Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Homélie du Dimanche de Pâques 08/04/2012
Le blanc est sa couleur.
Si on la fête avant les Rameaux, c’est qu’un heureux événement s’annonce.
Elle est au tison si Noël est au balcon.
Dans certaines régions, elle a ses gâteaux dédiés.
Elle avait ses vacances scolaires avant que le dieu du printemps ne vienne les lui dérober.
Elle garde cependant ses oeufs, ses cloches, ses lapins, sa friture, ses chocolats…
Elle, c’est bien sûr la fête de Pâques qui réjouit toutes les Églises ce dimanche, et bien au-delà.
Elle est tellement passée dans la culture ordinaire qu’on n’en oublierait presque son côté contestataire et rebelle.
Contestataire, parce que proclamer qu’il existe une vie après la mort remet en cause bien des ordres établis, bien des objectifs purement humains, trop horizontaux.
Rebelle, parce que c’est un criminel, un maudit – ou du moins jugé comme tel – qui franchit le premier le mur de la mort. Pâques n’est pas le gentil happy end hollywoodien d’une série télévisée que les metteurs en scène français auraient arrêté au calvaire…
C’est le renversement de l’ordre des choses annoncé dans le Magnificat de Marie.
Oui, Dieu disperse les superbes, Hérode ou Caïphe ou Ponce Pilate ; il élève les humbles, et Jésus est l’humble par excellence. Dieu comble de bien les affamés ; et Jésus a faim et soif de justice plus que tout autre. Dieu renvoie les riches les mains vides ; et Jésus est le pauvre par excellence. Dieu se souvient de son amour, ce qui le pousse à ne pas laisser son fils bien-aimé au séjour des morts.
Fêter Pâques ne pourra donc jamais se fêter tranquillement, enveloppé d’un confort trop douillet pour ne pas en être anesthésiant. Pâques se fête toujours les sandales aux pieds, le bâton à la main, la ceinture autour des reins : à l’image de la Pâque juive à laquelle elle doit tout et qu’elle accomplit au plus haut point, la Pâque chrétienne est en chemin, d’une rive à l’autre.
Cela a une formidable saveur d’éternité, puisque la victoire de cet homme sur la mort résonne comme la promesse de la nôtre. Cela a en même temps un goût d’inachevé, car il ne nous est pas encore donné d’y entrer pleinement. Même notre pâque personnelle que sera notre mort devra encore attendre la pâque universelle que sera la résurrection des morts et « la vie du monde à venir ».
Pendant les trois premiers siècles, les catéchumènes savaient d’expérience que leur véritable baptême aurait lieu dans l’arène avec les bêtes, et que la vraie célébration de Pâques serait l’offrande qu’ils feraient de leur vie, broyés par les mâchoires des lions, raillés et méprisés par les foules des gradins…
Les baptisés de la nuit pascale ne se faisaient guère d’illusions sur leurs chances de fêter leur anniversaire de baptême bien au chaud devant une table d’abondance. La pâque liturgique annonçait celle du martyre. Le repas pascal se prolongeait dans le festin des bêtes. Le passage du Christ de ce monde à son Père ouvrait une brèche pour tous les condamnés qui allaient bientôt le suivre dans ce pèlerinage sanglant.
« J’écris à toutes les Églises : je mande à tous que je mourrai de grand c?ur pour Dieu, si vous ne m’en empêchez. Je vous en conjure, épargnez-moi une bienveillance intempestive. Laissez-moi devenir la pâture des bêtes : c’est par elles qu’il me sera donné d’arriver à Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour devenir le pain immaculé du Christ. Caressez-les plutôt, afin qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps. Les funérailles ne seront ainsi à charge à personne. C’est quand le monde ne verra même plus mon corps, que je serai un véritable disciple de Jésus-Christ. Priez le Christ de daigner faire de moi, par la dent des fauves, une victime pour Dieu. Je ne vous donne pas des ordres, comme Pierre et Paul : ils étaient des Apôtres, et moi je ne suis qu’un condamné, ils étaient libres, et moi, jusqu’à présent, je suis esclave ; mais la mort fera de moi un affranchi de Jésus-Christ en qui je ressusciterai libre. Pour le moment j’apprends dans les fers à ne rien désirer. (?) C’est en pleine vie que je vous exprime mon ardent désir de la mort. Mes passions terrestres ont été crucifiées, et il n’existe plus en moi de feu pour la matière ; il n’y a qu’une « eau vive », qui murmure au-dedans de moi et me dit : « Viens vers le Père! » Je ne prends p1us de plaisir à la nourriture corruptible ni aux joies de cette vie : ce que je veux, c’est « le pain le Dieu », ce pain qui est la chair de Jésus-Christ, « le fils de David »; et pour breuvage je veux son sang, qui est l’amour incorruptible »
Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains avant sa mort vers l’an 107.
Il suffit de parcourir une carte du globe pour deviner les pays, les villes où Pâques comporte toujours ce risque d’être persécuté pour cette formidable espérance.
Les belles étoffes liturgiques, les calices étincelants et les processions imposantes ne pourront jamais faire oublier le risque existentiel lié à Pâque, qui n’est décidément pas une fête sucrée…
Cela donne un certain mélange d’allégresse et d’impatience, de chant de victoire et de plainte devant tant de combats encore à mener.
Reste cette formidable espérance qu’autrefois Roger Garaudy réclamait aux chrétiens, peut-être un peu trop tièdes pour être à la hauteur d’un tel événement :
« Environ sous le règne de Tibère, nul ne sait exactement où ni quand un personnage dont on ignore le nom a ouvert une brèche à l’horizon des hommes.
C’était sans doute ni un philosophe ni un tribun, mais il a dû vivre de telle manière que toute sa vie signifiait: chacun de nous peut, à chaque instant, commencer un nouvel avenir.
Des dizaines, des centaines peut-être, de conteurs populaires ont chanté cette bonne nouvelle. Nous en connaissons trois ou quatre.
Le choc qu’ils avaient reçu, ils l’ont exprimé avec les images des simples gens humiliés, des offensés, des meurtris, quand ils rêvent que tout est devenu possible: l’aveugle qui se met à voir, le paralytique à marcher, les affamés au désert qui reçoivent du pain, la prostituée en qui se réveille une femme, cet enfant mort qui recommence à vivre.
Pour crier jusqu’au bout la bonne nouvelle, il fallait que lui-même, par sa résurrection, annonce que toutes les limites, la limite suprême, la mort même, ont été vaincues.
Tel ou tel érudit peut contester chaque fait de cette existence, mais cela ne change rien à cette certitude qui change la vie. Un brasier a été allumé. Il prouve l’étincelle ou la flambée première qui lui a donné naissance.
Ce brasier, ce fut d’abord une levée de gueux, sans quoi, de Néron à Dioclétien, « l’establishment » ne les aurait pas frappés si fort.
Chez cet homme l’amour devait être militant, subversif, sans quoi, lui, le premier, n’aurait pas été crucifié.
Toutes les sagesses, jusque-là méditaient sur le destin, sur la nécessité confondue avec la raison. Il a montré leur folie, Lui le contraire du destin. Lui, la liberté, la création, la vie. Lui qui a défatalisé l’histoire.
Il accomplissait les promesses des héros et des martyrs du grand éveil de la liberté. Pas seulement les espérances d’ Isaïe ou les colères d’Ézéchiel. Prométhée était désenchaîné, Antigone désemmurée. Ces chaînes et ces murs, image mythique du destin, tombaient devant lui en poussière. Tous les dieux étaient morts et l’homme commençait.
C’était comme une nouvelle naissance de l’homme.
Je regarde cette croix, qui en est le symbole, et je rêve à tous ceux qui ont élargi la brèche: de Jean de la Croix qui nous apprend, à force de n’avoir rien, à découvrir le tout, à Karl Marx, qui nous a montré comment on peut changer le monde, à Van Gogh, et à tous ceux qui nous ont fait prendre conscience que l’homme est trop grand pour se suffire à lui-même.
Vous les receleurs de la grande espérance que nous a volée Constantin, gens d’Église, rendez-le nous !
Sa vie et sa mort sont à nous aussi, à tous ceux pour qui elle a un sens. À nous qui avons appris de lui que l’homme est créé créateur.
Pouvoir de créer, attribut divin de l’homme, elle est là, mon hostie de présence réelle, chaque fois que quelque chose de neuf est en train de naître pour agrandir la forme humaine, dans le plus fol amour ou dans la découverte scientifique, dans le poème ou la révolution. »
Roger Garaudy, Pour vous qui est Jésus-Christ ? Ed. Foi vivante 1971, extrait cité dans « Mon tour du siècle en solitaire », de R. Garaudy, Robert Laffont éditeur, 1989, pp 228-230.
Cette formidable espérance est toujours à l’oeuvre.
Elle inspire à certains de parier sur les rejetés du marché du travail pour fonder des entreprises originales de réinsertion, de solidarité : l’économie sociale est largement pascale ! Elle inspire à d’autres d’accueillir les exclus de la vie sociale pour inventer avec eux des liens et des lieux fraternels grâce auquel on peut commencer à croire que nul n’est esclave de son passé.
Elle encourage ceux qui se battent pour survivre, matériellement, affectivement, spirituellement.
Elle ne gomme rien des échecs, des défaites, des angoisses et des incompréhensibles scandales qui émaillent nos parcours ; mais elle leur ouvre un horizon immense, au-delà de ce que l’oeil humain peut concevoir.
Alors, en ce dimanche de Pâques, ne boudons pas notre joie : Christ est ressuscité, et ce cri matinal renverse un à un tous les dominos qui se dressaient entre lui et nous.
Que cette formidable espérance soutienne nos combats les plus authentiques.
Messe du jour de Pâques
1ère lecture : Les Apôtres témoins de la Résurrection (Ac 10, 34a.37-43)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand Pierre arriva de Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean :
Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force. Là où il passait, il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. Car Dieu était avec lui.
Et nous, les Apôtres, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Ils l’ont fait mourir en le pendant au bois du supplice.
Et voici que Dieu l’a ressuscité le troisième jour.
Il lui a donné de se montrer, non pas à tout le peuple, mais seulement aux témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts.
Il nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l’a choisi comme Juge des vivants et des morts.
C’est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage : Tout homme qui croit en lui reçoit par lui le pardon de ses péchés. »
Psaume : 117, 1.4, 16-17, 22-23
R/ Ce jour que fit le Seigneur est un jour de joie, alléluia !
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort ! »
Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’oeuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.
2ème lecture : Vivre avec le Christ ressuscité (Col 3, 1-4)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens
Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez donc les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre.
En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.
Sequence :
À la victime pascale,
chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis;
le Christ innocent a réconcilié
l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent
en un duel prodigieux.
Le Maître de la vie mourut; vivant, il règne.
Dis-nous, Marie Madeleine,
qu’as-tu vu en chemin ??
J’ai vu le sépulcre du Christ vivant,
j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins,
le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité !
Il vous précédera en Galilée.?
Nous le savons : le Christ
est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux,
prends-nous tous en pitié !
Amen.
Evangile : Le tombeau vide et la foi des Apôtres (Jn 20, 1-9)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Notre Pâque immolée, c’est le Christ !
Rassasions-nous dans la joie au festin du Seigneur !
Alléluia. (1 Co 5, 7-8)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin, alors qu’il fait encore sombre. Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il voit que le linceul est resté là ; cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau, et il regarde le linceul resté là, et le linge qui avait recouvert la tête, non pas posé avec le linceul, mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD