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12 janvier 2013

Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »

Homélie du Baptême du Seigneur, Année C
13/01/13

Pour Jean -Baptiste, le baptême, « c’est pas le pied » ! En effet, il déclare : « Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales » (Lc 3,16). Donc il ne pense pas pouvoir se mettre aux pieds du Christ ; il se croit indigne de lui laver les pieds, de lui ôter ses sandales.
Ça paraît anecdotique, cette histoire de sandales ! Mais dans la Bible, c’est le genre de détail qui renvoie à toute une histoire : une histoire à sandales !

1. Cela commence en effet dans le livre de la Genèse.

Melchisédech, roi de Salem, apporte du pain et du vin à Abraham et vient lever l’impôt royal, la dîme. Abraham lève la main et jure de respecter la royauté de Melchisédech : « Je ne prendrais ni un fil, ni une courroie de sandale, rien de ce qui est à toi. Et tu ne pourras pas dire : ‘J’ai enrichi Abraham’ » (Gn 14, 17-24).

Transposé au baptême de Jésus, la courroie de sandale veut dire que, à l’image d’Abraham, le peuple juif en Jean-Baptiste reconnaît la royauté de Jésus, nouveau Melchisédech venu apporter le pain et le vin en échange du don de chacun. Ne pas tricher dans l’eucharistie, ne pas voler la royauté divine, s’acquitter de l’impôt royal qui est la miséricorde envers son prochain : voilà une première piste pour : « ne pas défaire la courroie de ses sandales ».


2. Ensuite, il y a le fameux épisode de Moïse au Buisson Ardent.

Le baptême du Christ : une histoire

Une histoire sans sandales : « Retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Ex3, 5). Moïse doit se mettre pieds nus, c’est-à-dire se dépouiller de ses représentions humaines, pour rencontrer Dieu.

En sens inverse, par le baptême, Dieu lui aussi en Jésus s’apprête à rencontrer l’homme. Avant de plonger dans l’océan de notre humanité si mélangée de beauté et de terreur, le Christ enlève ses sandales, comme le Pape embrasse la terre du pays qui le reçoit à sa descente d’avion. Et Jean-Baptiste reconnaît que cette plongée de Dieu en nous est si vertigineuse qu’il n’ose laisser croire que cela pourrait venir grâce à lui : « Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. » veut dire alors : « l’abaissement de Jésus, sa plongée jusqu’aux enfers, c’est lui seul et pas moi ».

En ce jour du Baptême du Christ dans le Jourdain, nous fêtons un Dieu qui n’a pas eu peur de rencontrer l’homme, de le rejoindre même au plus bas de son humanité, en ce qu’il a de plus saint comme en ce qu’il a de plus sordide.

La file des pécheurs du Jourdain a sous doute commis tout ce que vous n’oserez jamais accomplir : adultères, vols, meurtres, corruption, délation… C’est à la déchetterie de l’humanité que Jésus se rend en allant au Jourdain à l’endroit où Jean baptise. Pourtant il n’a pas peur d’aller nous rejoindre là, au plus bas, au plus sale.

Un proverbe africain dit : « Celui qui voyage sur un âne ne sait pas que le sol est brûlant ».

anesse-Jesus-cadre baptême dans Communauté spirituelle

Dans son baptême, le Christ descend des hauteurs pour éprouver lui-même la brûlure du péché de l’homme. Il enlèvera lui-même les sandales de ses pieds pour éprouver la brûlure de notre terre, et ne pas rester protégé de cette fournaise. La croix sera plus tard la brûlure absolue, l’immersion la plus complète dans l’enfer de la solitude et de la déchéance humaine. S’il était resté monté sur son âne des Rameaux, il n’aurait pu communier avec les plus déchus…

Du baptême à la croix, Paul dira de Jésus qu’il a été, pour nous, identifié au péché. « Christ a été fait péché » pour nous, afin que nul pécheur ne désespère d’être trop loin de Dieu pour pouvoir être aimé.

Christ est aujourd’hui plongé dans le Jourdain pour que plus personne ne soit noyé, submergé par le mal commis ou subi.
Christ remonte aujourd’hui des eaux du Jourdain pour que l’énergie de la résurrection soit offerte à tous les peuples, langues, nations, cultures.

« Celui qui voyage sur un âne ne sait pas que le sol est brûlant ».

Aujourd’hui le Christ ‘descend de son âne’, et plonge dans nos brûlures les plus secrètes.

Comment pourrions-nous fêter le Baptême du Seigneur sans nous aussi ‘descendre de notre âne’ et ‘enlever nos sandales’ ?
Sans embrasser l’autre même s’il nous fait peur au début ?
Sans goûter avec lui la grande espérance du corps du Christ sortant vainqueur des eaux de mort ?

 

3. Après le Buisson Ardent, il y a la Pâque juive où il est encore question de sandales :
 « C’est ainsi que vous mangerez la Pâque : le ceinture aux reins, vos sandales aux pieds, votre bâton à la main » (Ex 3,5). C’est la tenue du voyageur, qui en hâte, traverse le péril, passe à travers le danger de mort qui le guette.

Les sandales aux pieds, le Christ inaugure déjà sa Pâque dès le baptême au Jourdain. Jean-Baptiste ne veut pas lui ôter ces sandales-là, il nous aide à deviner en cet homme baigné dans le fleuve un passeur, qui le premier traverse jusqu’à l’autre rive.

haggadoth1 Jean Baptiste

4. Mais il y a encore un autre texte savoureux qui parle de sandales. C’est Dt 25,5-10 : la loi du lévirat en Israël.

Donner des enfants à un homme, perpétuer un nom de famille est si important dans le peuple juif que si un homme marié meurt, son frère doit épouser sa veuve, pour relever le nom du frère défunt :
« Si le frère ne veut pas assumer ce devoir de descendance, la veuve lui fera honte devant tout le monde : en présence des Anciens, la femme ôtera la sandale du pied du frère, lui crachera au visage et dira : ‘Ainsi fait-on à l’homme qui ne relève pas la maison de son frère’, et sa maison sera appelée ‘Maison du déchaussé’ ! »

Au temps de Jean-Baptiste, Israël est comme une veuve loin de son mari (Dieu semble mort). Jésus ne se dérobe pas : il vient épouser Israël, relever la Maison d’Israël. Et Jean-Baptiste ne veut ni lui cracher au visage, ni ôter la sandale de son pied ; et le peuple Église ne sera pas la Maison du Déchaussé, malgré les crachats et la nudité de la Passion !


5. Autre petit bijou où la sandale joue un rôle : le livre de Ruth, superbe histoire 
d’amour avec Booz immortalisé par Victor Hugo et Chagall. Séduit par la beauté de cette étrangère, le Juif Booz conclut un marché pour acquérir les terres de sa famille.
Rt 4,7-8 : « Or c’était autrefois la coutume en Israël en cas de rachat ou d’héritage : pour valider toute l’affaire, l’un ôtait sa sandale et la donnait à l’autre. Telle était en Israël la manière de témoigner. »
Et Booz retira sa sandale pour racheter l’étrangère qu’il aimait plus que tout.
C’était pour annoncer Jésus retirant sa sandale au Jourdain pour racheter tous ceux qui se croient étrangers à Dieu, trop loin de Dieu, mais que lui Jésus aime plus que Booz aimait Ruth. Et Jean-Baptiste reconnaît que cet amour est si grand qu’il ne peut en être que le témoin, pas l’acteur à la place de Jésus, l’époux véritable qui ôte sa sandale pour se marier notre humanité…


6. Il y a bien d’autres usages du symbolisme de la sandale dans la Bible :

- arme de séduction entre les mains de la belle Judith pour faire craquer le général ennemi Holopherne (« Sa sandale ravit son regard » Judith 10, 4 ; 16, 9),

- écrin pour l’admiration de l’amoureux du Cantique des Cantiques (Ct 7,20) « Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince »,

 Jourdain- symbole de l’exploitation sociale, lorsque, hélas, « on vend le pauvre pour une paire de sandales » (Am 2,6 ; 8,6).

- et lorsque le Christ envoie ses disciples, il leur demande de n’emporter ni bourse, ni besace ni sandales (Lc 10, 4 ; Mt 10, 10).


Vous sentez toutes les harmoniques bibliques de cette petite phrase de Jean-Baptiste aujourd’hui : « Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales » ?

Nous non plus ne sommes pas dignes !

Repensez à Jean-Baptiste et, les prochains soirs d’été, vous n’enlèverez plus jamais vos sandales comme avant !

Restons émerveillés avec Jean-Baptiste, car Le Christ ne cesse de délier par lui-même la courroie de sa sandale pour venir plonger dans notre humanité, dans mon humanité.

 

 

Lectures de la fête du Baptême du Seigneur

1ère lecture : « Voici l’eau, venez et vous vivrez » (Is 40, 1-5.9-11)

Lecture du livre d’Isaïe

« Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu. Parlez au c?ur de Jérusalem et proclamez que son service est accompli, que son crime est pardonné, et qu’elle a reçu de la main du Seigneur double punition pour toutes ses fautes. »
Une voix proclame : « Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, et les escarpements seront changés en plaine. Alors la gloire du Seigneur se révélera et tous en même temps verront que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à  Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à  Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu. »
Voici le Seigneur Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux. Le fruit de sa victoire l’accompagne et ses trophées le précèdent. Comme un berger, il conduit son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son c?ur, et il prend soin des brebis qui allaitent leurs petits.

Psaume : Ps 103, 1c-3a, 3bc-4, 24ac-25, 27-28, 29-30

R/ L’eau et l’Esprit te rendent témoignage, Seigneur de gloire !

Revêtu de magnificence,
tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

Quelle profusion dans tes oeuvres, Seigneur !
La terre s’emplit de tes biens.
Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits,

Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture au temps voulu.
Tu donnes : eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

2ème lecture : Par le bain du Baptême (Tt 2, 11-14 ; 3,4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre à Tite

La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas, pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux, et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien.
Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes ; il nous a sauvés. Il l’a fait dans sa miséricorde, et non pas à cause d’actes méritoires que nous aurions accomplis par nous-mêmes. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous avec abondance, par Jésus Christ notre Sauveur ; ainsi, par sa grâce, nous sommes devenus des justes, et nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle.

Evangile : L’Esprit Saint et le Père au baptême de Jésus (Lc 3, 15-16.21-22)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Voici venir un plus fort que moi, proclame le Baptiste ; c’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. Alléluia. (Jn 1, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Le peuple venu auprès de Jean Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre :
« C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »
Patrick Braud

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11 août 2012

Traverser la dépression : le chemin d’Elie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

LE MAL DE VIVRE (BARBARA)

Ça ne prévient pas quand ça arrive, ça vient de loin.
Ça s’est promené de rive en rive, la gueule en coin.
Et puis un matin, au réveil, c’est presque rien
Mais c’est là, ça vous ensommeille au creux des reins.

Le mal de vivre, le mal de vivre qu’il faut bien vivre, vaille que vivre.

On peut le mettre en bandoulière ou comme un bijou à la main
Comme une fleur en boutonnière ou juste à la pointe du sein.
Ce n’est pas forcément la misère, c’est pas Valmy, c’est pas Verdun
Mais c’est des larmes aux paupières au jour qui meurt, au jour qui vient.

Le mal de vivre, le mal de vivre qu’il faut bien vivre, vaille que vivre.

Qu’on soit de Rome ou d’Amérique, qu’on soit de Londres ou de Pékin
Qu’on soit d’Égypte ou bien d’Afrique, de la porte Saint-Martin
On fait tous la même prière, on fait tous le même chemin.
Qu’il est long lorsqu’il faut le faire avec son mal au creux des reins.
Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre, on ne peut pas, on n’en peut plus.
Et tous seuls dans le silence d’une nuit qui n’en finit plus
Voilà que soudain on y pense à ceux qui n’en sont pas revenus.

Du mal de vivre, leur mal de vivre
Qu’il faut bien vivre, vaille que vivre.

Et sans prévenir, ça arrive, ça vient de loin.
Ça s’est promené de rive en rive, le rire en coin.
Et puis un matin, au réveil, c’est presque rien
Mais c’est là, ça vous émerveille, au creux des reins.

La joie de vivre, la joie de vivre, qu’il faut bien vivre, la joie de vivre.

Traverser la dépression : le chemin d’Élie

Homélie du 19° dimanche / Année B
12/08/12

C’est qu’il nous fait une vraie déprime, en bonne et due forme, notre brave Élie ! Une vraie plongée dans le « mal de vivre » que chantait si bien Barbara dans les années 60.

Comparez les symptômes de 1R 19,4-8 avec ce que vous pouvez observer chez des personnes dépressives autour de vous.

 

LA PLONGÉE DÉPRESSIVE

La fuite

« Le prophète Élie, fuyant… »

 Un prophète en fuite, ce n’est pas très glorieux.

D’autant qu’il vient juste d’affronter avec courage et brio une armée de faux prophètes de Baal qu’il a réussi à exterminer grâce au feu de Dieu descendu du ciel ! Après un tel succès aussi spectaculaire, il aurait dû savourer sa victoire. Mais le voilà en fuite…

Nombre de dépressions viennent-elles aussi à la suite d’un effort intense couronné de succès (rédaction et soutenance d’une thèse, accouchement, réussite professionnelle…) mais débouchant sur une sorte de vide existentiel qui engendre la fuite, réaction de panique devant ce qu’on avait pourtant recherché depuis des mois.

 

L’hostilité

« Le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel… »

 La dépression vient de l’impression de se heurter contre un mur.

C’est le mal de crâne de la mouche qui se cogne et se recogne contre la vitre, obstinément, maudissant la paroi de verre qui se dresse contre elle. Cette hostilité sert d’alibi à la fuite. Elle peut être bien réelle, comme ici la reine Jézabel voulant se venger de celui qui a décimé et humilié ses fonctionnaires royaux (Jézabel symbolise au passage l’acharnement kafkaïen qui à force de s’abattre sur quelqu’un le pousse à sombrer dans la déprime). L’hostilité peut également être imaginaire, inventée, ou virtuelle, supposée. On connaît tous des dépressifs qui se construisent des ennemis et des impossibilités pour justifier leur léthargie.

Hier, l’hostilité de Jézabel stimulait Élie comme prophète.

Aujourd’hui, elle le décourage et le transforme en fuyard.

 

La marche dans le désert

« Le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert ».

Traverser la dépression : le chemin d'Elie dans Communauté spirituelleMarcher sans but, un peu hagard, dans un horizon soudain vidé de ses repères habituels : c’est le signal juste avant le plongeon dépressif. Une existence d’automate, d’où ont disparu les finalités antérieures. Élie erre dans le désert, il ne sait plus où il en est, il a l’impression que tout ce qu’il a fait débouche sur un vide immense à la mesure de l’infini du désert désolant.

 

 

 

S’asseoir à l’ombre d’un buisson

« Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson ».

 Là, c’est le breakdown de celui qui ne peut plus avancer. C’est le burnout de celui qui a trop donné : je m’arrête ; mes pas ne me portent plus.

Cela se traduit alors par une hospitalisation d’urgence ou au moins un arrêt de travail. On cherche un « buisson » derrière lequel disparaître : certains descendent les volets de leur maison et s’y tiennent enfermés ; d’autres ne peuvent plus quitter leur lit. D’autres s’assoient à l’ombre de l’alcool en espérant disparaître du paysage… Or il n’y a pas tant d’ombre que cela derrière un buisson à raz de désert, et l’insolation guette (cf. Jonas et son ricin !). Ce genre de fausses protections (alcool, sommeil, isolement) se révèle vite illusoire, mais la dépression nous fait croire que c’est un refuge possible ; alors, comme il n’y en a pas d’autre, à dieu-vat !

 

Demander la mort

« Il demanda la mort »

2de74ed1 Barbara dans Communauté spirituelleDemander la mort est le moment paroxystique de la déprime : ne plus avoir envie de vivre, vouloir tuer en soi jusqu’à la soif d’exister. Le pire, c’est que Élie demande la mort à Dieu lui-même, lui dont il est le prophète. La plupart des dépressifs demandent la mort à une boîte de médicaments, à une arme, une corde ou un TGV. Or demander à des dieux inertes n’entraîne que le silence. Oser demander à Dieu en personne suscite d’autres réponses.

Ici, Élie semble vouloir entraîner Dieu lui-même dans son anéantissement. Car Dieu est l’auteur de la vie : lui demander la mort, c’est comme lui demander de se suicider en exauçant mon voeu morbide. Dieu se renierait comme Dieu s’il donnait cette mort-là, alors que la mort physique n’a été acceptée par lui que pour être convertie en passage vers la divinisation.

Le drame de la dépression, c’est qu’elle amène des personnes à souhaiter se supprimer, et qu’elle entraîne l’entourage dans cette spirale infernale. Les dégâts sont si importants chez les proches lorsque ce désespoir de l’un d’entre eux les amène à se renier eux-mêmes?

Demander la mort : la question rebondit aujourd’hui à travers le débat de société sur la fin de vie. Euthanasie, droit de mourir dans la dignité, droit au suicide assisté : ces demandes vont exploser avec le nombre de personnes âgées (la déprime du quatrième âge) et des personnes isolées (le sentiment de solitude peut facilement engendrer la dépression).

Faut-il le prendre à la lettre ? Où faut-il comme Dieu réagir en donnant à Élie autre chose que ce qu’il demande ?

 

La dévalorisation de soi

« Il demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères » ».

La dès-estime de soi accélère l’effet de vertige de la plongée dépressive.

On remet en cause tout ce qu’on a construit auparavant. Rien n’apparaît plus consistant. Les réussites d’avant semblent insignifiantes ou sont oubliées. « Je ne vaux pas mieux que mes pères » : je n’ai pas réussi à apporter quelque chose de plus dans l’histoire humaine. Notons au passage que le surmoi d’Élie semble l’écraser : il s’était fixé comme mission non seulement d’être à la hauteur de ses pères, mais de les surpasser, ce qui est bien prétentieux.

Élie n’arrive pas accepter sa condition de prophète ordinaire, c’est-à-dire contesté et persécuté. Il regarde en arrière et voit les anciens prophètes d’Israël marginalisés, critiqués, puis lapidés, éliminés. Et il se résigne à ce que cela devienne son sort, jusqu’à vouloir l’anticiper pour au moins ne pas laisser cette victoire à ses ennemis.

Nombre de personnes dépressives auront à faire un sacré travail de relecture de leur histoire familiale pour ne pas tomber dans cette résignation mortifère. Ce n’est pas parce que nos pères auraient sombré dans l’alcool, l’infidélité ou l’échec absolu que nous sommes condamnés d’avance à les suivre sur cette pente.

La revalorisation de soi passe par l’estime de ses pères.
La dévalorisation de soi engendre la tentation suicidaire.

 

La léthargie

« Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit ».

 Phase ultime de la dépression si elle ne débouche pas sur le suicide : la léthargie.

On se traîne lamentablement de traitement en traitement, de psy en psy, d’arrêt de travail en arrêt de travail, « de rives en rive, la gueule en coin » (Barbara). On n’a plus goût à rien. Comme Élie, on voudrait dormir tout le temps, ne plus être là. On se couche littéralement devant l’adversité, et on reste là, étendu, telle la mouche paralysée par la piqûre de l’araignée.

 

LA SORTIE DE LA DÉPRESSION

Le texte de 1R 19,4-8 ne s’arrête pas heureusement à cette description quasi-clinique de la plongée dépressive. Il trace un chemin de réveil pour Élie, aujourd’hui encore fort efficace.

Un messager extérieur

« Mais voici qu’un ange le toucha… »

 Le mot grec angelos (ange) signifie messager (de la part d’un Autre). Le déclic qui va  dépressiondonner à Élie l’élan pour revivre ne vient pas de lui, de son introspection, de ses propres forces. Non, c’est un contact qui vient de l’extérieur de sa bulle d’isolement (« un ange le toucha »). C’est une parole autre, prononcée au nom du Tout Autre. Toute l’importance du réseau familial et amical est là : pour sortir de la dépression, il faut pouvoir compter sur d’autres que soi-même. Cet ange peut-être le psy de service, l’accompagnateur spirituel, l’ami(e) clairvoyant(e)… Le contact peut se faire par une émotion retrouvée devant un paysage, une musique, ou par une saveur à nouveau délicieuse des choses simples de la vie. La parole est peut être celle dite par quelqu’un à son insu, mais qui va vous faites l’effet d’un électrochoc. Ou bien la parole d’un texte biblique qui va de manière fulgurante vous parler comme jamais.

Accepter ce contact et cette parole de l’extérieur, reconnaître l’ange qui passe à proximité est alors pour Élie le début des retrouvailles. La nourriture prise pour prendre des forces sera tout à la fois matérielle, humaine, spirituelle, sacramentelle.

Deux impératifs

« Lève-toi, et mange ».

La force de ces impératifs ici réside en ce qu’ils viennent de Dieu. La plupart du temps, ce genre de conseil prodigué par des proches exaspérés n’a aucun effet sur un dépressif. Comme le chantait Barbara : « Ils ont beau vouloir nous comprendre, ceux qui nous viennent les mains nues, nous ne voulons plus les entendre, on ne peut pas, on n’en peut plus. ». Il faut qu’il y ait un poids divin dans l’impératif pour susciter une réaction salutaire. Tout dépend donc de qui les profère.

Les deux impératifs portent sur le mouvement : « lève-toi », et sur la nourriture : « mange ».

Comme le plongeur qui tape du pied sur le fond de la piscine lorsqu’il a coulé au plus bas, Élie va s’appuyer sur cet ordre pour rebondir.

 

Une humble patience

« Il mangea, il but, et se rendormit.
Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi ». Élie se leva, mangea et but ».

Mais cela ne se fait pas en une seule fois.

La première fois, Élie est si épuisé qu’il ne peut même pas se lever. Il semble manger et boire à même le sol, retrouvant la fonction animale élémentaire : manger et boire. Ensuite il se rendort. C’est donc que la personne dépressive met du temps à s’en sortir. Elle connaît des rechutes. Elle est d’abord comme un animal blessé qui réapprend le B-A BA du goût de vivre. Il lui faut beaucoup de patience envers elle-même pour accepter cette durée de guérison. Et beaucoup de patience de la part de son entourage pour ne pas trop exiger d’elle trop vite.

Une humble patience envers soi-même fortifiera le chemin de guérison.
Une humble patience des proches consolidera ses premiers pas hésitants.
Grâce à elle, Élie finit par pouvoir se lever, manger, et marcher de nouveau.

 

De nouveaux objectifs

« Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu ».

Et il ne marche plus au hasard, hagard, dans le désert. Il se dirige vers la montagne de Dieu, l’Horeb. Il avait été précipité en bas de la montagne de l’idéal qui s’était lui-même fixé (le mont Carmel et l’envie de victoire sur Baal). Il est maintenant conduit vers la montagne où Dieu lui confiera sa véritable mission prophétique : révéler aux hommes que Dieu est dans la brise légère et non dans l’ouragan ni les éclairs ni le feu du mont Carmel.

Élie passe d’un objectif irréaliste et inconsidéré (le mont Carmel) à un objectif plus simple et plus vrai (l’Horeb : goûter la présence divine dans les choses simples de la vie, cf. la brise légère).

La sortie de la dépression est totale parce que la marche reprend, non plus vers les anciens objectifs qui ne convenaient pas à la personnalité, mais vers de nouvelles finalités, plus simples et plus vraies.

Comment traverser la dépression ?

Puisse le chemin d’Élie inspirer ceux qui sont happés par ce mécanisme infernal.

Puisse-t-il aider les proches à comprendre ceux des leurs qui se débattent avec ce mal de vivre.

Et que personne ne soit si orgueilleux qu’il se croit lui-même à l’abri de ce genre de piège !

 

 

1ère lecture : Élie fortifié par le pain de Dieu (1R 19, 4-8)
Lecture du premier livre des Rois

Le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. »
Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! »
Il regarda, et il y avait près de sa tête un pain cuit sur la braise et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit.
Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi. »
Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

Psaume : 33, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur !

Je bénirai le Seigneur en tout temps, 
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur : 
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur, 
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond : 
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira, 
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend : 
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe à l’entour 
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! 
Heureux qui trouve en lui son refuge !

2ème lecture : Vivez dans l’amour (Ep 4, 30-32; 5, 1-2)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens

Frère, en vue du jour de votre délivrance, vous avez reçu en vous la marque du Saint Esprit de Dieu : ne le contristez pas. Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.

Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire.

Evangile : Le pain de la vie éternelle (Jn 6, 41-51)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Tu es le pain vivant venu du ciel, Seigneur Jésus. Qui mange de ce pain vivra pour toujours. Alléluia. (cf. Jn 6, 50-51)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Comme Jésus avait dit : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », les Juifs récriminaient contre lui : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire : ‘Je suis descendu du ciel’ ? »
Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Tout homme qui écoute les enseignements du Père vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle. Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Patrick Braud

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4 août 2012

Éveiller à d’autres appétits

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Éveiller à d’autres appétits


Homélie du 18° dimanche ordinaire / Année B
05/08/12

 

À 22 heures, trouverait-il encore une épicerie ouverte ? Rentré tard du travail, Éric, jeune cadre dynamique, erre dans la rue, la faim au ventre, à la recherche d’une simple tranche de jambon. Soudain, à l’angle du boulevard, il entend une voix intérieure lui murmurer : « Éric, ta vie est plus vide que ton garde-manger ». Parole choc qui fut l’origine d’une conversion foudroyante. Lorsque des années plus tard, devenu moine, Éric faisait le récit de cet événement fondateur, il le concluait en disant avec un beau sourire : « et moi qui ne cherchais qu’une tranche de jambon ! »

L’histoire de ce cadre à la recherche d’une tranche de jambon rejoint celle de la foule affamée sur laquelle Jésus ne se fait aucune illusion : « vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés ».

 

De bas en haut de la pyramide

Pourtant, Jésus ne méprise pas cette première fin basique, fondamentale, à la base de la Éveiller à d'autres appétits dans Communauté spirituelle pyramide_maslowpyramide des besoins de Maslow. Il a pris grand soin de nourrir cette foule dont il a pitié. Les besoins élémentaires des foules ont toujours ému Jésus au plus haut point, jusqu’à déclencher cet acte inouï : distribuer cinq pains et deux poissons pour 5000 hommes !

Les humanitaires de tous poils seront rassurés : l’Église, dans la foulée de Jésus, sera toujours à leurs côtés pour nourrir les peuples du Sahel ou d’Asie, soigner, apporter l’eau potable à disposition du plus grand nombre etc. Mais à la différence des humanitaires, Jésus ne s’arrête pas à cette fin primaire. Pour lui, éveiller la foule à d’autres appétits est tout aussi essentiel que de satisfaire son appétit matériel. « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle ».

Le ventre plein ne garantit pas un coeur empli de vraies richesses. Il est des ventres creux qui témoignent de plus d’humanité que des nantis. Bien souvent, il faut d’abord apporter nourriture et boisson avant que de pouvoir évoquer d’autres finalités (c’est le sens de la hiérarchie des besoins dans la pyramide de Maslow). Mais pas toujours. Bien des Européens venus en toute bonne conscience sauver de la famine des populations en détresse sont repartis bouleversés par ce qu’ils ont appris : une vraie joie peut exister chez les plus démunis, le sens de l’existence peut apparaître plus lumineux, plus simple et riche à la fois chez des gens pourtant en grande détresse matérielle.

Donner du pain ne suffit pas, car l’homme se nourrit de bien plus substantiel encore : la parole, la relation, l’échange. Jésus a rassasié la foule au bord du lac de Tibériade. Du coup, cette masse a eu assez d’énergie et d’envie pour prendre des barques et le risque de traverser le lac afin de rejoindre Jésus sur l’autre rive. Comme quoi le premier rassasiement n’était que de courte durée ! Au moins cela les a assez motivés pour chercher à suivre Jésus, jusqu’à affronter la traversée du lac.

 

Assumer des appétits mélangés

Cette ambiguïté du désir des foules est très rassurante pour nous. D’autant que Jésus a assumé cette ambiguïté, en cherchant à l’orienter vers un désir plus grand. Chacun peut se mettre en mouvement pour des causes multiples, pas forcément très glorieuses au début. On met un cierge pour réussir un examen. On se met à prier pour conjurer la maladie d’un proche. On partage un peu de son argent pour bénéficier des réductions fiscales. On fait un boulot pour gagner sa vie etc. Un ancien évêque de Koudougou (Burkina Faso) racontait avec humour qu’il était devenu prêtre parce que, enfant, il passait derrière la cuisine des Pères et trouvait que cela sentait délicieusement bon…

 appétit dans Communauté spirituelle

Rien de déshonorant à tout cela, puisque le Christ n’a pas dédaigné nourrir les foules. Ce qui serait désespérant, ce serait d’en rester là. Ce serait de se satisfaire de tonnes de riz envoyées en urgence, ou de se satisfaire de combler ses besoins élémentaires pour soi-même.

Il y a un autre pain, plus substantiel que celui qu’il faut pourtant distribuer à ceux qui en manquent. Le « pain de vie » dont parle Jésus en parlant de lui-même demande un appétit d’une autre nature. C’est cet appétit que l’Église doit éveiller au coeur de nos contemporains, surtout dans la vieille Europe à la fois si comblée matériellement et si inquiète de ce seul matériel.

Révéler d’autre faims, faire surgir d’autres soifs, accueillir et accompagner celles qui déjà se font jour (sur la qualité de vie, sur le respect de l’environnement, sur la recherche de relations plus humaines etc.) : la nouvelle évangélisation de l’Europe demande de re-susciter des appétits plus exigeants que les seules revendications matérielles légitimes (en temps de crise encore plus).

 

Des appétits nouveaux

Des signes encourageants existent en ce sens.

Durant l’été par exemple, les hôtelleries des monastères ne désemplissent pas, 783088 faimfréquentées par des personnes de tous horizons religieux à la recherche d’intériorité, de silence, d’écoute.

Autre exemple : les expositions, les musées, les festivals, les manifestations culturelles de tous ordres pullulent en France avec un succès croissant entre juin et septembre, signe que les touristes ne se contentent pas de sable et de soleil.

Regardez encore ces jeunes prêts à donner une année de leur carrière au service d’une cause qui leur tient à coeur. Le service civique, la coopération au développement, les engagements associatifs prouvent qu’il existe d’autres moteurs à l’action que la maximisation du profit personnel.

Dans la multiplicité des aspirations écologiques actuelles émergent également des appétits différents : habiter autrement, mieux gérer l’équilibre vie privé/vie professionnelle, réintroduire une certaine sobriété dans la consommation et une certaine simplicité dans le train de vie etc.

 

Renoncer à l’instrumentalisation

En accompagnant et confortant ces aspirations, l’Église aura à coeur d’aller encore plus loin : en tout homme existe le désir de profondeur intérieure, de dialogue avec Dieu, de libres interrogations sur le sens de la mort, de la souffrance, de l’injustice.

Quand Jésus nourrissait les foules, il leur donnait du pain et des paroles vitales, sans instrumentaliser l’un au service de l’autre.

On sait que la tentation de tous les intégrismes réside justement dans cette instrumentalisation. Faire du social pour asservir au pouvoir religieux est la tactique des Frères musulmans en Égypte ou ailleurs. L’Église doit dénoncer cet asservissement et refuser de le pratiquer. Quand le Secours Catholique donne, il n’exige aucune contrepartie – surtout pas religieuse – en retour. Quand l’Abbé Pierre a fondé Emmaüs, et le Père Joseph Wrezinski ATD Quart-Monde, ils ont tout de suite rendus leur association non confessionnelle, pour éviter cette confusion. Ce qui n’empêche pas un certain esprit évangélique d’y souffler ; et ce qui rend libre d’être une force d’inspiration, une proposition sans contrainte.

On n’instrumentalise pas la misère ou les difficultés économiques d’un peuple pour le ranger sous une bannière quelconque.

La nouvelle évangélisation doit s’inspirer de cette gratuité fondatrice : nourrir les foules avec du pain pour le ventre et du « pain de vie » pour tout l’être, sans instrumentalisation aucune.

Cela commence par chacun de nous.

Quelle est ma nourriture ? Quelle est la nourriture que je donne à ceux qui m’entourent ?

 

 

1ère lecture : Le don de la manne au désert (Ex 16, 2-4.12-15)
Lecture du livre de l’Exode
Dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » 

Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il obéit, ou non, à ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Après le coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Vous reconnaîtrez alors que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ »  Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?) car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

Psaume : 77, 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a

R/ Donne-nous Seigneur, le pain du ciel !

Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté ;
nous le redirons à l’âge qui vient,
les titres de gloire du Seigneur,

Il commande aux nuées là-haut,
il ouvre les écluses du ciel :
pour les nourrir il fait pleuvoir la manne,
il leur donne le froment du ciel.

Chacun se nourrit du pain des forts,
il les pourvoit de vivres à satiété.
Tel un berger, il conduit son peuple,
Il les fait entrer dans son domaine sacré.

2ème lecture : L’homme nouveau (Ep 4, 17.20-24 )

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Ephésiens

Frères, je vous le dis, je vous l’affirme au nom du Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. Lorsque vous êtes devenus disciples du Christ, ce n’est pas cela que vous avez appris, si du moins c’est bien lui qu’on vous a annoncé et enseigné, selon la vérité de Jésus lui-même. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, de l’homme ancien qui est en vous, corrompu par ses désirs trompeurs. Laissez-vous guider intérieurement par un esprit renouvelé. Adoptez le comportement de l’homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l’image de Dieu.

Evangile : Le pain venu du ciel (Jn 6, 24-35)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur a nourri son peuple au désert, il l’a rassasié du pain du ciel. Alléluia. (cf. Ps 77, 24)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

La foule s’était aperçue que Jésus n’était pas au bord du lac, ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus.
L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte. »
Ils lui dirent alors : « Que faut-il faire pour travailler aux ?uvres de Dieu ? » Jésus leur répondit :
« L’?uvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »
Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle oeuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.
Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »
Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. »
Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. »
Patrick Braud

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4 avril 2012

Le pain perdu du Jeudi Saint

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Le pain perdu du Jeudi Saint

 Homélie du Jeudi Saint  05/04/2012

La recette du pain perdu

Les générations qui avaient traversé la pénurie et le rationnement sous l’occupation naziePain perdu en avait gardé un réflexe : on ne jette pas la nourriture. Même le pain dur n’était pas gaspillé. La recette était simple : on fait tremper les tartines de pain sec dans un peu de jaune d’œuf mêlé de lait, on fait griller à la poêle, et on sert bien chaud nappé de sucre en poudre (avec de la cassonade, c’est encore meilleur; et si on y ajoute un trait de chocolat fondu…)

Ce pain perdu se fait-il encore ?

En tout cas – si on pardonne la métaphore culinaire – c’est bien la recette du Christ pour le repas du Jeudi Saint.

Lui, le Pain de vie, va accepter dans sa Passion d’être perdu avec les perdus. Mais c’est pour les envelopper de l’amour du Père ; c’est pour que la chaleur de l’Esprit vienne réchauffer ce qui est dur et sec en eux ; c’est pour que tous ceux qui se croyaient perdus découvrent qu’ils sont promis à devenir Dieu, rien moins que cela !

 

Le pain de misère juif

Le pain que Jésus a entre ses mains le soir du Jeudi Saint est un « pain de misère », selon la tradition juive. C’est un pain azyme, c’est-à-dire sans levain, car les hébreux n’ont pas eu le temps de le faire lever lorsqu’ils ont fui l’esclavage de l’Égypte en toute hâte.

Aucune trace de pâte levée  (chomez qui veut dire aussi ?force’) ne doit rester dans les maisons : tout le levain doit disparaître des maisons (Ex 12,18-19) et il est interdit d’en manger pendant les sept jours de la fête juive de Pessah (Ex 12,20). La signification est claire: il s’agit d’abord de faire mémoire de la hâte avec laquelle les hébreux sont sortis d’Égypte, sans même avoir eu le temps de faire cuire leur pain; enracinement historique dans l’événement lui-même donc.

Mais c’est aussi le symbole de l’humilité dans laquelle Israël doit fêter Pessah: c’est dans Le pain perdu du Jeudi Saint dans Communauté spirituelle 1267247446m58Uivla faiblesse que Dieu l’a sauvé, l’a formé comme son peuple. Ce n’est pas à sa propre ?force’ qu’Israël est devenu un peuple, et un peuple libre. Le « pain de misère » (les pains azymes ou mazzoth) mangé à Pâque symbolise cette faiblesse et cette impuissance, dans laquelle la puissance de Dieu va se déployer.

Connaissant cette coutume, Jean prend bien soin de préciser que la mort de Jésus coïncide avec le jour de la Préparation de la Pâque (Jn 19,31), quand justement on fait cette inspection minutieuse pour éliminer toute trace d’aliment impur. Jésus est ainsi implicitement identifié à ce chomez qu’il faut mettre dehors, au rebut de l’humanité. Ce qui donne une théologie de la Croix où l’identification de Jésus au dernier des derniers, aux impurs et aux exclus de ce monde (le chomez), dans la faiblesse (mazzoth), est le véritable ?sacrifice’ pascal qui libère et fait vivre.

 

Le pain azyme chrétien

Le Nouveau Testament parle de la Pâque environ une trentaine de fois, et presque toujours dans un contexte indicatif et allusif (Lc 22, 1-11; 14-18; Jn 2,13…); en l’appelant aussi la fête des Azymes (Mt 26,17). Le rapprochement avec la mort du Christ est fortement souligné: « la Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié » (Mt 26,17). La réinterprétation christique du rituel de la fête viendra très vite: « Christ notre Pâque a été immolé. Ainsi donc célébrons la fête, non pas avec du vieux levain ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité » (1 Co 5,7-8). Ainsi le Christ est le nouvel Agneau Pascal, les chrétiens sont les vrais mazzoth (azymes) en qui ne reste plus le ?levain’ du péché, mais la lumière de la vérité.

 090708hostie_4 Christ dans Communauté spirituelle

Ce « pain de misère », sec et dur, est ce soir transformé en repas de fête. Le pain perdu de nos vies est transfiguré en savoureux dessert. « La pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. »  (Ps 118,22 ; Lc 20,17 ; Ac 4,11)

 

En recevant ce pain perdu sur la paume de nos mains ouvertes, croyons ce soir qu’il n’y a rien de si dur et si sec – en nous comme chez les autres – qui ne puisse être enveloppé de l’Esprit du Christ.

 

Ne jetez plus vos tranches de pain dur et, tout en faisant dorer ces tartines de pain perdu, méditez sur ce que fait l’eucharistie en vous…

 

1ère lecture : L’agneau pascal (Ex 12,1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode

Dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d’un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur.
Cette nuit-là, je traverserai le pays d’Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.

Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. »

Psaume : Ps 115, 12-13, 15-16ac, 17-18
R/ Bénis soient la coupe et le pain, où ton peuple prend corps

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur 
de voir mourir les siens ! 
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, 
moi, dont tu brisas les chaînes ? 

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, 
j’invoquerai le nom du Seigneur. 
Je tiendrai mes promesses au Seigneur, 
oui, devant tout son peuple.

2ème lecture : Le repas du Seigneur (1Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

 

Evangile : Le lavement des pieds (Jn 13, 1-15)

Acclamation : Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. « Tu nous donnes un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! »
Jésus lui déclara : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, … mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »

Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.
Patrick Braud

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