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12 décembre 2021

Bethléem : le pain et la fécondité

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Bethléem : le pain et la fécondité

Homélie du 4° Dimanche de l’Avent  / Année C
19/12/2021

Cf. également :

Marie, vierge et mère
Just visiting
Visiter l’autre
Enfanter le Verbe en nous…
Maigrir pour la porte étroite

Le sceau de l’histoire

Cette piece en argile etait utilisee pour apposer un sceau sur des documents. Le nom de Bethleem y est inscrit en ancien hebreu.En 2012, des archéologues ont découvert un petit sceau en argile sur lequel figurait le nom « Bethléem » et qui pourrait constituer la preuve de l’existence de cette localité à l’époque biblique. « Ce premier objet ancien qui constitue la preuve tangible de l’existence de la cité de Bethléem, qui est mentionnée dans la Bible, a été découvert récemment à Jérusalem », a précisé l’Autorité israélienne des antiquités dans un communiqué. L’objet, une pièce en argile utilisée pour apposer un sceau sur les documents ou d’autres objets, est connu. Il a été mis au jour durant des travaux d’excavation sur le site dit de la Cité de David situé en contrebas des murailles de la Vieille Ville de Jérusalem. Sur le sceau, qui mesure environ 1,5 cm, le nom de Bethléem est inscrit en ancien hébreu. « C’est la première fois que le nom de la cité apparaît en dehors de la Bible dans une inscription datant du premier Temple juif, ce qui prouve que Bethléem était bien une localité du royaume de Juda, voire d’une période antérieure », a affirmé Elik Shukron, directeur des fouilles de l’Autorité. Selon lui, ce sceau fait partie de documents fiscaux de Bethléem envoyés au roi de Jérusalem, dans le cadre d’un système de taxation utilisé dans ce royaume aux VIII° et VII° siècles avant notre ère [1].

Voilà donc établie l’existence historique – dont certains doutaient – de cette petite ville de notre première lecture (Mi 5, 1-4), aujourd’hui célèbre dans le monde entier pour la Nativité de Jésus. Elle est mentionnée 41 fois dans la Bible, signe de son importance. Michée prophétise qu’elle verra naître un chef d’envergure :

Bethléem : le pain et la fécondité dans Communauté spirituelle palestine« Et toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles… » Une prophétie que viendra compléter Isaïe au siècle suivant en ces termes : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ».
Et bien sûr, Matthieu et Luc y feront naître Jésus, quitte à inventer un recensement soi-disant universel obligeant Joseph à voyager de Nazareth à Bethléem. C’est peu vraisemblable historiquement, car les romains ne pratiquèrent aucun recensement universel. Le recensement effectué par Quirinus, probablement pour établir l’impôt, ne nécessitait aucun déplacement familial et eut lieu en l’an 6, soit 10 ans après la date maintenant retenue de la naissance de Jésus (-4). Mais cela montre l’importance théologique de Bethléem pour les judéo-chrétiens du premier siècle. Il fallait que Jésus y naisse ! Comme l’écrit Jean : « L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et de Bethléem, le village de David, que vient le Christ ? » (Jn 7,42).

Pour Marc et Jean, il n’est pourtant pas essentiel de relier Jésus à Bethléem, car leurs lecteurs ne connaissent pas ces vieux textes hébreux et les événements qu’ils situent dans cette bourgade. On pardonnera à Matthieu et Luc ces entorses historiques si on sait que leur but était de montrer qui était véritablement Jésus, et non pas de faire un reportage journalistique pour un documentaire sur Arte (d’ailleurs, ces documentaires-là sont très construits, et veulent démontrer toujours quelque chose !).

 

Bethléem, ou la féminité de Jésus

Rattachant Jésus à Bethléem, Matthieu le relie à deux femmes, deux immenses figures d’Israël : Rachel et Ruth. Avant même de détailler le symbolisme de chacune, il nous faut relever l’impact considérable de ce détour par Bethléem : Jésus ne peut se comprendre sans se référer à deux femmes immensément aimées en Israël, ayant une place de choix dans la vocation du peuple. Ainsi apparaît en filigrane la féminité de Jésus dès avant sa naissance. L’ombre majestueuse de Rachel et de Ruth plane sur la mangeoire de Bethléem, et l’enfant boira leur histoire avec le lait de sa mère. C’est fou ce que Jésus doit aux femmes ! Impossible de l’oublier en fêtant Noël à Bethléem.

 

Jésus Rachel : la fécondité malgré tout

le tombeau de rachel  marc chagallLa première des 41 occurrences du nom Bethléem dans la Bible est pour raconter la mort de Rachel. Elle est enceinte, sur la route avec son mari Jacob, et s’arrête à Bethléem pour accoucher. La similitude avec Marie et Joseph n’est pas fortuite. Hélas, l’accouchement se passe mal et Rachel meurt dans les bras de Jacob pendant qu’elle donne vie à son deuxième fils. Fou de douleur, Jacob l’enterre à Bethléem, où son tombeau devient vite un lieu de pèlerinage très populaire (c’est toujours actuellement le 3° lieu saint du judaïsme). « Rachel mourut et on l’enterra sur la route d’Ephrata, c’est-à-dire Bethléem » (Gn 35,19 ; 48,7). Rachel symbolise dès lors la fécondité de l’amour prêt à donner sa vie s’il le faut pour que l’autre naisse. Jésus, nouvelle Rachel, donnera lui aussi sa vie en affrontant sa propre mort pour que naisse à la vie éternelle tous les enfants de Dieu qui acceptent de recevoir ce don d’une vie nouvelle, le premier étant le criminel à sa droite sur la croix. D’ailleurs, le fils né de Rachel à Bethléem s’appelle Ben-jamin, ce qui peut vouloir dire « fils de la droite » en hébreu, c’est-à-dire celui qui reçoit la bénédiction paternelle par l’imposition de la main droite sur sa tête (Gn 48,14.17.18). Dans son dernier souffle, Rachel exprime le souhait de l’appeler Ben-Oni, c’est-à-dire « fils de la douleur », car elle a accouché au prix d’une douleur mortelle (Gn 35,18). Mais Jacob n’a pas voulu que ce fils vive avec ce poids sur les épaules, et l’a appelé Benjamin, ce qui peut encore signifier « fils de la félicité » en hébreu. À Bethléem, la douleur est donc changée en félicité, la malédiction en bénédiction, Ben-Oni en Ben-jamin : comment ne pas y voir la clé pour déchiffrer la Passion de Jésus, véritable douleur d’enfantement, transformation de la malédiction de la croix en promesse de bonheur pour tous les peuples ?

Parce qu’il est symboliquement né là où Rachel est enterrée, là où Benjamin a vu le jour grâce au sacrifice de Rachel, Jésus va pouvoir incarner le don de soi pour l’autre, et l’inversion du malheur. C’est à Rachel qu’il le doit.

 

Jésus Ruth : l’amie prodigieuse

RuthLa deuxième femme dont le nom brille de mille feux à l’évocation de Bethléem est une étrangère : Ruth la Moabite. Un livre entier de la Bible lui est consacré : c’est dire combien Israël aime cette femme qui vient « d’ailleurs » pour aider le Messie à naître ! En effet, veuve sans enfants (double malédiction) Ruth suit sa belle-mère qui revient dans son pays d’origine, Bethléem. Elle est recueillie par un juif, Booz, qui la voit glaner des épis d’orge dans les champs autour de Bethléem. Ruth l’épouse, se convertit au judaïsme, et devient l’arrière-grand-mère du grand roi David. Cette irruption féminine étrangère dans la préparation de la venue du roi-Messie est si frappante que Matthieu prendra bien soin de la mentionner dans sa généalogie de Jésus. Ruth l’étrangère est l’une des 5 femmes apparaissant dans l’arbre généalogique du Messie-Jésus (Mt 1, 1-17) avec Tamar, coupable  d’inceste, Rahab la prostituée, la femme d’Uri – Bethsabée - victime d’adultère, de viol et de l’assassinat de son mari par David !, et bien sûr Marie.

Intégrer Ruth dans l’ascendance du Messie, voilà qui est légèrement scandaleux pour les juifs, puisqu’elle est d’origine étrangère et païenne. Mais, par amour, en se convertissant, elle annonce le rayonnement universel de la foi juive que Jésus va porter à son apogée. Faisant naître Jésus à Bethléem, ville de Ruth, Matthieu veut montrer la messianité royale de Jésus, lui qui vient d’ailleurs, pour étendre la royauté divine à tout l’univers. Si en plus on se souvient que Ruth signifie l’amie en hébreu, on mesure tout ce que Jésus doit à Ruth, l’amie prodigieuse par qui le fils de David fera entrer toutes les nations dans la nouvelle Alliance. Ruth – dont le nom signifie brebis – est l’universalisation de la messianité du fils de David, rassemblant tous les peuples en un seul troupeau.

 

Le Messie-prêtre vient de Bethléem

EphodUn épisode peu connu (Jg 17) raconte comment un lévite de Bethléem devient en quelque sorte le premier grand prêtre, en recevant l’éphod (le pectoral constitué des 12 pierres des 12 tribus) des mains d’un certain Mika. Les racines sacerdotales du Messie viennent de Bethléem ! Rappelons que le rôle du grand prêtre était d’offrir des sacrifices d’animaux pour le peuple, ce que Jésus accomplira au plus haut point en s’offrant lui-même au lieu des animaux, pour le salut du monde. Cette dimension sacerdotale de la messianité de Jésus est fortement soulignée dans notre deuxième lecture (He 10, 5-10) : « Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture ».
Après le Messie-roi donné ou peuple à travers Rachel et Ruth, voici donc le Messie-prêtre annoncé par l’éphod de Bethléem.

 

L’onction messianique de David à Bethléem

Onction de David par Samuel à BethléemBethléem est devenu bien plus célèbre encore à cause de l’onction de David comme Messie-roi sur Israël par le prophète Samuel. L’épisode est frappant (1S 16). Dieu demande à Samuel d’aller choisir un roi pour Israël parmi les fils d’un certain Isaï à Bethléem. Isaï a  8 fils - les premiers sont magnifiques et forts - et Samuel demande à les voir un par un. Dieu va choisir le premier fils, l’aîné, beau et déjà renommé, se dit Samuel. Eh bien non ! Alors le deuxième ? Pas davantage. Samuel passe en revue les 7 premiers fils sans qu’aucun ne trouve grâce aux yeux de YHWH. Il demande alors de faire venir le dernier, le 8e, qui est aux champs en train de garder les troupeaux autour de Bethléem. C’est donc le plus petit. Mais c’est le 8e, et 8 est le chiffre messianique par excellence : le jour de la nouvelle création après les 7 premiers jours, le jour où le Messie viendra, le jour de la résurrection du Christ un dimanche matin (donc le 8e jour de la semaine juive qui commence le samedi soir).

David est roux. Ce qui devrait l’éloigner du trône, car on a peur des roux à l’époque, suspects de porter le feu de la malédiction divine. C’est pourtant lui que YHWH choisit, car « il élève les humbles et renverse les puissants de leur trône » comme le chantera Marie dans son Magnificat. À Bethléem, Samuel prend donc une corne d’huile et la verse sur la tête de David : par cette onction, David devient Messie (massiah = oint en hébreu) sur Israël, héritant de la puissance prophétique de Samuel pour exercer sa future fonction royale.

Naître à Bethléem fait de Jésus un nouveau David, Messie prophète et roi surgit parmi les humbles de la terre pour établir son peuple dans un royaume de justice et de paix.

Au final, quand on rassemble les références à Rachel, Ruth, le lévite à l’éphod, Samuel et David, le seul nom de Bethléem indique que Jésus est le Messie-prêtre-prophète-roi que le peuple attendait.

 

Beth-léem, « maison du pain »

Pain et féconditéC’est l’étymologie courante du nom Bethléem en hébreu. Jean dira de Jésus qu’il est « le pain vivant descendu du ciel »(Jn 6,51). Les synoptiques décriront deux multiplications des pains dont la tonalité eucharistique est évidente. La naissance à Bethléem annonce que cet enfant est la vraie nourriture des croyants, le pain vivant donné par Dieu lui-même pour faire grandir dans la vie divine. Ce pain est d’abord la parole du Christ, lui qui est le Verbe de Dieu. Ce pain est ensuite l’eucharistie, vraie nourriture pour ne pas défaillir en chemin. Ce symbolisme du pain à Bethléem est renforcé par le fait que Marie couche son nouveau-né dans une mangeoire, ce qui le désigne justement comme « à manger », comme on dit d’un bébé qu’il est à croquer !

 

Ephrata, lieu de la fécondité

Ephrata, le deuxième nom de Bethléem (« et toi Bethléem Ephrata … ») est beaucoup moins connu, son étymologie également. C’est bien dans ce « lieu de la fécondité » que Jésus est né, rejoignant ainsi le don de soi pour donner la vie que rappelle le tombeau de Rachel à Bethléem. Et aussi la fécondité de Ruth l’étrangère qui va engendrer l’ascendance de David, et donc du fils de David qu’est Jésus.

Naître à Bethléem traduit l’extraordinaire fécondité de la mission de cet enfant. Il donnera vie à tous ceux qui s’approchent de lui - fût-ce au prix de la sienne - et cette vie comme son royaume n’aura pas de fin.

 

Le pain et la fécondité : en devenant des Christs par le baptême, nous naissons tous et chacun à Bethléem, appelés à donner la vie autour de nous, et à nourrir ceux que nous engendrons ainsi à la vie nouvelle.

Par le baptême, nous sommes oints de l’Esprit qui fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois comme le Messie de Bethléem.
Entraînons-nous à naître à Bethléem, jour après jour…

 


1ère lecture : Le Messie viendra de Bethléem (Mi 5, 1-4)

Lecture du livre de Michée

Parole du Seigneur :
Toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que je ferai sortir celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles.
Après un temps de délaissement, viendra un jour où enfantera celle qui doit enfanter, et ceux de ses frères qui resteront rejoindront les enfants d’Israël.
Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du Seigneur, par la majesté du nom de son Dieu. Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, et lui-même, il sera la paix !

Psaume : Ps 79, 2.3bc, 15-16a, 18-19

R/ Dieu, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés !

Berger d’Israël, écoute,
toi qui conduis ton troupeau, resplendis !
Réveille ta vaillance
et viens nous sauver.

Dieu de l’univers, reviens !
Deu haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l’homme qui te doit sa force.
Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

2ème lecture : « Je suis venu pour faire ta volonté » (He 10, 5-10)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en entrant dans le monde, le Christ dit, d’après le Psaume : Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Tu n’as pas accepté les holocaustes ni les expiations pour le péché ; alors, je t’ai dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté, car c’est bien de moi que parle l’Écriture.
Le Christ commence donc par dire : Tu n’as pas voulu ni accepté les sacrifices et les offrandes, les holocaustes et les expiations pour le péché que la Loi prescrit d’offrir. Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté. Ainsi, il supprime l’ancien culte pour établir le nouveau. Et c’est par cette volonté de Dieu que nous sommes sanctifiés, grâce à l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps, une fois pour toutes.

Evangile : La Visitation (Lc 1, 39-45)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Chante et réjouis-toi, Vierge Marie : celui que l’univers ne peut contenir demeure en toi. Alléluia. (cf. So 3, 14.17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Patrick Braud

 

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29 août 2021

Bien faire le Bien

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Bien faire le Bien

Homélie du 23° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
05/09/2021

Cf. également :

Le speed dating en mode Jésus
Le coup de gueule de saint Jacques
La revanche de Dieu et la nôtre
Effata : la Forteresse vide
L’Église est comme un hôpital de campagne !

Il a passé en faisant le bien

Bien faire le Bien dans Communauté spirituelle cimetiere-rbx-126-1024x575Aux siècles précédents, on aimait personnaliser les tombes des cimetières : chaque famille apportait sa touche pour honorer le caractère singulier du défunt. Ainsi fleurissaient les statues, sculptures et motifs divers évoquant son métier, sa vie sociale. Les épitaphes décrivaient le caractère ou l’œuvre du disparu. Une de ces épitaphes a récemment attiré mon regard, sans doute à cause de sa couleur biblique : il passa en faisant le bien. C’était un docteur, et on imagine facilement le médecin de famille dévoué auprès des ménages pauvres de son quartier populaire.

Il a passé en faisant le bien : on croirait entendre Pierre parlant à la foule de Pentecôte dans les Actes des apôtres ( « Là où il passait, il faisait le bien … » Ac 10,38). Cette épitaphe rejoint l’exclamation admirative de la foule témoin de la guérison d’un sourd-muet (Mc 7, 1-23) : « il a bien fait toutes choses ! »

Étonnamment, Marc emploie le passé au lieu du présent qui vient juste après : « il fait entendre les sourds et parler les muets ». L’intention théologique est sans doute de renvoyer à la Genèse du monde : « et Dieu vit que cela était bon » (Gn 1). La bonté de cette guérison par Jésus renvoie à la bonté foncière de la Création par Dieu.

Saint Laurent de Brindisi, prédicateur capucin célèbre au XVI° siècle, a développé ce parallèle qui associe Jésus à la création du monde :

La Loi divine raconte les œuvres que Dieu a accomplies à la création du monde, et elle ajoute : Dieu vit tout ce qu’il avait fait: c’était très bon (Gn 1,31). L’Évangile rapporte l’œuvre de la Rédemption et de la nouvelle création, et il dit de la même manière : Il a bien fait toutes choses (Mc 7,37). Car l’arbre bon donne de bons fruits, et un arbre bon ne peut pas porter de mauvais fruits (Mt 7,17-18). Assurément, par sa nature, le feu ne peut répandre que de la chaleur, et il ne peut produire du froid; le soleil ne diffuse que de la lumière, et il ne peut être cause de ténèbres. De même, Dieu ne peut faire que des choses bonnes, car il est la bonté infinie, la lumière même. Il est le soleil qui répand une lumière infinie, le feu qui donne une chaleur infinie: Il a bien fait toutes choses. (…)
Reparer-les-vivants-DVD bien dans Communauté spirituelle
Il nous faut donc aujourd’hui dire sans hésiter avec cette sainte foule : Il a bien fait toutes choses: il fait entendre les sourds et parler les muets (Mc 7,37). Vraiment, cette foule a parlé sous l’inspiration de l’Esprit Saint, comme l’ânesse de Balaam. C’est l’Esprit Saint qui dit par la bouche de la foule : Il a bien fait toutes choses. Cela signifie qu’il est le vrai Dieu qui accomplit parfaitement toutes choses, car faire entendre les sourds et faire parler les muets sont des œuvres réservées à la seule puissance divine.

ephata BrundisiEn associant Jésus à l’acte créateur, Marc plaide pour sa divinité. En même temps, il nous rappelle que la Création continue aujourd’hui encore, notamment chaque fois que les vivants sont ‘réparés’ (selon le titre d’un beau roman récent : Réparer les vivants), ici à travers la guérison de la surdité et du mutisme. Envisager la Création au passé et au présent engage notre responsabilité vis-à-vis de ce processus créateur toujours à l’œuvre. La Création n’est pas une chiquenaude initiale d’autrefois nous livrant un monde à exploiter. C’est une relation continue de l’auteur à son œuvre, à laquelle nous sommes associés, et qui nous rend capables – plus encore : responsables – de participer ou non à la création continue de cet univers dont nous faisons partie. Une écologie chrétienne ne peut renvoyer l’acte créateur à l’origine seulement, dans le passé, sans actualiser cette puissance créatrice dans les transformations d’aujourd’hui.

« Il a bien fait toutes choses. Il fait entendre les sourds et parler des muets » : garder le passé et le présent dans la Création du monde, c’est unir le don de la vie et sa guérison, la nature et l’humain, le donné à respecter et sa ‘réparation’ à effectuer.

 

Quel but poursuivent vos actions ?

71-C4Gi5dqL CréationLaurent de Brindisi approfondit cette piste de la responsabilité humaine dans la Création continue en réfléchissant sur le bien accompli par Dieu, et la bonne manière par laquelle il l’accomplit :

Il a bien fait toutes choses. La Loi dit que tout ce que Dieu a fait était bon, et l’Évangile qu’il a bien fait toutes choses. Or, faire de bonnes choses n’est pas purement et simplement les faire bien. Beaucoup, à la vérité, font de bonnes choses sans les faire bien, comme les hypocrites qui font certes de bonnes choses, mais dans un mauvais esprit, avec une intention perverse et fausse. Dieu, lui, fait toutes choses bonnes et il les fait bien. Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait (Ps 144,17). Tout cela, ta sagesse l’a fait (Ps 103,24), c’est-à-dire: Tu l’as fait avec la plus grande sagesse et très bien. C’est pourquoi la foule dit : Il a bien fait toutes choses.
Et si Dieu, sachant que nous trouvons notre joie dans ce qui est bon, a fait pour nous toutes ses œuvres bonnes et les a bien faites, pourquoi, de grâce, ne nous dépensons-nous pas pour ne faire que des œuvres bonnes et les bien faire, dès lors que nous savons que Dieu y trouve sa joie ?

Si nous voulons accomplir notre vocation humaine d’être co-créateurs avec Dieu, il nous faut donc considérer non seulement la manière de faire des choses (bien faire) mais également le but poursuivi (faire le bien). Or ce sont deux choses fort différentes, comme le souligne notre capucin.

Un ami me racontait le passage éclair d’un DRH dans une grande entreprise. Sa réputation de cost killer l’avait précédé, et effectivement en quelques mois il a mis sur pied un plan de départ expéditif pour des centaines de salariés. Satisfait d’avoir atteint son objectif en un temps record, il quitte l’entreprise pour aller se vendre à une autre mission de ‘réduction des coûts’… Les exemples abondent : quelqu’un peut être heureux d’avoir bien travaillé, sans se poser de questions sur l’utilité ou l’éthique de son travail. Le mafieux rentre chez lui le soir après une journée de labeur avec le sentiment du devoir accompli. Le vendeur d’armes se frotte les mains d’avoir si bien négocié un contrat mirifique à des gens sans scrupules. Le commerçant est fier de montrer son expertise en montrant une opération spéciale où le volume et la marge seront au rendez-vous, peu importe que ce soit pour vendre des sodas sucrés, des volailles élevées en batterie ou des sextoys à la mode ! Souvenez-vous : tout le monde vantait l’extrême conscience professionnelle des fonctionnaires nazis…

Ne pas se poser la question du Bien est caractéristique du libéralisme. Se libérer de tout jugement moral sur la marchandise est la condition du marché généralisé. Peu importe ce que vous produisez ou vendez, si c’est utile ou non, écologique ou non, socialement acceptable ou non. D’ailleurs la mesure de la richesse produite par le PIB comptabilise aussi bien le chiffre d’affaire du commerce des armes que celui de l’automobile !

Bernard Mandeville, médecin hollandais pionnier du libéralisme, publie en 1714 une « Fable des abeilles » où il conte l’histoire d’une ruche à qui on interdirait de satisfaire ses vices : « Les Murmures de la Ruche, ou les fripons devenus honnêtes ». L’auteur y dépeint la situation épouvantable d’une communauté prospère où brusquement, dans l’intérêt de l’Épargne, les citoyens décident de renoncer à la vie luxueuse, et l’État d’arrêter les armements.

B0765F3PWQ.01._SCLZZZZZZZ_SX500_ écologieAucun seigneur maintenant ne s’honore
De vivre aux dépens de ses créanciers.
Les livrées s’amassent chez les fripiers,
On abandonne à vil prix ses carrosses,
On vend de magnifiques attelages,
Et des villas pour rembourser ses dettes;
On fait la dépense comme une faute;
On n’entretient plus d’armée au dehors;
On méprise l’opinion étrangère,
Et aussi la vaine gloire des armes.
On se bat encore, mais pour le pays,
Lorsque Droit et Liberté sont en cause.

Quel est le résultat ?
Contemplez maintenant la Ruche illustre.
Comment s’accordent Commerce et Vertu ?
De son luxe il n’en reste plus de trace.
Elle apparaît sous un aspect tout autre.
Car ceux qui faisaient de grosses dépenses
Ne sont pas les seuls qui doivent partir.
Les multitudes aussi qu’ils entretenaient
Sont forcées aussi chaque jour de fuir. (…)
Dans la construction, l’arrêt est total;
Les artisans ne trouvent plus d’emploi;
La peinture n’illustre plus personne;
On ne cite aucun sculpteur ni graveur.

La « morale » est donc :
La Vertu ne peut faire vivre les nations dans la Splendeur.
Qui veut ramener l’âge d’or doit accueillir
Également le Vice et la Vertu.

La conclusion est claire : Commerce et Vertu sont antagonistes… Cette idée a la vie dure !

Il faudra l’émergence des contre-pouvoirs des syndicats, des associations de consommateurs etc., et maintenant des réseaux sociaux pour obliger les industriels à ne pas mettre n’importe quoi sur le marché. Mais la bataille pour réintroduire le Bien dans l’économie est loin d’être gagnée !

Collectivement, faire le bien nous oblige à nous mettre d’accord sur ce qui est bien ou non, et à hiérarchiser nos activités, nos productions, nos consommations en conséquence.

Individuellement, chacun peut s’interroger sur l’utilité sociale réelle de son travail, de ses engagements. À quoi sert en effet de bien faire son métier si ce métier consiste à exploiter la Terre ou les hommes ? Dirait-on d’un trafiquant de drogue qu’il a bien fait son job ? Si oui, alors le cynisme n’est pas loin. Ce cynisme qui engendre la banalité du mal observée par Hannah Arendt au procès Eichmann à Jérusalem : les nazis étaient consciencieux, et mettait un point d’honneur au travail bien fait, sans se poser de questions (disaient-ils) sur la finalité de ce travail logistique, statistique, scientifique, administratif etc.

Faire le bien (et pas seulement bien faireest donc un impératif qui doit corriger le cynisme du marché, et l’aveuglement de nos ambitions personnelles.

 

Il y a manière et manière de faire les choses

Laurent de Brindisi y ajoutait l’exigence de bien le faire.

logo_mof Mandeville

Logo du Meilleur Ouvrier de France

Bien faire le bien est dans la nature du Verbe de Dieu. Sa parole et ses actes consignés dans l’Écriture constituent la boussole la plus précise et la plus accessible pour orienter nos choix, nos comportements, notre action. Son Esprit est notre inspiration pour agir.

Notre culture environnante confond bien faire et être efficace ou être rentable. De même qu’elle ne veut pas entendre parler de Bien supérieur à l’opinion commune, elle réduit à des critères techniques, technocratiques ou financiers la qualité des actions entreprises. Seul compte ce qui est légal ou non, autorisé ou interdit par la loi délibérative. Le Droit a remplacé le Bien. La conformité aux normes a remplacé le bien faire.

Mal faire le Bien est certes moins épouvantable que bien faire le mal. Cependant, de  médiocres gens de bien ouvrent une voie royale aux excellents artisans du mal. C’est ainsi que bien des démocraties ont sombré et sombreront encore dans des dictatures de l’intérieur ou de l’extérieur…

Le cri admiratif de la foule n’a donc rien perdu de sa force contestatrice : « il a bien fait toutes choses ! » En regardant vers lui, inspirés par son Esprit, à nous de bien faire le Bien, à la mesure de nos responsabilités du moment.

Avec les Hébreux nous nous nourrirons, dans le désert de cette vie, de la manne céleste, si, en suivant l’exemple du Christ, nous nous appliquons, autant que nous le pouvons, à bien faire toutes nos actions, de sorte que l’on puisse dire à propos de chacune de nos œuvres : Il a bien fait toutes choses.

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Alors s’ouvriront les oreilles des sourds et la bouche du muet criera de joie » (Is 35, 4-7a)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes.

Psaume
(Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Je veux louer le Seigneur, tant que je vis. ou : Alléluia. (Ps 145, 2)

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Deuxième lecture
« Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres pour en faire des héritiers du Royaume ? » (Jc 2, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied. » Cela, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon de faux critères ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ?

Évangile
« Il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7, 31-37)
Alléluia. Alléluia. Jésus proclamait l’Évangile du Royaume et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Patrick BRAUD

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25 juillet 2021

Exorciser la peur du lendemain

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Exorciser la peur du lendemain

Homélie pour le 18° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
01/08/2021

Cf. également :

Faire ou croire ?
La capacité d’étonnement

Éveiller à d’autres appétits
« Laisse faire » : éloge du non-agir
La soumission consentie

Fin du mois, fin du monde

Exorciser la peur du lendemain dans Communauté spirituelle Peur-de-manquer-275x400Rappelez-vous mars 2020 et le début du confinement : les rayons des supermarchés ont été dévalisés en quelques heures de leurs produits de base. Farine, huile, pâtes, riz : tout disparaissait à vue d’œil. Jusqu’au papier toilette, devenu denrée rare ! À croire que les familles françaises stockaient en prévision d’une pénurie mondiale. Et le pire est que cette folle demande en excès a créé quelques pénuries le temps d’ajuster la production à ces consommateurs angoissés. Nos grands-parents nous avaient raconté la période de rationnement d’après-guerre : les tickets pour obtenir de la nourriture au compte-gouttes, les files interminables devant les boulangeries, les rayons où il ne restait qu’une ou deux misérables boîtes de conserve. D’ailleurs, dans beaucoup de familles, les générations suivantes continuent de stocker, par réflexe. Chez moi, ma mère avait toujours un placard rempli de farine, huile, sucre, riz : ‘on ne sait jamais’.

Cette peur de manquer est aussi vieille que l’humanité, que la vie elle-même. L’épisode de la manne que nous lisons ce dimanche (Ex 16, 2-4.12-15) et que l’Évangile de Jean reprend à sa manière (Jn 6, 24-35) en est la trace. Les esclaves hébreux en fuite dans le désert inconnu ont faim et soif. La peur de mourir au milieu de ces rochers brûlants les désespère. Alors, lorsque tombe du ciel la manne inattendue, ils veulent faire des provisions, ‘au cas où’. Et c’est bien légitime. L’interdiction de YHWH n’en est que plus étonnante : pourquoi empêcher d’en ramasser pour le lendemain ? La sanction naturelle pour ceux qui transgressent cette interdiction est tout aussi impressionnante : la manne amassée pourrit dans les paniers de ceux qui voudraient la stocker en prévision des ‘jours sans’.

Comment ne pas nous reconnaître dans cette réaction instinctive des hébreux : peur de manquer, angoisse du lendemain ?

Souvenez-vous des Gilets jaunes en France : sur les ronds-points, ils ferraillaient avec les écologistes sur les urgences de l’action politique. Les uns parlaient de fin du monde, les autres de fin du mois. L’angoisse écolo de la décennie d’après, nourrie par des rapports et des études de collapsologie effrayante, se heurtait à la peur de manquer très concrète de familles modestes où faire manger les enfants et boucler les fins de mois devenait la préoccupation majeure, lancinante et épuisante. Ces deux peurs sont aujourd’hui encore des moteurs importants de l’action politique. Les Français ont épargné des milliards pendant le confinement, suivant sans le savoir ce réflexe des hébreux au désert : mettre le plus possible de côté en prévision des jours mauvais. Joseph, fils de Jacob, avait pourtant été loué pour sa sagesse dans le même livre de l’Exode : il avait su remplir les greniers de blé de l’Égypte au temps des 7 années de vaches grasses pour faire face ensuite aux 7 années de disette les temps de vaches maigres. La sagesse de Jacob auprès de Pharaon a permis à l’Égypte de traverser 7 années de famine. La loi de Moïse a permis aux hébreux dans le désert de traverser 7 fois 7 années d’exode. Pourquoi la sagesse de Jacob au palais de Pharaon autrefois est-elle maintenant condamnée par YHWH au désert ?

Discours de la servitude volontaireAvant de tenter de répondre, regardons de plus près l’angoisse des hébreux : elle est à la fois physique et symbolique. Physique, car elle porte sur un besoin alimentaire en bas de la pyramide de Maslow : manger pour survivre. Symbolique, car la peur de manquer traduit également un déficit de reconnaissance. Les boulimiques par exemple reportent sur la nourriture une recherche de satiété qui s’enracine ailleurs. Le manque affectif caractérise l’être humain dès la séparation d’avec sa mère : il va chercher à recréer l’unité perdue à travers ses liens à autrui, et l’angoisse le saisira s’il a l’impression que l’autre ne répond pas à son désir. Ainsi Caïn avec Dieu contre Abel : il convoite la reconnaissance symbolique qu’Abel obtient auprès de YHWH qui accepte son sacrifice rituel et pas celui de Caïn. De même les hébreux au désert : ils n’ont pas faim que de manne, ils désirent également la variété, la richesse des plats mangés en Égypte : « Nous nous rappelons encore le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, et les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l’ail ! Maintenant notre gorge est desséchée ; nous ne voyons jamais rien que de la manne ! » (Nb 11, 5 6) Voilà de quoi alimenter la servitude volontaire si bien décrite par La Boétie : préférer l’esclavage repu à la liberté exigeante.

Renoncer à la convoitise

 angoisse dans Communauté spirituelleLa manne est tellement répétitive et son goût est si peu enthousiasmant qu’ils veulent et réclament autre chose. YHWH leur donnera alors les cailles, qui volent par nuage dans le désert du Sinaï et sont faciles à prendre au sol. Mais il va marquer le coup, et les punira d’avoir cédé à leur convoitise : « La viande était encore entre leurs dents, ils n’avaient pas fini de la mâcher que déjà la colère du Seigneur s’enflammait contre le peuple et qu’il frappait le peuple ; il le frappa d’un très grand coup. On appela donc ce lieu Qibroth-ha-Taawa (c’est-à-dire : Tombeaux-de-la-convoitise) car c’est là qu’on enterra la foule de ceux qui avaient été pris de convoitise » (Nb 11, 33 34).

La convoitise en effet n’est jamais loin de la peur de manquer. Elles se nourrissent l’une de l’autre. L’enjeu de la manne quotidienne est alors d’éduquer cette horde d’esclaves en fuite à ne pas céder à la convoitise. ‘Apprends à ne pas céder à ton désir d’accumulation, et tu maîtriseras la violence tapie à la porte de ton cœur, cette violence que la convoitise engendre et attise’. Pour que nos déserts deviennent les tombeaux de notre convoitise (selon Nb 11), il nous faut apprendre à renoncer à l’accumulation, en faisant confiance à celui qui nous guide.

Avec la violence, la convoitise engendre également l’injustice. Mais ceux qui ramassent la manne sont surpris de constater que chacun en collecte finalement exactement ce qu’il lui faut : « Les fils d’Israël firent ainsi : certains en recueillirent beaucoup, d’autres peu. Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop ; celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien. Ainsi, chacun en avait recueilli autant qu’il pouvait en manger » (Ex 16, 17 18). Les premières communautés chrétiennes reprendront ce principe de distribution du bien commun : à chacun selon ses besoins. « Ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun. » (Ac 4, 35)

Jésus a éprouvé ce double manque et affronté l’angoisse humaine qui en résulte, pour l’exorciser. Il a eu faim au désert et a refusé la satiété facile que lui proposait le diable. Il a manqué d’air et vécu la terrible angoisse de la lente asphyxie du supplice de la croix, besoin de respirer bien plus vital que le pain. Il a ressenti l’abandon des hommes lors de sa Passion, et pire encore l’abandon de Dieu, pourtant son Père. À Gethsémani, c’est l’angoisse du manque de reconnaissance qui l’a épouvanté ; sur la croix elle l’a fait crier : « Eloï, Eloï, lama sabachthani ? » Face à cette terrifiante angoisse, son combat intérieur a finalement nourri sa confiance – malgré tout – en l’amour de Dieu le guidant jour après jour : « que ta volonté soit faite et non la mienne » (Lc 22,42).

 

Apprendre la convivialité

800px-Tissot_The_Gathering_of_the_Manna_%28color%29 DemainLa deuxième raison de l’interdiction de stocker la manne apparaît alors en filigrane : le souci de la survie physique ne doit pas occulter l’aspiration à une vie plus grande que la nourriture. Ce que nous cherchons est bien plus que de la manne. Nous avons faim de reconnaissance plus que de marmites de viande. Nous avons soif de communion plus que de citernes débordantes. Plus tard, les prêtres du Temple de Jérusalem se souviendront de l’interdit du stockage de la manne en le transposant aux sacrifices d’animaux accomplis au Temple : « Quant à la chair de la victime offerte en sacrifice d’action de grâce et sacrifice de paix, elle sera mangée le jour même où elle est présentée ; on n’en gardera rien pour le lendemain matin. » (Lv 7, 15). Et les commentaires insistent sur l’obligation de communion, de convivialité liée à cet interdit de stocker la viande du sacrifice pour le lendemain :

C’est pour faire connaître le miracle ! Car celui qui apporte l’offrande de rémunération, voyant qu’elle ne peut se consommer que le jour même et la nuit suivante, il invitera ses proches et ses amis à manger et se réjouir avec lui. Ils s’interrogeront alors sur la raison de cette offrande et il leur racontera les miracles et les prodiges dont Hachem l’a gratifié. On en viendra à louer Hachem devant un public important et en présence de sages. Alors que si cette offrande était consommée comme les autres propitiatoires, en deux jours et une nuit, le propriétaire de l’offrande n’aurait invité personne […]. En revanche, voyant la quantité considérable de viande et de pain chez lui, sachant qu’il n’aura la possibilité de les consommer qu’en l’espace d’un jour et d’une nuit, il sera contraint d’inviter un grand nombre de proches pour en manger, par crainte de devenir objet de risée et de ridicule, lorsqu’on le verra brûler une telle quantité de son offrande, et que l’on comprendra qu’il n’avait convié ni famille ni amis [1].

Et Jésus avertit les riches que leurs greniers remplis à ras bord ne leur garantissent pas la vraie vie, au contraire ! « Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu.’ » (Lc 12, 18 22)

 

Avoir faim d’autre chose

fr-con-279-Se-nourrir-de-Dieu-par-sa-Parole exodeRenoncer à la convoitise, apprendre la convivialité… Une troisième raison qui pousse à ne pas conserver la manne reçue est de découvrir la vraie faim qui est la nôtre : « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (Dt 8, 3). Plus nous stockons et accumulons, plus nous croyons être invulnérables, indépendants, n’ayant pas besoin de l’aide des autres. Nos biens entassés nous coupent peu à peu de la relation à autrui, et à Dieu le premier. Comme le dit crûment saint Jacques : « Et vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! » (Jc 5, 1 3).

Accumulation et convoitise se conjuguent pour engendrer injustice et violence.

 

Se laisser guider par la confiance

Une quatrième raison de l’interdiction de l’accumulation de la manne réside dans l’attitude de confiance quotidienne qu’elle développe. Puisque je ne peux faire de réserves, je découvre qu’il me suffit de faire confiance jour après jour, de me laisser guider. « Dieu y pourvoira », disait déjà Abraham à son fils inquiet de l’animal pour le sacrifice. Jésus ne nous a-t-il pas appris à demander notre pain quotidien, et pas un stock de boulangerie ? « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». L’expression grecque exacte employée par Mathieu et Luc pour cette demande du pain qui reprend celle de la manne est :
τὸν (le) ἄρτον (pain) ἡμῶν τὸν (de nous) ἐπιούσιον (suffisant) δὸς (donne) ἡμῖν (nous) σήμερον (aujourd’hui) (Mt 6,11)
Ce qui signifie littéralement : « donne-nous aujourd’hui le pain qui suffit à notre subsistance ». Pas plus, ni moins. Ce qui veut dire que le but de notre prière va plus loin : « que ta volonté soit faite ». Comme le dit Jésus : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Le pain du Notre Père est bien la manne du désert de l’Exode… Le pain eucharistique lui aussi est fait pour être consommé intégralement à chaque eucharistie : on ne conserve quelques hosties que pour les porter ensuite aux malades, aux absents, pas pour stocker du surplus ni en reprendre ! Comme les Juifs conservaient une jarre de manne dans le tabernacle du Saint des Saints, non pour accumuler, mais pour témoigner de la sollicitude de YHWH pour son peuple.  Même l’adorations eucharistique respecte l’interdit du désert : ne pas abuser de la grâce en croyant l’accumuler pour soi…

Dans son Apocalypse, Jean promet que les chrétiens qui tiendront bon dans l’épreuve de la persécution seront soutenus pas une nourriture spirituelle semblable à la manne : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée… » (Ap 2, 17)

manna manne
On retrouve là le sens de la Providence tel que l’invoquait Jésus : non pas une résignation fataliste (Mektoub !), ni une superstition magique dans l’intervention divine surnaturelle, mais une confiance à toute épreuve, comptant sur Dieu en nous plus que sur nos propres forces et ressources accumulées au-dehors. « Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.  Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux » (Mt 6, 28 29)

La pauvreté volontaire de Jésus s’enracine dans sa confiance absolue en son Père, qui le délivre de la peur du manque, qui exorcise l’angoisse du lendemain : « Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 34). Chercher la volonté de Dieu jour après jour, faire confiance à sa parole, se laisser guider par son amour : voilà notre véritable exode, où la manne ne nous manquera pas si nous ne refermons pas la main sur le don reçu jour après jour.

Résumons-nous : l’interdiction d’accumuler la manne nous est salutaire pour au moins 4 raisons : renoncer à la convoitise, apprendre la convivialité, se nourrir de parole plus que de pain, se laisser guider par la confiance.

Ne dites pas qu’aucun de ces quatre objectifs ne vous concerne…

Quels sont vos stocks de manne, et où sont-ils ?

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous » (Ex 16, 2-4.12-15)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Au coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Alors vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ »
Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

 

PSAUME
(Ps 77 (78), 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a)
R/ Le Seigneur donne le pain du ciel ! (cf. 77, 24b)

Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté :
et nous le redirons à l’âge qui vient,
les titres de gloire du Seigneur.

Il commande aux nuées là-haut,
il ouvre les écluses du ciel :
pour les nourrir il fait pleuvoir la manne,
il leur donne le froment du ciel.

Chacun se nourrit du pain des Forts,
il les pourvoit de vivres à satiété.
Tel un berger, il conduit son peuple.
Il le fait entrer dans son domaine sacré.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé selon Dieu » (Ep 4, 17.20-24)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, je vous le dis, j’en témoigne dans le Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. Mais vous, ce n’est pas ainsi que l’on vous a appris à connaître le Christ, si du moins l’annonce et l’enseignement que vous avez reçus à son sujet s’accordent à la vérité qui est en Jésus. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité.

ÉVANGILE
« Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6, 24-35)
Alléluia. Alléluia. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Alléluia. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »
.Patrick Braud

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11 juillet 2021

Les écarts de Jésus et les nôtres

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les écarts de Jésus et les nôtres

 Homélie pour le 16° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
18/07/2021

Cf. également :

Il a détruit le mur de la haine
Medium is message
Du bon usage des leaders et du leadership
Des brebis, un berger, un loup
Le berger et la porte
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
Un manager nommé Jésus

Où est passé le Général ?

Les Brulûres de l’Histoire - 29 mai 1968 : De Gaulle disparaitLes journaux du 30 mai 1968 posaient tous la question à la Une : « où donc est De Gaulle ? » La veille en effet, il avait disparu de l’Élysée et personne ne savait vraiment où se trouvait le Président, pas même son premier ministre Georges Pompidou ! En pleine période d’émeutes et de manifestations de mai 68, le Général avait subitement ressenti le besoin de prendre du recul, de se mettre à l’écart de ce tumulte pendant quelques heures. On le reverra ce soir du 30 mai rentrant à La Boisserie, sa demeure de Colombey-les-Deux-Églises. On apprendra plus tard que le chef de l’État s’était entre-temps rendu à Baden-Baden en Allemagne pour aller prendre conseil auprès du général Massu… De Gaulle refera le coup du retrait spectaculaire en 1969, après l’échec du référendum qui l’amènera à démissionner. Du 10 mai au 19 juin 1969, on le vit arpenter les dunes sableuses en Irlande, avec sa femme Yvonne, aux confins de cette terre d’extrême occident qu’est la plage de Derrynane. Besoin là encore de prendre du recul, de la hauteur, en revenant à ses racines irlandaises à un tournant de son histoire.

Toutes proportions gardées, Jésus fait son petit De Gaulle (à moins que ce ne soit l’inverse !) dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 6, 30-34), en obligeant ses disciples à venir avec lui à l’écart de la foule : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. (…) Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart ».

En français, ce mot écart est riche de significations. Quand quelqu’un fait un écart de conduite, c’est qu’il sort des rails tracés par les mœurs habituelles, ce qui est le plus souvent jugé négativement par les gens dits normaux. Commettre un écart de langage, c’est se laisser aller à des vulgarités choquantes. Le cheval qui fait un écart se débrouille ainsi pour éviter un obstacle. Les ballerines font le grand écart sur la scène théâtrale, pendant que les politiciens font le grand écart sur la scène publique entre des valeurs inconciliables… Il n’est jusqu’au tarot ou l’obligation d’écarter le chien réserve son lot de surprises à celui qui prend !

Jésus ici part à l’écart, et invite ses amis à faire de même avec lui. Qu’est-ce que cela veut dire ? En quoi cela peut-il nous concerner aujourd’hui ?

 

Pourquoi l’écart ?
Relisons les autres passages des Évangiles où Jésus va à l’écart.

– Pour se protéger

Les écarts de Jésus et les nôtres dans Communauté spirituelleDans l’Évangile de Marc d’abord, celui que nous lisons en cette année B.
Au début, il y est presque obligé, car un lépreux guéri lui fait une telle publicité que Jésus préfère éviter la  foule avide de sensationnel : « Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui » (Mc 1,45).
À nous également il peut nous arriver de rencontrer un tel succès que nous devons nous protéger de la curiosité des foules, surtout quand elle est malsaine.

 

Pour guérir

On amène à Jésus un sourd, qui de plus parlait difficilement. Pour lui redonner l’ouïe et la parole, Jésus l’amène à l’écart de la foule : « Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue » (Mc 7, 33).
Par respect de la pudeur de l’infirme sans doute. Pour éviter la curiosité de la foule sur ses prétendus secrets de guérisseur. Pour ne pas se mettre en vedette. Saint Vincent de Paul disait : « quand vous donnez à un pauvre, il faut se retirer avant qu’il puisse vous remercier ». Guérir à l’écart des regards relève de cette même pudeur qui préserve la liberté du guéri et le protège des foules. Et cet écart préserve le bienfaiteur de la vaine gloire.
À nous de pratiquer cette même discrétion lorsqu’il nous arrive d’intervenir en faveur de quelqu’un. Venir en aide à l’écart permet de ne pas humilier, de ne pas rendre dépendant, de ne pas en tirer orgueil soi-même. « Que ta main gauche ignore ce que donne la main droite ! » (Mt 6,3).

 

– Pour retrouver sa vraie identité

À un moment-clé de sa mission, avant de plonger dans l’enfer de sa Passion, Jésus prend de la hauteur, physiquement, en se séparant de tous ceux qui le suivent pour gravir le Mont Thabor. Il n’emmène avec lui, à l’écart, que les trois témoins de sa Transfiguration, qui seront également les trois témoins de sa défiguration de Gethsémani : « Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux » (Mc 9, 2).
Nous aussi, lorsque nous devinons être un moment-clé de notre parcours, il peut nous être salutaire d’aller à l’écart, avec deux ou trois compagnons de route, pour aller puiser en hauteur la force d’affronter les épreuves qui nous attendent en bas. Être transfiguré demande de faire un écart, de ne pas rester le nez collé à l’action immédiate, pour refluer à la source de notre identité : « tu es mon fils bien-aimé… »

 

- Pour poser une question confidentielle

Là, ce sont quelques disciples qui veulent poser une question délicate à Jésus : « Et comme il s’était assis au mont des Oliviers, en face du Temple, Pierre, Jacques, Jean et André l’interrogeaient à l’écart » (Mc 13, 3). Ils sont bien embarrassés de poser leur question devant tout le monde, car cela risque de déstabiliser le groupe : « Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe donné lorsque tout cela va se terminer » (Mc 13, 4 5).
Il y a des moments nous devons attendre d’être à l’écart, en toute confidentialité, pour poser certaines questions, échanger certains propos. Tout n’est pas dicible ouvertement. À nous de discerner ce qui doit être échangé à l’écart.

Dans les trois autres Évangiles, on repère encore d’autres raisons pour lesquelles Jésus va à l’écart :

- Pour passer à une autre mission

« Quand les Apôtres revinrent, ils racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. Alors Jésus, les prenant avec lui, partit à l’écart, vers une ville appelée Bethsaïde » (Lc 9, 10). Après le débrief de la première mission, Jésus prépare ses disciples à l’épisode de la multiplication des pains.
Entre deux temps forts de nos responsabilités, nous pouvons également marquer un temps d’arrêt, une pause, à l’écart. Enchaîner les projets à un rythme infernal sans se ressourcer entre-deux est le symptôme d’une boulimie d’action plutôt inquiétante à la longue…

 

– Pour prier et s’interroger sur soi-même.

J%C3%A9sus-pleure-sur-J%C3%A9rusalem-Greg-Olsen-20e écart dans Communauté spirituelle« En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : “Au dire des foules, qui suis-je ?” » (Lc 9, 18).
Jésus régulièrement se met en retrait pour prier. Seul, à l’écart, dans un endroit où il se retrouve. Le passage cité montre qu’à l’écart, il s’interroge sur sa véritable identité, au point de revenir vers ses disciples pour leur demander : « qui suis-je ? »
Qui de nous n’a jamais été troublé au point de se demander : ‘qui suis-je ?’ Aller à l’écart pour prier cette interrogation est toujours un réflexe de bonne santé spirituelle.

 

– Pour se reposer

C’est le sens le plus simple, celui de notre évangile de ce dimanche. Jésus fait le lien explicite entre être à l’écart et se reposer : « Il leur dit : “Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu.” De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger » (Mc 6, 31). En bon manager, il sait que son équipe a besoin de souffler de temps à autre. Et c’est vrai qu’en entreprise, prendre régulièrement une journée ‘au vert’ avec son équipe de travail est une sage et bonne habitude. Organiser un séminaire de rentrée dans un lieu agréable, prévoir une journée de débrief dans un cadre ressourçant etc. font partie des rituels indispensables à la santé relationnelle d’une équipe. Dans l’Évangile, c’est pour nourrir les foules de pain et de parole. Mais n’est-ce pas peu ou prou la finalité de toute activité professionnelle ?

 

De quoi l’écart est-il le nom ?

Examinons de plus près les enjeux de cet écart que Jésus fait faire aujourd’hui en embarquant ses disciples.

Frustrer les attentes immédiates de la foule.

Marc prend bien soin de préciser qu’il y avait un tel flux de demandeurs et de curieux qu’« on n’avait même pas le temps de manger ». Malgré l’attente énorme manifestée par tous ces gens, Jésus dit stop. En les mettant à l’écart, Jésus sait qu’il va couper tous ces gens d’un contact avec les disciples. Il file à l’anglaise, sachant qu’ils vont faire beaucoup de déçus dans l’immédiat. D’ailleurs la foule le supportera si peu qu’elle les suit en courant pour arriver avant de l’autre côté du lac ! La foule est dans le principe de plaisir : tout, tout de suite. Oser résister à cette pression populaire un peu magique fait partie du courage apostolique. Il est bon parfois de décevoir, de différer la demande. L’enjeu pour la foule est de transformer son besoin en désir, d’éduquer ce désir en le faisant grandir à la taille de ce que Dieu veut nous donner, qui est le plus souvent différent de ce que nous demandons… Pour les disciples, l’enjeu est d’apprendre à dire non, à devenir des pédagogues pour emmener ceux qui viennent à eux au-delà de leur première attente.

 

- Ne pas se laisser dévorer

Les gens ont faim de guérisons et de paroles. Du coup, ils dévorent les Douze, leur temps, leur énergie, jusqu’à les empêcher de manger eux-mêmes. Or rien ne sert aux pauvres que le riche épuise toute sa richesse d’un coup à tout donner ! La sagesse commande de préserver son intégrité en posant des limites, en sanctuarisant l’intime, en se soustrayant aux pressions indues. Un apôtre qui se viderait de lui-même au nom de sa mission y serait-il fidèle ? Comment pourrait-il à nouveau sauver, soigner, guérir, nourrir s’il s’effondre ? On a connu des militants très engagés qui se sont complètement négligés au nom de leur mission. Ce n’est pas sans susciter quelques interrogations : d’où vient cette volonté de toute-puissance ? Peut-on s’oublier soi-même au point de se détruire sous prétexte d’aider les autres ? L’amour des autres ne demande-t-il pas de s’aimer soi-même ? Le mythe de l’homme mangé qui sacrifie tout à la passion de son métier (de son ministère…) n’est pas au goût du Jésus ! Visiblement, ce n’est pas ce qu’il veut pour ses disciples, dont il prend soin en leur évitant le breakdown, le burn-out, en les emmenant à l’écart se reposer.

 

– Aimer la solitude

EALE-Mt-14-13-1024x684 reposÀ l’écart, dans un endroit désert : cela signifie se soustraire au bruit, à l’agitation, à la foule, aux occupations multiples. C’est accepter un rendez-vous avec soi-même, dans la solitude d’un monastère, d’un lieu spécial. Pour une équipe, c’est un rendez-vous avec un huis clos bienfaisant, en coupant les portables, en refusant l’éparpillement des journées de travail habituelles pour se retrouver ‘entre nous’.
Aimer la solitude permet donc de faire cet écart salutaire qui nous fera revenir remplis d’énergie et de richesse intérieure.
Elle serait suspecte l’agitation de quelqu’un qui multiplierait les activités, les actions, les occupations pour fuir la solitude, consciemment ou non…

 

– Aimer le repos

Les dimanches précédents nous ont fait aimer ces temps de repos où l’on fait une pause pour se ressourcer. « Dieu comble son bien-aimé quand il dort ». « Qu’il dorme ou qu’il se lève, la graine pousse d’elle-même sans qu’il sache comment ». Jouir d’un repos bien mérité, à l’écart du rythme ordinaire, est là encore une marque de sagesse. Les hyperactifs ont du mal à s’accorder ce temps de grâce, que les jaloux taxeront de paresse, les calculateurs de perte de temps. Pourtant, dormir bien calé dans le fond de la barque, admirer un beau paysage, savourer une bonne musique, tout simplement ne rien faire alors que tout s’agite autour de vous, tout cela fait partie d’une vie spirituelle équilibrée. Celui qui puise régulièrement à ce trésor d’équilibre aura à cœur d’en faire profiter son équipe, sa famille, ses amis. Les vacances, le tourisme, le sport, les rendez-vous festifs de l’été etc. s’inscrivent dans cette responsabilité qui est la nôtre : ouvrir à nos compagnons de route la possibilité de se reposer en chemin, à l’écart, dans un endroit désert.

 

- Nourrir l’action
Sans ce repos, l’action se vide de sa substance. Elle s’essouffle, tourne sur elle-même, se dégrade en activisme répétitif si régulièrement une césure ne vient à nouveau la connecter à sa source. Se mettre à l’écart, au repos, permet de revenir à l’action ensuite avec plus de profondeur. Tout engagement social, professionnel ou autre, s’il ne se nourrit pas régulièrement, dégénère en idéologie ou en répétition mécanique. Une nouvelle version du thème cher à Taizé autrefois : lutte et contemplation. Jamais l’une sans l’autre.
Être toujours dans l’action est une forme d’anorexie de l’âme. À la longue, cela ne peut qu’engendrer l’idolâtrie du pouvoir pour le pouvoir. Si l’action n’est pas nourrie de retraits réguliers, à l’écart, elle se transforme imperceptiblement en convulsions frénétiques, désordonnées, insensées.

 

Allons donc nous mettre à l’écart, cet été, pour nous reposer un peu. Et conduisons ceux dont nous sommes responsables à l’écart eux aussi, en barque, en téléphérique ou en montgolfière ! L’écart peut s’appeler monastère, lac de montagne, voilier en balade, randonnée en tous genres.
L’essentiel est de goûter le repos qui régénère, à l’écart des foules et du rythme ordinaire. Car Dieu comble son bien-aimé quand il dort, quand il rêve, quand il admire, s’émerveille, goûte la Création avec bonheur…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ramènerai le reste de mes brebis, je susciterai pour elles des pasteurs » (Jr 23, 1-6)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Quel malheur pour vous, pasteurs ! Vous laissez périr et vous dispersez les brebis de mon pâturage – oracle du Seigneur ! C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, contre les pasteurs qui conduisent mon peuple : Vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles. Eh bien ! Je vais m’occuper de vous, à cause de la malice de vos actes – oracle du Seigneur. Puis, je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées. Je les ramènerai dans leur enclos, elles seront fécondes et se multiplieront. Je susciterai pour elles des pasteurs qui les conduiront ; elles ne seront plus apeurées ni effrayées, et aucune ne sera perdue – oracle du Seigneur.
Voici venir des jours – oracle du Seigneur, où je susciterai pour David un Germe juste : il régnera en vrai roi, il agira avec intelligence, il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, et Israël habitera en sécurité. Voici le nom qu’on lui donnera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »

 

PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Le Christ est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité » (Ep 2, 13-18)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père.

 

ÉVANGILE
« Ils étaient comme des brebis sans berger » (Mc 6, 30-34)
Alléluia. Alléluia.Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, après leur première mission, les Apôtres se réunirent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement.
.Patrick Braud

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