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5 mai 2024

La case vide de l’Ascension

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La case vide de l’Ascension

 

Homélie pour la fête de l’Ascension / Année B 

09/05/24

 

Cf. également :

Ascension : sur la terre comme au ciel
Ascension : apprivoiser la disparition
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : les pleins pouvoirs
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension
Ton absence
Le messianisme du trône vide
Se réjouir d’un départ

 

La circoncision et l’icône

Des amis m’ont raconté récemment la circoncision de leur petit-fils, car leur fille a épousé un juif américain. Belle fête familiale le 8e jour, avec un symbolisme religieux très fort tournant autour de l’Alliance (la circoncision se dit « brit milah » en hébreu = coupure d’alliance). Un détail les a intrigué et amusé : pendant tout le repas, une place est restée vide, avec sa chaise et ses couverts mis, sans que personne n’ose s’y asseoir ni encore moins l’enlever. La case vide de l’Ascension dans Communauté spirituelle icone_pentecote_novgorodOn a demandé pourquoi, et le rabbin a répondu : « c’est la chaise du prophète Élie, qui doit rester vide jusqu’à son retour à la fin des temps ».

Cette histoire d’Élie emporté au ciel par un chariot de feu (2R 2,11) fait irrésistiblement penser à notre récit de l’Ascension (Ac 1,1-11). Les supporters anglais qui chantent à tue-tête : « swing low, sweet chariot », sur les gradins du temple du rugby qu’est Twickenham ne savent pas tous qu’ils chantent pour être eux aussi enlevés au ciel grâce à ce chariot doux et bringuebalant, « coming for to carry me home »…

Comme Élie, Jésus ressuscité est élevé au plus haut ; comme lui il reviendra à la fin des temps ; comme pour lui, sa place à la table de l’Église depuis lors doit rester vide. Il s’agit de ne pas occulter le manque fondamental qui nous constitue comme êtres de désir et d’attente (du retour d‘Élie/du Christ ici).

 

Contemplez l’icône de la Pentecôte. Les Douze sont en arc de cercle autour du vieillard couronné enfermé dans le noir qui représente l’humanité captive. L’Esprit est posé sur chacun des Douze, faisant ainsi de l’Église l’accomplissement des promesses faites à cette humanité.

Le plus curieux est ce trou béant au sommet. 

Il y a comme un passage de cheminée qui coupe l’arc de cercle en deux, en l’empêchant d’être complet. 

Il y a une chaise vide entre les 6 de droite et les 6 de gauche. 

Il y a une brèche, une ouverture par laquelle l’Esprit va se diffuser à toute l’humanité à travers les Douze. 

Ce vide spirituel est celui de l’Ascension, car la place du Christ élevé au plus haut des cieux doit rester inoccupée ici-bas. Il n’est plus ici devant nos yeux, et personne ne doit prendre sa place. L’Église pratique la politique de la chaise vide, jusqu’à la fin des temps !

 

Explorons quelques-unes des significations de cette place vide de l’Ascension pour nous aujourd’hui.

 

1. Une histoire ouverte

71vKtn8quCL._SL1318_ absence dans Communauté spirituelleL’icône est ouverte : grâce à ce vide, l’Église ne forme pas un cercle fermé. Le vieillard captif peut entrevoir le ciel à travers cette ouverture. Et l’Esprit peut descendre sur tous sans que les Douze fassent obstacle.

À l’image du cercle des Douze, notre histoire elle aussi est ouverte. 

En topologie, on dit d’un espace qu’il est ouvert s’il existe en lui une suite convergente dont la limite n’appartient pas à cet espace [1]. Notre histoire est topologiquement ouverte, car la suite de nos moments avec Dieu converge vers un avenir au-delà de l’histoire. 

À l’inverse, une société se ferme lorsqu’elle ne connaît pas d’autres limites que celles qu’elle se choisit [2]. Les idoles individualistes et libérales de l’Occident réduisent leurs citoyens à leur liberté et leur intérêt individuels, sans autre horizon qu’eux-mêmes. Les idoles communistes, nationalistes, ethniques ou musulmanes ne font pas mieux, avec leurs sociétés totalitaires où seules comptent la masse, la nation, l’ethnie, l’Oumma.

 

Depuis l’Ascension, notre histoire est ouverte. Elle est parcourue par un souffle de transcendance qui nous appelle à lever la tête, à regarder au-delà de l’horizon, à discerner les trouées par lesquels l’Esprit du Christ vient en nous. La mort de Jésus a déchiré le rideau du Temple, et les cieux se sont ouverts. Voilà pourquoi nous sommes partisans d’une société ouverte, qui ne boucle pas sur elle-même. La liturgie, l’art, l’émerveillement, la beauté de la nature, l’humilité, la communion amoureuse etc. sont des ouvertures où soudain le ciel se déchire et laisse entrevoir un au-delà de nous-mêmes.

 

Fêter l’Ascension, c’est donc pratiquer des brèches pour nous ouvrir à l’Esprit du Christ ; c’est construire une société ouverte qui ne boucle pas sur elle-même.

 

2. La réserve eschatologique

9782227486041 AscensionUne première conséquence de l’ouverture historique est de ne jamais établir de jugement définitif, ni de savoir éternel. L’histoire n’est pas finie. Il peut arriver tant d’autres choses encore… Ne croyez pas ceux qui vous disent que la monarchie/la république/l’empire/la démocratie/le parti sont indépassables. Ne croyez pas que quelque chose est écrit dans le marbre pour toujours ! Il n’y a rien d’éternel ici-bas. Ce qui a été fait par les hommes aujourd’hui sera défait par eux demain. Ce qui paraît solide va s’écrouler. Ce qui devait durer s’achèvera. Les règnes de 1000 ans sont des cauchemars…

« Elle passe la figure de ce monde » (1Co 7,31). On l’a déjà dit : une vérité est provisoire, en attendant que d’autres vérités l’englobent ou l’effacent. Une vérité est négative, car elle ne peut dire ce qui est vrai, seulement ce qui est faux ; elle reconnaît ne pas savoir encore en plénitude : ce sera seulement ‘à la fin’…

 

En théologie, on appelle cela la réserve eschatologique. Puisque l’histoire n’est pas fermée, bien malin qui pourrait prétendre avoir le dernier mot, le mot final, le mot ultime ! Les chrétiens ont un devoir de réserve qui les empêche d’adhérer totalement aux idéologies de leur temps, car elles ne sont que passagères. Puisque l’Ascension a ouvert une brèche dans les systèmes fermés, nous avons toujours une réserve à émettre dans les obéissances que réclame notre époque. Nous ne sommes jamais libéraux à 100 %, ni démocrates à 100 %, ni partisans à 100 %. Nous avons toujours une double appartenance : l’une, loyale, à la conduite de ce siècle la moins mauvaise possible, et l’autre, fondamentale, au royaume de Dieu qui transcende toute réalisation partielle.

« Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom » dit le psaume (Ps 49,12) : n’imitons pas ces hommes comblés de leurs possessions, car « l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat ».

 

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques
de Giotto à Assise

3. La dénonciation de toute usurpation du pouvoir « au nom de… »
La place du Christ demeure vide depuis son départ vers le Père. Celui qui voudrait s’asseoir à sa place serait donc un usurpateur ! Même le vicaire du Christ ne devrait pas – en théorie – se substituer à lui. On voit que cette place vide sur l’icône est une puissante contestation de toute usurpation du pouvoir « au nom de »…
Au nom du peuple, que de crimes n’a-t-on pas commis !
Au nom de Dieu, que de croisades et d’inquisitions n’a-t-on pas légitimé !
Au nom de la justice, que de vengeances et de représailles !

Un rite liturgique symbolise cette contestation avec force : dans une basilique orthodoxe, le trône du patriarche est toujours au-dessous d’un autre trône, qui reste vide celui-là. C’est le trône du Christ parti auprès du Père, et ce vide préside à toute célébration.
Si quelqu’un prend sa place, comment se laisser guider par le Christ ? Belle contestation de l’usurpation du pouvoir « au nom de… » !
Ainsi, même avec leurs incroyables chasubles d’or et d’argent, leurs couronnes rutilantes, leur air grave et important, les patriarches reconnaissent qu’ils ne sont pas au centre. Car le centre de l’Église est vide depuis l’Ascension, comme était vide le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Ceux qui prétendent parler au nom du Christ en son absence doivent vérifier constamment qu’ils ne prennent pas sa place, qu’ils n’usurpent pas son trône, qu’ils ne lui volent pas la vedette.

Pour nous, citoyens ordinaires, fidèles sans habit chamarré, sa place vide est notre légitimité pour contester toute tyrannie dans la société ou dans l’Église. Elle fonde notre égale dignité, car par elle l’Esprit est répandu sur chacun, et pas sur quelques-uns seulement.

 

4. L’acceptation joyeuse de l’absence

Parle-moi de ton absenceC’est donc une bonne nouvelle que cette place vide !

C’est donc une joyeuse absence que l’absence du Christ ! 

Il avait reproché à ses disciples d’être trop possessifs dans leur attachement à lui : « si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je pars vers le Père ». « Il est bon pour vous que je m’en aille ». Lorsque vous accepterez l’absence comme cette ouverture vers le ciel, alors « votre joie sera parfaite ».

Depuis l’Ascension, il nous est offert de vivre les absences qui nous marquent comme de joyeuses promesses. La plupart des gens pleurent sur eux-mêmes en pleurant leurs morts. Si nous les aimions vraiment pour eux-mêmes, nous nous réjouirions de les espérer en Dieu.

 

Ce parti-pris d’espérance ne vaut pas que pour les êtres qui nous manquent. Il joue aussi dans les situations apparemment sans issue, dans les souffrances insupportables, dans les tyrannies qui n’en finissent pas. L’espérance en un au-delà de l’histoire nous dit que ni les tyrans, ni la souffrance, ni les impasses ne seront éternels. Le mal n’aura pas le dernier mot. Avec cette espérance chevillée au corps, qu’avons-nous à craindre ?

À la mesure des 3,8 milliards d’années de notre Terre et des 4,6 milliards d’années du système solaire, quelle folie d’appeler éternelles des aventures de quelques décennies, siècles ou millénaires ?

 

Le rite orthodoxe évoqué plus haut, qui laisse vide le trône du Christ dans la cathédrale au-dessus de celui de l’évêque, s’appelle hétymasie, du grec ἑτοιμασία = etoimasia = préparer, selon les termes de Jésus dans l’Évangile de Jean : « Je pars vous préparer une place. Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14,2-3). La chaise vide nous rappelle que le Christ est parti nous préparer une place auprès de son Père, et que personne ne doit prendre sa place d’ici là…

 

La place vide de l’Ascension garantit notre place personnelle avec le Christ en Dieu. Si un ami véritable me promet une place gratuite avec lui le long de la Seine pour la cérémonie d’ouverture des JO, je n’irai certainement pas prendre d’autres rendez-vous ce jour-là : je laisserai mon agenda vide et disponible pour profiter de l’aubaine…

L’espérance maintient ouverte notre histoire, notre société.

La désespérance nous replie, nous recroqueville sur nous-mêmes.

Depuis l’Ascension, toutes les absences qui nous taraudent deviennent sources de joie et d’espérance.

 

5. La part du pauvre

Une forme ‘dégradée’ de l’Ascension est la place laissée vide à la table des repas familiaux.

Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

 

Café Suspendu : le plaisir du partageCette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran. Pas tout à fait cependant, comme en témoigne la pratique généreuse des « cafés suspendus », où des clients payent un café ou plat en plus que ce qu’ils ont consommé, afin que le restaurateur l’offre aux plus démunis ensuite…

De manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

 

Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Christ élevé au ciel, que les puissants n’ont pas le droit d’occuper. 

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ? Inviter ceux qui sont seuls à Pâques, à Noël ou autre fête commune est une façon de prolonger cette tradition.

Si l’affamé est une figure du Christ, ne pas lui faire de la place à notre table serait le renier aux yeux de tous. Le Christ de l’Ascension n’est pas localisé ici ou là, il peut surgir à l’improviste où il veut. S’il n’y a pas d’espace libre pour l’accueillir, comment pourra-t-il nous nourrir comme il a fait pour les disciples d’Emmaüs ? La part du pauvre nous appelle à garder du temps, de l’attention, de l’amour pour l’imprévu, pour l’événement. Un agenda rempli à ras bord ne saura pas nous rendre disponibles. Une vie sans vide est un espace fermé sur lui-même, fermé à Dieu. Offrez « un café suspendu », laissez une part du pauvre à votre table, une case vide dans votre agenda, une disponibilité à l’événement.…

 

L’Ascension du Christ possède toutes ces harmoniques et bien plus encore : une histoire ouverte, avec un devoir de réserve qui nous rend libres face aux puissants ; une acceptation joyeuse de l’absence, dans l’espérance ; une part du pauvre qui ouvre le cercle familial, amical ou social.

Pour une fois, faisons l’éloge de cette case vide, et ne la remplissons avec rien ! 

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[1]. Espace ouvert

[2]. Cf. Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (2 tomes).

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
 
PSAUME
(46 (47), 2-3, 6-7,8-9)

R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (46, 6)
Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre,
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Parvenir à la stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 1-13)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. À chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ. C’est pourquoi l’Écriture dit : Il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs,il a fait des dons aux hommes. Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre. Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. Et les dons qu’il a faits, ce sont les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.
 
ÉVANGILE
« Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16, 15-20)

Alléluia. Alléluia. Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus ressuscité se manifesta aux onze Apôtres et leur dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »

Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.
Patrick Braud

 

 

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31 mars 2024

L’esprit, l’eau et le sang

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’esprit, l’eau et le sang

 

Homélie du 2° Dimanche de Pâques / Année B 

Dimanche de la Divine Miséricorde

07/04/24

 

Cf. également :

Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel

Quand vaincre c’est croire

Thomas, Didyme, abîme…
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?

La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société

 

Vite, à la maternité !

Accouchement : les signes annonçant que le travail est proche Tous les jeunes parents ont connu ce moment de stress pour leur premier enfant : la perte des eaux, lorsque soudain la poche intérieure laisse s’écouler ce signe annonciateur d’un accouchement tout proche. Alors, direction la maternité, à toute vitesse ! Et là, le travail d’accouchement fait immanquablement saigner la maman, et plus encore par césarienne. Si bien que parler eau et sang fait remonter à la mémoire l’émotion de ces derniers moments de la grossesse qui sont en même temps les premiers instants d’un bébé nouveau-né…

Jean pensait-il à cet événement au commencement de toute vie humaine lorsqu’il emploie plusieurs fois dans ses écrits l’expression : « l’eau et le sang » ou « le sang et l’eau » ? Ainsi dans notre deuxième lecture : « C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité » (1Jn 5,1–6). Ce qui rappelle les derniers instants de Jésus en croix, où la lance d’un soldat perce son côté pour en faire jaillir « du sang et de l’eau » (Jn 19,34). 

Par la suite, les interprétations du sang et de l’eau se multiplièrent.

 Comme souvent, le texte biblique prend une couleur particulière lorsqu’on l’interprète avec des pistes de lecture différentes. Notre lecture est un filtre polarisant qui sélectionne dans le texte quelques-unes des multiples harmoniques de sens jaillissant du texte, un peu comme un prisme diffracte la lumière blanche en une infinité de couleurs.

Évoquons quelques-unes de ces interprétations traditionnelles du sang et de l’eau, en essayant de discerner en quoi elles nous concernent.

 

1. Lecture réaliste

L’esprit, l’eau et le sang dans Communauté spirituelle lance-croixNous aimons bien en Occident ce premier niveau de lecture, car nous sommes attachés à établir une certaine vérité factuelle. Que s’est-il réellement passé ?

Le coup de lance du soldat est vraisemblable, car c’est un moyen sûr et rapide de vérifier que Jésus est mort en croix (un peu comme un croque-mort !), ou de l’achever sinon. S’il était vivant, il aurait réagi, tressailli. 

Premier problème : la série « Les Experts » (de Miami ou de Manhattan) nous a habitués au constat qu’un cadavre ne saigne pas ! Si le cœur ne bat plus, le sang ne devrait pas jaillir. Certains cardiologues se sont penchés sur la question : il est possible que la flagellation ait provoqué auparavant un hématome interne, une poche d’hémorragie que la lance aurait percée. Surgit alors un deuxième problème : dans ce cas, la lance aurait d’abord dû  traverser la plèvre avant de toucher la poche de sang interne près du cœur. Mais alors ce qui aurait coulé aurait dû être de l’eau et du sang, et non du sang et de l’eau… ! D’ailleurs, le fait que Jean inverse l’ordre dans ses lettres après est troublant : le sang et l’eau, ce n’est pas tout à fait la même chose que l’eau et le sang…
Par contre, Luc mentionne que Jésus a sué « sang et eau » lors de son agonie à Gethsémani, ce qui est sa manière à lui de lier le sang et l’eau à la Passion du Christ : « Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre » (Lc 22,44). Ce lien eau-sang l’intéresse donc, comme médecin sans doute qu’il était [1], mais également comme Jean pour manifester le trait d’union entre les deux.

Difficile donc en suivant Jean de savoir exactement ce qui s’est passé. D’autant que ni Marc, ni Mathieu, ni Luc ne mentionnent ce célèbre coup de lance…

 

Ce que nous appelons aujourd’hui vérité historique, objective et factuelle à l’occidentale, nous échappe ici largement. Quoi qu’en disent les partisans du linceul de Turin par exemple, les textes sur la mort de Jésus ne suffisent pas à confirmer la prétendue authenticité de cette soi-disant preuve de la résurrection. Même la mort physique de Jésus est un objet de foi, sans évidence absolue. Un indice : les musulmans n’y croient pas, et prétendent qu’il y a eu substitution, ou que les témoins ont cru voir Jésus crucifié alors qu’il n’en est rien. « Allah dit : nous avons maudits les chrétiens] à cause leur parole : « Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d’Allah« ... Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude: ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué, mais Allah l’a élevé vers Lui, et Allah est Puissant et Sage » (Sourate 4,157-158).

Et certains textes apocryphes, dont le Coran s’est inspiré, imaginent Jésus endormi dans un sommeil comateux comme en catalepsie, se réveillant ensuite avec l’aide de Nicodème et Joseph d’Arimathie.

 

Ce qui est sûr historiquement, c’est que la mort – réelle ou apparente – de Jésus sur la croix a été une catastrophe pour ses disciples, et un argument contre lui pour ses détracteurs. Ce qui est sûr également, c’est que les premiers chrétiens se sont battus pour affirmer la réalité physique de la mort de Jésus en croix, contre les juifs qui en faisaient un contre-argument (un Messie ne peut être abandonné ainsi par Dieu), contre les hérétiques qui disaient que Jésus avait fait semblant de mourir (les docètes, puis le Coran).

Difficile d’aller plus loin. 

Il faut donc changer de niveau.

 

2. Lecture théologique

CE-182 L'accomplissement des EcrituresLà, l’importance du sang et de l’eau saute aux yeux. Le texte nous donne la clé de voûte de sa construction : « Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture » (Jn 19,36). L’accomplissement des Écritures scande chaque détail du récit : le partage des vêtements, le tirage au sort de la tunique, la soif de Jésus, les soldats ne brisant pas les jambes de Jésus, la lance transperçant le côté etc. « Tout est accompli » : Le leitmotiv de l’auteur est clair : il écrit pour établir que Jésus a voulu « accomplir l’Écriture » jusqu’au bout.

On le comprend. Car vers 90 lorsqu’il rédige, l’auteur du quatrième Évangile est confronté aux réfutations juives expliquant que le Messie biblique ne peut être un condamné à mort maudit par Dieu sur le bois du gibet (Dt 21,23). Il fallait donc montrer que la mort en croix accomplissait les Écritures au plus haut point, de manière paradoxale mais pleine et entière.

 

Accomplir les Écritures de manière paradoxale : n’est-ce pas l’énigme qui nous est soumise lorsque les événements personnelle et les zigzags de l’histoire semblent contredire les promesses de Dieu ?

 

3. Lecture symbolique

 croix dans Communauté spirituelleL’eau et le sang ne sont pas que des réalités physiques. Dans la Bible, l’eau est le symbole de la vie qui jaillit lors de la Genèse. Elle est également symbole de mort au péché lorsque le déluge noie l’humanité perverse. Avoir soif caractérise tout être vivant, et la Bible y voit la trace une soif plus fondamentale, la soif de Dieu. Si bien que Jésus s’est présenté comme la source d’eau vive offerte à chacun pour se désaltérer de la vie divine : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : « de son cœur couleront des fleuves d’eau vive.” » (Jn 7,37–38). Ce texte montre que l’eau coulant du côté transpercé a très vite été perçu comme le fleuve d’eau vive  coulant du Temple de Jérusalem (Ez 47) pour abreuver tout le pays.

 

Le sang dans la Bible est lui aussi symbole de vie : être marqué du sang de l’agneau pascal permet d’échapper à la mort (Ex 12,13). Laisser couler le sang de l’animal égorgé (abattage casher ou halal) manifeste que la vie appartient à Dieu et non à l’homme. L’interdiction de manger le sang (ex : boudin) ou de se taillader les veines relève de ce symbolisme. 

Faire couler le sang revêt encore une autre dimension, sacrificielle : les animaux égorgés au Temple ou ailleurs sont offerts pour les sacrifices rituels afin de d’expier les péchés, pour la rédemption du peuple. Le sang doit couler sur l’autel…

 

Santuario-Ta-Pinu-Gozo-Malta-Misteri-Dolorosi-5-Gesù-è-crocifisso-e-muore-in-croceD-2 eauSaint Augustin superpose à ce premier symbolisme un second : le côté ouvert est pour lui la figure de la naissance de l’Église, Arche de la nouvelle Alliance.

« Un des soldats lui ouvrit (aperuit, traduction de la Vulgate) le côté avec sa lance. L’évangéliste a été attentif au choix du verbe. Il n’a pas dit : il frappa, il blessa le côté ou rien d’analogue ; mais : il ouvrit. Il voulait indiquer qu’à cet endroit, pour ainsi dire, était ouverte la porte de la vie (vitae ostium), par où se sont écoulés les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut entrer dans la vie, dans la vraie vie : ce sang a été répandu pour la rémission des péchés; cette eau se mélange à la coupe du salut, mais elle est à la fois un breuvage et un bain. Ce mystère était annoncé à l’avance par la porte que Noé reçut l’ordre d’ouvrir dans le flanc de l’arche, afin d’y faire pénétrer les êtres vivants, qui ne devaient pas périr dans le déluge : ils étaient la préfiguration de l’Église » (Commentaire sur l’Évangile de Jean).

Pour Augustin, l’Église est née avec l’eau et le sang jaillissant du crucifié. Comme l’Arche de Noé, elle rassemble en elle l’humanité sauvée de la mort grâce au bois de la croix.

 

Vie et salut, l’eau et le sang évoquent également la naissance, l’accouchement, comme on l’a vu. C’est donc de naissance dont il est question sur la croix : naissance du Christ à la vie nouvelle, notre naissance en Dieu avec lui, naissance de l’Église.

 

Contempler l’eau et le sang jaillissant du côté transpercé du Christ nous renvoie donc à la vie et au salut offerts en Jésus. Regarder vers le transpercé est chemin de rédemption, à l’instar des hébreux regardant le serpent de bronze dressé sur le bois pour guérir de leurs morsures (Jn 3,14 citant Nb 21,4-9).

 

Contempler Jésus en croix n’est pas affaire sentimentale : il s’agit de s’abreuver de l’Esprit filial qui l’animait ; il s’agit de laisser son sacrifice nous libérer de nos péchés, afin de vivre libres en lui.

 

4. Lecture sacramentelle

 EgliseLes premiers chrétiens ont tout de suite vu dans l’eau du côté ouvert l’annonce du baptême en Christ, et dans le sang l’annonce de l’eucharistie, communion à la vie du Christ par le calice. D’ailleurs, certaines icônes de la crucifixion représentent une femme (l’Église) avec un calice recueillant le jet de sang et d’eau, tant ces deux sacrements sont constitutifs de l’Église [2]. C’est du côté d’Adam que Dieu avait tiré Ève (Gn 2,21-22) ; c’est du côté de Jésus nouvel Adam que Dieu tire les sacrements, l’Église nouvelle Ève.

 

Ce lien eau–baptême/sang-eucharistie est peut-être la raison de l’inversion des termes entre l’Évangile et l’épître chez Jean : le réalisme physique serait alors dans l’ordre sang puis eau, la lecture sacramentelle inverserait ensuite l’ordre en 1Jn 5,6–8 : l’eau du baptême puis le sang de l’eucharistie (mais comment expliquer que le sang péricardique ait jaillit avant le liquide pleural ?) 

Le baptême fait donc de nous d’autre christs en Jésus le Vivant, et l’eucharistie nous communique sa vie, la puissance de son amour qui va jusqu’à verser son sang pour l’autre.

 

Contempler Jésus en croix c’est revenir à notre baptême (être configuré au Christ) et à notre pratique eucharistique (recevoir de se donner jusqu’au sang) : où en suis-je de la mise en œuvre de ces deux sacrements dans mes choix et mes passions ?

 

5. Lecture mystique

sacre-coeur-jesus-rayons-fond-couleur-aqua_546897-84 EspritL’Occident a développé dès le Moyen Âge une mystique de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, qui voulait se fonder sur le texte de Jean. Ainsi Guillaume de Saint Thierry (XII° siècle) :

« C’est tout entier que je désire voir et toucher, plus encore m’approcher de la sacro-sainte blessure de son côté, de cette porte de l’arche faite au flanc, non pas seulement pour y mettre mon doigt ou ma main, mais pour entrer tout entier jusqu’au Cœur même de Jésus ». Et ailleurs : « Que par la porte ouverte, nous entrions tout entier jusqu’à votre Cœur, Jésus ! ».

Or Jean ne parle pas du cœur, mais du côté (πλευρά, pleura). Et ce n’est pas un cœur ouvert mais un flanc transpercé.

Reste qu’à partir de là (en Occident), on a pensé que la blessure avait été faite à hauteur du cœur. Ce qui est conciliable avec le coup de lance à la droite de Jésus, car la lance traverse le liquide pleural (l’eau) avant de toucher la cavité péricardique (le sang). Demeure le problème de l’ordre de ces deux éléments, qui aurait dû être : l’eau puis le sang.

Marguerite-Marie Alacoque a popularisé au XVII° siècle cette mystique du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial. La pensée contre-révolutionnaire catholique l’a même instrumentalisée en construisant la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre en réparation des péchés commis par la Commune de Paris contre l’Église en 1871…

Cette dévotion est devenue un bien commun des catholiques : « La prière de l’Église vénère et honore le Cœur de Jésus, comme elle invoque son très saint Nom. Elle adore le Verbe incarné et son Cœur qui, par amour des hommes, s’est laissé transpercer par nos péchés » (Catéchisme de l’Église Catholiquen° 2669).

 

Le thème mystique du Cœur de Jésus correspondait à l’époque à un besoin de tendresse, de miséricorde dans un catholicisme fait d’obligations et de rigueur. Jean-Paul II a essayé  d’actualiser cette intuition en faisant de notre deuxième dimanche de Pâques le « dimanche de la Divine Miséricorde », justement en lien avec le côté transpercé/cœur ouvert de Jésus.

 

Plutôt qu’une dévotion au Cœur de Jésus (avec tous les risques de déviations psychologiques ou autres), une lecture plus authentiquement mystique prônerait l’union à Jésus crucifié par amour : se laisser transpercer pour répandre la vie et le salut autour de soi…

 

6. Lecture christologique

71dKNWxZaXL._SL1500_ sangL’eau et le sang jaillissant sont le signe que l’Esprit « qui donne la vie (Credo) » est celui du Fils tout autant que celui du Père. L’Esprit Saint est celui qui actualise (dans l’Église de manière privilégiée, mais pas exclusive) la vie du Christ en nous. La foi chrétienne est la participation à ce mystère du Christ, grâce à son Esprit répandu en nos cœurs. 

On ne peut séparer l’Esprit de Jésus, ni Jésus de l’Esprit. La controverse du Filioque (VIII°-XI° siècles) traduira l’importance que l’Occident accorde au lien Christ-Esprit, à égalité du lien Père-Esprit, alors que l’Orient met l’accent sur la prééminence du Père (monarchianisme) sur le Fils. 

 

Au-delà de ces polémiques, l’enjeu est de lier indéfectiblement Jésus à l’Esprit qui l’animait : s’il le répand sur la croix, c’est que toute son existence en découlait, et c’est ainsi que nous pourrons le suivre.

 

7. Lecture anthropologique

L’homme est pleinement révélé à lui-même en Jésus le Christ. Le côté transpercé du condamné nous révèle ce qui nous structure au plus profond de nous-mêmes : nous sommes faits pour nous livrer, en nous exposant ainsi à être blessés par amour, afin de donner la vie (l’eau) et le salut (le sang) du Christ autour de nous. 

La plénitude d’une vie humaine est de se donner – par le Christ, avec le Christ et en Christ – jusqu’à verser notre sang pour l’autre, fut-il notre ennemi.

 

8. Lecture spirituelle

Comme l’écrit Jean, l’eau et le sang convergent vers une seule source : l’Esprit de Dieu. « Les trois ne font qu’un » (1Jn 5,8). Communier au Christ, c’est laisser l’Esprit qui l’animait devenir notre principe de vie, notre souffle intérieur, notre identité la plus intime. Se laisser conduire par l’Esprit du Christ nous fait devenir fils dans le Fils, enfants de Dieu en vérité. 

La vie spirituelle c’est cela : se laisser conduire par l’Esprit du Christ jusqu’à devenir Dieu par lui, avec lui et en lui.…

 

Toutes ces lectures n’épuiseront pas celle que vous pourrez faire aujourd’hui en contemplant l’eau et le sang jaillissant du côté transpercé du crucifié.

À chacun de laisser ce coup de lance ouvrir en lui le chemin vers la source d’amour qui jaillit pour ses proches…

_________________________________________

[1]. Ce phénomène médical existe bel et bien. Il est appelé hématidrose.

[2]. C’est vers 1180-90 que le Graal de Chrétien de Troyes reprendra la tradition orale du Sang Real, le Sang Royal du Christ, recueilli dans la coupe par la Dame Église, déformé phonétiquement en San Greal, d’où Saint Graal.

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
«Un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32-35)

 

Lecture du livre des Actes des Apôtres

La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.

 

PSAUME
(117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! ou : Alléluia ! (117,1)

 

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !

 

Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !

 

Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.
Il m’a frappé, le Seigneur, il m’a frappé,
mais sans me livrer à la mort.

 

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » (1 Jn 5, 1-6)

 

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.

 

ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
 Patrick Braud

 

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10 mars 2024

Agonistique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Agonistique

 

Homélie pour le 5° Dimanche de Carême / Année B 

17/03/2024

 

Cf. également :
 
Va te faire voir chez les Grecs !

Grain de blé d’amour…
La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Le jeu du qui-perd-gagne
Quels sont ces serpents de bronze ?

Dieu est un trou noir

 

1. Les Jeux agones

Agonistique dans Communauté spirituelleNos Jeux Olympiques Paris 2024 vont débuter le 26 juillet. Ce sont les héritiers des anciennes compétitions organisées par la ville grecque d’Olympie tous les 4 ans. Ces Jeux ont été créés au cours du VIII° siècle avant J.-C., en l’honneur du dieu Zeus. Ils durèrent environ 1000 ans, jusqu’en 393, date des dernières Olympiades (car l’empire devenu chrétien a abandonné les cultes des idoles grecques et romaines). Ces jeux antiques étaient appelés λυμπιακο γώνες  (olympiakoi agōnes), littéralement « Agones Olympiques » : le terme grec γν (agōn) signifie combat, lutte. Les épreuves étaient désignées par ce terme : ππικο γνες (hippikoì agỗnes, courses de chevaux), γυμνικοί γνες (gumnikoí agỗnes, athlétisme) etc. Contrairement à la devise moderne de Pierre de Coubertin (« L’important, c’est de participer »), l’important dans ces jeux antiques était de combattre jusqu’à la victoire. L’agonistique était alors la discipline qui concernait les sports de combat et les épreuves olympiques. En français, le terme est resté pour désigner une attitude combative qui va jusqu’au bout, jusqu’à la mort s’il le faut.

 

Pour les chrétiens, agōn fait immédiatement penser à l’agonie de Jésus à Gethsémani. Là, sur le Mont des Oliviers, il se bat en lui-même pour rester fidèle à sa mission alors que l’infamie du supplice de la croix se profile. Et c’est un sacré combat intérieur : ne pas fuir, faire face, donner sa vie, jusqu’au bout, sans haine, par amour. Ce combat, cette agonie est tellement violente que Jésus en transpire du sang et de l’eau. Il est comme pressuré, vidé par cette déchirure intérieure : sauver sa peau en rentrant dans le rang, ou se ranger du côté des exclus au prix de son honneur, de sa dignité, de sa vie.

Les Jeux agones de Jésus se déroulent à Gethsémani…

 

Sauf pour Jean ! Comme souvent très différent de Mt/Mc/Lc, Jean ne raconte pas dans l’évangile de ce dimanche (Jn 12,20-33) cette scène à Gethsémani, mais à Jérusalem au moment où Philippe et André transmettent à Jésus le désir des Grecs de le connaître. Jésus répond : pas seulement les Grecs, mais le monde entier sera attiré par le Christ « élevé de terre ». Entre les deux, il y a la croix : « il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir ». Alors Jean transfère ici l’agonie que les trois autres situent à Gethsémani : « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! ».

 

 agonie dans Communauté spirituelleCette agonie johannique vise l’universalité de la croix–résurrection, alors que l’agonie à Gethsémani chez les synoptiques visait la fidélité du fils au désir de son Père d’aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus.

 

Entrer en agonie et devenir universel sont liés : ceux qui rêvent de porter du fruit sans accepter d’être mis en terre se font illusion. La couronne de lauriers admirée par tous dans le stade ne s’obtient pas sans une rude ascèse de l’athlète sacrifiant une existence facile à sa quête de victoire. Paul s’exprimera ainsi – en des termes quasi olympiques – à la fin de sa vie : « J’ai mené le bon combat (agōn), j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4,7). C’est « le bon combat de la foi » (1 Tm 6,12) que Paul a mené tout au long de ses voyages à Philippes (Ph 1,3), Colosse, Laodicée (Col 2,1), Thessalonique (1 Th 2,2) et tout autour de la Méditerranée, afin justement de rendre l’Évangile universel. Il encourage les Hébreux à persévérer dans ce marathon de la foi, en combattant le péché en eux (He 12,1).

 

2. Entre deux services

L’agonie johannique est située entre le repas à Béthanie (Jn 12,1-11) et la Cène (Jn 13), entre deux repas donc. Et aussi entre deux services liés à ces repas : le service de Marthe qui les servait (διηκόνει, du verbe diakoneo) à table, et le service de Jésus s’abaissant au rang de domestique lavant les pieds des convives.

onction bethanieLa première figure du service chez Jean est féminine (comme l’était la belle-mère, première servante chez Marc ; Mc 1,31) : Marthe de Béthanie est la première diaconesse  de l’Église pour Jean. Cette figure de la diaconie est redoublée par celle de sa sœur Marie, oignant les pieds de Jésus avec un parfum précieux.

Jésus assume cette part féminine de sa vocation messianique en servant ses disciples à table, et en lavant leurs pieds avec l’eau précieuse du baptême. Marie les essuyait avec ses cheveux, Jésus le fait avec un linge (ἱμάτιον, himation : le mot fait allusion au manteau de pourpre ironique dont on a affublé Jésus lors de sa Passion en Jean 19). Le parallélisme est frappant.

 

Il y a donc comme une inclusion entre ces deux repas de Béthanie et de la Cène, qui se font miroir, et où Jésus reprend la diaconie de Marthe et Marie pour la situer en Dieu même.

Au milieu, il y a l’agonie. C’est donc que le service est un combat, et que le combat de la foi est pour servir. D’ailleurs, il n’y a que trois usages du verbe διακονω, servir (diaconie) chez Jean : un pour Marthe (Jn 12,2), et deux pour l’agonie : Jn 12,26.

Diaconie et agonie sont inséparables. Celui qui veut servir devra apprendre à se détacher de ses œuvres, de sa gloire personnelle, de sa vie même. « Qui veut garder sa vie la perdra, qui la donne avec moi la trouvera ». Il sera entraîné sur un chemin de dépossession, de mort à soi-même, dont la mort physique ne sera que l’ultime étape. Et réciproquement : celui qui veut mener le combat de la foi (djihad en arabe) ne sera ni violent ni puissant, mais serviteur.

 

Jésus à l'agonie en prière dans le jardin des olives avant sa crucifixion - 72813916Qui mieux que Jésus de Nazareth a incarné ce lien entre diaconie et agonie ?

Comment dès lors les chrétiens ne seraient-ils pas eux aussi configurés au Christ en agonie, s’ils ont vraiment la Passion de servir ? C’est ce qu’écrivait Blaise Pascal avec génie : « le Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde ».

Les persécutions anti-chrétiennes actualisent dramatiquement ce climat agonistique dans lequel les baptisés veulent malgré tout servir l’homme, tout homme, tous les hommes (Cf. le rapport de l’association ‘Porte ouvertes’ dénombrant 365 millions de chrétiens persécutés dans le monde fin 2023).

Mais notre agonie ordinaire est moins visible : utiliser notre argent, nos relations, nos talents, nos responsabilités, notre métier etc. non pas pour nous servir mais pour servir les autres – et Dieu en premier – est un combat intérieur si exigeant ! On stigmatise (à raison hélas !) les politiques trop nombreux qui recherchent leur intérêt individuel, leur gloire, leur pouvoir au lieu de chercher le bien-être de leur peuple. Ayons également le courage de nous examiner : servir est-il réellement le combat de notre vie ?

 

3. Jésus troublé

Dans ce combat pour demeurer le serviteur, Jésus est troublé (ταρσσω, tarassō) (Jn 12,27). Ce n’est pas le sang et l’eau du Gethsémani des synoptiques. Mais c’est le trouble de l’agonie chez Jean, qui prend soin de le répéter à nouveau pendant la Cène, faisant ainsi un lien supplémentaire entre les deux épisodes : « Après avoir ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit, et il rendit ce témoignage : “Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera.” » (Jn 13,21). Être livré par un de ses meilleurs amis est un trouble existentiel : que vaut ma vie si ceux qui disent m’aimer me trahissent, m’abandonnent ?

C’était le trouble que Jésus avait déjà ressenti en voyant Marie (toujours elle !) pleurer la mort de son frère Lazare : « Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut troublé » (Jn 11,33).

Ce trouble de l’agonie est lié à la perte de ses amis – l’un meurt, l’autre trahit – ou à leur  détresse (Marie pleurait). L’heure qui s’approche est celle de la Passion, avec sa solitude, sa déréliction. Devant l’infamie de la croix, les amis s’enfuient (sauf les femmes !), la foule se moque et insulte, et Dieu lui-même semble se dérober, abandonnant la chair de sa chair.

Bezatha piscineLe trouble agonistique de Jésus renvoie encore à l’agitation des eaux de la piscine de  Bethzatha. C’est le même verbe ταράσσω qui est employé par Jean pour décrire l’agitation intérieure de Jésus dans son agonie et l’ébullition de l’eau dans la piscine miraculeuse : « Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau est troublée » (Jn 5,7). Ce trouble conduit à la guérison pour les malades, et à la résurrection pour Jésus. L’eau troublée dans la piscine est remplacée par Jésus troublé en son agonie…

Se laisser ainsi troubler par Dieu est la marque de sa puissance de résurrection à l’œuvre en nous. À l’image de la femme qui met tout sens dessus dessous en remuant la poussière de sa maison pour retrouver la pièce d’argent égarée (Lc 15,8), Dieu nous trouble en notre for intérieur pour nous amener à choisir le bon combat, pour nous guérir de nos attachements maladifs, pour nous ressusciter avec le Christ. C’est déjà le lien agonie–gloire qui est affirmée dans ce trouble de Jésus, qu’il va expliciter plus loin en promettant la gloire à ceux qui serviront jusqu’au bout.

Qui de nous, s’avançant sur le chemin de cette agonie–service, ne ressentira pas tôt ou tard cette détresse intérieure ? « Mon esprit est abattu au dedans de moi, Mon cœur est troublé dans mon sein » (Ps 143,4). « Mon âme est troublée. Et toi, Seigneur, que fais-tu ? » (Ps 6,3–4).

Qui ne sera pas troublé par l’arrachement à soi-même qui attend tout serviteur fidèle ?

C’est pourquoi le Ressuscité dira par deux fois à ses amis : « que votre cœur ne se trouble pas » (Jn 14,1.27). Il sait de quoi nous sommes pétris. Sa victoire sur la mort est notre garantie : servir jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême (Jn 13,1) est un combat qui peut devenir angoissant, mais qui en Christ est déjà couronné de succès.

Rien à craindre fondamentalement donc, sinon la peur d’avoir peur…


4. Du service à la gloire : la gloire, c’est de servir…Lavement des pieds - Corinne SIMON CIRIC

Qu’est-ce que cette gloire ? En grec, le mot δξα (doxa) désigne ce qui est lourd, dense, grave. Parler de la gloire de Dieu, c’est donc dire que Dieu est lourd, pesant. Non pas qu’il ait besoin de faire un régime ! Mais la lourdeur, la pesanteur de Dieu, c’est une certaine densité d’être qui fait que sa vie a du poids, a de la consistance.

La gloire de YHWH est une densité d’être, une plénitude de vie. C’est en même temps une force d’attraction considérable, à la manière d’une force gravitationnelle : ce qui est dense attire à lui tous les objets à proximité, comme un trou noir en physique attire particules, atomes, lumières et corps célestes. D’où la parole de Jésus : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ».

 

Diaconie agonie gloireDiaconie–agonie–gloire : servir est un combat où nous recevons une densité d’être, une plénitude de sens et de vie qui nous fait ressembler à Dieu, qui fait de nous des dieux, selon la parole du Psaume 82,6 que Jésus aimait à rappeler : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? » (Jn 10,34).

Diaconie–agonie–gloire : la voie de la divinisation repose pour Jean sur ces trois piliers inséparables.

La séquence n’est d’ailleurs pas linéaire, mais plutôt systémique. Des moments de transfiguration glorieuse nous sont donnés pour affermir notre courage à servir, des combats qui nous tiennent à cœur nous transforment peu à peu en serviteur authentique, et la beauté de la vie en Dieu transparaît déjà en filigrane dans l’agonie de ceux qui persévèrent dans le service de leurs semblables…

 

Lorsque l’agonie du Christ deviendra la nôtre, laissons-nous attirer par la figure du service qu’il a su incarner jusqu’au bout, de façon agonistique, jusqu’à l’extrême.

 


God’s gonna trouble the water
Dieu va troubler cette eau (pour donner la guérison, la vie)

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

 

Lecture du livre du prophète Jérémie

Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte : mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’étais leur maître – oracle du Seigneur.

Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.

 

PSAUME
(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

 

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

 

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

 

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

 

Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

 

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. 

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. 

Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. (Jn 12, 26)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir.

Patrick BRAUD

 

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14 janvier 2024

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

 

Homélie pour le 3° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

21/01/2024

 

Cf. également :
Que nous faut-il quitter ?
Il était une fois Jonas…
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
La « réserve eschatologique »
De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
La soumission consentie
Les 153 gros poissons
La seconde pêche
Secouez la poussière de vos pieds

Êtes-vous éco-anxieux ?
Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé dans Communauté spirituelle
Une enquête Ipsos du 25/10/2023 chiffre à 80% la proportion de français se disant atteints d’éco-anxiété, qui désigne l’angoisse face à l’avenir climatique de la planète. Il n’était que 67% en septembre 2022 : le moral ne s’améliore donc pas… Les jeunes générations paraissent particulièrement touchées par cette peur de l’avenir, au point parfois de ne plus vouloir voyager en avion, ni même avoir d’enfant !
On nous annonce qu’à la fin du siècle les 1,5 degrés maximum d’augmentation de l’Accord de Paris (COP 21) ne seraient pas tenus : ce sera plutôt 3 ou 4 degrés. Les médias nous inondent d’images catastrophiques liées à ce réchauffement : typhons, sécheresses, inondations, fonte des glaciers, chute de la biodiversité etc.

Comment réagir face à ce malheur annoncé ? Selon Ipsos, c’est d’abord la colère qui prédomine (30%), et la peur (34%). Certains baissent les bras et dépriment (14%).

Et vous : êtes-vous éco-anxieux ? Quels sentiments cela suscite-t-il en vous ?

Si le dérèglement climatique n’est pas votre peur principale, identifiez celle qui est majeure pour vous : peur d’une troisième guerre mondiale contre Russie-Chine-pays islamiques ? Peur de mal vieillir et d’une fin dégradante ? Peur d’une séparation que vous sentez venir ?…

 

Soyons honnêtes : il est difficile de vivre sans peurs, individuelles et/ou collectives.

Que faire alors de nos angoisses ? Peuvent-elles devenir utiles et fécondes ?

L’histoire de Jonas à Ninive dans notre première lecture (Jon 3,1-5.10) est à cet égard très pertinente, et rejoint le sens de la conversion tel que le proclame Jésus dans notre Évangile (Mc 1, 14-20) : « le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».

Voyons comment.

 

Jonas le collapsologue

« Encore 40 jours et Ninive sera détruite ! »

Bigre : voilà un avertissement qui fait froid dans le dos. Jonas est le prophète du malheur qui vient. Il annonce l’effondrement (collapse en anglais) de la cité la plus puissante de la région.

Transposez au domaine de l’écologie : Jonas est remplacé par le Club de Rome des années 70, qui préconisait une croissance zéro pour essayer d’éviter la catastrophe d’un effondrement général de l’économie mondiale vers 2030 !

L’université du MIT a publié en 1972 le fameux Rapport Meadows, modèle mathématique de la croissance qui prédisait un effondrement planétaire à partir des années 2020–2030.

Meadows Collapse 2030 

Les collapsologues, partisans de cette théorie du crash mondial, ont depuis peaufiné leur modèle. Tel Jonas dans Ninive, ils parcourent les sommets mondiaux pour crier : « notre Terre brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac). Telle Greta Thunberg tonnant contre l’inaction coupable des grands de ce monde, les collapsologue veulent convaincre de la certitude de la catastrophe à venir, et changer de système avant qu’il ne soit trop tard.

 

Les plus anciens d’entre nous se souviendront du contexte de guerre froide dans lequel se déroulait le concile Vatican II (1962-65), avec la peur d’un conflit nucléaire Est-Ouest qui pouvait anéantir l’humanité. Pourtant, Jean XXIII lorsqu’il a convoqué ce concile récusait par avance les faux prophètes de malheur qui finiraient par précipiter la catastrophe proclamée :

« Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de notre ministère apostolique nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux manquent de justesse, de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés; ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre. Il Nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin ».

 

Jonas-300x211 catastrophisme dans Communauté spirituelleJonas est malheureux, car il sait bien que si Ninive en réchappe ce sera la fin du privilège du salut pour Israël (et c’est bien ce qui est arrivé avec l’Église !). C’est pourquoi il bâcle sa mission prophétique en parcourant Ninive en un jour seulement au lieu des trois jours normalement nécessaires pour la traversée. Autrement dit, il n’a pas envie que les Ninivites entendent vraiment son avertissement. Il espère secrètement que ces maudits païens idolâtres et sanguinaires n’écouteront pas et seront engloutis par la ruine qui vient.

Une autre interprétation – plus bienveillante – est qu’il a tellement conscience de l’urgence du message à transmettre qu’il met les bouchées doubles (triples) pour laisser à  Ninive le temps de réagir.

Mais Jonas le collapsologue reste là, pétrifié par le message qu’il vient de crier. Il voulait faire peur – et il y est parvenu – sans pour autant indiquer un chemin pour éviter le malheur tout proche. Il est comme le lapin figé dans le faisceau des phares d’une voiture déboulant sur lui. Proclamer que la fin est proche peut tétaniser, ou provoquer fatalisme et résignation, ou noyer dans une explication coupable. Le pire est que ces prophéties de malheur sont souvent auto-réalisatrices ! Les Anglais parlent de self-fullfilling prophecy, c’est-à-dire d’une annonce qui s’accomplit elle-même par le seul fait de la proclamer. On parle aussi d’énoncé performatif, en référence à la théorie du langage performatif de Tracy Austin (« Quand dire, c’est faire »). Un peu comme une prévision boursière peut provoquer un chaos financier par le seul fait d’être publiée par un organisme digne de confiance.

 

Jonas le collapsologue est la figure des prophètes de malheur actuels qui désespèrent au lieu de réveiller, qui paralysent au lieu de mobiliser.

Heureusement, il y a Ninive !

 

Ninive la catastrophiste éclairée

Que font les Ninivites en entendant Jonas ?
Le prophète Jonas rejeté sur le rivage de Ninive par le poisson, peinture sur manuscrit, Hortus Deliciarum par Herrade de Landsberg (vers 1180).« Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne [1], et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac ».

Ils établissent donc le lien entre leur comportement et la catastrophe qui s’approche. Car Ninive était idolâtre (Ninive signifie « maison de la déesse Ishtar »), débauchée (prostitution sacrée), sanguinaire (massacres épouvantables de cités ennemies, adonnée à la magie-divination), et riche à l’écœurement (palais somptueux, jardins suspendus, bibliothèque incroyable etc.). Les Ninivites ont corrigé d’eux-mêmes le message de Jonas : « Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite ». Ils abandonnèrent leur mauvaise conduite, et eurent la vie sauve.

Ce salut n’est pas pour autant garanti pour toujours : Ninive entendit la prédication de Jonas vers -800. Elle est retombée ensuite dans ses errements, et le livre du prophète Nahum décrit sa chute, sa destruction complète (en -612) jusqu’à être enfouie sous des tonnes de terre et oubliée pendant des siècles :

Maintenant je m’adresse à toi, Ninive – oracle du Seigneur de l’univers – : Je ferai flamber tes chars et les réduirai en fumée ; tes lionceaux, l’épée les dévorera. Je supprimerai de la terre tes rapines, et l’on n’entendra plus la voix de tes messagers. Malheur à la ville sanguinaire toute de mensonge, pleine de rapines, et qui ne lâche jamais sa proie » (Na 2,14-3,1).

 

61CIvqbbMjL._SL1318_ collapsologie« Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite » : c’est ce que Jean-Pierre Dupuy (polytechnicien et professeur à Stanford) appelle le catastrophisme éclairé : prêcher la venue d’un malheur – écrit-il – empêche qu’il advienne. À condition que la peur suscitée soit forte et radicale. C’est une performativité à l’envers en quelque sorte : énoncer le danger oblige à le conjurer.

Pour que les hommes changent radicalement de comportement (ce qui empêche la venue de la catastrophe), il faut qu’ils soient certains que la catastrophe va arriver. Sinon, ils en restent à des demi-mesures qui restent inutiles.

Jean-Pierre Dupuy réfléchit sur le destin apocalyptique de l’humanité. Celle-ci est devenue capable au siècle dernier de s’anéantir elle-même, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l’altération des conditions qui sont nécessaires à sa survie. Le franchissement de ce seuil était préparé depuis longtemps, mais il a rendu manifeste et critique ce qui n’était jusqu’alors que danger potentiel. Nous savons ces choses, mais nous ne les croyons pas. C’est cela le principal obstacle à une prise de conscience. Théoricien du catastrophisme éclairé, il s’oppose au fatalisme des collapsologues qu’il juge dangereux à cause de l’idée que la population peut se faire de l’avenir. Pour lui, l’effondrement est possible, mais pas certain. La catastrophe ne doit pas être présentée comme inévitable.

S’il établit le même constat catastrophiste que les collapsologues, il précise que, selon lui, la catastrophe n’est pas certaine du tout. C’est ce qu’il appelle « le point de divergence fondamental » :

« Si on dit que la catastrophe est certaine, on mésestime quelle peut être la réaction des gens face à cela dès lors que l’on pense que c’est certain. Au point qu’une date est donnée pour confirmer cette certitude. C’est comme si nous connaissions la date de notre propre mort au titre individuel, en réalité ça gâcherait complètement notre vie ».

Donner une date pour la fin est une erreur fondamentale commise par beaucoup de lanceurs d’alertes.

Le collapsologue cite le psychiatre et philosophe Karl Jaspers qui l’a beaucoup influencé. Voici ce qu’il disait en 1948, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale :

« Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son arrivée, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous mène sans le vouloir à la guerre ».

« Les deux certitudes, ajoute-t-il, qu’elles soient pessimiste et optimiste, sont dans tous les cas à éviter complètement car seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout son possible pour l’exorciser ».

 

Le pape François ne disait rien d’autre avant la COP 28 où il voulait se rendre à Dubaï en décembre 2023 :

« Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique ».

 

Et Jésus lui-même couronnera en quelque sorte la réaction salutaire des Ninivites leur permettant d’échapper à la catastrophe : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

 

Ayez le courage d’avoir peur !

51AQX8YXWSL._SY466_ DupuyLe catastrophisme éclairé dans sa version évangélique serait plutôt une euphorie efficace ! Car Jésus prêche le royaume de Dieu tout proche, et non un effondrement terrible. Il invite à accueillir le don gratuit en lui faisant de la place en nos vies, en nos cœurs : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! ». Il libère la capacité d’agir en ce sens, en appelant aussitôt Simon et André à le suivre, puis Jacques et Jean.

Autrement dit : le bonheur qui vient transforme notre conduite, nous provoque à quitter ce qu’il nous faut quitter, à suivre ce qu’il nous faut suivre.

Et si vous n’avez pas le courage d’accueillir ce bonheur qui vient, alors au moins bougez-vous par peur de ce qui arriverait autrement. Retrouvez le courage d’avoir peur [2] et alors vous aurez la force de rompre avec ce qui vous lie, et de choisir qui vous voulez servir.

Si Jésus pratique l’euphorie efficace, il manie également le catastrophisme éclairé : si vous ne vous convertissez pas par amour, faites-le au moins par peur : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

Ce catastrophisme éclairé vaut pour le climat, mais aussi pour votre couple, votre entreprise, votre santé physique et spirituelle…
Alors, finalement : quelle peur vous sera réellement utile ?

 ________________________________________

[1]. En mémoire de cette conversion, les chrétiens d’Irak (où est la ville de Mossoul, proche de l’ancienne Ninive) font encore pénitence annuellement trois jours, du lundi au jeudi de la troisième semaine avant le grand Carême. Ce jeûne de repentance que l’on appelle Supplications ou Rogations des Ninivites, continue à être fidèlement pratiqué chaque année depuis 2 500 ans.

[2]. Marie-Dominique Molinié, Le Courage d’avoir peur, Poche, 2017.


 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas
La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac.
En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés.
 
PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.
 
ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia. Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

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