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23 février 2023

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 8 h 00 min

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Homélie pour le 1° Dimanche de Carême / Année A

26/02/2023

Cf. également :
Carême : le détox spirituel
Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge
Poussés par l’Esprit
Un méridien décide de la vérité ?
L’île de la tentation
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…

« L’homme ne vit pas seulement de pain » : l’Évangile de ce premier dimanche de Carême (Mt 4,1-11) est devenu proverbial. Même les militants politiques les plus matérialistes reconnaissent que la dignité humaine, la justice sociale, la réduction des inégalités etc. sont des causes plus grandes que quelques avantages matériels en plus. Et les écologistes prônent une sobriété qui peut devenir heureuse si elle est choisie, raisonnable, respectueuse de l’avenir de la planète, car l’homme a besoin d’autre chose que de consommer et piller les ressources naturelles.

Voilà un terrain d’entente avec beaucoup de familles de pensées non-chrétiennes : l’être humain a faim et soif d’autre chose que de la seule nourriture ou de l’accumulation des richesses. Il aspire à la beauté, au respect, au don de soi, à plus grand que lui. Que ce soit dans l’art, le combat social, sa famille ou sa croyance, l’homme ne se réduit pas à de simples considérations matérielles. Bien sûr, seuls les croyants entendent la seconde partie de la phrase : « mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Reste que pour entendre un jour cette parole, il faut découvrir en soi une faim différente, un manque plus fondamental que le manque de nourriture.

Alors, en ce début de Carême, voici trois histoires vraies pour réveiller en nous cette soif de vivre plus intensément, trois histoires pour avoir faim d’autre chose.


1. Des fleurs avant le pain

Noël 1951 : le Grand-Palais à Paris bruisse d’un brouhaha inhabituel. Des centaines de bénévoles s’activent pour confectionner des milliers de colis de Noël. Ces colis sont pour ceux et celles qu’on appelait les vieillards après-guerre. Dans une France dévastée par les bombardements (regardez l’Ukraine aujourd’hui !), tout était à reconstruire, et beaucoup de vieillards étaient sans logement, sans famille, isolés et en grande précarité. Armand Marquiset avait fondé l’association « Les Petits Frères des Pauvres » en 1946 au sortir de la guerre, justement pour lutter contre la solitude et la précarité des personnes âgées. Armand avait su d’instinct que les pauvres ont autant besoin de beauté que de repas, de considération que d’assistance. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit fêter Noël au rabais. Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on doit réveillonner à l’hospice. Ce n’est pas parce qu’on est seul qu’on doit avoir honte des grandes soirées de gala où le beau monde se retrouve…
Ce réveillon de 1951 fut suivi de beaucoup d’autres, et encore actuellement [1], car les vieillards n’ont pas seulement besoin d’un panier-repas pour réveillonner, mais surtout de compagnie, de chaleur humaine, de musique, de relation, de danse, de belles nappes…

1er octobre 2022 : des jeunes distribuent des fleurs aux passants du métro en leur disant : ‘Si vous connaissez une personne âgée isolée, allez lui porter cette fleur en signe d’amitié. C’est aujourd’hui la journée internationale des personnes âgées : comment mieux la fêter qu’avec ce geste empreint de respect, d’affection, de proximité humaine ?’
Ainsi chaque année c’est plus de 1 300 bénévoles et salariés des Petits Frères des Pauvres qui parcourent rues, marchés, gares, hôpitaux et maisons de retraite, pour distribuer 78000 roses dans 185 villes de France.
Avec ce geste, les bénévoles font vivre la devise de leur fondateur : « des fleurs avant le pain ». Cela peut choquer. Certains diront que, quand même, le plus important c’est la pension, l’alimentaire, le chauffage etc. Heureusement, Armand Marquiset n’a pas dit : « des fleurs au lieu du pain » ! Il a simplement priorisé les besoins fondamentaux des personnes âgées isolées : on crèvera plus de manque d’amour que du manque de pommes de terre, plus de solitude que de froid (même si cela arrive hélas). Et mettre les fleurs en avant ne dispense absolument pas de donner le pain dans le même geste. Simplement, c’est une question de regard sur la personne : ce vieillard isolé n’est pas d’abord un ventre affamé, mais une personne en attente de liens, de reconnaissance, d’amitié venant rompre sa solitude.
Voir une personne âgée retrouver ainsi sa dignité réveille en nous le désir des liens qui nous maintiennent en vie…


2. Quel est votre petit frère ?

Le 24 juin  2016, les élèves de la prestigieuse école de commerce HEC sont rassemblés pour la remise de leur diplôme. La tradition est d’inviter un orateur, ancien élève, qui va les galvaniser en vantant les hautes responsabilités auxquelles ce diplôme les destine. Cette année-là, c’est le directeur général de Danone qui va parler. Multinationale puissante et redoutées, nul doute que son directeur général va chanter les bienfaits du commerce de masse et le brillant avenir des ‘épiciers’ (comme on appelle les étudiants en prépa HEC). Emmanuel Faber prend la parole. Son discours est plus court que d’habitude. Et surtout plus disruptif [2] ! Il ne parle pas de stratégie d’entreprise, de commerce mondial, ni même de business ethics tant à la mode. Non : il raconte la place qu’a prise son frère Dominique dans sa vie, et qui l’a amené à tout reconsidérer sous un jour différent, sa carrière, sa mission, sa rémunération même [3].

« Qu’est-ce qui m’a le plus marqué pendant mes trois ans ici (à HEC) ? C’est ce coup de fil que je n’aurais jamais voulu recevoir, à 21 heures […] et où j’ai appris que mon frère venait d’être interné pour la première fois en hôpital psychiatrique, diagnostiqué avec une schizophrénie lourde. Ma vie a basculé. Il m’a fallu apprendre le milieu des hôpitaux psychiatriques, apprendre le langage des fous pour ne pas perdre le dialogue, découvrir la beauté de ce langage – la normalité, ça enferme beaucoup -, découvrir l’altérité, m’ouvrir à plein de choses. À cause de lui j’ai découvert l’amitié de SDF, de temps en temps je vais dormir avec eux, j’ai découvert qu’on pouvait vivre avec très peu de choses et être heureux. Je suis allé dans des bidonvilles… »
Vous aurez à surmonter trois grandes écueils qui viendront facilement avec le statut que vous venez d’obtenir par ce diplôme : le pouvoir, l’argent et la gloire.
Oubliez la gloire, c’est une course qui n’en finit jamais et qui ne mène nulle part. La liste de toutes les personnes renommées existe juste pour qu’elles regardent leur propre nom. Elles ne s’intéressent pas à ceux des autres.
L’argent: j’ai rencontré tant de personnes, quand j’étais banquier d’investissement dans la finance, quand j’ai voyagé dans le monde – j’en rencontre encore – qui sont prisonniers de l’argent qu’ils ont gagné. Ne devenez jamais esclaves de l’argent. Restez libres ! Peu importe la raison pour laquelle vous gagnez de l’argent, peu importe ce que vous en faites, restez libres !
Et la puissance : je pense que vous pouvez regarder autour de vous, il y a tant de personnes qui sont puissantes et qui ne font rien, juste pour garder cette puissance, pour qu’elle dure un jour encore. La puissance n’a de sens que dans le service rendu aux autres. Et c’est ce service qui vous fera devenir qui vous êtes en vérité. Le meilleur de vous-même, dont vous n’avez même pas conscience.
J’ai donc une question à vous poser, avec laquelle je vous laisserai, chacun d’entre vous : qui est votre frère ? Qui est ce petit frère, cette petite sœur, qui habite en vous et qui vous connaît mieux que vous-même et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même ? C’est cette petite voix, qui parle de vous étant plus grand encore que vous ne pensez l’être. Qui sont-elles ? Elles vous apporteront cette voix, cette musique interne, cette mélodie qui est véritablement la vôtre. Votre mélodie transformera la symphonie du monde qui vous entoure, qu’elle soit grande ou petite, elle le changera ! Le monde en a besoin et vous méritez cela.
Trouvez votre frère, trouvez votre petite sœur ! Et quand vous les rencontrerez dites-leur bonjour de ma part, nous sommes amis ! Portez-vous bien. »

Les étudiants entendent bouche bée un de leurs aînés leur livrer, non pas le secret d’une belle réussite professionnelle, mais sa vraie motivation pour agir, quelle que soit son action.
Ni le pouvoir, ni la richesse, ni la gloire : son frère handicapé a appris à Emmanuel Faber que la fragilité peut changer le monde, et que la vraie réussite ne se lit pas dans le Who’s who ou dans la liste des promotions à la Légion d’honneur.

Quand le succès vous grisera, quand l’argent vous amollira, quand la puissance vous tournera la tête, réécoutez le discours d’Emmanuel Faber à HEC, et posez-vous la question : quel est mon petit frère ?…


3. À la recherche de mon Ikigaï

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose dans Communauté spirituelle schema-ikigai-600x567Il est une île dans l’archipel japonais d’Okinawa qui étonne par sa proportion de centenaires. Un américain, Dan Buettner, a voulu étudier au plus près les raisons de cette longévité peu ordinaire. Bien sûr il y a l’alimentation, l’exercice physique, le climat, la culture ambiante etc. Mais il a découvert que ces japonais vivent plus longtemps parce qu’ils vivent mieux, avec une sorte de cohérence profonde de leur être, qui les rend alignés sur leurs convictions, cohérents avec leurs valeurs.
En 2009, il a formalisé son étude autour de 4 cercles de motivation qui peuvent représenter nos raisons d’agir et de vivre : nos passions, nos talents, notre utilité, notre valeur marchande et sociale. À l’intersection de ces 4 cercles, il y a le cœur du cœur de ce que nous sommes : l’Ikigaï, mot japonais intraduisible (la raison d’être, le cœur, le secret, le centre, la joie de vivre, l’élan vital…). Les habitants d‘Okinawa vivent vieux parce qu’ils habitent en leur Ikigaï.

Découvrez votre Ikigaï et vous n’aurez pas peur d’assumer les ruptures, les choix nécessaires pour habiter au centre de vous-même. Car on peut aimer faire des choses sans vraiment y être doué. On peut avoir des compétences, mais qui nous ennuient. On peut toucher un salaire généreux, avec un travail finalement peu utile et sans beaucoup de sens etc.
Chercher son Ikigaï fait écho à la célèbre injonction de Lacan : « désire, et ne cède pas sur ton désir ». Ou à celle de Saint Augustin : « aime, et fais ce que tu veux ».
Le tout est de ne pas se tromper sur son désir personnel le plus vrai. Le tout est de ne pas courir après des amours idolâtres ou adultères qui pullulent autour de nous.
Descendre en soi pour explorer nos vrais moteurs pour agir, partir à la recherche de son Ikigaï, c’est un peu partir au désert et renoncer à ce qui nous comble immédiatement habituellement (jusqu’à nous gaver parfois !), pour éprouver la joie du pêcheur de perles : j’ai trouvé ce dont j’ai faim en vérité…

Que la parole de Dieu agrandisse en nous cette faim d’autre chose !

 


[1]. En 2022 : 31 968 personnes accompagnées toute l’année, 380 équipes locales, 15 133 bénévoles engagés, 28 maisons, 397 logements indépendants.

[3]. En 2016, sa rémunération s’élevait à 4,8 millions d’euros. Le 25 avril 2019, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Danone, il fait approuver une résolution baissant sa rémunération en 2018 à 2,8 millions d’euros. Il annonce également renoncer à son indemnité de départ contraint ainsi qu’à sa retraite chapeau de cadre chez Danone qui s’élève à 1,2 million d’euros par an, pour ne toucher que la retraite classique des salariés du groupe.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Création et péché de nos premiers parents (Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

PSAUME

(Ps 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. Ps 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.

ÉVANGILE
Jésus jeûne quarante jours, puis est tenté (Mt 4, 1-11)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. 
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : 
C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Patrick Braud

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12 février 2023

Soyez parfaits !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Soyez parfaits !

Homélie pour le 7° Dimanche du temps ordinaire / Année A
19/02/2023

Cf. également :

Talion or not talion ?
Le vrai sanctuaire, c’est vous
Boali, ou l’amour des ennemis
También la lluvia : même la pluie !
Simplifier, Aimer, Unir
La bourse et la vie
Incendie de Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
Ecclésia permixta

Soyez parfaits ! dans Communauté spirituelle phases-lune

Lunatique sainteté
Les soirs de pleine lune, nous pouvons marcher dehors comme en plein jour. Ce n’est pas la lune qui brille, c’est bien sûr la lumière du soleil qui se reflète sur elle, et nous permet ainsi - suffisamment atténuée pour ne pas nous éblouir et suffisamment forte pour éclairer nos pas dans la nuit - de ne pas nous perdre dans l’obscurité.

Imaginons maintenant que le soleil c’est le Christ, l’unique lumière venue éclairer l’humanité. Imaginez que la lune est l’Église, pauvre amas de rochers stériles, renvoyant pourtant à la Terre la lumière du Christ. Depuis l’Ascension, le Christ n’est plus visible dans l’histoire humaine, mais en l’absence du soleil l’Église-lune nous renvoie quelque chose de sa clarté pour baliser notre route dans la nuit.

Vous avez dans cette métaphore Christ-soleil / Église-lune une des plus belles sources d’inspiration pour penser l’Église ! Comme l’écrit le concile Vatican II dans son document sur l’Église : « le Christ est l’unique lumière des peuples… » (Lumen gentium), et la mission de l’Église est de la transmettre à tout homme.
Dans la lunette d’un télescope, la lune semble froide et stérile. Ainsi paraît l’Église, composée d’hommes et de femmes pécheurs, loin d’être parfaits ! Pourtant, elle nous transmet l’Évangile ; pourtant malgré ses contradictions, elle nous transmet la vie du Christ par les sacrements. Saint Ambroise de Milan (IV° siècle) disait : « la lune nous montre le mystère de l’Église », il ajoutait : « elle ne resplendit pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ ». « La lune, qui présente l’image de cette Église bien-aimée n’est certes pas chose négligeable ». Cyrille d’Alexandrie reprenait cette image que les autres Pères de l’Église ont développée amplement pendant des siècles : « L’Église est auréolée par la lumière divine du Christ, qui est la seule lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière: mais dans cette unique lumière, l’Église resplendit aussi, sans pour autant être le Christ lui-même ».

L’autre caractéristique de la lune est d’être changeante aux yeux humains : tantôt croissante, tantôt dans sa plénitude, puis décroissante… Comment ne pas y voir la succession des étapes historiques de l’Église, avec ses déclins, ses phases d’expansion et de rayonnement universel, ses âges d’or, puis à nouveau son affaiblissement, sa quasi-disparition etc. ? Le destin historique de l’Église est comparable aux phases lunaires.
Le futur pape Paul VI, Jean-Baptiste Montini alors évêque de Milan, développait la métaphore de son prédécesseur Ambroise :
« Saint Ambroise arrive même à comparer l’Église à la lune, dans les phases de croissance et de décroissance de laquelle se reflètent les vicissitudes de l’Église qui plonge et se redresse sans jamais sombrer, parce que “fulget Ecclesia non suo sed Christi lumine”, elle ne resplendit pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ ». L’Église a ses phases, des phases de persécution et de paix. Elle semble disparaître, comme la lune, mais il n’en est pas ainsi. En effet, son effacement n’est en réalité que la diminution de son intensité lumineuse. La lune connaît une diminution de sa lumière, et non de son corps […]. Le disque lunaire reste entier. Dans le phénomène des phases lunaires, c’est le mystère de l’Église lumineuse et mourante qui est symboliquement représenté ». 

C’est donc une sainteté reflétée en quelque sorte. « Dieu seul est saint » chantons-nous dans le Gloria et le Sanctus, à raison. Lorsque le Credo nous fait dire notre confiance « en l’Église une, sainte, catholique et apostolique », c’est l’Église reflétant l’unité, la sainteté et la plénitude divines, tel que les apôtres nous l’ont transmis. La sainteté de l’Église est le reflet de l’unique sainteté divine.

 

Une perfection participée
La métaphore soleil-lune nous fournit une piste d’interprétation solide pour comprendre l’étrange injonction de Jésus dans l’Évangile de ce dimanche (Mt 5,38-48) : « soyez parfaits comme votre Père est parfait ».

Si l’on interprète la perfection comme l’absence de défaut moral, alors elle est impossible à l’homme. Si l’on pense à la perfection de la lune reflétant la lumière du soleil, alors elle devient possible. Comme le disait Jésus à ses disciples effrayés de ne pas pouvoir être à la hauteur de ce qu’il demande : « pour les hommes, c’est impossible, mais à Dieu tout est possible » (Mt 19,26). La perfection est donc à la fois impossible à l’homme seul, et pourtant à rechercher.

La perfection dont parle Jésus est bien celle du Père : nous ne pouvons l’atteindre à la seule force de nos poignets, par contre nous pouvons l’accueillir en nous puisqu’il nous la partage, gratuitement. C’est une perfection participée, non acquise, comme la sainteté de l’Église est reflétée et ne vient pas d’elle-même.

 cathare dans Communauté spirituellePour mieux saisir quelle est la perfection à laquelle nous invite le Christ, reportons-nous quelques siècles en arrière au temps des Albigeois. Aux XII°-XIII° siècles se développe dans le sud de la France un mouvement très religieux prônant un christianisme radical. Les fidèles de cette mouvance formaient deux groupes : l’élite dite cathare (mot dérivé d’une racine grecque qui signifie pur), appelée aussi les parfaits ou les bonshommes, et la foule des croyants. On passe de l’un à l’autre statut par le consolament (mot occitan), seul sacrement cathare. Par ce sacrement, l’homme quitte moralement la terre avant que la mort ne précipite son corps à la dissolution du tombeau. Si l’homme n’est pas “consolé” il revient sans cesse en se réincarnant sous d’autres enveloppes charnelles. Pour ce faire, le croyant devait se soumettre à un long noviciat, et une fois parvenu, dans le cercle des parfaits, la chasteté devenait pour lui une obligation absolue, tout comme la pratique d’un ascétisme alimentaire rigoureux (pas de viande, de lait ni d’œuf). Étaient seuls autorisés le vin, le pain, l’huile, les légumes et les fruits.

Les cathares prenaient donc au sérieux le commandement du Christ : « soyez parfaits ». Mais ils oubliaient la seconde partie de la phrase, et pensaient qu’ils devaient acquérir cette perfection à force d’ascèse, de mortification, de renoncement, d’efforts moraux. Du coup, ils commettaient deux erreurs mortelles : vouloir se sauver eux-mêmes au lieu d’être sauvés, et constituer une Église de parfaits alors que l’Église est mélangée de bon grain et d’ivraie, afin que l’on sache que la perfection resplendissant à travers elle vient de Dieu et non des hommes [1].

Former une Église de purs est une tentation toujours présente, une illusion toujours trompeuse. Même en politique, de nombreux mouvements révolutionnaires ont sombré dans une forme de catharisme sécularisé où seuls l’avant-garde du parti, les leaders de la Révolution ou les mollahs gardiens de la charia peuvent incarner le salut des masses…

L’origine du terme cathares remonte au grec « καθαροί » (katharoi, qui signifie « purs »). Il est utilisé pour la première fois par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique pour désigner les sectateurs de Novatien, groupe chrétien rigoriste schismatique apparu au III° siècle qui refusait la réintégration des lapsi au sein de l’Église. Basile de Césarée qualifie pour sa part les Montanistes de katharoi (partisans d’un ascétisme rigoureux : jeûnes nombreux et prolongés, pas de viande ni de vin, continence parfaite, pardon de l’Église refusé aux péchés graves). Celui-ci est latinisé en cathari par les auteurs latins traitant des hérésies, au nombre desquels Augustin d’Hippone.

L’épisode cathare nous avertit : l’appel à la perfection n’est ni à ignorer, ni à radicaliser.
« Soyez parfaits », non par votre rigueur morale, mais en laissant la perfection divine ricocher sur vous pour transformer vous-même et votre entourage.

 

« Pourquoi je suis encore dans l’Église »
L’immense intérêt de cette perfection participée est de sauvegarder l’amour de l’Église alors qu’elle est terne, diminuée et blafarde à nos yeux comme un quartier de lune lors d’une nuit de brouillard. Déjà en 1970, bien avant les scandales sexuels qui affaiblissent l’Église aujourd’hui, le jeune et brillant théologien Joseph Ratzinger expliquait pourquoi il restait dans l’Église malgré les dérives et les folies de l’immédiat après-concile, sur le plan tant liturgique (dérives intégristes ou progressistes), que politique (chrétiens impliqués dans des dictatures militaires ou marxistes) ou moral (débat sur la libération sexuelle, la contraception, IVG etc.) [2].

« L’Église reflète la lumière du Christ ! Pour les Pères, l’application à l’Église de la symbolique de la lune découlait de deux idées principales : d’une part de la correspondance entre la lune et la femme (la mère), d’autre part de l’idée que la lune n’est pas source de lumière, puisqu’elle la reçoit d’Hélios. Sans lui, elle ne serait qu’obscurité ; elle brille, mais sa lumière n’est pas sa lumière, c’est la lumière d’un autre. Elle est lumière et obscurité à la fois. Elle-même n’est qu’obscurité, mais elle dispense une clarté, qui lui vient d’un autre, dont la lumière se propage par son intermédiaire. C’est exactement en cela qu’elle représente l’Église, qui illumine bien qu’elle ne soit elle-même qu’obscurité : elle ne puise pas la lumière en elle-même, mais elle la reçoit du véritable Hélios, le Christ, si bien qu’elle peut, bien qu’elle ne soit elle-même qu’un amas de pierre [...], éclairer les ténèbres dans lesquelles nous vivons de par notre éloignement de Dieu ».

En relisant aujourd’hui cette conférence donnée il y a plus de 50 ans, il est vraiment difficile de ne pas en constater la brûlante actualité… Des hommes ont défiguré le visage de l’Église, la mortifiant et l’immergeant dans de nombreux scandales. Comment pouvons-nous continuer à croire face à ces incohérences ?

Ne rêvons pas d’une Église parfaite selon nos critères ! N’idéalisons ni les prêtres, ni les religieuses, ni l’assemblée du dimanche ! Si l’Église n’est pas parfaite – ce qui est trop évident à nos yeux – ce n’est pas pour autant qu’elle ne témoigne pas de l’unique perfection en Dieu. Bien plus, elle y conduit. Imparfaite, elle transmet l’invitation d’un Autre et s’y  expose elle-même.

 

Si tu veux être parfait…
Le discours sur la montagne (Mt 5) d’où est tiré notre évangile est en fait d’abord un portrait du Christ lui-même : aimer ses ennemis, ne pas riposter aux méchants par la méchanceté, être pauvre en esprit, doux et humble de cœur, assoiffé de justice etc.

Et Jésus nous dit que c’est en laissant l’Esprit de son Père le conduire qui peut agir ainsi : il ne fait rien de lui-même, il se reçoit entièrement de son Père.

Alors, puisque « le Père fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants », si nous sommes unis à Lui, nous ferons de même, sans effort moral : par communion avec lui. L’amour des ennemis sera alors non pas un préalable pour être unis au Christ, mais une conséquence : c’est en étant unis au Christ que nous pourrons aimer nos ennemis.

L’histoire cathare nous a rappelé l’étymologie latine de la perfection. Le mot « perfection » vient du verbe latin per-ficio, dans lequel -ficio est la forme du verbe facio, facere : faire. Le préfixe per traduit l’idée d’une action menée « jusqu’au bout ». Parfait signifie donc « ce qui est fait jusqu’au bout, totalement ». D’où l’assimilation avec les purs : les parfaits n’ont rien à ajouter ni à enlever à ce qu’ils sont.

En grec, le terme perfection contient une idée supplémentaire, celle de la fin, de la finalité (τλειος = teleios) pour laquelle nous sommes créés. Le mot grec parfait (teleios) contient le mot τλος (telos = finalité, but), qui en français a donné téléologique c’est-à-dire qui est orienté vers un but ultime, une finalité, une plénitude.

Être parfait (teleios) c’est donc être ajusté à sa propre finalité. Or la finalité de l’être humain dans la Bible est de se laisser unir à Dieu jusqu’à être en pleine communion avec lui, jusqu’à être divinisé, « rendu participant de la nature divine » (2P 1,4). C’est en communiant à l’amour trinitaire que nous devenons parfaits (par grâce) et non l’inverse (par mérite) !

Palavra-Viva_15_7_14 EgliseDans l’Évangile de Matthieu, le seul autre passage qui utilise le terme grec τλειος (parfait) est l’épisode du jeune homme riche (Mt 19,16-22). « Si tu veux être parfait », lui dit le Christ, « vends tous tes biens, puis viens et suis moi ». Une lecture trop rapide ferait croire que la perfection réside dans la pauvreté volontaire : vendre tous ses biens. Or ce n’est là qu’un préalable, une condition pour la perfection véritable : suivre le Christ. C’est la suite du Christ qui nous rend parfait, jusqu’à vivre la vraie pauvreté avec lui. Être parfait n’est pas être pauvre mais être uni au Christ, le suivre, communier à tout son être. Alors, « naturellement » (de la nature divine), nous mettrons à penser, agir et parler en lui.

L’Église resplendit non pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ, et elle tire sa propre splendeur du Soleil de justice, de sorte qu’elle peut dire avec Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20) …

Foin de tous les puritanismes comme de tous les laxismes !
Renonçons donc à une conception trop humaine de la perfection idéaliste !
Christ nous invite non pas à devenir moralement irréprochables pour être unis à lui, mais être unis à lui pour alors agir en lui et lui en nous…

 


[1]. Bien sûr ; cela ne légitime en rien les répressions sanglantes de l’Inquisition contre les cathares…

[2]. Joseph Ratzinger, « Pourquoi je suis encore dans l’Église », Conférence, Munich, 4 juin 1970.
Cf. https://www.cathedrale-montpellier.fr/pourquoi-je-suis-encore-dans-leglise-joseph-ratzinger-extraits-de-la-conference-munich-4-juin-1970/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 1-2.17-18)

Lecture du livre des Lévites

Le Seigneur parla à Moïse et dit : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

PSAUME
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

DEUXIÈME LECTURE
« Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 16-23)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : C’est lui qui prend les sagesau piège de leur propre habileté. Il est écrit encore : Le Seigneur le sait :les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

ÉVANGILE

« Aimez vos ennemis » (Mt 5, 38-48)
Alléluia. Alléluia. En celui qui garde la parole du Christ l’amour de Dieu atteint vraiment sa  perfection. Alléluia. (1Jn 2, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Patrick Braud

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18 décembre 2022

Noël, l’anti kodokushi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 46 min

Noël, l’anti kodokushi

 

Homélie pour la fête de Noël / Année A 

25/12/2022 

 

Cf. également :

Noël : assumer notre généalogie

Noël : La contagion du Verbe
Y aura-t-il du neuf à Noël ?
Noël : évangéliser le païen en nous
Tenir conte de Noël
Noël : solstices en tous genres
Noël : Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune…
Noël : la trêve des braves
Noël : croyance dure ou croyance molle ?
Le potlatch de Noël
La bienveillance de Noël
Noël « numérique », version réseaux sociaux…
Noël : « On vous écrira… »
Enfanter le Verbe en nous…


La solitude des personnes âgées

En France, 2 millions de personnes âgées n’ont plus aucun contact avec leurs proches.

Si la détresse de la solitude n’a pas de saison, le soir de Noël c’est encore plus dur.

« Vous savez très bien que nous sommes les oubliés, nous sommes invisibles. Quand la douleur est là, quand vous êtes dehors, qui appeler, qui demander ? Le meilleur cadeau, c’est votre présence. À cause de la honte, on ne peut même pas aller vers ses propres enfants, vers sa propre famille. On se cache », sourit Jeanne-Rachel, 73 ans.

FPFP SolitudeD’ordinaire, Anne-Marie, 80 ans, vit les fêtes de fin d’année dans une grande solitude. « J’ai perdu mon mari en 1986 et ma sœur deux ans plus tard. Mon frère Maurice, âgé de 87 ans, habite trop loin. Le soir du réveillon, à qui parler ? » Cette année, cette ancienne aide-ménagère a acheté un élégant pantalon noir, un chemisier à frou-frou et des boucles d’oreilles. Elle sourit : « Quand on est invitée, il faut être coquette ». Grâce aux Petits Frères des Pauvres, elle partagera le réveillon de Noël avec 40 autres personnes âgées isolées et une dizaine de bénévoles qui leur ont préparé une soirée chaleureuse.

Ils pourront ensemble dîner joyeusement, danser, chanter… s’évader, loin de leurs soucis du quotidien et oublier cette solitude qu’ils ne connaissent que trop bien.

Anne-Marie sait que le soir du réveillon sera difficile. Mais le souvenir de ce moment extraordinaire l’allégera un peu. Cette période, exaltant l’esprit de famille, est très douloureuse pour ces personnes souvent veuves et n’ayant plus aucun proche. Aussi, elle nous confie que cette invitation au réveillon des Petits Frères des Pauvres lui met du baume au cœur : « J’ai ressenti un immense soulagement : je ne suis pas seule. Je compte pour quelqu’un ».

Les Petits Frères des Pauvres ont publié en 2021 leur baromètre de l’isolement en France [1]. Les résultats font peur : le fléau de la « mort sociale » concerne désormais 530 000 personnes âgées qui vivent coupées des quatre principaux cercles de proximité (famille, amis, voisinage et réseaux associatifs) contre 300 000 en 2017, alerte le baromètre 2021 « Solitude et isolement, quand on a plus de 60 ans en France ». Le nombre de seniors qui ne voient plus ni famille ni amis a plus que doublé, passant de 900 000 à 2 millions d’aînés, soit l’équivalent d’une ville comme Paris, alerte cette étude réalisée avec l’institut CSA Research.

Pire encore, les Petits Frères des Pauvres ont rassemblé une quarantaine d’articles de presse locale se faisant l’écho de macabres découvertes. Comme cet homme de 71 ans, retrouvé dans son appartement à Nîmes, en janvier 2020, cinq ans après son décès. Ou ce couple d’octogénaires nantais dont le double trépas est passé inaperçu pendant plusieurs mois…

Que ce soit en ville ou à la campagne, dans des milieux aisés ou pauvres, des personnes âgéePFP Baromètre 2021s meurent seules, sans que personne ne s’en aperçoive.

Le phénomène est hélas bien connu au Japon, où il a pris une ampleur particulière. Parce que la population japonaise est vieillissante, parce qu’il n’est pas dans la culture japonaise de demander de l’aide, parce que la vie moderne a coupé les liens familiaux etc., il y a eu en 2009 environ 30000 morts solitaires officiellement recensées, dont 3000 rien qu’à Tokyo, capitale de la solitude. On a même forgé un nom pour ces fins de vie à l’écart de tous, dont les corps ne sont découverts qu’après une longue période de temps, véritable phénomène social : 孤独死, kodokushi, « mort solitaire« .

Pourquoi rappeler cette triste et douloureuse réalité d’isolement en cette fête de Noel où tout devrait être léger et joyeux, comme le rire des enfants déballant les cadeaux au pied du sapin ?

Justement pour montrer que fêter Noël est un engagement à faire reculer la solitude autour de nous.

L’enfant de Bethléem est né à l’écart pour que plus personne ne vive ni ne meure à l’écart, isolé de tous.

Le Prince de la Paix est né au milieu des animaux pour que plus personne ne soit traité comme un animal abattu dans l’indifférence générale.

Le Verbe de Dieu entre dans la vie humaine entouré de ses seuls parents pour que plus personne n’en sorte esseulé.

Nos sourires attendris autour de la crèche devraient engendrer des sourires affectueux autour des vieillards qui meurent seuls. Comment embrasser le nouveau-né et ne pas tenir la main du mourant ?

Les débats actuels sur la fin de vie en France pourraient s’arrêter longuement sur la crèche de Noël : accueillir la vie qui vient de Dieu demande de l’accompagner jusqu’au bout, avec amour et compassion. Que l’autre ne soit pas seul face à la mort, quelle que soit sa décision : voilà un enjeu spirituel qui s’enracine pour nous dans l’Incarnation du Verbe de Dieu.

 

La mairie d’Agen : « aller vers »

En 2020, profondément choqué par le décès d’une vieille dame retrouvée deux ans après son décès, à 100 mètres de l’hôtel de ville, le maire d’Agen, Jean Dionis, a lancé des pistes de réflexion. « Ce drame nous a fait réfléchir et nous avons fait de la lutte contre l’isolement un engagement municipal », a-t-il confié à l’association des Petits Frères des Pauvres. Un chantier délicat alors que les plus de 80 ans soit plus de 3 000 personnes dans la ville perdent souvent l’envie d’aller vers les autres. La mairie travaille donc à un système d’« aller vers » grâce à la solidarité de voisinage et davantage de visites à domicile. « Chaque quartier volontaire aura un service civique dont le rôle sera de recenser les personnes de plus de 80 ans, de favoriser la mise en relation entre personnes âgées et citoyens, de piloter les visites à domicile », détaille Jean Dionis, qui souhaite mettre les bailleurs sociaux dans la boucle.

Aller vers : n’est-ce pas le mouvement même de Noël ? Après des siècles où l’homme allait vers Dieu en tâtonnant, par le biais des religions et des sagesses, Dieu lui-même a décidé d’aller vers l’homme !

Renversement d’initiative, renversement de perspective !

Fêter Noël nous rend alors capable d’aimer comme Dieu à Bethléem : en allant vers l’autre, sans attendre qu’il ose le demander. Les vieillards japonais meurent seuls parce qu’ils ont honte de demander. Seul le mouvement d’aller vers peut conjurer cette auto-isolement mortifère.

Concrètement, cela se traduit par un rôle et un nombre accru d’acteurs sociaux pour dépister en amont les situations de solitude dangereuse (infirmières, assistantes sociales, chargés de clientèle bancaire, aides-soignantes, agents administratifs etc.).

Les petits Frères des Pauvres - bénévolatCela passe également par un investissement des Comités de quartier (ou équivalent) pour recenser localement les personnes en difficultés relationnelles et susceptible de s’isoler. On est bien capable pendant les périodes de canicule de visiter ou de téléphoner systématiquement aux personnes âgées pour prendre de leurs nouvelles, leur demander de boire, de s’hydrater etc. Pourquoi ne serait-on pas capable de cette surveillance attentive et bienveillante en temps ordinaire, afin de prévenir les solitudes avant qu’elles ne deviennent dangereuses ?

Les Petits Frères des Pauvres l’ont bien compris, qui ont mis la visite régulière de personnes âgées au cœur de leur raison d’être. Chaque bénévole s’engage visiter deux personnes, une par semaine, en alternance avec un autre bénévole, et ces personnes âgées ont alors un binôme qui leur rend une visite hebdomadaire régulière. La régularité et la durée sont des conditions essentielles à la rupture de l’isolement. Un peu comme le petit Prince avec le renard : il faut du temps pour s’apprivoiser, avoir confiance, se sentir entouré, se livrer. La devise des Petits Frères des Pauvres est : « des fleurs devant le pain », car ils sont convaincus que les personnes âgées ont d’abord besoin de relations, d’affection, de signes d’estime et d’amitié. L’homme ne vit pas seulement de pain… : c’est si vrai qu’il est capable de mourir de solitude.

Célébrer Noël, c’est s’engager à aller vers comme Dieu l’a fait pour nous. Aller au-devant de l’autre, sans attendre.

 

Le fils de Dieu s’est uni à chaque homme

Fra Angelico NativitéLe concile Vatican II écrivait : « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. Il a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (GS n° 22). Et le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église commente (n° 105) : « Le Christ, Fils de Dieu, « par son incarnation, s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme »; voilà pourquoi l’Église reconnaît comme son devoir fondamental de faire en sorte que cette union puisse continuellement se réaliser et se renouveler ». Cette mission exige de nous le combat contre la solitude.

Ce combat est également une aventure intérieure, éminemment personnelle.

Un chrétien, même abandonné de tous, peut croire en son cœur que Dieu s’est uni à lui pour toujours, et ne le laissera pas tomber comme savent le faire les humains. Même oublié sur un lit d’hôpital, tout baptisé peut écouter en lui la résonance de la promesse divine : ‘tu n’es pas seul, et je te promets que tu le seras encore moins à travers la mort’. La foule immense tous les saints sera ta famille, pour toujours’.

Autrement dit : comment fêter Noël sans déjà fêter Pâques par anticipation ? Aller vers, c’est l’attention que nous devons porter à ce monde si au nom de l’Incarnation. Aller au-delà, c’est l’espérance invincible que notre action s’inscrit sur un horizon infini. Réduire la foi chrétienne au seul moteur pour aller vers les autres serait trahir l’espérance de Noël–Pâques ! C’est une tentation très contemporaine : séculariser la foi chrétienne pour l’utiliser au service de notre action dans le monde.

Un seul exemple : Bruno Latour, pape de la philosophie écologique, confesse être largement inspiré par sa foi chrétienne, mais à condition qu’elle ne s’intéresse qu’à ici-bas, sinon elle deviendrait selon lui un divertissement illusoire.

Interview à Philosophie Magazine n° 147 (Février 2021) :

Noël, l’anti kodokushi dans Communauté spirituelle pmfr147p1couvsmall« - Vous prenez de grandes libertés vis-à-vis du catéchisme, vous décapez le message en disant qu’il faut cesser de croire au Ciel, ne s’intéresser qu’à l’ici-bas…

- Ce n’est pas moi, c’est mon pape qui s’est lancé dans une sacrée entreprise, avec son encyclique de 2015 Laudato si sur la « sauvegarde de la maison commune », donc sur la dégradation environnementale et le réchauffement climatique. Le médiéviste américain Lynn White [1907-1987] a montré dans un article retentissant paru en 1967 que saint François d’Assise était en son temps une sorte d’hérétique, maintenu au sein de l’Église alors qu’il proposait une écologie avant l’heure. En choisissant le nom de François, le pape actuel renoue avec cette dissidence. Pensez aussi au psaume 104« Seigneur, tu renouvelles la face de la Terre ». Plus largement, il y a dans le christianisme tout un mouvement de descente, d’incarnation, qui nous amène à comprendre que notre tâche est ici-bas. Comme institution, l’Église catholique est dans un état catastrophique, et la crise écologique peut être l’occasion d’une transformation, d’un renoncement à l’idée de transcendance et d’un intérêt plus grand porté à l’immanence. »

Bigre : le pape de l’écologie nous invite à renoncer à la transcendance ?

Carl Schmitt disait que les grandes idées politiques ne sont jamais que des concepts théologiques sécularisés… D’ailleurs, Bruno Latour parle de Gaïa au lieu de nature, environnement, Terre, ce qui évoque irrésistiblement une référence païenne excluant toute transcendance, là où les chrétiens persistent à parler de Création dont l’homme est le gérant.

Faut-il renoncer à toute transcendance pour fêter Noël ? Faut-il ne s’intéresser qu’à ce monde sous prétexte que l’autre monde nous détournerait de notre responsabilité ? Devant ces réductions trop horizontales de Noël au seul présent, Paul s’écrie : « Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes ! » (1 Co 15, 19).

 

Noël n’est pas une fête sucrée

Décidément, l’enfant de la crèche nous engage à un rude combat : faire reculer la solitude, retisser des liens là où ils ont cédé, inclure au lieu d’exclure…

Fêter Noël demande à la fois de tenir l’immanence (la foi comme moteur pour agir ici-bas) et la transcendance (la foi comme espérance d’un au-delà de notre action).

Qu’autour de nous la kodokushi – la mort solitaire - s’efface grâce à nos visites, nos accompagnements, notre sollicitude !

Allons vers ceux qui n’attendent plus rien, et nous serons attablés au meilleur réveillon de Noël : celui qui fait naître à la communion fraternelle, qui pour nous provient de la communion trinitaire.

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[1]. Téléchargeable ici : https://www.petitsfreresdespauvres.fr/informer/prises-de-positions/mort-sociale-luttons-contre-l-aggravation-alarmante-de-l-isolement-des-aines

 

MESSE DE LA NUIT


PREMIÈRE LECTURE
« Un enfant nous est né » (Is 9, 1-6)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane. Et les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés.
Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir ; son nom est proclamé : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. » Et le pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin pour le trône de David et pour son règne qu’il établira, qu’il affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours. Il fera cela, l’amour jaloux du Seigneur de l’univers !

 

PSAUME

(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc)
R/ Aujourd’hui, un Sauveur nous est né : ’est le Christ, le Seigneur. (cf. Lc 2, 11)

 

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

 

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

 

Joie au ciel ! Exulte la terre !
Les masses de la mer mugissent,
la campagne tout entière est en fête.

 

Les arbres des forêts dansent de joie
devant la face du Seigneur, car il vient,
car il vient pour juger la terre.

Il jugera le monde avec justice
et les peuples selon sa vérité.

 

DEUXIÈME LECTURE

« La grâce de Dieu s’est manifestée pour tous les hommes » (Tt 2, 11-14)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Tite

Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien.

 

ÉVANGILE

« Aujourd’hui vous est né un Sauveur » (Lc 2, 1-14)
Alléluia. Alléluia. Je vous annonce une grande joie : Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ! Alléluia. (cf. Lc 2, 10-11)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

 En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »
Patrick Braud

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4 septembre 2022

Le Grand Bleu intérieur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le Grand Bleu intérieur

Homélie pour le 24° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
11/09/2022

Cf. également :

S’accoutumer à Dieu
Avez-vous la nuque raide ?
La brebis et la drachme
La parabole du petit-beurre perdu
Mercredi des Cendres : notre Psaume 50

La CMV

La crise du milieu de vie« Jusqu’ici, j’avais l’impression de gravir une montée à fond de train. Mais quand je suis arrivé soudain au sommet, j’ai découvert un panneau Stop, en face, au bout de la pente, de l’autre côté. Je me suis retourné et j’ai regardé le chemin parcouru. Qu’ai-je bâti dans le fond ? J’ai repoussé certains engagements pour profiter de la vie, et me voilà, comme un c…, seul, du fric en poche, sans autre horizon que la mort. – Moi, j’ai sacrifié ma vie conjugale, familiale, spirituelle, pour mon boulot. Or, ce que j’ai bâti professionnellement ne me comble pas… »
« J’étais assailli de questions : où va ma vie ? Me suis-je trompé dans mes choix ? À quoi bon tout ça ? Qu’est-ce que j’ai fait de mon existence ? Ne devrais-je pas changer de femme, de travail, de maison ? Ne suis-je pas prisonnier de mon mariage, de mon emploi ? Pourquoi est-ce que je me fatigue tant ? Ai-je vraiment accompli quelque chose d’important ? Est-ce que je vaux quelque chose ? Qu’est-ce que cela me donne de croire, de prier ? Pourquoi Dieu ne répond-Il pas à ma détresse ? Qu’est-ce qui me fait vivre ?…
J’étais comme au milieu d’un examen. La moitié du temps s’est écoulée. Dans deux heures, il faut rendre la copie, on n’est pas forcément très content de soi et on se demande si on peut encore changer de sujet ! »

Ce genre de témoignage pullule sur la Toile. C’est la fameuse « crise de milieu de vie », (ou crise de la quarantaine) affectueusement baptisée CMV par les psychologues, qu’on observe souvent chez les hommes (mais pas seulement !) entre 40 et 50 ans environ. Pendant la première moitié de leur vie, ils ont foncé pour se construire un avenir. Ils se sont noyés dans l’action pour obtenir un statut social standard : bosser des années d’études pour un diplôme, trouver un CDI et amorcer une carrière, s’endetter pour acheter une maison, établir son couple, gérer l’arrivée des enfants, le tout saupoudré d’un nuage de reconnaissance sociale grâce à des amis, des loisirs, une vie associative voire ecclésiale etc. Ils ont trimé dur pour en arriver là, et puis tout d’un coup, parvenus au sommet de la côte, ils mettent pied à terre et regarde à la fois derrière eux en se disant : ‘ce n’était donc que cela ?’ et devant eux en s’interrogeant : ‘et maintenant ? quels objectifs pour la suite ?’ D’autant plus qu’au mitan de la vie, la suite, c’est inévitablement la mort qui se profile à l’horizon. Même si c’est encore loin, elle commence à s’imposer dans le paysage. La mort des parents qui peut subvenir dans cette période est une brutale piqûre de rappel.

Le Démon de midiLe malaise, l’angoisse ou la dépression qui s’installent alors se nourrissent de tous les doutes remettant en cause l’œuvre à moitié accomplie : ‘était-ce vraiment moi tout cela ? N’ai-je fait que suivre les rails sur lesquels on me fait rouler depuis mon enfance ? Pourquoi mon couple me laisse-t-il insatisfait ?… Avant je voulais la sécurité, le boulot, la maison, la famille comme tout le monde, la reconnaissance des autres. Maintenant je découvre en moi d’autres besoins, d’autres aspirations, d’autres désirs : découvrir ce qu’il y a en moi et pas seulement à l’extérieur, honorer des aspects de ma personnalité que j’ai refoulés jusqu’à présent, sortir des rails, partir à la recherche de mon identité profonde…’

Dans le couple, cela se manifeste pour beaucoup par une remise en cause des valeurs conjugales de fidélité, de confiance, de tendresse ; par une disparition ou un affaiblissement du projet commun (on pense au divorce) ; un éparpillement dans de nouvelles aventures (le besoin de se prouver sa capacité de séduire) ; une envie de sortir du rôle dans lequel on est enfermé (la recherche d’intimité) ; une fuite de la réalité dans le rêve d’autres possibles (on joue à l’adolescent).

Celui qui vit cette tempête intérieure se met à tout chambouler autour de lui : beaucoup trompent leur compagne pour une plus jeune (c’est le fameux « démon de midi »), certains changent radicalement de métier, d’autres déménagent brusquement, ou plaquent tout. Des gens se convertissent à telle ou telle religion, alors qu’ils étaient indifférents ; un mariage, un décès, une lecture, une rencontre les auront bouleversés, et ils voient soudain en pleine lumière tout ce qu’il leur manquait auparavant sur le plan spirituel…

Le Grand Bleu intérieur dans Communauté spirituelle parab_perdu_monnaieImpossible de ne pas penser à eux en écoutant la parabole de la drachme perdue de l’Évangile de ce dimanche (Lc 15,1-32) :

« Si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ »

Certes, Jésus ne l’a pas inventée spécifiquement pour nous aider à traverser la CMV ! Il l’utilise pour illustrer sa volonté de sauver les pécheurs, car il est venu « pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 9,10).

Et pourtant, il y a bien des manières de se perdre ! On peut tout perdre - et se perdre - au jeu. On peut dégrader son corps – et se dégrader – en se droguant, en buvant. On peut oublier qui l’on est en se noyant dans les méandres du pouvoir, de l’argent, du plaisir etc. La CMV est une autre façon de se perdre : le Christ ne l’a pas connue (trop jeune !) mais sa parabole s’adapte merveilleusement à cette période.

Laissons Jean Tauler, maître spirituel du XIV° siècle, figure de la mystique rhénane avec Maître Eckhart, nous guider sur ce chemin intérieur. Il a dû rencontrer et accompagner dans son ordre dominicain pas mal de frères souffrant de cette crise pour constater avec réalisme :

« L’homme peut faire ce qu’il veut, s’y prendre comme il veut, il n’atteint pas la paix véritable, il ne devient pas un homme du ciel, selon son être, avant d’avoir atteint la quarantaine. Auparavant, il est accaparé par toutes sortes de choses, ses penchants naturels l’entraînent de-ci, de-là ; et ce qui se passe en lui est bien souvent sous leur domination, alors qu’on s’imagine que c’est tout entier de Dieu. [...] L’homme doit attendre encore dix ans avant que l’Esprit Saint, le Consolateur, lui soit communiqué en vérité, et qu’il puisse enfin savourer la paix du consentement ».

 

Tout bouleverser pour la drachme perdue

La femme avait dix pièces d’argent. Dix, c’est le nombre de juifs (mâles !) minimum pour constituer une assemblée habilitée à célébrer le culte et réciter les prières : un miniane. Ici c’est une femme seule – et non des hommes – qui désire revenir à 10. On peut y voir le symbole d’Israël (le peuple est féminin en hébreu) s’apercevant qu’il lui manque le Messie pour être l’Israël de Dieu en plénitude. Alors cette femme retourne dans sa maison. Au lieu de se disperser à l’extérieur, elle revient en elle-même, dans l’intimité de sa demeure, pour chercher cette part de son trésor qu’elle a perdue.

ill_1854043_f875_theoreme_du_lampadaire CMV dans Communauté spirituelleVous connaissez sûrement ce sketch à la Devos :

Un promeneur marchant à la nuit tombée aperçoit un homme courbé qui semble chercher un objet perdu sous un lampadaire.
- Bonsoir, vous semblez chercher quelque chose ?
- En effet, j’ai perdu mes clefs.
Le promeneur, serviable, commence alors à chercher. Après quelque temps, il interroge à nouveau.
- Êtes-vous certain de l’avoir perdu à cet endroit ?
- Non, répond-il, mais au moins ici il y a de la lumière !

Ce sketch montre l’absurdité d’une quête qui cherche au-dehors ce qui est en dedans. Au lieu de fouiller sous les lampadaires, les enseignes lumineuses et les mirages de la consommation et du paraître, la femme revient à son fond le plus intime, chez elle.
Si vous faites ainsi passer votre centre de gravité « en-bas », comme le culbuto, alors rien ne pourra vous troubler, comme le culbuto qui revient à son centre après les oscillations extérieures. Cela demande de ne pas s’attacher à ses œuvres, de rester libre pour Dieu et pour soi-même. Mais cette plongée intérieure est un voyage en Dieu. Comme le Christ est en bas de l’arbre de Zachée, c’est dans le fond de l’âme que Dieu réside, nous enseigne, nous attend et nous unit à lui.

51DYVRZ82XL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ crise« L’autre sorte de recherche est bien supérieure à celle-ci. Elle consiste en ce que l’homme rentre dans son propre fonds, au plus intime de lui-même, et y cherche le Seigneur, de la façon qu’il nous a lui-même indiqué, quand il dit : le royaume de Dieu est en vous. Celui qui veut trouver le royaume, c’est-à-dire Dieu avec toute sa richesse, dans sa propre essence et sa propre nature, doit le chercher là où il est, c’est-à-dire dans le fond le plus intime, où Dieu est plus près de l’âme et lui est beaucoup plus intimement présent qu’elle ne l’est à elle-même.

Ce fonds doit être cherché et trouvé. L’homme doit entrer dans cette maison, et en renonçant à tos ses sens, à tout ce qui est sensible, à toutes les images et formes particulières qui sont apportées et déposées en lui par les sens, à toutes les impressions bien déterminées qu’il ait jamais reçu de l’imagination, et à toutes les représentations sensibles, oui même dépasser les représentations rationnelles (…). Quand l’homme entre dans cette maison et cherche Dieu, il la bouleverse de fond en comble » (Tauler, Sermon 33).

Tauler commente :

« On s’engouffre dans cet abîme.
Et dans cet abîme est l’habitation propre de Dieu […].
Dieu ne quitte jamais ce fond. Il n’y a là ni passé ni futur.
Rien ne peut combler ce fond. Rien de créé ne peut le sonder ».

Revenir à notre fond intime s’apparente quelquefois à la plongée en apnée du film « Le Grand Bleu » ! On y laisse forcément des plumes. Quand on entame cette quête, impossible de croire, travailler, d’aimer comme avant… Les représentations de Dieu, de la réussite, du couple, qui jusqu’à présent suffisaient à nous motiver, s’écroulent sur elles-mêmes. Elles sonnent creux, paraissent vides et vaines. C’est ce que Tauler appelle le bouleversement : partir à la recherche de la drachme perdue suppose de bouleverser son existence, ses représentations, ses certitudes antérieures.

« Voici en quoi consiste le bouleversement de la maison et l’action par laquelle Dieu cherche l’homme. Toutes les représentations, toutes les formes, de quelques genres qu’elles soient, par lesquelles Dieu se présente à l’homme, lui sont totalement enlevées lorsque Dieu vient dans cette maison, dans ce fonds intérieur, et tout cela est renversé comme si on ne l’avait jamais possédé. De bouleversement en bouleversement, toutes les idées particulières, toutes les lumières, tout ce qui avait été manifesté et donné à l’homme, tout ce qui s’était antérieurement passé en lui, tout cela est complètement bouleversé dans cette recherche. En ce bouleversement, l’homme qui peut se laisser faire est élevé plus haut qu’on ne saurait dire au-dessus du degré où peuvent le conduire toutes les œuvres, les pratiques ou bonnes intentions qui aient jamais été imaginées et inventées ».

Tauler qualifie ce bouleversement d’heureux, alors que nous le ressentons sur le moment comme tragique. Et justement, c’est à cette inversion qu’il nous invite : regarder autrement le chamboule-tout qui se généralise sous nos yeux lorsque nous secouons la poussière et déplaçons les meubles pour trouver ce que nous avons perdu en cours de route dans la première partie de notre existence.

« Bienheureux bouleversement.
En ce bouleversement, l’homme qui peut se laisser faire est élevé plus haut qu’on ne saurait dire au-dessus du degré où peuvent le conduire toutes les œuvres, les pratiques ou les bonnes résolutions qui aient jamais été imaginées et inventées. Oui, ceux qui parviennent vraiment à cela deviennent de tous les hommes les plus dignes d’amour ».

Une drachme d'argentCelui qui sait persévérer dans ce bouleversement intérieur parviendra comme la femme à découvrir où était cachée la drachme, dont les deux faces gravées symbolisent l’image et la ressemblance d’avec Dieu. Car nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, et avec le temps ces deux dimensions de notre dignité humaine se ternissent, se perdent dans la poussière de notre volontarisme, sous les meubles de notre confort, ensevelies sous les trophées, peintures et autres décorations qui encombrent désormais notre intérieur, notre fond intime.

Comment pratiquer cette descente en nous, dans ce fond intime ? Ce n’est pas une introspection psychologique, et les techniques de développement personnel n’y peuvent rien ! Il ne s’agit pas de revivre des événements traumatiques du passé, ni d’explorer les déterminismes qui nous ont téléguidé jusqu’à présent (même si ce n’est pas inutile par ailleurs).

Il s’agit de découvrir Dieu au-delà de nos représentations :

« Toutes les représentations, toutes les formes, de quelques genres qu’elles soient, par lesquelles Dieu se présente à l’homme, lui sont totalement enlevées lorsque Dieu vient dans cette maison, dans ce fonds intérieur, et tout cela est renversé comme si on ne l’avait jamais possédé ».

Il s’agit de découvrir l’amour au-delà de nos sentiments :

« Vous ne savez pas ce qu’est l’amour. Vous pensez avoir l’amour quand vous éprouvez de grands sentiments, un goût profond et pleine jouissance de Dieu. Non, ce n’est pas du tout l’amour, ce n’est pas là sa manière. Mais voici ce qu’est l’amour. Quand dans la privation, le dépouillement et le délaissement, on a, au cœur, une ardeur et un tourment constant et continu, sans que pourtant l’on cesse de s’abandonner (à Dieu) ; quand il y a dans le tourment comme une fusion du cœur et, dans la flamme de la privation comme un dessèchement, toujours dans un égal abandon, voilà ce qu’est l’amour. Voilà ce que représente l’allumage de la lanterne ».

Face au sentiment de vide, d’angoisse ou de vanité qui peut nous étreindre, réjouissons-nous ! Car c’est l’invitation à déconstruire nos schémas de réussite antérieurs. C’est l’appel à plus d’intériorité, pour explorer ce fond intime où nous retrouverons la beauté de la divinité enfouie en nous.

 

Se laisser chercher

La femme de la parabole peut donc représenter chacun de nous partant à la recherche de lui-même. Tauler nous avertit d’expérience : aussitôt que l’homme descend en son fond intérieur en bouleversant tout ce qu’il a construit jusque-là, Dieu fait de même ! Il se met lui-même en quête de l’homme éprouvant le manque, et bouleverse tout sur son passage pour aller le rejoindre en ce fond intime :

« Et puis, c’est Dieu qui le cherche : lui aussi met tout sens dessus dessous dans la maison, comme fait celui qui cherche ; il y jette ceci d’un côté, cela d’un autre, jusqu’à ce qu’il ait trouvé ce qu’il cherche : ainsi en arrivera-t-il à cet homme. Quand l’homme est entré dans cette maison et a cherché Dieu dans ce fonds le plus intime, Dieu vient aussi chercher l’homme et bouleverse la maison de fond en comble »

Il y a donc un « lieu » en l’homme (à entendre de manière métaphorique et non de manière substantielle) que Tauler appelle le fond de l’âme, qui est le lieu où Dieu se rend présent à nous et nous pouvons avoir à notre tour accès à lui. En pénétrant dans ce fonds, nous faisons l’expérience d’une intériorité mutuelle entre Dieu et nous.

Voilà une autre interprétation des bouleversements qui chamboulent notre trajectoire à certains moments : et s’ils étaient la trace du mouvement par lequel Dieu se met en quête de nous ? Cette tristesse permanente, cette sensation de vide, ce vertige devant d’autres choix possibles, cette angoisse devant la mort qui s’inscrit à l’horizon, tout cela ne serait-ce pas le signe que Dieu vient me bouleverser de fond en comble pour que je ne me perde pas ?

Maître Eckhart, s’inspirant de la fameuse phrase de l’Apocalypse : « voici que je me tiens à la porte et je frappe » (Ap 3,20), a cette très belle remarque :

« C’est un grand dommage pour l’homme de croire Dieu loin de lui. Que l’homme soit près ou loin, Dieu, lui, ne s’éloigne jamais. Il reste toujours dans le voisinage ; et, s’il ne peut demeurer en nous, il ne va jamais plus loin que l’autre côté de la porte ».

 drachmeLe remède du Docteur Tauler est alors simple, terriblement simple et paradoxal à la fois : il faut tranquillement laisser s’effondrer sur nous la tour de notre suffisance et de notre pharisaïsme et nous abandonner totalement à l’œuvre que, dans cette tourmente, Dieu opère en nous :

« Mon bien cher, laisse-toi couler, couler à pic jusqu’au fond, jusqu’à ton néant et laisse s’écrouler sur toi, avec tous ses étages, la tour (de ta cathédrale de suffisance et de pharisaïsme) ! Laisse-toi envahir par tous les diables de l’enfer ! Le ciel et la terre avec toutes leurs créatures, tout te sera prodigieusement utile ! Laisse-toi tranquillement couler à pic, tu auras alors en partage tout ce qu’il y a de meilleur ».

Dieu choisit juste le moment où nous nous sommes bien installés dans la maison de notre vie pour agir comme une femme qui sème le désordre afin de retrouver sa drachme ; au milieu de notre vie, précisément, nous y sommes bien installés, mais à force d’agir à l’extérieur nous avons perdu la drachme ; Dieu nous plonge alors dans une crise, dans le désordre, pour la retrouver en nous.

Se laisser bouleverser par Dieu est plus important que de remettre très vite les choses à leur place. Se laisser chercher par Dieu est plus sûr que de vouloir résoudre la crise par des exercices spirituels, psychologiques ou paramédicaux…

« Si, dans un absolu et aveugle abandon, tu laissais le Seigneur te chercher et bouleverser ta maison autant qu’il le voudrait et de la manière dont il le voudrait, la drachme serait trouvée d’une façon qui dépasse tout ce que l’homme peut imaginer ou comprendre. Si on se laissait bouleverser ainsi, cela nous mènerait bien plus loin que tous les projets, toutes les œuvres et tous les procédés particuliers que le monde entier peut réaliser extérieurement, sous des formes et dans des œuvres sensibles. Si tu étais un homme bien abandonné, tu ne serais jamais mieux qu’au temps où le Seigneur voudrait te chercher. Cela te suffirait, tu éprouverais la vraie paix. Qu’il te veuille dans l’aveuglement, l’obscurité, la froideur ; qu’il te veuille fervent ou qu’il te veuille pauvre, selon qu’il lui plaît, en toute manière, dans l’avoir ou la privation, quel que soit le moyen qu’il prenne pour te chercher, tu te laisserais trouver.
Comme ils sont heureux ceux qui se laissent chercher et trouver de telle sorte que le Seigneur les introduise en lui !
Puissions-nous tous suivre cette voie ! »

41-8Me890dL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ Grün« On ne peut pénétrer dans le fond de l’âme par ses propres forces, ni par des efforts ascétiques, ni par l’accumulation de prières, insiste le Père Anselm Grün [1]. Ce n’est pas en faisant, mais en se laissant faire, que l’on peut entrer en contact avec son fond le plus intime ».

« Dans la crise du milieu de vie, il s’agit en somme d’une passation de pouvoir intérieure. Ce n’est plus moi qui dois me diriger, mais Dieu. Car c’est bien Dieu qui est dans la crise, et je ne dois pas Lui faire obstacle, afin qu’Il puisse accomplir son œuvre en moi ».

 

Conclusion

Résumons-nous.
Lorsqu’une crise de sens nous tombe dessus :
– réjouissons-nous, car c’est une invitation à gagner en profondeur et vérité.
– pour cela, commençons courageusement à descendre en notre fond intime, notre intériorité la plus personnelle et la plus spirituelle.
– pendant cette plongée en apnée, il nous faudra chambouler tout notre intérieur, le mettre sens dessus dessous, remettre en cause nos schémas antérieurs.
– plus important encore, laissons Dieu nous chercher. Cela relève davantage d’une passivité spirituelle que d’un volontarisme inquiet. Passivité active, car il s’agit d’ouvrir la porte à Dieu qui frappe, mais passivité d’abord car c’est en écoutant, en méditant, en discernant, en me laissant faire, que je serai conduit peu à peu à ma drachme perdue.

Heureux bouleversement que cette pagaille engendrée par la quête de Dieu en moi !
Heureux bouleversement que cette succession d’états d’âme par lesquelles Dieu me fait passer, pour lui-même chercher et trouver ma drachme perdue !
Soyons cette femme balayant tout son intérieur jusqu’à retrouver sa dignité entière.
Laissons Dieu être cette femme qui met notre intériorité sens dessus dessous pour nous redonner à nous-même en plénitude.

 


[1]. Anselm Grün, La crise du milieu de la vie, une approche spirituelle, Médiaspaul, 2005.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire » (Ex 32, 7-11.13-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, le Seigneur parla à Moïse : « Va, descends, car ton peuple s’est corrompu, lui que tu as fait monter du pays d’Égypte. Ils n’auront pas mis longtemps à s’écarter du chemin que je leur avais ordonné de suivre ! Ils se sont fait un veau en métal fondu et se sont prosternés devant lui. Ils lui ont offert des sacrifices en proclamant : ‘Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.’ »
Le Seigneur dit encore à Moïse : « Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque raide. Maintenant, laisse-moi faire ; ma colère va s’enflammer contre eux et je vais les exterminer ! Mais, de toi, je ferai une grande nation. » Moïse apaisa le visage du Seigneur son Dieu en disant : « Pourquoi, Seigneur, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ? Souviens-toi de tes serviteurs, Abraham, Isaac et Israël, à qui tu as juré par toi-même : ‘Je multiplierai votre descendance comme les étoiles du ciel ; je donnerai, comme je l’ai dit, tout ce pays à vos descendants, et il sera pour toujours leur héritage.’ » Le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple.

PSAUME
(Ps 50 (51), 3-4, 12-13, 17.19)
R/ Oui, je me lèverai, et j’irai vers mon Père.
 (Lc 15, 18)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.

DEUXIÈME LECTURE
« Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs » (1 Tm 1, 12-17)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. Mais il m’a été fait miséricorde, car j’avais agi par ignorance, n’ayant pas encore la foi ; la grâce de notre Seigneur a été encore plus abondante, avec la foi, et avec l’amour qui est dans le Christ Jésus.
Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. Mais s’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience, pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui, en vue de la vie éternelle. Au roi des siècles, au Dieu immortel, invisible et unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit » (Lc 15, 1-32)
Alléluia. Alléluia. 
Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !’ Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion.
Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Jésus dit encore : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer.
Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Patrick BRAUD

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