L'homélie du dimanche (prochain)

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6 août 2023

Passage obligé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Passage obligé

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
13/08/2023

Cf. également :
Péripatéticiens avec le Christ
Le doux zéphyr du mont Horeb
Le dedans vous attend dehors
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Justice et Paix s’embrassent
Le festin obligé

Un seul commandement
Dans les siècles passés, les Églises chrétiennes – qu’elles soient catholiques, protestantes ou orthodoxes)   ont tellement corseté leurs fidèles dans des filets d’obligations innombrables qu’on a du mal aujourd’hui en France à imaginer le manque de liberté des chrétiens autrefois. Ils devaient observer des listes invraisemblables d’interdits cultuels, vestimentaires, alimentaires, sexuels, sociaux, financiers etc. Voilà ce qui arrive quand on s’éloigne de l’Écriture, ou quand on en fait une lecture partielle, tronquée, littérale, partiale, intéressée…

Pourtant, Jésus avait ouvert la voie à une simplification royale de toutes les obligations juives de son époque. Elles étaient si nombreuses que les croyants, emberlificotée dans les 613 commandements et autres prescriptions, ne s’y retrouvaient plus ! Aussi, quand on lui demande lequel de ces commandements est le plus important à respecter, Jésus réduit drastiquement le nombre : de 613 à … un seul (Mt 22,36-38) !
Il n’y a finalement en christianisme qu’une seule obligation : « tu aimeras », qui se décline en 3 amours équivalents [1] : Dieu / le prochain / toi-même.

Dans les Évangiles, lorsque le Christ adresse un impératif, c’est un appel – voire un ordre - et non une contrainte : viens, suis-moi, vent, lève-toi, passe derrière moi etc.
Pourtant, dans le texte de la tempête apaisée de ce dimanche (Mt 14,22-33), Jésus utilise - et c’est la seule fois chez Mathieu - le verbe obliger (en grec : ἀναγκάζω = anagkazo) :
Aussitôt Jésus obligea (anagkazo) les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules » (Mt 14,22)

 

Le festin obligé
Passage obligé dans Communauté spirituelle noces
Pour mieux comprendre, examinons l’autre emploi de la contrainte par Jésus.
Il n’y a que deux occurrences du verbe obliger dans le Nouveau Testament. Le second usage du verbe obliger se trouve chez Luc, dans la parabole des invités au festin de la noce (Lc 14,7-14) : « Le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les (anagkazo) d’entrer, afin que ma maison soit remplie » (Lc 14,23). Ce maître oblige tous ceux qui sont rencontrés à remplir la salle des noces. Le terme obliger est fort. Un peu comme un père oblige son enfant à goûter tel plat, tel sport inconnu pour lui faire découvrir ce qu’il ne découvrirait jamais autrement. Il y a des circonstances dans une vie ou Dieu – heureusement ! – nous oblige à recevoir de Lui. C’est la grâce d’un éblouissement spirituel, une rencontre bouleversante, une révélation décisive… Cette invitation est gratuite. C’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de ce que nous avons fait. D’ailleurs le roi prend soin de préciser qu’il souhaite voir les bons comme les mauvais entrer dans la salle des noces. Les mauvais eux aussi vont se régaler et se réjouir aux noces divines ! Décidément, la foi chrétienne n’est pas d’abord une morale. Être chrétien c’est accepter d’être invité gracieusement à entrer dans la communion au Fils unique de Dieu qui nous unit à son Père (ce qui fait de l’éthique une réponse, et non un préalable).

Notre misère nous aveugle parfois au point de ne pas vouloir être invité, ni festoyer. Les coachs appellent cela « le syndrome de l’imposteur » : je crois que c’est trop beau pour moi, que je ne le vaux vraiment pas, et qu’on a du se tromper en m’invitant. Il faut alors me laisser contraindre par l’invitation divine ! Et me dire que malgré tous mes péchés – mes nombreux péchés - je peux être aimé gratuitement, sans conditions.

Au bord du lac, Jésus oblige ses disciples à embarquer.
On devine bien qu’ils n’ont aucune envie de prendre la mer, et que Jésus les force, les contraint – peut-être manu militari ! - à embarquer contre leur volonté.
Attardons-nous sur cette obligation étrange singulière : pourquoi et pour quoi ? à cause de quelles réticences ? et dans quel but ?

 

La triple peur des disciples, et la nôtre

- la peur du mauvais temps
Tempete-en-mer_full_image barque dans Communauté spirituelle
Première cause évidente qui fait renâcler les disciples : la météo marine du soir. Les Douze étaient de piètres marins. Rien à voir avec les fiers capitaines de chalutiers qui allaient pêcher la morue à Terre-Neuve pendant des campagnes pouvant durer plusieurs mois ! Pierre et ses associés de la petite entreprise familiale de pêche avaient une ou deux barques, avec quelques rames et sans doute un mât de fortune mal gréé, supportant à peine  une voile de beau temps. Dès que le vent dépassait 4 à 5 Beaufort, les pseudos marins qui évoluaient à la journée sur la flaque d’eau du lac de Tibériade paniquaient, rangeaient la voile avant que le souffle la démâte. Ils ramaient pour rejoindre au plus vite le rivage du lac dont ils ne s’éloignaient jamais qu’à quelques encablures, 5 à 6 milles nautiques au maximum. Toujours à une heure ou deux de navigation de la côte.

Piètres marins, ils observaient néanmoins le ciel, et savaient voir les orages à venir. « Quand vient le soir, vous dites : ‘Voici le beau temps, car le ciel est rouge.’ Et le matin, vous dites : ‘Aujourd’hui, il fera mauvais, car le ciel est d’un rouge menaçant.’ Ainsi l’aspect du ciel, vous savez en juger… » (Mt 16,2-3) De bons experts de la météo marine à 24 heures en somme. Et là, ils sont inquiets. Visiblement, ils prévoient un gros grain pour la nuit, et la traversée que leur demande Jésus va les plonger inévitablement au cœur de l’orage. Il faudrait être fou pour prendre autant de risques en embarquant avec une météo pareille !

C’est bien l’une de nos peurs, qui revient souvent : nous nous faisons tout un film à l’avance des difficultés que nous allons rencontrer, et cela nous décourage. Parce que nous avons dans le passé souffert des conditions semblables, nous pensons logiquement que cela se reproduira. Nous avons du mal à croire que demain est peut-être différent d’hier, qu’il peut y avoir du neuf, que nous ne sommes pas condamnés à répéter ce qui est déjà arrivé…

- la peur d’une longue traversée nocturne
Tibériade
Alors que Jésus les force à embarquer, les disciples savent bien que ce n’est pas pour une petite balade en mer. La traversée risque de durer, à cause des conditions de navigation difficiles. Ces moussaillons de cabotinage n’auraient pas eu peur d’une petite bourrasque d’une demi-heure sur une navigation de deux ou trois heures. Mais là, c’est autre chose : la traversée du lac d’une extrémité à l’autre est d’environ 20 km. Si l’on considère que « l’endroit désert à l’écart » (Mt 14,13.24) où Jésus a multiplié les pains juste avant est proche de Bethsaïde, la traversée sur l’autre rive vers Génésareth (Mt 14,34) représente une dizaine de kilomètres, soit 5 à 6 milles nautiques. Par beau temps, c’est l’affaire d’une ou deux heures. Mais si les vents sont contraires et les vagues fortes (Mt 14,24), on fait presque du sur place à la rame, et la traversée peut durer toute la nuit… De quoi angoisser nos marins d’eau douce !

La nuit sur une mer déchaînée est une perspective effrayante, à juste titre, car l’obscurité redouble le danger (il n’y a pas de phare ni de balises ni de bouées éclairées à l’époque sur le lac !)
Une longue traversée, de nuit : voilà une perspective qui nous effraie également ! Comment durer dans l’épreuve, ballotté par les vagues, face au vent ? Et en plus, c’est de nuit, comme l’écrivait Saint Jean de la Croix. Notre nuit à nous peut être celle du doute, de l’absence de toute émotion religieuse, de l’isolement amical ou spirituel, de la persécution pension etc. Mère Teresa a écrit dans son testament spirituel que cette nuit de la foi a duré des décennies pour elle !

Apprendre à durer dans l’adversité, apprendre à se passer de tout repère visible en gardant le cap intérieur : la deuxième peur des disciples nous invite à conjurer l’usure du temps, en suivant fidèlement notre boussole intérieure en pleine nuit, en plein tumulte…

- la peur de l’absence
Cette dangereuse navigation nocturne n’aurait pas effrayé les disciples si Jésus était resté avec eux ! Mais là, de façon incompréhensible pour eux, il s’absente. Il les oblige à partir sans lui. Il les expose au risque de la tempête sans être avec eux dans la barque.
Les Douze se sentent abandonnés en voyant Jésus gravir la montagne sans eux, comme les fils d’Israël se sont crus abandonnés de Dieu lorsqu’ils ont vu que Moïse gravissait la montagne du Sinaï… (Ex 32,1)

71JopNzT1LL passageNous aussi, nous en voulons au Christ lorsqu’il nous envoie au casse-pipe sans être à nos côtés pour nous protéger !
Où était-il à Auschwitz lorsqu’on gazait ses frères juifs ?
Où est-il aujourd’hui alors que sa barque-Église est ballottée par les scandales, les abus, les infidélités en tous genres, et par l’opposition ouverte des puissants qui la persécutent ?
Où est-il alors que moi-même je perds pied au milieu de mes épreuves ?

Ce n’est que plus tard que les disciples comprendront : Jésus avait besoin de se ressourcer, à l’écart, sur la montagne, afin de recevoir de son Père la force d’affronter le mal pour marcher sur l’eau et vaincre la tempête. S’il s’absentait, c’était pour faire le plein de puissance, lui que la multiplication des pains avait littéralement « vidé » auparavant, le laissant épuisé, ayant besoin de se recueillir, seul.

« Courage, moi je suis, ne craignez pas » (Mt 14,27) : la formule par laquelle Jésus calme la peur des disciples est celle par laquelle Dieu se désigne lui-même dans l’Ancien Testament. Il dit exactement Egô eimi, « moi je suis » – or cette formule n’est autre que le Nom divin révélé à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14). Jésus ne fait qu’un avec son Père ; c’est pourquoi il doit régulièrement ‘réactiver’ cette communion lorsqu’elle a été mise à contribution.

D’où l’importance de ces moments de re-cueillement, de ré-collection, où nous aussi nous faisons le plein d’amour paternel avant d’aller affronter le mal…

Reste que l’angoisse de l’absence – et l’absence de l’être aimé par-dessus tout – nous paralyse à l’avance.
Heureusement que Dieu nous oblige à marcher sur cette troisième peur !

 

Pour quoi le Christ nous oblige-t-il à embarquer ?
Ces 3 peurs auraient clouer sur place les Douze. Alors Jésus les oblige, les contraint, les force malgré eux à prendre le risque de la traversée. Quel est l’enjeu ? Pourquoi en venir à cette extrémité ?

Vue sur le lac de TibériadeC’est que le but fixé par Jésus est énorme : « passer sur l’autre rive » (Mt 14,22). Et là, notre battement de cœur s’accélère : l’autre rive, c’est bien sûr l’au-delà de la mort… Qui voudrait aller voir de l’autre côté ?
Et si ce n’est pas la mort physique, « l’autre rive » peut être encore l’au-delà d’une séparation, d’une maladie, d’un exil, d’une épreuve redoutable etc.
Nous avons tant de passages obligés dans nos parcours de vie !

« La croix est le passage obligé, mais il n’est pas un but, c’est un passage : le but c’est la gloire, comme nous le montre Pâques » [2].
De Bethsaïde à Génésareth, d’une rive à l’autre du lac, la barque-Église n’en finit pas de nous conduire là où nous n’aurions jamais pensé aller. Pierre se l’entendre dire par le Ressuscité : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21,18).
Et Pierre ira d’une rive à l’autre, de Bethsaïde à Génésareth, puis de Jérusalem à Rome, des coutumes juives à l’universel romain… Sa traversée nocturne fut celle des oppositions, des dénonciations, de la prison, puis du martyre.

Si nous gardons les yeux fixés sur le but à atteindre, notre course prendra sens et nous l’endurerons jusqu’au bout. Si nous ne perdons pas de vue l’éclat intermittent du phare dans la nuit, même la pire des tempêtes ne pourra nous faire sombrer ni revenir en arrière.

 


[1]. au sens mathématique du terme : chaque amour implique les 2 autres et est impliqué par eux.

[2]. Audience générale du pape François, 12 avril 2017.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur » (1 R 19, 9a.11-13a)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour les Juifs, mes frères, je souhaiterais être anathème » (Rm 9, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (Mt 14, 22-33)
Alléluia. Alléluia. J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole. Alléluia. (cf. Ps 129, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD

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16 avril 2023

Emmaüs : une catéchèse de cheminement

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Emmaüs : une catéchèse de cheminement

Homélie pour le 3° Dimanche de Pâques / Année A
23/04/2023

Cf. également :

Et nous qui espérions…
Le courage pascal

Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Le premier cri de l’Église
La grâce de l’hospitalité

On demande des pédagogues !
L’Éducation Nationale manque cruellement de professeurs. La faute sans doute à des salaires trop bas. Et plus encore à des conditions difficiles : une classe de trente adolescents qui ne jurent que par leurs écouteurs, leurs écrans et leurs réseaux sociaux n’est pas facile à apprivoiser. Pour peu que les élèves viennent de quartiers défavorisés, tous les handicaps se cumulent pour faire de la charge d’enseignant une mission presque impossible. Et encore, à 35 ans, un jeune prof peut s’en sortir ; mais à 60 ans et plus, cette perspective effraie la plupart d’entre eux !

L’une des sources de ce problème – que l’on retrouve d’ailleurs en catéchèse – est la difficulté d’ajuster la pédagogie scolaire aux jeunes d’aujourd’hui, dont l’attention dépasse rarement trois minutes. Être pédagogue ne s’apprend pas à l’université. C’est un savoir-être qui relève de l’intelligence du cœur plus que du diplôme. Même dans des écoles Montessori ou Freinet, on cherche des pédagogues pour mettre en œuvre des apprentissages adaptés à chacun !

Catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisseLe célèbre passage d’évangile (Lc 24,13-35) de ce dimanche est pour nous à cet égard une source d’inspiration inépuisable : le Ressuscité agit envers les deux disciples d’Emmaüs avec une telle délicatesse et méthode que nous pouvons y puiser des points de repères toujours pertinents pour notre catéchèse. Les théologiens et catéchistes qui ont fait ce travail d’actualisation ont formalisé leur travail en une belle expression : catéchèse de cheminement [1]. Et ils ont distingué 7 attitudes catéchétiques de base pour être fidèle à la pédagogie du Christ accompagnant les disciples d’Emmaüs :

1. Rejoindre, s’approcher
2. Faire route avec
3. Questionner, écouter
4. Interpréter les événements à la lumière des Écritures
5. Séjourner chez l’autre
6. Célébrer
7. Savoir s’éclipser

Commentons rapidement chacune de ces étapes, en les appliquant à nos relations avec nos collègues de travail, avec qui ce cheminement est possible et fécond.

 

1. Rejoindre, s’approcher
Emmaüs : une catéchèse de cheminement dans Communauté spirituelle
Ça n’a l’air de rien, mais le premier mouvement est d’aller vers.
Aller vers l’autre : le Ressuscité ne se délecte pas en privé de la vie retrouvée. Il ‘repère’ en quelque sorte deux disciples désabusés qui s’éloignent de Jérusalem, leur espérance déçue.
Sortir de soi pour aller vers l’autre est le premier mouvement du catéchiste. Or la plupart des paroisses se contentent de mettre des affiches et des annonces pour dire de s’inscrire au caté à la rentrée. Comment s’étonner dès lors que le taux de catéchisation soit en chute libre, autour de 10%–15% dans le meilleur des cas [1] (1% à 5% le plus souvent) ? Rejoindre les enfants là où ils vivent : c’est la mission de l’École catholique, mais aussi de l’Aumônerie de l’Enseignement Public et de la catéchèse en primaire. On devrait voir dans les cités, les immeubles, les clubs sportifs etc. des adultes partageant « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » (Vatican II, Gaudium et spes n° 1) des enfants de tous milieux et origines…

Dans le monde du travail, c’est plus évident. On est d’emblée immergé dans des relations professionnelles où l’on est proche de collègues, de clients, de fournisseurs etc. À condition de ne pas travailler en solo, le nez rivé sur son seul écran, à l’abri des cloisons de son open-space (pas si open que cela…). Se rendre proche demande de ne pas toujours être en mode compétition mais collaboration, de briser les fonctionnements ‘en silos’ (ou ‘tuyaux d’orgue’) où chacun ignore ce que fait l’autre et ne lui communique rien.

Notons le côté gratuit de cette proximité : il ne s’agit pas de proposer tout de suite quelque chose, de même que le Christ ne propose pas d’emblée aux disciples d’Emmaüs d’ouvrir les Écritures ou de célébrer l’eucharistie ! Non : il s’agit d’être là, d’être avec, d’être proche. Sans calcul, ni stratégie, ni arrière-pensée. Avoir de tels collègues à ses côtés est un trésor de réassurance, de partage, d’ambiance positive et solidaire au travail…

 

2. Faire route avec
Jésus et les disciples d’Emmaüs
C’est étymologiquement la caractéristique du pédagogue dans le monde grec. Le pédagogue était le serviteur qui allait chercher l’enfant (παῖς, paîs) pour marcher avec lui et le conduire (ἄγω, ágô) jusqu’à l’école. Marcher avec l’autre demande de régler son pas sur le sien, ni trop lent ni trop rapide.

Le Christ fait route avec ses disciples : il va partager leurs émotions, leurs souvenirs, leurs rêves brisés… Et cela dure : selon les estimations, la distance de Jérusalem à Emmaüs varie entre 10 et 30 kilomètres ! Annoncer l’Évangile demande de cheminer dans la durée, de faire route avec, jusqu’à éprouver les mêmes peines, les mêmes difficultés et épreuves de ceux vers qui nous somme envoyés. Impossible d’évangéliser ‘de l’extérieur’ : c’est en chemin que surviennent les rencontres où le Christ se partage en plénitude.

Au travail, faire route avec ses collègues demande de jouer collectif et pas perso (comme on dit au foot !), de se rendre solidaire de l’équipe, d’avancer avec elle. Le terme cheminement exprime bien ce compagnonnage patient. Au début, on n’échange que des banalités. Peu à peu, avec le temps et les événements de la vie de chacun ou de l’entreprise, on échange des confidences plus personnelles, on débat de convictions plus intimes, on partage des souvenirs ou des moments plus impliquants. Il faut parfois des années de conversation sur la météo, le match de rugby ou la dernière série de Netflix avant qu’un jour, à l’occasion d’un événement, la parole devienne personnelle, vraie, profonde. C’est le fruit du cheminement, patient et respectueux, que les pressés ne connaîtront jamais.

 

3. Questionner, écouter
Questions ouvertes et question fermées - Exemples et définition
Cheminer ainsi avec nos collègues se fait grâce au questionnement et à l’écoute. Des questions ouvertes comme celle du Christ (« de quoi discutiez-vous ? ») et non des questions fermées comme celles des journalistes (« vous discutiez sans doute de la croix… »), qui n’attendent d’ailleurs jamais la réponse complète.

Questionner est un art : sans être intrusive, la question ouverte laisse à l’autre la possibilité d’ouvrir les portes ou les fenêtres qu’il désire ouvrir, pas les vôtres. Là encore, la gratuité préside à ce type d’échange : il ne s’agit pas d’amener l’autre sournoisement sur votre terrain, mais réellement de lui laisser la possibilité de trouver les mots pour dire ce qui est important pour lui.

Écouter la réponse est tout aussi important : sans interrompre l’autre, à l’image du Ressuscité qui n’interrompt pas le long développement des disciples racontant « tout ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth ». Pourtant, Jésus aurait pu couper court à cette longue évocation, car s’il y en avait un qui était au courant, c’était bien lui ! Il voulait sans doute entendre de la bouche des deux ex-disciples comment eux l’avaient vécu, avec leurs mots, leurs émotions, leurs doutes, leurs interrogations.

Au travail comme ailleurs, il faut souvent se mordre la langue pour ne pas intervenir trop tôt, pour ne pas répliquer, pour ne pas réagir avant que l’autre ait fini de dire ce qu’il voulait dire ! Que ce soit en tête-à-tête autour de la tasse de café ou en réunion devant son chef, écouter l’autre jusqu’au bout, attentivement, en pensant à ce que lui est en train de dire et non pas à ce que je vais lui répondre, est une véritable ascèse ! C’est pourtant à ce prix que l’écoute porte du fruit. La tradition chrétienne appelle chasteté cette qualité d’écoute de l’autre pour lui-même, et non pour ce que je voudrais en faire.

 

4. Interpréter les événements à la lumière des Écritures
 catéchèse dans Communauté spirituelle
Ayant bien entendu leur souffrance, leur déception, leur espérance, le Ressuscité « partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait… ».

C’est le moment de l’annonce explicite, où le croyant se risque à abattre ses cartes, à  confesser sa foi, à s’appuyer sur les Écritures pour comprendre et déchiffrer ce qui arrive. L’enjeu est l’interprétation des événements : pourquoi tel conflit entre nous ? Comment réagir à tel plan social ? Comment relever tel défi collectif etc. ? Les conversations entre collègues abordent tôt ou tard les questions essentielles de chacun : que veut dire ce divorce, ce deuil, cette maladie, les problèmes avec les enfants etc. ?

Interpréter les événements demande au croyant de scruter les Écritures, et de partager honnêtement avec d’autres sa lecture des faits tels que l’Esprit lui l’inspire, éclairé par les textes.

 

5. Séjourner chez l’autre
tente bédouine
« Le Ressuscité fit semblant d’aller plus loin ». Il ne veut pas forcer les disciples à l’accueillir. Mais s’il est  invité, il accepte avec joie : « Il entra donc, pour rester avec eux ».
Entrer chez l’autre, c’est entrer dans sa culture, son histoire, sa langue, sa famille…
Rester chez lui, c’est prendre le temps, ne pas être pressé, s’imprégner de son univers avant de poser le geste sacramentel.

On dit à raison qu’on ne connaît pas vraiment un collègue tant qu’on n’a pas été chez lui, pour l’apéro, le dîner ou un match à la télé ! Tout change quand on voit les photos, les cadres, les meubles, l’arrangement de son appartement, de sa maison, et bien sûr son conjoint et ses enfants !

« Il a planté sa tente parmi nous » dira Jean du Verbe de Dieu (Jn 1) : l’incarnation est ce mouvement pour aller vers l’autre et rester chez lui.

 

6. Célébrer
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« Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ». Le geste eucharistique vient en point d’orgue de ce compagnonnage, de ce parcours sur la route où le Christ a cheminé avec ses disciples.
Avec nos collègues de travail, les occasions de célébrer ensemble seront rares. Mais il y en a : des obsèques, un baptême, un mariage, Noël etc. Notre catéchèse peut d’ailleurs s’appuyer sur ces célébrations qui sont souvent des points de départ, des sources et pas seulement des sommets.
Aller jusqu’à ce moment sacramentel est essentiel à la catéchèse de cheminement, qui autrement risque de se cantonner à un accompagnement humaniste, de valeur certes, mais tronqué.

 

7. Savoir s’éclipser
S’éclipser
« Il disparut à leurs regards » : juste au moment où enfin il aurait pu se faire adorer, vénérer, fêter, le Ressuscité prend la tangente… C’est tout le contraire de la lâcheté : le vrai pédagogue est celui qui conduit l’autre à lui-même, puis s’éclipse pour le rendre adulte et autonome. Seuls les gourous maintiennent leurs adeptes dans leur dépendance.
Le maître se réjouit que l’élève aille plus loin que lui sans lui.
Le catéchiste espère non pas que l’enfant se souvienne de lui mais qu’il grandisse dans la foi et se passe de lui. Savoir disparaître pour ne pas peser sur la liberté de l’autre est la délicatesse du bon samaritain qui donne l’argent suffisant à l’aubergiste pour s’occuper du blessé, puis disparaît sans laisser sa carte de visite. Au réveil, le blessé ne saura pas qui l’a sauvé. Du coup il aura à cœur de faire circuler cette dette d’amour en devenant à son tour le samaritain d’un autre…

Ce cheminement à travers ces 7 étapes est un processus graduel, progressif, avec des hauts et des bas.

« Il faut une conversion continuelle, permanente, qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont reçu du mystère du Christ, soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie. » (Jean-Paul II, Familiaris Consortio n° 9, 1981)

Puisse l’Esprit du Ressuscité nous inspirer une pédagogie de cheminement avec nos collègues, nos familles, et même nos ennemis !

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[1]. En 2016, le taux moyen d’enfants catéchisés en France, entre le CE2 et le CM2, était de 17,4 %, selon une enquête publiée par le Service national de la catéchèse et du catéchuménat. La dernière étude réalisée à ce sujet avec des critères similaires, établissait qu’en 1993, 42,1 % enfants étaient catéchisés en France. Sacrée chute !

[2] Cf. Luc Aerens, Catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisse, Ed. Lumen vitae, 2003.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Ac 2, 14.22b-33)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche :il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;ma chair elle-même reposera dans l’espérance :tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

PSAUME

(Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11)
R/ Tu m’apprends, Seigneur, le chemin de la vie.ou : Alléluia ! (Ps 15, 11a)

Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon cœur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

DEUXIÈME LECTURE
« Vous avez été rachetés par un sang précieux, celui d’un agneau sans tache, le Christ » (1 P 1, 17-21)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu, pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers. Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

ÉVANGILE
« Il se fit reconnaître par eux à la fraction du pain » (Lc 24, 13-35)
Alléluia. Alléluia. Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Patrick BRAUD

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9 avril 2023

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Homélie pour le 2° Dimanche de Pâques / Année A
16/04/2023

Cf. également :
Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel
Thomas, Didyme, abîme…
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?
Aimer Dieu comme on aime une vache ?

Pierre, métallurgiste spirituel
En tant que petit patron de pêche indépendant, Simon-Pierre connaît d’expérience la valeur du travail manuel. Pas de moteur à l’époque pour propulser la barque de pêche sur les eaux du lac de Tibériade, pas de treuil électrique pour relever les lourds filets pleins d’algues, de rochers et de poissons. Pas de machine pour réparer les mailles déchirées, pas de camions frigorifiques pour aller vendre au marché du Capharnaüm… Immergé dans le monde du travail, Pierre a dû observer ses collègues, et les autres artisans sur les marchés. Visiblement cela lui a donné des idées théologiques ! Ainsi dans notre deuxième lecture (1P 1,3–9), il prend l’image des fondeurs d’or qu’il a vu faire couler le métal précieux dans des moules pour bijoux ou lingots :

« Vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ ».

Pierre a entendu Jésus faire souvent la transposition du monde professionnel à la vie spirituelle. Ainsi les métiers du semeur, du berger, de la femme qui met du levain dans le pétrin ou qui balaie la terre battue de sa maison, du commerçant de perles, du gérant d’un domaine, des ouvriers embauchés à la vigne, des vignerons cupides, des banquiers faisant profiter l’argent, des juges iniques etc. Dans cet esprit, Pierre prolonge la réflexion de Jésus sur la sagesse cachée des savoir-faire de son époque.

Première invitation donc : apprenons à lire dans les savoir-faire professionnels qui nous entourent les harmoniques de l’Évangile. Apprenons à extraire du métier de l’autre les points d’appui pour une catéchèse qui lui parle, parce que c’est sa culture de tous les jours.

Ici c’est avec le processus pour obtenir de l’or purifié. Pierre se fait métallurgiste avec les métallos, du moins ceux qui savent comment passer du minerai brut à la pépite étincelante. Suivons-le dans son raisonnement, en transposant au domaine spirituel les différentes étapes de fabrication de l’or.

 

Cet or, vérifié par le feu…
Et si nos épreuves étaient d’or ? dans Communauté spirituelle mine_or-1-900x506
En pleine période de persécutions romaines et juives, et même de divisions internes, Pierre réfléchit au sens des épreuves que les premières communautés traversent. En faisant le parallèle avec le processus de transformation aurifère, il permet à ses lecteurs de comprendre deux choses :
– le but de tout cela est d’une immense valeur, comme un bijou finement ciselé d’or.
– ce qui arrive avant est un processus de transformation, individuelle et collective, pour nous ajuster à ce que nous allons devenir.

Situer le but des événements éprouvants dans un résultat final en or est une invitation à tenir bon dans l’espérance. Tout cela ne conduira pas nulle part. Il y a bien une promesse, et elle se réalisera, même si nous ne savons ni quand ni comment.

Dire ensuite que nous sommes en chemin vers ce salut en or est une autre invitation : à nous laisser transformer par ce qui nous arrive, comme le minerai brut se laisse travailler par le fondeur d’or. Dieu ne nous lâchera pas la main en cours de route sur cette voie difficile :

« L’épreuve qui vous a atteints n’a pas dépassé la mesure humaine. Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces. Mais avec l’épreuve il donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1 Co 10,13).

Suivons de plus près ces différentes étapes de ce travail sur nous-même auxquelles nos épreuves nous obligent.
Au temps de Pierre, dans le monde romain notamment, on connaît depuis Pline l’Ancien trois étapes pour transformer de la roche en poudre d’or : le concassage, le lavage et le chauffage. Ces techniques étaient attestées depuis au moins 6000 ans avant J.-C., en Mésopotamie, en Syrie etc. Pierre peut donc avoir en tête trois interprétations théologiques de ce que nous appelons « épreuves ».

 

1. Être broyé, concassé, fracturé
 épreuves dans Communauté spirituelle
Le minerai brut taillé dans une carrière ou une montagne doit d’abord être préparé avant de pouvoir extraire l’or. Cela implique généralement le concassage et le broyage de la roche pour la réduire en petits morceaux. La transposition est facile à imaginer.

Rappelez-vous : quand vous êtes-vous fracassés sur un échec retentissant ? Vous aviez construit quelque chose de solide (carrière, couple, réputation…) et voilà que cela est réduit en miettes en quelques instants ! Vous vous croyiez invulnérable, et soudain la maladie vous a broyé de douleur. Vous pensiez « avoir » la foi, et puis goutte-à-goutte le doute a fini par dissoudre vos certitudes. Vous aviez un logement, un peu d’épargne, et soudain un licenciement vint tout remettre en cause…

Soyons clair : ces catastrophes sont des catastrophes, pas des cadeaux déguisés. Elles ne viennent pas de Dieu, qui n’est pas pervers au point de susciter le malheur de ceux qu’il aime pour les forcer à se rapprocher de lui ! Non, pas plus que la tour de Siloé s’effondrant en faisant 18 victimes (Lc 13,1-5), les épreuves qui nous tombent sur la tête ne sont pas liées à notre péché, et ne viennent pas de Dieu.

Par contre, ce que nous allons en faire – avec l’aide de Dieu – dépend de nous. Le fait divers de la tour infernale de Siloé est pour Jésus une invitation à prendre conscience de l’urgence de la conversion. La préparation du minerai aurifère est pour Pierre l’invitation à réfléchir sur ce qu’opèrent en nous les épreuves qui nous broient.

Et, de fait, pensez à ce qui vous a déjà fracturé de partout, et vous verrez peut-être ce qui a volé en éclats : une trop grande confiance en soi, une difficulté à demander de l’aide, un goût trop prononcé pour le paraître etc.

Un ami qui travaille dans les Ressources Humaines me confiait : « avant d’être moi-même concerné par un plan social, j’étais dur envers ceux qui devaient partir. C’était de leur faute, à eux de rebondir, de ne pas pénaliser ceux qui restent. Maintenant que c’est mon tour, il me semble que je deviens plus humain, en voyant les choses du point de vue de ceux qui subissent… »

Si l’épreuve fait voler en éclats notre inhumanité, notre dureté du cœur, notre autosuffisance, alors bénissons-la !

 

2. Être lavé de nos impuretés
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L’orpailleur amateur secoue pendant des heures son tamis dans l’eau de la rivière pour enfin apercevoir un éclat sous la boue… Bien sûr, Pierre pense à l’eau du baptême qui nous débarrasse de toutes ces impuretés qui empêchent l’éclat divin en nous de resplendir.

Et nous pouvons penser à tous ce qui joue ce rôle purificateur pour nous en temps d’épreuve : des lectures, des paroles amicales, du silence intérieur… Après le choc et le fracas du concassage, c’est le temps du dépouillement, de la perte, du deuil assumé.
Heureuse perte qui nous lave ainsi de notre surpoids spirituel ! Pierre sait d’expérience combien c’est humiliant de se faire laver, lui qui a protesté au soir du Jeudi saint contre ce geste de Jésus. Maintenant, il voit dans les événements – même les plus éprouvants – une œuvre comparable au lavement des pieds.

À nous de déchiffrer ce que nos épreuves nous invitent à abandonner, boues et roches sans valeur auxquelles nous étions trop attachés.

 

3. Devenir des fondus de Dieu
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La troisième étape du processus aurifère est la fusion. Dans un creuset de terre ou un four à haute température, les miettes minérales changent de nature, de phase. De solides, elles deviennent liquides, libérant ainsi les différents éléments qui les composent. Des gouttelettes d’or flottent alors à la surface ; les scories peuvent être filtrées, et l’or purifié être coulé dans des moules puis séché à l’air libre.

Entrer en fusion n’est agréable pour personne… Dans le bouillonnement intérieur qui suit les deux premières étapes, nous devinons pourtant que quelque chose – ou plutôt quelqu’un – de neuf commence à apparaître. Cette fusion spirituelle peut s’opérer pendant une retraite dans un monastère, ou grâce à un accompagnement judicieux, pendant une lecture, une musique ou un spectacle, devant un paysage inspirant…

C’est par exemple l’incandescence du buisson du Sinaï qui achève le parcours de transformation de Moïse, du haut fonctionnaire égyptien au meurtrier rebelle en fuite puis finalement en libérateur de son peuple.
C’est le « mal de vivre, au creux des reins » que chantait Barbara, et qui s’en même savoir pourquoi se transforme un matin en « joie de vivre » à notre surprise.

C’est l’inquiétude du jeune et noble Charles de Foucauld faisant la fête avec alcool, argent, maîtresse et compagnie douteuse, jusqu’à ce qu’il réalise avoir faim d’autre chose.

Nous sommes ces fondus de Dieu qui ont laissé nos épreuves nous façonner pour dégager en nous l’éclat divin enseveli et obscurci sous nos succès apparents.

Puissions-nous témoigner qu’être vérifié par le feu est un chemin de naissance à soi et aux autres !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » (Ac 2, 42-47)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres.Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun.
Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.

PSAUME

(Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (Ps 117, 1)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !

Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le Seigneur m’a défendu.

Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » (1 P 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps. Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.

ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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2 avril 2023

Le casse-croûte du Jeudi saint

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le casse-croûte du Jeudi saint

Homélie pour le Jeudi Saint / Année A
06/04/2023

Cf. également :

Jeudi Saint : aimer jusqu’au « telos »
La portée animalière du sacrifice du Christ
Jeudi saint : les réticences de Pierre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don

Casse-croûte
Casse-croûte
Il fut un temps où le pain était croustillant. Le mordre à pleines dents le faisait craquer de partout, et on avait aux oreilles le bruit si caractéristique de la croûte qui se brise, ce qui double le plaisir. La croûte de la miche de pain était si dure, blonde et noire de cuisson, qu’il fallait la casser au préalable avec un outil spécial au XVIII° siècle pour que les vieillards édentés des hospices puissent quand même savourer la tendre mie à l’intérieur. D’où l’expression « casser la croûte », qui supposait alors connu le but : nourrir les édentés ! Puis l’expression s’est étendue au fait de nourrir son voisin à table, en prenant la miche de pain et on la fractionnant à la main pour la partager avec ses commensaux.

Le casse-croûte était né, qui charrie toujours avec lui un parfum de camaraderie, de partage, de bonne humeur d’être ensemble, ou de pause-travail bien méritée à plusieurs.

Pain rompu pour nourrir
Jésus ne connaissait pas notre bon pain français, mais le pain azyme utilisé lors du repas pascal est aussi croustillant ! Puisqu’il est sans levain, le pain azyme ressemble à une galette craquante, une biscotte géante. C’est le rôle du père de famille lors du repas pascal de prendre la matsa (galette de pain azyme), de la casser et la fracturer pour donner à chacun sa part de pain autour de la table.
MatsaOn n’est pas sûr que le dernier repas de Jésus ait suivi le rituel pascal (le seder Pessah), le rituel très codifié de la nuit pascale, mais on est sûr que Jésus a de multiples fois rompu le pain azyme pour ses disciples, en prononçant les bénédictions juives prévues pour accompagner ce geste.

Dans notre 2° lecture, Paul est donc le premier témoin d’une chaîne de transmission orale qui est formelle sur la fraction du pain :
« Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » ».
Ce qui est au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui l’eucharistie n’est donc pas le pain, mais le pain rompu [1]. Et qui dit ‘pain rompu’ dit ‘pain rompu pour’ : pour partager aux convives, pour le faire qu’un en Christ ajoutera Paul. À tel point que dans les premiers siècles on appelle fraction du pain et non eucharistie le rassemblement du dimanche matin qui singularise les chrétiens des juifs. Les Actes des Apôtres ont gardé la trace de la place centrale de ce geste dans la célébration :

« Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2,46).
« Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain… » (Ac 20,7).
« Paul remonta, rompit le pain et mangea ; puis il conversa avec eux assez longtemps, jusqu’à l’aube ; ensuite il s’en alla » (Ac 20,11).
« Ayant dit cela, Paul a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, il l’a rompu, et il s’est mis à manger » (Ac 27,35).
Et la Didachè, texte chrétien du II° siècle, montre que l’usage était encore en vigueur : « chaque jour du Seigneur, réunissez-vous pour la fraction du pain… ».

Le terme eucharistie (action de grâces) a peu à peu remplacé la fraction du pain, à partir du III° siècle. Il semblait peut-être plus global, car désignant toute la célébration et pas seulement un moment de celle-ci.

Puis le mot messe a remplacé eucharistie, revenant au procédé métonymique où une partie de la célébration - en l’occurrence l’envoi final : ite missa est = maintenant vous êtes envoyés au monde - désigne la totalité.

C’est presque dommage d’avoir remplacé fraction du pain par eucharistie ou messe ! Imaginez que vous disiez un collègue : « le dimanche, je vais à la fraction du pain ». Sa curiosité serait piquée au vif ! Vous lui parleriez alors de ce pain qui est brisé pour nourrir tous les invités. Vous évoqueriez les brisures de la Passion du Christ, comment il a fait de sa vie une nourriture partagée à tous. Vous pourriez même vous confier : les grandes fractures de votre parcours personnel, le sens que vous leur avez donné. Vous lui témoigneriez de la joie qu’il y a à se partager aux autres, à devenir soi-même pain rompu pour ses proches.

Le casse-croûte du Jeudi saint dans Communauté spirituelle 78590504-isol%C3%A9-rompu-%C3%A0-la-place-de-la-matza-carr%C3%A9-shmura-sauv%C3%A9e-par-la-tradition-du-pessa-h-juifLa fraction du pain est l’histoire de notre suite du Christ, lorsque nous expérimentons qu’une vie rompue au service des autres fait la joie de ceux qui sont attablés ensemble.

Au Moyen Âge, on a remplacé l’unique hostie qui était fracturée pour l’assemblée par une multitude de petites hosties rondes prédécoupées. Du coup, le geste de la fraction du pain pendant lequel on doit chanter l’Agneau de Dieu aussi longtemps que nécessaire ne dure que 2 secondes. Et c’est bien dommage. Car qui peut croire en recevant une hostie ronde qu’elle provient d’un seul pain qui a été fracturé ? [2]

La fraction du pain est le signe de l’amour-agapè : l’amour-charité est essentiellement une proexistence, une brisure de soi, une multiplication infinie… « L’amour augmente lorsqu’il est partagé » disait St Augustin. Ce n’est pas le pain comme objet qui est apte à porter la présence du Christ, mais le pain partagé, car l’être même de Dieu est de se livrer, de se donner, de se perdre pour les autres, par amour… Ainsi transparaît l’Amour livré pour le salut du monde. La présence réelle, sacramentelle et agissante, passe par cette brisure.

Pain rompu pour unir
Paul ajoute une autre signification au pain rompu : il écrit aux corinthiens parce qu’ils sont divisés, chamailleurs, querelleurs. Leur Église locale divisée par la rivalité des egos : « j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai » (1Co 11,18).

Rien de très neuf en réalité…
Mais du coup, en bon pasteur de la communauté, Paul leur prescrit le seul remède radical qu’il connaisse : communier à la fraction du pain. Car paradoxalement, ce pain rompu est le symbole de notre unité. Il est cassé, fractionné, coupé en de multiples morceaux, mais ceux qui le mangent deviennent un seul corps.
C’est presque un traitement homéopathique : rompre le pain nous donne la force spirituelle de ne pas rompre nos liens fraternels.

wXRp1896993 croûte dans Communauté spirituelleOn a la même idée dans l’Ancien Testament lorsqu’Abraham coupe en deux des carcasses d’animaux pour sceller l’Alliance entre YHWH et lui, dans le fameux et mystérieux passage de « l’Alliance entre les morceaux » :
« Le Seigneur lui dit : ‘Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.’ Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre |…] Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram |…] » (Gn 15,9-18). Paradoxalement, le partage des carcasses symbolise l’union avec YHWH. Dans l’Alliance, le peuple sera en vis-à-vis face à YHWH comme les morceaux d’animaux deux par deux. Le but de la fraction est déjà de ne plus faire qu’un à plusieurs, ce que la Nouvelle Alliance de la fraction du pain accomplira à l’extrême.

1-c39302f2b1 eucharistieSaint Augustin développera sans cesse ce thème du pain rompu pour l’unité des chrétiens :
« Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain » (sermon 272).

Pain rompu pour nourrir,
pain rompu pour unir :
que la fraction du pain ce soir nous entraîne à nous-même devenir rompu pour les autres…

 

 

 

 

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[1]. On retrouve l’expression « rompre le pain » dans le miracle du partage des pains (Mt 14, 19.20 ; 15, 36.37 ; Mc 6, 41.43 ; 8, 6.8. 19.20; Lc 9, 17; Jn 6, 11.12.13). b. Puis dans la dernière Cène (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19; 1 Co 11, 24). c. Et dans cinq autres circonstances : à Emmaüs (Lc 24, 30.35), à Jérusalem (Ac 2, 42.46), à Troas (Ac20, 7.11), sur le navire qui conduit Paul à Rome (Ac 27, 35), à Corinthe (1 Co 10, 16). Dans tous ces passages (au total 16), 14 fois celui qui rompt le pain est nommé : 12 fois c’est Jésus, et 2 fois c’est Paul. Par 2 fois le sujet est la communauté, l’Église locale dans son ensemble.

[2]. La Présentation Générale du Missel Romain (n° 283) demande d’ailleurs qu’on puisse distribuer au moins quelques morceaux du pain rompu à quelques fidèles, et estime « très souhaitable » (n° 564) que l’assemblée reçoive le Corps du Christ avec les hosties consacrées pendant la messe (plutôt qu’avec celles du tabernacle).

MESSE DU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

PSAUME
(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

ÉVANGILE
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD

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