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31 janvier 2021

Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile ! 

Homélie pour le 5° dimanche du Temps Ordinaire / Année B
07/02/2021

Cf. également :

Des sommaires pas si sommaires
Sortir, partir ailleurs…
Avec Job, faire face à l’excès du mal

Les Pfizer de la foi

Le laboratoire Pfizer et l’entreprise allemande BioNTech annoncent les premiers résultats positifs de leur candidat vaccin contre le COVID-19 (Visuel Adobe Stock 327257834)

Imaginez qu’un laboratoire français détienne le secret de fabrication d’un nouveau vaccin anti-Covid, sûr à 99 %, pas cher, disponible immédiatement, facile à distribuer en grande quantité. Ce serait évidemment un crime contre l’humanité que de ne pas proposer ce vaccin à toutes les nations ! La santé des peuples comme l’intérêt des actionnaires de ce laboratoire lui demanderaient de ne pas se dérober à une telle mission d’intérêt public. Pfizer, Biotech et Moderna l’ont bien compris (mais en tirent d’énormes profits !)…

Toutes proportions gardées, les Églises sont un peu les Pfizer de la foi ! En effet, elles détiennent (dans des vases d’argile) le trésor de l’Évangile, capable de désarmer le mal couvant en tout homme. Si elles n’osaient plus le proposer à tous, dans le seul but du bien commun, alors elles deviendraient coupables de non-assistance à personnes et à peuples en danger ! À condition que, contrairement à Pfizer, elles le fassent gratuitement, de manière désintéressée…
C’est le cri de Paul dans notre deuxième lecture (1 Co 9, 16-23) : « malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » Non parce qu’il serait l’objet d’une malédiction étrange et inquiétante. Mais parce qu’il a conscience de sa responsabilité envers ceux qui ne connaissent pas le Christ. Il serait le plus malheureux des hommes s’il gardait pour lui ce trésor sans en ouvrir l’accès au maximum de gens. Comme l’amoureux ne peut s’empêcher de parler de sa belle à ses amis. Comme l’enfant qui parle du cadeau reçu aux inconnus de la rue… Un peintre empêché de peindre est malheureux ; un compositeur qui ne compose pas est malheureux. Paul ne serait plus lui-même s’il se taisait.

« L’Église est missionnaires par nature », affirme le concile Vatican II (AG 2). Par nature, et non par stratégie, par calcul ou par intérêt. C’est dans sa nature : elle ne peut s’en empêcher, un point c’est tout.
Une Église qui n’est plus missionnaire est-elle encore l’Église de Jésus-Christ ? Un chrétien qui ne voudrait pas rendre compte de l’espérance qui est en lui serait-il encore chrétien ?
« Toute personne a le droit d’entendre la « Bonne Nouvelle » de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. À ce droit correspond un devoir, celui d’évangéliser : en effet, annoncer l’Évangile, ce n’est pas mon motif d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi : malheur à moi si je ne n’annonçais pas l’Évangile (1 Co 9,16) ! » (Note doctrinale de la Congrégation de la foi sur la nouvelle évangélisation, 2007)

C’est peut-être le drame de la fatigue des siècles qui en Occident pèsent sur les chrétiens : ils deviennent discrets, si timides, si invisibles du coup. Les raisons en sont nombreuses : annoncer l’Évangile a si longtemps été confondu avec imposer une domination cléricale. Le relativisme ambiant est tel que chacun pense trouver la paix à croire en privé, sans provoquer de remous, car toutes les religions se valent et pourquoi en privilégier une ?

 

Malheur à moi si j’évangélise n’importe comment !

Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile ! dans Communauté spirituelle Mission

C’est vrai que le devoir d’évangélisation a engendré quelques dérives historiques dans lesquelles nous ne voulons plus retomber, à juste titre. Lorsque évangéliser et coloniser allaient de pair. Lorsqu’au nom de l’Évangile on éliminait les pensées et les mœurs différentes. Lorsque les Églises se faisaient la guerre en Europe, ou se faisaient concurrence en Afrique. Ces dérives de l’évangélisation ont généré en retour l’athéisme, le scepticisme et la sécularisation pour s’émanciper de la tutelle ecclésiale.

« L’Église propose, elle n’impose rien. Elle respecte les personnes et les cultures, et elle s’arrête devant l’autel de la conscience » (Jean Paul II, Redemptoris Missio n° 39).

Paul n’a pas vécu assez longtemps pour constater les dégâts opérés par une évangélisation faite n’importe comment. Nul doute qu’il aurait complété le cri d’aujourd’hui par son frère jumeau : « malheur à moi si j’annonce l’Évangile n’importe comment ! »

Si notre façon d’évangéliser contredit l’Évangile (notamment à cause de la soif de puissance ou d’argent), nous sommes les plus malheureux des hommes, car nous nous défigurons nous-mêmes. Si nos actes et nos paroles contredisent notre message, comment celui-ci pourrait-il être crédible ? L’Église est toujours jugée par le message qu’elle proclame, ce qui devrait la garder dans l’humilité, loin de toute intolérance. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (Paul VI, Evangelii Nuntiandi n°41).

Une autre manière d’annoncer l’Évangile n’importe comment serait de le réduire à une pensée magique sur l’univers : ‘prie Jésus et tu seras guéri ; aie la foi et tes problèmes seront résolus’ etc. Cette tentation est forte dans bien des courants protestants et catholiques : cantonner la foi au domaine du merveilleux individuel, au lieu de la laisser être lumière du monde et levain dans la pâte. Les retours frileux à une liturgie de cocooning relèvent de ce même repli identitaire qui dénature l’Évangile : si être missionnaire consiste à se réfugier dans la liturgie, les groupes de prière où les pèlerinages seulement, alors nous serons malheureux de ne vivre que sur un poumon (célébrer) en ignorant les deux autres (croire et vivre).

Il y a une grande différence entre Pfizer et l’Église : les laboratoires cherchent (légitimement) leur intérêt ; le cours de leur action explose ; leurs contrats sont juteux et se chiffrent en milliards. L’Église a été capable hélas de chercher son intérêt propre dans les évangélisations successives des siècles passés. À court terme, elle y a gagné de la puissance financière et spirituelle. À long terme, elle scie la branche sur laquelle elle est assise. Car l’Église est vraiment elle-même lorsqu’elle est désintéressée, proposant l’Évangile sans jamais l’imposer, servant « l’homme, tout homme, tout l’homme » sans rien espérer en retour. Bien des missionnaires ont incarné cet état d’esprit de gratuité en allant planter l’Église ailleurs. Bien des cultures ont accueilli avec joie l’Évangile lorsqu’il était ainsi présenté sans volonté de domination ni d’exclusivisme.

Les Pères de l’Église insistaient sur la mission chrétienne comme accomplissement de ce que les cultures païennes avaient de meilleur en elles. Car il y a dans chaque peuple ce qu’ils appelaient des « semences du Verbe », une « préparation évangélique » qui font de la conversion au Christ un accomplissement, une plénitude, une transfiguration et non pas une destruction de la culture d’origine et de son génie propre.

« Dans l’annonce du Christ aux non-chrétiens, le missionnaire est convaincu qu’il existe déjà, tant chez les individus que chez les peuples, grâce à l’action de l’Esprit, une attente, même inconsciente, de connaître la vérité sur Dieu, sur l’homme, sur la voie qui mène à la libération du péché et de la mort. L’enthousiasme à annoncer le Christ vient de la conviction que l’on répond à cette attente; c’est pourquoi le missionnaire ne se décourage pas ni ne renonce à son témoignage, même s’il est appelé à manifester sa foi dans un milieu hostile ou indifférent » (Redemptoris Missio 45).

 

Bonheur à moi si j’annonce Évangile !

logo-la-joie-de-l-evangile évangélisation dans Communauté spirituelle

Toutes ces dérives – et il y en a d’autres encore hélas – ne doivent cependant pas servir d’excuses au silence assourdissant de certains chrétiens et communautés n’osant plus faire référence à leur foi.

« Si eux se taisent, les pierres crieront ! » (Lc 19,40). Jésus avait pressenti que viendrait inévitablement cette lâcheté dont Pierre a été capable le premier.

Une Église qui se tait s’affadit, devient exsangue, et meurt. Une Église qui témoigne – avec humilité et discernement – devient radieuse. « Comment les païens peuvent-ils croire s’ils n’ont pas entendu ? Mais comment peuvent-ils entendre si personne ne proclame ? La foi nait de la prédication ! » (Rm 10,14)
« Dans l’histoire de l’Église, le dynamisme missionnaire a toujours été un signe de vitalité, de même que son affaiblissement est le signe d’une crise de la foi. La foi s’affermit lorsqu’on la donne. » (Redemptoris Missio n°2).
« La joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire. Les soixante-dix disciples en font l’expérience, eux qui reviennent de la mission pleins de joie (cf. Lc 10, 17). Cette joie est un signe que l’Évangile a été annoncé et donne du fruit » (Pape François, Evangelii Gaudium, n° 21).

Annoncer l’Évangile nourrit la foi de celui qui annonce, et le fait grandir. La foi augmente en se partageant. C’est donc un vrai bonheur – par opposition au malheur craint par Paul – que de laisser sortir de soi la parole attestant de l’importance du Christ pour nous. Les conciles des premiers siècles ont été cette expérience joyeuse : sommés de préciser leur foi face aux persécutions, aux religions païennes, aux premières hérésies chrétiennes, les Églises de Jérusalem, Rome, Antioche, Constantinople et Alexandrie ont débattu, prié, écrit leur Credo pour le partager au monde entier.

Celui qui ne dit jamais son amour à d’autres finira par ne plus aimer…
L’évangélisation est un droit pour les autres et un devoir pour nous !
Ce bonheur d’annoncer l’Évangile commence par le témoignage, simple, quotidien, incarné. Les actes parlent autant que les mots. Il faut les deux.

Les mots sans les actes nous exposent aux reproches légitimes issus de la colonisation, de l’esclavage, de l’Inquisition, des croisades… Les actes sans les mots nous font courir un danger tout aussi grand : l’insignifiance, la fadeur du sel qu’on foule aux pieds parce qu’il n’a plus de goût.
« Le plus beau témoignage se révélera à la longue impuissant s’il n’est pas éclairé, justifié – ce que Pierre appelait donner « les raisons de son espérance » (1 P 3,15) – , explicité par une annonce claire, sans équivoque, du Seigneur Jésus. La Bonne Nouvelle proclamée par le témoignage de vie devra donc être tôt ou tard proclamée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés » (Paul VI, Evangelii Nuntiandi n°22).

Bonheur à nous si nous savons incarner l’Évangile que nous annonçons, et proclamer l’Évangile qui inspire nos actes !

Il y a sans doute un temps pour agir et un temps pour attendre, un temps pour parler du Christ et un temps pour se taire ; un temps pour être discret et un temps pour crier en public… À nous de discerner, dans la force de l’Esprit, le temps qui est le nôtre ce jour, demain, au travail, en famille, en famille, en société.

Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-4.6-7)

Lecture du livre de Job

Job prit la parole et dit : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

PSAUME

(Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7)
R/ Bénissons le Seigneur qui guérit nos blessures ! ou : Alléluia ! (Ps 146, 3)

Il est bon de fêter notre Dieu,
il est beau de chanter sa louange :
il guérit les cœurs brisés
et soigne leurs blessures.

Il compte le nombre des étoiles,
il donne à chacune un nom ;
il est grand, il est fort, notre Maître :
nul n’a mesuré son intelligence.

Le Seigneur élève les humbles
et rabaisse jusqu’à terre les impies.
Entonnez pour le Seigneur l’action de grâce,
jouez pour notre Dieu sur la cithare !

DEUXIÈME LECTURE
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16-19.22-23)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.

ÉVANGILE
« Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 29-39)
Alléluia. Alléluia.Le Christ a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. Alléluia. (Mt 8, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Patrick BRAUD

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3 janvier 2021

Une parole performative

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Une parole performative

Homélie pour le Baptême du Seigneur/ Année B
10/01/2021

Cf. également :

La voix de la résilience
Jésus, un somewhere de la périphérie
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation
Yardén : le descendeur
Rameaux, kénose et relèvement
Il a été compté avec les pécheurs
Le principe de gratuité

« Quand dire, c’est faire »

Une parole performative dans Communauté spirituelle 418h-EmAJqL._SX301_BO1,204,203,200_Avez-vous déjà remarqué combien votre parole vous engage ? Lorsque vous dites : ‘je promets’, vous créez par là-même le lien de la promesse qui n’existait pas auparavant. Lorsque le maire où le prêtre dit officiellement : ‘je vous déclare unis par le mariage’, il crée cette union par le seul fait de le dire. Et aujourd’hui, dans notre évangile (Mc 1, 7-11), lorsque Jean-Baptiste dit aux juifs venus le voir au Jourdain : ‘je te baptise’ ou bien ‘tes péchés sont pardonnés’, ils sont réellement baptisés et pardonnés.

Nous devons à John Austin l’exploration de cette caractéristique du langage humain : sous certaines conditions, à certaines occasions, la parole humaine a le pouvoir de créer ce qu’elle énonce. La publication posthume en 1962 d’un recueil de conférences données en 1955 par Austin intitulé : ‘How to do Things with Words’, mot à mot : ‘Comment faire des choses avec les mots’ a marqué un tournant en linguistique. Ce recueil a été publié en français en 1970 sous la forme d’un petit livre sous le titre: ‘Quand dire c’est faire’, qui résume à lui seul la thèse.

Austin appelle énoncé performatif une phrase qui déclare quelque chose et le réalise en même temps. En anglais, to perform signifie accomplir, réaliser. Est performative une parole qui accomplit ce qu’elle énonce par le fait même de l’énoncer. Le même phénomène est à l’œuvre quand le président de l’Assemblée nationale ouvre la séance en la déclarant ouverte. « Pour ces exemples, écrit John Austin, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire ».

Les exemples d’énoncés performatifs sont nombreux : « Je jure de dire la vérité », « Je te baptise », « Je parie sur ce cheval », « Je t’ordonne de sortir », « Je vous promets de venir », etc. Dans le détail, l’identification et la caractérisation des énoncés performatifs répondent à des critères précis. D’une part, les performatifs ne sont tels que dans des circonstances précises, car ils doivent répondre à des conditions de « succès » : seul le président devant l’assemblée réunie peut dire avec effet « Je déclare la séance ouverte ». Seules les personnes habilitées et dans le contexte prévus assurent l’efficacité de la parole performative.

On voit très vite que les sept sacrements catholiques sont liés à cette efficacité de la parole du ministre qui les donne : ‘je te baptise’ confère aussitôt à celui qui est plongé dans l’eau la dignité de baptisé. ‘Je vous pardonne vos péchés’ donne réellement le pardon avec ces paroles de l’absolution. ‘Ceci est mon corps’ : les mots du prêtre sur l’hostie au nom du Christ la changent réellement (sacramentellement) en Corps du Christ etc.

Impossible de penser l’efficacité sacramentelle catholique désormais sans se référer au caractère performatif du langage mis en évidence par Austin ! Mais bien d’autres domaines peuvent en tirer bénéfice. Lorsque des éducateurs par exemple disent à un enfant difficile : ‘tu es plus grand que tes actes’, ils créent de la valeur en quelque sorte, la valeur inaliénable qu’a cet enfant à leurs yeux. Lorsqu’un politique déclare : ‘je suis candidat’, il l’est réellement à partir de ce moment seulement. Lorsque les parents disent : ‘tu es notre enfant bien-aimé, quoi qu’il arrive’, ils assurent ce lien filial inconditionnel mieux que n’importe quel test ADN etc.

Humainement, sacramentellement, spirituellement, nous avons besoin de ces paroles efficaces qui réalisent ce qu’elles énoncent au moment même où elles sont énoncées. Elles créent du neuf. Elles fabriquent une réalité auparavant inexistante. Elles constituent des liens nouveaux, des balises pour se repérer, des appuis sur lesquels progresser.

 

La Bible, parole performative

983397344 Audtin dans Communauté spirituelleLe pape Benoît XVI avait développé avec bonheur cette compréhension de la Bible comme parole performative. « Le christianisme n’était pas seulement une ‘bonne nouvelle’ – la communication d’un contenu jusqu’à présent ignoré. Dans notre langage, nous dirions : le message chrétien n’était pas seulement ‘ informatif’,   mais   ‘performatif’.   Cela  signifie  que  l’Évangile   n’est  pas  uniquement  une communication d’éléments que l’on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. La porte obscure du temps, de l’avenir, a été ouverte toute grande. Celui qui a l’espérance vit différemment; une vie nouvelle lui a déjà été donnée » (Spe salvi n° 2, 2007). Au n° 4, Benoît XVI soutient que la rencontre avec le Dieu qui, dans le Christ, nous a montré son Visage et qui a ouvert son Cœur peut être aussi pour nous non seulement de type ‘informatif’, mais aussi ‘performatif’ : « elle peut transformer notre vie de manière que nous nous sentions rachetés par l’espérance que cette rencontre exprime » (n° 4). La dimension performative de la Bible provient ainsi du fait qu’elle propose une rencontre avec le Dieu qui donne vie et qu’elle promet une espérance pour une vie de communion éternelle avec Dieu uni au Christ dans l’Esprit.

Proclamer l’Évangile à toute créature n’est donc pas seulement communiquer ou proposer un chemin, c’est changer la réalité de ceux à qui on s’adresse, par le fait même de leur annoncer l’Évangile. Car la lumière contenue dans ces paroles provoque une vraie transformation de la situation de ceux qui les écoutent : qu’ils refusent ou qu’ils acquiescent, qu’ils soient indifférents ou critiques, la Parole les oblige à se situer, à se dévoiler, à changer. C’est plus manifeste encore pour ceux qui accueillent positivement la Parole : cet accueil crée en eux la possibilité d’un renouveau, d’une nouvelle naissance où plus rien n’est comme avant.

2915547033.08._PE20_SCLZZZZZZZ_ paroleEn entendant les apôtres à Pentecôte, la foule a le cœur bouleversé et demande : ‘que devons-nous faire ?’ En demandant le baptême, les convertis changent de vie, bien souvent au risque de la perdre. Ces transformations opérées par la Parole sont sociales, économiques, politiques. Car, comme le dit Isaïe dans la première lecture (Is 55, 1-11) : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission ». L’efficacité de la parole performative est également spirituelle : « si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur […], alors tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Paul a expérimenté que la confession de foi procure le salut mieux qu’une provision de soi-disant bonnes œuvres ! Il y a des mots qui en franchissant les lèvres transforment ceux qui les prononcent. Paul compare la Parole de Dieu à un glaive à deux tranchants, car elle sépare le bien du mal, la lumière des ténèbres, et oblige chacun à choisir son camp. « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12).

Alors, prenons le temps de réfléchir : à quel moment ma parole m’engage-t-elle vraiment ?
Comment puis-je accueillir les textes bibliques comme réalisant en moi ce qu’ils décrivent au moment où je les lis ?
Que voudrait dire : pour moi cette parole s’accomplit aujourd’hui (cf. Lc 4,21) ?

Notre foi est performative. C’est la toute-puissance de Dieu qui s’y exerce, capable de créer à partir de rien ou presque. Allons-nous ignorer cette puissance de la parole qui nous est offerte sans partage ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Venez, voici de l’eau ! Écoutez, et vous vivrez » (Is 55, 1-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses ! Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David. Lui, j’en ai fait un témoin pour les peuples, pour les peuples, un guide et un chef. Toi, tu appelleras une nation inconnue de toi ; une nation qui ne te connaît pas accourra vers toi, à cause du Seigneur ton Dieu, à cause du Saint d’Israël, car il fait ta splendeur. Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission.

 

CANTIQUE
(Is 12, 2, 4bcd, 5-6)
R/ Exultant de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut ! (Is 12, 3)

Voici le Dieu qui me sauve :
j’ai confiance, je n’ai plus de crainte.
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.

Rendez grâce au Seigneur,
proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits !
Redites-le : « Sublime est son nom ! »

Jouez pour le Seigneur, il montre sa magnificence,
et toute la terre le sait.
Jubilez, criez de joie, habitants de Sion,
car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !

DEUXIÈME LECTURE
« L’Esprit, l’eau et le sang » (1 Jn 5, 1-9)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité. En effet, ils sont trois qui rendent témoignage, l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois n’en font qu’un. Nous acceptons bien le témoignage des hommes ; or, le témoignage de Dieu a plus de valeur, puisque le témoignage de Dieu, c’est celui qu’il rend à son Fils.

 

ÉVANGILE
« Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (Mc 1, 7-11)
Alléluia. Alléluia.Voyant Jésus venir à lui, Jean déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » Alléluia. (Jn 1, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jean le Baptiste proclamait : « Voici venir derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »
En ces jours-là, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain. Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Patrick BRAUD

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23 décembre 2020

Le chariot de Noël version Bansky

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Bansky

Banksy, célèbre artiste de street-art à l’identité inconnue, a réalisé une cette œuvre en 2019. Cette fois-ci à Birmingham. À l’approche de Noël et du froid de l’hiver.

L’an dernier, nous avions partagé le détournement du mur entre palestiniens et Israéliens pour y loger l’étoile de Bethléem, telle un éclat de munition ayant traversé le mur :

Que Noël vous apporte une joie simple et durable !

Cette année, ce clochard emporté par les rennes de Noël – comme Elie sur son chariot de feu (2 R 2,11) ! - nous donne l’espoir qu’un jour les délaissés se réveilleront auprès de Dieu, tout étonnés d’avoir été choisis pour partager son intimité, alors que les hommes leur refusaient la leur. Un bonheur illucide en somme (cf. Toussaint : le bonheur illucide )

Je vous souhaite un Noël proche de ceux qui n’en ont plus…

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25 octobre 2020

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?

Toussaint : Homélie pour la Fête de Tous les Saints / Année A
01/11/2020

Cf. également :
Toussaint : un avenir urbain et unitaire
Toussaint : la mort comme un poème
Toussaint alluvionnaire
Les cimetières de la Toussaint
Tous un : la Toussaint, le cimetière, et l’Église…
Toussaint d’en-haut, Toussaint d’en-bas
Toussaint : le bonheur illucide
Ton absence…
La mort, et après ?
J’irai prier sur vos tombes (Toussaint)
Le train de la vie

 

Mauriac et la mort impensable

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ? dans Communauté spirituelle 41fSuIdpFaL._SX291_BO1,204,203,200_À l’occasion de cette fête de Toussaint, et du Jour des défunts qui en est inséparable, voici quelques lignes de l’immense François Mauriac, dans ses « Nouveaux Mémoires intérieurs » écrits en 1965 à l’âge de 80 ans, qui peuvent nous aider à méditer sur la mort :

« Une foi même très vive, une espérance qui ne fléchit jamais, ne nous rendent pas plus aisée la contemplation de la mort. Car arrêter sa pensée sur la séparation qui nous attend, sur cet arrachement à tout ce qui nous tient, choses et êtres, revient moins à méditer sur la mort que sur ce qu’elle entraîne. La mort n’est pas arrachement, mais engloutissement, et par-delà le néant ne nous paraît pas plus pensable que l’être. »
« Et si c’était la mort qui n’existait pas ? Et si cette impuissance à l’exprimer, mais même à la concevoir, tenait à son inexistence ? Il n’y a rien à dire du passage de l’être d’un état connu à un état inconnu, si l’être demeure. La dépouille humaine est cette chrysalide diaphane des cigales que je recherchais quand j’étais enfant… »

La mort est en quelque sorte l’impensable par nature, puisque le Je de la pensée n’existe plus au moment où elle survient. Trois siècles avant Jésus-Christ, Épicure l’avait fort logiquement observé : « quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus ». Il en tirait la conclusion qu’il faut renoncer à la vie éternelle. Mauriac lui continue d’espérer en un au-delà tout en reconnaissant qu’il échappe à toute emprise et à toute représentation :
« Chaque pas que je fais m’en rapproche. Je suis pareil à un homme parti à l’aube, et cheminant vers la mer qu’il n’a jamais vue. Il n’en est plus séparé que par une dernière dune. Il entend ce grondement tout proche, il a le goût sur ses lèvres d’un terrible sel. Et pourtant il demeure incapable d’imaginer ce qu’il va voir demain, cette nuit, tout à l’heure ».

Cette approche de la mer ultime n’est pas forcément un long fleuve tranquille et serein :
« Nous nous cabrons, nous nous raidissons à la porte de l’abattoir, incapables d’imaginer ce qui est, capables seulement d’horreur et de terreur devant cette ténèbre ».

 

L’abattoir, serial killer

Se cabrer, se raidir devant la mort : voilà une image sur laquelle s’arrêter, car elle nous parle de la mort donnée, et pas seulement de la mort subie. En effet, la référence à l’abattoir qu’utilise Mauriac fait aussitôt surgir en nous des images hélas trop actuelles : celles que L214 [1] diffuse sur YouTube pour dénoncer les conditions d’abattage des vaches, veaux et autres animaux tués pour nous nourrir.

Régulièrement, cette association militant pour les droits des animaux publie des reportages effrayants effectués en abattoir – le plus souvent en caméra cachée – montrant les conditions épouvantables dans lesquels les bêtes sont conduites à la mort et exécutées. Les salariés de ces entreprises de la mort sont transformés en serial killers, obligés d’endurcir leur conscience pour ne pas devenir fous. L’un d’eux témoigne :

« En 2013, j’ai pris le poste en triperie. Là, je passais la journée à faire le tri entre les boyaux, la panse et la rate. Le premier jour, j’ai ouvert l’utérus d’une vache avec un couteau et j’ai vu un veau de près de 1 m, gisant, gluant dans son liquide amniotique. J’étais choqué. Il devait peser 25 kg. Je n’arrivais même pas à le soulever. Puis, j’ai appelé mon chef. Je lui ai dit « Chef, il y a un problème ! » Il m’a regardé et son visage s’est assombri. Il a hurlé « T’es un pédé ou t’es un homme ? » J’ai fini par pousser le veau jusqu’à la poubelle sur le plan de travail glissant.
Cette opération, je l’ai répétée tous les jours. Plusieurs fois par jour. On jetait quotidiennement 10 à 15 veaux à la poubelle. Je me disais « Comment c’est possible ? » On est en France. […]
Plus les mois passaient, plus je devenais fou. On ne peut pas sortir indemne quand on fait ce boulot pendant des années. On passe la journée dans la merde, le sang, les cris, la puanteur. Sans compter le mépris et les insultes. À force de vivre ça, de voir ces fœtus morts tous les jours, on devient fou. On devient carrément cinglé. Je me posais des questions en permanence. Mais en fait, tout ça, c’est pour l’argent. Une vache pleine est plus lourde et elle se vend donc plus cher. J’ai essayé de demander à mes chefs pourquoi on faisait ça. Tout ce qu’ils trouvaient à me dire, c’était « baisse la tête, ferme ta gueule et fais ton boulot. Si t’es pas content, dégage ! » » [2]

L’angoisse panique qui saisit ces animaux en pressentant qu’on les conduit vers la fin – et une fin cruelle, sanglante, douloureuse – nous donne une idée de ce que nous pourrons nous-mêmes ressentir à l’approche de notre mort. Nous nous cabrerons peut-être. La façon dont nous donnons la mort dit quelque chose de la façon dont nous la vivons nous-mêmes : cachée, en série, douloureuse, irrespectueuse. Et la question concerne des milliards d’êtres vivants : selon les chiffres de la FAO, 143 milliards d’animaux (sans compter les poissons) ont été tués en 2013 (dont 9 milliards pour les USA, 1 milliard pour la France). Chaque personne consommait en moyenne 43 kg de viande par an sur Terre en 2014. Cela représente 20 kg de plus par rapport à 1961. Un Européen consomme en moyenne 80 kg de viande par an, un Australien ou un habitant d’Amérique du Nord en consomme environ 110 kg par an. Mais dans certains pays d’Afrique, ce chiffre n’excède pas 10 kg annuels.
Dis-moi combien et comment tu tues, et je te dirai qui tu es…

 

Les 3 âmes

À la suite d’Aristote, saint Thomas d’Aquin parlait de l’âme des animaux, ainsi que de l’âme des végétaux. Il y a un seul principe vital qui anime (en latin, anima = âme) toute forme du vivant, si bien qu’une grande solidarité unit les hommes aux bêtes, les bêtes aux arbres et aux plantes, les végétaux aux hommes.

·         L’âme végétale est douée de la faculté nutritive, qui comprend la capacité de croître et la capacité d’engendrer. « L’âme du végétal est ce qui engendre un être semblable selon l’espèce ».

·         L’âme animale se distingue de l’âme végétale en ce qu’elle est douée d’une faculté de sentir (les études actuelles sur les arbres contredisent cette distinction).

·         L’âme humaine se distingue de l’âme animale en ce qu’elle a une faculté de connaître (l’intelligence, la conscience). St Thomas dira que seule cette âme est immortelle.

Ces distinctions permettront aux commentateurs d’établir trois espèces d’âme : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme intellective.
Bien sûr il y a une différence de nature et pas seulement de degré entre ces trois âmes (contrairement à ce que soutiennent les antispécistes). Il n’empêche que cela traduit une réelle solidarité entre toutes les formes du vivant, dont nous ne pouvons pas faire abstraction au moment où nous leur donnons la mort.

La solidarité du vivant sous toutes ses formes est le fondement de ce que le pape François appelle une écologie intégrale, parce qu’elle prend en compte tous les liens, toutes les interactions entre les espèces.  

« Étant donné que tout est intimement lié, et que les problèmes actuels requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour penser aux diverses composantes d’une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales » (n° 137).

« Tout est lié » : ce leitmotiv de l’encyclique Laudato si veut d’abord unir le souci de l’environnement à celui de la justice, de la culture, du sort des plus pauvres, bref à tenir ensemble l’humain et la nature, dans toutes leurs composantes. Cela veut donc dire qu’il y a une solidarité du vivant sous toutes ses formes. La dignité humaine s’éprouve aussi bien au sort réservé aux plus faibles qu’au sort des animaux dépecés dans nos abattoirs.

 

La vie secrète des arbres

51iyXjdfPwL._SX323_BO1,204,203,200_ animaux dans Communauté spirituelleImageOn peut même aller plus loin encore, et parler d’une solidarité avec les arbres et autres végétaux, qui ne sont pas si insensibles que les anciens le pensaient en Occident. Lisez « La vie secrète des arbres » (2015) du garde forestier Peter Wohllebenet et vous ne pourrez plus jamais vous balader en forêt comme avant ! Il décrit en effet les étonnantes capacités  d’organisation, de communication des arbres entre eux. Par les racines qui se touchent, par les substances émises des feuilles, par les impulsions électriques qu’ils sont capables de créer, les arbres coopèrent, s’avertissent, font système. Ils acquièrent même une forme de mémoire pour s’adapter aux événements, témoignant d’une capacité d’apprentissage étonnante. Ils influent sur leur milieu pour en retenir l’eau, abaisser la température, développer les espèces végétales et animales qui leur seront des alliés etc. Si bien que mettre à mort des arbres n’importe comment devrait nous être aussi insupportable que de voir une génisse éventrée avec son veau de six mois à l’abattoir. Nous devrions comme Idéfix pleurer à chaque arbre abattu ! L’homme se maltraite lui-même en ne respectant pas la dignité du vivant qui l’entoure. Jusque dans la mort.

Bien vivre notre mort demanderait peut-être de réfléchir à la mort que nous infligeons aux futures viandes dans nos assiettes, et aux forêts exploitées selon les seules règles de l’économie marchande.

Bien sûr il n’est pas question de prêter des sentiments humains à des arbres. Il n’empêche qu’une forme de ressenti, une capacité d’organisation, de communication, d’apprentissage et de mémoire les caractérisant nous les rend plus proches que de simples choses sans âme comme nous l’imaginions dans les siècles passés.

Notre première lecture  (Ap 7, 2-4.9-14) ne dit-elle pas : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres… » ?

 

Que pensent les dindes de Noël ?

51h2FH6qIsL._SX327_BO1,204,203,200_ arbresC’est le titre provoquant d’un ouvrage [3] qui veut nous faire passer de l’autre côté pour adopter le point de vue de l’animal que nous élevons afin de le tuer et de le manger.

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?’ pourrait-on parodier pour provoquer les consciences. Les chrétiens ne devraient-ils pas les premiers réfléchir à la façon dont nous donnons la mort ? Puisque la croix du Christ est l’abattoir épouvantable par excellence, dégradant jusqu’à l’identité humaine du condamné, comment fêter l’espérance en un au-delà de la mort sans s’intéresser à l’en-deçà qui frappe si cruellement animaux et végétaux à cause de nous ? Il doit bien exister une façon digne de se nourrir, d’élever et de tuer, de faire grandir et de récolter ! N’espérons pas « paraître devant Dieu avec assurance » (He 4,16) si nous avons refusé à nos semblables une fin de vie juste et respectueuse. « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous » (Lc 6,38) : l’avertissement de Jésus vaut pour nos abattoirs, nos déforestations, nos compagnons du vivant.

Le nouveau maire (écologiste) de Bordeaux a fait polémique récemment en refusant de planter un arbre mort au milieu de sa ville : le sapin de Noël (coutume que l’Église catholique a d’ailleurs longtemps combattue avant de l’intégrer) est pour lui le symbole de ces arbres qu’on abat en pleine force de l’âge pour le seul plaisir des passants.

Pas de cadavre près de nos crèches !’ pourrait être un slogan catho-écolo fort disruptif… Faut-il aller jusque-là ? En tout cas, difficile pour les chrétiens - partisans d’une écologie intégrale - de se désintéresser de la mort de ceux que François d’Assise appelait ses frères et ses sœurs (même le loup de Gubbio !). Si la fête de Toussaint résonne pour nous comme une promesse de résurrection, n’oublions pas que Dieu ne nous recréera pas seuls, mais en lien avec un monde nouveau : « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65,17 ; Ap 21,1) où d’autres formes de vie seront présentes.

 

Allons donc porter des chrysanthèmes sur les tombes de nos défunts, en pensant que cela nous engage à faire mourir nos compagnons du vivant plus dignement qu’aujourd’hui.

 

 


[1]. En référence à référence à l’article L214 du code rural qui pour la première fois en 1976 désignent les animaux en tant qu’êtres sensibles : Art L214-1 : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».
[3]. Que pensent les dindes de Noël ? Oser se mettre à la place de l’animal, Fabienne Delfour, Coll. Tana Document, 2019.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7, 2-4.9-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève, avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ; d’une voix forte, il cria aux quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. » Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël.
Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! » Tous les anges se tenaient debout autour du Trône, autour des Anciens et des quatre Vivants ; se jetant devant le Trône, face contre terre, ils se prosternèrent devant Dieu. Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? » Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu le sais. » Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

 

PSAUME

(Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6)
R/ Voici le peuple de ceux qui cherchent ta face, Seigneur. (cf. Ps 23, 6)

Au Seigneur, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur
et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent !
Voici Jacob qui recherche ta face !

DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-3)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. Et quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.

 

ÉVANGILE
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)
Alléluia. Alléluia.Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, dit le Seigneur, et moi, je vous procurerai le repos. Alléluia. (Mt 11, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick BRAUD

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