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19 janvier 2013

La hiérarchie des charismes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La hiérarchie des charismes

Homélie du 2° Dimanche du temps ordinaire / Année C
20/01/2013

 

Dans les entretiens d’embauche, une question revient souvent, censée déstabiliser le candidat et le révéler en vérité : « quelle est votre plus grande qualité ? »
Le piège n’est pas simple à éviter. Si le demandeur d’emploi cite une trop grande qualité (ex : je suis le meilleur dans mon métier), il passera pour un prétentieux avec un ego difficile ; si au contraire ils se sous-estime (ex : je suis plutôt gentil), il n’inspirera pas confiance pour des postes à responsabilités.

Bref, discerner son talent principal demande beaucoup de sagesse, de connaissance de soi, et d’humilité réaliste.

Saint-Paul semble aider la communauté de Corinthe à réussir son entretien d’embauche ! Quelles sont les qualités principales de cette Église locale ? Quels sont les dons les plus importants qu’elle a reçus de l’Esprit Saint ? Autrement dit : quelle est la hiérarchie des charismes qui doit orienter l’action de La hiérarchie des charismes dans Communauté spirituelle b2-cdb---des-criteres-pour-discerner-les-charismesl’assemblée ? 

Visiblement, les corinthiens étaient fascinés par les charismes les plus spectaculaires. Certains semblaient « parler en langues », c’est-à-dire prier en chantant au-delà des mots, comme dans une langue inconnue. D’autres semblaient avoir des pouvoirs de guérison, toujours impressionnants. Si vous allez visiter les communautés baptistes, évangéliques, ou du renouveau charismatique, vous retrouverez ces charismes et d’autres encore. Auprès des populations africaines notamment, l’attrait de ces pouvoirs extraordinaires est énorme.

Comment réagit Paul ?

Il remet les choses dans l’ordre, avec tact. Il prend de la hauteur. Aux fidèles trop friands de « charismes » plus visibles, il montre la diversité des dons qui concourent tous à l’oeuvre du Seigneur. Tous les dons ont la même source et le même but. L’unité d’origine est marquée par les trois expressions sur pied d’égalité : « le même Esprit », « le même Seigneur », « le même Dieu ». L’unité de but, car les charismes sont donnés pour le bien de l’Église, non pour une gloire personnelle, est exprimée par l’oikodomé, « l’édification », la construction de la communauté. Ce sera l’ultime critère dont l’Apôtre se servira pour juger de la valeur d’un charisme : « Je préfère dire cinq paroles intelligibles pour instruire les autres plutôt que dix mille en langues ». On notera que l’ordre des charismes est à gradation descendante : les derniers nommés sont ceux que les Corinthiens sont portés à trop priser.

 charismes dans Communauté spirituelle 

C’est donc qu’un charisme ne vaut que par la finalité qu’il sert. Les talents d’Hitler (éloquence, ascendant sur les foules, stratégie industrielle?) auraient peut-être fait des merveilles s’il ne s’était mis au service du nazisme. Un charisme n’est jamais qu’un moyen au service d’une fin, pas un but en soi. Pour Paul, le but ultime est l’édification de la communauté, ce qui implique son unité et sa croissance.

Ce but n’est pas individuel : répétons-le, un charisme n’est pas donné pour la gloire personnelle de quelqu’un, mais pour le mettre au service de tous.

Dans la vie de l’Église actuelle, cela met clairement certains charismes au-dessus des autres : le sens de l’unité avant la recherche du spectaculaire, le discernement de ce qui est sage avant la radicalité de la foi, la défense des pauvres avant la connaissance intellectuelle. Attention cependant : hiérarchiser les charismes ne veut pas dire les dévaloriser. Chaque talent reçu compte, chaque don individuel mérite d’être reconnu, respecté, encouragé. Mais il y a un ordre d’importance qui ne les met pas tous au même rang.

Transposez cela au monde professionnel.

Cela demande d’abord que chacun puisse découvrir, se dire à lui-même et aux autres ce qu’il a reçu comme talent : untel sait bien parler et emporter la conviction ; un autre est le champion de l’organisation ; un autre encore sait créer les liens indispensables etc…

Un chef d’équipe qui voudra être « servant leader » aura à coeur d’aider chacun des membres de son équipe à mettre au jour ses charismes professionnels. Impossible de manager une équipe sans avoir cette passion du chercheur d’or, qui passe et repasse au tamis l’eau de la rivière, même la plus boueuse, pour y discerner des pépites de toutes tailles. Ensuite, le travail du « boss » est reconnaître ou de manifester ces charismes à l’intéressé lui-même, à son équipe, et de les valoriser pour leur permettre de donner toute leur puissance. Et enfin il doit veiller à ce qu’ils soient mis au service du bien commun de l’équipe, de l’entreprise. Ce dernier point fait toute la différence entre la réussite individuelle et le progrès commun, entre le mercenaire et le mousquetaire en quelque sorte.

 

Le critère paulinien un vaut également pour l’entreprise : le but ultime est l’unité et la croissance. C’est là un critère de discernement finalement assez simple. Les qualités qui le-voyage-du-directeur-des-ressources-humaines-affiche-19b81 discernementpeuvent faire progresser cette« édification » sont à privilégier sur les autres. Les collaborateurs qui s’inscrivent dans cette dynamique de l’édification commune sont à promouvoir en priorité. Les « patrons » qui seront dans cet esprit de servant leader par rapport à leurs équipes sont à valoriser avant les autres.

Introduire cette hiérarchie dans les charismes professionnels peut obliger à revoir bien des progressions de carrière, bien des politiques de recrutement, voire beaucoup de méthodes d’évaluation et les grilles salariales afférentes.

Corinthe, c’était un port de commerce à la jointure de monde, où la mondialisation par la mer faisait bouillonner le chaudron des cultures et des classes sociales. L’Église corinthienne était faite de dockers – des durs, des tatoués - et des classes sociales les plus basses. Pourtant, une multitude de charismes y éclatait. Et Paul, sans en étouffer aucun, met patiemment de l’ordre, invite la communauté à pacifier sa vie interne en partant de l’essentiel, sans se laisser fasciner par les charismes de moindre importance.

Si Paul a pu faire ce travail de discernement à Corinthe, nous pouvons en faire un semblable dans nos communautés ecclésiales comme dans nos entreprises.

Prendre conscience des charismes reçus et aider chacun à le faire, les hiérarchiser pour ne pas perdre de vue l’essentiel, les mettre au service de l’édification commune : voilà un chemin qui parlera au maître spirituel comme au DRH soucieux de la progression de ses collaborateurs…

 

1ère lecture : Les noces de Dieu et de son peuple (Is 62, 1-5)

Lecture du livre d’Isaïe

Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
pour Sion je ne prendrai pas de repos,
avant que sa justice ne se lève comme l’aurore
et que son salut ne flamboie comme une torche.
Les nations verront ta justice,
tous les rois verront ta gloire.
On t’appellera d’un nom nouveau,
donné par le Seigneur lui-même.
Tu seras une couronne resplendissante
entre les doigts du Seigneur,
un diadème royal dans la main de ton Dieu.
On ne t’appellera plus : « La délaissée »,
on n’appellera plus ta contrée : « Terre déserte »,
mais on te nommera : « Ma préférée »,
on nommera ta contrée : « Mon épouse »,
car le Seigneur met en toi sa préférence
et ta contrée aura un époux.
Comme un jeune homme épouse une jeune fille,
celui qui t’a construite t’épousera.
Comme la jeune mariée est la joie de son mari,
ainsi tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume : Ps 95, 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac

R/ Allez dire au monde entier
les merveilles de Dieu !

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : « Le Seigneur est roi ! »
Il gouverne les peuples avec droiture.

2ème lecture : Diversité des charismes dans l’unité (1Co 12, 4-11)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l’Église sont variées, mais c’est toujours le même Seigneur.
Les activités sont variées, mais c’est toujours le même Dieu qui agit en tous.
Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous.
À celui-ci est donné, grâce à l’Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l’Esprit, le langage de la connaissance de Dieu ;
un autre reçoit, dans l’Esprit, le don de la foi ; un autre encore, des pouvoirs de guérison dans l’unique Esprit ;
un autre peut faire des miracles, un autre est un prophète, un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l’Esprit ; l’un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses, l’autre le don de les interpréter.
Mais celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté.

Evangile : Les noces de Cana (Jn 2, 1-11)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Soyons dans la joie pour l’Alliance nouvelle :
heureux les invités aux noces de l’Agneau !
Alléluia. (Cf. Ap 19, 7.9)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Il y avait un mariage à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au repas de noces avec ses disciples. 

Or, on manqua de vin ; la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
Or, il y avait là six cuves de pierre pour les ablutions rituelles des Juifs ; chacune contenait environ cent litres.
Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau les cuves. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Le maître du repas goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l’eau.
Alors le maître du repas interpelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier, et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »

Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana en Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Patrick Braud

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17 novembre 2012

La destruction créatrice selon l’Évangile

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La destruction créatrice selon l’Évangile

Homélie du 33° Dimanche ordinaire  / Année B
18/11/12

La petite apocalypse de Mc 13,24-32 commence dans un fracas hollywoodien. Visiblement, les images employées ici sont destinées à impressionner : détresse, obscurité, chute des étoiles, puissances célestes ébranlées… Symboliquement, cela signifie que l’homme ne pourra plus se rassurer par lui-même, que ce qui l’éclairait jusqu’à présent (la raison, la science, la sagesse, la coutume…) ne brillera plus pour lui ; que ce qui était élevé va être abaissé, que ce qui paraissait puissant va bientôt être profondément bouleversé.

Les premiers chrétiens étaient persuadés que les temps troublés qu’ils vivaient étaient annonciateurs du retour imminent du Christ : persécutions, révolte contre Rome, destruction du temple de Jérusalem… Au moment où Marc écrit, l’attente du retour du Christ devient une espérance tangible : c’est pour demain ! Peut-être Jésus lui-même a-t-il cru en cette imminence de son retour ? Heureusement, Marc précise que le Fils lui-même ne sait pas quand cela arrivera pour de bon, ce qui évite de spéculer sur la fin du monde à la manière des Témoins de Jéhovah ou des oracles du 21 décembre 2012.

Reste que la venue du Fils de l’homme à notre porte s’accompagne dans un premier temps de chute, de fracas, de destruction.

Qui n’a jamais vu s’écrouler en quelques instants quelque chose ou quelqu’un de très cher ne sait pas de quoi il est question ici.

Est-il privilégié ? Oui parce qu’il évite la douleur de la perte et la morsure de la détresse. Non s’il passe à cause de cela à côté des signes qui annoncent un vrai renouvellement de son existence.

Car la destruction qui accompagne la venue du Fils de l’homme en nos vies se conjugue aussitôt avec une incroyable puissance de résurrection : les branches du figuier deviennent tendres, les feuilles sortent, l’été se rapproche. Il y a ce qui s’écroule et qui fait grand bruit. Il y a ce qui naît en silence. Comme le dit un proverbe africain : « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. ».

La venue du Christ en nous s’accompagne selon Marc (et aussi Daniel 12,1-3) d’un double mouvement : chute/relèvement ; obscurité/éveil ; détresse/unité ; bouleversements/puissance.

C’est donc il y a des choses qui s’effacent et d’autres qui naissent, des déclins et des surgissements, des destructions et des re-créations. Le Christ vient à nous sur ces lignes de crête.

 

Schumpeter et la destruction créatrice

Afficher l'image d'origineUn économiste du XXe siècle, Joseph Schumpeter, avait diagnostiqué une réalité semblable en économie. Il l’a formalisé dans le célèbre concept de « destruction créatrice », dans lequel il constate que tout progrès économique, toute innovation majeure s’accompagne d’abord d’une destruction d’emplois et de richesse due à l’obsolescence de la technique et des modes de production antérieurs.

« L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d’organisation industrielle ? tous éléments créés par l’initiative capitaliste. [...] L’histoire de l’équipement productif d’énergie, depuis la roue hydraulique jusqu’à la turbine moderne, ou l’histoire des transports, depuis la diligence jusqu’à l’avion., l’ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l’atelier artisanal et la manufacture jusqu’aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d’autres exemples du même processus de mutation industrielle ? si l’on me passe cette expression biologique ? qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c’est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s’y adapter. » 

Joseph Schumpeter, 1943 (Traduction française de 1951) Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107.

La destruction créatrice selon l'Évangile dans Communauté spirituelle cit-schumpeter 

Lorsque les métiers à tisser Jacquard vinrent révolutionner l’industrie textile au XIX° siècle, on a cru que c’était la fin du monde pour les canuts de Lyon. Mais ce que les métiers à tisser ont détruit d’emplois s’est réinvesti ailleurs, ou autrement, dans de nouveaux métiers inexistants auparavant. Lorsque l’électricité a concurrencé la vapeur, nombres d’emplois ont dû se transformer et se reconvertir. Lorsque le télégraphe est apparu, les diligences et les compagnies postales se sont écroulées. Aujourd’hui, le tout numérique menace les emplois dédiés au papier et à l’analogique, et en même temps cela crée des dizaines de métiers inconnus jusque-là.

Bref, l’innovation technologique bouleverse, renverse un ordre établi en même temps qu’elle en annonce un autre.

 

Thomas Kühn et le changement de paradigme

Afficher l'image d'origineCe double mouvement de destruction créatrice semble également vrai dans la logique de la découverte scientifique. C’est ce que Thomas Kühn appelle le changement de paradigme. Un paradigme, c’est l’ensemble des hypothèses et des interprétations qui permettent d’avoir une vision relativement cohérente du monde.  C’est une certaine manière de voir le monde (une Weltanschauung dirait Max Weber). C?est  l’ensemble des croyances, valeurs et techniques qui sont partagées par les membres d’une communauté scientifique, au cours d’une période de consensus théorique.

Avec Newton et Galilée, on vivait sous le paradigme d’une mécanique céleste bien huilée et bien ordonnée. Avec Einstein, on est passé à une vision du monde où les anciennes certitudes vacillaient : la masse n’est plus constante, la vitesse dépend de la position d’observateur, l’énergie n’est plus différente fondamentalement de la matière. Avec Planck, Schrödinger et la mécanique quantique, on a basculé dans un monde encore plus troublant et incertain, où on ne sait même plus mesurer la masse et la vitesse d’une particule en même temps. Avec Prigogine et Gleick, on aborde avec étonnement un monde où le chaos fait surgir des formes, où la matière s’organise d’elles-mêmes pour faire émerger de la vie nouvelle.

La lecture pascale des événements

Pourquoi insister longuement sur cette destruction créatrice en économie et autre lettre-aux-catholiques-de-france Apocalypse dans Communauté spirituellechangement de paradigme en sciences ? Parce que ces concepts nous disent tous à leur manière ce que l’Évangile nous exprime dans le langage de son temps : la venue du divin en nous se situe dans les fractures, entre ce qui s’écroule et ce qui naît.

La Lettre aux catholiques de France des évêques en 1996 diagnostiquait elle aussi que pour comprendre ce qui nous arrive, il faut se placer dans la perspective de la destruction créatrice :

« La crise que traverse l’Église aujourd’hui est due, dans une large mesure, à la répercussion, dans l’Église elle-même et dans la vie de ses membres, d’un ensemble de mutations sociales et culturelles rapides, profondes et qui ont une dimension mondiale.

Nous sommes en train de changer de monde et de société. Un monde s’efface et un autre est en train d’émerger, sans qu’existe aucun modèle préétabli pour sa construction. Des équilibres anciens sont en train de disparaître, et les équilibres nouveaux ont du mal à se constituer. Or, par toute son histoire, spécialement en Europe, l’Église se trouve assez profondément solidaire des équilibres anciens et de la figure du monde qui s’efface. Non seulement elle y était bien insérée, mais elle avait largement contribué à sa constitution, tandis que la figure du monde qu’il s’agit de construire nous échappe ».

La Lettre continue en invitant les catholiques à pratiquer une « lecture pascale » des évènements, c’est-à-dire à percevoir l’annonce de la Résurrection à travers les effondrements actuels, ce qui est finalement assez proche de la destruction créatrice.

« Nous devons apprendre à pratiquer davantage cette lecture pascale de tous les événements de notre existence et de notre histoire. Si nous ouvrons les Écritures, comme Jésus le fait avec les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,27), c’est pour comprendre comment dans les souffrances du temps présent se prépare la gloire qui doit se révéler un jour. »

C’est vrai que beaucoup d’indicateurs sont au rouge pour l’Église en France : à peine 6 % de pratiquants, un taux de catéchisation en chute libre, moins de 100 ordinations sacerdotales par an, des finances en péril etc… On peut (et on doit) allonger cette liste des signes du déclin : ce n’est pas en niant la chute qu’on la conjure. Ce n’est pas en se bouchant les oreilles devant le fracas de ce qui s’écroule qu’on va entendre ce qui naît. Ce n’est pas par des discours lénifiants et moralisants qu’on va éviter l’effondrement de ce qui doit mourir. Rien ne sert non plus rejeter la faute à la société environnante : ce serait se mettre hors jeu du renouvellement contenu en germe dans l’effondrement actuel.

Mieux vaut courageusement prendre acte de ce qui meure, et se rendre disponible pour ce qui naît. « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, suis-moi. »

Mieux vaut scruter attentivement la flore environnante pour y reconnaître les jeunes pousses pleines de promesses, les tendres branches du figuier à côté des tiges desséchées.

 

Nos propres fins d’un monde

Ce qui est vrai de l’économie et de la science ou de l’Église l’est bien sûr de notre vie personnelle.

Celui qui passera par un écroulement complet de sa puissance d’autrefois pourra l’interpréter à la manière du Christ comme l’annonce d’une sur-venue, d’une refondation, d’une fécondité nouvelle. Que ce soit à cause d’un cancer, d’un licenciement, d’une séparation ou d’un deuil, le disciple du Christ pourra finalement entendre dans le fracas de la chute la promesse d’une visite. Il pourra déchiffrer dans ce qui s’efface ainsi l’expérience de ce qui peut en surgir, « à la fin ». Il verra dans les destructions qui frappent son histoire non pas la fin du monde, mais la fin d’un monde, qui n’avait pas les promesses de la vie éternelle. Il recevra d’au-delà de lui-même la force de ne pas se laisser détruire, mais de quitter le vieux monde qui s’en va en lambeaux pour aller vers le nouveau. Avec la sagesse du serpent qui se frotte entre deux pierres aiguisées pour se débarrasser de sa vieille peau, il secouera lui aussi la poussière de ses pieds pour quitter ce qui ne peut plus désormais que mourir, ce qui ne peut plus exprimer son identité profonde.

Puisse l’Esprit du Christ à nous apprendre à lire les signes des temps, pour la société, pour l’Église et pour nous-mêmes, afin d’accueillir les événements qui nous bouleversent de fond en comble comme autant de destructions créatrices où Dieu lui-même se faufile jusqu’en nous.

 

 

1ère lecture : La résurrection des morts (Dn 12, 1-3)
Lecture du livre de Daniel
Moi, Daniel, j’ai entendu cette parole de la part du Seigneur :
« En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui veille sur ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent. Mais en ce temps-là viendra le salut de ton peuple, de tous ceux dont le nom se trouvera dans le livre de Dieu.
Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront : les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles.
Les sages brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude resplendiront comme les étoiles dans les siècles des siècles. »

Psaume : 15, 5.8, 9-10, 1b.11

R/ Garde-moi, Seigneur mon Dieu, toi, mon seul espoir !

Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon coeur exulte, mon âme est en fête, 
ma chair elle-même repose en confiance : 
tu ne peux m’abandonner à la mort 
ni laisser ton ami voir la corruption.

Mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
Tu m’apprends le chemin de la vie : 
devant ta face, débordement de joie ! 
À ta droite, éternité de délices !

2ème lecture : Le sacrifice unique (He 10, 11-14.18)
Lecture de la lettre aux Hébreux
Dans l’ancienne Alliance, les prêtres étaient debout dans le Temple pour célébrer une liturgie quotidienne, et pour offrir à plusieurs reprises les mêmes sacrifices, qui n’ont jamais pu enlever les péchés.
Jésus Christ, au contraire, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds.Par son sacrifice unique, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qui reçoivent de lui la sainteté.
Quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour les péchés.

Evangile : La venue du Fils de l’homme (Mc 13, 24-32)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes de paraître debout devant le Fils de l’homme. Alléluia. (Lc 21, 36)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
« En ces temps-là, après une terrible détresse, le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat. Les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées avec grande puissance et grande gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel.
Que la comparaison du figuier vous instruise : Dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »
Patrick Braud

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14 juillet 2012

Plus on possède, moins on est libre

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Plus on possède, moins on est libre

 Homélie du 15° dimanche ordinaire / Année B
15/07/2012

Le ressentiment contre une Église trop riche

Qu’est-ce qui a en grande partie causé le rejet de l’Église catholique chez les Français de toutes classes sociales au XVIII° siècle ? Essentiellement les privilèges matériels qu’elle avait accumulés au fil des siècles. Le ressentiment des paysans était grand contre ces princes de l’Église qui possédaient trop et exigeaient toujours plus, en collectes, taxes et autres dons en nature. Les nobles voyaient d’un mauvais oeil ces concurrents parader à la cour royale ou dans les demeures aristocratiques comme s’ils y étaient chez eux. Même le bas clergé, rangé au côté du Tiers État lors des États Généraux de 1789, se plaignait des conditions de vie extravagantes de leurs évêques et responsables directs, alors que eux arrivaient tout juste à survivre dans les paroisses pauvres. Il régnait entre prêtres, entre les clercs et le peuple, une grande inégalité et une grande injustice. Si bien que les confiscations des biens ecclésiaux par la Révolution devinrent le symbole de l’exaspération de la population envers une Église devenue trop riche, trop puissante.

En cette période où la Grèce fait beaucoup parler d’elle au coeur de la crise de l’euro, il se pourrait que l’Église grecque comprenne un jour qu’elle aussi doit accepter de lâcher de ses possessions et de ses privilèges, si elle veut garder l’estime de ses enfants. Cette Église grecque est hégémonique, comme si elle voulait faire contrepoids à l’hégémonie musulmane qui risque d’étouffer hélas les pays voisins. Lorsque tout un peuple souffre sur le plan économique, voir les popes, les monastères, les paroisses continuent à mener grand train, ne pas payer d’impôts et bénéficier d’aides de l’État va être de plus en plus insupportable.

Est-ce à ce genre de contradictions que Jésus pense lorsqu’il prescrit à ses 12 envoyés « de ne rien emporter pour la route, de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture », ni même de tunique de rechange ! (Mc 6,7-13).

Jésus sait d’expérience que pour libérer les autres (« chasser les démons »), il faut d’abord être soi-même libéré de toute possession. Pour être plus fort que le mal, (« il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais »), il leur faut être libre de toute soif de pouvoir économique ou social.

Pour être au service, Jésus a voulu que son Église soit pauvre.

Chaque fois que les chrétiens ont oublié cette prescription, l’Église a commencé à décliner spirituellement, même si elle s’installait socialement. Chaque fois que les réformateurs l’ont ramené à cet ordre évangélique (les ermites, François d’Assise, Charles de Foucauld ou autres), elle a retrouvé un rayonnement bien au-delà de ses appartenances.

 

Pour une Église servante et pauvre

« Pour une Église servante et pauvre » : ce leitmotiv du concile Vatican II a entraîné un renouveau en profondeur, des favelas d’Amérique latine aux bidonvilles de Calcutta en passant par les ‘igloos’ du quart-monde en Europe (cabanes de tôle où se réfugiaient les familles dans les cités d’urgence).

Il se pourrait que cet élan conciliaire soit aujourd’hui mis à mal et contesté par de jeunes générations rêvant de reconquête et de pouvoir sur les masses. Mais ce serait une illusion de croire que l’avenir de l’Église passe par la puissance sociale et institutionnelle.

D’autres Églises, notamment baptistes et pentecôtistes, vivent à la lettre la finale de notre évangile de ce dimanche : chasser les démons, faire des onctions d’huile pour guérir les malades etc. On connaît les rassemblements charismatiques spectaculaires où des milliers de personnes proclament leur conversion et disent être guéris, libérés. Si tout cela s’accompagne du désintéressement prescrit par Jésus à ses apôtres, rien à redire. Si par contre ce soi-disant service se traduit en sommes d’argents mirobolantes, en domination d’un leader sur ses convertis, en lutte insensée pour prendre le pouvoir sur une société supposée pervertie (cf. les scandales des télévangélistes aux USA), alors l’avertissement du Christ résonne comme une mise en garde : « n’emportez rien pour la route… ».

Évidemment, il faut bien quelques moyens matériels pour vivre. Jésus n’est pas naïf. Il est même très réaliste en revendiquant l’efficacité de sa pauvreté apostolique :« Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni besace, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ?  ’De rien’, dirent-ils. » (Lc 22,35)  Il sait que l’hospitalité ne manquera jamais à ceux qui se dévouent pour les autres. La nourriture sera offerte à ceux qui se dépensent sans compter pour la communauté. Comme le dira Paul en parlant de son ministère : « tout ouvrier mérite son salaire ». Il est juste que l’apôtre reçoive de ceux à qui il est envoyé. Ce qui l’amène d’ailleurs à faire l’expérience de la dépendance, par amour. Les bonzes tibétains doivent mendier leur bol de riz dans la rue. Les ouvriers de l’Évangile doivent compter sur la générosité de ceux à qui ils annoncent l’Évangile, sans esprit d’accumulation ni de domination.

Tel est bien le sens du denier de l’Église par exemple. Indispensable aux diocèses et aux paroisses pour survivre, il dépend entièrement de la libre générosité des habitants ; il traduit leur attachement à l’Église et aux services qu’elle leur procure; il est suffisant pour vivre (à peine en réalité, car sans les legs et les dons le déficit serait grand) mais pas pour s’enrichir. Et c’est très bien ainsi !

Le vrai enjeu pour chacun est d’examiner ce qu’il possède : ma richesse est-elle un obstacle au service des autres ? Suis-je assez libre pour servir avec désintéressement ? Pour accepter d’être envoyé quelque part « sans pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans la ceinture » ?

Et bien sûr on peut étendre cette pauvreté matérielle à toute forme de pauvreté « en esprit » (Mt 5) : être envoyé ailleurs, que ce soit dans un cadre professionnel, associatif ou ecclésial, suppose un réel détachement intérieur, en ne possédant pas trop de certitudes, de jugements établis ou de positions dominantes qui empêcheraient de se mettre au service de ceux vers qui nous sommes envoyés.

Amos dans la première lecture témoigne qu’il n’a pas recherché la mission de prophète qui lui est tombée dessus. « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les figuiers. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël » (Am 7,15). Il a quitté son troupeau, s’est frotté au roi d’Israël, il n’a gagné ni terre, ni argent ni titre dans cette mission. 

Sa pauvreté à lui était d’aller « les mains nues » au devant des inconnus que Dieu lui désignait.

Cette pauvreté est toujours la nôtre. Conjuguée à une simplicité de vie matérielle, elle sera le ferment le plus puissant de la nouvelle évangélisation de notre vieux continent…

 

Plus on possède, moins on est mobile.

Plus on accumule, moins il est facile de se laisser envoyer ailleurs.

Tous ceux qui ont déménagé souvent le savent d’expérience !

Tout en gardant « un bâton pour la route », à quelle simplification matérielle sommes-nous appelés pour mieux répondre à l’appel du Christ ?

 

1ère lecture : La mission divine du prophète (Am 7, 12-15)

Lecture du livre d’Amos

Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Va-t’en d’ici avec tes visions, enfuis-toi au pays de Juda ; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume.»
Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les figuiers. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

Psaume : 84, 9ab.10, 11-12, 13-14

R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? 
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. 
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

2ème lecture : Dieu nous a choisis depuis toujours (brève : 3-10) (Ep 1, 3-14)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Ephésiens

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ. Dans les cieux, il nous a comblés de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ. En lui, il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard. Il nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ : voilà ce qu’il a voulu dans sa bienveillance, à la louange de sa gloire, de cette grâce dont il nous a comblés en son Fils bien-aimé, qui nous obtient par son sang la rédemption, le pardon de nos fautes. Elle est inépuisable, la grâce par laquelle Dieu nous a remplis de sagesse et d’intelligence en nous dévoilant le mystère de sa volonté, de ce qu’il prévoyait dans le Christ pour le moment où les temps seraient accomplis ; dans sa bienveillance, il projetait de saisir l’univers entier, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, en réunissant tout sous un seul chef, le Christ. 
En lui, Dieu nous a d’avance destinés à devenir son peuple ; car lui, qui réalise tout ce qu’il a décidé, il a voulu que nous soyons ceux qui d’avance avaient espéré dans le Christ, à la louange de sa gloire. Dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui, devenus des croyants, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit que Dieu avait promis, c’est la première avance qu’il nous a faite sur l’héritage dont nous prendrons possession au jour de la délivrance finale, à la louange de sa gloire.

Evangile : Jésus envoie les Douze appeler les hommes à la conversion (Mc 6, 7-13)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Sur toute la terre est proclamée la Parole, et la Bonne Nouvelle aux limites du monde. Alléluia. (cf. Ps 18, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus appelle les Douze, et pour la première fois il les envoie deux par deux. Il leur donnait pouvoir sur les esprits mauvais, et il leur prescrivit de ne rien emporter pour la route, si ce n’est un bâton ; de n’avoir ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie dans leur ceinture.
« Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »
Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. »
Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir.
Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick Braud

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30 juin 2012

Les matriochkas du 12

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Les matriochkas du 12

 

Homélie du 13° Dimanche ordinaire / Année B

01/07/2012

 

Comme très souvent, cette page d’Évangile peut se prêter à différentes interprétations :

- historique : on cherchera à retrouver la puissance de guérison qui visiblement impressionnait les contemporains de Jésus.

- morale : on soulignera le dépassement des catégories du pur et de l’impur qu’opère Jésus en se laissant toucher par cette femme impure, et en touchant le cadavre d’une fillette, contractant ainsi une autre impureté légale.

- religieuse : on insistera sur la divinité de ce prophète manifesté ici par sa victoire sur la mort sociale, familiale et physique.

- sacramentelle : on fera le rapprochement entre le corps du Christ hier qui était source de guérison à son contact, et l’eucharistie aujourd’hui qui joue le même rôle.

- psychologique : on étudiera le rapprochement entre cette femme qui n’arrive pas à être femme à cause de ses saignements où sa féminité s’écoule au-dehors, solitaire et stérile, et cette fillette qui n’arrive pas à devenir femme, sans doute à cause de ses parents qui l’étouffent (« l’enfant n’est pas morte, elle dort »).

 

Chacune de ces interprétations est légitime et mérite des pages de commentaires, tant leurs conséquences actuelles sont importantes.

Faute de place limitons-nous à une autre interprétation, allégorique celle-là, qui était chère aux Pères de l’Église.

 

Les matriochkas du chiffre 12

La clé de cette interprétation allégorique repose sur ce qui est commun aux deux récits dans Mc 5,21-43, récits enchâssés l’un dans l’autre comme des poupées russes :

 

- le 12 : c’est une suture évidente entre les deux guérisons. La femme avait des pertes de sang « depuis 12 ans », et Marc prend bien soin de préciser (détail inutile s’il n’était pas symbolique) que « la jeune fille avait 12 ans ».

Or 12 est dans la Bible le chiffre d’Israël, depuis que les 12 tribus se sont fédérées en un seul peuple de Dieu. Ce n’est pas pour rien que Jésus choisit 12 apôtres, annonçant l’accomplissement d’Israël dans l’Église. Ce n’est pas pour rien que la Jérusalem céleste a 12 portes ouvertes sur le monde lors de l’accomplissement des temps dans l’Apocalypse de Jean.

Les deux personnages de notre récit figurent donc symboliquement Israël, malade ou endormi à force d’attendre le Messie.

Israël s’épuise comme la femme hémorroïsse s’il n’entre pas en contact avec le corps du Christ (ne fut-ce qu’en « touchant son manteau »). Il perd sa vitalité (saignements internes), devient solitaire au milieu des nations (comme cette femme qui ne peut pas se marier à cause de ses saignements qui font d’elle une impure), et stérile (la fécondité est une autre conséquence de ces saignements).

Israël devient « endormi » au milieu des nations, à l’image de cette jeune fille qui refuse de s’alimenter (Jésus est obligé d’intimer cet ordre aux parents : « faites-la manger ») s’il refuse lui aussi de se nourrir de la parole faite chair

 

Les Pères de l’Église ont longtemps insisté sur l’apport des juifs reconnaissant en Jésus le Christ des Écritures, comme sur le drame de « l’Israël ancien » qui ne veut pas entrer en contact avec son Messie si paradoxal.

Aujourd’hui encore, le rôle d’Israël dans le concert des nations continue, unique et irremplaçable (cf. Rm 9-11). On voit bien que – même politiquement – Israël peut s’isoler et devenir stérile lorsqu’il s’entête à confondre élection et privilège : le peuple élu par Dieu est choisi pour être le serviteur des nations (cf. Is 53) pas un dominateur des autres peuples. L’humble messianité de Jésus, serviteur désintéressé, pourrait opérer sur Israël le même redressement spectaculaire que chez la fillette qui se lève et marche, ou chez la femme épuisée qui enfin devient vraiment femme.

 

Devenir femme

En hébreu, le peuple est un nom féminin. Dans la Bible, Israël est toujours personnifiée dans sous les traits d’une femme : la bien-aimée du Cantique des cantiques, la femme adultère d’Osée, et jusqu’à l’absence de femme pour Jérémie célibataire, signe d’un Dieu sans partenaire d’alliance depuis qu’Israël l’a abandonné pour des idoles païennes.

La femme et la fillette de Mc 5 renvoient donc à Israël qui a du mal à assumer sa féminité, c’est-à-dire sa condition de partenaire de Dieu dans l’Alliance.

 

Devenir fille

Ce symbolisme est renforcé par le titre que Jésus donne à la femme guérie : « [ma]  fille, ta foi t’a sauvée ». C’est comme s’il l’adoptait : elle qui est sans protection, seule, impure et stérile, elle découvre en Jésus un père. Dieu est le père d’Israël, le père des pauvres : en l’appelant « ma fille » Jésus fait entrer cette femme dans la famille d’Israël où tous se reconnaissent enfants de Dieu.

La fillette est également appelée « ma fille » par le chef de synagogue : ce parallèle situe bien Jésus comme le vrai chef de la nouvelle synagogue qu’est l’Église.

 

Les anonymes

De façon étonnante, ces deux figures féminines demeurent anonymes. Elles font partie de ces inconnus que le Christ rencontre une fois, et une seule apparemment, qu’il libère et laisse libres d’aller leur chemin sans leur demander de le suivre. Étonnante liberté de Jésus qui se laisse dérouter par elles, justement pour les remettre sur la route de leur vocation personnelle. Les Pères de l’Église voyaient dans ces anonymes de l’Évangile tous les peuples auxquels l’Église est envoyée : sans chercher forcément les convertir ni à posséder leur identité, l’Église corps du Christ est appelée à guérir et relever gratuitement. Même minoritaire au milieu de sociétés musulmanes ou hindoues ou athées aujourd’hui, l’Église inlassablement doit accepter qu’une force sorte d’elle-même, presque à son insu comme pour Jésus, pour soulager ceux qu’elle croise sur sa route et qu’elle ne reverra plus après.

 

Jésus-Jaïre

L’anonymat de ces deux figures féminines est d’autant plus surprenant que le nom de Jaïre est mentionné dès le début du récit, sans doute dans l’intention de nous avertir.

En effet, Jaïr est dans la Bible le nom du père du célèbre Mardochée (Esther 2,3) qui a su guider sa fille Ester pour déjouer un complot visant à exterminer les juifs (déjà !).

Jaïr est encore le nom d’un juge qui a gouverné Israël pendant 22 ans (Jg 10,3), et qui avait 30 fils qui montaient chacun 30 ânes (expression qui indique leur puissance Jg 5,10 ; 13,14).

C’est encore le nom du père ou du prince de Galaad (1Ch 2,21-22) qui en possédait 23 villes (plus 60 villes en Bashân cf. Jo 13,30), ce qui montre là encore sa puissance.

Certains pensent que l’étymologie de Jaïre serait apparentée à celle du latin : jacere = être couché, gésir. Cette étymologie serait une allusion frappante à l’influence mortelle du père sur sa fille lorsqu’il l’étouffe au point de la maintenir couchée, gisante, considérée comme morte.

Jésus accomplit ici ce qu’annoncent tous les usages du nom Jaïr dans la Bible : juge équitable, Père de l’Église qui va libérer les nations (Esther), prince puissant régnant sur des villes nombreuses pour les libérer, force de vie qui libère ceux qui gisent dans l’ombre de la mort.

 

La puissance de la résurrection

But ultime de la catéchèse patristique : l’annonce de la résurrection, celle du Christ qui engendre la nôtre.

Laissons le dernier mot à Cyrille d’Alexandrie (376-444) pour terminer ce voyage dans l’interprétation allégorique des Pères de l’Église. Il fait le lien entre le relèvement de la fillette de l’évangile et la puissance de résurrection qui est à l’oeuvre dans l’eucharistie et l’Église, corps du Christ.

 « Dès lors que le Christ est entré en nous par sa propre chair, nous ressusciterons entièrement ; il est inconcevable, ou plutôt impossible, que la vie ne fasse pas vivre ceux chez qui elle s’introduit.

 Comme on recouvre  un tison ardent d’un tas de paille pour garder intacte le germe du feu, de  même notre Seigneur Jésus Christ cache la vie en nous par sa propre chair et y met comme une semence d’immortalité qui écarte toute la corruption que  nous portons en nous.

Ce n’est donc pas seulement par sa parole qu’il  réalise la résurrection des morts. Pour montrer que son corps donne la vie,  comme nous l’avons dit, il touche les cadavres et par son corps il donne la  vie à ces corps déjà en voie de désintégration. Si le seul contact de sa  chair sacrée rend la vie à ces morts, quel profit ne trouverons-nous pas en  son eucharistie vivifiante quand nous la recevrons !…

Il ne suffirait pas  que notre âme seulement soit régénérée par l’Esprit pour une vie nouvelle. Notre corps épais et terrestre aussi devait être sanctifié par sa  participation à un corps aussi consistant et de même origine que le nôtre et devait être appelé ainsi à l’incorruptibilité. »

 

 

1ère lecture : Dieu n’a pas fait la mort (Sg 1, 13-15; 2, 23-24)

Lecture du livre de la Sagesse

Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il a créé toutes choses pour qu’elles subsistent ; ce qui naît dans le monde est bienfaisant, et l’on n’y trouve pas le poison qui fait mourir. La puissance de la mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle.
Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même. La mort est entrée dans le monde par la jalousie du démon, et ceux qui se rangent dans son parti en font l’expérience.

 

Psaume : 29, 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13

R/ Je t’exalte, Seigneur, toi qui me relèves;

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse. 

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon c?ur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

2ème lecture : La générosité du Christ, motif de la nôtre (2Co 8, 7.9.13-15)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, puisque vous avez reçu largement tous les dons : la foi, la Parole et la connaissance de Dieu, cette ardeur et cet amour que vous tenez de nous, que votre geste de générosité soit large, lui aussi.
Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, il s’agit d’égalité.
En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins, et cela fera l’égalité, comme dit l’Écriture à propos de la manne : Celui qui en avait ramassé beaucoup n’a rien eu de plus, et celui qui en avait ramassé peu n’a manqué de rien.

Evangile : Résurrection de la fille de Jaïre – Guérison d’une femme (Mc 5, 21-43 (lecture brève 5, 21-24.35b-43)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus Christ, notre Sauveur, a détruit la mort ; il a fait resplendir la vie par son Évangile. Alléluia. (cf. 2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord du lac.
Arrive un chef de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds et le supplie instamment : « Ma petite fille est à toute extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… ? Elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré ? … cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par derrière dans la foule et toucha son vêtement. Car elle se disait : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? »
Ses disciples lui répondaient : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : ‘Qui m’a touché ?’ »
Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait ce geste. Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. Mais Jésus reprit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre pour annoncer à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? »
Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de la synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. »
Il ne laissa personne l’accompagner, sinon Pierre, Jacques, et Jean son frère.
Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui l’accompagnent. Puis il pénètre là où reposait la jeune fille.
Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! » Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher ? elle avait douze ans. Ils en furent complètement bouleversés.
Mais Jésus leur recommanda avec insistance que personne ne le sache ; puis il leur dit de la faire manger.
Patrick Braud

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