, impossible de grandir sans se séparer, impossible d’aimer sans s’absenter. Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour.

Plutôt que de subir ces départs successifs et de s’en désoler, nous pouvons les transformer selon l’Esprit du Christ en autant de preuves d’amour : partir pour préparer une place à ceux qui nous sont chers, partir en laissant vide notre place, car il ne nous appartient pas de distribuer les rôles de ceux qui restent.
L’absence est à l’amour ce qu’est le vent au feu : il éteint le petit, il allume le grand.
En famille c’est tout un art de savoir s’absenter. En entreprise – surtout une entreprise familiale – c’est encore plus difficile. Entre amis, l’éloignement et les années font leur œuvre, et nous avons du mal à ritualiser ces moments où il faut nous en aller en clôturant le lien. Dans une équipe de partage entre chrétiens, assumer et célébrer la fin de l’équipe est une forme de sagesse peu courante.

Laisserons-nous le départ du Christ vers son Père inspirer nos propres départs ?

 

Se réjouir pour ceux qui partent

9782330124328 absence dans Communauté spirituelleJésus est très clair : « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie (ἐχάρητε, du verbe χαίρω = chairó, se réjouir) puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi » (Jn 14,28). C’est le même verbe que Luc emploie pour inviter Marie à se réjouir de la présence de Dieu en elle : « Réjouis-toi (chairō) Marie… » (Lc 1,28). Comme quoi se réjouir de la présence et de l’absence ne sont pas incompatibles, au contraire !
Si les disciples aiment le Christ, ils savent que son être est de ne faire qu’un avec celui qu’il appelle son Père. Toute forme d’éloignement – même l’Incarnation ! – est pour lui une souffrance, une déchirure intime. Aller vers le Père est synonyme pour Jésus d’aller vers soi (souvenez-vous de l’appel lancé à Abraham : « leikh lekha » = « va vers toi ! »). Qui ne se réjouirait de voir son ami réaliser sa vocation en plénitude ?
Bien évidemment, nous ne parlons pas ici des départs inhumains imposés par la guerre aux réfugiés, par la famine aux affamés, par la détresse à ceux qui ont tout perdu etc.
Dans l’Évangile de Jean, le verbe χαίρω (chairó, se réjouir) désigne la joie de l’ami de l’époux qui entend sa voix et conduit l’époux à l’épouse pour qu’ils soient ensemble (Jn 3,29). Tel Jean-Baptiste présentant l’époux Jésus à son peuple (féminin en hébreu) au Jourdain, les disciples éprouvent une grande joie en entendant le Ressuscité annoncer qu’il les quitte pour la communion d’amour trinitaire. Se réjouir du bonheur de l’autre, sans aucun regret, sans chercher à le posséder ni le retenir, est au cœur de la dépossession de l’amitié véritable.
De manière ordinaire, que dirait-on de parents qui maintiendraient leurs enfants trop longtemps sur leur coupe ? De managers qui ne feraient pas évoluer leur équipe, jusqu’à ce qu’ils volent de leurs propres ailes ? d’associations ou d’Églises dont on ne pourrait pas partir tellement la culpabilisation y serait forte ?
C’est la trace de la convoitise que de ne pas se réjouir du départ de l’autre vers son accomplissement. C’est vouloir le posséder, mettre la main sur lui, au sens le plus malsain du terme : ne pas être heureux qu’il soit heureux, loin de moi s’il le faut.

Le Christ de l’Ascension nous aide à nous réjouir pour ceux qui partent.

 

Se réjouir pour ceux qui restent

41VZeDij85L._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ AscensionDans notre chapitre 14 de ce dimanche, Jean associe également le départ du Ressuscité à deux conséquences positives pour ceux qui restent :
– une place leur est préparée auprès du Père
– l’Esprit va leur être envoyé pour se souvenir, être conduits vers la vérité tout entière, et tenir bon jusqu’à la fin.
Double effet Kiss Cool de l’absence Christ en quelque sorte !

Il y a donc des absences qui bénéficient à ceux qui restent : « il est bon pour vous que je m’en aille » (Jn 16,7). De façon prosaïque, bien des dirigeants d’entreprises devraient dire cela ! Ou même des parents, car vivre dans l’ombre des générations précédentes ne doit durer qu’un temps. Des hommes politiques devraient aussi avoir cette humilité plutôt que de téter quelques décennies de trop les hochets du pouvoir…

Lorsque quelqu’un part, on peut donc se réjouir pour ceux qui restent. Pas toujours, car certains nous laissent vraiment orphelins. Mais lorsqu’ils ont su préparer leur départ, leur absence ouvre une nouvelle période pleine de nouvelles opportunités.

En Afrique, lorsqu’un vieux meurt, on fait la fête, on danse et on festoie pendant plusieurs jours, on porte son cercueil en dansant jusqu’au cimetière, on rassemble ceux qui restent pour qu’ils mesurent ce qu’ils ont reçu du défunt et continuent son aventure familiale et villageoise. En France, j’ai été maintes fois témoin du travail de mémoire que font les familles préparant des obsèques, avec des rires, des anecdotes, des confidences, une étonnante liberté de critiquer et remercier le défunt, et finalement une forme de paix qui s’installe à travers tout cela. La célébration vient alors comme un point d’orgue : mesurer combien un être cher nous manque, et éprouver le désir de vivre ensemble en faisant fructifier le don reçu de lui.

« Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez parce que je pars vers le Père vous préparer une place ».
Réjouissons-nous de l’absence du Ressuscité qui n’est plus devant nos yeux !
Réjouissons-nous de la place qui nous est préparée auprès du Père.
Réjouissons-nous de l’Esprit de Dieu envoyé par le Christ pour nous inspirer jour après jour.
Réjouissons-nous pour ceux qui partent, et réjouissons-nous pour ceux qui restent…

Et laissons vide la place du Christ au cœur de notre existence.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15, 1-2.22-29)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, des gens, venus de Judée à Antioche, enseignaient les frères en disant : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question. Les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas. Voici ce qu’ils écrivirent de leur main : « Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris, sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi, nous avons pris la décision, à l’unanimité, de choisir des hommes que nous envoyons chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul, eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit : L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »

Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble !
ou : Alléluia.
 (Ps 66, 4)

Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

Deuxième lecture
« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel » (Ap 21, 10-14.22-23)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ange. En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu : elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident. La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau. Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.

Évangile
« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 23-29)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
 Patrick BRAUD

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9 mai 2021

Ascension : apprivoiser la disparition

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ascension : apprivoiser la disparition

 Homélie pour la fête de l’Ascension / Année B
13/05/2021

Cf. également :

Ascension : les pleins pouvoirs
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension

Dire adieu au temps de la Covid

Ascension : apprivoiser la disparition dans Communauté spirituelle 41-m-BqU93L._SX339_BO1,204,203,200_Sur les 100 000 morts qu’a provoqué la Covid jusqu’à maintenant en France, combien d’enterrements ont pu se dérouler ‘normalement’, en présence des proches et des amis ? Très peu… La plupart était limités à 30 personnes maximum, et même moins. Beaucoup n’ont pas pu voir le corps de leur défunt, ni l’accompagner en lui tenant la main en lit de réanimation. À tel point qu’il est question d’instituer une journée de commémoration des victimes de la Covid, pour rétablir un peu de leur dignité perdue dans ces disparitions sans au-revoir, sans corps visible, sans célébration ni cérémonie.

Lorsque quelqu’un de notre entourage disparaît, nous avons besoin de poser des gestes, de prononcer quelques paroles, d’utiliser quelques symboles (fleurs, musique, gestes, tombeau…) pour surmonter l’épreuve de l’absence.

La disparition soudaine de Jésus aux yeux des disciples a peut-être été un choc de cette nature : on le voyait – ressuscité - marcher, manger et parler avec nous, et puis plus rien. Il a brusquement cessé de se manifester. Il a disparu à leurs yeux. Cette disparition sans laisser de traces a duré symboliquement 10 jours, de l’Ascension à Pentecôte, car avec la venue de l’Esprit cette disparition revêtira une tout autre signification.

Chaque année, environ 60 000 personnes en France disparaissent sans laisser de traces. Impressionnant ! Le fichier des personnes recherchées (FPR) recensait en 2019 environ 580 000 personnes répondant à des situations très diverses : évadés, étrangers avec obligation de quitter le territoire, mais aussi mineurs en fugue ou encore personnes vulnérables introuvables etc. On en retrouve 55 000 par an (fugues, suicides, accidents) mais il reste cependant 5000 disparus par an, évanouis dans la nature. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Xavier Dupont de Ligonnès, dont l’affaire défraie la chronique depuis 2011. Il est soupçonné d’avoir massacré sa famille à Nantes, puis de s’être évanoui dans la nature, dans une fuite savamment préparée et organisée. Dupont de Ligonnès est en quelque sorte l’anti-Ascension par excellence : vivant, il donne la mort et disparaît pour fuir la justice humaine. Tué, le Ressuscité donne la vie et disparaît pour accomplir la justice de Dieu. L’un  disparaît sans laisser de traces pour être oublié. L’autre disparaît physiquement pour rester présent autrement, à travers des traces que l’Esprit de Pentecôte nous fera déchiffrer.

Élevé au ciel, Jésus disparaît à leurs yeux, ce qui rendit paradoxalement les apôtres joyeux et remplis d’ardeur missionnaire. C’est donc que nous pouvons apprivoiser les disparitions qui sont les nôtres comme autant d’invitations à continuer joyeusement notre route. Il nous faut pour cela accepter de disparaître, et accepter les disparitions d’autrui.

 

Accepter de disparaître

Disparaitre absence dans Communauté spirituelleUn très bon ami, 65 ans : hospitalisation 15 jours, longue convalescence, grande faiblesse généralisée. Lui qui est maire de sa commune et même président de l’agglomération et conseiller régional, il a été obligé de suspendre tous ses mandats et responsabilités politiques depuis sa maladie. Expérience physique douloureuse, qui fait toucher de près les limites de son corps. Expérience humaine révélatrice, puisqu’on ne peut plus se définir par l’action lorsqu’on est faible au point de se traîner du lit au fauteuil et du fauteuil au lit. Expérience spirituelle également, car se cogner à notre finitude nous avertit qu’un jour le monde se passera de nous sans trop de difficultés… Prendre conscience soudainement que dans 10 ou 20 ans, l’univers continuera imperturbablement sans nous peut donner le vertige.

Un tel breakdown peut cependant être salutaire, comme le furent les longs mois de convalescence d’Ignace de Loyola pour le détourner des plaisirs mondains de la noblesse de son époque. Quelle illusion de croire que c’est l’action qui nous maintient en vie ! Quelle folie de croire qu’on peut laisser des traces de notre passage ! Quel aveuglement de faire comme si nous n’allions jamais disparaître, individuellement ou même collectivement !

Suivre Jésus dans son Ascension, n’est-ce pas commencer par accepter de disparaître un jour aux yeux de nos proches ? Loin de nous angoisser, cette perspective peut au contraire donner sens à ce que nous entreprenons, et surtout à la manière dont nous le faisons : sans nous attacher à nos œuvres, sans exiger des autres une immortalité qu’ils ne peuvent nous donner, en relativisant toutes les grandeurs humaines qui en réalité ne sont qu’éphémères. Accepter de disparaître, c’est s’attacher sans s’attacher, goûter sans posséder, préparer la relève, garder humblement à l’esprit que la mesure d’ici-bas n’a rien à voir avec celle d’après. Jésus, sachant qu’il ne serait pas toujours avec eux, a éduqué ses disciples à l’autonomie, et envoyé l’Esprit pour cela. Celui qui renâcle à disparaître s’arc-boute sur sa réputation, ses richesses, sa famille, son métier, jusqu’à épuisement, jusqu’à peser lourdement sur les autres…

Consentir avec le Christ à être soustrait au regard de ses proches, c’est être enlevé, être élevé, s’asseoir à la droite de Dieu…

 

Accepter la disparition d’autrui

800px-Remebrance_poppy_ww2_section_of_Aust_war_memorial AscensionLa mort de nos proches nous est bien souvent plus proche que notre propre mort !
À l’inverse du Moyen Âge où préparer sa mort était la grande affaire de la vie (« priez pour nous à l’heure de notre mort »), guérir de la mort d’autrui semble être la grande affaire de ce siècle. On pourrait penser que c’est de l’altruisme. Hélas c’est plutôt survivre à la mort de l’autre qui intéresse, et non que l’autre survive à sa propre mort ! Alors on déploie tout l’arsenal de l’accompagnement psychologique : faire son deuil, les étapes traversées pour cela, les groupes de paroles dédiés etc. Et l’on déploie l’arsenal des techniques de bien-être pour s’en sortir : relaxation, méditation, sophrologie, pratiques de développement personnel les plus exotiques etc. Tout cela n’empêche pas d’ailleurs la consommation d’anxiolytiques, de somnifères et d’antidépresseurs d’atteindre des sommets qui devraient nous inquiéter.

Or, accepter que l’autre disparaisse est grande sagesse, et grande paix.

En effet, si vraiment on l’aime, c’est son sort à lui qui importe avant tout. Si je suis croyant, j’espère avec le Christ de l’Ascension que celui que j’aimais est désormais enlevé au ciel, assis à la droite de Dieu : en quoi cela serait-il triste pour lui ? Comment ne pas m’en réjouir pour lui et avec lui, à l’image des apôtres tout joyeux de l’absence du Ressuscité ?

Et si je ne suis pas croyant, alors celui que j’ai aimé retourne au néant, et c’est bien ainsi, car le néant est justement ce qui supprime toute peine puisqu’il n’y a plus de sujet pour éprouver quoi que ce soit. Impossible d’être triste pour lui, car il n’existe plus. Je peux être triste pour moi-même, mais ce n’est que la trace (relativement égoïste) de l’intérêt que je trouvais à cette relation…

Lorsque la disparition est un à-Dieu, alors elle est fondamentalement pleine de promesses. Depuis l’Ascension, ceux qui nous sont enlevés, disparus à nos yeux, sont désormais assis à la droite de Dieu en Christ. Nous ne savons pas très bien ce que signifie cette image des psaumes, mais nous devinons qu’il est question d’une plénitude qui nous attend au-delà du terme de nos années sur terre.

 

Être présent autrement

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Le Christ de l’Ascension renvoie ses disciples en Galilée et leur demande d’attendre la venue de l’Esprit. L’absence réelle de Jésus en personne ouvre alors sur une autre présence :

– présence sacramentelle : le sacrement de l’autel uni au sacrement du frère nous rendent présent le Christ. À travers l’eucharistie et la diaconie, la rencontre du Ressuscité se fait, autrement, réellement.

– présence par la Parole : la table de la Parole est indissociable de celle de l’eucharistie, et c’est le Christ en personne qui parle quand on lit les Écritures, quand on les médite, les commente, les actualise, les met en pratique.

– présence par la vie spirituelle : l’Esprit de Pentecôte nous est donné pour habiter en Christ, et lui en nous. Cet Esprit ouvre notre intelligence à sa Parole, ouvre notre corps à la réception des sacrements, ouvre notre cœur à l’amour du Christ en l’autre et de l’autre en Christ.

Disparaître le jour de l’Ascension est pour le Christ une autre manière de se rendre présent. Envisager notre mort, ou celle de nos proches, comme une Ascension peut changer bien des choses dans nos choix et nos engagements dès maintenant…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

 

PSAUME
(46 (47), 2-3, 6-7,8-9)
R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (46, 6)

Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre,
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Parvenir à la stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 1-13)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. À chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ. C’est pourquoi l’Écriture dit : Il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs,il a fait des dons aux hommes. Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre. Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. Et les dons qu’il a faits, ce sont les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.

 

ÉVANGILE
« Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16, 15-20)
Alléluia. Alléluia.Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus ressuscité se manifesta aux onze Apôtres et leur dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »
Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.
Patrick Braud

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27 mai 2014

Ascension : la joyeuse absence

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Ascension : la joyeuse absence

Homélie de l’Ascension
29/05/2014

« Dieu a fait l’homme comme la mer a fait les continents : en se retirant »

Ascension : la joyeuse absence dans Communauté spirituelle 90520052-be09-11de-ae22-0dfae99a5dc9

Cette phrase d’un poète allemand (Hölderlin) peut nous aider à mieux comprendre cette fête de l’Ascension que nous célébrons aujourd’hui.

Car, rendez-vous compte : la joie qui est la nôtre aujourd’hui est paradoxale !

Celui que nous aimons nous est enlevé.

Celui que depuis Pâques nous reconnaissons comme le Vivant devient absent, insaisissable ;
le Christ ressuscité disparaît à nos yeux, et nous pourtant nous fêtons cela comme l’un des grands évènements liturgiques de l’année, au point de nous faire revenir à la messe en ce milieu de semaine !

L’image de la mer qui se retire pour laisser la terre ferme exister peut nous aider à comprendre le départ du Christ et sa remontée vers le Père comme une nouvelle création. Plus encore, une re-création du monde dont la naissance de l’Église à la Pentecôte sera le premier acte. « Il est bon pour vous que je m’en aille », disait Jésus, « car si je pars, l’Esprit Saint ne viendra pas à vous ». Oui, le départ du Christ vers son Père, son absence apparente, sont pour nous la chance d’une nouvelle création, d’une liberté nouvelle en Église sous l’influence de l’Esprit. Et ce n’est pas par hasard que Luc commence son Livre des Actes des Apôtres comme il avait terminé son Évangile par le récit de l’Ascension : début d’une nouvelle période de l’humanité, commencement de la vie de l’Église, comme une nouvelle Genèse.

Les textes d’aujourd’hui nous le redisent : le Christ glorifié a été élevé au-dessus de tout. Ses disciples ne peuvent plus le voir en restant les yeux fixés au ciel : ce n’est qu’en vivant en Église et en étant missionnaire que l’on peut percevoir les signes, les traces de l’action du Seigneur qui travaille toujours avec nous.

Un peu comme lorsque vous vous promenez sur la plage à marée basse : les traces et les coquillages sur le sable témoignent du travail de la mer lors de sa venue.

Le Christ élevé de terre n’est plus là, du moins n’est plus là comme nous le voudrions : nous ne pouvons plus le voir, le toucher, le saisir, comme les apôtres ont pu le faire pendant les 40 jours symboliques après Pâques.

Le Christ est absent, et pourtant il travaille avec nous, nous dit Évangile de Marc. Il est monté auprès du Père et il reste Dieu avec nous. Il est assis à la droite de Dieu et pourtant il est plus intime à nous mêmes que nous-mêmes.

Cette expérience de la présence-absence, nous la faisons souvent dans notre vie.
- C’est l’absence de l’enfant qui part de la maison lorsque pour ses études, son métier, il doit habiter ailleurs dans une autre ville.

- C’est l’absence des amis lorsque par suite de déménagements ou d’obligations professionnelles, on est obligé de couper des relations pourtant très fortes.

- C’est l’absence du pays pour l’étranger ou le voyageur loin de chez lui.
- C’est encore l’absence de l’être aimé lorsque la mort nous l’a enlevé…

Oui en vérité, tout homme fait dans sa vie l’expérience de l’absence.

C’est même une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de faire.
Tout au long de notre existence, de déchirure en déchirure, de départs en départs, nous serons arrachés aux cercles de nos amis, de nos parents, de nos relations.
‘C’est la vie’, et ce n’est pas forcément négatif.

La maison familiale vide d’enfants qu’on avait connue bruyante et agitée, c’est quelquefois triste pour les parents qui restent, mais c’est aussi le signe que les enfants sont devenus hommes et femmes, qu’ils volent maintenant de leur propres ailes. Et d’ailleurs, quand les enfants sont au loin, on les découvre parfois différents, sous un autre angle : plus profondément, en échangeant à égalité les soucis familiaux, professionnels avec eux.

L’épreuve des disciples au jour du départ de Jésus fut également d’abord l’expérience humaine d’une perte. Mais le Ressuscité les empêche de se complaire dans la nostalgie : « ne rêvez pas dans les nuages, ne restez pas les yeux fixés au ciel, allez vers les hommes annoncer la Bonne Nouvelle, vivez en Église et là vous me verrez ».

Un humoriste disait : à l’Ascension, Jésus a dit à ses disciples : « Allez voir ailleurs si j’y suis ». Ils y allèrent et effectivement il y était…

Effectivement Jésus est toujours ailleurs ; il disparaîtra toujours au moment où nous voudrions mettre la main dessus pour en faire une idole. Les disciples d’Emmaüs en savent quelque chose !

Toujours présent, toujours ailleurs, jamais atteint : l’Ascension nous empêche de faire du Christ glorifié une idéologie ou un système.


Ainsi en est-il de l’expérience de l’absence dans nos vies : si nous refusons de la voir en face, de l’assumer, nous restons prisonniers de notre mélancolie et de notre imaginaire.
Si nous refusons de perdre les gens que nous aimons, nous nous condamnons à l’immobilité, voire à la régression, nous privant ainsi de la possibilité de les retrouver vivants, d’une autre manière.

Si au contraire nous assumons ce qui dans notre vie est absence, vide, manque, alors nous sommes appelés à de nouvelles rencontres, de nouvelles relations, à repartir vers d’autres aventures.

Célébrer l’Ascension, c’est vivre l’expérience de l’absence, comme un moteur pour aller vers les autres. Une absence positive qui crée des relations nouvelles.

C’est refuser que le vide inscrit dans nos c?urs soit comblé, refuser que la blessure de l’amour du Christ en nous se referme.

C’est découvrir dans l’Eucharistie le vrai Corps du Christ qui est l’Église : par l’Église seulement, par l’amour fraternel vécu entre nous, nous pourrons toucher et voir celui qui n’est plus là devant nos yeux et qui nous attend pour nous faire nous aussi asseoir à la droite du Père.
Que l’absence réelle, la joyeuse absence de ce jour de l’Ascension nous fasse vivre autrement toutes les absences qui peuplent nos histoires humaines…

1ère lecture : L’Ascension du Seigneur (Ac 1, 1-11)
Commencement du livre des Actes des Apôtres

Mon cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’était montré vivant après sa Passion : il leur en avait donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur était apparu, et leur avait parlé du royaume de Dieu.

Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis. Il leur disait : « C’est la promesse que vous avez entendue de ma bouche. Jean a baptisé avec de l’eau ; mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. »
Réunis autour de lui, les Apôtres lui demandaient : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? »
Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine.
Mais vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »

Après ces paroles, ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée.
Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient :
« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

Psaume : Ps 46, 2-3, 6-7, 8-9
R/ Dieu monte parmi l’acclamation, le Seigneur aux éclats du cor.

Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

2ème lecture : Domination universelle du Christ assis à la droite du Père (Ep 1, 17-23)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens

Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment.
Qu’il ouvre votre c?ur à sa lumière, pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur, qu’il a mis en ?uvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
Il l’a établi au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir.
Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

Evangile : « Allez vers toutes les nations…je suis avec vous »(Mt 28, 16-20)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur s’élève parmi l’acclamation, il s’élève au plus haut des cieux. Alléluia. (cf. Ps 46, 6.10)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

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26 novembre 2011

L’absence réelle

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L’absence réelle

 

Homélie du 1° dimanche de l’Avent / Année B

27/11/2011

 

L’évangile de ce premier dimanche de l’Avent est clairement centré sur la vigilance : « veillez ! »

Une vigilance orientée elle-même vers le retour du maître, dont Jésus nous dit qu’il est « parti en voyage ».

 

Un voyage bien embarrassant

Évidemment, il fait ce qu’il veut. Il a le droit de partir se balader où bon lui chante L'absence réelle dans Communauté spirituellequand l’envie lui en prend : c’est lui le maître. Impossible de contester cette décision qui pourtant plonge ses serviteurs dans la panade. Sans lui, la maison est bien difficile à gérer. Et puis, il tarde à revenir (comme l’époux, quel mufle, pour son repas de noces cf. ici). Il ne prévient personne et ne tient personne au courant pendant ce fameux voyage (à l’époque, même sans mail ou SMS, il aurait pu envoyer des courriers aux gens de sa maison !).

 

On le voit : quand le maître est parti, il est bel et bien parti, sans qu’on puisse le joindre. Il est véritablement absent, séparé des siens (ab-sum).

 

En comparant l’attente de sa venue à cette absence réelle du maître de maison, Jésus décrit une tension que les chrétiens auront beaucoup de mal à ne pas annuler dans l’histoire.

Les paraboles où il est question d’un tel voyage et de l’absence qui en découle sont nombreuses : parabole des talents (Mt 25,14-30), de l’époux (Mt 25,1-13), du maître de la vigne (Lc 20,9-19)… Dans l’évangile de Jean, Jésus n’arrête pas de répéter : « je m’en vais » (une vingtaine de fois) comme pour préparer ses disciples à la tête dure à cette disparition.

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L’absence évitée

Il y a donc une absence réelle du Christ que rien ne peut combler. Même la présence réelle dans l’eucharistie ne peut annuler ce vide au creux de l’histoire humaine. Même les discours plus ou moins spirituels sur le compagnonnage avec Jésus, « sa présence en mon coeur » ou tout autre dérivatif ne pourront jamais remplir le trou énorme que le départ du Christ a creusé dans notre histoire.

Alors, devenir chrétien va de pair avec assumer l’absence réelle du « maître parti en voyage »…

 

Bien sûr, pour nous rassurer, nous pouvons d’abord envisager les conséquences positives d’une telle absence. En effet, le départ du Christ loin de nous garantit notre responsabilité effective : s’il était toujours là, nous n’arrêterions pas de lui demander ce qu’il faut faire, tels des gamins inquiets. Cette absence est une garantie de notre condition de croyants adultes.

On pourrait encore essayer d’utiliser cette absence pour « expliquer » les malheurs du monde, la pluralité des religions, la difficulté à croire…

 

Une autre manière de nier l’absence, c’est la trahison. Du moins c’est la piste sur laquelle nous met notre passage d’évangile :

« Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ». Jésus fait sans aucun doute allusion à quatre moments de sa Passion : il est livré le soir par Judas, il comparaît dans la nuit devant Caïphe, Pierre le renie au chant du coq, il est livré à Pilate le matin. Toutes les heures aussi propices à l’attente le sont aussi à la trahison. Celui qui ne veille plus finit par se détourner de l’essentiel de sa vie.

 

L’absence assumée

Et si l’on essayait plutôt d’assumer en vérité l’absence de celui que nous aimons ?

Rien ne pourra le remplacer :

- ni l’Église, si prompte à prendre sa place

- ni l’humanitaire, cache-misère de bien des peurs du vide

- ni la réussite professionnelle et sociale, captant l’énergie de l’attente pour l’investir dans la transformation du seul présent

- ni le divertissement pascalien, qui s’étourdit sans attendre de fin ultime…

 

Assumer l’absence réelle du Christ permet dans le même mouvement d’assumer les autres absences qui peuplent nos mémoires.

Au lieu d’imaginer qu’un défunt est là à côté, mieux vaut attendre le rendez-vous final. Au lieu de projeter l’angoisse du vide sur d’improbables signes ou communications mystérieuses avec lui, mieux vaut prendre acte que la mort n’est plus là, simplement, et qu’il ne sera vraiment présent qu’en Dieu, au-delà du temps et l’espace connu. Au lieu de rechercher des liens imaginaires avec ceux qui ont croisé notre route et qui ont disparu de notre vue, mieux vaut avec courage se tourner résolument vers l’avenir : « laisse les morts enterrer leurs morts » (Lc 9,60).

 

L’Esprit nous aide à habiter l’absence

Celui qui peut nous aider à apprivoiser les absences de nos vies, celle du Christ comme celle de nos amis et familles, c’est l’Esprit de Dieu. Jésus nous l’a promis : son départ ne nous laisse pas orphelins, puisque l’Esprit vient respirer en nous, et orienter notre désir vers la rencontre ultime.

« C’est votre intérêt que je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai ». (Jn 16,7)

« L’Esprit et l’épouse disent : viens ! » (Ap 22,17)

 

Invoquons donc l’Esprit : qu’il nous apprenne comment assumer joyeusement et courageusement l’absence réelle du Christ, et toutes les absences qui jalonnent notre avancée vers lui…

 

1ère lecture : Appel au Seigneur pour qu’il vienne (Is 63, 16b-17.19b; 64, 2b-7)

Lecture du livre d’Isaïe

Tu es, Seigneur, notre Père, notre Rédempteur : tel est ton nom depuis toujours. Pourquoi Seigneur, nous laisses-tu errer hors de ton chemin, pourquoi rends-tu nos coeurs insensibles à ta crainte ? Reviens, pour l’amour de tes serviteurs et des tribus qui t’appartiennent. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes fondraient devant toi. 

Voici que tu es descendu, et les montagnes ont fondu devant ta face. Jamais on ne l’a entendu ni appris, personne n’a vu un autre dieu que toi agir ainsi envers l’homme qui espère en lui. Tu viens à la rencontre de celui qui pratique la justice avec joie et qui se souvient de toi en suivant ton chemin. Tu étais irrité par notre obstination dans le péché, et pourtant nous serons sauvés. Nous étions tous semblables à des hommes souillés, et toutes nos belles actions étaient comme des vêtements salis. Nous étions tous desséchés comme des feuilles, et nos crimes, comme le vent, nous emportaient. Personne n’invoquait ton nom, nul ne se réveillait pour recourir à toi. Car tu nous avais caché ton visage, tu nous avais laissés au pouvoir de nos péchés. Pourtant, Seigneur, tu es notre Père. Nous sommes l’argile, et tu es le potier : nous sommes tous l’ouvrage de tes mains.

Psaume : 79, 2.3bc, 15-16a, 18-19

R/ Dieu, fais nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés !

Berger d’Israël, écoute,
toi qui conduis, ton troupeau : resplendis !
Réveille ta vaillance
et viens nous sauver. 

Dieu de l’univers reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l’homme qui te doit sa force.
Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

2ème lecture : L’Église est fidèle dans l’attente du Seigneur(1Co 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu notre Père et de Jésus Christ le Seigneur. Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la Parole et toutes celles de la connaissance de Dieu. Car le témoignage rendu au Christ s’est implanté solidement parmi vous. Ainsi, aucun don spirituel ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. C’est lui qui vous fera tenir solidement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ. Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.

 

Evangile : « Veillez ! » (Mc 13, 33-37)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Montre-nous, Seigneur, ta miséricorde : fais-nous voir le jour de ton salut. Alléluia. (cf. Ps 84, 8)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
« Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment.
Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller.
Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin.
Il peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Patrick Braud

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