L'homélie du dimanche (prochain)

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7 juin 2020

Les 4 présences eucharistiques

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les 4 présences eucharistiques

Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année A
14/06/2020

Cf. également :

Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

Les origines de la Fête-Dieu

Procession de la Fête-Dieu à Bamberg en Allemagne en 2007Les plus anciens d’entre nous ont encore des pétales de rose dans les yeux lorsqu’on leur demande de raconter les processions qui accompagnaient la Fête-Dieu de leur enfance. C’était en effet des processions spectaculaires : les enfants jetaient des pétales de fleurs sur le chemin du dais eucharistique promenant solennellement l’hostie consacrée dans l’ostensoir à travers les rues des villes et des villages… C’était au XIX° siècle l’occasion de véritables  démonstrations de force de la chrétienté ‘assiégée’ par le pouvoir laïc.

Cette fête, la ‘Fête de Dieu’, a été fondée en 1264 par le Pape Urbain IV, à la suite de visions faites à Ste Julienne de Mont-Cornillon en Belgique, dans la banlieue de Liège. À partir de 1209 elle eut de fréquentes visions mystiques. Une vision revint à plusieurs reprises, dans laquelle elle vit une lune échancrée, c’est-à-dire rayonnante de lumière, mais incomplète, une bande noire la divisant en deux parties égales. Elle resta longtemps sans comprendre la signification de cette vision, et sans en parler à personne. Puis elle interpréta la bande noire de ce rêve (Sigmund Freud l’aurait peut-être fait autrement…) comme l’absence d’une fête liturgique au milieu de l’Église (la lune) pour honorer le Saint Sacrement. Devenu pape, Urbain IV  se souvint qu’il avait été archidiacre à Liège sous son nom de Jacques Pantaléon, et a réalisé le vœu de Ste julienne en introduisant cette Fête-Dieu à Rome plus tard.

La solennité aurait été dans un certain sens préparée par le débat théologique et par le réveil de la dévotion eucharistique survenu après l’hérésie de Bérenger de Tours au XI° siècle qui niait la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Ce réveil s’accompagnait d’un désir de pouvoir contempler l’hostie pendant la messe : c’est à Paris, en 1200, que l’existence du rite de « l’élévation » au moment de la consécration est attestée pour la première fois. Et l’on voyait les dévots courir de messe en messe dans les églises de Paris le dimanche matin uniquement pour voir l’hostie s’élever au moment de la consécration, en criant très fort : « plus ! plus haut ! ». L’hostie était alors devenue matière à adorer plus qu’à manger, à cause de l’exigence de « l’état de grâce » pour communier. À tel point que le IV° concile du Latran (1215) avait obligé les chrétiens à communier au moins un fois l’an (« faire ses Pâques »), sinon ils ne communiaient jamais…

Urbain IV chargea Thomas d’Aquin de composer un office du St Sacrement pour la fête nouvelle. Appelée  Festum Corporis Domini, elle se célébrait initialement le jeudi (en mémoire du Jeudi saint) après l’octave de Pentecôte, avant que le Concordat de 1802, puis la réforme liturgique actuelle ne la déplace au Dimanche suivant. Le titre actuel de « Fête du Corps et du Sang du Christ » rend mieux compte de son contenu que l’ancien nom de « Fête-Dieu ». Il est à noter que le Pape n’a pas établi la Fête pour exposer en évidence le Saint Sacrement, ni pour le porter en procession. Ni la bulle d’institution, ni l’office de St Thomas ne parlent de ces solennelles démonstrations envers l’hostie. Il y est seulement question d’une « mémoire » « plus particulière et plus solennelle » « d’un si grand sacrement », mémoire dans laquelle l’Église est invitée à laisser déborder sa joie et son action de grâces dans la messe associée à cette fête.


Les 4 présences du Christ dans l’eucharistie

L‘adoration du Saint Sacrement exposé dans l’ostensoir ne doit pas nous faire oublier les autres formes de présence du Christ, indissolublement liées entre elles.

La Présentation Générale du Missel Romain dit très explicitement au n° 9 :

« En effet, dans la célébration de la messe où est perpétué le sacrifice de la croix, le Christ est réellement présent dans l´assemblée elle-même réunie en son nom, dans la personne du ministre, dans sa parole et aussi, mais de façon substantielle et continuelle, sous les espèces eucharistiques ».

Quand le Christ vient à notre table, il se fait présent à nous, de 4 manières :

1) dans l’assemblée elle-même : « là où 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20).
Dans une équipe de catéchèse, d’adultes, de liturgie ou d’art floral, dans l’assemblée du Dimanche, nous apprenons à faire Corps, à laisser le Christ nous relier les uns aux autres. Nous communions au Corps du Christ en acceptant de faire Corps ensemble, tout simplement rassemblés au nom du Christ. Se saluer en début et en fin de messe, s’échanger le baiser de paix (quand le Coronavirus nous en laissera à nouveau la possibilité !), s’asseoir sans choisir son voisin de chaise à l’église : tous ces gestes manifestent que le Christ fait de nous son corps lorsque nous nous laissons rassembler par lui. La fraternité et la joie simple qui règnent dans nos messes sont des signes tangibles de cette réalité sacramentelle qui s’opère en chaque eucharistie.


2) dans la présence des prêtres/diacres/évêques au milieu de nous.
Les ministres ordonnés sont là pour nous signifier que c’est un Autre qui nous appelle à faire Corps. Parce qu’ils sont différents, ils nous obligent à ne pas réduire le Christ à ce que nous connaissons de lui. Grâce à eux, le Christ continue de conduire son Église, de nourrir son Corps. Ils sont donnés à l’Église pour qu’elle s‘éprouve comme aimée d’un Autre, nourrie par le Christ, conduite par l’Esprit. Paul décrivait ainsi leur rôle : « C’est le Christ qui a donné (sous-entendu : à l’Église) certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres enfin comme chargés d’enseignement, afin de mettre les saints (= les baptisés) en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ » (Ep 4, 11-12). Les ministres ne sont pas au-dessus des autres, mais par leur ordination, ils sont mis à part – non pas séparés – pour que l’Église tout entière puisse « bâtir le Corps du Christ » :

« Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont, d’une certaine manière, mis à part au sein du peuple de Dieu ; mais ce n’est pas pour être séparés de ce peuple, ni d’aucun homme quel qu’il soit ; c’est pour être totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur les appelle. Ils ne pourraient être ministres du Christ s’ils n’étaient témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre, mais ils ne seraient pas non plus capables de servir les hommes s’ils restaient étrangers à leur existence et à leurs conditions de vie » (Vatican II, Presbyterorum ordinis n° 3).


24 juin 2012 : Elevation de l'évangeliaire lors de la messe d'ordination diaconale célébrée en la cath. Saint André de Bordeaux (33), France June 24, 2012 : Ordination of 5 deacons, cath. Saint André de Bordeaux (33), France3) dans la Parole de Dieu, la Bible, proclamée (et donc entendue, non pas lue par les fidèles sur leur téléphone, une feuille ou un Prions en Église…) à la messe lors de la liturgie de la Parole. C’est une vraie table que celle de la Parole où nous laissons la Bible devenir une Parole vivante qui nous touche. D’ailleurs, il y a bien « deux tables » dans la célébration : « En effet, la messe dresse la table aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Seigneur, où les fidèles sont instruits et restaurés » (PGMR n° 28). La table de la Parole mérite d’être honorée comme celle de l’autel, car c’est  vraiment le Christ en personne qui s’adresse à nous au travers des lectures bibliques et de l’homélie.
Une manifestation visible de cet entrelacement est la procession d’entrée, qui unit ces 3 présences du Christ : l’assemblée, les ministres ordonnés, le livre de la Parole.


4) dans le Corps et le Sang du Christ. Bien sûr, le pain et le vin eucharistiques sont les signes forts (« de façon substantielle et continuelle ») où le Christ fait de nous son Corps et sa Vie, comme il fait du pain et du vin des signes du monde nouveau, celui de la Résurrection. Ce n’est pas nous qui mangeons le Christ, c’est plutôt Lui qui nous assimile à Lui et fait de nous son Corps. St Augustin écrit dans ses Confessions : « il me semblait que j’entendais Ta voix, venant du haut du ciel : « Je suis la nourriture des forts : grandis et tu me mangeras. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ton corps, c’est toi qui seras changé en moi. »


Il est capital de ne pas réduire la présence du Christ à notre table à une seule de ces 4 présences. Notamment pour ceux qui, pour une raison personnelle ou à cause de leur situation conjugale, ne peuvent pas avoir accès à la communion à l’hostie (divorcés remariés, concubins, catéchumènes…). Même si ce geste fort de venir prendre le pain eucharistié n’est plus possible, rien n’empêche de communier au Christ sous les 3 autres formes : l’assemblée, le signe du ministère, la Parole vivante. Et l’on peut bénir par un signe de croix sur le front ceux qui se présentent dans la file de communion les bras croisés…

L’encensement solennel est un autre signe de la sacramentalité multiforme du Corps du Christ. Nous encensons l’autel et les ministres ordonnés au début de la messe après la procession d’entrée, puis le livre de la Parole au moment de l’évangile, puis le pain, le vin, les ministres et toute l’assemblée lors de l’offertoire : ainsi les volutes d’encens tout au long de la célébration enlacent en une seule offrande ces 4 modes de présence du Christ.

Ne réduisons pas le Christ à l’une de ces 4 présences / nourritures, alors qu’elles font système et sont en interaction continuelle dans la messe !
À cette condition, le Christ ne dédaignera pas de venir s’asseoir à notre table, quelle que soit notre indignité…

Les 4 présences eucharistiques dans Communauté spirituelle bandeau-eucharistie

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)
Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

 

PSAUME

(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)

R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

 

SÉQUENCE

Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »

Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient  le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE

« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia.Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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21 mai 2020

Le confinement du Cénacle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le confinement du Cénacle

Homélie du 7° Dimanche de Pâques / Année A
24/05/2020

Cf. également :

Ordinaire ou mortelle, la persécution
Dieu est un trou noir
Le dialogue intérieur

 

Clac ! Ne bougez pas, la lumière revient !
Clac ! Le disjoncteur saute… Cela vous est sûrement déjà arrivé d’être ainsi plongé dans le noir. Subitement votre univers familier devient inquiétant, vos repères ne sont plus là. Vous vous cognez au moindre mouvement, au coin d’une table ou au rebord d’un meuble. Paralysé par la peur de vous blesser ou de casser, vous demandez alors à quelqu’un d’aller remettre le disjoncteur en marche là-bas au bout du couloir près de la porte d’entrée. Pendant ce temps, vous retenez votre souffle, essayant de ne pas faire de catastrophe, tâtonnant dans l’obscurité, attendant qu’un nouveau le clac du disjoncteur rétablisse enfin la possibilité d’aller et venir normalement.

Eh bien, toutes proportions gardées, l’expérience de Marie et des Onze au Cénacle est un peu celle-là ! La résurrection du Christ avait mis sous tension l’histoire humaine, incapable de supporter longtemps une telle manifestation d’énergie brute. Le « clac ! » de l’Ascension les avait provisoirement protégés de cette surexposition, mais les avait plongés dans un confinement volontaire au Cénacle d’où ils n’osaient sortir. Ils avaient verrouillé les portes de cette chambre haute par peur des juifs (Jn 20,10). Ils attendaient, sans savoir quoi exactement, un événement qu’il les tirerait de cet isolement temporaire. Il faudra la foudre de Pentecôte (ou plutôt ses langues de feu) pour que ce « clac ! » inverse vienne rétablir leur capacité de relations (les langues des peuples) en les faisant sortir de leur confinement volontaire pour parler à la foule des pèlerins de Jérusalem.

Le Cénacle est ainsi le confinement d’où jaillit l’élan missionnaire qui caractérise l’Église : « Ici est née l’Église, et elle est née en sortie. D’ici elle est partie, avec le Pain rompu entre les mains, les plaies de Jésus dans les yeux, et l’Esprit d’amour dans le cœur. » [1]

 

Le confinement dans la Bible

Le confinement du Cénacle dans Communauté spirituelle comment-vivez-vous-le-confinement-c-est-ce-que-les-archives-de-vesoul-cherchent-a-conserver-a-travers-des-ecrits-des-dessins-des-photos-des-videos-photo-er-ludovic-laude-1586974659Les autres années, nous lisions ce passage par le Cénacle (Ac 1, 12-14) d’une manière distraite, sans y accorder beaucoup d’importance. En 2020, au sortir d’un confinement mondial, la chambre haute verrouillée par peur des autres ressemble étrangement à nos appartements et maisons des mois de mars à mai… Entre Ascension et Pentecôte, le temps biblique semble se figer, et tout est rétréci dans ce Cénacle où la petite troupe des disciples s’enferme, évitant tout contact dangereux avec la ville autour. Nous comprenons désormais beaucoup mieux ce confinement volontaire (10 jours seulement en l’occurrence) qui était le sas indispensable entre le contact avec le Ressuscité après Pâques et l’annonce de l’Évangile à tous les peuples réunis à Jérusalem pour la Pentecôte. On pourrait dire que le phénomène de contagion ici est inversé : c’est bien pour que la Résurrection se propage à tous que les apôtres sortiront de leur confinement, alors que nous espérons ne rien transmettre aux autres en déconfinant nos logements, nos entreprises etc.

Cet entre-deux Ascension–Pentecôte est donc salutaire : ils protègent les proches de Jésus,  le temps de vaincre leur peur des autres.
C’est l’occasion de visiter les confinements mentionnés par la Bible, plus nombreux qu’on ne le penserait.

 

Noé l’insubmersible

L’Arche de Noé. Miniature tirée d'un manuscrit du 15ème siècle.  (Newberry Library, Chicago). Les 40 jours de Noé avec famille et animaux dans l’arche constituent le premier confinement biblique (Gn 7). Il n’est pas volontaire : c’est Dieu qui en donne l’ordre à Noé, afin qu’il ne soit pas submergé par les flots du déluge à venir. En obéissant, en enfermant les siens à l’abri du monde en furie dans l’arche, Noé fait le premier l’expérience d’un confinement salutaire : savoir rester à l’intérieur de ces planches de bois pendant 40 jours lui permettra de sauver les siens, et de refonder une humanité nouvelle vivant de l’Alliance avec Dieu (cf. l’arc-en-ciel). Notre « quarantaine » vient de là : noyer la corruption (ou la peste, ou le virus) pour sortir enfin libres de tout mal une fois le déluge (l’épidémie) asséché.

Spirituellement, Noé nous dit qu’il vaut mieux parfois nous protéger, ne pas nous laisser contaminer, plutôt que de faire comme les autres. Tout le monde se moque de lui pendant qui construit l’arche, et encore plus quand il y monte. Mais les flots ininterrompus lui ont ensuite donné raison. Les Pères de l’Église voyaient dans cette arche la figure de l’Église, faite du bois de la croix destinée à protéger les chrétiens du mal et de la mort.

À la lumière de notre expérience récente du confinement, nous pouvons voir dans la quarantaine de l’arche un appel à la vertu de prudence : ne pas nous exposer au mal plus que nous ne pourrions résister, bâtir des refuges où refaire nos forces, ne pas toujours combattre frontalement mais savoir attendre et patienter…

Et si le confinement, physique ou spirituel, était l’art de devenir insubmersible ?

 

À l’abri du sang pascal

Le peuple d’Israël, épargné grâce au sang de l'agneauLa nuit de la première Pâque, les hébreux se sont enfermés dans leurs maisons, protégés de l’ange exterminateur par le sang de l’agneau pascal marquant le linteau de leur porte (Ex 12). Confinement très bref, à la mesure de la violence intense qui en une nuit a exterminé les premiers-nés de l’Égypte. Quand la mort rôde, physique ou spirituelle, savoir se protéger à l’abri du sang pascal est salutaire.

Il y a un temps pour sortir et un temps pour rester à la maison : la Pâque juive apprend au peuple à distinguer entre ces temps. La Pâque chrétienne prolonge cette éducation du peuple en alternant Cénacle et Pentecôte dans l’histoire de chacun. Les Hébreux confinés chez eux par ordre divin la nuit de Pâques (et chaque famille juive le reproduit à Pessah  dans l’univers domestique de la liturgie de cette nuit) nous invitent à ne pas mettre notre orgueil dans une protection qui viendrait de nous seulement, mais à s’en remettre à Dieu avant tout pour notre salut, notre santé (c’est le même mot : salus en latin), notre liberté. Le confinement de Pessah débouche sur l’Exode, celui du Cénacle sur Pentecôte : c’est le même mouvement d’inspiration-expiration (ou systole-diastole si on préfère) où nous recevons de Dieu la force et le courage de briser nos chaînes pour former le nouveau Peuple de Dieu à partir de toutes les nations.

 

La quarantaine au désert

carte-moise-sinai-canaan Ascension dans Communauté spirituelleImmédiatement après la nuit pascale, confinés dans leur maison, les hébreux ont été propulsés dans un « confinement dehors » qu’ils n’ont pas aimé du tout : les 40 ans au désert, à errer parmi les sables et les rochers vers une Terre promise que la génération des premiers sortis n’a pas vue de ses yeux, Moïse en tête… Rude épreuve que d’être ainsi « enfermés dehors », dans cette immensité entre Sinaï et Golfe persique, sans connaître le but ni le chemin ! Pourtant, ces 40 ans n’ont pas été de trop pour que YHWH éduque ce peuple à la nuque raide, et en fasse le peuple de l’Alliance, des 10 Paroles. Ce douloureux confinement au désert a été la matrice de l’Alliance. Les juifs encore aujourd’hui chaque année construisent des cabanes de branchages sur leur balcon comme au désert pour célébrer Soukkot (fête des Tentes) : c’est donc que le confinement au désert doit régulièrement revenir en nos cœurs, car notre éducation à l’Alliance n’est jamais achevée…

 

Le confinement du tombeau
En demeurant trois jours (selon la mesure juive) confiné dans le tombeau, le corps de Jésus fait l’expérience ultime qui nous attend tous. Être enfermé dans la roche, prisonnier de la lourde pierre roulée à l’entrée, est l’aboutissement de l’incarnation du Verbe qui a assumé jusqu’à cette mise sous séquestre mortelle, isolant de tous et de tous. Peut-être est-ce pour cela que l’Église catholique a longtemps préféré inhumer plutôt qu’incinérer les défunts. Brûler les corps tout de suite, c’est aller trop vite dans notre désir de nous libérer de la mort, comme si les cendres nous évitaient l’épreuve de l’enfermement dans les liens de la mort…

En tout cas, le confinement du sépulcre a permis à Jésus de recevoir la vie nouvelle en son corps : ce n’est pas un fantôme, une idée, une théorie ou une image qui sortit du tombeau, mais un corps humain transfiguré par l’amour tout-puissant de son Père.

Le prophète Jonas avait en quelque sorte préfiguré ce confinement pascal : en restant trois jours et trois nuits dans le ventre du gros poisson (la Bible ne dit pas que c’était une baleine !) qui l’avait avalé, il se préparait à aller malgré tout jusqu’au bout de sa mission. Et quand la créature l’a rejeté sur le rivage Ninive la païenne, Ninive la corrompue, il a compris qu’il ne pourrait pas se dérober à être signe de salut pour ces étrangers tant redoutés et méprisés. Or comme le dit Jésus lui-même : « il y a ici bien plus que Jonas »(Lc 11,32). Le signe de Jonas dont il parle – les trois jours au tombeau, puis le tombeau vide – repose sur ce mystérieux séjour souterrain, presque symétrique de celui - sous-marin - de Jonas qui le préparait à son rôle de prophète pour les païens.

Comment ne pas voir en Jonas à Ninive la figure des apôtres à Jérusalem pendant la fête de Pentecôte où toutes les nations étrangères étaient représentées parmi les pèlerins ?

 

Les confinements inhumains
Tous les confinements bibliques ne sont pas si positifs !
Il suffit d’évoquer par exemple les sièges des cités comme Samarie (2R 6) ou Jérusalem (2R 25) en temps de guerre. Le blocus de la ville engendre famines, rivalités, trahisons, délations, violences comme le confinement a pu en provoquer dans nos quartiers réputés difficiles. Le confinement peut être déshumanisant (jusqu’au cannibalisme lors du siège de Jérusalem), et aggraver les inégalités sociales, jusqu’à la guerre civile.

 cénacleMême en temps de paix, les hommes s’ingénient hélas à exclure et isoler ceux dont ils ont peur, jusqu’à leur imposer un confinement injuste et dégradant. Ainsi les lépreux doivent demeurer hors du camp (Lv 13,46) et finalement hors de la vie commune. De même l’obsession de la pureté rituelle interdisait l’accès du Temple aux femmes ayant leurs règles, aux personnes ayant touché un cadavre ou un porc (!) etc.

Le confinement social imposé à quelques-uns par peur ou ignorance est de tous les temps. Les pauvres sont toujours parqués dans les favelas de Rio ou les bidonvilles de Nairobi, les vieux sont mis à l’écart dans nos EHPAD (ils étaient déjà confinés avant le Coronavirus !), les malades mentaux dans d’effrayantes prisons psychiatriques avec leur camisole chimique etc.

Le confinement social imposé – par peur, égoïsme ignorance – est une torture inhumaine dont nos mois de confinement ne nous ont donné qu’une petite idée. Passer du Cénacle à Pentecôte demande de nous engager à lever ces écrous abominables, à faire sauter ces verrous déshumanisants qui maintiennent les indésirables à l’écart, si près de nous…

 

Les confinements heureux
Heureusement, il y a aussi les confinements volontaires positifs !
Quand Jésus cherche la solitude, à l’écart, pour prier. Quand il nous invite à nous retirer dans une pièce isolée pour prier notre Père qui est là dans le secret (Mt 6,6). Quand les Onze reprennent leur souffle au Cénacle.

La clôture monastique reprendra plus tard ce fil du confinement spirituel volontaire, qui paradoxalement rend plus ouvert à Dieu et aux autres. La cellule du moine est sa source de liberté.

Lorsque la tiédeur se généralisa dans l’Église suite à l’édit de Constantin au IV° siècle, les ermites allèrent au désert, aux confins des sables connus, pour maintenir vivante la flamme mystique sans laquelle la foi devient une convention sociale, voire mondaine.

Lorsque le besoin de réforme se fera criant, le retour à l’Évangile viendra des moines, de Martin à Benoît ou Bruno, de François à Dominique, puisant dans la vie conventuelle confinée la force et l’inspiration d’une vie ecclésiale renouvelée et plus fidèle.

Apprenons nous aussi à inventer les confinements volontaires qui nous aideront à revenir à la source, à l’essentiel.

 

Nos propres confinements
La quarantaine de Noé, la nuit de Pâques et les 40 ans au désert, les trois jours de Jonas ou du sépulcre, « l’enfermement dehors » des lépreux, des impurs, des plus pauvres, le siège sanglant des cités en guerre, le retrait dans le secret de la prière… : les confinements bibliques ont l’ambivalence des jours que nous venons de traverser, et des masques que nous portons depuis. Ils nous protègent mais ils excluent. Ils nous préparent mais peuvent aussi nous dégrader.

Imposés ou volontaires, à nous de les vivre comme Marie et les Onze au Cénacle, en nous rendant disponibles pour prendre à nouveau les risques que l’Esprit de Pentecôte nous soufflera.

 


[1].  Homélie du Pape François, Salle du Cénacle (Jérusalem), 26/05/2014.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière » (Ac 1, 12-14)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.

PSAUME
(Ps 26 (27), 1, 4, 7-8)
R/ J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneursur la terre des vivants.ou Alléluia ! (Ps 26, 13)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous » (1 P 4, 13-16)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

ÉVANGILE
« Père, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1b-11a)
Alléluia. Alléluia.Je ne vous laisserai pas orphelins, dit le Seigneur ; je reviens vers vous, et votre cœur se réjouira. Alléluia. (cf. Jn 14, 18 ; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe. J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
 Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »
Patrick BRAUD

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26 avril 2020

Jésus abandonné

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Jésus abandonné

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année A
03/05/2020

Cf. également :

Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
Le berger et la porte
La Résurrection est un passif
Le premier cri de l’Église

Aux confins du désert…
Agadès au mois de juillet, à la porte du désert au sud du Sahara. Le taxi-brousse nous dépose au milieu de nulle part. Un gamin joue à faire rouler devant lui un cerceau de bois en le poussant avec un bâton. Avec un grand sourire, il nous prend la main pour nous conduire chez les sœurs de Charles de Foucauld que nous voulons rejoindre. En arrivant à la porte, on entend le chant final de la prière du soir. Puis quelques secondes d’un silence compact et tranchant comme les roses des sables aux alentours. Et ces mots calmement égrenés :

Mon Père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.

Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.

Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour
de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père.

À ce moment-là, plus rien n’existe, ni la chaleur ocre du Sahara, ni les maisons dispersées du quartier, et même l’enfant semble pétrifié lui aussi, sous le charme des mots qui occupent soudain tout l’espace : « je m’abandonne à toi ».

 

S’abandonner à l’autre…

Jésus abandonné dans Communauté spirituelle jLV11N3Y1_1ZRfCQuIfbnbeWzkg@633x634-e1514561284574Ceux qui ont aimé au-delà des premiers éblouissements savent ce que cela représente. Le tout petit d’homme le sait d’instinct, lui qui dépend entièrement de sa mère et s’en remet totalement à elle. Si Dieu est amour, lui aussi doit savoir ce qu’est l’abandon ! Un Dieu qui ne s’abandonnerait pas par amour à plus grand que lui ne serait pas Dieu, ou du moins pas le Dieu des chrétiens. Seule la Trinité chrétienne permet à Dieu de s’abandonner à l’autre sans sortir de lui-même…
Voilà ce que nous dit Pierre dans la deuxième lecture (1P 2, 20b-25). Il contemple le Christ dans sa Passion, à la lumière du livre d’Isaïe, et il énonce simplement le secret de la formidable et non-violente énergie qui lui a donné la force de traverser l’épreuve : « il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice ».

Jésus est par excellence celui qui s’abandonne : entre les mains de Pierre pour son Église, au baiser de Judas pour être livré, à son Père pour multiplier les pains, à la Providence pour parcourir les routes de Galilée etc.
En se remettant ainsi entre les mains d’autrui, Jésus devient paradoxalement capable de conduire ses disciples sur ce chemin d’abandon. C’est un des liens entre les lectures de ce dimanche dit « du bon Berger » : parce qu’il s’abandonne, le Christ devient le Berger des brebis. Parce qu’il est le bon Berger, il s’appuie sur plus grand que lui, sinon le risque serait grand de n’être qu’un petit chef, un illuminé, un révolutionnaire ou un gourou de plus parmi ceux qui pullulaient à son époque. Comme on dit à l’armée : avant de commander, il faut apprendre à obéir.

En faisant confiance malgré tout à Celui qui juge avec justice – malgré le procès absurde et bâclé, malgré le fouet et la dérision, malgré la condamnation injuste et définitive – Jésus reste fidèle à son identité profonde : se recevoir de son Père.

 

Excursus sur l’abandon du politique
Ne pas avoir sa source en soi, se réclamer d’une autorité supérieure pour exercer la sienne sur les autres : voilà une grande constante du pouvoir politique à travers les siècles. Les pharaons se proclamaient « fils du soleil » ; les empereurs romains étaient divinisés pour être censés transmettre la parole des dieux ; les rois de France étaient des lieu-tenants de Dieu, oints par la sainte ampoule qui faisait d’eux d’autres christs etc. De tous temps, les puissants ont eu besoin d’invoquer des puissances supérieures pour légitimer leur pouvoir. Même aujourd’hui, où la présidence de la V° République garde des accents monarchiques. Régis Debray note avec finesse qu’en cette période de confinement, le pouvoir politique semble s’en remettre à la Science (avec un grand S) pour décider et agir, et ainsi légitimer sa parole :

« Moins ça peut, plus ça cause.
Tracts de Crise (N°44) - Le Dire et le faireRemarquée a été la présence ostentatoire, sur les plateaux, à côté de nos gouvernants, de consultants et d’experts. Ils se font escorter par un, ou même deux Conseils scientifiques, créés pour l’occasion, au nom desquels ils se prononcent. C’est pas nous, c’est Monsieur le professeur. Certains ont vu là une atteinte aux prérogatives de l’Exécutif. Je n’en suis pas si sûr. Le Pouvoir exécutif n’apparaît jamais seul en scène. Il a derrière lui, ou plutôt au-dessus, une transcendance en pointillé. Elle a changé de nature depuis saint Paul qui disait, en bon connaisseur de l’autorité : « Omnis potestas a Deo ». Tout pouvoir procède d’un grand Autre. Chaque époque le sien. Le Chef l’est par délégation d’un surplomb, projection d’une verticale ici-bas. Le véritable commandant ne parle pas en son nom propre, car c’est toujours et partout un lieutenant – de Dieu, du Prolétariat, de la République ou de la France. Cette sujétion à plus grand que soi fait sa force. Saint Louis, Lénine, Clemenceau ou de Gaulle étaient d’autant plus écoutés qu’ils servaient de truchement à une valeur suprême. Quand on ne peut incarner cette transcendance – parce que l’ordinaire des temps ne s’y prête pas – force est de la mettre au dehors, à côté de soi, puisqu’elle n’est plus en dedans. En l’occurrence, la Science, arbitre suprême et sans réplique. Le problème est que la science médicale est par nature sujette à controverses, suppositions et incertitudes, en quoi justement elle est une science. C’est l’inconvénient d’avoir pour alibi une science expérimentale. Contrairement aux absolus d’antan, qui étaient des objets de foi, incontestables à ce titre, elle s’atteste dans et par le relatif. Avec un savoir heureusement et désespérément empirique, le pilier devient béquille.
On chancelle. »
                                                                                                                        Régis Debray, Le Dire et le faire, coll. Tracts de crise, 10 avril 2020, Éditions Gallimard.

41CJEqzZSnL abandon dans Communauté spirituelleS’abandonner à la science est une fausse bonne idée pour les politiques. Car les scientifiques ne sont pas des dieux, ni reconnus comme tels. Ils ne sont pas d’accord entre eux, et un seul peut avoir raison contre tous (cf. Galilée !). Ils ne détiennent pas la vérité, mais ils la cherchent de manière asymptotique, comme l’a bien montré le philosophe des sciences Karl Popper parlant de « la quête inachevée » qui caractérise la recherche scientifique. En plus, ce virus était largement inconnu. Le comité scientifique dont s’est entouré le président s’est tellement trompé sur la nature, la transmission, les effets du virus et les mesures à prendre que le politique s’appuyant sur lui est déstabilisé par ce manque de crédibilité, voire de compétence. Il est temps que la décision politique reprenne le pas sur les querelles d’experts.

Il faut donc bien choisir entre les bras de qui s’abandonner ! Le peuple allemand s’est totalement abandonné à Hitler et son parti ; la secte du Temple solaire à Luc Jouret ; Julien Sorel à Louise de Rénal… Pour Jésus, lui qui jaillit du Père dans la force de l’Esprit, la source est la plus haute qui soit. Ne faisant qu’un avec son Père dans son désir de « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10), il se laisse conduire par Lui au gré des rencontres, des événements, de sa Passion même. Ressuscité d’entre les morts, il devient par son humanité le guide, le Berger capable de nous montrer la voie où lui-même a marché : la voie de l’abandon à Dieu en toutes choses. Par sa divinité, il nous assure que c’est bien un chemin de vie - une vie en abondance - victorieux du mal et de la mort. Qui veut être berger des autres doit d’abord emprunter cette voie. Ou plutôt : c’est à ceux qui suivent ce chemin d’humilité et d’abandon à Dieu que l’on demandera de devenir nos leaders, nos « chefs ». Servant d’abord, leader ensuite, et non l’inverse, comme le rappelait Greenleaf le fondateur de l’école du servant-leader en management.

 

Les trois formes d’abandon
En français, le mot abandon vient de  « mettre à bandon » (« laisser au pouvoir de »), bandon étant issu des deux radicaux germaniques ban (« proclamation ») et band(a) (« signal, étendard d’un corps de troupe »), qu’on retrouve croisés dans le mot ban (cf. la publication des bans pour un mariage). Le latin médiéval  bannum signifiait « proclamation du seigneur dans sa juridiction entraînant la mainmise de son autorité, l’octroi de sa protection ». S’abandonner à, c’est donc se placer sous l’étendard de quelqu’un, s’en remettre à son autorité, se confier à son pouvoir. 

L’Évangile décline l’abandon de Jésus de trois façons : il est abandonné par les hommes, il s’abandonne à son Père, Dieu l’abandonne.
Laissons résonner en nous ce que veut dire « s’abandonner »…

515fkuey3DL Foucauld- Christ a été abandonné : quel scandale !
Ceux qui ont connu la trahison d’une amitié ou d’un amour savent la douleur d’être ainsi livré à la souffrance à cause de quelqu’un qui a trahi. Avec le baiser de Judas, Jésus va rejoindre tous ceux dont l’amour a été bafoué, humilié, trahi. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1,11). Quel scandale ! Mais quelle force aussi de croire que l’amour en Dieu est plus grand que nos trahisons…

- Christ s’est abandonné : quel amour !
Aller jusqu’au bout, jusqu’à accepter de perdre sa liberté et même sa vie plutôt que de renier un amour, un choix essentiel, une conviction profonde. Ne pas sauver sa peau égoïstement, mais prendre des risques, jusqu’au risque suprême, par amour pour l’autre. L’amour de son Père a fait de Jésus quelqu’un d’exposé, sans réserves. Parce qu’il s’en remettait à sa source intérieure, il avait une liberté étonnante que ni les rites ni les croyances ne pouvaient entraver. En s’abandonnant à Dieu, cet homme manifestait qu’il était vraiment le Christ, l’oint de Dieu sur qui ruisselle l’Esprit le conduisant au terme de sa mission.

- Dieu l’a abandonné : quel mystère !
uelle insondable profondeur : pour aller « chercher et sauver ceux qui étaient perdus », Dieu a accepté que son Fils aille les rejoindre, faire corps avec eux, pour les faire remonter auprès de lui. En envoyant Jésus descendre aux enfers – et Dieu sait qu’il y a bien des enfers humains aujourd’hui : solitude, désespoir, déchéance – Dieu le Père savait bien qu’il allait y perdre son Fils, puisque justement il fallait rejoindre les exclus, les sans-Dieu, les maudits, les sous-hommes… Dieu l’a abandonné, plus encore qu’Abraham a livré Isaac, plus encore qu’un père qui aide son fils à devenir adulte, Dieu a livré aux mains des hommes la chair de sa chair, pour que notre chair ne désespère pas de devenir la chair de Dieu lui-même. Lorsque nous communions, en effet, nous devenons le Corps du Christ que Dieu a abandonné entre les mains de tels bourreaux, et désormais ressuscité dans la gloire. Le cri terrible et dernier de Jésus sur la croix: « Eloï, Eloï, lama sabachthani ? » (Mt 27,46 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ») est l’expression de cette expérience épouvantable du vide comme seule réponse à l’échec et la mort qui s’approche… Dieu l’a réellement abandonné, afin qu’en le suivant nul ne désespère d’être trop loin de Dieu.

Et nous ? À quel moment notre vie est-elle vraiment abandonnée ? À qui sommes-nous prêts à livrer le meilleur de nous-mêmes ?
Comment prier en vérité, à Agadès comme à Paris et ailleurs : « je m’abandonne à toi… » ?

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 14a.36-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.

PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger :rien ne saurait me manquer.ou : Alléluia ! (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes retournés vers le berger de vos âmes » (1 P 2, 20b-25)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.

ÉVANGILE
« Je suis la porte des brebis » (Jn 10, 1-10)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Patrick BRAUD

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19 avril 2020

Et nous qui espérions…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Et nous qui espérions…

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année A
26/04/2020

Cf. également :

Le courage pascal
Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Le premier cri de l’Église
La grâce de l’hospitalité

 

« Et nous qui espérions partir en voyage après Pâques ! C’est fichu. »
« Et nous qui espérions réunir toute la famille pour les 70 ans de notre sœur ! C’est mort. »
« Et nous qui espérions que notre grand-père allait profiter de sa retraite récemment acquise… Nous n’avons même pas pu l’enterrer dignement. »

Et nous qui espérions… dans Communauté spirituelle emmaus_iconeLa liste est longue des déceptions qui s’accumulent, petites ou dramatiques, en ce temps de pandémie confinante. Nos espoirs individuels sont douchés les uns après les autres. Les espoirs collectifs également : les baisses du chômage, de la dette, des inégalités sociales etc. sont remises à plus tard, beaucoup plus tard.

Étrangement, avec le Ressuscité rejoignant les deux disciples désabusés sur le chemin d’Emmaüs, notre évangile rejoint nos désillusions du moment. Comme eux de Jérusalem à Emmaüs, nous faisons demi-tour et même volte-face sur des stratégies que nous croyions gagnantes : la mondialisation sans limites, la disparition des frontières, la délocalisation pour produire au plus bas coût, la disqualification de mots économiques attribués aux extrêmes (souveraineté, indépendance, nations, planification, voire nationalisations temporaires…).

Comme Cleophas et son compagnon, nous en avons gros sur le cœur parce que des proches sont hospitalisés ou décédés (avec des funérailles hors normes qui plus est). Nous sommes tristes parce que nous sommes plus fragiles que nous ne le pensions ; parce que nos politiques de santé ne nous protègent pas ; parce que des millions de gens souffrent et vont souffrir longtemps des conséquences de cette crise.

Laissons le Christ s’approcher de notre tristesse. Regardons d’abord comment sur le chemin d’Emmaüs il nous rejoint, afin d’avoir la même pédagogie envers nous-mêmes et nos compagnons. Puis profitons ensuite de la déception des deux disciples d’Emmaüs pour faire la distinction vitale entre espoir et espérance.

 

La pédagogie de cheminement du Christ

- C’est lui qui a l’initiative.

41WD87u0I9L._SX332_BO1,204,203,200_ déception dans Communauté spirituelleDe même que l’événement de la croix a surpris et désarçonné les disciples, l’événement de la rencontre ne se programme pas, il s’accueille. Il nous faut re-découvrir la valeur spirituelle de l’évènement, même le plus désarçonnant comme cette crise.

Le Christ se rend proche (il est le prochain à aimer comme soi-même !). À nous de nous rendre proche des personnes âgées isolées en EHPAD, des soignants exténués et manquant de matériel, de médicaments ; des hôtesses de caisse risquant leur vie pour nous nourrir etc.

Quand il s’approche, ce n’est pas pour faire la morale, ni pour plaquer un discours tout fait. Non : le Ressuscité commence par poser une question ouverte : « de quoi parliez-vous tout en marchant ? » L’accompagnement demande d’abord de savoir poser les bonnes questions (avant de vouloir donner ses réponses). Pas à la manière des journalistes qui énoncent leur thèse dans une question fermée où il n’y a plus qu’à cocher la case oui / non. Mais à la manière de Jésus, qui pose une question ouverte, disponible pour entendre la réponse quelle qu’elle soit.

 

- Les deux disciples saisissent l’occasion pour raconter ce qui les a traumatisés.

Eux qui étaient sombres et muets, ils libèrent soudain un flot de paroles (environ un tiers du texte !) sur les événements qui les ont touchés de plein fouet. Grâce à la question de Jésus, ils percent l’abcès de leurs déceptions accumulées. Le pus de leur désespoir s’écoule, sans que le Christ ne s’en offusque ou les empêche (alors qu’il connaît cette histoire mieux qu’eux !). Écouter longuement, écouter vraiment ceux  que nous accompagnons vaut mieux qu’une ordonnance délivrée en trois minutes, ou pire à faire semblant d’écouter tout en pianotant sur son téléphone… Et lorsque nous sommes accompagnés, n’ayons pas peur de nous livrer, même si les mots se bousculent et si notre récit semble confus. Bien avant le divan freudien, l’Évangile nous dit l’importance de ce récit des événements, dont le fil se dénoue peu à peu tout en parlant.

 

- Puis vient le temps de l’illumination du cœur et de l’intelligence : « il leur interpréta dans toute l’Écriture ce qui le concernait ».

Cela a dû être long là encore ! Mais la route permet justement ce temps long que Twitter et autres réseaux sociaux ou médias nous refusent aujourd’hui. Un voyage en voiture de 8 à 10 heures pour traverser la France peut donner lieu à d’étonnantes conversations et confidences, tous les usagers de Blabla Car vous le confirmeront !
Prendre le temps de lire les Écritures, de les interpréter à la lumière de la Résurrection : cette patiente herméneutique vaut pour nous également. Nous pouvons, nous devons nous exercer à cette lecture pascale des événements de notre vie, à la lumière des Écritures. Les plus joyeux comme les plus douloureux.
Ainsi la crise du Covid 19 pourrait déboucher sur un autre monde, une autre économie, si nous savons à la lumière de notre espérance relire ce qui s’est passé.

Ouvrir-ecritures-header-3 Ellul 

- Le Christ ne s’impose pas.

Il fait mine de partir ensuite, et laisse réellement les disciples libres de le retenir ou non. À nous d’avoir ce même acte de ne pas nous imposer. Ou bien d’avoir le même réflexe que Cleophas : « reste avec nous, car déjà le soir tombe ».

Plage, mer, nuages, et un voilier à l'horizon Banque d'images - 17159086

 

- Vient ensuite le geste de la fraction du pain, geste symbolique c’est-à-dire sacramentel par excellence.

Ce qui a été rompu peut devenir un pain de vie.
Ceux qui ont été rompus par l’épreuve pourront malgré tout devenir une nourriture pour leurs frères.
Poser des gestes symboliques comme la fraction du pain est toujours attendu pour traverser le désespoir. Ce sont les applaudissements de 20 heures au balcon pour les soignants ; les concerts sur YouTube offerts par les plus grands chanteurs ; les dons des footballeurs richissimes pour les hôpitaux etc. Nous avons besoin de symboles, de sacrements pour ne pas désespérer. Bénis ceux qui soutiennent ainsi leurs contemporains en leur donnant des fleurs avec le pain, du sens avec de l’aide, de la profondeur avec l’urgence !

 Emmaüs 

- La fin de notre évangile voit le ressuscité disparaître, et nos deux compagnons inverser leur route pour se manifester aux apôtres.

C’est donc qu’il faut savoir nous aussi nous éclipser discrètement une fois notre accompagnement terminé, comme le bon samaritain quittant l’auberge où il a mis le blessé sur la voie de la guérison.
C’est donc que nous pouvons recevoir la force de transformer nos déceptions en conversions salutaires, pour faire les demi-tours existentiels qui s’imposent, en allant rejoindre nos frères.

 

Éloge de la déception : espoir et espérance

Voilà la deuxième piste de méditation qui s’offre à nous : nos déceptions peuvent nous conduire à l’espérance.

L’Évangile fait en quelque sorte l’éloge de la déception de Cleophas & Co : grâce à elle, ils vont abandonner une conception trop politique du message de Jésus (« rétablir la royauté en Israël ») et s’ouvrir à une espérance bien plus grande que celle qu’ils auraient pu imaginer. « Nous espérions… »(Lc 24,21). Ce verbe au passé dit tout : Nous avons cru, nous avons suivi, nous avons espéré…, mais maintenant tout est fini. Même Jésus de Nazareth, qui s’était montré prophète puissant en œuvres et en paroles, a échoué, et nous sommes restés déçus. Ce drame des disciples d’Emmaüs apparaît comme un miroir de notre situation. Comme pour eux, la déception nous aide à passer de l’espoir à l’espérance.

L’espoir est une construction de notre part : nous imaginons le futur en projetant nos attentes, nous prenons nos rêves pour des réalités.
L’espérance est un don qui nous est fait, aussi imprévisible et inattendu que l’événement.
L’espoir vient du passé, l’espérance fait irruption de l’avenir.
L’espoir nous trompe car nous ne savons pas ce qui est bon pour nous.
L’espérance nous surprend toujours, car elle vient de Dieu et de son appel à être avec lui.
L’espoir est celui du militant. L’espérance est celle du croyant.

L-esperance-oubliee espéranceEn durant à côté de l’autre, que ce soit dans l’amitié ou dans l’amour, il faut bien que je commence à l’aimer lui/elle tel qu’il/elle est, en traversant les inévitables déceptions et changements qu’il/elle provoque. Il faut donc faire l’éloge de la déception dans l’amour : tant que l’autre ne m’a pas déçu, suis-je sûr de l’aimer vraiment pour lui-même ? Tant qu’il est à peu près conforme à ce que j’attends de lui, ne suis-je pas tenté d’aimer ce qu’il me renvoie, davantage que lui-même ? C’est pareil avec Dieu : tant que Dieu ne m’a pas déçu, je risque fort d’adorer une idole fabriquée sur mesure et qui correspond à mes fantasmes. Regardez le Christ : il déçoit les foules qui voudraient du pain et un chef politique ; il déçoit Pierre qui voudrait éviter la Croix ; il déçoit Judas qui voulait renverser le pouvoir romain. Il n’y a guère que Marie pour se laisser surprendre sans être déçue : « elle méditait tous ces événements dans son cœur « .

Espoir et espérance sont deux manières différentes d’attendre.
L’espoir est le fait d’attendre et désirer quelque chose de meilleur, pour soi ou pour les autres : il peut être considéré comme une émotion ou une passion.
L’espérance est une confiance pure et désintéressée en l’avenir.
L’espoir est joie et désir alors que l’espérance est prudence et patience,
L’espoir peut être déçu, mais « l’espérance ne déçoit pas »(Rm 5,5).
L’espoir relève souvent de l’illusion alors que l’espérance relève de l’intuition,
L’espoir ne dure pas, alors que l’espérance ne s’éteint jamais,
L’espoir meurt avec l’échec, ce qui n’est pas le cas pour l’espérance,
L’espérance, elle, ne s’éteint jamais. Elle perdure au-delà des moments difficiles car elle s’inscrit dans le temps long. Elle traduit une confiance profondément ancrée. Enfin, elle porte une dimension transcendantale.
L’espérance est indissociable de la paix intérieure, de la sérénité et de la sagesse : il n’y a pas lieu de se laisser troubler par le cours du monde.
La persévérance dépasse les faux espoirs et soutient l’espérance.
« L’espérance est une vertu héroïque. On croit qu’il est facile d’espérer. Mais n’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prenaient faussement pour de l’espérance » [1].
L’espoir, c’est l’entretien des illusions. L’espérance, c’est l’ouverture vers un autre monde, une mise en marche de l’homme pour acquérir sa liberté, même s’il sait que sa démarche est sans espoir apparent.
« L’espoir est la malédiction de l’homme (…) Vivre avec cet espoir, c’est laisser les situations empirer jusqu’à ce qu’elles deviennent effectivement sans issues (…) Le pire n’est pas toujours sûr. Formule admirable pour permettre au pire de se développer sûrement. L’espérance au contraire n’a de lien, de sens, de raison que lorsque le pire est tenu pour certain » [2].

Laissons donc l’épreuve de la crise actuelle nous détacher de nos faux espoirs pour accueillir l’espérance invincible de Pâques.

 

 


[1]. Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, Paris, Gallimard, « Idées », 1953, p. 107.

[2]. Jacques Ellul, L’espérance oubliée, Gallimard, 1972

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Ac 2, 14.22b-33)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche :il est à ma droite, je suis inébranlable.C’est pourquoi mon cœur est en fête,et ma langue exulte de joie ;ma chair elle-même reposera dans l’espérance :tu ne peux m’abandonner au séjour des mortsni laisser ton fidèle voir la corruption.Tu m’as appris des chemins de vie,tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

PSAUME

(Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11)
R/ Tu m’apprends, Seigneur, le chemin de la vie.ou : Alléluia ! (Ps 15, 11a)

Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon cœur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

DEUXIÈME LECTURE

« Vous avez été rachetés par un sang précieux, celui d’un agneau sans tache, le Christ » (1 P 1, 17-21)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Bien-aimés, si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu, pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers. Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

ÉVANGILE

« Il se fit reconnaître par eux à la fraction du pain » (Lc 24, 13-35)
Alléluia. Alléluia.Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Patrick BRAUD

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