L'homélie du dimanche (prochain)

18 février 2024

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit !

 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année B 

25/02/2024

 

Cf. également :
 
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
En descendant de la montagne…
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu
L’icône de la Transfiguration
À l’écart, transfiguré

 

Le « déluge d’Al Aqsa » 

Une femme palestinienne lève les bras pour la première lors de la première prière du vendredi du Ramadan aux abords du Dôme des roches, sur le mont du Temple de Jérusalem, le 26 avril 2021. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)On l’a oublié un peu vite : le Hamas avait appelé « déluge d’Al Aqsa » l’opération terroriste faisant 1200 victimes et 200 otages civils juifs le 7 octobre 2023. « Al Aqsa » désigne la mosquée construite sur l’esplanade du Temple juif, à partir de 637. En arabe, c’est « la mosquée la plus lointaine (Al Aqsa) ». Car les musulmans croient y reconnaître la mosquée dont parle la sourate 17 du Coran :

« AL-ISRA (LE VOYAGE NOCTURNE) – Pré-Hégire

 Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

« Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur (Muhammad), de la Mosquée Al-Harm (la mosquée sacrée = la Mecque) à la Mosquée Al-Aqsa (la plus lointaine = Jérusalem) dont Nous avons béni les alentours » (Sourate 17,1).

Petit problème chronologique : Mohamed est mort à Médine en 632. Comment aurait-il pu voyager de son vivant jusqu’à la mosquée de Jérusalem… qui n’avait pas encore été construite !?

On voit que les sourates de ce voyage mythique où Mohamed est censé être monté aux cieux – rivalité avec l’Ascension de Jésus ? – à partir du rocher de l’esplanade du Temple ont été écrites après la mort de Mohamed, sans aucun doute dans un but polémique d’appropriation du lieu… Or pour la Bible, le mont Moriah de notre première lecture (Gn 22,1-18) où a eu lieu l’épisode avec Isaac est bien le lieu du Temple de Salomon : « Salomon commença à bâtir la Maison du Seigneur à Jérusalem, sur le mont Moriah, là où le Seigneur était apparu à David son père… » (2 Ch 3,1).

Le conflit autour de l’esplanade du Temple (pour les juifs) / la Mosquée Al Aqsa (pour les musulmans) est donc au cœur de la rivalité entre juifs et musulmans depuis des siècles. Le Hamas veut renvoyer les juifs à la mer : reconquérir Al Aqsa par un déluge de feu est pour ces terroristes un impératif coranique.

Le mont Moriah est au cœur des conflits entre juifs et musulmans, comme il l’a été au temps des croisades des chrétiens qui voulaient libérer le Saint-Sépulcre. Le célèbre sacrifice d’Isaac - qui est plutôt un non-sacrifice - de notre lecture est le condensé de la rivalité Isaac–Ismaël, qui rejaillit sur les relations juifs–musulmans, empoisonnant le Moyen-Orient depuis des siècles.

Voyons comment.

 

La rivalité Isaac–Ismaël, juifs–musulmans

JUIFS MUSULMANSVous avez dû tiquer en entendant la lecture de Gn 22,2 : « prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes ».
Bizarre… Abraham n’a-t-il pas deux fils ? Ismaël en effet était l’aîné, conçu avec la servante Agar sur ordre de Sara elle-même, désespérée d’être apparemment stérile.

Un midrash fait dialoguer Abraham et Dieu pour illustrer le dilemme d’Abraham :

– Prends ton fils, dit Dieu

– Mais lequel ? J’en ai deux.

– Ton unique

– Chacun est unique à mes yeux

– Celui que tu aimes

– Je les aime tous les deux.

On voit bien que pour Abraham, le choix est déchirant. En fait, Ismaël avait déjà été chassé au désert avec sa mère sur ordre de Sara, jalouse de cette autre mère qui l’a précédée, et jalouse de l’exclusivité de l’héritage pour son seul fils (Gn 21).

Profondément attristé, Abraham avait consenti à laisser partir Agar et son fils Ismaël. Sarah et lui avaient gardé Isaac pour eux, au sens propre comme au sens figuré. Mais la rivalité des deux mères avait déjà pollué la fraternité entre les deux fils d’Abraham : ils sont devenus ennemis malgré eux, à cause d’une jalousie maternelle féroce. Dès qu’Isaac fut sevré (Gn 21,8), Sarah exige de renvoyer Agar et son fils, alors qu’une relation fraternelle Isaac–Ismaël devenait possible à partir de cet âge. Sarah ne voit pas qu’en exigeant le départ d’Ismaël elle prive Isaac de son frère.

Cela ne sera pas sans effet sur la suite des événements. Isaac devra grandir dans une sorte de nostalgie d’un frère qu’il n’aura jamais connu vraiment : en témoignent le choix de sa résidence, sa préférence pour son premier fils (Ésaü) en qui il retrouve quelque chose de son frère aîné, ainsi que le fait qu’Ésaü pensera plaire à son père en épousant sa cousine, une fille d’Ismaël.

De plus, cette jalousie a conduit Isaac à penser toute transmission d’héritage sur le mode de l’exclusivité (Gn 25,5). L’attitude de sa mère l’a en réalité induit en erreur. Elle se paiera à la génération suivante, puisque les relations de Jacob avec Ésaü en seront profondément affectées, de même sans doute que sa vie avec Laban.

 

Le rire de Sara, d’Ismaël et d’Isaac

Le Rire de SaraLe rire de Sara est célèbre (Gn 18,12;21,6) : elle est tellement âgée qu’elle a du mal à croire à l’annonce d’une naissance que lui font les trois visiteurs d’Abraham sous le chêne de Mambré. Son rire exprime son doute, et la folie de la promesse divine hautement improbable.

Isaac va hériter de ce rire, puisque son nom signifie justement : « il rira ». Son rire sera-t-il de même nature que celui de sa mère ?

Il y a un troisième rire, moins connu, celui d’Ismaël [1] :

« Sara vit rire le fils qu’Agar, l’Égyptienne, avait enfanté à Abraham » (Gn 21,9).

Ce rire a été interprété par le Talmud de Babylone comme une moquerie ironique d’Ismaël se vantant d’être plus méritant qu’Isaac :

« Il lui dit : je suis plus grand que toi, à l’aune de l’obéissance aux commandements, car toi, tu as été circoncis à huit jours (cf. Ac 7,8) tandis que moi, je l’ai été à treize ans ! Isaac lui a répondu : Tu veux m’impressionner par un organe (le prépuce) ? Si le Saint béni soit-Il me demandait : Sacrifie-toi tout entier, je le ferais aussitôt ! Aussitôt, Dieu mit Abraham à l’épreuve » (TB, Sanhédrin 89b).

En somme, si la primauté tient au degré de mérite susceptible de justifier l’élection filiale, la surenchère d’Isaac, qui accepte d’être sacrifié « tout entier », met fin à cette prétention. Le midrash met ici le doigt sur un problème majeur qui ressort du récit biblique. Ismaël est le premier-né. Il aurait dû être l’héritier naturel des promesses. En tout cas, le principal. Ce sera pourtant Isaac.

Nous trouvons là un thème qui sera cher au christianisme le plus archaïque. Les diverses substitutions de cadets à aînés que nous offre l’Écriture seront considérées comme des figures de la substitution du peuple chrétien au peuple juif.

Paul pointe le problème : « Tous ceux qui sont la descendance d’Abraham ne sont pas pour autant ses enfants, car il est écrit : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom » (Rm 9,7). Il développe cette thèse de la filiation spirituelle avec les enfants de Rébecca et Isaac : Ésaü était le premier-né et aurait dû garder son droit d’aînesse. Mais finalement, « l’aîné servira le plus jeune » (Rm 9,2), comme Ismaël s’effacera devant Isaac, car Dieu agit comme il l’entend, et l’homme n’y peut rien.

Hilaire de Poitiers écrira plus tard : « Sara désigne l’Église ; Agar la Synagogue ».

 

Ismaël veut humilier son cadet en lui montrant qu’il est plus méritant. Son rire est un rire de rivalité. Rabbi Shimon bar Yochaï (II° siècle) explique ce rire d’Isaïe comme une moquerie. Il se rit de son frère. Se croyant l’aîné, il prétend à deux parts d’héritage (l’Arabie et la Palestine, remarque ironiquement le rabbin !). ‘C’est moi l’aîné. Le monde entier et la terre d’Israël me reviennent !’ Mais à la mort de son père, il revient à la maison. Il fait repentir, reconnaissant qu’Israël est chez lui à Hébron, car il a reconnu la religion de son père (avant Mohamed, les Ismaélites étaient des païens).

Le rire d’Ismaël, ce rire de rivalité, trouvera donc un jour sa Rédemption. Pour les juifs religieux, il faudra pour cela que l’Islam reconnaisse que cette terre a été donnée par Dieu à Israël… Le conflit est dès lors inévitable !

Les Arabes musulmans n’ont jamais connu la situation d’exil. Ils ont toujours, dès leur émergence au VII° siècle, été des conquérants par l’épée, partout et toujours. Et voici qu’en Palestine, et pour la première fois, ils connaissent cette situation d’exil. Cela leur est insupportable : être en exil chez les Juifs… à Jérusalem !

La mère rit, le père lie, la fraternité s’évanouit ! dans Communauté spirituelle 69562-abrahams-sons.800w.tn

 

Pourtant la réconciliation est possible. Abraham mort, « Isaac et Ismaël, ses fils, l’enterrèrent dans la grotte de Makhpelah » (Gn 25,9). Alors seulement, Ismaël a le privilège d’être ici désigné comme fils d’Abraham. La préséance du fils de la Promesse, Isaac, est établie et reconnue, puisque Isaac est nommé le premier. Les deux frères à partir de là finirent leur vie en voisins réconciliés, chacun sur sa terre.

On voit que cette rivalité de préséance à propos de la Promesse (descendance incalculable), de l’Héritage (bénédiction pour toutes les nations) et de la Terre (Mont Moriah) envenimera les relations juifs-musulmans pendant longtemps encore, en se transmettant de génération en génération.

Faudra-t-il attendre qu’ils enterrent à nouveau Abraham – leur père commun – ensemble pour vivre un voisinage de paix ? Mais que voudrait dire « enterrer Abraham » aujourd’hui ?…

 

La mère rit, le père lie

9782296049086f Abraham dans Communauté spirituelleTout part du rire de Sara, qui doute de la promesse des trois visiteurs à Mambré, puis fait porter à Isaac le poids de ce rire en le chargeant d’une mission ambiguë : « il rira ». Autrement dit, elle veut que son fils fasse comme elle ! Alors évidemment, lorsque Sarah-qui-rit voir rire le fils Ismaël, le bâtard égyptien qui lui rappelle sa période inféconde, elle enrage de jalousie, et cette rage va empoisonner les relations entre les deux frères.

Ismaël est le premier délié de cet attachement familial trop possessif : il est conduit au désert. Isaac reste seul à la maison, entre ses deux parents, sans son frère. Le père ne veut pas perdre le seul enfant qui lui reste : alors il imagine de le lier, de l’attacher, pour qu’il ne se sauve pas et soit entièrement consacré (consumé) à Dieu tel qu’il l’imagine (par le bois de l’holocauste).

 

Quelle folie destructrice ! Quand un père lie son fils, il l’empêche de vivre, même pour des raisons apparemment très religieuses. Combien d’enfants sont ainsi retenus prisonniers par le désir paternel :

liés par une image paternelle à reproduire,

liés par des injonctions religieuses destructrices (consume-toi pour Dieu, disent tous les fanatiques religieux),

liés par un surmoi parental exorbitant,

liés par une mauvaise interprétation de la Promesse (reste auprès de moi pour que j’ai la descendance promise) etc.

Il faut le couteau pour couper ces liens, et enfin laisser l’enfant partir libre, sans l’ombre paternelle.

« Déliez-le et laissez-le aller » (Jn 11,44), dira Jésus plus tard en parlant de Lazare rescapé de la mort symbolique dans laquelle des liens (famille, village, religion) voulaient le maintenir comme dans un tombeau.

 

sacrificeofisaac IsaacCet acte de lier (Aqéda) et de délier son fils est tellement symbolique que les juifs – à raison – n’appellent pas cet épisode « sacrifice d’Isaac » (puisqu’il en réchappe) mais la « ligature (Aqéda) d’Isaac ». Si le péché de la mère a été de rire et de propager ce rire malsain autour d’elle, le péché du père a été de vouloir posséder le don de Dieu qui lui avait été fait à travers son fils cadet.

Il y aura bien un holocauste, mais de substitution : un animal fourni pour le sacrifice, un bélier, pas un agneau, c’est-à-dire un père et pas un fils. Et si Abraham a bien fait monter (עָלָה ‘alah = élever ; c’est l’autre sens du mot traduit par holocauste dans le texte liturgique) son fils sur la montagne (Gn 22,2), il rentre sans Isaac, le fils est désormais séparé de son père, suivant son propre chemin, une séparation symbolique qui fait d’Isaac une personne ‘élevée’ (עָלָה ‘alah) comme sujet distinct de son père.
Abraham a sacrifié sa fausse de sa paternité (symbolisée par le bélier) trop possessive. Le fils peut alors vivre libre, séparé de son père.

Au lieu de sacrifier son fils, c’est une certaine idée de la paternité qu’Abraham est appelé à mettre à mort – une paternité vue comme toute-puissance, droit de vie et de mort, possession. Il doit apprendre à être père et, partant, à se séparer symboliquement de son fils, à créer une distance – ce serait cela, « élever » son fils – et c’est pourquoi, au dénouement de cette sombre affaire, c’est un « bélier », figure du « géniteur » (et non de l’enfant, comme « l’agneau » initialement prévu) que le patriarche est invité à sacrifier. À la fin de l’épisode, « Isaac, fils dé-possédé, a disparu vers le divin hors du champ sacrificiel de la possession paternelle », écrit Marie Balmary [2].

Abraham, en laissant ses serviteurs pour poursuivre le chemin avec son fils, leur avait dit de les attendre : « nous reviendrons vers vous » (Gn 22,5). Or il est revenu tout seul ! Isaac est d’une certaine manière « perdu » pour Abraham… et c’est heureux !

 

Isaac-and-Abrham-with-wood-on-Isaacs-back IsmaëlBien sûr, les chrétiens verront Jésus dans ce fils lié, attaché au bois du sacrifice. Jean par exemple prend bien soin de préciser par deux fois que Jésus était lié (comme Isaac) lorsqu’il fut arrêté à Gethsémani, puis envoyé au grand prêtre (Jn 18,12.24). L’allusion à Isaac est claire. Comme la Pâque juive est l’anniversaire de l’Aqéda, Jean annonce que le fils lié sera le véritable agneau pascal. Sa superposition est renforcée chez Jean par le détail qui lui est propre : Jésus porte lui-même sa croix (Jn 19,1) et non Simon de Cyrène, comme Isaac portait lui-même le bois pour le sacrifice (Gn 22,6). Certains pensent que l’éviction de Simon de Cyrène en Jean 19,1 veut éviter de laisser penser que Simon aurait été crucifié à la place de Jésus, ce que certains hérétiques (les docètes) soutenaient déjà (et le Coran a sans doute repris cette tradition en prétendant que Jésus n’a pas été crucifié, mais quelqu’un à sa place ; cf. Sourate 4,157-158).

 

Le fils lié puis délié annonce la possibilité d’une vie enfin fraternelle, libérée de ce que l’attachement parental pouvait avoir de nocif pour les deux frères. La ligature d’Isaac à laquelle il échappe annonce la Passion du Christ et son déliement sa Résurrection, car la mort n’a pu retenir en ses liens.

« Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration » (He 11,17-19). 

Voilà pourquoi Jésus met une vraie joie spirituelle – pas un rire ironique – sur les lèvres d’Abraham : « Abraham, votre père, a tressailli de joie de ce qu’il verrait mon jour: il l’a vu, et il s’est réjoui » (Jn 8,56).

 

Conclusion

Dieu que c’est dur de s’aimer en famille !

Les mères rivalisent de jalousie pour leurs enfants.

Les pères sont possessifs, jusqu’à lier leur progéniture et les consumer de leurs injonctions.

Frères et sœurs reproduisent la rivalité parentale, se déchirent sur l’héritage, et ont un mal fou à trouver la juste distance pour vivre en paix entre voisins.

Les juifs et les musulmans se disputent le Temple / Al Aqsa et chacun veut incarner l’enfant de la Promesse…

Et nous-mêmes, nous lions  nos enfants, nous rions les uns des autres…

 

Arrêtons de chasser Ismaël ! Arrêtons de lier Isaac ou Jésus !

Que les parents ne lient plus leurs enfants… Que les frères et sœurs apprennent à partager l’héritage pour vivre en paix, au Moyen-Orient comme ailleurs… !

___________________________

[2]. Cf. Marie Balmary, Le sacrifice interdit, Grasset, 1989.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Le sacrifice de notre père Abraham (Gn 22, 1-2.9-13.15-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! » Dieu dit : « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai. » Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! » L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »
 
PSAUME
(115 (116b), 10.15, 16ac-17, 18-19)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. (114, 9)


Je crois, et je parlerai,

moi qui ai beaucoup souffert.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,

moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur,

oui, devant tout son peuple,
à l’entrée de la maison du Seigneur,
au milieu de Jérusalem !
 
DEUXIÈME LECTURE
Dieu n’a pas épargné son propre Fils » (Rm 8, 31b-34)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains
Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous.
 
ÉVANGILE
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9, 2-10)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s’entretenaient avec Jésus. Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande. Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
Ils descendirent de la montagne, et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Et ils restèrent fermement attachés à cette parole, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ».
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

25 décembre 2020

Le vieux couple et l’enfant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 15 h 00 min

Le vieux couple et l’enfant

Homélie pour la fête de la Sainte Famille/ Année B
27/12/2020

Cf. également :

Honore ton père et ta mère
Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
Aimer nos familles « à partir de la fin »
Une sainte famille « ruminante »
Fêter la famille, multiforme et changeante
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
Une famille réfugiée politique
Familles, je vous aime?

Un tel titre fait penser au ‘vieil homme et la mer’ d’Ernest Hemingway, où un vieux pêcheur tombe sur un poisson énorme, pareil à un cachalot, et lutte pour l’amener à bord de son canot à la force de ses bras.
Dans les textes de notre fête de la Sainte Famille, les pêcheurs s’appelleraient plutôt Abraham et Sara, Syméon et Anne. Quant au poisson, Isaac et Jésus l’incarneraient assez bien, fruit d’une surprise que les découvreurs ne peuvent posséder…

Sarah Abraham.jpgVieux, Abraham et Sara l’étaient certainement lors de l’annonce d’une naissance inespérée. La Bible dit qu’Abraham avait alors environ 100 ans et Sara 80 ! Et voilà qu’Isaac survient, ‘enfant de vieux’ dirait-on aujourd’hui, en tout cas enfant-surprise comme il y en a tant de par le monde encore aujourd’hui malgré la maîtrise moderne de la fécondité !

Vieux, Syméon, prophète au temple de Jérusalem, devait l’être également puisqu’il n’attendait qu’une chose : « s’en aller en paix » après avoir vu le salut, la lumière, la gloire d’Israël, ce qu’il a reconnu en l’enfant Jésus qu’il tenait dans ses bras.

Vieille, Anne l’était assurément : 84 ans à l’époque c’est une performance ! Le chiffre bien sûr est symbolique (7 fois 12, dont 7 ans de veuvage) d’Israël (le peuple est féminin en hébreu, 7 est le chiffre de la création, 12 celui des tribus d’Israël). Le grand âge d’Anne évoque donc la création d’Israël, attendant le huitième jour, celui du Messie. Anne fait penser à la Sagesse, proclamant les louanges de Dieu, « parlant de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance ».

La liturgie de la Sainte Famille nous met devant ces deux couples âgés confrontés à un tout-petit qui bouscule tout en surgissant dans leur vie. Comment ont-ils pu accueillir cet enfant ? Et nous qui sommes collectivement chargés de siècles, comment pourrions-nous accueillir la nouveauté de Dieu aujourd’hui ? Si nos cheveux sont blancs, c’est la fécondité de notre vie qui est en jeu. Si nous sommes nés au XXI° siècle, c’est notre capacité à discerner le moment présent qui est en jeu, afin de porter du fruit.

Essayons de repérer ce qui a permis à ces seniors des temps bibliques de tenir dans leurs bras un enfant à nul autre pareil.

 

D’Abram / Saraï à Abraham / Sara

Le vieux couple et l’enfant dans Communauté spirituelle bc-abrahamsons02Avez-vous remarqué le changement d’appellation presque imperceptible entre le début et la fin de notre première lecture (Gn 15, 1-6; 21, 1-3) ? Au début, en Gn 15,1, Dieu parle à Abram. À la fin, Sara enfante un fils à Abraham. Entre les deux, Dieu change son nom : « Tu ne seras plus appelé du nom d’Abram, ton nom sera Abraham, car je fais de toi le père d’une multitude de nations » (Gn 17, 5).

Rajouter une lettre à un prénom n’est pas chose banale ! D’autant qu’ici, c’est la lettre hébreu h, qui évoque le souffle (Ruah). Elle est ajoutée à Abram pour qu’il devienne Abraham. Abram – contraction de Abiyram – signifie père d’Aram, son pays d’origine, « araméen errant… ». Quand Dieu introduit la lettre h dans son nom, il introduit la lettre de la création, du souffle de la création (Ruah YHWH). Abraham est créé de nouveau et il va pouvoir devenir père, et même « père d’une multitude ». Il passe ainsi de « père d’Aram » à « père d’une multitude », du clan à l’humanité, du territoire à l’universel.

Comment s’opère ce changement d’identité ? C’est justement lorsqu’Abraham accepte d’appeler sa femme Sara (princesse) et non plus Saraï (ma princesse). « Dieu dit encore à Abraham : Saraï, ta femme, tu ne l’appelleras plus du nom de Saraï (ma Princesse, car la lettre hébraïque ï indique le possessif); désormais son nom est Sara (c’est-à-dire : Princesse) » (Gn 17, 15). Elle devient Sara libre, non mélangée, capable de quitter la condition de dépendance. À 80 ans, elle qui était stérile va porter un fruit inespéré.

Autrement dit, c’est lorsque Abram renonce au possessif envers sa femme qu’il devient Abraham.

Lorsque sa femme (Saraï) devient libre (Sara) – princesse sans tutelle – alors tous deux engendrent Isaac, dont le prénom rappellera toujours à Sara qu’elle a ri (rire nerveux de doute, ou d’espoir ne voulant pas être déçu ?) lors de l’annonce de sa grossesse. Car Isaac est un dérivé du prénom hébraïque Yitsh’aq. Ce dernier s’inspire du terme tsahaq qui signifie « rire ».

Abraham : père d'une multitude de nations

Suivant les commentaires du grand exégète juif du Moyen Âge Rachi, la psychanalyste Marie Balmary a écrit des pages enthousiastes sur cette redécouverte du passage de Saraï à Sara, lui permettant d’enfanter Isaac [1]. Elle en oublie un peu l’autre transformation, concomitante, nécessaire, d’Abram en Abraham. Avoir du souffle (grâce à la lettre h) et engendrer, recevoir l’Esprit et ne plus posséder : les deux mouvements s’alimentent mutuellement ! Le grand âge de nos deux époux vient souligner le caractère exceptionnel, sur-naturel, de cette transformation : ce n’est pas à la force du poignet qu’Abraham devient le patriarche d’une multitude. C’est vraiment par l’accueil du souffle de Dieu qu’enfin il relâche son emprise sur Saraï, lui rend sa liberté de princesse, tout en étant lui-même changé en Abraham, le père d’une multitude plus nombreuse que les étoiles dans le ciel.

Cette double transformation n’est pas une question d’âge. Les plus jeunes d’entre nous, parfois trop sûrs d’eux, se mettront à l’école d’Abram et Saraï pour apprendre engendrer mieux qu’à la manière humaine. Les plus vieux, parfois résignée, verront en Abraham et Sara leur espérance de porter du fruit pendant des années encore, selon la parole du psaume : « vieillissant, il fructifie encore » (Ps 91,15).

 

Discerner le moment présent

Dans l’évangile de ce dimanche (Lc 2, 22-40), le vieillard Siméon se révèle prophète, en reconnaissant en ce bébé de Nazareth le salut des nations et la gloire d’Israël.
Giotto_-_Scrovegni_-_-19-_-_Presentation_at_the_Temple Abraham dans Communauté spirituelle
À 84 ans, Anne n’a rien perdu de son acuité spirituelle, puisqu’elle chante les louanges de Dieu en croisant cet enfant, et elle parle de lui à tout le monde.
Or, discerner dans ces quelques kilos de chair et de sang – sanglé dans les langes de l’époque – plus qu’un bébé blotti contre sa mère, c’est tout sauf évident !

Présentation de Jésus au Temple : textes de St Luc et Maria ValtortaOn devine que, pour être aussi perspicace, Syméon a dû scruter les Écritures des nuits entières pendant des décennies. On devine également en Anne une grande priante, qui prit  le temps d’habiter le silence et la louange pour attendre le Messie. Elle est l’une des cinq femmes dont l’huile de la prière ne manque jamais pour accueillir l’époux, en pleine nuit devant la salle de noces où ici en plein jour devant le Temple de Jérusalem.
Sinon, comment auraient-ils pu voir tous les deux en filigrane dans cet enfant la marque de l’Esprit de Dieu ?

L’art du discernement spirituel ne porte pas sur le futur, mais bien sur le présent.
De quoi suis-je témoin ?
Quel est le sens de tel événement maintenant ?
Qu’est-ce qui est en jeu dans telle rencontre apparemment anodine ?
Ces questions sont les nôtres devant les irruptions de l’Esprit qui nous bouleversent et nous remettent en cause. Comment faire pour ne pas passer à côté d’un nouveau commencement possible ?
Comment être maintenant dans la louange grâce à telle rencontre ordinaire ?
Comment reconnaître en ces ‘petits’ croisés par hasard le visage du Messie d’Israël ?

Voilà sans doute un enjeu de cet Évangile : discerner dans le moment présent la visite de Dieu lui-même, déchiffrer un visage pour se laisser éblouir par sa profondeur et son mystère.

Notons au passage que c’est en dehors de sa famille que Jésus reçoit tout petit ses  premiers signes de reconnaissance : les bergers, les mages, Anne, Syméon… Comme quoi fêter la Sainte Famille n’est pas enclore nos familles sur elles-mêmes ! Comme Marie et Joseph, nous avons à accepter que nos proches reçoivent une révélation sur eux-mêmes de la part d’étrangers plus que de nous.

Toujours la même chose : renoncer aux possessif, se laisser conduire par l’Esprit…

Êtes-vous Abram ayant besoin de puiser un nouveau souffle pour ne plus posséder vos proches ?
Êtes-vous Saraï ayant besoin d’être libérée de l’emprise de quelqu’un qui vous aime mal ?
Êtes-vous ce vieux couple qui ose attendre et espérer une fécondité nouvelle ?
Ou êtes-vous Syméon pour reconnaître sur le visage d’un tout petit de ce monde la lumière venue d’en haut ?
Ou êtes-vous Anne persévérant dans la prière jusqu’à ce que votre louange éclate après une rencontre ? Jusqu’à parler à tous de celui qui vous a frôlé de sa présence ?

 


[1]. Marie BALMARY, Le Sacrifice interdit, Paris, Grasset, 1986, pp.94-97.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ton héritier sera quelqu’un de ton sang » (Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram ! Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. » Abram répondit : « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ? Je m’en vais sans enfant, et l’héritier de ma maison, c’est Élièzer de Damas. » Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance, et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier, mais quelqu’un de ton sang. » Puis il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Le Seigneur visita Sara comme il l’avait annoncé ; il agit pour elle comme il l’avait dit. Elle devint enceinte, et elle enfanta un fils pour Abraham dans sa vieillesse, à la date que Dieu avait fixée. Et Abraham donna un nom au fils que Sara lui avait enfanté : il l’appela Isaac.

 

PSAUME
(104 (105), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Le Seigneur, c’est lui notre Dieu ;il s’est toujours souvenu de son alliance.(104, 7a.8a)

Rendez grâce au Seigneur, proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ;
chantez et jouez pour lui,
redites sans fin ses merveilles.

Glorifiez-vous de son nom très saint :
joie pour les cœurs qui cherchent Dieu !
Cherchez le Seigneur et sa puissance,
recherchez sans trêve sa face.

Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites,
de ses prodiges, des jugements qu’il prononça,
vous, la race d’Abraham son serviteur,
les fils de Jacob, qu’il a choisis.

Il s’est toujours souvenu de son alliance,
parole édictée pour mille générations :
promesse faite à Abraham,
garantie par serment à Isaac.

DEUXIÈME LECTURE
La foi d’Abraham, de Sara et d’Isaac (He 11, 8.11-12.17-19)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

 

ÉVANGILE
« L’enfant grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia.À bien des reprises, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils. Alléluia. (cf. He 1, 1-2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculinsera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterellesou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. » Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUDPatrick BRAUD

Mots-clés : , , , ,

1 mars 2020

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Abraham, comme un caillou dans l’eau

Homélie du 2° dimanche de Carême / Année A
08/03/2020

Cf. également :

Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu

Splash sur la surface de l'eau 3d réaliste. couronne liquide bleue, mouvement figé avec des gouttelettes et des vagues Vecteur gratuitAvez-vous déjà observé une pierre tombant dans une eau calme et lisse ? Oui, sans aucun doute ! Vous avez vu alors le point d’impact de la pierre en être bouleversé : un cratère se forme et des gouttelettes d’eau jaillissent en couronne perlée tout autour. Et très vite, des ondes apparaissent, concentriques, se propageant à partir du point d’impact jusqu’à faire rouler les algues et ce qui flotte tout autour. La physique nous a appris que ce n’est pas l’eau qui se déplace en cercles de plus en plus grands, c’est chaque gouttelette d’eau qui est prise dans un mouvement vertical, oscillant de haut en bas jusqu’à ce que l’inertie de l’eau amortisse ce mouvement périodique. Les premiers cercles autour du point de chute paraissent des tsunamis à leur échelle, et transmettent leur énergie de plus en plus loin, de moins en moins haut…

Il y a quelque chose de cette chute d’une pierre dans l’eau avec la promesse que Dieu fait à Abraham dans notre première lecture (Gn 12, 1-4). Chouraqui traduit ainsi :
« Je fais de toi une grande nation. Je te bénis, je grandis ton nom : sois bénédiction. Je bénis tes bénisseurs, ton maudisseur, je le honnirai. Ils sont bénis en toi, tous les clans de la glèbe. »
Le point d’impact, c’est Abraham recevant la bénédiction de Dieu. Les cercles concentriques seront plus tard les 12 tribus issues de lui, puis toutes les nations éclairées par la révélation confiée à Israël. Le Christ ne revendique rien d’autre que d’accomplir pleinement la promesse faite à Abraham d’étendre la bénédiction de Dieu à toutes les nations, par la résurrection offerte à tous.

 

Sois bénédiction

Il y a donc comme une transitivité de la bénédiction : Dieu bénit Abraham qui bénit les nations, en commençant par sa famille, son clan qu’il emmène avec lui vers le mystérieux pays inconnu où Dieu le conduit.
On a longuement développé – à raison – la signification bouleversante (comme la pierre tombant dans l’eau) de l’injonction faite à Abraham : « va vers toi ! » L’appel de Dieu à devenir soi-même est peut-être sa bénédiction la plus intense. Dieu dit du bien (bene–dicere latin) d’Abraham en lui révélant la grandeur de sa vocation : un pays nouveau, un rayonnement universel. En même temps que cet appel à aller vers soi, Dieu formule l’autre appel, symétrique : « sois bénédiction ». Ce que tu as reçu gratuitement, donne-le gratuitement à ton tour. Dis du bien de ceux que tu rencontreras, c’est-à-dire révèle-leur leur dignité, la grandeur de leur qualité d’êtres humains, la beauté qu’ils portent en eux…

Puisque nous sommes enfants d’Abraham et que nous avons part à son héritage (cf. Rm 4), nous recevons nous aussi cet appel à devenir une bénédiction pour tous ceux que nous rencontrons. « Unis à Jésus-Christ, vous êtes tous un. Si vous lui appartenez, vous êtes la descendance d’Abraham et donc, aussi, les héritiers des biens que Dieu a promis à Abraham » (Ga 3, 29).

Que peut signifier concrètement : sois une bénédiction pour chacun d’entre nous ?

L’étymologie nous met sur une première piste : être une bénédiction ambulante, c’est être capable de dire du bien de l’autre. Ce qui demande d’avoir la passion de discerner chez lui ce qui est vrai, beau et grand. Autrement dit, cela demande de la bienveillance (bene -videre en latin) : bénédiction et bienveillances vont bien ensemble ! Or il faut parfois une sacrée dose de patience et de foi pour dénicher en quelqu’un son étincelle divine, alors qu’apparemment il n’est pas aimable, voire repoussant ou haïssable. Mais les éducateurs savent bien que les gamins les plus difficiles sont ceux qui attendent un regard de bienveillance, des paroles de bénédiction, pour découvrir en eux-mêmes une aptitude à la bonté qu’ils ne soupçonnaient pas.

Bénir est donc l’inverse de maudire : dire du mal de l’autre est destructeur, même si le mal constaté est réel, tant que cela n’est pas accompagné par dire du bien. Exercez-vous avec vos enfants, votre conjoint, vos collègues : obligez-vous à ne dire du mal de quelqu’un que si vous êtes capable auparavant d’en dire du bien ! Cherchez une qualité à valoriser, une prédisposition positive à mettre en avant, un effort à saluer, un apport à féliciter. Ensuite vous pourrez reprocher, car alors ce reproche sera perçu sur fond de bénédiction comme un désir de se rapprocher, en justice et en vérité. Devenir une bénédiction ambulante à la manière d’Abraham demande cette acuité du regard et de la parole pour ouvrir à l’autre un chemin de croissance à partir de ce qu’il porte en lui, sans jamais l’enfermer dans le mal commis.

La prière de louange – la plus belle de toutes les prières, celle qui ne finira jamais – nous éduque à cet art de la bénédiction et nous habitue à voir et dire le bien en premier. Celui qui respire au rythme de la louange – celle des psaumes par excellence – s’habitue à espérer en l’autre comme Dieu espère en lui. Sa parole devient constructive, réconfortante tout en étant exigeante, source de courage pour « devenir soi-même ».

 

Bénir, pas bannir ni médire

Abraham, comme un caillou dans l’eau dans Communauté spirituelle NDN-4-B%C3%A9nir-un-objet-e1519336659354

En ce sens, ne pas bénir, c’est bannir. La proximité phonétique en français nous donne à penser que ne jamais dire du bien de quelqu’un c’est l’effacer de la vie commune, c’est l’exclure de la reconnaissance accordée aux autres, c’est le frapper de non-existence puisqu’il est non-dit. À l’inverse, bénir c’est ne pas bannir. Ne jamais tirer un trait sur l’autre pour le rayer de sa famille, de sa communauté, de la société au nom du tort qu’il aurait commis. Si Jésus demande de visiter les prisonniers, ce n’est pas parce qu’ils seraient innocents, c’est pour les assurer de leur appartenance au monde des vivants, pour maintenir en eux la possibilité d’une communion authentiquement humaine : pour les bénir. Sans le savoir, les bénévoles des maraudes du SAMU social, des Blouses roses dans les hôpitaux, des Petits Frères des Pauvres auprès des personnes âgées etc. sont des bénédictions ambulantes qui redisent à chaque banni (SDF, malade, vieillard) qu’il est béni. Ils le disent en actes et en paroles, avec des fleurs et avec du pain. Ils retissent patiemment et indéfiniment les liens d’humanité abîmés ou cassés par les événements de la vie de chacun.

Bien sûr, la bénédiction transmise en Abraham a une consistance encore plus dense que cet humanisme pourtant indispensable et déjà salutaire. Car le pays nouveau indiqué à Abraham est finalement le pays de la Résurrection inauguré en Jésus de Nazareth. Transmettre sa bénédiction est donc ouvrir à l’autre la possibilité d’une vie éternelle, partagée en Dieu et à partir de lui. Principal impact de la chute divine (kénose) dans notre humanité, la résurrection du Christ se propage par cercles concentriques à ceux qui se laissent joyeusement bouleverser par cette onde si puissante que rien cette fois-ci n’épuisera son énergie, pas même la mort. De cela nous somme les vecteurs, les transmetteurs, greffés sur Abraham et sur le Christ.

 

Pour toutes les nations

 Abraham dans Communauté spirituelleUn mot enfin sur la destination universelle de cette bénédiction abrahamique. Elle n’est pas la propriété d’Israël. Israël en est au contraire le serviteur. Elle n’est pas destinée aux seuls chrétiens : au contraire, les chrétiens et l’Église reconnaissent que la grâce déborde leurs frontières, et que « l’Esprit souffle où il veut ». Elle est la nappe d’eau disponible à tous les animaux assoiffés du désert. Elle concerne mon ennemi autant que moi. Elle atteint ceux que je ne connais pas, ceux que je ne peux pas atteindre. Elle est pour tous, alors que moi dans ma finitude je ne peux être que pour quelques-uns. Par là-même, elle m’oblige à ne jamais me satisfaire des premiers cercles concentriques auxquels je me limite naturellement. Par là-même, elle m’invite à agir avec d’autres pour démultiplier ensemble notre force de frappe en la matière, notre puissance de bénédiction. La bénédiction papale  « Urbi et Orbi » (à la ville = Rome et au monde) est l’expression spectaculaire de cette responsabilité de l’Église envers tous les peuples : les bénir sans conditions.

Le repli sur soi et sur ses proches est incompatible avec la vocation reçue en Abraham. D’ailleurs, l’Église ne serait pas l’Église si elle n’était pas catholique (du grec kat-olon = selon le tout, la totalité), ouvrant à tous la totalité de la bénédiction se propageant d’Abraham à Jésus puis à nous aujourd’hui. Catholique et bénédiction sont donc indissociables, sous peine de se transformer en club privé, très vite privé de Dieu lui-même…

Devenir bénédiction nous appelle à discerner le travail de l’Esprit dans d’autres cultures, religions, manières de vivre, pour en dire du bien et les inclure ainsi dans l’héritage d’Abraham.

Sois bénédiction, pour tous : comment allons-nous traduire en actes et en paroles cet appel qui depuis Abraham nous met en mouvement vers un pays inconnu ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.

PSAUME

(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)

R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE

Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

 

ÉVANGILE

« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)

Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur.De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ,Parole éternelle du Dieu vivant.Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , ,

21 juillet 2019

La prière et la loi de l’offre et de la demande

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La prière et la loi de l’offre et de la demande

Homélie pour le 17° Dimanche du temps ordinaire / Année C
28/07/2019

Cf. également :

Que demander dans la prière ?
La force de l’intercession
Les 10 paroles du Notre Père
Intercéder comme Marie

 

1. La prière marchande (selon les païens)

Un enterrement traditionnel en Afrique noire, il y a 40 ans. Pas n’importe quel enterrement : celui du vieux chef coutumier du village, honoré et respecté de tous. Les voisins viennent en foule pendant trois jours visiter la famille et faire la fête. Chacun apporte son offrande : des poulets, des chevaux, des brebis, des vaches et des bœufs. Lors de la cérémonie, le sacrificateur égorge un à un ces animaux, en prononçant les paroles rituelles et en faisant couler le sang dans la terre pour nourrir les ancêtres et obtenir leur bénédiction. Le beuglement des vaches n’émeut personne, car le sacrifice de ces animaux est l’offrande nécessaire pour obtenir des divinités la paix pour le village et le séjour parmi les ancêtres pour le chef.

La logique des sacrifices d’animaux (ou humains hélas !) est toujours la même, que ce soit en Afrique noire, dans le Temple de Jérusalem ou au sommet des pyramides aztèques  autrefois : le peuple offre aux dieux une victime vivante, afin qu’en échange lui soit donnée la paix, la prospérité, la fin d’un cataclysme, des moissons généreuses etc.

En termes modernes, on pourrait dire que c’est la loi économique de l’offre et de la demande qui préside à ces rituels païens : il faut payer au dieu le prix suffisant pour obtenir ses faveurs. C‘est tout l’objet de la loi de l’offre de la demande en économie [1] : trouver le prix d’équilibre qui va permettre l’échange entre celui qui offre et celui qui demande, selon le schéma classique :

La prière et la loi de l’offre et de la demande dans Communauté spirituelle 240px-Offre-demande-equilibre.svg

La prière marchande est la projection sur Dieu de nos habitudes humaines dans l’échange. C’est une conception naturelle, innée en chacun et en tous : nous imaginons Dieu sur le mode d’un marchand à qui il faut donner quelque chose de précieux en échange de ses grâces. Ce type de prière a perduré même en christianisme : nombre de pèlerinages à Saint Jacques de Compostelle, éprouvants et humiliants, ont été fait pour obtenir la rédemption divine. Nombre de cierges à Lourdes, de cilices monastiques, de neuvaines ou de rogations étaient le prix à payer pour obtenir une guérison, un pardon, une réussite ou une pluie abondante. On n’est jamais loin du marchandage : ‘si tu me donnes ceci ou cela alors je te promets de faire ceci ou cela’.

Évidemment, Jésus s’est inscrit résolument en faux contre ce type de prière. Dans la lignée des prophètes d’Israël, il rappelle que les sacrifices d’animaux ne sont d’aucune valeur devant un cœur brisé prêt à accueillir le don de Dieu. Il lui arrive souvent de guérir des gens qui n’avaient rien demandé. À ceux qui demandent une guérison physique, il les  conduit plus loin en parlant de salut et de sainteté tout en leur accordant la santé pour les y amener. Le donnant-donnant moyennant un prix à payer n’est sûrement pas la relation que Jésus entretenait avec son Père dans la prière, ni la relation de salut avec ceux qu’il rencontre en chemin.

 

2. La prière discount (selon Abraham)

Notre première lecture de ce dimanche nous met sur la voie d’une autre prière : celle d’Abraham intercédant pour Sodome (Gn 18, 20-32). Intercéder pour Sodome ! Dans l’imaginaire collectif, Sodome et Gomorrhe sont devenus des symboles de la dépravation des grandes villes. Deux différences avec la prière païenne sautent aux yeux : Abraham ne prie pas pour lui-même ; il intercède pour des pécheurs et non des justes.

prier-pour-sodome_med

La technique de négociation d’Abraham est subtile : elle semble relever du marchandage, puisqu’Abraham discute le prix du salut de Sodome, en le faisant baisser au maximum : 50 justes, 45, 40, 30, 20, 10. Un vrai négociateur apparemment, puisqu’il réussit à obtenir la même promesse de salut pour cinq fois moins cher. Abraham ne descend pas en dessous de 10, car c’est le nombre minimum d’hommes prescrits par la loi juive pour constituer une assemblée de prière légitime : le minian.

Pour autant, le levier de sa demande n’est pas le nombre de justes dans Sodome, mais la fidélité de Dieu à lui-même : ‘toi qui es le juste par excellence, comment pourrais-tu faire mourir le juste avec le coupable sans te renier toi-même ?’
Habile…

Abraham sait bien que l’offre du côté de Dieu ne s’achète pas, alors il l’appelle à ne pas se renier lui-même – ce qui bien sûr est impossible – en ne confondant pas les justes et les injustes. Il obtient ainsi l’offre maximum (la promesse de salut de la ville) pour un prix minimum (10 justes).

Transposons à aujourd’hui : cela signifie que lorsque nous faisons appel à Dieu pour ce qu’il est en lui-même (et non pour notre intérêt), nous pouvons être sûrs de sa réponse quel que soit notre mérite devant lui (en réalité nous n’en avons aucun). À condition d’opérer le double décentrement repéré dans l’intelligente négociation d’Abraham : intercéder pour les autres plus que pour soi, demander à Dieu d’être lui-même plus qu’à notre image…

 

3. La prière poisson-serpent / œuf-scorpion selon Jésus

Dans son enseignement sur la prière de notre évangile de ce dimanche (Lc 11, 1-13), Jésus va jusqu’au bout de la logique amorcée par Abraham. Dans le Notre Père, il commence par décentrer notre prière en le tournant vers Dieu, son identité de Père (de tous), son Nom, son règne et sa volonté (3 louanges et 3 demandes au début des 10 paroles du Notre Père). Puis viennent les 4 demandes humaines qui sont « sans prix », au sens où Jésus ne fixe pas de tarif pour obtenir le pain, le pardon, la force spirituelle, la délivrance du mal. Nous sommes déjà très loin de l’échange marchand !

poisson serpentLa parabole suivante met en scène une prière non pour soi mais pour nourrir un ami de passage imprévu. L’autre parabole indique qu’il peut y avoir un décalage entre la demande humaine et l’offre divine, mais toujours en faveur de l’homme :

« Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? »

Autrement dit, Dieu sait ce qui est bon pour nous, mieux que nous-mêmes. Jamais il ne nous donnera ce qui pourrait nous faire du mal, ou ce qui pourrait nous faire faire du mal aux autres. On peut pousser la logique de Jésus à son maximum : si vous demandez un serpent, il vous sera donné un poisson ; si vous réclamez un scorpion, vous recevrez un œuf. Le serpent et le scorpion sont symboliques du mal qui a perdu Adam et Ève (le serpent) et qui continue à inoculer son venin dans le monde par la violence et la ruse (le scorpion). Le poisson symbolise la foi en Jésus-Christ sauveur, fils de Dieu (ictus en grec) et l’œuf la résurrection (la vie à venir). Dieu sait convertir nos demandes pour qu’elles deviennent sources de vie et non de mort.

L’important pour nous est de demander de tout notre cœur, en acceptant par avance que Dieu puisse nous donner autre chose que ce que nous demandons, un don bien supérieur à ce que nous aurions pu imaginer.

« Demandez et vous recevrez » : la promesse du Christ est apparemment démentie chaque fois qu’il arrive l’inverse de ce que nous avons demandé (la mort au lieu de la guérison, la séparation au lieu de l’union, l’échec au lieu de la réussite etc.). Pourtant elle se révèle profondément accomplie lorsque nous découvrons que Dieu nous donne infiniment mieux et davantage que ce que je vous nous imaginions pour nous, même si c’est complètement autre chose. Une amie qui vient de perdre son mari d’un cancer en quelques mois me confiait : « j’ai prié pour que Jacques guérisse. Maintenant je dois découvrir pour-quoi il est mort, c’est-à dire ce que Dieu m’invite à faire de cette disparition ».

Demandez à Dieu d’être Dieu, et vous recevrez bien plus grand que le désir immédiat de votre cœur.

 oeuf scorpion

4. La prière sans objet (selon Salomon et selon Jésus.)

Jésus termine son enseignement sur la prière à cette ouverture-clé : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

De la prière du Notre Père.Car finalement, le véritable objet de notre demande dans la prière n’est pas un objet, mais une personne vivante : l’Esprit Saint lui-même. Demander l’Esprit Saint, ce n’est pas demander la richesse ou la guérison, la réussite ou la paix, c’est désirer vivre comme Dieu en Dieu. C’est ajuster sa respiration sur le souffle intime de l’Esprit en nous. C’est d’apprendre à désirer comme Dieu désire, aimer comme Dieu aime, se livrer comme Dieu se livre. Des mystiques comme Maître Eckhart iraient même jusqu’à dire : laisser Dieu désirer en nous, aimer en nous, se livrer à travers nous. Cette prière est sans objet, car elle a l’Esprit Saint en personne comme sujet.

Dieu sait ce qui nous convient avant même que nous n’ouvrions la bouche pour le prier. Le fait de prier n’a pas pour but d’informer Dieu, qui nous connaît mieux que nous-mêmes, mais de former en nous le désir selon le cœur de Dieu. Par exemple, lorsque Jacques et Jean demandent à Jésus d’être « à sa droite et à sa gauche lors de son règne », il leur répond :

« Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? Ils lui dirent: « Nous le pouvons. Jésus leur dit: « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder: ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé » (Mc 10,38-40).

La transformation de la demande est bien de passer de la convoitise d’un objet (ici du pouvoir) au désir d’une relation de communion avec le Christ (figurée ici par la coupe de sa Passion et son baptême).

L’œuf à la place du scorpion…

Déjà, le roi Salomon avait donné l’exemple de la vraie prière de demande. Tel le génie de la lampe d’Aladin, Dieu lui promet d’exaucer tous ses vœux. Salomon ne demande pas quelque chose (gloire, richesse, victoire sur les ennemis etc.) mais quelqu’un : la Sagesse. « Donne-moi la Sagesse assise près de toi » (Sg 9,4).

La réponse de Dieu est immédiate :

Dieu dit à Salomon : Parce que c’est là ce qui est dans ton cœur, et que tu n’as pas demandé ni des richesses, ni des biens, ni de la gloire, ni la mort de tes ennemis, et que même tu n’as pas demandé de longs jours, et que tu as demandé pour toi la sagesse et l’intelligence pour juger mon peuple sur lequel je t’ai fait régner, la sagesse et l’intelligence te sont données. Je te donnerai en outre des richesses, des biens et de la gloire, comme n’en a eu aucun roi avant toi, et comme n’en aura aucun après toi » (2Ch 1, 1-11)

Jésus s’inscrira dans cette lignée de Salomon avec sa formule géniale : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33). Car en Jésus, il y a bien plus encore que Salomon (Mt 12,42).

À Gethsémani, il se bat précisément pour convertir sa prière de demande en une prière d’union à son Père : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. […] Il retourna prier une deuxième fois : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (Mt 26,39.42)

Les meilleures choses dans la vie ne sont pas des choses ; ce sont des êtres vivants : conjoint, enfants, amis, compagnons de route… Ainsi dans la prière, la meilleure chose que nous ayons à demander n’est pas une chose mais l’Esprit Saint en personne : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

Saint Augustin l’écrivait à son amie Proba : sil nous est demandé de prier, ce n’est pas pour informer Dieu de nos besoins, qu’il connaît mieux que nous-mêmes, mais pour former en nous le désir de Dieu qui veut nous combler de ses dons. Il s’agit d’ajuster notre désir au don de Dieu.

C’est celui qui sait donner de bonnes choses à ses fils qui nous oblige à demander, à chercher, à frapper (Lc 11, 9-13). Pourquoi Dieu agit-il ainsi, puisqu’il connaît ce qui nous est nécessaire, avant même que nous le lui demandions ? Nous pourrions nous en inquiéter, si nous ne comprenions pas que le Seigneur notre Dieu n’a certes pas besoin que nous lui fassions connaître notre volonté car il ne peut l’ignorer, mais qu’il veut par la prière exciter et enflammer nos désirs, pour nous rendre capables de recevoir ce qu’il nous prépare. Or ce qu’il nous prépare est chose fort grande, et nous sommes bien petits et bien étroits pour le recevoir. C’est pourquoi il est dit : « Dilatez-vous » (2 Co 6, 13-14).

 

Ne rêvons pas : ces quatre strates de prière coexistent en chacun de nous, mélangées, se croisant sans cesse, jamais chimiquement pures. Le tout est de prendre conscience de la conversion du désir qui est l’enjeu de notre prière : « que ta volonté soit faite ».

ob_d8183f_cto17-lapinbleu338c-lc11-2 Abraham dans Communauté spirituelle

 


[1]. En microéconomie, l’offre et la demande est un modèle économique de détermination des prix dans un marché. Ce modèle postule que, toutes choses étant égales par ailleurs, dans un marché concurrentiel, le prix unitaire d’un bien ou d’un autre élément négocié comme de la main-d’œuvre ou des actifs financiers, varie jusqu’au moment où la quantité demandée (au prix courant) sera égale à la quantité fournie (au prix courant), résultant à un équilibre économique entre prix et quantité négociée (source : Wikipédia).

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Que mon Seigneur ne se mette pas en colère si j’ose parler encore » (Gn 18, 20-32)

Lecture du livre de la Genèse

 En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. Alors le Seigneur dit : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Si c’est faux, je le reconnaîtrai. » Les hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu’Abraham demeurait devant le Seigneur. Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » Le Seigneur déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. » Abraham répondit : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? » Il déclara : « Non, je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq. » Abraham insista : « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? » Le Seigneur déclara : « Pour quarante, je ne le ferai pas. » Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? » Il déclara : « Si j’en trouve trente, je ne le ferai pas. » Abraham dit alors : « J’ose encore parler à mon Seigneur. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? » Il déclara : « Pour vingt, je ne détruirai pas. » Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? » Et le Seigneur déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8)
R/ Le jour où je t’appelle, réponds-moi, Seigneur.
(cf. Ps 137, 3)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre,
ta main s’abat sur mes ennemis en colère.

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Dieu vous a donné la vie avec le Christ, il nous a pardonné toutes nos fautes » (Col 2, 12-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix.

Évangile
« Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; c’est en lui que nous crions « Abba », Père. Alléluia. (Rm 8, 15bc)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. » Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’. Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , , , , ,
123