Effata : la Forteresse vide
Effata : la Forteresse vide
Homélie du 23° Dimanche du temps ordinaire / Année B
09/09/12
Malgré les excès du tout-psychologique dans lesquels il est lui-même tombé, il faut relire Bruno Bettelheim, psychanalyste américain. Et notamment son livre-phare : « La Forteresse vide » où il raconte la renaissance lente et laborieuse d’une enfant nommée Marcia.
Marcia était arrivée dans le centre spécialisé tenu par Bettelheim alors qu’elle était autiste, c’est-à-dire gravement murée en elle-même, ne faisant pas la différence entre les choses et les gens autour d’elle, ne pouvant ni écouter, ni parler. Un petit animal en somme, incapable d’entrer en relation humaine avec d’autres êtres humains. En fait, une personnalité blessée qui s’était construite des remparts pour ne pas vivre ; une forteresse vide. Et puis, peu à peu, grâce à beaucoup d’amour et de confiance, à beaucoup de compétences aussi, ces défenses, ces murailles sont tombées quand elle a commencé à mimer, à gestuer les évènements de sa vie qui l’avaient blessée. Et puis la parole est venue, signe d’une guérison profonde, d’une renaissance étonnante.
N’allez pas vous rassurer trop vite en vous disant que ce n’est qu’un cas extrême, un cas particulier ! Non : la folie de quelques uns nous révèle des tendances inconscientes qui nous habitent tous. Les statistiques nous apprennent que bientôt en Occident 1/3 des hospitalisations seront des hospitalisations pour raisons mentales. En suivant des amis en dépression, en allant rendre visite à d’autres amis en hôpital psychiatrique, chacun de nous sera un jour ou l’autre impressionné et effrayé par ce nouveau cancer, plus terrible encore que les maladies physiques. À la racine de ces maladies mentales, il y a souvent des difficultés de la relation : pouvoir entendre, pouvoir parler, être écouté.
Pouvoir parler, pouvoir écouter la parole d’un Autre : voilà ce qui est au centre de l’Évangile d’aujourd’hui.
C’est bien plus qu’une guérison physique que Jésus opère en rendant au sourd-muet la capacité d’écouter et de parler. Cette guérison est le signe que la foi chrétienne est l’invitation à vivre au maximum, à être au maximum ouvert aux autres, et d’abord à Dieu, le Tout-Autre, en écoutant sa Parole et en annonçant la Bonne Nouvelle. En plaçant ce signe en pleine Décapole, c’est-à-dire en territoire grec, païen, l’évangéliste Marc préfigure l’ouverture des cultures païennes à l’annonce de l’Évangile lorsque plus tard Paul et les autres apôtres sillonneront la Méditerranée.
Pour nous la guérison physique du sourd-muet est l’image de la guérison la plus profonde du handicap intérieur qui gangrène l’Occident : ne plus savoir écouter, ne plus savoir parler. La fermeture de l’esprit, du coeur, de la conscience, de l’action. La sagesse populaire sait bien qu’il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Nous sommes handicapés quand – aveugles - le succès nous éblouit, ou quand la colère ou la mauvaise foi nous aveuglent. Nous sommes sourds quand nous n’écoutons que les mêmes personnes, les mêmes journaux, ou quand nous n’entendons pas le cri des pauvres. Nous sommes muets quand nous refusons d’encourager, de consoler, de défendre, quand nous taisons la difficile vérité. Le monde peut être aveugle à la misère du Tiers-Monde, sourds à ses appels à l’aide. L’Église elle-même, comme nous le rappelait la lettre de St Jacques, peut être muette quand elle ne dénonce pas les injustices sociales ou qu’elle privilégie les riches au détriment des pauvres.
Autour de nous, combien de gens souffrent de la solitude : serons-nous sourds à leurs cris de détresse, à leurs appels au secours ? Chaque été en France, des gens meurent seuls chez eux ; parfois leur corps n’est découvert que bien longtemps après. Une telle solitude est-elle humaine ? Et nous-mêmes, avons-nous la simplicité d’appeler au secours, de demander à d’autres frères chrétiens de nous écouter, de nous aider à parler, à dire notre souffrance ? Nos communautés chrétiennes, nos équipes, nos assemblées du Dimanche devraient être ces lieux où Jésus ressuscité continue de guérir les sourds et les muets que nous sommes.
Oui, créer des lieux fraternels où l’on puisse vraiment communiquer, parler et s’écouter, voilà à quoi nous provoque aujourd’hui cette guérison du sourd-muet : nous sommes le Corps du Christ ; le souffle de l’Esprit habite en nous. Il veut que par nos mains, son Église continue de guérir toutes les formes de surdité et de mutisme qui défigurent nos lieux de vie : école, lycée, quartier, bureau, usine, famille ?
Effata : ouvre-toi ! Parole transmise en araméen pour mieux lui conserver sa force originelle.
Effata : ouvre-toi ! Ne cessez pas de communiquer entre vous, par la parole, l’action, les gestes, les regards.
Effata : ouvre-toi ! Manifeste ton amour, manifeste aussi ta souffrance, car une blessure qui ne se dit pas est pire que la mort. Trouver les mots pour la dire est déjà l’amorce de la guérison intérieure, pour peu que le cri soit écouté.
Effata : ouvre-toi ! Ne cessez jamais de vous ouvrir l’un à l’autre, de vous accueillir, d’accueillir vos enfants, vos amis, vos parents ; car le visage aimé est d’une telle profondeur que la plus grande joie est justement de ne jamais épuiser son mystère.
Effata : ouvre-toi ! Sors de toi-même pour accueillir l’autre, le Tout-Autre. Brise la coquille de ton narcissisme qui te fait habiter à l’ombre de la mort.
Le Christ lui est le Verbe de Dieu : Parole faite chair pour que notre chair puisse parler. Par lui, avec lui et en lui, en entrant dans son eucharistie, ouvre-toi, quitte ta surdité et ton mutisme.
Ouvre-toi, sors des forteresses vides qui sont en toi, et deviens à l’image du Christ une table offerte à tous où il fait bon s’écouter et parler ensemble.
1ère lecture : Les merveilles du salut à venir (Is 35, 4-7a)
Lecture du livre d’Isaïe
Dites aux gens qui s’affolent : « Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-mêmeet va vous sauver. »
Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds.
Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. L’eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides.
Le pays torride se changera en lac ; la terre de la soif en eaux jaillissantes.
Psaume : 145, 7, 8, 9ab.10b
R/ Je te chanterai, Seigneur, tant que je vivrai.
Le Seigneur fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.
Le Seigneur protège l’étranger.
Il soutient la veuve et l’orphelin.
Le Seigneur est ton Dieu pour toujours !
2ème lecture : La dignité des pauvres dans l’Église (Jc 2, 1-5)
Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères, ne mêlez pas des considérations de personnes avec la foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire.
Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme aux vêtements rutilants, portant des bagues en or, et un homme pauvre aux vêtements sales.
Vous vous tournez vers l’homme qui porte des vêtements rutilants et vous lui dites : « Prends ce siège, et installe-toi bien » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi par terre à mes pieds ».
Agir ainsi, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon des valeurs fausses ?
Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde ? Il les a faits riches de la foi, il les a faits héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’auront aimé.
Evangile : Guérison d’un sourd-muet (Mc 7, 31-37)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus proclamai la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissait son peuple de toute maladie. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus quitta la région de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction du lac de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole.
On lui amène un sourd-muet, et on le prie de poser la main sur lui.
Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue.
Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
Ses oreilles s’ouvrirent ; aussitôt sa langue se délia, et il parlait correctement.
Alors Jésus leur recommanda de n’en rien dire à personne ; mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient.
Très vivement frappés, ils disaient : « Tout ce qu’il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Patrick Braud