L'homélie du dimanche (prochain)

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26 février 2023

En descendant de la montagne…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

En descendant de la montagne…

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année A
05/03/2023

Cf. également :
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu

Tous les matins du monde

Tous les matins du monde (1991)Face à l’immense écran de cinéma du Grand Rex à Paris qui enveloppait toute la salle, tous  restèrent jusqu’à la dernière ligne du long générique final, hypnotisés par la plainte de la viole de gambe qui n’avait cessé de les bouleverser tout au long du film. Écouter et voir Tous les matins du monde en THX dans cette bulle sonore exceptionnelle fut une expérience musicale et visuelle des plus rares. Nous étions pétrifiés, paralysés, incapables de rompre le charme, déchirés de devoir quitter ce pur moment de beauté. Pourtant il fallut, au bout d’un long silence, les lumières allumées, lever les sièges et s’en aller un à un, à regret. Dehors le boulevard Poissonnière était gris, le grondement du métro Bonne Nouvelle n’était que fracas, les vêtements de la foule étaient quelconques, le flux du quotidien recouvrait peu à peu ce que la splendeur de la viole de gambe avait découvert…

C’est quelque chose de cet ordre-là que nous éprouvons tous « en descendant de la montagne », comme l’écrit l’Évangile du dimanche de la Transfiguration (Mt 17,1-9).

Ceux qui se sont enlacés desserrent leur étreinte ; ceux qui étaient éblouis clignent des yeux et se réajustent à la lumière ambiante ; ceux qui étaient transportés ailleurs sur une haute montagne grâce à leur lecture, leur musique, leur passion, leur jouissance du moment doivent redescendre et affronter l’étuve du métro, la banalité des conversations quotidiennes, la grisaille de l’ordinaire. Pas étonnant que les Chartreux choisissent le silence et la solitude, pour demeurer sur la ligne de crête ! Pas étonnant que les junkies se piquent encore et encore, conscients de se détruire : mais l’extase là-haut est si forte qu’ils ne veulent pas redescendre…

L'Assekrem dans les montagnes du Hoggar,Je me souviens d’une semaine sur la montagne, littéralement : celle de l’Assekrem, dans le désert du Hoggar, en Algérie. J’avais passé une semaine de solitude dans un petit ermitage de rochers brûlants, avec pour seule rencontre la messe du matin célébrée par un petit frère de Charles de Foucauld dans la chapelle de cailloux que l’ermite avait construite. Redescendre sur Tamanrasset fut un crève-cœur : plus jamais je ne pourrais vivre à ces altitudes du cœur, pensais-je en pleurant de voir les pics du Hoggar s’éloigner…

En descendant de la montagne du Thabor où il a été ébloui, saisi de la beauté divine, Jésus a peut-être pleuré intérieurement de devoir quitter cette communion si intense pour une Passion qui s’annonçait si dégradante. En descendant de la montagne, Pierre Jacques et Jean ont dû eux aussi être immensément tristes de ne pas demeurer là-haut, à contempler, à s’immerger dans la Transfiguration de Jésus. Alors Jésus leur livre la clé pour ce qui va suivre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ».

De fait, entre Transfiguration et Résurrection, les épisodes à venir ne seront pas très beaux. Lâchetés, reniements, délations, faux procès, peine de mort (la pire possible)… Ce moment sur la montagne ressemble à un avertissement : dernière station avant le désert, faites le plein si vous voulez tenir bon et aller jusqu’au bout !

 

Affronter le mal

En descendant de la montagne… dans Communauté spirituelle 220px-Veau_d%E2%80%99orQuand Jésus descend de la montagne, on pense bien sûr à Moïse descendant du Sinaï (Dt 9), son visage rayonnant de la gloire divine au point de devoir se voiler la face pour ne pas éblouir le peuple ! À peine descendu, il est confronté à l’adultère du Veau d’or : en l’absence de Moïse, le peuple est capable de se prostituer devant l’argent, les idoles, la volonté de puissance.

Jésus, descendant du Thabor, rencontre la foule et combat le mal à l’œuvre (Lc 9,37 ; Mt 8,1). Il s’affronte à un esprit démoniaque qui est en train de détruire un enfant. En Mc 9,9 et Mt 17,9, il annonce plonger résolument dans l’océan pestilentiel de sa Passion, qu’il accepte pleinement à partir de ce moment de la Transfiguration. Et Jean, qui pourtant faisait partie du petit groupe du Thabor, ne raconte pas l’épisode mais parle de la gloire divine sur Jésus juste après l’image du grain de blé en terre (Jn 12,24), car pour Jean également la gloire et la croix sont indissociables.

Quand Moïse et Jésus descendent de la montagne, c’est donc pour affronter le mal sous toutes ses formes, la mort étant l’ultime combat à mener.

N’espérons pas passer à côté de ce changement radical de perspective : de la beauté de nos extases à la laideur de nos péchés, du sommet de l’éblouissement à la bassesse des lâchetés ordinaires, de la transfiguration à la défiguration, du Thabor au Golgotha…
Nos transfigurations nous sont données pour faire le plein avant nos Passions : le plein d’espérance, de force, le courage, de beauté, de communion intense, avant le doute, la laideur, la faiblesse, la peur, la nuit de la foi.

 

Un jour de lumière pour des années de nuit

S’il en est une qui a connu cette séquence : un moment de transfiguration / des années d’obscurité, c’est bien Mère Teresa. Son Thabor à elle fut un voyage en train, de Calcutta à Darjeeling, le 10 septembre 1946 pour aller à une retraite de sa communauté. Pendant qu’elle essaye de dormir :

« soudain, j’entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair : je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C’était un ordre, un devoir, une certitude. Je savais ce que je devais faire mais je ne savais comment ».

Mère Teresa parle de cette journée comme étant le « jour de l’inspiration », « l’appel dans l’appel ».

Un seul jour, et sa vie a basculé.
Amazon.fr - Le royaume de sa nuit : Mère Teresa, le récit d'une vie -  Alberti, Olympia - Livres
Mais quel chemin d’obscurité ensuite ! Elle fonde son ordre des Missionnaires de la Charité en 1948. Tout le monde la voit en sari bleu auprès des mourants de Calcutta, toujours le sourire aux lèvres, apparemment habitée. Pourtant, en elle-même, elle n’éprouve plus que vide et désolation. Après l’avoir effleuré de son aile dans la fulgurance de l’expérience à bord du train, la beauté divine la quittait, elle ne ressentait plus rien de l’amour de Dieu qui l’avait mise en mouvement :

« Seigneur mon Dieu, qui suis-je pour que Tu m’abandonnes ?… J’appelle, je m’accroche, je veux. Et il n’y a personne pour répondre. Personne à qui je puisse m’accrocher. Non, personne. Seule. L’obscurité est si sombre et je suis seule. Non désirée, abandonnée. La solitude du cœur qui désire l’amour est insupportable. Où est ma foi ? Même tout au fond, jusque là, il n’y a que le vide et l’obscurité. Mon Dieu, comme est douloureuse cette douleur inconnue. Elle me fait souffrir sans cesse… Amour, le mot n’évoque rien. On me dit que Dieu m’aime et pourtant l’obscurité, la froideur et le vide sont une réalité si grande que rien ne touche mon cœur ».
« J’éprouve que Dieu n´est pas Dieu, qu´Il n´existe pas vraiment. C´est en moi de terribles ténèbres. Comme si tout était mort, en moi, car tout est glacial », écrit-elle.
En 1958, elle avoue : « Tout le temps à sourire. Les Sœurs et les gens pensent que ma foi, mon espérance, mon amour me comblent en profondeur, et que l´intimité avec Dieu et l´union avec Sa volonté imprègnent mon cœur. Si seulement ils pouvaient savoir ».
« C’est seulement la foi aveugle qui me transporte, parce que, en vérité, tout est obscurité pour moi. »

Cette nuit de la foi fut terrible, et dura jusqu’à sa mort en 1997.
Quelques lueurs de Thabor pour des décennies de froideur, sans aucun signe pour être réconfortée.

N’espérons pas éviter ce genre de nuit lorsque nous descendons de nos montagnes  familiales, intellectuelles, spirituelles, artistiques ou autres.

Lorsque votre Thabor s’éloignera, durcissez votre visage comme le Christ montant à Jérusalem : il suffit d’une seule illumination pour aller jusqu’au bout de la route, il ne faut qu’un moment de pur bonheur pour qu’il irrigue toute une existence…

Mais quelle est donc votre Transfiguration à vous ?

 

BONUS
Je me suis amusé à demander à ChatGPT (Intelligence artificielle qui rédige des textes automatiquement pour vous) d’écrire une homélie sur la Transfiguration de Jésus, et voilà le résultat (cohérent, pas transcendant, mais néanmoins solide !) :

Question : Écris une homélie en français sur la Transfiguration de Jésus

Réponse de Chat GPT :

Chers frères et sœurs,
La Transfiguration de Jésus est un événement important dans la Bible, qui montre la gloire de Jésus et sa divinité. C’est l’un des moments les plus importants de la vie de Jésus, où il est transfiguré devant ses disciples, Pierre, Jacques et Jean, et où la voix de Dieu le Père est entendue.
La Transfiguration nous rappelle que Jésus est le Fils de Dieu, et que sa vie, sa mort et sa résurrection ont un sens divin. C’est un moment de révélation, où les disciples voient la gloire de Jésus et comprennent sa véritable nature.
Mais cette Transfiguration n’est pas seulement un événement passé. Elle est aussi un appel pour nous, pour que nous transfigurions notre propre vie en suivant Jésus et en vivant selon ses enseignements. Cela signifie vivre une vie de foi, d’amour et de service aux autres.
Enfin, la Transfiguration nous rappelle que notre vie terrestre n’est qu’un passage vers une vie éternelle avec Dieu. En suivant Jésus, nous pouvons être transfigurés et partager sa gloire éternelle.
Que Dieu nous bénisse tous, et qu’il nous guide sur le chemin de la Transfiguration. Amen.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.

PSAUME
(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE
Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

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15 janvier 2023

La honte de Zabulon et Nephtali

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La honte de Zabulon et Nephtali

 

Homélie pour le 3° Dimanche du temps ordinaire / Année A 

22/01/2023

 

Cf. également :

De l’ordre de Nazareth au désordre de Capharnaüm

L’épervier de la fraternité
Descendre habiter aux carrefours des peuples
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli

 

La honte et la fierté version Coupe du monde

Jamal Musiala effondré après l'élimination retentissante de l'Allemagne

Que de belles surprises pendant ce Mondial 2022 ! La vivacité exceptionnelle des Japonais, la résilience des Sud-Coréens, le niveau incroyable atteint par l’équipe marocaine première nation africaine en demi-finale, la finale au scénario improbable jusqu’aux tirs au but ! Symétriquement, 3 grandes nations du football sont reparties très vite, le ballon entre les jambes… : l’Allemagne si forte d’habitude (4 étoiles), l’Espagne qui nous faisait trembler (1 étoile), sans oublier le Portugal… Sa Majesté le Brésil elle-même (5 étoiles) éliminée en quarts de finale !!! L’Italie légendaire (4 étoiles) n’était même pas qualifiée… Et que dire du 6-1 administré par le Portugal à la Suisse !
« Il m’a mis la honte devant tout le monde » : cette expression que les jeunes de banlieue affectionnent, beaucoup de joueurs aurait pu l’utiliser en quittant la pelouse…
Mettre la honte est la plus grande blessure d’honneur que les bandes rivales peuvent s’infliger.

 

La honte de Zabulon et Nephtali

Les 12 tribus d'IsraëlOn comprend mieux l’importance des mentions de Zabulon et Nephtali que nous retrouvons dans notre première lecture (Is 8,23b–9,3) :

« Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations ».

Notre évangile du dimanche (Mt 4,12‑23) cite ce passage : 

« Jésus quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe : Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée ». 

La honte de ces deux tribus d’Israël est d’abord de ne pas avoir réussi à s’imposer face aux païens qui étaient là, et ensuite d’avoir été déportées les premières dans l’histoire d’Israël. Elles n’avaient pas réussi à conquérir vraiment leurs territoires ni à prendre le dessus sur les païens locaux (Jg 1) même si leur courage était grand (Jg 5,18). Elles ont été annexées en -732, puis déportées (2R 15) par le roi de Syrie. Puis l’armée romaine de Celtius a détruit leur ville pendant la guerre des juifs contre l’empire.

Du coup, Zabulon et Nephtali étaient méprisées par les autres tribus qui les trouvaient bien trop faiblardes. Même les étrangers les considéraient comme sans valeur. Ainsi Hiram, le roi de Tyr, avait fourni à Salomon autant d’or et de bois de cèdre et de cyprès qu’il avait voulu. En remerciement, Salomon lui céda vingt villes dans la région de Galilée. Hiram vint de Tyr pour examiner les villes que lui donnait Salomon. Mais elles ne lui plurent pas et il s’exclama : « Qu’est-ce que ces villes que tu m’as données là, mon allié ? Et il les appela pays de Kaboul (‘Terre-de-Rien’, sans valeur), nom qu’elles ont conservé jusqu’à ce jour » (1R 9,11-13).

 

Au temps historique de Jésus, et depuis de nombreuses décennies, il y a longtemps qu’on ne parle plus ni du pays ni de la tribu de Zabulon. 

La réputation de Zabulon et Nephtali était si désastreuse qu’on appelait leur région « carrefour des païens » (גָּלִיל , galîl ha-goyim en hébreu), ce qui a donné le nom propre Galilée (Jos 20,7;21,32). Ce n’est donc pas un compliment de dire de quelqu’un qu’il vient de Galilée, ou pire encore qu’il y habite. C’est plutôt une insulte, un reproche. En s’établissant en Galilée, à Capharnaüm, Jésus semble faire corps avec ces juifs peu fiables exposés à tous les vents du paganisme ambiant.

 

La honte de Zabulon et Nephtali dans Communauté spirituelle jacob-rachelPourtant, à l’origine, il n’en était pas ainsi ! Car salut l’on vient de la racine hébreu zbl, qui signifie… habiter ! Selon Gn 30,20 : « Léa dit : Dieu m’a fait un beau don (zbd); cette fois, mon mari habitera (zbl) avec moi, car je lui ai enfanté six fils. Et elle l’appela du nom de Zabulon ». Quand Léa dit : « Jacob habitera avec moi et on appellera l’enfant Zabulon », on entend déjà l’annonce de la Nativité : « on l’appellera Emmanuel, Dieu avec nous » (Mt 1,23). 

En plus, Léa fait un jeu de mots entre recevoir un beau cadeau (zbd) et habiter avec l’être aimé (zbl). Ce qui nous fait bien sûr penser aux deux prénoms « Dieu sauve » (Yeshoua, Jésus) et « Dieu avec nous » (Emmanuel) : c’est bien par grâce (cadeau) que nous sommes sauvés en accueillant Dieu qui vient habiter en nous. C’est bien le don par excellence qu’il nous fait dans cette inhabitation mutuelle : le Verbe de Dieu vient demeurer en nous, et nous en lui.
Zabulon (zbd-zbl) préfigure Jésus-Emmanuel.

 

Testament des 12 PatriarchesS’il fallait ajouter au prestige initial de Zabulon, on irait lire le texte juif apocryphe du Testament des Douze patriarches, écrit environ un siècle avant Jésus, où Zabulon fils de Jacob se montre particulièrement visionnaire sur l’avenir d’Israël :

« J’ai lu dans l’écriture de mes pères que dans les derniers temps vous vous séparerez du Seigneur, vous vous diviserez dans Israël, et vous suivrez deux rois. Vous vous livrerez aux abominations de l’idolâtrie; vos ennemis vous emmèneront captifs, et vous demeurerez parmi les nations accablés de douleurs et d’afflictions. Après cela vous vous souviendrez du Seigneur, vous vous repentirez ; et le Seigneur vous ramènera, parce qu’il est plein de miséricorde ; après quoi Dieu même, le soleil de justice, se lèvera sur vous ; la santé et la miséricorde sont dans ses ailes. Il rachètera les enfants des hommes, que Bélial tient en captivité; tout esprit d’erreur sera foulé aux pieds; le Seigneur convertira toutes les nations ; et vous verrez Dieu sous une forme humaine, parce que le Seigneur a choisi Jérusalem, et que son nom est le Seigneur. Enfin vous l’irriterez de nouveau, et il vous rejettera jusqu’au temps de la consommation des siècles ».

Bien sûr, le texte semble se référer aux malheurs passés et expliquer le schisme des douze tribus, l’exil à Babylone, le retour… Mais il y a plus. « Vous verrez Dieu sous une forme humaine » dit le texte, attesté au moins 100 ans avant JC…

Zabulon est donc présenté comme un visionnaire. Lui qui est garant que Dieu résidera avec nous est aussi celui qui annonce que Dieu prendra une forme humaine ! [1]

 

Il est d’autant plus catastrophique que Zabulon soit tombé de si haut ! Pourtant, après avoir été couvert de honte, il sera couvert de gloire selon Isaïe 83. Les chrétiens y ont vu l’annonce de Jésus, originaire d’une famille de Nazareth, élisant domicile à Capharnaüm en Galilée.

 

La Bible est plus discrète sur Nephtali : son nom (« luttant » en hébreu : נַפְתָּלִי,  »mon combat ») garde la trace du combat de Jacob luttant avec Dieu (Gn 32,25-29), qui l’a fait devenir Israël (« fort contre Dieu », en hébreu). La disgrâce de Nephtali contraste avec la grandeur de Jacob se mesurant d’égal à égal avec Dieu jusqu’à en recevoir sa bénédiction.

 

Nazareth, une périphérie oubliée

nazareth-loubon-c1850-s honte dans Communauté spirituelleLes dernières fouilles archéologiques semblent attester que Nazareth était une bourgade simple et agricole abritant une dizaine de familles. À peine un village, insignifiant à l’époque de Jésus. Bien qu’on puisse attester sa création dans les années 600 à 900 avant notre ère, il était trop petit pour être inclus dans la liste des lieux d’habitation de la tribu de Zabulon (Jos 19,10-16), qui mentionne 12 villes et 6 villages. Nazareth n’est pas non plus citée parmi les 45 villes de la Galilée mentionnées par l’historien juif Flavius Josèphe, et son nom est absent des 63 villes de Galilée mentionnées dans le Talmud. Il semble que les mots de Nathanaël de Cana : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1,47), caractérisent bien l’apparente insignifiance de ce site. Bien sûr, le peuple de Judée n’avait jamais entendu parler de Nazareth.

 

Dire que Jésus a habité le territoire de Zabulon et Nephtali revient à dire à un parisien que le salut vient du fin fond de la Corrèze, ou à un Russe que le prochain tsar viendra de Bulunkul, petit village du Tadjikistan… L’inscription de Pilate sur la croix est ironique : « Jésus de Nazareth, roi des juifs », car un roi venu de nulle part, cela ne peut pas se faire ! Pour les gens de Galilée, Nazareth est un obscur hameau qu’on traiterait aujourd’hui  de Trifouilly-les-Oies ou de Pétaouchnok ! Pour les juifs non-galiléens, c’est encore pire : Nazareth ne leur dit rien, ne leur évoque rien, ce nom n’a aucun sens pour eux.

 

Quelle ironie que le Sauveur universel vienne d’un pays perdu, celui d’une tribu quasi disparue et oubliée ! 

Quelle honte d’être originaire d’un bled paumé comme Nazareth dont il n’y a rien à attendre comme le rappelle Nathanaël ! 

Quel amour étrange des gens sales, impurs et mélangés que de venir habiter à Capharnaüm !

Quelle folie d’aller s’établir dans la Galilée des nations, véritable 9-3 de l’époque !

 

Dieu dans les marges

À partir du Christ, ses disciples se sont – laborieusement ! – exercés à reconnaître Dieu surgissant des marges :

 

– Marges géographiques 

Les innombrables figures héroïques de saints et saintes canonisés dans toutes les régions du monde nous interdisent de dire d’un pays, d’une région, d’une ville, d’un quartier : que peut-il en sortir de bon ?

 

– Marges sociales 

5193GMDYMHL._SX334_BO1,204,203,200_ margesDe Benoît Joseph Labre au Père Joseph Wrezinski, les chrétiens issus des marges de la société ont appris à faire entendre leur voix :

« Devenir combattant pour les exclus n’est pourtant pas si simple, car on ne se fait pas militant pour des individus épars : une mère ivrogne, une sorcière, un gosse malingre, par-ci, par-là. Il a fallu que je les rencontre en un peuple, il a fallu que je me découvre faisant partie de ce peuple, que je me retrouve à l’âge adulte dans ces gosses des cités dépotoirs autour de nos villes, dans ces jeunes sans travail et qui pleurent de rage. Ils perpétuent la misère de mon enfance et me disent la pérennité d’un peuple en haillons.

Il est en notre pouvoir de mettre en échec cette pérennité. La misère n’existera plus, demain, si nous acceptons d’aider ces jeunes à prendre conscience de leur peuple, à transformer leur violence en combat lucide, à s’armer d’amour, d’espoir et de savoir, pour mener à sa fin la lutte de l’ignorance, de la faim, de l’aumône et de l’exclusion » [2].  

Aujourd’hui encore, Dieu peut faire surgir des leaders de ces populations méprisées, des guides spirituels venant de ces marges peu considérées. En habitant dans la Galilée méprisée, Jésus s’inscrit dans ce droit fil des quartiers socialement défavorisés, mais porteurs de promesses. « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » : le scepticisme de Nathanaël (Jn 1,46) devrait nous alerter sur le nôtre, lorsque de nouveaux Moïse, de nouveaux Jésus voient le jour là où on ne les attend pas.

 

C’est bien cette exclusion que vise le psaume 117 : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ».

51JVmwW3GFL._SX218_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ NephtaliNous sommes capables de rejeter aux marges de la construction commune des pans entiers de la population ; mais cette exclusion peut être retournée comme un gant et devenir la chance de salut pour tous si nous savons avec Dieu faire des exclus d’aujourd’hui la pierre d’angle de la société de demain. Dans cet esprit, ATD a fondé une fraternité : « La Pierre d’Angle », entre des personnes du Quart Monde et d’autres qui les rejoignent (de 25 villes environ). La Pierre d’Angle favorise un esprit commun, qui pourrait se décliner de la manière suivante :

– ne pas cesser de rechercher le plus pauvre et le plus oublié, et lui donner la priorité.

– apprendre de l’expérience de vie des plus pauvres.

– découvrir avec eux comment la présence de Dieu se manifeste déjà dans leur vie.

– favoriser pour chaque fraternité et pour chacun de ses membres une participation accrue à la vie de l’Église et du monde.

– transmettre l’expérience de vie et la réflexion des plus pauvres à l’Église et au monde.

« Le Christ était la pierre d’angle et il faisait des plus pauvres la vie, la prière, la foi de l’Église à travers les siècles. Suivre Jésus a cette double signification : se faire pauvre et servir les plus pauvres, mais aussi : apprendre d’eux ce qu’est la vie, ce qu’est l’humanité, mais aussi : qui est Dieu » [3].

 

« Avec un esprit synodal, il faut apprendre à s’écouter, réapprendre l’art du dialogue avec les autres sans barrières ni préjugés, aussi, et de manière particulière, avec ceux qui sont en dehors, en marge, pour rechercher la proximité, qui est le style de Dieu » (Pape François). Et le Pape ajoute : « Si notre espérance ne se traduit pas par des choix et des gestes concrets d’attention, de justice, de solidarité, de soin de la maison commune, les souffrances des pauvres ne pourront être soulagées, l’économie du déchet qui les contraint à vivre en marge ne pourra être convertie, leurs attentes ne pourront pas s’épanouir. C’est à nous, en particulier aux chrétiens, d’organiser l’espérance, de la traduire dans la vie concrète de tous les jours, dans les relations humaines, dans l’engagement social et politique ».

 

Nous sommes chemin et non obstacle si nous savons répercuter cet appel largement autour de nous. Avec une préférence pour ceux que personne n’appelle, et qui restent là, Zabulons  immobiles aux marges de la société…

 

– Marges religieuses

À l’image des hérétiques samaritains dont Jésus a loué la foi ou la compassion, elles sont nombreuses les minorités religieuses méprisées par les grandes religions, et pourtant authentiquement au service de la paix et du bien commun.

Le Béguinage de Courtrai, en Belgique, un village dans la villePar exemple on a oublié en Europe le formidable témoignage de proximité et de spiritualité des béguines, dames pauvres inventant un nouvel habitat fraternel (ou plutôt sororel), autonomisant les femmes, véritable laboratoire évangélique à l’œuvre du IX° au XX° siècle ! Surtout dans les pays du Nord (Belgique, Pays-Bas), où leurs béguinages demeurent des oasis de sérénité en pleine ville.

 

« Le processus synodal montre également quelques défis récurrents, tels que l’implication de ceux qui vivent en marge des institutions de l’Église », écrivait le rapport du Vatican sur la synodalité dans l’Église.

 

Si les Églises ne bâtissent pas une société alternative à partir des marges, elles perdront leur vocation d’être « sel de la terre et lumière du monde » (Mt 5,13).

Si elles ne montrent pas qu’il est possible de bâtir une humanité plus fraternelle à partir des laissés-pour-compte, elles ne seront plus « sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (Vatican II, LG I).

Si la honte dont on couvre les vaincus de l’histoire ne nous éclabousse pas, le Christ rougira  de nous, lui qui n’a pas eu honte d’endurer l’humiliation, l’infamie de la croix : « Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu » (He 12,2).

 

Zabulon et Nephtali n’étaient guère reluisants au temps de Jésus. Mais c’est bien là qu’il a choisi de naître, à Nazareth ce bled paumé inconnu de tous. C’est justement là qu’il a choisi d’habiter, à Capharnaüm ce barnum impur où se mélangent les païens et les peuples. C’est là qu’il parcourait les routes de la Galilée des nations où se côtoyaient les marchands de la mer et les passeurs des montagnes, les soldats des légions romaines, les collaborateurs et les prostituées, les adorateurs de toutes les idoles.

 

Serions-nous encore chrétiens si nous choisissions d’habiter entre nous, de mettre nos  enfants dans les mêmes écoles, de pratiquer les mêmes loisirs, bref de vivre un communautarisme à la manière des riches du VII° arrondissement, des hassidim de Jérusalem ou des musulmans de la Seine-Saint-Denis ?

Dieu que l’entre-soi est condamnable !

 

Changeons la honte des Zabulon et Nephtali contemporains en gloire, alors nous entendrons le Christ nous déclarer : « désormais, j’habite chez toi ».

 ____________________________________

[1]. Cf. http://www.paysdezabulon.com/qui-est-zabulon/

[2]. Le croisement des savoirs et des pratiques: Quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des professionnels pensent et se forment ensemble, Groupes de Recherche Quart Monde Université Et Quart Monde Partenaire, Éditions de l’Atelier, 2008.

[3]. Père Joseph Wresinski, cf. http://www.lapierredangle.eu/

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE

Dans la Galilée des nations le peuple a vu se lever une grande lumière (Is 8, 23b – 9, 3)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane.

 

PSAUME

(Ps 26 (27), 1, 4abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut. (Ps 26, 1a)

 

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

 

J’ai demandé une chose au Seigneur,
la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie.

 

Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

 

DEUXIÈME LECTURE

« Tenez tous le même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous » (1 Co 1, 10-13.17)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : ayez tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions. Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités. Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « Moi, j’appartiens à Apollos », ou bien : « Moi, j’appartiens à Pierre », ou bien : « Moi, j’appartiens au Christ ». Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ.

 

ÉVANGILE

Il vint habiter à Capharnaüm pour que soit accomplie la parole d’Isaïe (Mt 4, 12-23)
Alléluia. Alléluia. Jésus proclamait l’Évangile du Royaume, et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe : Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée. À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela. Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Patrick Braud

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4 décembre 2022

Le lac des signes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le lac des signes

 

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année A 

11/12/2022 

 

Cf. également :

Le doute de Jean-Baptiste

Dieu est un chauffeur de taxi brousse

L’Église est comme un hôpital de campagne !

Du goudron et des carottes râpées

Gaudete : je vois la vie en rose

 

Le vieux rabbin à Rome

Du fond de sa prison, Jean-Baptiste doute.

Du fond de nos obscurités, nous doutons nous aussi.

Sans doute pas pour les mêmes raisons. Mais tous dans ces moments-là nous cherchons des signes pour nous y raccrocher. Des signes, c’est-à-dire des preuves, ou du moins des indices, des points d’appui, des raisons d’y croire.

 

On raconte qu’un vieux rabbin vivait autrefois dans un quartier chrétien qui voulait le convertir. Les habitants du quartier se cotisèrent pour lui payer un voyage à Rome, en se disant : ‘il verra la splendeur de Rome et du Vatican ; il se convertira !’ Le vieux rabbin y alla, et revint en racontant la corruption financière, les scandales de mœurs au Vatican, la richesse écœurante des bâtiments de l’Église… La figure de ses voisins s’allongeait au fur et à mesure de son récit : ‘sûrement on a loupé notre coup’. Mais le rabbin termina en disant : ‘si une institution aussi corrompue et mélangée que l’Église a pu survivre et transmettre pendant 2000 ans un message d’amour, c’est qu’elle doit être habitée par le Saint béni soit-il !’… De façon contre-intuitive, le péché de l’Église était devenu pour lui un signe de la présence de Dieu en elle !

Pouvons-nous faire un chemin semblable à celui du rabbin ?

Cahiers Evangile, n° 145. Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean, 1 : le livre des signes (Jn 1-12)Jésus donne les signes suivants : « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle ».
Le Pasteur Louis Perrot [1] souligne la contradiction qui est alors la nôtre : 

Aujourd’hui donc, Jésus guérit-il physiquement les croyants ? Apparemment non, en tout cas pas couramment. Les chrétiens meurent autant de cancers effroyables, et de maladies abominables et il n’y a pas moins d’aveugles chez les croyants que chez les athées. Alors faudrait-il penser qu’autrefois Jésus guérissait mais que maintenant il ne le fait plus ? Ce serait une insulte à la foi dans la résurrection du Christ. Normalement le Christ ressuscité n’est pas moindre que le Christ des Évangiles, ce n’est pas une portion inefficace du Jésus des temps apostoliques. (…)
Et l’on nous dit que l’Évangile est une bonne nouvelle, et si la bonne nouvelle c’est qu’il y a deux mille ans, il guérissait les malades, et ressuscitait les morts, mais qu’aujourd’hui non, alors ce n’est pas une bonne nouvelle pour aujourd’hui. On ne peut pas faire miroiter des choses aux gens, et leur dire qu’en fait ils en sont exclus. Insister sur les miracles de guérisons de l’Évangile et ne pas les attendre physiquement pour aujourd’hui, c’est rendre l’Évangile caduque, et l’exclure de fait de la vie de nos contemporains. 

Depuis qu’il y a des croyants, on n’a jamais vu qu’ils ne meurent pas de maladie, ni qu’ils ressuscitent en chair et en os. Améliorer la vue, l’ouïe, la marche, guérir la lèpre : tout cela relève plus de la science médicale que de la foi.
Alors, où sont les signes du Messie aujourd’hui ?

 

Pourquoi Jean-Baptiste et les juifs doutent sévèrement que Jésus soit le Messie ?

Nous ne réalisons pas combien il était difficile – et encore aujourd’hui – pour des juifs pratiquants de reconnaître le Christ en Jésus. Les objections, les contradictions sont trop nombreuses à lever pour qu’ils puissent facilement appeler Jésus ‘le Christ (Messie)’. Énumérons les principales difficultés, qui ont un retentissement toujours actuel, même chez les païens de ce temps.

 

- Le Messie doit rassembler les juifs à Sion. 

Le messie juifNotre première lecture de ce dimanche se fait l’écho de ce rassemblement : « Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient ».

Et Isaïe l’annonce : « Je ferai revenir ta descendance de l’orient ; de l’occident je te rassemblerai. Je dirai au nord : ‘Donne !’ et au midi : ‘Ne retiens pas ! Fais revenir mes fils du pays lointain, mes filles des extrémités de la terre » (Is 43, 5‑6).

« Alors le Seigneur changera ton sort, il te montrera sa tendresse, et il te rassemblera de nouveau du milieu de tous les peuples où il t’aura dispersé. Serais-tu exilé au bout du monde, là même le Seigneur ton Dieu ira te prendre, et il te rassemblera. Le Seigneur ton Dieu te fera rentrer au pays que tes pères ont possédé, et tu le posséderas ; il te rendra heureux et nombreux, plus encore que tes pères » (Dt 30, 3‑5).

Or après la mort de Jésus, les juifs ont été dispersés (Diaspora) sur toute la surface de la terre après la catastrophe de 70 (prise de Rome par les Romains, destruction du deuxième Temple). Si Jésus avait été le Messie, c’est l’inverse qui aurait dû se produire ! Certes il y a eu le retour d’une grande partie du peuple juif à Jérusalem et en Palestine depuis la création de l’État d’Israël en 1948. Mais ce retour à Sion a été davantage l’œuvre de Golda Meir et Ben Gourion que de Jésus. De manière grinçante, ce rassemblement à Jérusalem annoncé par les prophètes est plus dû à Hitler et la Shoah qu’à l’Évangile…

 

Infographie: Le monde en guerre en 2021 | Statista- Le Messie introduira une ère de paix dans le monde, et mettra fin à toute haine, oppression, souffrance et maladie. Comme il est écrit : « Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre » (Is 2,4 ; Mi 4,3‑4).

Or visiblement ce n’est pas le cas. Yémen, Mali, Arménie, Tibet, Ukraine, Syrie, Libye, Ouïgours, Kurdistan… : la liste des conflits violents et inhumains qui déchirent notre communauté humaine est hélas une litanie dont les horreurs émaillent chaque siècle depuis l’aube des temps. Dans sa guerre d’invasion de l’Ukraine, la « Sainte Russie » orthodoxe ne fait qu’écrire un énième chapitre de la liste sanglante des atrocités dont l’homme est capable, liste qui n’est pas prête de se terminer. « Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1, 9).

Le Messie devrait être un opérateur de paix, une paix perpétuelle et universelle. Or rien n’a changé depuis Jésus. L’humanité est toujours la même : guerrière, agressive, violente, maléfique. L’échec de cette mission de Jésus est un argument de doute redoutable : la venue de Jésus n’a finalement rien changé dans l’histoire. L’homme est toujours violent, barbare, violeur, pilleur, voleur. Ce qu’a apporté Jésus n’est d’aucune utilité pour améliorer le cours de l’histoire. Ses Églises ont même pris leur part – hélas ! – de massacres, d’esclavages, de colonisations, de dominations etc. C’est un doux rêve de croire que ce juif a incarné un tournant dans l’histoire, car rien n’a changé depuis sa mise à mort.

 

- Il étendra la reconnaissance de Yahvé à toute la terre. 

« Alors le Seigneur deviendra roi sur toute la terre ; ce jour-là, le Seigneur sera unique, et unique, son nom » (Za 14, 9).

Or les trois monothéismes représentent péniblement la moitié de l’humanité. L’animisme, l’athéisme, l’agnosticisme, le bouddhisme et autres croyances diverses ont de beaux jours devant elles. Le triomphe du christianisme à partir du IV° siècle n’était qu’apparent, ne concernait que l’Occident, et semble très compromis dans l’avenir.

 

- Le Messie doit reconstruire le Temple de Jérusalem. 

Le lac des signes dans Communauté spirituelle Second-Temple-Herode02« Je conclurai avec eux une alliance de paix, une alliance éternelle. Je les rétablirai, je les multiplierai, je mettrai mon sanctuaire au milieu d’eux pour toujours. Ma demeure sera chez eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Alors les nations sauront que Je suis le Seigneur, celui qui sanctifie Israël, lorsque mon sanctuaire sera au milieu d’eux pour toujours » (Ez 37, 26‑28). Des activistes juifs essayent même de chasser les musulmans du Dôme du Rocher pour y construire ce Temple, et hâter ainsi la venue du Messie !
Malgré Jésus, le Temple a été et reste détruit. Les chrétiens ont spiritualisé cet échec en transférant sur le corps de Jésus cette œuvre de reconstruction : détruit par la mort, il est reconstruit en trois jours par la résurrection. Ou sur l’Église, nouveau Temple de Dieu, réalisation de cette promesse messianique. Habile façon d’honorer les prophéties pour ceux qui acceptent la résurrection ainsi que l’Église comme nouveau Temple. Mais pour les juifs terre-à-terre, les ruines sous la mosquée d’Al Aqsa attendent toujours un Messie pour les relever…

 

À toutes ces objections fonctionnelles (Jésus ne remplit pas les missions attribuées au Messie des Écritures), les juifs ajoutent des objections personnelles :

 

- Jésus ne peut pas être le fils de David comme doit l’être le Messie, car la filiation se transmet par le père et l’on dit que le père de Jésus est inconnu.

 

 doute dans Communauté spirituelle- Jésus aurait dû respecter l’intégralité de la Torah et non la changer partiellement, prendre des libertés sacrilèges avec elle (collecte d’épis, guérisons, travail le jour du sabbat etc.) : « Tout ce que je vous commande, vous veillerez à le mettre en pratique. Tu n’y ajouteras rien, tu n’en retrancheras rien. S’il surgit au milieu de toi un prophète ou un faiseur de songes, qui te propose un signe ou un prodige, – même si se réalise le signe ou le prodige qu’il t’a annoncé en disant : ‘Allons à la suite d’autres dieux que tu ne connais pas, et servons-les !’ –, tu n’écouteras pas les paroles de ce prophète ou de ce faiseur de songes » (Dt 13,1‑4). Les pharisiens expriment une critique juive difficile à réfuter : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat » (Jn 9,16).

 

- Jésus est mort sur la croix comme un criminel, condamné par les Romains et les Juifs. Or le Messie doit être victorieux. Et Dieu ne peut laisser mourir son Oint, ce serait un échec absolu. Le Coran, héritier en cela de la tradition juive, se scandalise que les chrétiens affirment la crucifixion de Jésus. Mohamed invente dans le Coran la scène où un sosie est crucifié à sa place, et affirme que Jésus est monté directement au ciel sans passer par la croix. Le scandale de la croix est incompatible avec la dignité messianique pour les juifs comme pour les musulmans.

 

- Ajoutons que la résurrection d’un seul homme est impensable en judaïsme comme en islam. Le Messie doit inaugurer la résurrection générale (que les trois monothéismes attendent, même si c’est de façon différente), mais un seul ne peut ressusciter avant tous, fut-il le Messie.

 

Bref, Jean-Baptiste a raison de douter, en bon juif qu’il est.

Et nous ? Les preuves que Jésus donne aux envoyés du Baptiste sont-elles encore opérantes pour nous ?

 

Il nous faut habiter longuement ces questions, et ne pas y répondre trop vite…

Au cours des siècles, 3 solutions ont été élaborées par les communautés chrétiennes :

 

a) Insister sur les miracles et les prodiges actuels

8_FebMar2020_CWH_MainArticle_Graphic-846x508 juifCette tentative est présente dans le Nouveau Testament, où l’on voit les apôtres guérir et faire des miracles à la manière de Jésus, pour démontrer que leur prédication est vraie. Elle s’est très vite éteinte avec les persécutions des trois premiers siècles où le vrai miracle était soit de survivre, soit de trouver le courage d’aller aux lions sans renier le Christ ! Mais la tentation revient aujourd’hui, à la faveur notamment des fondamentalistes chrétiens qui prospèrent sur la misère sociale en Afrique, en Amérique du Sud, et sur la misère spirituelle en Occident. Les évangélistes, les baptistes, les Églises autoproclamées essaient d’élargir leur audience en promettant force guérisons spectaculaires, impositions des mains magiques, prières pour résoudre les problèmes personnels (succès, bonheur et santé assurés !). Chez les cathos, les plus tradis tombent dans le piège en multipliant les neuvaines, les buzz autour de soi-disant apparitions mariales, les shows et miracles charismatiques importés de mégachurchs US etc.

 

Redisons-le : la médecine occidentale a plus fait en un siècle de progrès pour la santé et l’espérance de vie que 20 siècles de traitement religieux des maladies…

Dans une culture préscientifique, on peut présenter des guérisons extraordinaires comme des signes de la foi religieuse qui les génère. Mais mieux vaut un bon CHU et des laboratoires puissants que des pèlerinages où l’on demande des guérisons. Mieux vaut une agriculture rationnelle et raisonnée que les rogations ou les œufs aux clarisses…

Maimonide osait rabrouer ses disciples trop crédules : « Ne crois pas que le roi messie doit réaliser miracles et prodiges, changer des choses dans le monde ou ressusciter les morts et toutes ces sortes de choses que disent les sots. Il n’en est rien » (Michne Tora, Lois sur les rois, Ch. 11,3).

 

Peut-être notre culture devient-elle post-scientifique ? La crise de la Raison (fake news, post-vérité, relativisme, post-démocratie…) permettrait alors le surgissement de pratiques obscures sur lesquelles certains essaieraient de fonder leur religion. Quelle régression ce serait… !

 

b) Reporter les signes à la fin

41FStCEQTwL MessiePuisqu’ils n’accompagnent plus la première venue du Messie, les chrétiens ont très vite imaginé que les signes se produiraient à la fin des temps, lors de l’ultime venue du Christ. Sur l’air de : ‘vous ne voyez rien aujourd’hui. C’est normal. Mais vous ne perdez rien pour attendre : vous verrez bien lors du Jugement dernier, tout cela se réalisera !’ Ce report eschatologique des signes messianiques a ses heures de gloire, depuis l’Apocalypse de Jean jusqu’aux innombrables tableaux magnifiques du Jugement dernier. Mieux encore : cette espérance d’une venue enfin accompagnée de tous les signes nécessaires a nourri l’imaginaire et l’espérance de dizaines de générations pour résister au mal, pour lutter contre les tyrans, pour être fidèles jusqu’à la mort.

Cette ardente solution au problème des signes manquants peut encore nous inspirer. Oui nous attendons la venue ultime où tous et tous seront Dieu en Dieu. D’ici là, nous devinons comme à travers un brouillard les réalités qui nous attendent. Nous les frôlons parfois, nous les anticipons dans les sacrements, la liturgie, la vie fraternelle, le service des pauvres. Mais c’est « de nuit » comme dirait Saint Jean de la Croix, en espérance, sans évidence aucune. De quoi récuser les délires soi-disant apocalyptiques de nombre de groupes d’illuminés…

 

c) Spiritualiser les signes messianiques

 signeC’est la plus élégante des 3 solutions aux problèmes des signes manquants. Ce que Jésus réalisait dans la chair se produit aujourd’hui dans les cœurs, dans les esprits. Il faisait entendre les sourds, et bien des sourds entendent désormais la Parole de Dieu. Il ouvrait les yeux des aveugles, et bien des convertis ouvrent les yeux sur un univers intérieur qu’ils ne soupçonnaient pas. Il faisait marcher les boiteux et grâce à l’Évangile des milliers de gens retrouvent l’usage de leurs deux jambes spirituelles. La foi chrétienne apporte une illumination intérieure, une guérison des blessures intimes, une harmonie avec le soi profond et avec l’univers. Les signes messianiques contemporains s’appellent bien-être personnel, retour à soi, réconciliation avec soi-même et l’univers. Ou alors, ce seront des signes militants pour une écologie intégrale : choix pour une sobriété heureuse, respect de l’environnement, spiritualité écologique, réforme des systèmes polluants etc.

Dans les années 60-90, c’était plutôt la Révolution, la lutte des classes, la justice sociale, les décolonisations qui étaient les signes messianiques ou du moins relus comme tels par les cathos de l’époque. Quelques désillusions plus tard, le risque est grand de ne devenir qu’un chamanisme ou une O.N.G. parmi d’autres…

 

BILAN :

La première solution est naïve et fonctionne auprès de ceux dont les besoins fondamentaux, en bas de la pyramide de Maslow, ne sont pas honorés. Son atout est de prendre soin concrètement de quelques problèmes individuels pour leur apporter une réponse immédiate et concrète : une guérison, un secours, une bouée de sauvetage. Le risque serait de transformer l’espérance messianique en soupe populaire, en parenthèse enchantée réservée à quelques-uns. D’ailleurs, d’autres religions, d’autres sagesses prétendent donner les mêmes fruits de guérison et de miracle sans recourir au Dieu d’Israël. Et tous ceux qui aiment la Raison auront du mal à apprécier une religion magique.

 

La deuxième solution est radicale : ne vous étonnez pas que certains de ces signes ne se produisent pas encore, car nous attendons la seconde venue du Messie ! Imparable… mais l’Occident se fatigue d’attendre la réalisation d’une promesse qui tarde à venir et ne change rien au présent.

 

La troisième solution est intelligente, et nourrit la spiritualité chrétienne depuis des siècles. Les signes messianiques sont en nous, et avec les yeux de la foi nous voyons des gens ne plus claudiquer intérieurement, trouver un sens à leur vie, entendre un appel à aimer. Cependant, le risque est grand à terme de séculariser la foi chrétienne en la réduisant à un bien-être intérieur. Comme la médecine a pris le relais des miracles, le développement personnel prendra le relais de la conversion spirituelle, sans recourir à Dieu.
Heureusement, il nous reste toujours le dernier critère, qui – lui – reste toujours actuel : « la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres »

L’inquiétude demeure cependant devant ce lac des signes bien plat, où apparemment il ne se passe rien.
Lack of signs, parodierait l’humour britannique pour déplorer ce manque de signes…

Ne répondons pas trop vite. Comme Jean-Baptiste, envoyons au Christ nos émissaires pour lui demander : es-tu celui qui doit venir ? à quoi pouvons-nous le reconnaître ?


[1]Pourquoi Jésus a-t-il guéri ?, Prédication prononcée le 28 septembre 2014, au Temple de l’Étoile à Paris, par le Pasteur Louis Pernot.
Cf. https://etoile.pro/en-relation-a-dieu/predications/pourquoi-jesus-a-t-il-gueri-lp

 



 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Dieu vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 1-6a.10) 

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

 

PSAUME

(Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a)
R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous ! ou : Alléluia ! (cf. Is 35, 4)

 

Le Seigneur fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,


le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
D’âge en âge, le Seigneur régnera.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Tenez ferme vos cœurs car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5, 7-10)

 

Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

 

ÉVANGILE
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-11)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61,1)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »
Patrick BRAUD

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20 novembre 2022

La venue. Quelle venue ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La venue. Quelle venue ?

 

Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année A 

27/11/2022 

 

Cf. également :

L’Apocalypse, version écolo, façon Greta

Encore un Avent…

Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

Ce déluge qui nous rend mabouls

L’absence réelle

Le syndrome du hamster

Dans l’évènement, l’avènement

L’évènement sera notre maître intérieur

 

L’évènement du jardin de Milan

Au IV° siècle, Augustin traverse une grave crise intérieure. Avec sa concubine, il a déjà eu un enfant, mais sa vie de couple non engagé le laisse insatisfait. Il a traîné dans tous les milieux interlopes de Milan, et particulièrement dans le groupe très fermé des Manichéens. Mais il a du mal à croire Dieu du Mal… Et sa vie de plaisirs (ripailles, aventures, soûleries) lui laisse un goût amer en bouche.

La venue. Quelle venue ? dans Communauté spirituelle previewJe disais et je pleurais dans toute l’amertume d’un cœur brisé. Et tout à coup j’entends sortir d’une maison voisine comme une voix d’enfant ou de jeune fille qui chantait et répétait souvent : « Prends et lis ! (« Tolle et lege ») ; prends et lis ! » 

Et aussitôt, changeant de visage, je cherchai sérieusement à me rappeler si c’était un refrain en usage dans quelque jeu d’enfant ; et rien de tel ne me revint à la mémoire. Je réprimai l’essor de mes larmes, et je me levai, et ne vis plus là qu’un ordre divin d’ouvrir le livre de l’Apôtre, et de lire le premier Chapitre venu. (…) 

Je revins vite à la place où Alypius était assis ; car, en me levant, j’y avais laissé le livre de l’Apôtre. Je le pris, l’ouvris, et lus en silence le premier chapitre où se jetèrent mes yeux : « Ne vivez pas dans les festins, dans les débauches, ni dans les voluptés impudiques, ni en conteste, ni en jalousie ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à flatter votre chair dans ses désirs » (Rm 13,11-14). Je ne voulus pas, je n’eus pas besoin d’en lire davantage. Ces ligues à peine achevées ; il se répandit dans mon cœur comme une lumière de sécurité qui dissipa les ténèbres de mon incertitude.

Saint Augustin, Confessions VIII, 12 n°29. 

 

Il suffit parfois de la voix d’un enfant dans le jardin voisin (« Tolle et lege ») pour que l’imprévu fasse irruption et change le cours d’une vie en un instant.

Ce jour-là, on peut dire que le Fils de l’homme est venu dans la vie d’Augustin. Il datera symboliquement sa conversion au Christ de ce jour où il a laissé un texte de la Bible – notre deuxième lecture de ce dimanche (Rm 13,11-14) ! – devenir une parole percutante, écrite spécialement pour lui, le bouleversant de fond en comble.

 

Ce fameux « Tolle et lege » est devenu l’archétype de bien des conversions flash qui, depuis Saül sur la route de Damas, parsèment l’histoire de l’Église de ces renversements subits où quelque chose d’unique arrive dans l’existence de quelqu’un et le transforme instantanément : la confession de Charles de Foucauld dans une église parisienne par l’abbé Huvelin, la vue de vieillards à l’agonie dans les rues de Calcutta pour Mère Teresa, le chant du Magnificat derrière un pilier de Notre-Dame de Paris pour Claudel, le soupir de son père devant les chaussons de Noël dans la cheminée pour la petite Thérèse, la découverte de la Bible dans une malle chinoise par des lettrés coréens etc.

Comme pour nous, il y a des évènements qui font date, dans lesquels nous reconnaissons après coup la venue du Christ en nous.

 

C’est l’une des interprétations possibles de notre évangile de ce dimanche (Mt 24,37-44), annonçant la venue du Fils de l’homme :

« Ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. (…) Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra ».

Pour Augustin comme pour les autres, le Fils de l’homme est venu jusqu’à lui à partir de ce Tolle et lege singulier.

Les mystiques ont longuement développé cette intuition au cours des siècles : la venue du Fils de l’homme peut se réaliser en moi, aujourd’hui. C’est le château intérieur de Thérèse d’Avila, la vive flamme d’amour de Saint Jean de la Croix, la naissance du Verbe en nous des mystiques rhénans (Tauler, Eckhart, Suso), la déification des starets orthodoxes, l’union à Dieu des béguines (Hildegarde von Bingen, Hadewith d’Anvers).

Autrement dit : l’Avent, c’est aujourd’hui ! Il nous est possible, en laissant l’Esprit du Christ devenir notre intime, de goûter la venue du Fils de l’homme en toutes choses, dès maintenant.

 

Les 4 venues du Fils de l’homme

La première venue du Fils de l’homme est bien sûr l’Incarnation, la venue en notre chair.

La deuxième venue est celle dont parle notre évangile, du moins en première interprétation : à la fin (= l’accomplissement) des temps, lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts comme nous le rappelle le Credo.

Comme ces deux venues sont très loin de nous (la probabilité pour nous de voir le retour ultime du Christ est… infime !), les chrétiens ont vite réalisé que pour chacun d’entre eux, il y a une rencontre assez probable du Christ venant à nous : notre propre mort. L’eschatologie alors été remplacée en pratique dans l’Occident du Moyen Âge par « l’art de bien mourir », c’est-à-dire la préparation de cette venue personnelle du Fils de l’homme qu’est notre mort. Loin de l’euthanasie contemporaine, la « bonne mort » du Moyen Âge était l’art de cultiver la conscience d’être fragile et éphémère, et de mettre sa vie en ordre sans tarder, car la mort pouvait survenir à tout moment. C’est la troisième venue du Fils de l’Homme.

 Augustin dans Communauté spirituelleLa quatrième venue du Christ est celle d’Augustin, celle que les mystiques de tous les âges ont désirée et recherchée : l’union intime avec le Christ, la naissance du Verbe en nous.

 

Intéressons-nous à cette quatrième venue.

Dans notre Évangile, Jésus semble la lier à l’arrivée d’un évènement extraordinaire : le déluge, le voleur. La venue du Fils de l’homme en nous est toujours médiatisée par un évènement : comment reconnaître celui-ci lorsqu’il survient ? Comment discerner parmi tout ce qui nous arrive ce qui est signe du Christ qui s’approche ? Ce qui est porteur d’une communion profonde avec lui ? Il y a tant de bruit et de fureur autour de nous… Les faits divers s’amoncellent et disparaissent, les grands titres des journaux télévisés ne changent pas forcément notre proximité avec le Christ, les rumeurs des réseaux sociaux n’ont pas toutes le même impact. Les évènements extraordinaires de ma vie ne sont pas tous porteurs d’une signification spirituelle etc.

 

Proposons ici cinq critères de discernement auquel un évènement doit satisfaire pour pouvoir médiatiser la venue du Fils de l’homme en nous [1] : la surprise, l’imprévu, l’altérité, l’irréversible, le récit.

 

L’évènement est une surprise

Un Dieu plein de surprises Sinon c’est un fait attendu, la conclusion logique d’une série de forces en présence.

À tel point qu’on a voulu sauvegarder le potentiel de nouveauté cachée en toute naissance par exemple en l’appelant « heureux évènement », alors qu’elle est le plus souvent programmée, voire déclenchée. Car se laisser surprendre par l’enfant nouveau-né est bien un enjeu parental : ces quelques kilos de chair et de sang ne sont pas que la résultante de nos désirs et de nos projections.

L’évènement est d’abord une surprise de la conscience : « Je ne m’y attendais pas ».

Pour discerner des évènements, il faut donc commencer par apprendre à être surpris ! Ce qui n’est pas loin de la capacité à s’étonner, être curieux de ce qui sort de l’ordinaire. Moïse est surpris par ce buisson qui brûle sans se consumer. Abraham est surpris de voir ce bélier pris par les cornes dans les ronces. Joseph est étonné du ventre de Marie qui s’arrondit sans qu’il y soit pour rien. Paul est littéralement désarçonné par cette lumière intérieure qui le bouleverse sur le chemin de Damas. Jésus lui-même est surpris par la foi du centurion romain, l’insistance de la femme hémorroïsse, ou l’universalisme de la libanaise qui réclame les miettes des petits chiens sous la table…

Parce qu’il est surprenant, l’évènement nous arrache à notre référentiel habituel ; il nous ouvre à une autre manière de voir le monde. Il est ce « jaillissement continu d’imprévisible nouveauté », comme aimait à le qualifier Bergson.
Divine surprise !

 

L’évènement est imprévisible

Sinon c’est le résultat d’un calcul.

Rabbi Zeira disait à des rabbis qui discutaient de l’arrivée du Messie en sa présence: « Je vous en prie, ne la rendez pas lointaine [par vos discours] car on nous a enseigné que trois choses peuvent arriver à l’improviste : le Messie, une trouvaille et la piqure d’un scorpion » (Traité Sanhedrin 97a).


Nulle programmation dans l’évènement : il jaillit, sans nécessité autre que lui-même. Ainsi la Création : pour Dieu, elle n’est pas nécessaire. Mais elle jaillit, librement, de
la liberté divine, sans autre contrainte qu’elle-même. Beaucoup de nos rencontres humaines sont ainsi : non préparées, non nécessaires, elles nous frappent de plein fouet au moment où nous nous y attendons le moins. De la rencontre amoureuse à l’éblouissement spirituel, du choc de l’émotion artistique à la révélation provoquée par une lecture, qui aurait pu prédire que tel livre, telle musique, tel visage, deviendrait sa source d’inspiration, son mari, sa femme, son ami, son maître à penser ?

 

51HSHR3V61L._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ AventLa théorie du chaos nous enseigne qu’il y a deux formes d’imprédictibilité. Quand nous n’avons pas toutes les données ni toute la puissance de calcul nécessaire, même s’il y a des lois précises, leurs résultats nous échappent. On parle alors de chaos déterministe. En théorie, il est possible de prévoir, mais en pratique, c’est trop compliqué et trop sensible pour avancer des conclusions certaines.
Mais il existe d’autres situations où, structurellement, il nous est impossible de prédire ce qui va arriver. En mathématiques, des courbes divergent sans qu’on puisse à l’avance savoir vers quelle valeur elles le feront (bifurcation de Feigenbaum). En physique quantique, il est impossible de prédire en même temps la vitesse et la position d’une particule (principe d’incertitude d’Heisenberg). On parle alors de chaos indéterministe, c’est-à-dire d’une impossibilité structurelle d’annoncer ce qui va se passer.

 

L’évènement au sens biblique relève bien sûr de cette seconde catégorie : il surgit, sans qu’on puisse l’annoncer, tel Cyrus permettant aux juifs exilés de revenir à Jérusalem. En plein exil, qui aurait parié sur un roi perse pour revenir de Babylone ? En plein désert, quel hébreu aurait parié sur la manne pour nourrir le peuple ? Sur les cailles ? Et qui aurait pu imaginer que le grand Dieu d’Israël irait s’incarner dans un nourrisson d’un obscur village de la Galilée méprisée… ?

Discerner les évènements nous demande donc de guetter ce qui dépasse nos prévisions, ce qui déborde nos calculs, ce qui ne faisait pas partie de nos stratégies initiales.

 

L’évènement est signe d’altérité

Affiche de l'exposition - Venus d'ailleurs. Matériaux et objets voyageurs - 40 x 60 cmSinon c’est le train-train qui continue.

Le mot évènement dit bien qu’il vient d’ailleurs : ex-venire. Il atteste qu’il y a un au-dehors de notre système ordinaire. Et dans la Bible, il est le signe du Tout-Autre qui se manifeste tout proche.

Grâce à l’évènement, nous découvrons qu’il y a un autre monde possible : d’autres relations (amoureuses, amicales, intellectuelles etc.), d’autres peuples, d’autres lectures, musiques, danses, peintures ; d’autres infinis à explorer…

L’évènement est d’ailleurs et d’autrui. S’il « arrive », c’est que nous n’en sommes pas les auteurs ni les acteurs. Notre action ne sera jamais qu’une réponse : il a toujours déjà pris les devants. Pour qui ne pense la liberté qu’en termes d’autonomie et d’indépendance, l’évènement est une épreuve. Par définition, il n’est pas choisi, il vient d’ailleurs. En langage stoïcien, il est toujours du mauvais côté, de celui des « choses qui ne dépendent pas de nous » et qui, à ce titre, troublent la liberté. Mais puisque la vie est pleine d’évènements, et que de plus ils ne sont pas tous malheureux, ne faut-il pas plutôt s’efforcer de déchiffrer le sens, pour la liberté, de cette altérité qui vient sans cesse déranger son autonomie ?

Parce qu’il nous révèle une altérité inconnue, l’évènement est un appel à ouvrir notre cœur et notre intelligence à ce que nous ne connaissions pas auparavant.

 

L’évènement est irréversible

irreversibilite évènementSinon il n’est qu’un feu de paille sans lendemain.

Le surgissement de l’évènement marque une frontière : il y a un avant et un après. Il nous marque au fer rouge pour transformer radicalement nos manières de vivre, penser, consommer, travailler, aimer. C’est toute la différence entre le touriste et le missionnaire. Le touriste trouve le pays très joli, il prend des photos, il en parle savamment à son retour, mais en réalité il ne change rien à sa vie d’avant. Il ne fait qu’ajouter à son tableau de chasse. Le missionnaire est bouleversé par la culture de l’autre, au point souvent d’apprendre sa langue, ses mœurs, et de vivre avec lui, comme lui.

Irréversible, l’évènement ne se répète pas, sinon c’est de la mécanique, ou un symptôme. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait déjà le vieil Héraclite…


Il y a de l’irréversible (au sens positif) dans l’évènement biblique : rien ne sera plus comme avant pour Paul après le chemin de Damas ; Sarah la stérile sera enceinte après la visite surprise des trois voyageurs ; Marie de Magdala suivra Jésus jusqu’à la croix après avoir été guérie etc.

Si l’évènement ne change rien dans nos vies après, ce n’est pas un évènement, c’est un fait divers. Et les faits divers peuplent inutilement les journaux télévisés en se faisant passer pour importants.

 

L’évènement appelle notre récit

41qF91w0SQL._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ MessieSinon, il demeure enfoui dans l’inconscient personnel et collectif.

Le récit permet de donner un sens à ce qui est arrivé de manière surprenante, imprévisible, hors normes, irréversible. Ce besoin de raconter les évènements pour les inscrire dans une histoire et ainsi leur donner du sens est à la racine de l’écriture biblique. Sans ces textes, les rencontres extraordinaires d’Abraham à Moïse, de David à Marie, seraient cachées, oubliées, stériles.

Si je ne raconte pas ce qui m’est arrivé, je ne suis qu’un bateau ivre ballotté au gré des vagues contradictoires. Les Confessions de Saint Augustin ont marqué en Occident le début de ce genre littéraire où un auteur se raconte pour comprendre la cohérence de son parcours personnel et collectif. Écrit à l’époque du déclin de l’empire romain, il est frappant de voir combien le récit d’Augustin nous permet de comprendre l’effondrement à venir, et nos propres déclins …

Parce qu’il fait brèche dans l’ordinaire, l’évènement rend possible une autre intelligibilité de mon histoire. Si personne ne raconte la Shoah, elle n’aura servi à rien et la Bête de l’antisémitisme réapparaîtra, sous une forme sous une autre. Si le romancier n’écrit pas ses bouquins, tout un pan de la conscience contemporaine ne sera pas exploré. Si nous ne racontons pas l’évènement de l’élection de Jean-Paul II en pleine crise communiste, nous ne comprendrons rien au conflit actuel avec la Russie etc.

 

Raconter un évènement, c’est le situer rétrospectivement dans une séquence causale intelligible, le mettre à la première personne, c’est-à-dire l’assumer comme sien, et l’inscrire dans une trame temporelle qu’il contribue alors à orienter. En hébreu, évènement et parole se disent par le même terme : davar. Tant que l’évènement n’est pas venu à la parole, tant que la parole n’est pas elle-même devenue évènement, le premier reste un fait brut, sinon brutal, la seconde risque l’insignifiance et le bavardage.

 

Cette rupture que l’évènement opère entre le passé et l’avenir, au point de « faire date », n’est pas déchiffrable en l’instant. Même si l’évènement est spectaculaire, nous ne pouvons jamais saisir son sens sur le fait, ni le dominer de surplomb ; nous ne savons jamais sur le moment les promesses ou les menaces qu’il renferme : l’évènement, comme Dieu, ne se laisse voir que de dos. Il faut du temps, de la rumination, de la prière, pour qu’ensuite, par le récit, de possibles interprétations de ce qui est arrivé se fassent jour et éclairent notre avenir à partir de ce point singulier de notre histoire.

 

Parce qu’il est source d’intelligibilité, l’évènement ouvre notre compréhension du monde à d’autres possibles, et c’est en trouvant les mots pour le dire que nous en faisons un aiguillage efficace et sûr.

 

L’évènement du jardin de Milan a bouleversé la vie d’Augustin.

Comme pour lui, le Fils de l’homme vient aujourd’hui frapper à notre porte.

Comment l’entendre ? Comment lui ouvrir ?

Apprenons à discerner les évènements des faits divers, à écouter dans ces évènements l’appel à changer de vie qu’ils recèlent, en racontant ce qui nous est arrivé…

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[1]. Je m’inspire ici librement de l’excellent article : La grâce du possible. Quand l’imprévu bouscule nos attentes, Dossier du numéro CHRISTUS N°198 Avril 2003
Cf. https://www.revue-christus.com/article/la-grace-du-possible-866

 

 

LECTURES DE LA MESSE


PREMIÈRE LECTURE

Le Seigneur rassemble toutes les nations dans la paix éternelle du royaume de Dieu (Is 2, 1-5)


Lecture du livre du prophète Isaïe

Parole d’Isaïe, – ce qu’il a vu au sujet de Juda et de Jérusalem.
Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : « Venez ! montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. » Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur.
Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre.
Venez, maison de Jacob ! Marchons à la lumière du Seigneur.

 

PSAUME

(Ps 121 (122), 1-2, 3-4ab, 4cd-5, 6-7, 8-9)
R/ Dans la joie, nous irons à la maison du Seigneur. (cf. Ps 121, 1)

 

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem !

 

Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un !
C’est là que montent les tribus,
les tribus du Seigneur.

 

C’est là qu’Israël doit rendre grâce
au nom du Seigneur.
C’est là le siège du droit,
le siège de la maison de David.

 

Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment !
Que la paix règne dans tes murs,
le bonheur dans tes palais ! »

 

À cause de mes frères et de mes proches,
je dirai : « Paix sur toi ! »
À cause de la maison du Seigneur notre Dieu,
je désire ton bien.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Le salut est plus près de nous » (Rm 13, 11-14a)

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, vous le savez : c’est le moment, l’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans orgies ni beuveries, sans luxure ni débauches, sans rivalité ni jalousie, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ.

 

ÉVANGILE

Veillez pour être prêts (Mt 24, 37-44)
Alléluia. Alléluia. Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme. Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Patrick BRAUD

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