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9 juillet 2018

Deux par deux, sans rien pour la route

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Deux par deux, sans rien pour la route


Homélie pour le 15° dimanche du temps ordinaire / Année B
15/07/2018

Cf. également :

Le polythéisme des valeurs
Plus on possède, moins on est libre
Secouez la poussière de vos pieds
Medium is message
Briefer et débriefer à la manière du Christ


mormons.jpgVous avez sûrement déjà remarqué que les témoins de Jéhovah ou les mormons font toujours du porte-à-porte deux par deux, jamais seuls. Plus basiquement, vous avez remarqué également que les humains se mettent en couple pour affronter les aléas de la vie et assurer leur mission de parents. Notre Évangile de ce dimanche en fait une règle au cœur de la mission de l’Église : il les envoie deux par deux. Jamais seuls, sans surnombre non plus.

Pourquoi ce deux par deux est-il aussi structurant, et pas seulement en Église ? Car en entreprise également, il est sage et prudent de prévoir des binômes, ainsi que dans la responsabilité associative etc.

Essayons de lister quelques arguments en faveur de ce deux par deux.

 

Ne pas trop personnaliser

Deux par deux, sans rien pour la route dans Communauté spirituelle a701fce12694b65db2cea61ff4a18c2e_XLUne première raison de cet envoi deux par deux est sans doute d’éviter l’hyperpersonnalisation. La dérive de type ‘gourou’ n’est jamais loin pour qui est en première ligne de l’évangélisation. Bien des télévangélistes américains sont tombés dans ce piège, avec tous les excès financiers politiques ou sexuels qui l’accompagnent. La tentation du pouvoir solitaire guette toujours les papes, les évêques, les prêtres ou autres responsables lorsqu’ils n’ont pas de relations suivies de pair à pair. Ainsi saint Paul s’est toujours méfié de la puissance de son charisme personnel. Il prenait soin d’orienter les convertis vers le Christ et non vers lui-même. Même avec Barnabé en mission, on veut les adorer comme des dieux : il proteste énergiquement. Il rappelle sans cesse que nous portons un trésor dans des vases d’argile. L’argile c’est l’apôtre, le trésor c’est le Christ et son Évangile.

La formule deux par deux limite le risque d’hyperpersonnalisation qui aujourd’hui avec les médias est cent fois plus dangereux qu’aux premiers siècles.

 

S’entraider

Le coup de fatigue de l’un peut trouver un appui dans la persévérance de l’autre. Les difficultés rencontrées sont moins lourdes lorsqu’elles sont partagées. Une solution inédite viendra peut-être du débat entre les deux apôtres. Jésus sait que la mission n’est pas un long fleuve tranquille : en les envoyant deux par deux, il donne à chacun un compagnon, un soutien, un point d’appui dont l’aide sera précieuse.

Deux alpinistes encordés progressant sur une pente de neige, corde tendue

 

Valoriser les regards croisés (en stéréo !)

Nul n’est si intelligent qu’il puisse embrasser la totalité du réel à lui tout seul. Paul sans  Pierre aurait été trop excessif, Pierre sans Paul trop judéo-centré, et Rome est devenue la chaire de Pierre et Paul, pas d’un seul.

À deux, on a la possibilité de croiser les regards, les analyses. L’Évangile demande d’utiliser au moins deux yeux pour voir en relief et deux oreilles pour entendre en stéréo !

stereoscopie-art-de-la-vision-en-relief22 débrief dans Communauté spirituelle

 

Deux, car il y a urgence

 EgliseSi dépasser le 1 est nécessaire pour la qualité de la mission, pourquoi alors s’arrêter ici à 2 ? Pourquoi pas trois par trois comme les Pères blancs en Afrique ? Ou même plus (comme les moines bénédictins) ?

En fait, Jésus sait qu’il y a urgence et que ses ressources sont limitées. Urgence, car sa Passion approche et les disciples doivent dès maintenant s’exercer à l’annonce de l’Évangile sans lui. Ressources limitées, car ils ne sont que 12 autour de lui, avec les 72 comme deuxième cercle, et c’est tout. Optimiser l’impact de l’évangélisation tout en limitant l’effet des égos aboutit effectivement à cette stratégie du deux par deux. Davantage obligerait à restreindre le champ de l’annonce. Moins exposerait au risque gourou.

Le caractère d’urgence de la mission est fortement souligné dans le texte par le fameux passage ou Jésus préconise de secouer la poussière de ses sandales et de partir d’un lieu non réceptif plutôt que de gaspiller temps et énergie qui seront plus féconds ailleurs.

Nous avons un peu perdu ce sentiment d’urgence dans la mission. C’est dommage. Car cela nous demande de ne pas concentrer toutes nos forces au même endroit, de multiplier nos points d’impact par de petites unités simples et agiles, et d’aller là où l’Évangile est attendu.

 

Témoigner de l’amitié par l’amitié

111610Les messagers vont eux-mêmes incarner leur message. Ils témoignent d’un Dieu qui est dialogue, conversation, échanges et amitié (philia = amitié en grec est un des noms de l’amour). D’abord pour lui-même (c’est la Trinité). Puis avec l’humanité et chacun de nous. L’atmosphère de coopération, d’entente et de vrai partenariat amical qui règne entre les apôtres renvoient au mystère de communion du Dieu Trinité. Impossible d’en témoigner seul. Même les ermites sont reliés à une communauté monastique. C’est ce principe qui fera de l’Église « comme un sacrement » (Vatican II) de la communion opérée en Dieu : « voyez comme ils s’aiment ».

La première responsabilité des apôtres et de pratiquer entre eux l’amitié qui unit le Fils à son Père dans l’Esprit. C’est en même temps leur message.

 

Medium is message

Car vous avez sans doute été étonnés que Jésus ne leur donne pas de programme  d’évangélisation, pas de versets à réciter, pas de loi à apprendre par cœur ! Bizarrement, il semble ne pas avoir de contenu à cet envoi en mission.

C’est que l’Évangile consiste moins en des choses à apprendre qu’à des relations à vivre. Marshal Mac Luhan, théoricien des médias, écrivait fort justement en 1964 : « the medium is the message ». La manière dont nous annonçons l’Évangile est l’Évangile lui-même…

Témoigner de l’amitié divine demande de la pratiquer entre envoyés plus que d’en écrire de volumineux traités. Pendant trois siècles, les martyrs chrétiens annonceront l’Évangile avec leur sang : la façon dont ils s’aimaient à la veille de leur martyre, leur pardon à leurs bourreaux, leur joie et leurs chants au moment de mourir ont fait plus pour convertir l’empire romain que Constantin avec son Édit en 313.

Plus tard, l’expansion musulmane sera totalement différente : Mohamed se réclamera être le seul dépositaire de la révélation, il transmettra un texte auquel se soumettre, par la force si besoin. L’évangélisation chrétienne et la conquête musulmane sont radicalement différentes en leur essence (même si hélas les Églises l’ont souvent dénaturé après le III°  siècle). L’une se fait par le témoignage des apôtres, l’autre se fait à la pointe du sabre et des conquêtes militaires.

Annoncer l’Évangile, c’est d’abord le vivre entre nous.

Cela ne résout pas tous les conflits, inévitablement récurrents. Mais on voit dans les Actes des Apôtres comment les Douze et les Églises avec eux ont continué à pratiquer l’amitié divine : par le débat et le consensus (cf. le concile de Jérusalem, Actes 15), par le réalisme dans la composition des équipes (cf. Paul et Barnabé se séparant après en être presque venus aux mains dans leur dispute !), par des lettres, des visites, des collectes solidaires entre Églises etc.

Envoyer deux par deux est un signe fort de l’amitié incarnant l’Évangile.

 

Sans rien pour la route

Un autre signe fort de l’Évangile est la pauvreté des moyens utilisés.

Pas de caravane publicitaire, pas de location de stade à grands frais, pas de show  époustouflant, pas d’argent à distribuer pour acheter les cœurs… 

« Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. ‘Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange’ ».

Mission des Douze 11.jpg

Là encore, la manière dont est annoncé l’Évangile fait partie du contenu de l’Évangile. Si Dieu est pauvre et désarmé en lui-même comme seul le concept de Trinité nous le révèle, ses disciples le seront également pour qu’ils témoignent de lui, et parce qu’ils vivent de sa vie, donc à sa manière, tout simplement.

« De l’or et de l’argent, je n’en ai pas. Mais ce que j’ai je te le donne : au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche » : Pierre et André (à nouveau à deux) n’ont rien d’autre à donner à l’impotent de la Belle Porte du Temple que cette bonne nouvelle d’un Dieu remettant l’homme debout pour aimer, louer et servir.

Le concile Vatican II a retrouvé cette vision originelle de l’évangélisation en souhaitant une Église humble, servante et pauvre à l’image de Jésus de Nazareth. Que le pape François soit appelé ‘le pape des pauvres’ est un indice du renouveau profond de l’Église catholique. Bien du chemin reste à parcourir sur cette voie de simplicité fraternelle pour annoncer l’Évangile. Mais les bases sont posées par Jésus lui-même envoyant ses disciples deux par deux sans aucun arsenal missionnaire sinon l’amitié vécue.

 

Débriefer à deux

Jésus ne se contente pas d’envoyer, il est désireux de les entendre rendre compte au retour de leur mission. C’est le fameux débrief dont l’importance n’échappe à personne aujourd’hui, militaires et managers y compris. Or débriefer seul induirait un biais trop subjectif : qui sait si je ne travestis pas la réalité en la racontant avec mes mots, ma sensibilité, mes choix personnels etc. ? Débriefer à deux limite là encore le risque de mainmise d’un seul sur la mission exercée.

Chacun des deux aura ses nuances, ses mots propres, ses apports complémentaires ou même divergents. L’unanimité est une force, la capacité de ne pas appauvrir le réel en est une autre. Et la pluralité des approches garantit un meilleur respect de la réalité.

the debrief

La tumultueuse relation entre Pierre et Paul en est un bon exemple : Paul n’hésite pas à fustiger l’attitude de Pierre lorsqu’il le voit ne pas manger avec des païens convertis.  Pourtant il s’appuie sur lui comme une « colonne de l’Église » pour être initié à Jérusalem  pendant trois ans à son contact après le chemin de Damas.

Il faut donc qu’il y ait des analyses différentes, dès lors qu’on peut les croiser dans l’amitié et la recherche de ce qui est juste.

Vous devinez qu’en parlant de l’envoi deux par deux des disciples, nous parlions en même temps de l’envoi deux par deux des couples, des responsables économiques et politiques, des acteurs associatifs, de notre vie amicale, de quartier etc.

Transposez à chacun de ces domaines les points de repères évoqués et vous verrez que cette sagesse du deux par deux est terriblement actuelle !

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

Psaume

(Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui, 
et ses pas traceront le chemin.

Deuxième lecture
« Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ. En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.

Évangile

« Il commença à les envoyer » (Mc 6,7-13) Alléluia. Alléluia. Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick BRAUD

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21 mai 2018

Vivre de la Trinité en nous

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Vivre de la Trinité en nous


Homélie pour la fête de la Trinité / Année B
27/05/2018

Cf. également :

La Trinité, icône de notre humanité

L’Esprit, vérité graduelle

Trinité : Distinguer pour mieux unir

Trinité : ne faire qu’un à plusieurs

Les bonheurs de Sophie

Trinité : au commencement est la relation

La Trinité en actes : le geste de paix

La Trinité et nous

Une fois n’est pas coutume, laissons la parole à un commentaire trouvé sur le Net [1] pour commenter le mystère de la Trinité avec des mots lumineux et d’une réelle profondeur.

LA TRINITÉ : QU’EST-CE À DIRE ?

La Trinité : nous en a-t-on suffisamment parlé, alors que pourtant, notre destinée éternelle, notre avenir certain, c’est d’être un jour éternellement des contemplatifs de la Trinité ? On pense plus à l’avenir de nos enfants, à leurs études qu’à notre fin dernière : la vie éternelle qui sera la participation à la vie trinitaire, participation à cette circulation d’amour entre les personnes divines, à ce brasier incandescent !

La fête de la très Sainte Trinité est en outre souvent escamotée par une autre fête qui nous est chère, celle des mères. Pourtant la Trinité est un mystère central de notre foi : si Dieu est amour, c’est parce qu’il ne se regarde pas narcissiquement, mais est un être de relations, une famille !

Dieu : un mystère insondable

Un musulman en comptant les 99 noms nom d'Allah sur son chapelet Photo StockDieu est l’inaccessible, l’inconnaissable, l’insondable par définition. L’Ancien Testament le dit magistralement : « Je suis Dieu, et non pas homme » (Os 11, 9). Il est le Tout-puissant dont l’univers clame la grandeur. « Allah est grand ! » répètent inlassablement les musulmans. Le Coran donne d’ailleurs à Dieu 99 autres noms plus sublimes et plus riches les uns que les autres. Ils disent ces 99 noms comme nous disons le chapelet.

C’est Grégoire de Naziance, un évêque du IVème siècle, qui en a peut-être parlé avec le plus de justesse dans une hymne que l’on reprend à l’office de Laudes, le mercredi :

Ô Toi l’au-delà de tout,
Comment t’appeler d’un autre nom ? Quel hymne peut te chanter ?
Aucun mot ne t’exprime. Quel esprit peut te saisir ?
Nulle intelligence ne te conçoit. Seul, tu es ineffable.
Tu as tous les noms.
Comment t’appellerai-je ?
Toi le seul qu’on ne peut nommer.

Dieu est le mystère innommé, l’Absolu, la Transcendance souveraine, le Tout-Autre : « Tout ce que nous disons de Dieu apparaît aussitôt dérisoire en comparaison de ce qu’il est » (Jean Daniélou). La théologie qui use parfois de la voie négative, pour ce que n’est pas le mystère, dit de Dieu qu’il est : l’indiscernable, l’indéchiffrable, l’inexplicable, l’impeccable, l’inexprimable, l’insondable, l’ineffable, l’inestimable, l’innommable, l’inimaginable, l’impensable, l’inaltérable, l’inconnaissable, l’inclassable, l’indéfinissable, l’insaisissable, l’inépuisable, l’impénétrable, l’inconcevable. En définitive, Dieu est celui qui ne se définit que par ce qu’il n’est pas !

Jésus-Christ : le dévoilement du Père, son visage

Dieu est inaccessible et pourtant, grâce à Jésus-Christ, au mystère de l’Incarnation, un coin du voile a été soulevé, un coin du mystère a été révélé. Par Jésus-Christ Dieu est devenu quelque peu accessible, son intimité a été percée, mais seul le Fils Éternel a pu nous introduire dans son mystère.

Le Christ est venu nous dire clairement que Dieu est amour. L’amour n’est pas une qualité de Dieu, une propriété, c’est sa nature même : Dieu n’a pas l’amour, mais il est l’amour, et sa toute-puissance dont nous avons parlé en début d’année dans ce parcours, est une toute-puissance d’amour. Comment ne pas citer le père jésuite François Varillon :

Joie de croire, joie de vivre: Varillon François« Dieu n’est qu’amour ! Tout est dans le « ne que »… Dieu est-il tout-puissant ? Non, Dieu n’est qu’amour ! Dieu est-il infini ? Non, Dieu n’est qu’amour, ne me parlez pas d’autre chose ! La toute- puissance de Dieu c’est la toute-puissance de l’amour, c’est l’amour qui est tout-puissant ! »

Dieu est amour, or l’amour ne peut se vivre seul : il faut quelqu’un à aimer, l’amour ne va pas sans relation. En conséquence Dieu est en lui-même une relation d’amour, il est fondamentalement relation, il est famille avec un Père, un Fils et un échange, une vie partagée, un « nous » entre ce Père et ce Fils que l’on appelle l’Esprit Saint. Dieu est Trinité !  Voilà la révélation la plus étonnante que les hommes n’auraient pas pu deviner : l’existence d’un Dieu unique en trois personnes !

Le couple humain peut nous permettre d’approcher ce mystère trinitaire présent dès le commencement de la Bible, au livre de la Genèse puisque Dieu déclare : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance : Homme et femme il les fit ». La réalité du couple, tout comme ce « faisons », première personne du pluriel suivi d’un singulier disent quelque chose de cette unique nature divine en trois personnes ; mystère que l’on retrouve un peu plus loin dans la Genèse au moment de la visite des trois anges au chêne de Mambré qui a inspiré l’icône de Roublev ! Le problème de tout couple, son rêve jamais résolu c’est de n’être qu’un en restant deux, et même en restant trois, car il y a un troisième dans la relation homme-femme : l’amour. Le couple recherche l’unité dans le respect des différences, dans la diversité des personnes, chacun voulant garder sa personnalité, sa liberté, voire une certaine indépendance. En Dieu l’unité est réalisée dans la distinction des personnes divines : le Père, don ; le Fils, accueil du don ; l’Esprit, l’échange amoureux ! Voilà qui fonde d’ailleurs le sacrement de mariage, le visible du couple, doit dire l’invisible de l’amour trinitaire. Il n’y a que dans l’infini que l’on peut être un en restant trois.

La contemplation des trois personnes divines

Le Père n’existe que dans ce don de lui-même qu’il fait éternellement à son Fils. Le Père n’est que don, rien d’autre. Il n’existe que pour se donner éternellement à son Fils. Il cesserait d’être s’il cessait de donner, et son Fils cesserait d’exister ! Il est le don à l’état pur. Il est le pur diamant du don qui, sans calcul, ne vit que pour le Fils de son amour. Le Père ne se regarde pas narcissiquement : une véritable paternité est pauvreté (dépouillement), en ce sens qu’elle est acceptation de sortir de soi pour se donner à un autre. C’est du même amour qu’il fait exister son Fils, qu’il fait aussi exister le monde, que le Père nous aime comme fils adoptifs dans le Fils Éternel.

Avec l’image du Père on peut employer aussi celle de la source :

Fichier:Salles-La-Source Cascade.jpg- comme la source est au commencement de tout, du filet d’eau, de la rivière, du fleuve, le Père est au commencement de tout.

- comme la source qui ne fait que jaillir et se donner dans un chant qui est celui de la joie du don, le Père se donne éternellement à son Fils, dans une joie ineffable de contempler ce Fils bien-aimé qu’il engendre de toute éternité.

- comme la source si discrète au fond d’une vallée, au point qu’il faut être à l’écoute de son murmure pour souvent la découvrir, le Père laisse épancher vers son Fils cet amour inlassable que les hommes ignorent pour la plupart.

- comme la source qui ne garde rien pour elle, qui ne calcule pas, ne fait pas de provision pour les jours de sécheresse, le Père est le don totalement gratuit, désintéressé : « Mon Fils, tout ce qui est à moi est à toi ».

Le Fils est le reflet le plus parfait du Père, mais pas son double. Il existe par et pour le Père. Sa joie c’est d’accueillir, c’est de le contempler dans le don qu’il lui fait de lui-même. Il est le Parole du Père faite personne, le Verbe qui exprime parfaitement la plénitude de l’amour du Père. Il se reçoit éternellement du Père, accueillant le don du Père. Il est tout élan d’amour vers lui. Le Père est sa passion, et sa vie se consume dans la recherche de lui plaire.

Mais Dieu le Père n’a pas voulu en rester là : comme des époux qui s’aiment éprouvent le besoin d’être un foyer, de devenir une famille, de faire partager leur joie à des êtres issus de leur chair, Dieu le Père a voulu que des créatures spirituelles connaissent aussi la joie d’être aimés de ce même amour qu’il a porté à son Fils Éternel. Et pour réaliser cette communication, cette « transfusion » d’amour aux hommes il a envoyé son Fils sur la terre pour faire de nous ses fils adoptifs ! Jésus devient alors le « premier de cordée » chargé de montrer à ses frères en humanité ce qu’ils ont à vivre : une vie de fils de Dieu. Jésus est venu nous indiquer le chemin qui mène au Père.

Par son obéissance au Père, qui est allé jusqu’à l’offrande de sa vie pour nous, il est venu rétablir la communication entre les hommes et le Père, communication qui avait été coupée par le péché. Dans sa mort et sa résurrection il a réconcilié l’homme pécheur avec le Père, il est devenu le sauveur, du genre humain, comme signifie le nom même de « Jésus ». Cette œuvre de la croix manifeste aussi la pauvreté du Fils, parfait reflet du Père : Jésus se dépouille entièrement sur la croix, il se vide pour nous (au sens spirituel et physique du terme : l’eau et le sang coulèrent de son côté et il s’écria « J’ai soif » ce faisant mendiant du cœur de l’homme) ; dépouillement jusque dans le sacrement de l’Eucharistie, d’une pauvreté extrême qui actualise ce mystère pascal. Un théologien écrivait : « La mort de Jésus sur la croix nous révèle l’éternel et absolu dépouillement du Fils de Dieu au sein de la Trinité. »

Mieux encore, dans l’homme Jésus Dieu le Père a déversé cet amour qu’il a pour son Fils Éternel de toute éternité. L’humanité du Jésus est devenu le réceptacle de la divinité, et avec Jésus cette toute l’humanité qui est habitée par cette vie divine, qui reçoit cet amour infini issu de la source. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » s’écriait saint Irénée.

Vivre de la Trinité en nous dans Communauté spirituelle Chagall-Abraham-3Visiteurs-p

L’Esprit Saint n’est pas le gêneur venant troubler l’intimité du Père et du Fils, mais leur amour réciproque fait personne, le trait d’union de leur échange éternel. L’amour réciproque du Père et du Fils fait exister l’Esprit. Il est la communion amoureuse faite personne du Père et du Fils. Dans la Trinité, il est le baiser du Père et du Fils, le trait d’union de leur amour échangé. Il n’est pas un observateur curieux de l’intimité du Père et du Fils : il est le témoin émerveillé de cet amour mutuel qui s’exhale dans un soupir, dans un souffle embrase, l’Esprit. Deux époux qui s’aiment parlent de leur amour comme s’il s’agissait d’une personne. Ils disent : notre amour a grandi ; notre amour se porte bien. Et bien quand le Père et le Fils contemplent leur amour, cet amour devient personne : c’est l’Esprit. Il est la respiration de Dieu, le souffle de l’amour divin, le sceau de leur communion. Il est le lien d’amour qui scelle l’unité de Dieu, la « personne-Amour » selon l’expression de Jean-Paul II. Un théologien, Jean Galot, écrivait : « Il est le jaillissement de leur bonheur de se donner l’un à l’autre, ou encore l’éblouissement de leur fusion ».

Comment vivre de la Trinité Sainte en nous ?

Catherine de Sienne s’écriait :

Ô Trinité éternelle, tu es une mer sans fond où plus je me plonge, plus je te trouve, et plus je te cherche encore. De toi on ne peut jamais dire assez ! L’âme qui se rassasie dans tes profondeurs te désire sans cesse, parce que toujours elle est affamée de toi, toujours elle souhaite voir sa lumière dans ta lumière.

Comment vivre du Père ?
Nous qui récitons si souvent le « Notre Père » sommes-nous conscients que cette paternité divine, dont toute paternité humaine n’est qu’une faible image, est un immense jaillissement d’amour, une source vive, un geyser impressionnant que nous sommes invités à contempler ? Réalisons-nous suffisamment qu’être parfait comme notre Père céleste est parfait, ce n’est pas autre chose que de tenter de vivre cette pauvreté inlassable du don, goûter cette joie du don ? Si Dieu est Père laissons-nous aimer comme des fils ! Arrêtons de considérer Dieu comme un juge à l’affût de nos égarements. Regardons le père de l’enfant prodigue, riche en miséricorde qui attend obstinément le fils perdu. Il nous faut nous comporter en fils ayant les yeux tournés vers le Père et son regard d’amour qui espère toujours en nous.

Comment vivre du Fils ?
N’est-ce pas en découvrant sa façon d’aimer ? Le Christ n’a-t-il pas été l’icône parfaite de la générosité du Père qui n’est que don ? : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » ; icône aussi de cet amour qui se vit dans la Trinité où chaque personne divine vit un dépouillement infini puisqu’elle ne vit que pour les autres personnes. De fait, le Christ a vécu une vie pauvre et effacée jusqu’à 33 ans : son silence discret à Nazareth ne révélait-il pas la discrétion du Père. Sa relation égalitaire avec ses apôtres qu’il considère non comme des subalternes, mais comme des amis, son geste fou de laver les pieds de ses disciples n’étaient-ils pas l’image de l’humilité, de la simplicité du Père ? Peut-être avons-nous à redécouvrir la façon d’aimer de Dieu à travers tous les gestes terrestres du Christ ? Lui seul sait vraiment aimer et nous apprendre à aimer.

Si Jésus est venu pour nous c’est pour nous sauver, alors laissons-nous sauver par lui. Nous avons à nous approcher du Christ comme de l’intermédiaire, le médiateur obligé entre Dieu et nous, car il a capté cette source d’amour du Père pour nous en révéler sa splendeur grâce à son humanité, mais aussi et surtout pour nous la communiquer. Se laisser sauver par le Christ exige que nous reconnaissions notre pauvreté. Dieu ne vient que s’il est appelé par une misère, un besoin (cf. le cheminement des confirmands adultes marqué par la pauvreté). Ceci suppose d’avoir conscience de notre péché. Aujourd’hui on est plus dans le relativisme morale, dans la sincérité et non dans la reconnaissance d’une vérité objective. Sauvés devenons enfin des sauveurs pour nos frères, des sources vives jaillissant en vie éternelle. Si notre amour est greffé branché sur l’amour du Christ, ceux que nous aimerons seront transformés, vivifiés par cette eau vive qui vient de la même source, par la mystérieuse médiation du Christ. Le chrétien se doit d’irriguer de l’amour de Dieu sa famille, ses amis, ceux qu’il rencontre sur sa route, son milieu de travail, sa paroisse… Les chrétiens sont « sel de la terre », « lumière du monde », « âme du monde » selon l’épître A Diognète.

Comment vivre de l’Esprit ?
Il faut d’abord l’identifier dans nos vies, « faire connaissance » :

- cette soif de Dieu et d’absolu qui monte parfois dans notre cœur, c’est l’action de l’Esprit ;

- ce remords, ce pincement de la conscience, c’est l’action purifiante de l’Esprit ; cette saveur que prend tout à coup la prière la plus banale, c’est l’action de l’Esprit ;

- cette paix qui s’empare tout à coup de notre cœur au milieu de turbulences, c’est l’Esprit ;

- ce pardon qui monte dans notre cœur et sur nos lèvres, c’est le miracle de l’Esprit ;

- cette illumination en lisant  l’Évangile mille fois connu, c’est l’action de l’Esprit de Jésus.

Alors laissons-nous transformer par ce maître intérieur qui nous conduit à la vérité par l’amour, « par ce sculpteur qui discrètement, et par petites touches, essaie de nous fabriquer une tête de fils de Dieu, la tête du fils de Celui qui est l’Amour » (Denis Sonet).

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En conclusion :

Vivre de la Trinité sainte c’est descendre dans la « crypte de notre cœur », à la recherche de cette Présence plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes :

- « Ô toi, sublime créature, participante de la nature divine, pourquoi chercher hors de toi Celui qui est en toi, plus toi-même que toi ? » (saint Augustin).

- « Croire qu’un être qui s’appelle l’Amour, habite en nous à tout instant du jour et de la nuit, cela élève l’âme au-dessus de ce qui se passe, et la fait reposer dans la paix » (Élisabeth de la Trinité).


Lectures de la messe

Première lecture
« C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre » (Dt 4, 32-34.39-40)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »

Psaume
(32 (33), 4-5, 6.9, 18-19, 20.22)
R/ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. (32, 12a)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffle de sa bouche.
Il parla, et ce qu’il dit exista ;
il commanda, et ce qu’il dit survint.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

Deuxième lecture
« Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; en lui nous crions “Abba !”, Père ! » (Rm 8, 14-17)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.

Évangile
« Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 16-20)
Alléluia. Alléluia.
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient ! Alléluia. (cf. Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

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2 avril 2018

Lier Pâques et paix

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Lier Pâques et paix

 

Homélie pour le 2° dimanche de Pâques / Année B
08/04/2018

Cf. également :

Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Riches en miséricorde ?
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous


La paix dans les flammes

Lier Pâques et paix dans Communauté spirituelle 800px-Baghdad_fire_department_engine_IraqUn fait divers réel : un jour, un pensionnat est en feu. Des enfants affolés essaient d’échapper aux flammes en se jetant par la fenêtre, d’autres en se risquant dans les escaliers s’écroulant sur leur poids etc…. La seule petite fille qui ne fut pas blessée fut la petite Sally. Son père était pompier et lui avait recommandé, en cas d’incendie, de rester tranquille en attendant les secours. Elle avait cru les paroles de son père, et cela lui permit de rester en paix !

Voilà peut-être le principal cadeau de Pâques : les premières paroles du Ressuscité sont par trois fois une déclaration de paix inédite : « Paix à vous » (Jn 20, 19.21.26). La traduction liturgique (‘La paix soit avec vous’) n’est pas tout à fait fidèle au texte grec, car ce n’est pas un souhait, mais un don effectif : le Ressuscité communique réellement la paix aux disciples, il ne leur souhaite pas.

Le mot paix (Shalom) est certes connu de la Bible où on le retrouve dans environ 200 versets différents, signe que la quête de la paix taraude l’humanité depuis des millénaires. Mais l’expression « Paix à vous » n’apparaît pas dans l’Ancien Testament. Dans les quatre Évangiles, elle ne se trouve que dans la bouche du Ressuscité une fois en Luc (Lc 24,36 aux pèlerins d’Emmaüs) et trois fois en Jean. Dans le reste du Nouveau Testament, ce sont surtout Paul et Pierre qui reprendront cette adresse aux communautés chrétiennes, par exemple : « Saluez-vous les uns les autres dans un baiser de charité. Paix à vous tous qui êtes dans le Christ ! » (1P 5,14).

De quelle paix parle-t-on ?

Le mot grec Εἰρήνη (eiréné, qui a donné l’adjectif irénique en français) provient probablement du verbe qui signifie eirō = joindre (deux parties distinctes), ne faire qu’un. Être en paix veut donc dire : être un, ne pas se laisser disperser par les événements extérieurs, rester centré sur son unité intérieure, ou pour les croyants demeurer uni à Dieu en toutes circonstances.

Εικόνα

Voilà pourquoi l’attitude de la fillette au milieu de l’incendie témoigne d’une paix impressionnante. Elle demeure attachée à la consigne de son père malgré l’affolement ambiant. Elle ne fait qu’un avec son père alors qu’autour d’elle les autres se soumettent aux multiples réflexes que la peur leur suggère instinctivement.

La paix donnée par le Christ de Pâques ne nous dispense pas des incendies : elle nous donne de les habiter sans être consumés, à l’image du buisson ardent. La paix pascale découle de l’unité avec Dieu qui est lui-même unité d’amour trinitaire.

Celui qui s’appuie ainsi sur son centre de gravité spirituelle – la présence de Dieu en lui – ne tombera pas. Ni les succès ni les épreuves ne pourront le détourner de sa vocation ultime : ne faire qu’un avec Dieu en lui, avec lui en Dieu.

La petite fille qui ne s’est pas affolée est demeuré irénique au milieu des flammes.
Nombre de chrétiens ont fait l’expérience de cette paix profonde qui les maintient attachés à l’unique essentiel quoi qu’il arrive. La gloire venant des hommes ne les a pas grisés. L’humiliation venue également des hommes ne les a pas brisés. Parce qu’ils demeurent en paix, ils affrontent l’adversité sans se décourager, ils accueillent la réussite sans se glorifier. Ils tiennent leur âme « égale et silencieuse, comme un petit enfant tout contre sa mère » (Ps 130,2).

François d’Assise et la paix du cœur

Sagesse d'un pauvreUn exemple historique de cette paix paradoxale nous est fourni par la vie de François d’Assise. Son ordre connaissait un certain succès numérique, mais les nouveaux responsables – qui l’avaient évincé, car les fondateurs sont parfois gênants – semblaient renier un à un les principes de pauvreté évangélique et de fraternité universelle qui étaient à l’origine de l’aventure de François. Il en est profondément inquiet (in-quies = pas en repos, pas en paix) et bouleversé. Le franciscain Éloi Leclerc évoque ainsi le combat intérieur qui lui permet de retrouver la paix malgré l’incertitude qui semble compromettre son œuvre :

« Je pense qu’il est difficile d’accepter la réalité. Et, à vrai dire, aucun homme ne l’accepte vraiment totalement. Nous voulons toujours ajouter une coudée à notre taille, d’une manière ou d’une autre. Tel est le but de la plupart de nos actions. Même lorsque nous pensons travailler pour le Royaume de Dieu, c’est encore cela que nous recherchons bien souvent. Jusqu’au jour où, nous heurtant à l’échec, à un échec profond, il ne nous reste que cette seule réalité démesurée : Dieu est. Nous découvrons alors qu’il n’y a de tout-puissant que lui, et qu’il est le seul saint et le seul bon. L’homme qui accepte cette réalité et qui s’en réjouit à fond a trouvé sa paix. Dieu est, et c’est assez. Quoiqu’il arrive, il y a Dieu, la splendeur de Dieu. Il suffit que Dieu soit Dieu. » [1]

Les vies de saint François d'AssiseThomas de Celano, le biographe de François d’Assise, décrit cette paix profonde qui découle de l’union avec le Christ quoiqu’il arrive. En ce passage célèbre édit de la joie parfaite, il recueille l’explication que François a livrée de la joie « sans cesse » :

« Quand nous arriverons à Sainte-Marie-des-Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons : « Nous sommes deux de vos frères », et qu’il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres; allez-vous en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu’il nous fera rester dehors dans la neige et la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d’injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.

Et si nous persistons à frapper, et qu’il sorte en colère, et qu’il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets en disant : « Allez-vous-en d’ici misérables petits voleurs, allez à l’hôpital, car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite.

Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et le supplions pour l’amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu’il dise, plus irrité encore : « ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et s’il sort avec un bâton noueux, et qu’il nous saisisse par le capuchon, et nous jette par terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les nœuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu’en cela est la joie parfaite.

Ne faire qu’un intérieurement avec le Christ de la Passion ou de la Résurrection permet de demeurer en paix, quoi qu’il arrive.

Une paix courageuse qui affronte l’adversaire.
Une paix  libre qui libère des idoles après lesquelles tout le monde se rue.
Une paix protectrice qui ôte aux persécutions leur pouvoir de division.

Il n’y a pas que les épreuves qui peuvent entamer cette paix. Car le divertissement (au sens pascalien du terme, c’est-à-dire ce qui ne détourne de notre but essentiel) ou la gloire apparente fissurent notre unité intérieure en nous faisant croire à notre indépendance absolue, voire à notre toute-puissance quasi divine. Rares sont les grandes figures humaines qui ont su ne pas céder à la démesure et à l’orgueil.

D’ailleurs, le contraire de la paix pascale pourrait bien être la division intérieure. Le mot diable (diabolos en grec) ne vient-il pas du mot diviser, éparpiller, rompre (dia-balein = jeter en dispersant) l’unité d’un être ?

Au matin de Pâques, le Christ partage sa victoire sur le diable en donnant la paix à ses amis. « Paix à vous » résonne comme une déclaration d’unité indestructible, communion d’amour avec Dieu plus forte que les épreuves où les tentations de vaine agitation.

Comme en écho à François d’Assise, Thérèse d’Avila – infatigable réformatrice de l’ordre du Carmel – a fait l’expérience au milieu de ses tribulations de la paix reçue du Christ. Puissions-nous en ce temps de Pâques nous enraciner solidement dans cette unité intérieure découlant de la communion avec Dieu :

 » Que rien ne te trouble, ô mon âme,
  Que rien ne t’épouvante,
  Tout passe,
  Dieu ne change pas.
  La patience triomphe de tout.
  Celui qui possède Dieu,
  Ne manque de rien.
  Dieu seul suffit. »

________________________________

[1] . Eloi LECLERC, Sagesse d’un pauvre, Desclée De Brouwer, 2007, p. 135.

 

Lectures de la messe

1ère lecture : La communauté fraternelle des premiers chrétiens (Ac 2, 42-47)

Lecture du livre des Apôtres

Dans les premiers jours de l »Église, les frères étaient fidèles à écouter l’enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle, à rompre le pain et à participer aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs ; beaucoup de prodiges et de signes s’accomplissaient par les Apôtres.
Tous ceux qui étaient devenus croyants vivaient ensemble, et ils mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous selon les besoins de chacun.
Chaque jour, d’un seul cœur, ils allaient fidèlement au Temple, ils rompaient le pain dans leurs maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité. Ils louaient Dieu et trouvaient un bon accueil auprès de tout le peuple. Tous les jours, le Seigneur faisait entrer dans la communauté ceux qui étaient appelés au salut.

Psaume : Ps 117, 1.4, 13-14, 19.21, 22-23, 24-25

R/ Éternel est son amour !

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !

On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ; 
mais le Seigneur m’a défendu. 
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; 
il est pour moi le salut. 

Ouvrez-moi les portes de justice : 
j’entrerai, je rendrai grâce au Seigneur. 
Je te rends grâce car tu m’as exaucé : 
tu es pour moi le salut. 

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs 
est devenue la pierre d’angle : 
c’est là l’œuvre du Seigneur, 
la merveille devant nos yeux. 

Voici le jour que fit le Seigneur, 
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! 
Donne, Seigneur, donne le salut ! 
Donne, Seigneur, donne la victoire !

2ème lecture : L’espérance des baptisés (1P 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre Apôtre

Béni soit Dieu, le Père de Jésus Christ notre Seigneur : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître grâce à la résurrection de Jésus Christ pour une vivante espérance, pour l’héritage qui ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, en vue du salut qui est prêt à se manifester à la fin des temps.
Vous en tressaillez de joie, même s’il faut que vous soyez attristés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la qualité de votre foi qui est bien plus précieuse que l’or (cet or voué pourtant à disparaître, qu’on vérifie par le feu). Tout cela doit donner à Dieu louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ, lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore ; et vous tressaillez d’une joie inexprimable qui vous transfigure, car vous allez obtenir votre salut qui est l’aboutissement de votre foi.

Evangile : Apparition du Christ huit jours après Pâques (Jn 20, 19-31)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Thomas a vu le Seigneur : il a cru. Heureux celui qui croit sans avoir vu ! Alléluia. (cf. Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. »

Or, l’un des Douze, Thomas (dont le nom signifie : Jumeau) n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »

Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre.
Mais ceux-là y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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26 décembre 2017

Aimer nos familles « à partir de la fin »

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Aimer nos familles « à partir de la fin »


Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année B
31/12/2017

Cf. également :

Une sainte famille « ruminante »
Fêter la famille, multiforme et changeante
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
La Sainte Famille : le mariage homosexuel en débat
Une famille réfugiée politique
Familles, je vous aime ?
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Personne dans la famille ne porte ce nom-là
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
À partir de la fin !
 

Une table pour deux dans une brasserie. L’homme a la cinquantaine poivre et sel. Christophe repose sa bière sur la table du restaurant et laisse échapper, les yeux ailleurs :
- « Tu sais, c’est dur à admettre, mais la mort de ma mère m’a libéré ».
Un silence intense s’installe, et je résiste à l’interrompre.
- « Elle ne m’a jamais aimé, et toute mon enfance j’ai souffert de sa volonté de me faire du mal, consciemment. J’en avais des crampes à l’estomac tous les jours. Elle ne manquait jamais une occasion de me faire savoir que je n’étais pas le bienvenu ».
Nous avons ainsi longuement évoqué les conséquences pour lui de sa vie familiale infirme et douloureuse. La mort de sa mère a été la fin d’une longue domination froide et cruelle.

Je repense à lui au moment de fêter la Sainte-Famille. Comment glorifier maintenant nos familles humaines telles qu’elles sont, alors qu’elles engendrent tant de souffrances et de blessures ? Or c’est bien la Sainte-Famille que nous fêtons et non la nôtre au présent.
Autrement dit : c’est à la famille de Jésus que sont appelées nos familles humaines. Pas besoin de sacraliser nos liens du sang actuels alors qu’ils ne sont pas encore transformés en liens d’amour tel qu’ils seront en Dieu.

Aimer nos familles « à partir de la fin » dans Communauté spirituelle

Dieu n’est pas la projection imaginaire de nos manques. La famille du Christ n’est pas une idéalisation des nôtres. C’est d’ailleurs improbable et impossible avec une vierge-mère, un père adoptif et un enfant unique en son genre !

C’est l’homme qui est à l’image de Dieu et non l’inverse. Nos familles sont appelées à se transformer profondément pour correspondre mieux/moins mal à la famille de Nazareth.

« Souviens-toi de ton futur » : cette maxime des rabbins vaut également pour notre vie familiale. C’est du futur que nous viennent les repères pour aimer nos proches autrement, à la manière de Dieu et non à la manière des hommes.

Le passé importe bien moins que notre avenir en Dieu : de lui peut refluer sur notre présent de quoi métamorphoser nos façons d’être mari/femme, père/mère, conjoint, beaux-parents, frères/sœurs etc.

Christophe me racontait comment il s’est battu pour que son passé familial ne l’handicape pas trop. Il a découvert comment en faire une opportunité pour mieux écouter, mieux comprendre les failles des autres. Et dans son métier de consultant où il accompagne des personnes et des groupes, c’est finalement fort utile… La mort de sa femme, la galère de son fils et les défis ordinaires de la vie lui ont donné l’énergie pour construire son avenir sans rester rivé à son passé.

Image21.png-gu%C3%A9rison-de-lh%C3%A9morro%C3%AFse1 famille dans Communauté spirituelleVous pouvez vous épuiser - et épuiser votre argent ! - à fouiller les poubelles votre histoire pour faire l’inventaire interminable de ce qui vous a marqué et conditionné. Les psys et méthodes de développement personnel en tout genre prospèrent sur cette anamnèse du passé censée vous libérer par la seule magie de la nomination du mal subi ou commis autrefois. Si cela peut parfois aider, cela suffit rarement. Alors certains complètent à coups d’antidépresseurs et autres drogues chimiques dont la France est la championne de consommation. L’évangéliste Luc, également médecin, notait avec malice qu’une femme souffrant de pertes intimes avait dépensé tout son argent à courir de médecins en charlatans sans voir son état s’améliorer, avant qu’elle n’ose se tourner radicalement vers autre chose, vers un avenir impossible à prédire, en touchant la frange du manteau de Jésus passant sur la route. Et cette audace la guérit ! (Lc 8, 43-48) Se tourner vers son avenir est une guérison plus radicale que de se perdre dans l’archéologie de son passé…

Fêter la Sainte-Famille nous donne la même audace d’aimer nos proches à partir du Christ et non à partir de nos affections naturelles. Aimer « à partir de la fin » et non en extrapolant le présent. Aimer son fils à partir de ce qu’il est appelé à devenir en Dieu et non à partir de mes souvenirs de son enfance. Aimer son compagnon à partir de tous les possibles qu’il recèle en lui et non en le réduisant ‘aux acquêts’, à ce que j’ai compris et aimé  de lui jusqu’à présent.

Marie et Joseph ne pouvaient que s’interroger devant leur bébé dans l’étable : que deviendra cet enfant ? Ils n’en avaient aucune idée. Les événements ultérieurs ont suscité leur désarroi, leur surprise, et même leurs reproches, comme devant la fugue de Jésus au Temple de Jérusalem à treize ans : « mon enfant, pourquoi nous as-tu fais cette peine ? Ne sais-tu pas que nous t’avons cherché pendant trois jours, morts d’inquiétude ? » (Lc 2, 41-50)

 MarieMarie avait confiance en son fils, mais sa fréquentation des prostituées, des collabos, des lépreux et autres gens infréquentables l’a évidemment troublée. Et que dire alors de cette mort infâme sur le gibet de la croix, qui a transpercé son cœur comme l’annonçait Syméon dans notre évangile aujourd’hui (Lc 2, 22-40) plus qu’aucune autre mère ? Car la déréliction de Marie n’était pas seulement la mort physique de son enfant (et c’est déjà l’épreuve la plus terrible pour les parents), mais également son anéantissement spirituel (sur la croix, il devenait un maudit de Dieu) et son échec le plus lamentable. Pourtant, c’est sur le Golgotha que la nouvelle famille de Marie lui est donnée : « femme, voici ton fils » et à Jean : « voici ta mère ». (Jn 19, 26-27) Les véritables liens de famille se tissent là, au pied de la croix, quand la mère accepte que son fils lui échappe, d’une manière aussi inexplicable que scandaleuse.

Si les familles veulent devenir saintes, elles ont à faire un parcours semblable, chacune selon son histoire.

Un cousin me confiait combien cela avait été long et difficile pour lui d’admettre que sa fille était homosexuelle. Il n’avait pas voulu aller à son mariage civil. Mais la venue de deux petits-enfants successivement l’a empêché de se durcir sans retour. Peu à peu, en accueillant ses petits-enfants, il a vu les choses autrement. Et pour ses 50 ans de mariage, il a invité la conjointe de sa fille qu’il ne voulait pas voir à la maison jusqu’à présent…

Devenir une Sainte-Famille est un cheminement, une succession d’étapes où les plus radicaux acceptent de s’ouvrir, où les intransigeants apprennent à discerner, où les caractères possessifs découvrent comment lâcher prise, où les indifférents se laissent toucher par le malheur de l’autre, où les forts se découvrent faibles et les faibles reprennent confiance en eux…

Lors du prochain repas de famille, dimanche autour du poulet rôti ou de la galette des rois, égrenez un à un les visages de ceux qui sont là autour de la table, et exercez-vous à les  aimer « à partir de la fin »… N’oubliez pas de faire de même avec ce qui ne sont pas là, et ceux qui ne sont plus là…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ton héritier sera quelqu’un de ton sang » (Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là,  la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision :  « Ne crains pas, Abram !  Je suis un bouclier pour toi.  Ta récompense sera très grande. » Abram répondit :  « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ?  Je m’en vais sans enfant,  et l’héritier de ma maison, c’est Élièzer de Damas. »  Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance,  et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier,  mais quelqu’un de ton sang. » Puis il le fit sortir et lui dit :  « Regarde le ciel,  et compte les étoiles, si tu le peux… »  Et il déclara :  « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur  et le Seigneur estima qu’il était juste. Le Seigneur visita Sara  comme il l’avait annoncé ;  il agit pour elle comme il l’avait dit.  Elle devint enceinte,  et elle enfanta un fils pour Abraham dans sa vieillesse,  à la date que Dieu avait fixée.  Et Abraham donna un nom  au fils que Sara lui avait enfanté :  il l’appela Isaac.

Psaume
(104 (105), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Le Seigneur, c’est lui notre Dieu ; il s’est toujours souvenu de son alliance. 104, 7a.8a

Rendez grâce au Seigneur, proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ;
chantez et jouez pour lui,
redites sans fin ses merveilles.

Glorifiez-vous de son nom très saint :
joie pour les cœurs qui cherchent Dieu !
Cherchez le Seigneur et sa puissance,
recherchez sans trêve sa face.

Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites,
de ses prodiges, des jugements qu’il prononça,
vous, la race d’Abraham son serviteur,
les fils de Jacob, qu’il a choisis.

Il s’est toujours souvenu de son alliance,
parole édictée pour mille générations :
promesse faite à Abraham,
garantie par serment à Isaac.

Deuxième lecture
La foi d’Abraham, de Sara et d’Isaac (He 11, 8.11-12.17-19)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.  Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.  Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

Évangile
« L’enfant grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. À bien des reprises, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils. Alléluia. (He 1, 1-2)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.  Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. » Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »  Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.  Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

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