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Fêter l’Assomption de Marie, c’est ranimer en nous l’espérance d’être un jour associés à la gloire divine avec elle, plongés dans la communion d’amour trinitaire qui est l’être même de Dieu. Car Marie et l’Église ne font qu’un, et il n’arrive personnellement à l’une que ce qu’il arrive communautairement à l’autre. Relisons l’étonnante affirmation de saint Augustin dans une de ses homélies sur l’Évangile de Matthieu : « Sainte Marie, heureuse Marie ! Et pourtant l’Église vaut mieux que la Vierge Marie »…
« Faites attention, je vous en supplie, à ce que dit le Christ Seigneur, étendant la main vers ses disciples : Voici ma mère et mes frères. Et ensuite : Celui qui fait la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère. Est-ce que la Vierge Marie n’a pas fait la volonté du Père, elle qui a cru par la foi, qui a conçu par la foi, qui a été élue pour que le salut naquît d’elle en notre faveur, qui a été créée dans le Christ avant que le Christ fût créé en elle ? Sainte Marie a fait, oui, elle a fait la volonté du Père, et par conséquent, il est plus important pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ ; il a été plus avantageux pour elle d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été sa mère. Donc, Marie était bienheureuse, parce que, avant même d’enfanter le Maître, elle l’a porté dans son sein.
Voyez si ce que je dis n’est pas vrai. Comme le Seigneur passait, suivi par les foules et accomplissant des miracles divins, une femme se mit à dire : Heureux, bienheureux, le sein qui t’a porté ! Et qu’est-ce que le Seigneur a répliqué, pour éviter qu’on ne place le bonheur dans la chair ? Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! Donc, Marie est bienheureuse aussi parce qu’elle a entendu la parole de Dieu, et l’a gardée : son âme a gardé la vérité plus que son sein n’a gardé la chair. La Vérité, c’est le Christ ; la chair, c’est le Christ. La vérité, c’est le Christ dans l’âme de Marie ; la chair, c’est le Christ dans le sein de Marie. Ce qui est dans l’âme est davantage que ce qui est dans le sein.
Sainte Marie, heureuse Marie ! Et pourtant l’Église vaut mieux que la Vierge Marie.
Pourquoi ? Parce que Marie est une partie de l’Église, un membre éminent, un membre supérieur aux autres, mais enfin un membre du corps entier. S’il s’agit du corps entier, le corps est certainement davantage qu’un seul membre. Le Seigneur est la tête, et le Christ total est à la fois la tête et le corps. Bref, nous avons un chef divin, nous avons Dieu pour tête.
Donc, mes très chers, regardez vous-mêmes : vous êtes les membres du Christ, et vous êtes le corps du Christ. Comment l’êtes-vous ? Faites attention à ce qu’il dit : Voici ma mère et mes frères. Comment serez-vous la mère du Christ ? Celui qui entend, celui qui fait la volonté de mon Père, qui est aux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. En effet, je comprends bien : mes frères ; je comprends bien : mes sœurs. Car il n’y a qu’un seul héritage : c’est pourquoi, le Christ, alors qu’il était le Fils unique, n’a pas voulu être seul : dans sa miséricorde, il a voulu que nous soyons héritiers du Père, que nous soyons héritiers avec lui. »
MESSE DU JOUR PREMIÈRE LECTURE « Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab) Lecture de l’Apocalypse de saint Jean Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire. Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »
PSAUME (Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16) R/ Debout, à la droite du Seigneur, se tient la reine, toute parée d’or.(cf. Ps 44, 10b)
Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté. Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire. Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.
Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ; on les conduit parmi les chants de fête : elles entrent au palais du roi. DEUXIÈME LECTURE « En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a) Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, caril a tout mis sous ses pieds. ÉVANGILE « Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56) Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle. Patrick BRAUD
Césaire était le prieur de sa communauté cistercienne de Heisterbach, près de Bonn, au XIII° siècle. Ayant remarqué que ses frères communiaient très peu, par peur d’en être indignes, il leur inventa cette fable (exemplum en latin) pour les détourner de leur puritanisme eucharistique [1] : « Celui qui prend en horreur le corps et le sang du Christ est mal avisé, car il est quasiment impossible que l’homme n’encoure pas de péril d’âme ou de corps, si ce n’est des deux. Et à ce sujet je vais donner un exemple vrai et manifeste ». Voici la fable de Césaire :
Un moine n’osait pas communier à la messe du monastère. On ne savait pas pourquoi, mais il fuyait à chaque fois la file de la communion. Déchiré par ce grand écart, le moine finit précisément un Jeudi Saint par quitter bel et bien le monastère, et jette son habit monastique. Il s’assoupit sous un arbre, la bouche ouverte. Un immonde crapaud en profite pour se faufiler dans sa gorge, et s’y cramponne jusqu’à y élire domicile ! Les souffrances que lui inflige l’animal le conduisent à chercher un remède. Il trouve enfin une femme qui parvient à s’adjoindre les services d’une guérisseuse. Placé devant une décoction d’herbes, ouvrant la bouche et fermant les yeux, le moine sent le batracien sortir de son corps par là où il est entré. Assagi par ces épreuves, il retourne au monastère. Il y relate ses déboires et on lui fait boire une potion qui le purge de plus de soixante-dix petits crapauds qui étaient restés dans son corps.
Césaire tire lui-même la leçon de son historiette : c’est à bon droit que celui qui refuse le remède du salut s’expose au danger du poison. Se priver de la communion est suicidaire [2].
On enseignait encore récemment ce puritanisme eucharistique aux fidèles terrorisés : ‘si vous n’êtes pas en état de grâce, votre communion sera votre condamnation et vous irez en enfer’. Mieux valait alors communier le moins possible, car qui sait si je ne suis pas en état de péché mortel sans le savoir ? D’où, en réaction, l’obligation du concile de Latran (1215) de « faire ses Pâques » au moins une fois par an : se confesser et communier tout de suite après (pour ne pas pécher entre-temps) le jour de Pâques. Si bien que 51 dimanches par an on allait « assister à la messe » (sans participer à la communion), et l’on communiait une fois à Pâques.
Durant les siècles marqués par la rigueur janséniste (XVII°-XIX° siècles), l’eucharistie est la récompense rare à un comportement moral exceptionnel. Le pécheur doit être tenu à distance de ce grand mystère. Bien significative est la lettre envoyée par un curé, un soir de Noël à son évêque [3] : « Monseigneur, réjouissez-vous avec moi. Il n’y a pas eu de communion sacrilège aujourd’hui, car je n’ai pas ouvert le tabernacle ». À une époque encore pas si lointaine, Thérèse et ses sœurs du carmel de Lisieux étaient soumises au jugement de leur confesseur qui, seul, pouvait les autoriser à communier.
Kirill et Kigali
Le mouvement s’est inversé de façon spectaculaire, et c’est presque l’excès contraire : maintenant : tout le monde communie, sans se poser de questions. ‘Parce que j’y ai droit, parce que je le vaux bien, parce que j’en ai besoin, parce que tous les autres le font et je ne veux pas être à l’écart’ etc. Si bien que les divorcés-remariés ou les catéchumènes voient avec étonnement de fieffés filous, des libertins notoires, des patrons véreux, bref de vrais salauds s’approcher les mains ouvertes en toute innocence sans que personne n’en dise rien, alors que eux n’y ont pas droit. Un peu facile, non ?
Regardez Kirill, chef du patriarcat russe orthodoxe de Moscou. Enseveli sous des kilos d’étoffes rutilantes, de chasubles brodées d’or et d’argent, chamarré comme un cheval de cirque, il célèbre l’eucharistie avec componction et gravité, et se met juste après à remercier Dieu pour « le miracle Poutine » et à faire prier ses fidèles pour la victoire de la Sainte Russie en Ukraine.
À quoi servent ces belles célébrations orthodoxes aux chœurs sublimes si c’est pour contredire en pratique la communion reçue ?
Ou encore souvenez-vous du génocide du Rwanda, dont nous avons marqué le triste trentenaire cette année. En avril 1994, 90% de la population du Rwanda était catholique. Tous pratiquants réguliers. Tous allaient à la messe avec enthousiasme, chantaient, dansaient et animaient des célébrations eucharistiques extraordinairement ferventes comme l’Afrique Noire sait en faire. Las, à peine sortie de l’église, ce 7 avril 1994 et après, le pain azyme à peine fondu dans la bouche, ils ont pris leurs machettes et commencé à rompre d’autres corps que celui de l’autel, à verser d’autres sangs que celui du calice. Ils ont gorgé le sol rwandais du sang de 800 000 à 1 million de victimes. Ils ont déchiqueté et démembré des corps plus que les charniers ne pouvaient en contenir. Ils ont massacré ceux avec qui ils communiaient le dimanche… C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la violence intra-religieuse connaissait un tel niveau d’horreur. Même les guerres de religion en Europe ont fait moins de victimes, et c’était entre catholiques et protestants, pas entre catholiques. À cela il faut ajouter hélas les 10 millions de morts (oui, vous avez bien lu !) que ce confit Hutus/Tutsis a provoqué en République Démocratique du Congo depuis 1994…
À quoi servent alors les belles messe dominicales, les magnifiques costumes endimanchés multicolores, les communions recueillies, les prières à genoux sur les bancs de l’église si c’est pour massacrer les co-paroissiens Tutsis (ou les Hutus ensuite) à la sortie ?
Les responsables politiques français n’étaient pas plus au clair, comme le président Macron l’a enfin reconnu récemment. Mitterrand avait nié en son temps être complice de quoi que ce soit dans ce génocide, « les yeux dans les yeux ». Mais heureusement, lui n’allait pas communier le dimanche…
Kirill et ses sbires, ou les génocidaires du Rwanda et leurs complices feraient bien de relire Saint Jean Chrysostome, liant fermement la communion eucharistique et l’amour de l’autre, le sacrement de l’autel et le sacrement du frère (il a d’ailleurs été condamné à l’exil pour avoir osé refuser à l’empereur la communion en public dans sa cathédrale, parce qu’il sortait des jeux du cirque et avait ainsi du sang sur les mains) :
Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?
Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personnen’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons.
Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.
Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu
Ou Saint Augustin tonnant contre l’hypocrisie de communiants trop dévots pour être honnêtes :
Imaginez – disait-il – que vous vous approchez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien, le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !
Homélies sur la première épître de saint Jean, X, 8
Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :
« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [4].
Ce qui est moral, c’est de s’interroger
Le moine et le crapaud nous encouragent à aller communier fréquemment pour trouver la force de lutter contre le mal. Mais à l’inverse, Kirill ou Kigali nous montrent en négatif la contradiction meurtrière qu’il y aurait à communier sans aimer « en actes et en vérité ». D’un côté il nous faut affirmer que communier n’est pas moral, au sens où ce n’est pas une démarche reposant sur la valeur morale de nos actes. D’un autre côté, il nous faut nous souvenir de l’avertissement de Paul sur une communion qui ne porterait aucun fruit éthique de conversion : « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation » (1 Co 11,29).
En cette fête du Saint Sacrement, laissons donc cette question nous tarauder, sans y répondre trop vite : est-ce bien moral que j’aille communier ce dimanche ?
Si je réponds non, je risque de dissocier la foi et l’éthique de manière irresponsable, ou je risque de me condamner à ne jamais y avoir accès car je ne serai jamais à la hauteur. J’avale le crapaud en refusant l’hostie.
Si je réponds oui, je risque de faire de l’eucharistie une récompense, une médaille méritée par mes efforts pour une vie droite.
Dissocier radicalement eucharistie et morale, c’est s’exposer aux aberrations de Kirill et de Kigali.
Lier la communion à mes vertus serait tout aussi dangereux, car cela ferait de l’eucharistie une médaille et non un remède, un sommet uniquement et non une source avant le sommet…
Beaucoup de chrétiens ont encore un crapaud cramponné dans la gorge, les décourageant d’aller communier. Et ce crapaud fait des petits en eux…
Beaucoup d’autres – la majorité sans doute – ne veulent pas faire le lien entre l’hostie et le corps de l’autre, entre le calice et le sang de l’autre. Ils communient par habitude, par conformisme, par superstition, par revendication individuelle, pour leur épanouissement personnel etc.
Y a-t-il une autre voie eucharistique que ces deux-là ?
Ne pas déserter la communion, et ne pas s’y habituer.
S’en approcher en tremblant et la recevoir avec confiance.
S’examiner loyalement à la lumière des textes de la messe, et s’en remettre à Dieu qui seul est Juge.
Communier pour faire le bien, mieux, davantage, et non parce que je suis moralement dans les clous.
Recevoir l’hostie comme un don, un cadeau immérité, une grâce incroyable, et s’engager de toutes mes forces à la faire fructifier en famille, en entreprise, entre voisins, entre nations…
Les non-pratiquants disent souvent pour se justifier : ‘les chrétiens qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres’. On peut leur répondre en souriant : ‘Peut-être. Mais qui sait s’ils ne seraient pas pires s’ils n’y allaient pas ?…
Laissons à nouveau la parole à Saint Jean Chrysostome, qui prie ainsi juste avant de recevoir la communion : Je ne suis pas digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque, dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de toi. Tu ordonnes que j’ouvre largement les portes de mon cœur, que toi seul as créées, pour que tu puisses entrer avec cet amour qui est ta nature ; je le crois fermement, tu entreras et tu illumineras mon esprit enténébré. Car tu n’as pas chassé la prostituée venue à toi en larmes, ni repoussé le publicain repentant, ni rejeté le larron qui confessait ton royaume, ni abandonné à lui-même le persécuteur converti. Mais tous ceux qui sont venus à toi par la pénitence, tu les as placés au rang de tes amis, toi qui es le seul béni en tout temps et dans les siècles sans fin. Amen.
[1]. Cf. François Wallerich, L’eucharistie, l’apostat et le crapaud. Sur un exemplum de Césaire de Heisterbach, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 21.2 | 2017, consultable ici : https://journals.openedition.org/cem/14731
[2]. « Nous rompons un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours », Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2.
[4] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Aubier, 1971, p. 17.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE « Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)
Lecture du livre du Deutéronome Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »
PSAUME (Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20) R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)
Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.
Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.
Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.
DEUXIÈME LECTURE « Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.
SÉQUENCE Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.
ÉVANGILE « Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58) Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Patrick BRAUD
Ce cap symbolique a été franchi au cours de ce mois de Février 2024.
Pour les férus de statistiques, le graphique ci-dessous montre une croissance quasi linéaire (R² = 0,89) depuis 2014 : environ 200 visites supplémentaires chaque mois, soit 2400 de plus chaque année.
La moyenne des derniers mois est autour de 25 000 clics.
Vu le genre littéraire plutôt austère de ces homélies, c’est encourageant.
Mais les chiffres ne disent pas grand-chose de la qualité d’un site ! On sait qu’il y a des vidéos vues des millions de fois sur les réseaux sociaux alors qu’elles sont à faible contenu (c’est le moins que l’on puisse dire !).
Et il suffirait d’un seul lecteur qui soit touché une seule fois pour que le labeur d’écriture de ces 880 articles et plus soit amplement justifié…
Reste qu’il ne faut pas bouder notre plaisir d’être nombreux à chercher ensemble autour des Écritures des raisons d’espérer, de se battre, d’aimer.
C’est un lien spirituel invisible, et une forme de ‘communion des saints’, c’est-à-dire ici de solidarité entre lecteurs bibliques.
Avec une pensée particulière pour ceux et celles qui doivent préparer un enseignement, une homélie, un témoignage : que ces articles leur offrent de qui nourrir leur réflexion et leur public, de quoi leur inspirer leur propre parole pour actualiser le message étonnant de ces vieux textes…
Il s’agit d’impôt et non de laïcité Évacuons d’emblée une lecture courante de notre célébrissime maxime de l’Évangile de ce dimanche (Mt 22,15-21) : « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Certains commentateurs – et non des moindres – voudraient trouver dans cette phrase de Jésus le fondement d’une laïcité ‘à la française’, avec une séparation nette des deux pouvoirs, politique et spirituel.
Cette lecture apologétique est doublement anachronique :
– d’abord parce qu’à l’époque de Jésus, la question ne se pose pas. Elle est même totalement hors champ, impensable. Il est évident pour tous les peuples de l’Antiquité que le politique et le religieux sont inextricablement mêlés, inséparables. Les juifs sont persuadés que Dieu seul est au principe d’Israël : même un roi – accepté avec réticence après les Juges, car toujours infidèle – n’est que le ‘lieu-tenant’ de Dieu. Les prophètes ne cessent de lui rappeler la supériorité de la Torah sur son gouvernement.
– ensuite, parce que tout au long de 20 siècles d’histoire, les Églises n’ont jamais interprété ni vécu cette maxime selon notre conception moderne d’une laïcité à la française. Pendant les trois premiers siècles, sous les persécutions, l’Église clandestine refuse d’adorer César et de lui offrir des sacrifices. Après Constantin, elle fait alliance avec le pouvoir impérial et devient religion d’État. Point de séparation dans l’alliance du trône et de l’autel, dans la théorie féodale des trois ordres (chevaliers, prêtres, paysans), dans la monarchie de droit divin, dans la théorie de la symphonie des pouvoirs en Orient (l’aigle à deux têtes de Byzance ou de la Russie actuelle) ou dans la théorie des deux glaives de l’Occident (où le glaive religieux doit l’emporter sur le politique, comme à Canossa). Le Syllabus de 1864 résume cette longue histoire de subordination – ou au mieux de lien intime – de César à Dieu en qualifiant la liberté de conscience de « liberté de perdition », de « délire », et en condamnant la séparation de l’Église et de l’État (‘erreur’ 55). Les Églises orthodoxes sont toujours sur cette ligne. L’Église anglicane continue de couronner rois et reines du Royaume-Uni. Les protestants certes sont les plus critiques envers ces collusions, mais les évangélistes américains font tout pour soumettre les lois des États à leur interprétation de la Bible (avortement, peine de mort, homosexualité etc.) et les luthériens du nord de l’Europe continuent à être une quasi religion d’État.
Bref : notre évangile de ce jour n’est pas un débat sur la laïcité, quoi qu’en disent les Français un peu isolés dans le monde à cause de leur conception si singulière des relations Églises-État.
Le texte évangélique est on ne peut plus clair : le piège tendu à Jésus porte sur l’impôt, et non sur la séparation des pouvoirs. C’est une question très pragmatique, casuistique même comme les aiment les juifs : dois-je remplir ma déclaration d’impôts ou choisir la désobéissance civile ? Dois-je accepter le prélèvement automatique sans broncher s’il vient de l’occupant ? C’est ce qu’on appelle le consentement à l’impôt : les citoyens l’acceptent de bon cœur s’ils le trouvent légitime. Sinon ils le boycottent ou ils fraudent, et en France la fraude fiscale est un sport national…
C’est donc d’argent dont il est question.
Jésus n’a pas un sou en poche La suite de la controverse confirme que l’argent est au centre de la dispute : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt ». Tiens : pourquoi Jésus ne sort-il pas lui-même une pièce de monnaie de sa poche ? Pourquoi est-il obligé de demander aux pharisiens et Hérodiens en face de lui ? Parce que Jésus « n’a pas une pierre où reposer la tête » (Lc 9,58). Parce qu’il a choisi de vivre littéralement sans argent sur lui, sans argent à lui. Il n’a pas un sou en poche. Car il savait qu’avoir toujours sur soi cette double image de César gravée dans l’argent finit par rendre dépendant, comme une drogue, ou plutôt comme une idole.
On finit souvent par idolâtrer ce qu’on a constamment sous les yeux, que ce soit son smartphone, sa carte bancaire, son ordinateur ou sa montre. Nos objets nous possèdent, bien plus que l’inverse. Nous finissons par ressembler à ce que nous contemplons. Si c’est une icône, elle nous conduit vers Dieu. Si c’est une idole, elle nous déshumanise et nous nous résignons à notre servitude volontaire.
Les pharisiens et les Hérodiens sont du côté du pouvoir et de l’argent : ils ont toujours leur Dieu dans la poche.
Jésus lui n’a pas un sou en poche : son Dieu est ailleurs.
Où est l’autre pièce de monnaie ? On montre à Jésus la pièce de César. Mais où donc est celle de Dieu ? Si l’on veut comparer César et Dieu, il faut comparer leurs deux monnaies, leurs deux impôts. Or le denier d’argent est à l’image (icône en grec) de César ; l’autre pièce devrait donc être à l’image de Dieu. On devine que c’est chaque personne humaine qui est la vraie monnaie de Dieu. L’effigie dont parle Jésus est l’image divine en tout homme. Car Dieu a créé l’homme à son image (icône). L’homme est l’icône de Dieu.
La seule monnaie que Jésus a toujours sur lui est l’image de Dieu, qui resplendit sur son visage en plénitude, et qu’il scrute amoureusement sur le visage de chaque rencontre. Si payer l’impôt à César est lui rendre son image, rendre à Dieu ce qui est à Dieu est alors reconnaître son image en chacun, et la laisser resplendir sur nous-même.
Voilà comment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce : voir en chacun son icône, et servir en lui sa vocation divine.
De l’image à la ressemblance Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26-27;5,1). C’est ce qui fonde son inaliénable dignité : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image » (Gn 9,6). Plus exactement, le texte hébreu de Gn 1,26 écrit : וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃
« Dieu dit : faisons l’homme dans (בְּ) notre image, comme (כִּ) notre ressemblance ».
L’image est donnée dès le départ, la ressemblance est une potentialité à développer. C’est la subtile différence entre « dans notre image » et « comme notre ressemblance ». Image et ressemblance : ces deux termes ne sont pas équivalents pour les Pères de l’Église. L’image est comme le sceau royal apposé au bas d’un traité. Il est scellé par le roi et garde en creux dans la cire la trace de son propriétaire. En regardant le sceau et le symbole royal qu’il porte (un lion, un lys, des armoiries etc.), on sait que le prince s’est engagé et que, même absent, il garantit sa signature. De même l’image divine en tout être humain : elle est gravée, indélébile, et nous parle en creux de Celui qui nous a façonné et qui s’est engagé pour nous. Même le pire des criminels a toujours cette image, cette icône de Dieu enfouie en lui. La vie du croyant est alors de dégager cette image de tout ce qui l’obscurcit, pour laisser resplendir la ressemblance divine. « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29).
Le couple « image et ressemblance » n’est pas utilisé pour les animaux mais pour l’homme seulement. Ainsi, en Gn 5,3, après avoir dit que Dieu créa l’homme à la ressemblance de Dieu, le texte poursuit : « Adam engendra un fils à sa ressemblance, selon son image« . C’est le propre de l’humain que d’être appelé à ressembler à Dieu en engendrant la vie.
L’image divine en l’homme échappe à toute définition, mais elle peut être caractérisée comme une capacité à participer à la nature divine. Cette capacité est déjà inscrite comme « en creux » dans la nature, humaine, mais elle devient vraiment effective par la grâce du baptême. Il ne s’agit pourtant encore que d’une capacité initiale, d’un germe appelé à se développer par la coopération de notre liberté et de la grâce divine ; la « ressemblance » est le plein accomplissement de l’image, fruit de la coopération de la liberté humaine et de la grâce. Elle s’identifie avec la déification, la pleine participation aux énergies divines incréées. Elle est une participation à la filiation du Fils par nature, à la gloire du Père. Elle fait ainsi entrer l’homme dans une relation d’amour personnel et d’intimité avec les divines Personnes de la Trinité. Elle ne sera pleinement achevée que par notre résurrection corporelle au dernier jour : « Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit et vérité » (2 Co 3,18).
Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce, c’est passer de l’image (innée) à la ressemblance (acquise) par l’accueil de l’amour divin.
Déjà au IV° siècle, on lisait sous la plume d’un auteur anonyme :
« L’image de Dieu n’est pas imprimée sur l’or mais sur le genre humain. La monnaie de César est d’or, celle de Dieu est l’humanité… Par conséquent, donne ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’unique innocence de ta conscience, là où Dieu est contemplé… En effet, César a voulu son image sur chaque monnaie, mais Dieu a choisi l’homme qu’Il a créé pour refléter sa gloire » (Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, Homélie 42).
Et saint Augustin a utilisé plusieurs fois cette référence dans ses homélies :
« Si César exige sa propre image sur la monnaie, Dieu n’exigera-t-il pas que l’homme grave en lui-même l’image divine ? » (En. in Ps. Ps 94,2).
Comme l’on rend à César sa monnaie, ainsi rend-on à Dieu l’âme illuminée, reflet de la lumière de son visage… Christ, en effet, habite dans l’homme intérieur » (Ibid., Ps 4,8).
Au XVI° siècle, Saint-Laurent de Brindisi tire ce même fil : rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est passer de l’image à la ressemblance :
« Il nous faut payer à César le denier portant l’effigie et l’inscription de César, à Dieu ce qui a reçu le sceau de l’image et de la ressemblance divines: La lumière de ton visage a laissé sur nous ton empreinte, Seigneur (cf. Ps 4,7).
Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance (Gn 1,26) de Dieu. Tu es homme, ô chrétien. Tu es donc la monnaie du trésor divin, un denier portant l’effigie et l’inscription de l’empereur divin. Dès lors, je demande avec le Christ : cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? Tu réponds: « De Dieu ». J’ajoute : « Pourquoi donc ne rends-tu pas à Dieu ce qui est à lui ? »
Si nous voulons être réellement une image de Dieu, nous devons ressembler au Christ, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu et l’effigie exprimant son être (cf. He 1,3). Et Dieu a destiné ceux qu’il connaissait par avance à être l’image de son Fils (Rm 8,29) ».
(Hom. 22° dimanche après la Pentecôte)
Restaurer l’homme dans sa dignité d’enfant de Dieu, c’est sans doute la mission que le « bon samaritain » confie à l’aubergiste, en lui donnant deux deniers pour subvenir à la guérison du blessé sur la route (Lc 10,35). En effet, dans l’évangile de Luc, le seul autre usage du mot δηνάριον (= denarion, denier) de notre passage se trouve dans la parabole du bon samaritain. L’humanité blessée par le péché, gisant sur le bord du chemin, est défigurée. C’est le rôle de l’aubergiste (Pierre ?) et de son auberge (l’Église ?) que de lui redonner image et ressemblance d’avec Dieu, les deux deniers que le Christ lui a confiés avant de s’absenter de l’histoire…
L’inscription de César, et celle de Dieu « Cette effigie (εἰκών, eikon = icône) et cette inscription (ἐπιγραφή, épigraphe), de qui sont-elles ? » Si l’icône nous met sur la voie service de la vie divine en chaque être humain, de quoi l’inscription est-elle le nom ?
L’inscription de César renvoie clairement à la condamnation écrite du Juste innocent sur la croix. En effet il n’y a que 5 usages du mot ἐπιγραφή (épigraphe) dans le Nouveau Testament : 3 pour notre controverse sur l’impôt (Mt 22,20 ; Mc 12,16 ; Lc 20,24), et 2 pour les mots gravés sur le bois du gibet (Mc 15,26 ; Lc 23,38) : « L’inscription (ἐπιγραφή) indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : ‘Le roi des Juifs’ » (Mc 15,26).
Rendre à César son inscription, c’est donc constater que sa condamnation est vaine, injuste, et n’aura pas le dernier mot. INRI, cet écriteau multiplié à l’infini sur nos crucifix, calvaires, tableaux et autres statues est un défi lancé à César : ‘tu as cru éliminer le Juste par la force de ton pouvoir, cet épigraphe te revient en pleine face comme un signe de victoire du condamné sur l’injustice, le mal et la mort’.
Rendre à Dieu son inscription à Lui, c’est découvrir ce qu’a gravé sur nos cœurs l’Esprit de la Loi, et non sa lettre, comme l’écrit Paul : « Dieu nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3,6).
C’est aussi agir en conscience : « la façon d’agir prescrite par la Loi est inscrite dans le cœur des païens, et leur conscience en témoigne… » (Rm 2,15).
Pour l’apôtre, c’est également offrir à Dieu des communautés vivantes et animées par l’Esprit : « De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3,3).
Chaque être humain porte au fond de lui en filigrane ce titre royal : enfant de Dieu, et c’est vraiment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce que de devenir pleinement ce fils/cette fille bien-aimés à qui il partage son intimité.
Par ici la monnaie ! Résumons-nous : l’enjeu de la controverse entre Jésus et les pharisiens unis aux Hérodiens concerne l’impôt, et non la laïcité. Pendant des siècles, on y a lu l’invitation à cultiver notre ressemblance d’avec Dieu plutôt que notre servitude envers César. Il s’agit de participer à la nature divine (2P 1,4), selon la parole de la Loi reprise par Jésus : « vous êtes des dieux » (Jn 10,34). Nous avançons sur la voie de cette divinisation lorsque nous désacralisons le pouvoir en lui rendant son effigie pour ne pas lui être soumis, lorsque nous combattons son injustice mortelle en lui rendant son inscription (INRI).
Nous rendons à Dieu la monnaie de sa pièce lorsque nous révélons à tout homme sa dignité en tant qu’icône de Dieu, appelé à lui ressembler toujours davantage, et lorsque nous rendons à Dieu son épigraphe, c’est-à-dire la loi d’amour gravée en nos cœurs par l’Esprit de vérité.
Ne rendez plus la monnaie comme avant…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE « J’ai pris Cyrus par la main pour lui soumettre les nations » (Is 45, 1.4-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe Ainsi parle le Seigneur à son messie, à Cyrus, qu’il a pris par la main pour lui soumettre les nations et désarmer les rois, pour lui ouvrir les portes à deux battants, car aucune porte ne restera fermée : « À cause de mon serviteur Jacob, d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai donné un titre, alors que tu ne me connaissais pas. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre : hors moi, pas de Dieu. Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas, pour que l’on sache, de l’orient à l’occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre. »
PSAUME (Ps 95 (96), 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac) R/ Rendez au Seigneur la gloire et la puissance. (Ps 95, 7b)
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !
Il est grand, le Seigneur, hautement loué,
redoutable au-dessus de tous les dieux :
néant, tous les dieux des nations !
Lui, le Seigneur, a fait les cieux.
Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.
Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis.
Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.
Allez dire aux nations : « Le Seigneur est roi ! »
Il gouverne les peuples avec droiture.
DEUXIÈME LECTURE « Nous nous souvenons de votre foi, de votre charité, de votre espérance » (1 Th 1, 1-5b)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens Paul, Silvain et Timothée, à l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus Christ. À vous, la grâce et la paix. À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous, en faisant mémoire de vous dans nos prières. Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père. Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous, simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint, pleine certitude.
ÉVANGILE « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-21) Alléluia. Alléluia. Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu En ce temps-là, les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Patrick BRAUD