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30 novembre 2013

Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

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Gravity, la nouvelle arche de Noé ?


Homélie du 1° Dimanche de l’Avent / Année A
01/12/2013

Pour évoquer sa venue en ce premier dimanche de l’Avent, Jésus revient au Déluge et à l’Arche qui a permis à Noé et à sa famille d’échapper à la catastrophe.

« L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé.
À cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche.
Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. » (Mt 24, 37-44)

Le dernier film d’Alfonso Cuarón, Gravity, peut nous aider à revisiter cette image de l’Arche de Noé, transposée dans notre monde moderne, technique, scientifique et individualiste.

Vous connaissez sans doute le scénario de ce blockbuster. Un vaisseau spatial américain Explorer est désintégré dans une pluie de débris provenant d’autres satellites. Deux astronautes seulement en réchappent, expulsés dans l’espace (Matt Kowalski = George Clooney, et la scientifique Ryan Stone = Sandra Bullock) 1. Pour survivre, ils se déplacent vers une station internationale, mais l’un des deux doit se sacrifier pour permettre à l’autre d’y arriver. La survivante – Ryan - seule et menacée, se réfugie dans une navette pour tenter de rejoindre une troisième station chinoise, où un vaisseau de secours pourra la ramener à terre.

Gravity 

On peut suivre cette aventure en la lisant au premier degré : une belle histoire de sacrifice de l’un, la volonté de survie de l’autre, des images magnifiques (surtout en 3D) de notre planète vue de l’espace.

 

La perte de repères

On peut également lire ce film au second degré.

Voilà une jeune femme qui tout d’un coup est expulsée de sa base, projetée dans un espace inconnu où très vite elle est seule, isolée. Un déluge de débris venus eux-mêmes de la destruction d’autres satellites a désintégré son univers. Triste constat : ce sont des débris insignifiants, provoqués par d’autres, qui projetés à la vitesse de rotation autour de la Terre, deviennent un déluge engloutissant tout sur son passage. Voilà déjà une interprétation novatrice du vieux thème du déluge : c’est un presque rien qui vient tout détruire ; c’est une réaction en chaîne où le mal provoqué ailleurs entraîne le déluge ici.

Soyons attentifs à ces débris qui traversent notre trajectoire : ils annoncent souvent l’effondrement qui vient.

Soyons attentifs aux réactions en chaîne qui répandent le mal comme une traînée de poudre : ces séries noires finiront un jour par nous atteindre.

Gravity, la nouvelle arche de Noé ? dans Communauté spirituelle gravity-debris 

La perte de repères se glisse jusque dans son prénom : Ryan est un prénom masculin, parce que son père voulait un fils au lieu d’une fille. Elle porte ce prénom d’un homme, alors que justement elle n’a plus d’homme dans sa vie, et qu’elle est mère d’une enfant décédée à l’âge de 4 ans?

Le déluge de Gravity est cette pluie de ‘débris’ du savoir humain qui viennent cribler la demeure transitoire des astronautes. Projetée dans l’espace, coupée de sa base, Ryan n’a plus de repères visuels, ni le repère de la gravité. Tout est littéralement sens-dessus-dessous. On se souvient d’ailleurs que le mot hébreu pour dire déluge est : maboul, tant il est vrai que l’épreuve du déluge peut rendre fou en faisant disparaître nos repères, notre gravité intérieure.

Il est des catastrophes personnelles et collectives qui produisent cet effet-là.

Les familles juives expulsées hors de chez elles et projetées dans l’horreur de la Shoah étaient dans cet état d’esprit d’apesanteur morale et spirituelle.

La pluie de débris peut prendre la figure d’un divorce : séparation nourrie de ces multitudes d’impacts relationnels où le couple est passé au crible de ce qui justement le crible de partout.

C’est également un licenciement où explose la fragile sécurité d’un toit, d’un équilibre de vie.

Ou bien le coup de tonnerre d’un cancer dépisté trop tard, où l’on anticipe la fin sûrement très proche…

Bref, les déluges d’aujourd’hui sont aussi puissants que celui qui a submergé le monde de Noé ou la station spatiale de Gravity.

 

Face au déluge, où est l’arche ?

Pour Noé c’est ce vaisseau de bois qui va lui permettre de sauver sa famille, 8 personnes au total, car 8 et le chiffre de la résurrection (cf. 1P 3,20 ; 2P 2,5).

Pour Gravity, c’est le module de la station internationale, puis la capsule de retour sur Terre de la station chinoise. Mais là, individualisme moderne oblige, Ryan est la seule rescapée. Et elle n’inaugure pas un monde nouveau (ce que fait Noé) mais le retour à la bonne vieille Terre, au bon vieux plancher des vaches qu’elle étreint de ses mains en réalisant enfin qu’elle est sauvée.

L’Avent est pour les chrétiens l’interdiction de revenir à l’ancien monde, « l’ardente obligation » 2 de quitter ce monde-ci pour accueillir un monde nouveau. La venue du Christ à la fin des temps ne sera pas la restauration de notre univers enfin corrigé de ses imperfections, mais la création d’une autre réalité où « Dieu sera tout en tous » (1Co 15,28).

arche-noe-mont-ararat Arche dans Communauté spirituelle 

Qu’est-ce qui permet de survivre quand le déluge s’abat sur vous ?

Dans la Genèse, c’est la foi qui donne à Noé de construire l’arche malgré les railleries de ses contemporains. C’est la foi qui lui donne le courage d’être minoritaire. C’est la foi qui lui donne la patience d’attendre 40 jours et 40 nuits, les plus longues de son existence, pour constater enfin la décrue des eaux du déluge.

Dans Gravity, c’est d’abord le déplacement qui sauve Ryan. Elle accepte de se laisser traîner par Matt vers un autre coin de l’espace, où la station internationale sera un relais. Quand on a perdu tous ses repères, quand on est  coupé de sa base, quand son univers familier s’est désintégré sous ses yeux, alors on est prêt à aller ailleurs, prêts à tout quitter puisqu’il ne reste plus rien qui tienne encore debout. Ce déplacement, ce dépaysement est salutaire. C’est ce qui permet de trouver une autre source d’oxygène, un autre véhicule pour atterrir enfin. Le russe, le chinois : autant de langues inconnues que Ryan devra traverser pour quand même arriver à maîtriser son vaisseau.

De manière touchante, dans Gravity interviennent également d’autres facteurs de salut pour tenir bon après le déluge :

- l’aide d’un compagnon de route – ou plutôt d’espace ici – qui peut aller jusqu’à se sacrifier pour m’offrir de survivre.

- le souvenir de sa petite-fille de quatre ans – Sarah – morte à la suite d’un bête accident domestique, un de ces débris qui causent des catastrophes sur Terre. C’est dans la fidélité à sa fille que sa mère veut survivre malgré tout. On se bat toujours pour ceux qu’on aime, même s’ils ne sont plus là.

Noé se battait pour sa famille, nouvelle génération du monde d’après. Ryan se bat pour elle-même, pour que son compagnon d’espace ne soit pas mort en vain. Elle s’appuie en même temps sur la mémoire de son enfant morte pour ne pas se laisser engloutir par le désespoir.

Un moment donné, elle est dans sa capsule : plus de carburant, l’oxygène baisse dangereusement. Recroquevillée sur elle-même, seule au monde, elle est tentée par  cette pente dépressive qui guette tous ceux qui n’en peuvent plus tellement le déluge dure : elle commence à se laisser mourir, asphyxiée, abandonnée… C’est alors un rêve étrange, où Matt vient lui expliquer la manoeuvre à suivre, qui va la tirer de sa torpeur suicidaire. Une version sécularisée en somme de la colombe de Noé où le rameau d’olivier se change en rétropropulseurs d’atterrissage… L’intérêt est le message commun : porter attention aux signes de renouveau (le rameau d’olivier), aux possibilités de redémarrage (les propulseurs) est l’antidote à la dépression qu’engendre l’après-déluge.

san-marco_-noe-envoie-la-co Avent 

- Ryan n’a pas appris à prier. Elle aimerait pouvoir compter sur cette force-là à ce moment de sa vie, mais n’a ni les mots ni les gestes. La tradition spirituelle dit pourtant que le désir de la prière vaut mieux que la prière elle-même. Le regard de Ryan se porte sur l’icône de saint Christophe posée sur le tableau de bord russe, puis sur le Bouddha qui trône au-dessus du panneau chinois. Nul doute que cet appel à la prière sous la forme d’un autel pour Noé, d’un rêve pour Jacob, d’une icône pour Ryan est un fil rouge pour tenir bon jusqu’à la fin de l’épreuve.

 

Gravity n’est évidemment pas une oeuvre théologique.

Lorsque le Christ déchiffre sa venue comme un nouveau déluge, il va infiniment plus loin qu’un bon film de science-fiction. Et Gravity comporte bien des défauts (très américains d’ailleurs : par exemple les clichés sur la vodka, les raquettes de ping-pong etc.). On regrette qu’il n’ait pas la force de 2001 : L’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Mais il y a dans ce film assez d’interrogations sur nos déluges d’aujourd’hui pour nous aider à entrer en Avent avec sagesse.

Lorsque viendra la pluie de ‘débris’ qui va ruiner votre équilibre actuel, souvenez-vous de Noé et de son arche, de Ryan et de sa volonté de survivre.

La fin de l’épreuve sera le début d’un monde nouveau.

 

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1. Tiens ! : Kowalski sonne polonais, comme un hommage au melting pot américain qui rend possible ces grandes aventures, et Stone évoque la chute d’une pierre sous l’influence de la gravité (to fall like a stone).

2. Expression chère à De Gaulle pour désigner le Plan quinquennal de son gouvernement.

1ère lecture : Rassemblement des peuples et paix pour toujours (Is 2, 1-5)

Lecture du livre d’Isaïe

Le prophète Isaïe a reçu cette révélation au sujet de Juda et de Jérusalem :
Il arrivera dans l’avenir que la montagne du temple du Seigneur sera placée à la tête des montagnes et dominera les collines. Toutes les nations afflueront vers elle,
des peuples nombreux se mettront en marche, et ils diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, au temple du Dieu de Jacob. Il nous enseignera ses chemins et nous suivrons ses sentiers. Car c’est de Sion que vient la Loi, de Jérusalem la parole du Seigneur. »
Il sera le juge des nations, l’arbitre de la multitude des peuples. De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on ne s’entraînera plus pour la guerre.
Venez, famille de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur.

Psaume : Ps 121, 1-2, 3-4ab, 4cd-5, 6-7, 8-9

R/ Allons dans la joie à la rencontre du Seigneur.

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem ! 

Jérusalem, te voici dans tes murs : 
ville où tout ensemble ne fait qu’un! 
C’est là que montent les tribus, 
les tribus du Seigneur.

C’est là qu’Israël doit rendre grâce 
au nom du Seigneur. 
C’est là le siège du droit, 
le siège de la maison de David. 

Appelez le bonheur sur Jérusalem : 
« Paix à ceux qui t’aiment ! 
Que la paix règne dans tes murs, 
le bonheur dans tes palais ! » 

À cause de mes frères et de mes proches, 
je dirai : « Paix sur toi ! » 
À cause de la maison du Seigneur notre Dieu, 
je désire ton bien.

2ème lecture : « Le jour est tout proche » (Rm 13, 11-14a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frère, vous le savez : c’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants.
La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière.
Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans ripailles ni beuveries, sans orgies ni débauches, sans dispute ni jalousie, mais revêtez le Seigneur Jésus Christ.

Evangile : « Vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra » (Mt 24, 37-44)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Montre-nous, Seigneur, ta miséricorde : fais-nous voir le jour de ton salut. Alléluia.  (cf. Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé.
À cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche.
Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme.
Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé.
Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée.
Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra.
Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.
Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Patrick Braud

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14 août 2013

L’Assomption de Marie, étoile de la mer

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’Assomption de Marie, étoile de la mer

Homélie pour la fête de l’Assomption / Année C
15 Août 2013

L'Assomption de Marie, étoile de la mer dans Communauté spirituelle voilier

 

« Le vent se lève. Hâte-toi. La voile bat au long du mât. L’honneur est dans les toiles ; et l’impatience sur les eaux comme fièvre du sang. La brise mène au bleu du large ses couleuvres d’eau verte. Et le pilote lit sa route entre les grandes taches de nuit mauve, couleur de cerne et d’ecchymose. » 1

Fermez les yeux…

Vous naviguez de nuit, à la fraîche.

Vous avez hissé la voile aussitôt sortis du port de la Trinité sur Mer, et vous voilà à chercher l’accès vers Belle-Île à travers le passage du Béniguet. Le vent est établi : 3 à 4 Beaufort, de quoi entendre le chuintement régulier de l’étrave dans la vague, belle et franche respiration du bateau taillant sa route vers Houat et Hoedic. La nuit, le plancton phosphorescent donne à l’océan un air illuminé où toutes les rencontres deviennent possibles. Bien sûr vous avez le compas à l’oeil, l’enchaînement des bouées est bien visible sur la table à cartes ; et le GPS – espion fidèle – surveille votre route.

Imaginez un moment que tous ces repères n’existent plus, que l’électronique tombe en panne, qu’il n’y ait plus de bouées, plus de cartes marines, plus de satellites : comment ne pas aller se fracasser sur la multitude de cailloux et de rochers qui parsèment ces étroits passages entre les îles bretonnes ?

Vous retrouvez alors les vieux réflexes des navigateurs d’antan : lever les yeux, regarder le ciel étoilé, repérer les astres remarquables, calculer son cap d’après les alignements, ressortir l’antique sextant qui autrefois guidait les navigateurs au-delà de leurs mondes connus…

En ce 15 août, Marie est « montée » au ciel, telle une étoile non pas filante mais au contraire stable et rassurante. Le peuple chrétien la chante depuis des siècles sous le titre d’étoile de la mer.

ave-maris-stella Assomption dans Communauté spirituelleAve, maris stella,

Dei mater alma,

Atque semper virgo,

Felix caeli porta.

Sumens illud « Ave »

Gabrielis ore,

Funda nos in pace,

Mutans Evae nomen.

 

Solve vincla reis,

Profer lumen caecis,

Malanostra pelle,

Bona concta posce.

Monstra te esse matrem,

Sumat per te preces

Qui pronobli natus

Tulit esse tuus

 

Virgo singularis,

Inter mones mitis,

Nos culpis solutos

Mites fac et castos.

Vitam praesta puram,

Iter para tutum,

Ut videntes Jesu

Semper collaetémur

 

Sit laus Deo Patri,

Summo Christus decus,

Spirituti Sancto

Tribus, honor unus.

Amen

Traduction

Salut, étoile de la mer,

Sainte Mère de Dieu

Et vierge à jamais consacrée,

Bienheureuse porte du ciel.

 

Recevant cet Ave

Par la bouche de Gabriel

Fixe-nous dans la paix,

Retournement du nom d’Eva (Ève).

 

Des pécheurs brise les liens

Aux aveugles accorde la lumière,

Délivre-nous de nos misères,

Obtiens pour nous les vrais biens !

 

Montre toujours que tu es Mère,

Qu’il reçoive de toi nos prières

Celui qui est né pour nous,

En acceptant d’être ton fils.

 

O Vierge sans pareille

Vierge douce entre toutes,

Obtiens le pardon de nos fautes

Rends nos c?urs humbles et purs.

 

Rends sainte notre vie

Rends sûre notre route,

Afin que, contemplant Jésus,

Nous partagions sans fin ta joie.

 

Louange à Dieu le Père,

Gloire au Christ souverain

Ainsi qu’au Saint-Esprit ;

Aux Trois un seul honneur sans fin.

Ave Maris Stella est un vieil hymne toujours chanté à l’office, saluant la Vierge sous les traits d’un astre de nuit guidant les marins au milieu des dangers de l’océan. Le texte de l’hymne joue avec les mots. Ave est l’inverse de Eva : le salut (ave) signifie que la nouvelle Ève, accomplissant en sens inverse le chemin de la création déchue, réalise la vocation ultime de l’humanité : partager l’intimité de Dieu. L’assonance Maris / Maria suggère la même immensité en Marie quand l’océan.

Patrick Braud 

« De millénaires ouverte, la Mer totale m’environne.
L’abîme infâme m’est délice, et l’immersion, divine.
Et l’étoile apatride chemine dans les hauteurs du Siècle vert.
Et ma prérogative sur les mers est de rêver pour vous ce rêve du réel…
Ils m’ont appelé l’Obscur et j’habitais l’éclat.

(…)

Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche. Et par toi, coeur aimant, toute l’étroitesse d’aimer, et par toi, coeur inquiet, tout l’au-delà d’aimer. Entends siffler plus haut que mer la horde d’ailes migratrices. Et toi force nouvelle, passion plus haute que d’aimer, quelle autre mer nous ouvres-tu où les vaisseaux n’ont point d’usage ? (Ainsi j’ai vu un jour, entre les îles, l’ardente migration d’abeilles, et qui croisait la route du navire, attacher un instant à la haute mature l’essaim farouche d’une âme très nombreuse, en quête de son lieu…)

(?)

Une même vague par le monde, une même vague parmi nous, haussant, roulant l’hydre amoureuse de sa force… Et du talon divin, cette pulsation très forte, et qui tout gagne… Amour et mer de même lit, amour et mer au même lit… »  2

Pourquoi appeler Étoile de la mer Marie en son Assomption ?

tumblr_m3il06VWOm1r0kx5qo1_500 étoileDepuis l’Ascension du Christ, il n’est plus là physiquement devant nos yeux. Lui, la lumière des nations (Lumen Gentium, cf. Vatican II), le soleil de grâce, nous a été enlevé, et nous avançons comme à tâtons, environnés de nuit. Pourtant, cette obscurité n’est plus comme celle d’avant, puisqu’elle nous mène au soleil levant de la résurrection. Et déjà, les astres brillent au firmament de ce long convoyage vers l’aube nouvelle. La communion des saints ressemble à ces écheveaux de constellations imbriquées les unes dans les autres, de toutes tailles, scintillantes de mille manières. Parmi elles, une étoile demeure, fixe dans son alignement terre-soleil, fournissant ainsi un repère précieux pour les marins sans carte ni boussole dans leur exploration de profondeurs océanes inconnues.

Marie est pour nous ce repère accroché tout en haut de la carte pour élever le regard et projeter sur notre route une clarté indirecte, reçue du Christ, suffisamment atténuée pour ne pas être aveuglé, suffisamment brillante pour discerner les dangers de la navigation.

I-Miniature-638-sauves-dans-l-esperance-spe-salvi.net Marie« Par une hymne du VIIe-IXe siècle, donc depuis plus de mille ans, l’Église salue Marie, Mère de Dieu, comme « étoile de la mer »: Ave maris stella. La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin ? Comment en trouvons-nous la route ? La vie est comme un voyage sur la mer de l’histoire, souvent obscur et dans l’orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route.

Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d’espérance.

Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l’histoire. Mais pour arriver jusqu’à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches – de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée.

Et quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l’étoile de l’espérance? « 

Benoît XVI, encyclique Spe Salvi, § 49

 

En ce 15 août, prions Marie, Étoile de la mer : qu’elle soit pour nous un repère plus sûr que le GPS l’est aux navigateurs…

 

Marie, étoile de la mer (St Bernard ? 1153)

L’image de l’astre

« Et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1,27).

Disons quelque chose aussi sur ce nom, qui est interprété : « étoile » de la mer et qui convient à merveille à la mère restée vierge.

Oui, on la compare à un astre, et rien de plus juste : comme l’astre, sans être altéré, émet son rayon, ainsi, sans lésion intime, la Vierge met au monde son Fils. Le rayon n’amoindrit pas la clarté de l’astre, pas plus que le fils ne diminue l’intégrité de la vierge.

Oui, elle est cette noble étoile issue de Jacob dont les rayons illuminent l’univers entier, dont la splendeur étincelle sur la cime et pénètre jusqu’aux ombres profondes, dont la chaleur répandue sur la terre réchauffe les âmes plus que les corps, mûrit les vertus et consume les vices.

Elle est cette brillante et merveilleuse étoile qui se lève, glorieuse et nécessaire au-dessus de cet océan immense, dans la splendeur de ses mérites et de ses  exemples.

Dans la tempête, regarde l’étoile, invoque Marie !

O toi, qui que tu sois, qui dans cette marée du monde, te sens emporté à la dérive parmi orages et tempêtes, plutôt que sur la terre ferme, ne quitte pas les feux de cet astre, si tu ne veux pas sombrer dans la bourrasque.

Quand se déchaînent les rafales des tentations, quand tu vas droit sur les récifs de l’adversité, regarde l’étoile, appelle Marie !

Si  l’orgueil, l’ambition, la jalousie te roulent dans leurs vagues, regarde l’étoile, crie vers Marie !

Si la colère ou l’avarice, si les sortilèges de la chair secouent la barque de ton âme, regarde vers Marie !

Quand, tourmenté par l’énormité de tes fautes, honteux des souillures de ta conscience, terrorisé par la menace du jugement, tu te laisses happer par le gouffre de la tristesse, par l’abîme du désespoir, pense à Marie.

Dans les dangers, dans les angoisses, dans les situations critiques, pense à Marie, crie vers Marie !

Que son nom ne quitte pas tes lèvres, qu’il ne quitte pas ton c?ur, et pour obtenir la faveur de ses prières, ne cesse d’imiter sa vie.

Fais ta propre expérience de Marie !

Si tu la suis, point ne t’égares.

Si tu la pries, point ne désespère.

Si tu la gardes en pensée, point de faux pas.

Qu’elle te tienne, plus de chute.

Qu’elle te protège, plus de crainte.

Sous sa conduite, plus de fatigue.

Grâce à sa faveur, tu touches au port.

Et voilà comment ta propre expérience te montre combien se justifie la parole : Le nom de la Vierge était Marie (Lc 1, 27).

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1. Saint-John Perse, Amers, 1957.

2. Ibid.

Messe du jour

1ère lecture : La Femme de l’Apocalypse, image de l’Église comme Marie (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le Temple qui est dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’Alliance du Seigneur apparut dans son Temple. 

Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles.
Elle était enceinte et elle criait, torturée par les douleurs de l’enfantement.
Un autre signe apparut dans le ciel : un énorme dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes,et sur chaque tête un diadème.
Sa queue balayait le tiers des étoiles du ciel, et les précipita sur la terre. Le Dragon se tenait devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance.
Or, la Femme mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. 

Alors j’entendis dans le ciel une voix puissante, qui proclamait : « Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ ! »

Psaume : 44, 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16

R/ Heureuse es-tu, Vierge Marie, dans la gloire de ton Fils.

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté. 

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui. 
Alors, les plus riches du peuple, 
chargés de présents, quêteront ton sourire. 

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire, 
vêtue d’étoffes d’or ; 
on la conduit, toute parée, vers le roi. 

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ; 
on les conduit parmi les chants de fête : 
elles entrent au palais du roi.

2ème lecture : Le Christ nous entraîne tous dans la vie éternelle ( 1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. C’est lui en effet qui doit régner jusqu’au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

Evangile : « Heureuse celle qui a cru ! » (Lc 1, 39-56)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte :
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque j’ai entendu tes paroles de salutation, l’enfant a tressailli d’allégresse au-dedans de moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Marie dit alors :
« Mon âme exalte le Seigneur,
mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !
Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. »
Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick Braud

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3 mai 2013

L’Esprit et la mémoire

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’Esprit et la mémoire

Homélie du 6°dimanche de Pâques / Année C
05/05/2013

Dans l’évangile de Jean, l’Esprit Saint est intimement lié à deux fonctions essentielles de la vie chrétienne : le pardon et la mémoire.

Le pardon y apparaît comme un fruit de l’Esprit répandu sur les disciples lors de l’équivalent de la Pentecôte chez Jean, lorsque Jésus nécessité « souffle » à ses disciples le pouvoir de pardonner : « il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » » (Jn 12,22-23)

La mémoire quant à elle apparaît clairement liée à l’envoi de l’Esprit Saint par le Père lui-même : « il vous enseignera tout, il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit ». (Jn 14,26)

Attardons sur ce deuxième effet spirituel qui est au coeur de la page d’évangile de ce Dimanche : l’Esprit et le souvenir.

 

Du travail de mémoire

Si le Christ nous promet l’Esprit Saint au secours de notre mémoire, c’est donc que naturellement, par nous-mêmes, nous avons du mal à nous souvenir. Notre mémoire sélectionne à notre insu, fait un tri dont la clé nous échappe. Il suffit d’écouter les personnes âgées raconter leur vie pour deviner ce qui n’est pas dit… La même mésaventure est arrivée aux disciples de Jésus alors qu’ils étaient encore à ses côtés. Comme le dit la sagesse populaire, ses paroles sont bien souvent rentrées par une oreille et sorties par l’autre !

Jésus est donc obligé de les faire souvenir de ses paroles et de ses actes, pour les aider à comprendre ce qui leur arrive.

Ainsi devant le choc des persécutions qui s’annoncent : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront ; s’ils ont gardé ma parole, la vôtre aussi ils la garderont. » (Jn 15,)

Au lieu du Messie glorifié devant tous, voilà que les arrestations, emprisonnements, coups de fouet et autres humiliations vont s’abattre sur les premiers chrétiens. Se souvenir de la fin lamentable de Jésus sur la croix, et de sa parole : « le serviteur n’est pas plus grand que son maître » aidera les croyants à ne pas se décourager, à déchiffrer les persécutions comme une voie d’union intime au Christ. Les martyrs ont affronté les supplices et la mort en s’appuyant sur cette parole, vivant trésor de l’Église grâce à l’Esprit Saint qui la maintenait actuelle en la faisant circuler sur les lèvres des premiers témoins.

De même en Jn 16,3-4 : « On vous exclura des synagogues. Bien plus, l’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu. Et cela, ils le feront pour n’avoir reconnu ni le Père ni moi. Mais je vous ai dit cela, pour qu’une fois leur heure venue, vous vous rappeliez que je vous l’ai dit. »

Quand on n’y voit plus clair, quand on n’y comprend plus rien, se rappeler les paroles du Christ sur l’exclusion et le fanatisme religieux meurtrier à l’encontre des chrétiens permet de comprendre : au-delà de leur victoire apparente, les persécuteurs en fait vont manifester le vrai dessein de Dieu, à savoir la victoire de l’amour sur la haine.

Nous sommes tellement bouchés que Jésus est obligé de son vivant d’interpeller vivement ses disciples : « Avez-vous donc l’esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? Et ne vous rappelez-vous pas, quand j’ai rompu les cinq pains pour les 5.000 hommes, combien de couffins pleins de morceaux vous avez emportés ? » Ils lui disent: « Douze »  –  « Et lors des sept pour les 4.000 hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ? » Et ils disent: « Sept. » Alors il leur dit: « Ne comprenez-vous pas encore ? »  » (Mc 8,18-21).

Pour interpréter le sens des gestes de Jésus, au-delà de leur signification matérielle immédiate, il faut ce travail de l’Esprit en nous.

Après le sens littéral, c’est donc qu’il y a un sens spirituel aux événements qui nous affectent. C’est justement le rôle de l’Esprit que de nous introduire dans une intelligence plus profonde, plus subtile des événements de notre histoire 1.

Les intégristes se limitent à une lecture fondamentaliste, littérale, des textes. Ils se ferment à une lecture authentiquement spirituelle, c’est-à-dire inspirée par l’Esprit Saint, où ces textes d’hier deviennent une parole pour aujourd’hui.

Devant le tombeau vide et l’étonnement des femmes, les anges font appel à leur souvenir des paroles de Jésus : « Rappelez-vous comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée : « Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. » Et elles se rappelèrent ses paroles. » (Lc 24,7-8)

Pour interpréter la Passion et la croix comme librement assumées par Jésus, il faut faire mémoire de ses paroles où il y a vu l’aboutissement de la volonté du Père (« aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus », en allant les rejoindre au plus bas).

De même, devant le choix bizarre de Jésus : pourquoi vouloir un petit âne pour entrer triomphalement dans Jérusalem ? « Jésus, trouvant un petit âne, s’assit dessus selon qu’il est écrit : « Sois sans crainte, fille de Sion : voici que ton roi vient, monté sur un petit d’ânesse. » Cela, ses disciples ne le comprirent pas tout d’abord; mais quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent que cela était écrit de lui et que c’était ce qu’on lui avait fait. » (Jn 12,15-16)

Là, c’est le souvenir – après-coup – de la parole du prophète qui permet d’éclairer le comportement de Jésus. Sur le moment, ses disciples n’y ont rien compris. C’est seulement après, avec la venue de l’Esprit Saint, que leur intelligence s’est ouverte. Ce n’est qu’après coup qu’on peut mettre des paroles sur des événements ; et c’est le rôle de l’Esprit.

D’où l’importance d’apprendre l’Écriture par c?ur, afin que ce travail se fasse à partir du plus profond de nous-mêmes, à partir du c?ur de notre être : Jésus avait appris par coeur les paroles des psaumes, qui lui sont remontées naturellement aux lèvres lorsqu’il lui a fallu faire face à l’horreur de la croix (« j’ai soif » ; « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; « Père entre tes mains? »)

Pierre fait également l’expérience de la force du souvenir d’une parole du Christ : « Alors il se mit à jurer avec force imprécations : « Je ne connais pas cet homme. » Et aussitôt un coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite: « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Et, sortant dehors, il pleura amèrement. » (Mt 26,74-75)

Le souvenir de la parole de Jésus permet la contrition, c’est-à-dire le regret sincère de ce qui nous a éloigné de lui. On retrouve ainsi le lien entre l’Esprit Saint et le pardon.

Même les ennemis de Jésus se souviennent de ses paroles ! Ils contribuent sans le savoir à les accomplir : « Le lendemain, c’est-à-dire après la Préparation, les grands prêtres et les Pharisiens se rendirent en corps chez Pilate et lui dirent: « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur  a dit,  de son  vivant : Après  trois jours je ressusciterai ! Commande donc que le sépulcre soit tenu en sûreté jusqu’au troisième jour, pour éviter que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent au peuple : Il est ressuscité des morts! Cette dernière imposture serait pire que la première. » » (Mt 27,63-64) Les grands prêtres veulent éviter une supercherie, mais cela tourne finalement à renforcer le témoignage des femmes : qui aurait pu déjouer la surveillance de ces forces de sécurité romaines ?

Bien des choses qui nous arrivent sont obscures sur le moment. À l’image de Marie, ne comprenant pas tout, nous pouvons cependant garder et méditer toutes ces choses en notre coeur. Alors l’Esprit fera son chemin, et tissera les liens entre notre histoire et la parole de Dieu qui nous permet de déchiffrer cette histoire.

« Les Juifs lui dirent alors: « Il a fallu 46 ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras? » Mais lui parlait du sanctuaire de son  corps. Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2,21-22)

Ce n’est qu’après la résurrection que les disciples comprirent la parole de Jésus. Nous aussi, c’est bien souvent après une expérience spirituelle forte de renaissance que nous pouvons interpréter autrement les destructions ou les bouleversements qui ont jalonné notre parcours.

Devant un acte provoquant et choquant, seule la mémoire de l’Écriture peut permettre de voir ces événements sous un autre angle, et ainsi de les interpréter autrement :« aux vendeurs de colombes il dit: « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : « Le zèle pour ta maison me dévorera. » (Jn 2,16-17)

Pierre, devant le centurion Romain Corneille inondé d’Esprit Saint, est interloqué : comment, des païens ont eux aussi accès à la vie dans l’Esprit, à égalité avec les juifs ? «Je me suis alors rappelé cette parole du Seigneur : Jean, disait-il, a baptisé avec de l’eau, mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint. Si donc Dieu leur a accordé le même don qu’à nous, pour avoir cru au Seigneur Jésus Christ, qui étais-je, moi, pour faire obstacle à Dieu. » » (Ac 11,16-17)

On ne comprend rien à l’Église, à sa Tradition vivante, si on ne se souvient pas comme Pierre que l’Esprit tire sans cesse du neuf de l’ancien, et conduit l’Église là où elle-même n’aurait jamais pensé aller.

À l’approche de son supplice qui va dérouter bien des baptisés, Pierre encouragera la communauté de Rome à se souvenir : « Je crois juste, tant que je suis dans cette tente, de vous tenir en éveil par mes rappels, sachant, comme d’ailleurs notre Seigneur Jésus Christ me l’a manifesté, que l’abandon de ma tente est proche. Mais j’emploierai mon zèle à ce qu’en toute occasion, après mon départ, vous puissiez vous remettre ces choses en mémoire. » (2P 1,13-15)

Et Paul insistera : c’est un vrai travail que de se souvenir des paroles de Jésus. « De toutes manières je vous l’ai montré : c’est en peinant ainsi qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » (Ac 20) Ce souvenir de Paul nous livre une phrase de Jésus inconnue des 4 évangiles : comme quoi la mémoire vivante déborde largement la lettre de l’Écriture !

 

La mémoire chrétienne n’a pour autant rien à voir avec l’invention de faux souvenirs.

Afficher l'image d'origineUne expérience de psychologie sociale menée en 2010 auprès de 5269 participants aux USA indique que 50 % des participants se sont « souvenus » de la fameuse poignée de main entre Obama et Ahmadinejad (président d’Iran) 2. Or ce soi-disant événement… n’a jamais existé ! C’est ce qu’on appelle un faux souvenir, un souvenir qui est induit par une pression ou un contexte extérieur ambiant qui le rend crédible. Ces faux souvenirs induits ont fait des ravages dans beaucoup de familles aux USA comme en Europe : sous couvert de travail thérapeutique de mémoire, des soi-disant thérapeutes induisaient chez leurs patients la remontée de paroles ou d’actes n’ayant jamais existé, mais auxquels les patients finissent par croire dur comme fer.

Rien de tel dans la mémoire chrétienne : l’Esprit Saint nous conduit « vers la vérité tout entière », pas vers une manipulation de nos souvenirs. Les témoins du Ressuscité n’ont pas inventé le souvenir de leurs rencontres avec lui. Les évangélistes n’ont pas imaginé ce qu’ils racontent. Les premières communautés chrétiennes n’ont pas reconstruit les actes de Jésus pour les utiliser à légitimer leur pratique. Non : le travail de l’Esprit est de se souvenir fidèlement, et bien souvent de manière critique, c’est-à-dire interrogeant la communauté elle-même au lieu de lui donner raison sur tout. C’est ce qu’un théologien (Henri-Jérôme Gagey) appelle « la tradition d’un rapport critique à la Tradition ». Ce travail de mémoire qu’opère l’Esprit Saint n’est pas un travail de légitimation de ses intérêts en s’appuyant sur de faux souvenirs habilement reconstruits, mais un travail critique de remise en cause de l’Église elle-même pour devenir plus fidèle à ce que la parole du Christ attend d’elle aujourd’hui.

Vous le voyez : le lien entre l’Esprit Saint et la mémoire est très étroit.

La langue française en garde d’ailleurs quelques traces : perdre l’esprit va de pair avec perdre la mémoire ; il nous faut rassembler nos esprits pour pouvoir nous souvenir ; et avoir à l’esprit quelque chose, c’est justement ne pas l’oublier.

Si nous ne voulons pas qu’un Alzheimer intérieur nous prive de notre identité profonde, comment cultiver une mémoire chrétienne des paroles et des actes qui ont compté pour nous ?

La liturgie de l’Église est une éducation à cette mémoire chrétienne :

« Dans la Liturgie de la Parole l’Esprit Saint  » rappelle  » à l’Assemblée tout ce que le Christ a fait pour nous. Selon la nature des actions liturgiques et les traditions rituelles des Églises, une célébration  » fait mémoire  » des merveilles de Dieu dans une Anamnèse plus ou moins développée. L’Esprit Saint, qui éveille ainsi la mémoire de l’Église, suscite alors l’action de grâces et la louange (doxologie). » (Catéchisme de l’Église catholique n° 1103)

À quelle source allons-nous puiser pour laisser l’Esprit nous faire souvenir de ce que le Christ a dit et fait pour nous tout au long de notre histoire ?

 

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 1. Ici, en Mc 8,18, c’est le symbolisme des chiffres de la multiplication des pains : 5000 hommes pour le peuple de la Torah (les 5 livres de la Loi), 12 couffins pour les 12 tribus d’Israël, 4000 hommes pour les 4 coins de l’horizon, 7 corbeilles pour les 7 jours de la création, et donc finalement l’universalité de l’eucharistie réunissant à la fois Israël et l’Église.

2. Journal of Experimental Social Psychology, Vol. 49, 2013.

 

1ère lecture : L’Église décide d’accueillir les païens sans leur imposer la loi juive (Ac 15, 1-2.22-29)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Certaines gens venus de Judée voulaient endoctriner les frères de l’Église d’Antioche en leur disant : « Si vous ne recevez pas la circoncision selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un conflit et des discussions assez graves entre ces gens-là et Paul et Barnabé. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question.

Finalement, les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude (appelé aussi Barsabbas) et Silas.
Voici la lettre qu’ils leur confièrent : « Les Apôtres et les Anciens saluent fraternellement les païens convertis, leurs frères, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie.
Nous avons appris que quelques-uns des nôtres, sans aucun mandat de notre part, sont allés tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi. Nous avons décidé à l’unanimité de choisir des hommes que nous enverrions chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul qui ont consacré leur vie à la cause de notre Seigneur Jésus Christ.
Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit :
L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir de manger des aliments offerts aux idoles, du sang, ou de la viande non saignée, et vous abstenir des unions illégitimes. En évitant tout cela, vous agirez bien. Courage ! »

Psaume : Ps 66, 2b-3, 5abd, 7b-8

R/ Dieu, que les peuples t’acclament ! Qu’ils t’acclament, tous ensemble !

Qu ton visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
sur la terre, tu conduis les nations.

Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

2ème lecture : L’Agneau est la lumière du peuple de Dieu (Ap 21, 10-14.22-23)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ange qui m’entraîna par l’esprit sur une grande et haute montagne ; il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu.
Elle resplendissait de la gloire de Dieu, elle avait l’éclat d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin.
Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes gardées par douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël.
Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident.
La muraille de la cité reposait sur douze fondations portant les noms des douze Apôtres de l’Agneau.
Dans la cité, je n’ai pas vu de temple, car son Temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, et l’Agneau.
La cité n’a pas besoin de la lumière du soleil ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine, et sa source de lumière, c’est l’Agneau.

Evangile : La promesse de la venue de l’Esprit (Jn 14, 23-29)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur ressuscité demeure au milieu des siens : il leur donne sa paix. Alléluia. (cf. Jn 14, 25.27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. Celui qui ne m’aime pas ne restera pas fidèle à mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit toutes ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
Patrick Braud

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27 mars 2013

La table du Jeudi saint

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La table du Jeudi saint

Homélie pour le Jeudi Saint / Année C
28/03/2013

Ce n’était sans doute pas une table qui trônait dans la salle préparée pour la Pâque juive réunissant Jésus et ses disciples ce jeudi-là. C’était plus vraisemblablement un aménagement de coussins ou de divans, plus ou moins en cercle. Les convives s’allongeaient, couchés sur le côté de façon à pouvoir se parler. Ils mangeaient à un plat commun en y puisant à tour de rôle. C’est ce qui explique la fameuse bouchée commune par laquelle Jésus désigne Judas comme celui qui va le livrer (Mc 15). C’est ce qui explique également le geste du lavement des pieds, non pas à quatre pattes sous une table, mais bien au cours du repas au pied de chaque disciple allongé sur les coussins à même le sol. C’est ce qui explique encore le geste de l’onction de Béthanie, où une femme pleure sur les pieds de Jésus et les essuie de ses cheveux : geste impossible si c’était une table classique, mais accessible si Jésus est allongé pour le repas, selon la coutume de son époque.

La table du Jeudi saint dans Communauté spirituelle repas-10

Bref, la table du Jeudi saint n’était sans doute pas une table.

Pourtant, en vertu des lois de l’inculturation, les générations ultérieures ont bâti des tables-autels dans leurs églises pour y célébrer le dernier repas du Christ. Avec raison. Essayons de parcourir quelques usages du mot table en français pour voir comment l’eucharistie assume ou non tous les sens de ce mot nous reliant au Jeudi saint.

 

« À table ! »

plateaux-service-de-table-a-table Jeudi dans Communauté spirituelle

Cette expression familière retentit toujours à l’heure du repas. Pour rassembler la famille dispersée chacun dans sa chambre, il faut soit crier, soit sonner une clochette, soit compter sur la bonne odeur de cuisine se répandant dans l’escalier jusqu’aux étages pour faire bouger les petits et les grands.

Crier « à table » est l’office de la cloche de l’église. Elle sonne à travers les airs pour arracher chacun à sa quotidienneté et lui transmettre une joyeuse invitation. « Viens, tu es attendu ; la table est prête ».

L’eucharistie comme convocation et rassemblement du Peuple de Dieu tient là un symbole fort : c’est l’appel de Dieu qui constitue l’Église ; c’est l’invitation au festin qui fait l’assemblée (l’ekklèsia) et non les sympathies naturelles existantes ou non entre les uns et les autres.

L’Église n’est pas un club, parce que l’eucharistie s’adresse à tous : « à table ! »

 

Faire table ouverte

51YZ5FW5CNL._SL500_AA300_ tableL’eucharistie assume facilement cette jolie expression : il y a toujours de la place pour le passant, l’étranger, l’esseulé. Comme autrefois dans les familles on laissait toujours une place vide pour la « part du pauvre », au cas où un nécessiteux frapperait à la porte pour demander à manger.
Il devrait toujours y avoir dans nos messes cette vigilance pour garder ouvert le cercle des habitués. Quel contre-témoignage lorsqu’une assemblée paroissiale semble fermée, ne sait pas accueillir les nouveaux, ou laisse repartir les inconnus sans même leur adresser une parole, un regard, un sourire !

L’eucharistie fait table ouverte, sinon ce n’est pas l’eucharistie.

 

Table d’hôte

L’hospitalité eucharistique n’est pas un vain mot dans la tradition de l’Église. Dans les premiers siècles, lorsque les prêtres se déplaçaient dans une autre Église locale, ils montraient leurs « lettres de communion » (koïnonia grammatica) rédigées par leur évêque, et était alors admis à la table eucharistique pour célébrer avec le clergé local. La coutume continue, plus juridique hélas, avec le celebret, document qu’un prêtre doit normalement fournir pour pouvoir célébrer ailleurs que dans son diocèse comme s’il était chez lui.

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Au-delà des seuls ministres, pratiquer l’hospitalité eucharistique entre Églises diverses est une nécessité interne à l’eucharistie. Comme pour une table d’hôte où chacun est chez lui chez l’autre, nos messes devraient être un lieu d’accueil, d’hospitalité, où nous nous mettons à disposition de ceux qui viennent d’ailleurs. Est-ce vraiment le cas ? N’est-ce pas une des raisons pour lesquelles nos assemblées n’attirent plus guère ?

 

Table ronde

Organiser une table ronde, par exemple avec des clients ou des fournisseurs en entreprise, c’est réunir sur un pied d’égalité des gens situés différemment, pour faire circuler entre eux une parole plus féconde que la succession de N discours individuels.

L’eucharistie assume également cette signification (à condition que ronde ne veuille pas dire fermée !). D’autant plus que autour d’une table ronde, personne ne domine contrairement à une forme rectangulaire ou en V. Dans une réunion en cercle, si l’un préside, c’est au service de l’échange entre tous. En rectangle ou en V, celui qui se situe à une extrémité détient de ce fait un pouvoir de domination sur le groupe. Regardez les salles de réunion en entreprise ou en paroisse ou à l’école : l’organisation physique des tables et des chaises en dit long sur les rapports de pouvoir.

Or dans l’eucharistie, le Christ interdit toute domination : « les rois des nations païennes commandent en maîtres. ». Hélas, prêtres et évêques ont parfois oublié cet ordre du Christ, et ont subtilement réintroduit des dominations sur ceux qu’ils sont censés servir. On aura beau répéter le geste du lavement des pieds le Jeudi saint, si cela ne s’incarne pas dans la vie de l’Église par une réelle égalité entre tous, par une conception du ministère comme service, alors la contradiction sera si flagrante qu’il ne faudra pas s’étonner de devenir inaudibles, non crédibles…

 

Table rase

« Du passé faisons table rase ! »

Ce célèbre slogan révolutionnaire convient mal à l’eucharistie. Du moins dans un premier temps. En effet l’eucharistie fait mémoire, et donc s’enracine dans ce Jeudi de Palestine en voulant y être fidèle. Dans un deuxième temps cependant, faire table rase du passé pourrait quand même renvoyer à la dimension eschatologique de la Cène. Le dernier repas du Christ inaugure un monde réellement nouveau, une nouvelle création du monde. Le pain et le vin basculent tout entier du côté de ce monde de la résurrection (c’est le sens du vieux mot transsubstantiation) pour nous y entraîner à notre tour en y communiant. Isaïe le disait fort justement : « ne vous souvenez plus du passé… »

 

Le côté révolutionnaire de l’eucharistie est donc de nous ouvrir à l’avenir de Dieu, sans préjuger de notre passé humain. C’est en s’appuyant sur le passé du Christ (sa passion, sa résurrection) que nous pouvons enfin être libérés des pesanteurs de notre propre passé, et nous ouvrir à des perspectives radicalement nouvelles. La tabula rasa de l’eucharistie est celle de nos efforts/faiblesses trop humains. Celui qui vient à l’autel reçoit entre ses mains son avenir, pas la prolongation de son passé.

« Souviens-toi de ton futur… »

 

Tabler sur Dieu

En français, tabler sur quelqu’un, c’est s’appuyer sur lui comme on s’appuie sur une table pour refaire ses forces. L’eucharistie nous apprend à tabler sur Dieu, à compter sur lui plus que sur nous-mêmes. Radical lâcher-prise qui n’est pas de la résignation, du renoncement ou du fatalisme. Comme le disait St Ignace de Loyola : « Tout faire comme si cela ne dépendait que de moi seul ; mais tout attendre de Dieu seul ».

Nous ne venons pas à la messe célébrer une réussite (sinon que ferait celui qui n’en a pas ?). Nous venons nous ouvrir à l’avenir absolu qui peut faire irruption dans nos vies.
Nous ne comptons pas sur nos efforts, nous tablons sur Dieu qui fait toute chose nouvelle. Réduire l’eucharistie à une autocélébration d’un groupe motivé transformerait l’Eglise en club privé.

Il y a encore d’autres expressions françaises utilisant le mot table et assumées plus ou moins dans l’eucharistie. Que celles que nous venons d’évoquer nous aident à regarder d’un autre oeil les tables qui nous rassemblent en famille, en entreprise etc.

Qu’elles nous aident à renouveler notre sens eucharistique, pour rester fidèles au dernier repas du Christ, serviteur jusqu’à en mourir.

 

 

1ère lecture : L’agneau pascal (Ex 12, 1-8.11-14)
Lecture du livre de l’Exode

Dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison.
Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera un agneau sans défaut, un mâle, âgé d’un an. Vous prendrez un agneau ou un chevreau.
Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil.
On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera.
On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères.
Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur.
Cette nuit-là, je traverserai le pays d’Égypte, je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : je suis le Seigneur.
Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. »

Psaume : Ps 115, 12-13, 15-18

R/ Bénis soient la coupe et le pain,
où ton peuple prend corps

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

2ème lecture : Le repas du Seigneur (1Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Evangile : Le lavement des pieds (Jn 13, 1-15)

Acclamation : Gloire et louange à toi,
Seigneur Jésus.
« Tu nous donnes un commandement nouveau :
Aimez-vous les uns les autres
comme je vous ai aimés. »
Gloire et louange à toi,
Seigneur Jésus. 
(cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le démon a déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Toi, Seigneur, tu veux me laver les pieds ! »
Jésus lui déclara : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! »
Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, … mais non pas tous. »
Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »

Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ?
Vous m’appelez ‘Maître’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick Braud

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