L'homélie du dimanche (prochain)

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26 avril 2020

Jésus abandonné

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Jésus abandonné

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année A
03/05/2020

Cf. également :

Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
Le berger et la porte
La Résurrection est un passif
Le premier cri de l’Église

Aux confins du désert…
Agadès au mois de juillet, à la porte du désert au sud du Sahara. Le taxi-brousse nous dépose au milieu de nulle part. Un gamin joue à faire rouler devant lui un cerceau de bois en le poussant avec un bâton. Avec un grand sourire, il nous prend la main pour nous conduire chez les sœurs de Charles de Foucauld que nous voulons rejoindre. En arrivant à la porte, on entend le chant final de la prière du soir. Puis quelques secondes d’un silence compact et tranchant comme les roses des sables aux alentours. Et ces mots calmement égrenés :

Mon Père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.

Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.

Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour
de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père.

À ce moment-là, plus rien n’existe, ni la chaleur ocre du Sahara, ni les maisons dispersées du quartier, et même l’enfant semble pétrifié lui aussi, sous le charme des mots qui occupent soudain tout l’espace : « je m’abandonne à toi ».

 

S’abandonner à l’autre…

Jésus abandonné dans Communauté spirituelle jLV11N3Y1_1ZRfCQuIfbnbeWzkg@633x634-e1514561284574Ceux qui ont aimé au-delà des premiers éblouissements savent ce que cela représente. Le tout petit d’homme le sait d’instinct, lui qui dépend entièrement de sa mère et s’en remet totalement à elle. Si Dieu est amour, lui aussi doit savoir ce qu’est l’abandon ! Un Dieu qui ne s’abandonnerait pas par amour à plus grand que lui ne serait pas Dieu, ou du moins pas le Dieu des chrétiens. Seule la Trinité chrétienne permet à Dieu de s’abandonner à l’autre sans sortir de lui-même…
Voilà ce que nous dit Pierre dans la deuxième lecture (1P 2, 20b-25). Il contemple le Christ dans sa Passion, à la lumière du livre d’Isaïe, et il énonce simplement le secret de la formidable et non-violente énergie qui lui a donné la force de traverser l’épreuve : « il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice ».

Jésus est par excellence celui qui s’abandonne : entre les mains de Pierre pour son Église, au baiser de Judas pour être livré, à son Père pour multiplier les pains, à la Providence pour parcourir les routes de Galilée etc.
En se remettant ainsi entre les mains d’autrui, Jésus devient paradoxalement capable de conduire ses disciples sur ce chemin d’abandon. C’est un des liens entre les lectures de ce dimanche dit « du bon Berger » : parce qu’il s’abandonne, le Christ devient le Berger des brebis. Parce qu’il est le bon Berger, il s’appuie sur plus grand que lui, sinon le risque serait grand de n’être qu’un petit chef, un illuminé, un révolutionnaire ou un gourou de plus parmi ceux qui pullulaient à son époque. Comme on dit à l’armée : avant de commander, il faut apprendre à obéir.

En faisant confiance malgré tout à Celui qui juge avec justice – malgré le procès absurde et bâclé, malgré le fouet et la dérision, malgré la condamnation injuste et définitive – Jésus reste fidèle à son identité profonde : se recevoir de son Père.

 

Excursus sur l’abandon du politique
Ne pas avoir sa source en soi, se réclamer d’une autorité supérieure pour exercer la sienne sur les autres : voilà une grande constante du pouvoir politique à travers les siècles. Les pharaons se proclamaient « fils du soleil » ; les empereurs romains étaient divinisés pour être censés transmettre la parole des dieux ; les rois de France étaient des lieu-tenants de Dieu, oints par la sainte ampoule qui faisait d’eux d’autres christs etc. De tous temps, les puissants ont eu besoin d’invoquer des puissances supérieures pour légitimer leur pouvoir. Même aujourd’hui, où la présidence de la V° République garde des accents monarchiques. Régis Debray note avec finesse qu’en cette période de confinement, le pouvoir politique semble s’en remettre à la Science (avec un grand S) pour décider et agir, et ainsi légitimer sa parole :

« Moins ça peut, plus ça cause.
Tracts de Crise (N°44) - Le Dire et le faireRemarquée a été la présence ostentatoire, sur les plateaux, à côté de nos gouvernants, de consultants et d’experts. Ils se font escorter par un, ou même deux Conseils scientifiques, créés pour l’occasion, au nom desquels ils se prononcent. C’est pas nous, c’est Monsieur le professeur. Certains ont vu là une atteinte aux prérogatives de l’Exécutif. Je n’en suis pas si sûr. Le Pouvoir exécutif n’apparaît jamais seul en scène. Il a derrière lui, ou plutôt au-dessus, une transcendance en pointillé. Elle a changé de nature depuis saint Paul qui disait, en bon connaisseur de l’autorité : « Omnis potestas a Deo ». Tout pouvoir procède d’un grand Autre. Chaque époque le sien. Le Chef l’est par délégation d’un surplomb, projection d’une verticale ici-bas. Le véritable commandant ne parle pas en son nom propre, car c’est toujours et partout un lieutenant – de Dieu, du Prolétariat, de la République ou de la France. Cette sujétion à plus grand que soi fait sa force. Saint Louis, Lénine, Clemenceau ou de Gaulle étaient d’autant plus écoutés qu’ils servaient de truchement à une valeur suprême. Quand on ne peut incarner cette transcendance – parce que l’ordinaire des temps ne s’y prête pas – force est de la mettre au dehors, à côté de soi, puisqu’elle n’est plus en dedans. En l’occurrence, la Science, arbitre suprême et sans réplique. Le problème est que la science médicale est par nature sujette à controverses, suppositions et incertitudes, en quoi justement elle est une science. C’est l’inconvénient d’avoir pour alibi une science expérimentale. Contrairement aux absolus d’antan, qui étaient des objets de foi, incontestables à ce titre, elle s’atteste dans et par le relatif. Avec un savoir heureusement et désespérément empirique, le pilier devient béquille.
On chancelle. »
                                                                                                                        Régis Debray, Le Dire et le faire, coll. Tracts de crise, 10 avril 2020, Éditions Gallimard.

41CJEqzZSnL abandon dans Communauté spirituelleS’abandonner à la science est une fausse bonne idée pour les politiques. Car les scientifiques ne sont pas des dieux, ni reconnus comme tels. Ils ne sont pas d’accord entre eux, et un seul peut avoir raison contre tous (cf. Galilée !). Ils ne détiennent pas la vérité, mais ils la cherchent de manière asymptotique, comme l’a bien montré le philosophe des sciences Karl Popper parlant de « la quête inachevée » qui caractérise la recherche scientifique. En plus, ce virus était largement inconnu. Le comité scientifique dont s’est entouré le président s’est tellement trompé sur la nature, la transmission, les effets du virus et les mesures à prendre que le politique s’appuyant sur lui est déstabilisé par ce manque de crédibilité, voire de compétence. Il est temps que la décision politique reprenne le pas sur les querelles d’experts.

Il faut donc bien choisir entre les bras de qui s’abandonner ! Le peuple allemand s’est totalement abandonné à Hitler et son parti ; la secte du Temple solaire à Luc Jouret ; Julien Sorel à Louise de Rénal… Pour Jésus, lui qui jaillit du Père dans la force de l’Esprit, la source est la plus haute qui soit. Ne faisant qu’un avec son Père dans son désir de « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10), il se laisse conduire par Lui au gré des rencontres, des événements, de sa Passion même. Ressuscité d’entre les morts, il devient par son humanité le guide, le Berger capable de nous montrer la voie où lui-même a marché : la voie de l’abandon à Dieu en toutes choses. Par sa divinité, il nous assure que c’est bien un chemin de vie - une vie en abondance - victorieux du mal et de la mort. Qui veut être berger des autres doit d’abord emprunter cette voie. Ou plutôt : c’est à ceux qui suivent ce chemin d’humilité et d’abandon à Dieu que l’on demandera de devenir nos leaders, nos « chefs ». Servant d’abord, leader ensuite, et non l’inverse, comme le rappelait Greenleaf le fondateur de l’école du servant-leader en management.

 

Les trois formes d’abandon
En français, le mot abandon vient de  « mettre à bandon » (« laisser au pouvoir de »), bandon étant issu des deux radicaux germaniques ban (« proclamation ») et band(a) (« signal, étendard d’un corps de troupe »), qu’on retrouve croisés dans le mot ban (cf. la publication des bans pour un mariage). Le latin médiéval  bannum signifiait « proclamation du seigneur dans sa juridiction entraînant la mainmise de son autorité, l’octroi de sa protection ». S’abandonner à, c’est donc se placer sous l’étendard de quelqu’un, s’en remettre à son autorité, se confier à son pouvoir. 

L’Évangile décline l’abandon de Jésus de trois façons : il est abandonné par les hommes, il s’abandonne à son Père, Dieu l’abandonne.
Laissons résonner en nous ce que veut dire « s’abandonner »…

515fkuey3DL Foucauld- Christ a été abandonné : quel scandale !
Ceux qui ont connu la trahison d’une amitié ou d’un amour savent la douleur d’être ainsi livré à la souffrance à cause de quelqu’un qui a trahi. Avec le baiser de Judas, Jésus va rejoindre tous ceux dont l’amour a été bafoué, humilié, trahi. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1,11). Quel scandale ! Mais quelle force aussi de croire que l’amour en Dieu est plus grand que nos trahisons…

- Christ s’est abandonné : quel amour !
Aller jusqu’au bout, jusqu’à accepter de perdre sa liberté et même sa vie plutôt que de renier un amour, un choix essentiel, une conviction profonde. Ne pas sauver sa peau égoïstement, mais prendre des risques, jusqu’au risque suprême, par amour pour l’autre. L’amour de son Père a fait de Jésus quelqu’un d’exposé, sans réserves. Parce qu’il s’en remettait à sa source intérieure, il avait une liberté étonnante que ni les rites ni les croyances ne pouvaient entraver. En s’abandonnant à Dieu, cet homme manifestait qu’il était vraiment le Christ, l’oint de Dieu sur qui ruisselle l’Esprit le conduisant au terme de sa mission.

- Dieu l’a abandonné : quel mystère !
uelle insondable profondeur : pour aller « chercher et sauver ceux qui étaient perdus », Dieu a accepté que son Fils aille les rejoindre, faire corps avec eux, pour les faire remonter auprès de lui. En envoyant Jésus descendre aux enfers – et Dieu sait qu’il y a bien des enfers humains aujourd’hui : solitude, désespoir, déchéance – Dieu le Père savait bien qu’il allait y perdre son Fils, puisque justement il fallait rejoindre les exclus, les sans-Dieu, les maudits, les sous-hommes… Dieu l’a abandonné, plus encore qu’Abraham a livré Isaac, plus encore qu’un père qui aide son fils à devenir adulte, Dieu a livré aux mains des hommes la chair de sa chair, pour que notre chair ne désespère pas de devenir la chair de Dieu lui-même. Lorsque nous communions, en effet, nous devenons le Corps du Christ que Dieu a abandonné entre les mains de tels bourreaux, et désormais ressuscité dans la gloire. Le cri terrible et dernier de Jésus sur la croix: « Eloï, Eloï, lama sabachthani ? » (Mt 27,46 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ») est l’expression de cette expérience épouvantable du vide comme seule réponse à l’échec et la mort qui s’approche… Dieu l’a réellement abandonné, afin qu’en le suivant nul ne désespère d’être trop loin de Dieu.

Et nous ? À quel moment notre vie est-elle vraiment abandonnée ? À qui sommes-nous prêts à livrer le meilleur de nous-mêmes ?
Comment prier en vérité, à Agadès comme à Paris et ailleurs : « je m’abandonne à toi… » ?

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 14a.36-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.

PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger :rien ne saurait me manquer.ou : Alléluia ! (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes retournés vers le berger de vos âmes » (1 P 2, 20b-25)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.

ÉVANGILE
« Je suis la porte des brebis » (Jn 10, 1-10)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Patrick BRAUD

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10 avril 2020

Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 16 h 00 min

Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours

Homélie du Dimanche de Pâques / Année A
12/04/2020

Cf. également :

Pâques : les 4 nuits
Pâques : Courir plus vite que Pierre
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Trois raisons de fêter Pâques
Le courage pascal
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?

Clocher octogonal ...Avez-vous déjà remarqué que la plupart des clochers des églises du Moyen Âge sont octogonaux ? Les baptistères également ? Pourquoi le vendredi est-il musulman, le samedi juif et le dimanche chrétien ? La semaine commence-t-elle le lundi ou le dimanche ? Le temps est-il cyclique, linéaire, en spirale ?

Ces questions peuvent paraître anodines, ou au contraire trop philosophiques. Pourtant elles dépendent de notre réponse à la question : crois-tu au Ressuscité ? Car notre représentation du temps est liée à Pâque plus que nous n’en en avons conscience. Voyons comment, grâce aux femmes qui courent au tombeau (vide) de Jésus en ce premier jour de la semaine.

« Le premier jour de la semaine » : ainsi commence notre évangile de ce dimanche de Pâques (Jn 20, 1-9). Évidemment, ce n’est pas seulement une indication journalistique factuelle : c’est également un témoin symbolique de l’exceptionnelle importance de l’événement de ce jour. On ne trouve que 7 mentions seulement de l’expression « le premier jour de la semaine » dans la Bible, et uniquement dans le Nouveau Testament bien sûr : pour désigner le jour de la Résurrection de Jésus, bien distingué du jour précédent du shabbat, ou bien dans les Actes pour désigner l’assemblée où Paul « rompt le pain » (signe que très tôt les chrétiens ont pris l’habitude de se rassembler ce jour-là pour l’eucharistie).

Jn 20,1: Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Jn 20,19: Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint…
Lc 24,1: Le premier jour de la semaine, de grand matin, elles vinrent à la tombe en portant les aromates qu’elles avaient préparés.
Ac 20,7: Le premier jour de la semaine, alors que nous étions réunis pour rompre le pain, Paul, qui devait partir le lendemain, adressait la parole aux frères et il avait prolongé l’entretien jusque vers minuit.
Mc 16,2: Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
Mc 16,9: Ressuscité le matin du premier jour de la semaine, Jésus apparut d’abord à Marie de Magdala, dont il avait chassé sept démons.
Mt 28,1: Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie vinrent voir le sépulcre.  

 

·      Le premier et le huitième jour

chiffre porte bonheur chinois : numéro 8Le symbolisme de ce qui deviendra le dimanche est multiple, car Pâques a changé radicalement notre rapport au temps.

Dire que Pâques est le premier jour de la semaine renvoient bien sûr au premier jour de l’univers connu : le début de la création du monde. C’est une manière de dire que la résurrection de Jésus était déjà présente en filigrane dès l’origine, que l’événement pascal est déjà là, en puissance, dès le surgissement de quelque chose émergeant du néant. Impossible de confiner le Christ dans la période de son existence terrestre ou même de l’ère chrétienne. Il est l’Alpha et l’Oméga, de toujours à toujours.

Car en commençant une nouvelle semaine, le premier jour est en même temps le huitième jour (7 + 1 !), C’est-à-dire le commencement d’une création nouvelle. Dans la Genèse, après les six premiers jours symboliques de sa création, Dieu s’est reposé le septième jour. Le début de la nouvelle semaine est donc un nouveau travail pour une nouvelle création. Cet achèvement du temps était attendu par l’espérance juive pour qui 8 est le chiffre du Messie à cause de cela. Les chrétiens reconnaissent dans ce jour de Pâques le huitième jour eschatologique qui voit l’irruption du futur absolu dans notre histoire.

Le Catéchisme de l’Église Catholique écrit (n° 1166) :
 » L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la Résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit le Jour du Seigneur, ou dimanche  » (SC 106). Le jour de la Résurrection du Christ est à la fois le  » premier jour de la semaine « , mémorial du premier jour de la création, et le  » huitième jour  » où le Christ, après son «  repos  » du grand Sabbat, inaugure le Jour  » que fait le Seigneur « , le  » jour qui ne connaît pas de soir « . Le  » repas du Seigneur  » est son centre, car c’est ici que toute la communauté des fidèles rencontre le Seigneur ressuscité qui les invite à son banquet (cf. Jn 21,12 ; Lc 24,30) :

Aujourd’hui commence la re-création de ce monde. Tel le point focal de l’histoire humaine, le Ressuscité attire à lui tous les hommes (Jn 12,32) et oriente notre désir pour que nous devenions en plénitude ce que nous sommes appelés à être par-delà notre mort personnelle et collective. La Résurrection, événement historique qui renvoie à l’au-delà de l’histoire, est le point Oméga qui aimante notre course tout en la transformant déjà dès maintenant, de l’intérieur.

Christ ressuscité est le centre du temps humain (die Mitte der Zeit, Oscar Cullmann, 1947) récapitulant en lui les siècles précédents pour les ouvrir à l’avenir de Dieu. Voilà pourquoi nos clochers et nos baptistères sont octogonaux : pour planter le chiffre 8 messianique et pascal au cœur de nos villages et de nos liturgies. Un monde nouveau est déjà là, inauguré en ce jour de Pâques : ne le sentez-vous pas bourgeonner et fleurir ? Allez-vous accepter de vous laisser transformer, transfigurer, emporter par cette déferlante qui vient de notre avenir en Dieu ?

 

·      L’accomplissement du shabbat

Accomplissez la table de ShabbatLes juifs attendent le Messie. Les chrétiens célèbrent sa venue tout en attendant que sa victoire sur la mort soit totale en y incluant tous et tout. Les juifs célèbrent le repos du Seigneur le samedi, les chrétiens le travail de résurrection par Dieu le Père le dimanche. Voilà pourquoi le dimanche est différent du samedi : car Pâques est Dieu à l’œuvre en Jésus, alors que le shabbat est le repos de Dieu à l’issue de sa première création. L’Église a sans doute eu tort de ‘shabbatiser’ le dimanche en obligeant au repos absolu ce jour-là, alors qu’au contraire c’est le jour où Dieu travaille ! Puisque la résurrection du Christ est aussi la nôtre, le dimanche marque le travail de Dieu en nous et nous y associe. Plutôt qu’au repos, le dimanche invite à anticiper le monde à venir, en expérimentant ce jour-là des relations gratuites, fraternelles, un temps de communion avec le monde, avec soi-même, dont les activités culturelles, sportives, associatives et autres sont de bons laboratoires.

Accomplir le shabbat demande de le dépasser. Jésus l’avait bien compris qui a guéri, s’est nourri, déplacé le jour du shabbat alors que c’est interdit par la Loi juive. Les pharisiens et les religieux de son époque l’ont bien compris puisqu’ils en ont fait un motif d’accusation et de haine, jusqu’à le livrer à Pilate.

Célébrer Pâque chaque dimanche invite donc à goûter autrement la vie de famille, la réunion avec des amis, l’activité autour d’une passion, d’un hobby etc. Il ne s’agit pas de ne rien faire, ni de faire comme les autres jours, mais de faire autrement pour nous rappeler que nous sommes appelés à vivre autrement que pour le travail, l’argent et les survies habituelles. C’est laisser la fin du temps faire irruption dans notre présent, pour le transformer de l’intérieur. C’est se recevoir du futur au lieu de le construire. Car on ne construit pas le futur : on en vient…

L’accomplissement du shabbat nous fait changer symboliquement de semaine. Le jour de Pâques nous fait passer du régime de la Loi à celui de l’Esprit, de la lettre à l’inspiration, de la répétition à l’innovation.

 

·      Le jour commence le soir

Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours dans Communauté spirituelle vepresLa liturgie chrétienne a gardé la conception juive du jour. Les Romains comptent 24 heures de minuit à minuit, et d’ailleurs le calendrier officiel continue à le faire. Mais dans le temps biblique, le jour commence dès l’obscurité du soir jusqu’au déclin du soleil le lendemain. Le jour romain va de la nuit à la nuit, le jour juif et chrétien va de l’obscurité à la lumière. Voilà pourquoi nous disons que le Christ est ressuscité le troisième jour, alors que selon le calendrier officiel il ne s’est écoulé que deux jours à peine entre sa mort et sa résurrection, du vendredi 15 heures à la nuit du samedi. Comptez avec moi :
du vendredi 15 heures au coucher du soleil = 1 jour ;
du coucher du soleil vendredi à celui du samedi = 1 jour ;
du coucher du soleil samedi à la nuit du samedi = 1 jour.
Voilà pourquoi nous fêtons les saints dès l’office de Vêpres la veille au soir de leur fête, et pourquoi nous célébrons Pâques dans la nuit du samedi. Voilà pourquoi les messes du samedi soir sont réellement celle du dimanche. Pâque est la victoire de la lumière sur l’ombre de la mort. Nous n’allons pas de la nuit à la nuit comme les païens, mais de l’ombre à la lumière, de la mort à la résurrection.

 

·      Jour du Seigneur au jour du soleil ?

Les langues ont gardé cette hésitation entre jour romain et jour liturgique. Les Grecs, français, italiens, espagnols, portugais etc. ont appelé dimanche le jour de Pâques selon l’étymologie latine : dies dominus = jour du Seigneur. Mais les Anglais (sunday), les Allemands (Sonntag) ont continué à l’appeler ‘jour du soleil’, comme sous les cultes anciens. La première Apologie de St Justin écrivait en 67:  » C’est le jour du soleil que nous faisons tous notre réunion ». Puisque la résurrection du Christ est la vraie lumière en ce monde, il était facile de substituer le Christ au soleil. Les solstices christiques sur les tympans romans où sont sculptés les 12 signes du zodiaque en sont un beau témoignage.

Travail le dimanche et modification du contrat de travail

 

·      Le Seigneur des jours

Changer le nom du jour l’habille d’une importance primordiale : le jour du Seigneur devient ainsi le Seigneur des jours, selon la belle expression d’Eusèbe de Césarée :

« Le jour saint du dimanche est donc celui où l’on fait mémoire du Seigneur. C’est pourquoi on l’a appelé « le jour du Seigneur ». Et il est comme le seigneur des jours. En effet, avant la Passion du Seigneur, il n’était pas appelé « jour du Seigneur » mais « premier jour ». En ce jour, le Seigneur a établi le fondement de la résurrection, c’est-à-dire qu’il a entrepris la création ; en ce jour, il a donné au monde les prémices de la résurrection ; en ce jour, comme nous l’avons dit, il a ordonné de célébrer les saints mystères. Ce jour a donc été pour nous le commencement de toute grâce : commencement de la création du monde, commencement de la résurrection, commencement de la semaine. Ce jour, qui renferme en lui-même trois commencements, préfigure la primauté de la sainte Trinité. »
Homélie attribuée à Eusèbe d’Alexandrie (fin du V° siècle) Sermons sur le dimanche, 16, 1-2 ; PG 86, 416-421.

La Documentation Catholique N° 14 : La Sanctification Du Dimanche - Jean Paul Ii : Lettre Apostolique Dies Domini, Le Voyage Du Pape En Australie de CollectifSi le dimanche (et par excellence le dimanche de Pâques) est le Seigneur des jours, c’est pour nous ajuster à ce qu’il annonce : un monde nouveau, enfin libérée du péché et de la mort, où la communion en Dieu nous réunira pour toujours.

Le jour du Seigneur est donc à la fois le jour de l’Église, née de cet événement stupéfiant du tombeau vide, le jour de l’homme qui le révèle à lui-même en lui montrant sa vocation ultime, le Seigneur des jours qui nous donnent la clé d’interprétation des autres jours de la semaine.

Le jour du Seigneur – ainsi que fut désigné le dimanche dès les temps apostoliques – a toujours été particulièrement honoré dans l’histoire de l’Église, à cause de son lien étroit avec le cœur même du mystère chrétien. En effet, dans le rythme hebdomadaire, le dimanche rappelle le jour de la résurrection du Christ. C’est la Pâque de la semaine, jour où l’on célèbre la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, l’accomplissement de la première création en sa personne et le début de la « création nouvelle » (cf. 2 Co 5,17). C’est le jour où l’on évoque le premier jour du monde dans l’adoration et la reconnaissance, et c’est en même temps, dans l’espérance qui fait agir, la préfiguration du « dernier jour », où le Christ viendra dans la gloire (cf. Ac 1,11; 1 Thess 4,13-17) et qui verra la réalisation de « l’univers nouveau » (cf. Ap 21,5).

La résurrection de Jésus est la donnée première sur laquelle repose la foi chrétienne (cf. 1 Co 15,14): c’est une réalité stupéfiante, perçue en plénitude dans la lumière de la foi, mais attestée historiquement par ceux qui eurent le privilège de voir le Seigneur ressuscité; c’est un événement merveilleux qui ne se détache pas seulement d’une manière absolument unique dans l’histoire des hommes, mais qui se place au centre du mystère du temps. (Lettre apostolique Dies Domini,  Jean-Paul II, 1998).

 

On raconte qu’un jour, saint Benoît, perdu dans sa solitude d’ermite, reçut la visite d’un prêtre, sans savoir que c’était le jour de Pâques. Le prêtre qui était venu le visiter dit : «  Lève-toi et prenons de la nourriture car c’est Pâques aujourd’hui  ». À quoi l’homme de Dieu répondit : « Je sais que c’est Pâques, puisque tu es venu me voir ». En effet, demeurant loin des hommes, il ignorait qu’en ce jour, c’était la solennité de Pâques !

En ce temps de post-confinement, redécouvrons l’actualisation de l’évènement pascal que nous célébrons aujourd’hui : «  C’est Pâques, puisque tu es venu me voir…  »

 

« Voici le jour que fit le Seigneur. Jour d’allégresse et jour de joie ! » (Ps 117,24)
Habitons ce jour comme tous les dimanches avec au cœur l’invincible espérance de Pâques.

 

 

MESSE DU JOUR DE PÂQUES

PREMIÈRE LECTURE
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

PSAUME
(Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !

Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

DEUXIÈME LECTURE
« Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » (Col 3, 1-4)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre.
En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.

OU AU CHOIX

DEUXIÈME LECTURE
« Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » (1 Co 5, 6b-8)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.

SÉQUENCE

À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ; le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié ! Amen. 

ÉVANGILE
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Alléluia. Alléluia.Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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8 décembre 2019

Le doute de Jean-Baptiste

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le doute de Jean-Baptiste

Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année A
15/12/2019

Cf. également :

Dieu est un chauffeur de taxi brousse
L’Église est comme un hôpital de campagne !
Du goudron et des carottes râpées
Que demander dans la prière ? 

Les religieuses ‘Missionnaires de la charité’ en restaient bouche bée : le Père Kolodiejchuk  venait de leur lire une lettre de Mère Teresa, leur fondatrice, décédée en 1991, dans laquelle elle montrait un tout autre visage que son éternel sourire accroché à son sari bleu et blanc :

« Jésus a un amour tout particulier pour vous. Pour moi, le silence et le vide sont si importants que je regarde et ne vois pas, que j’écoute et n’entends pas », a-t-elle écrit en 1979 à un confident, le pasteur Michael Van Der Peet.
Dans plus de 40 lettres rédigées au cours de 66 années, la religieuse catholique d’origine albanaise, qui s’est consacrée à l’aide aux pauvres et aux mourants dans les bidonvilles de Calcutta en Inde, écrit sur « l’obscurité », la « solitude » et la « torture » qu’elle traverse.
« Où est ma foi – tout au fond de moi, où il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité – mon Dieu, que cette souffrance inconnue est douloureuse, je n’ai pas la foi », a-t-elle écrit dans une lettre non datée adressée à Jésus.
En 1962, la religieuse écrivait: « Si un jour, je deviens une Sainte, je serai sûrement celle des ‘ténèbres’, je serai continuellement absente du Paradis ».

La célèbre sainte de Calcutta traversait donc d’intenses moments de doute, et personne ne le voyait, pas même ses sœurs !
Pourtant, la plupart des gens pense que le doute et la foi s’excluent mutuellement : douter empêcherait de faire confiance, croire éliminerait le doute. Et voilà que Jean-Baptiste dans notre Évangile (Mt 11, 2-11) se pose comme Mère Teresa des questions essentielles, irrésolues. Il ne sait quoi penser de son cousin, Jésus de Nazareth : « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

jean-baptiste-en-prison

Celui qui doit venir, c’est Élie, le grand prophète dont le retour signifierait la venue des temps messianiques, où il n’y aurait enfin plus de guerre ni d’injustice, mais l’Alliance intégralement vécue avec Dieu et partagée entre tous les hommes : « Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai donné, à l’Horeb, des lois et des coutumes pour tout Israël. Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères pour que je ne vienne pas frapper la terre d’interdit » (Ml 3,22–24).

Devant ce portrait décrit par Malachie, Jean-Baptiste doute : ‘ça ne colle pas. La loi de Moïse ? Jésus semble prendre des libertés avec elle, guérissant le jour du sabbat alors que tout travail est interdit, s’invitant à la table des pécheurs alors que la Loi les déclare impurs, mangeant ce que la cacherout interdit, faisant bon accueil aux étrangers jusqu’à proclamer qu’un centurion romain a plus de foi que tout Israël… non, ça ne colle pas exactement à l’idée que je me faisais du Messie’, se dit Jean-Baptiste. Du fond de sa prison où il est détenu par Hérode depuis plus d’un an, les actes et la prédication de Jésus ne lui parviennent que de manière étouffée, indirecte. Il l’avait désigné comme l’Agneau de Dieu au bord du Jourdain, mais est-ce la même chose que le Messie ?

Nos propres doutes s’enracinent souvent dans un pareil éloignement du Christ. Lorsque nous ne le fréquentons plus dans la lecture des Écritures, lorsque nous ne l’entendons plus prêcher le dimanche, soigner et guérir dans nos associations caritatives, lorsque nous ne nous confrontons plus à son absence dans la prière, alors il peut nous sembler comme à Jean-Baptiste très loin du portrait-robot dont nous aurions envie.

Jean-Baptiste « avait entendu parler des œuvres du Christ réalisées par le Christ » mais par ouï-dire, indirectement. La rumeur se déforme davantage encore en traversant les murs de sa prison. Sa prison est la conséquence de son courage éthique – pourrait-on dire – car il a dénoncé publiquement la forfaiture d’Hérode couchant avec la femme de son frère. Notre prison à nous, c’est parfois la conséquence d’engagements très forts, très exigeants, dont les contraintes nous gardent le nez dans l’action, un peu comme Mère Teresa le seau à la main auprès des mourants de Calcutta. Ayant pris des risques pour le Christ, nous pourrions espérer que tout serait limpide, qu’il serait ostensiblement présent à nos côtés, dissipant toujours les doutes et les obstacles. C’est là qu’il se dérobe à nous, alors que nous avons déjà parié gros sur lui. Un flot de questions nous assaille : n’était-ce qu’un mirage ? pourquoi suis-je déçu ? cela en valait-il la peine ?

Jean-Baptiste a pressenti quelque chose de la grandeur du Christ au Jourdain, mais là il ne comprend pas pourquoi tout ne se passe pas comme Malachie l’annonçait, pour Israël qui ne reconnaît pas son Messie, comme pour lui Jean-Baptiste qui croupit en prison sans que Jésus fasse quelque chose en sa faveur. Comment cela se fait-il ?

Le doute de Jean-Baptiste – comme les nôtres – se nourrit donc d’un éloignement déformant la réalité, et d’une déception de ne pas voir nos attentes se réaliser.

Si nous croyons que Dieu nous doit la santé, nous serons dans le doute avec la maladie.
Si nous croyons que Dieu nous doit la prospérité, nous serons dans le doute si nous sommes au chômage ou dans la pauvreté.
Si nous croyons que Dieu nous doit l’amitié des autres, nous serons dans le doute si nous nous trouvons isolés.
Si nous croyons que Dieu nous doit des émotions paisibles, nous serons dans le doute si nous nous trouvons en proie à l’anxiété ou la colère.

La réponse de Jésus aux envoyés de Jean-Baptiste vaut également pour nous :
« Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle ».
C’est une réponse en actes, et non une idée, une théorie, un raisonnement ou une leçon de morale. Luc d’ailleurs donne une version encore plus réaliste que Matthieu :
« A l’heure même, Jésus guérit plusieurs personnes de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais, et il rendit la vue à de nombreux aveugles » (Lc 7, 20-21).
C’est la praxis qui compte, aurait écrit Marx (ou Ludwig von Mises, auteur d’un traité de praxéologie devenu un classique en économie : L’Action humaine, 1949). Autrement dit : mettez de côté vos a priori, vos préjugés, vos prétextes, et regardez les faits tels qu’ils sont. Si les boiteux marchent, votre conception du Messie doit marcher avec eux ; si les lépreux sont guéris, votre déception sera guérie avec eux ; si les aveugles voient, c’est que vous pouvez ouvrir les yeux avec eux sur la vraie nature du Christ. Si la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, c’est donc que ce prophète, si surprenant et dérangeant qu’il soit, est bien « celui qui doit venir ».

Il est d’ailleurs intéressant de noter que le prix Nobel d’économie a été attribué en 2019 à trois économistes (Michael Kremer, Abhijit Banerjee et Esther Duflo) s’inspirant de cette attitude mettant de côté les idéologies pour juger d’après les faits. Ils ont par exemple observé à quelles conditions l’aide au développement pouvait être efficace, en constituant deux groupes similaires à qui ils appliquaient des politiques différentes (comme on le fait pour tester l’efficacité d’un médicament), pour constater de la façon la plus objective possible quels sont les leviers économiques et politiques qui peuvent aider à sortir de la misère. Leur approche basée sur les expérimentations (et non sur les théories) a transformé l’économie du développement.

Traverser nos doutes demande donc de revenir à la réalité des événements de notre vie, sans le prisme déformant de nos projections sur Dieu ou sur nous-mêmes. Quels sont les signes qui accompagnent notre histoire ? Quelles sont les visages qui nous ont parlé de Dieu ? Quels textes ou œuvres d’art nous ont bouleversés ? Quelle proximité d’avec les pauvres nous a touché au plus intime ?

La foi n’est pas sans le doute, elle serait plutôt au prix du doute : en le traversant, elle est purifiée, transformée, pour accueillir ce que nous n’attendions pas, car nous ne savons pas ce qui est bon pour nous… Jésus à Gethsémani en fait l’expérience la plus déchirante : il éprouve de l’angoisse, de l’effroi devant sa Passion imminente et se demande si c’est bien là le chemin à emprunter. Il pourrait encore s’échapper. Ce dilemme le déchire intérieurement au point d’en suer « comme des gouttes de sang » nous dit Luc. Comment la volonté du Père pourrait-elle se réaliser si tout cela finit aussi lamentablement sur la croix ? « Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi. Cependant, que ta volonté soit faite et non la mienne » (Lc 23,42).

Se laisser conduire au moment où le déroulement des événements nous fait douter de la promesse divine est notre combat pour devenir fils dans le fils.

Pierre Chrysologue, un théologien du VI° siècle, écrit dans son Sermon 79 : « Il doute profondément, celui dont la foi est plus profonde. Il ne peut pas être trompé, celui qui n’est pas enclin à accepter des ouï-dire. Adam, sans expérience, est tombé rapidement en croyant rapidement ». Il n’y a donc pas de foi sans discernement, sans questionnement, sans doute.

Saint Augustin écrit dans son livre sur la Trinité, au chapitre 10 : « si l’homme doute, il comprend. S’il doute, il veut  être certain ; s’il doute, il pense ; s’il doute, il juge qu’il ne doit pas donner son assentiment à la légère ».

Le romancier Georges Bernanos avait cette formule lapidaire : « La foi, c’est 24 heures de doute moins une minute d’espérance ».

Le théologien jésuite Joseph Moingt  écrit : « le doute est partie intégrante de toute recherche de vérité et de toute relation humaine ; tantôt, on le laisse suivre son chemin, si troublant qu’il soit, car on sent qu’il conduit au vrai ; tantôt, on le bouscule et on l’écarte de sa route, car il empêche d’avancer » [1].

Il y a assez de lumière dans la foi pour croire et assez d’obscurité pour douter.

 « Es-tu celui qui doit venir ou dois-je en attendre un autre ? »
Faisons nôtre le doute de Jean-Baptiste, pour qu’il fasse grandir notre foi et la purifie de toute attente qui ne viendrait pas de Dieu.

 


[1]. Joseph Moingt, Croire quand même : Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, Flammarion, coll. Essais, 2013

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 1-6a.10) 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

PSAUME

(Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a)
R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous ! ou : Alléluia ! (cf. Is 35, 4)

Le Seigneur fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
D’âge en âge, le Seigneur régnera.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Tenez ferme vos cœurs car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5, 7-10)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

ÉVANGILE
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-11)
Alléluia. Alléluia.L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,pour préparer le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »
Patrick BRAUD

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14 juillet 2019

Le rire fait chair

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le rire fait chair

Homélie pour le 16° Dimanche du temps ordinaire / Année C
21/07/2019

Cf. également :

Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !

La Trinité, icône de notre humanitéL’icône de la Trinité de Roublev a immortalisé notre première lecture (Gn 18, 1-10a) : nous y voyons l’hospitalité d’Abraham faire merveille auprès de trois visiteurs inconnus qui lui promettent un fils lors de leur prochain passage. L’alternance étrange entre le Je et le Nous dans la bouche de ces trois personnages fait irrésistiblement penser à la Trinité, et les chrétiens ne se sont pas privés de voir dans cette visite à l’improviste l’annonce du Dieu de Jésus-Christ, capable d’unir le singulier et le pluriel en une seule communion d’amour.

Allons un peu plus loin dans le texte et attardons-nous sur le rire de Sarah, qui a fasciné des générations de lecteurs de la Genèse. Car le rire de Sarah (après celui d’Abraham) est la première évocation du rire dans la Bible et Isaac va être l’héritier de ce rire.

À vrai dire, il y a trois rires dans cette histoire, et même un quatrième.

 

Le rire fait chair dans Communauté spirituelle levy-homme-chapeau-rire

Le premier rire

Le premier est celui d’Abraham lorsqu’il entend la promesse de la naissance d’un fils :

Abraham se jeta face contre terre et il rit ; il se dit en lui-même:  » Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Ou Sara avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ? (Gn 17,17)

On devine un rire nerveux, plein d’interrogation et de perplexité devant le caractère hautement improbable d’une telle annonce. C’est tellement énorme qu’Abraham éclate de rire ! Alors que cette naissance, il en rêve depuis son mariage avec Sarah, belle comme le jour, mais stérile. « À notre âge, tu es fou Seigneur – et cruel – de nous laisser entrevoir un tel bonheur impossible… On a tout essayé, et j’ai même couché avec ma servante Agar sur le conseil de Sarah pour ne pas être privé totalement de descendance. Ismaël n’est pas tout à fait le fils attendu, mais maintenant j’ai fait mon deuil et je m’en contente ».

Nous rions comme Abraham lorsque nous considérons comme impossible ce que Dieu désire pour nous…

 

9782296049086f Abraham dans Communauté spirituelle

Le deuxième rire

Le deuxième rire est celui de Sarah, beaucoup plus ironique et railleur. Pour elle, l’enjeu est le plaisir tout autant que la fécondité :

Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes. Sara se mit à rire en elle-même et dit:  » Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux!  » (Gn 18, 11-12)

Sans fausse pudeur, Sarah constate devant Dieu que le désir, le plaisir, la jouissance sexuelle ont disparu de sa vie de couple avec les années. Et l’on devine une pointe de regret dans ce constat amer. Son rire sonne comme une défense devant une promesse incroyable qui réveille en elle la nostalgie du plaisir perdu et d’une fécondité que la vie lui a refusée. Dieu sait bien ce qu’il y a de négatif dans ce rire, et le reproche à Sarah via Abraham :

Le Seigneur dit à Abraham:  » Pourquoi ce rire de Sara ? Et cette question:  » Pourrais-je vraiment enfanter, moi qui suis si vieille ?  » Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? (Gn 18,13)

Elle se justifie en bricolant un mensonge :

Sara nia en disant:  » Je n’ai pas ri « , car elle avait peur (Gn 18,15).

Mais Dieu n’est pas dupe : « Non. Tu as ri ». « Assume ! Assume ce que tu ressens, et je t’exaucerai au-delà de ton désir ».

Nous rions comme Sarah lorsque nous ne voulons pas réveiller nos désirs les plus vrais enfouis en nous…

 

Rire à tout âge

Vieille femme rire avec beaucoup de ridesNotons au passage que cette question de la vie sexuelle pendant le grand âge devient de plus en plus actuelle [1]. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le boum des seniors nés après-guerre, la multiplication des habitats collectifs pour les plus de 70 ans (EHPAD, Résidences services, Maisons de retraite, Foyer logements etc.), la promiscuité qui y est plus ou moins bien gérée, le veuvage de la majorité qui les rend à nouveau disponibles pour d’autres relations, le suivi médical, toutes ces conditions créent la possibilité et l’envie de jouir de la vie, dans tous les sens du terme, jusqu’au bout. Et la Bible, qui appelle un chat un chat, semble bien approuver cette revendication des seniors à une sexualité épanouie ! La naissance d’Isaac marquera le retour de ce que Sarah croyait disparu. Le plaisir et la jouissance sexuelle sont ici un don de Dieu lui-même, à tout âge, pour faire réussir la promesse faite à Abraham d’avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ! On retrouve cette connotation sexuelle du rire dans le terme employé pour décrire les caresses amoureuses d’Isaac envers Rébecca, sa femme, plus tard :

Comme son séjour à Gérare se prolongeait, il arriva qu’Abimélech, roi des Philistins, regardant par la fenêtre, aperçut Isaac qui riait avec sa femme (traduit souvent par : jouait, faisait des caresses à Rebecca) (Gn 26,8).

Pour l’hébreu, rire et jouer physiquement avec l’autre sont de la même racine…

 

Le troisième rire

Le troisième rire est celui d’Ismaël. Lors d’un banquet donné pour fêter le sevrage de son demi-frère Isaac, Ismaël rit (Gn 21,9), et Sarah interprète ce rire comme une moquerie vis-à-vis d’Isaac. Elle décide alors de chasser Ismaël avec sa mère Agar. Le rire d’Ismaël a provoqué sa chute en déclenchant la jalousie de Sarah : elle ne supporte plus de voir son ancienne déchéance sans cesse évoquée sous ses yeux par la seule présence d’Ismaël. Quant à lui, s’il a ri, rien ne nous empêche d’y déceler une nuance d’amertume, une souffrance, celle d’un aîné évincé de son droit d’aînesse par un cadet, au destin privilégié et fixé « arbitrairement ». Vu sous cet angle, le comportement d’Ismaël pourrait être rapproché de celui d’Ésaü, le frère du patriarche Jacob….

Nous rions comme Ismaël lorsque nous jalousons ce que l’autre a, ce que l’autre est, qui le transforme à nos yeux en un rival…

moquer_2-2b291 Isaac

 

Le quatrième rire

Ajoutons le quatrième rire que Sarah nous annonce :

Sara s’écria:  » Dieu m’a donné sujet de rire! Quiconque l’apprendra rira à mon sujet (Gn 21,6).

Boule et BillFaut rigoler !Le lecteur est donc impliqué dans le récit, car lui aussi rira en entendant l’histoire de Sarah ! Son rire (mon rire) sera-t-il de perplexité comme Abraham, de raillerie amère comme Sarah, de jalousie comme Ismaël ? Ou sera-t-il l’avant-goût du plaisir à venir comme il l’est devenu pour Sarah dans sa vieillesse, comme il arriva à Isaac (dont le nom signifie : « il rira ») caressant sa femme Rébecca ? À vous de décider !

En tout cas, nous sommes tous concernés : en riant de ce qui arrive à Sarah, nous nous exposons nous-mêmes à ce qu’il nous arrive une belle aventure semblable !

Et comme si Sarah nous disait : ‘vous qui pensez que le plaisir a disparu de votre vie, riez avec moi de bon cœur, car ce qui vous paraît impossible aujourd’hui pour tout un tas de raisons vous sera donné sans que vous sachiez comment’.

 

 

masque rire

Le rire dans la Bible

Les lecteurs de la Bible ont depuis longtemps remarqué que le rire n’y tient pas une grande place ; et quand il est mentionné, c’est souvent sous ce sous un angle négatif. Dans le Nouveau Testament, non seulement on ne dit jamais que Jésus a ri, mais quand il parle du rire, c’est pour dire : « malheur à vous qui riez maintenant, demain vous pleurerez » (Lc 6,25). Pas très réjouissant…

C’est que le rire dans la Bible est toujours une expression contre quelqu’un. Quand Dieu rit, le rire divin surgit explicitement sous forme d’ironie ou même de colère… Les exemples en ce sens, ne sont pas rares. Parmi d’autres :

- Puisque vous avez repoussé tous mes conseils (…) en retour, je rirai moi de votre malheur, je vous raillerai quand éclatera votre épouvante (Pr 1,25-26).
- Si un cataclysme entraîne des morts soudaines, Dieu se rit de l’épreuve des innocents (Job 9,23)

Le rire humain est souvent associé à l’ivresse. Ainsi lors la débauche idolâtre, dans la faute du Veau d’or :

- Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; puis ils se levèrent pour rire (Ex 32,6).

Le rire peut également faire allusion à la sexualité de caractère illicite, dans l’épisode de séduction manquée, entre la femme de Putiphar et Joseph :

- II est venu vers moi pour coucher avec moi (…) L’esclave hébreu, que tu nous as amené, est venu vers moi pour rire de (dans) moi (Gn 34,14-17)

Il peut préluder au meurtre, en référence au Livre 2 de Samuel :

- Et Avner dit à Yoav : que les plus jeunes s’avancent, jouent, rient (s’escriment) devant nous (2S 2,14).

Il est la plupart du temps synonyme de moquerie :

- Ainsi parle le Seigneur Dieu: La coupe de ta sœur, tu la boiras; elle est profonde, elle est large. Elle sera l’occasion de rire et de moquerie, à cause de sa grande contenance (Ez 23,32)
- Comment ! il s’est effondré ! hurlez ! Comment ! de honte, Moab tourne le dos ! Moab provoque rire et stupeur chez tous ses voisins (Jr 48,39).
- Tu nous exposes aux outrages de nos voisins, à la moquerie et au rire de notre entourage (Ps 44,14).
- Tu fais de nous la querelle de nos voisins, et nos ennemis ont de quoi rire (Ps 80,7).

La sagesse des Proverbes constate, désabusée, que le rire masque mal le chagrin qui pointe toujours derrière :

- Même dans le rire le cœur s’attriste, et la joie finit en chagrin (Pr 14,13).

Et l’Ecclésiaste en a fait le tour, comme du reste :

- Du rire, j’ai dit : » C’est fou !  » Et de la joie:  » Qu’est-ce que cela fait ?  » (Qo 2,2)
- Mieux vaut le chagrin que le rire, car sous un visage en peine, le cœur peut être heureux (Qo 7,3)

Le rire est éphémère et insignifiant en fin de compte :

- Car, tel le pétillement des broussailles sous la marmite, tel est le rire de l’insensé. Mais cela aussi est vanité (Qo 7,6)

Jésus et Jacques dans le Nouveau Testament sont les héritiers de cette longue tradition qui dénonce le rire comme la domination des puissants sur les faibles :

- Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! (Lc 6,25)
- Reconnaissez votre misère, prenez le deuil, pleurez; que votre rire se change en deuil et votre joie en abattement ! (Jc 4,9)

Le rire biblique est donc ambivalent, et les quatre rires de Gn 17-18 n’y échappent pas.

 

Notre vieille Église rira !

L’hospitalité d’Abraham peut devenir la nôtre : en accueillant des inconnus de passage, qui sait si un plaisir oublié ou d’une fécondité impossible ne nous sera pas donnée ?

Cette promesse ne vaut pas que pour les individus : elle vaut également pour l’Église en tant que communauté. Surtout dans la vieille Europe, la figure de Sarah peut changer notre regard sur nos communautés vieillissantes, sur une histoire chargée de siècles en clair-obscur. La France qui a engendré autrefois tant de saints et de saintes, tant de missionnaires, tant de théologiens reconnus semblent aujourd’hui à bout de souffle sur le plan spirituel. Pas besoin d’énumérer les statistiques des vocations, des baptêmes, des pratiquants etc. Nos assemblées clairsemées et aux cheveux blancs (sauf dans certains quartiers des métropoles) auraient bien du mal à ne pas rire si on leur promettait un avenir radieux.

Et pourtant…

300px-Communes_du_plateau_de_Millevaches SaraEn 1970, le vicaire général du diocèse de Limoges, Hervé de Bellefon, a écrit un texte remarquable appelant les communautés de la Creuse à l’espérance. Ce message, intitulé : « Pourquoi ris-tu Sarah ? » a rencontré un énorme écho, pas seulement diocésain. Il lisait dans la situation de Sarah celle de son Église en Creuse, apparemment faible et sans descendance, mais promise à un renouveau inespéré. Elle portera des fruits pour tous. Elle saura accueillir le don de Dieu à travers les mutations sociales et économiques du plateau de Millevaches.

Elle était vieille, Sara, vieille et usée.
Abraham accueille les 3 Visiteurs. Sara écoute dans l’embrasure de la porte de la tente, et elle rit quand on prédit qu’elle aura un fils
Elle pensait, Sara, et sans doute avait-elle raison, qu’elle ne pouvait plus donner la vie. C’était trop drôle… elle en riait.
Elle est vieille notre Église de Creuse, vieille et usée.
Elle pense, notre Église de Creuse, et semble avoir raison, que dans ce pays lui-même usé, elle ne peut plus guère donner la vie. Elle se dit : « il n’y a plus qu’à donner l’extrême-onction à ce pays qui meurt ; soyons réalistes, ne rêvons pas : c’est trop risible ! »
Semaine religieuse de Limoges, Octobre 1970

De fait, nombre d’initiatives ecclésiales et associatives sont nées dans la foulée de cette lecture de Gn 18. Et d’autres diocèses s’en sont également largement inspirés.

Avec Abraham, ouvrons notre table aux inconnus de passage.
Avec Sarah, n’ayons pas peur de rire de nos faiblesses.
Avec Isaac (« il rira »), gardons le rire dans notre programme de vie, et jouons de tous les plaisirs par lequel Dieu comble la descendance d’Abraham.

 


[1]. Cf. par exemple : Du rire de Sarah à l’enfant du rire ou le désir des âges dans la bible, Pierre Gibert, dans Gérontologie et société 2012/1 (vol. 35 / n° 140), pages 171 à 178 accessible ici : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2012-1-page-171.htm

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
(Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !
Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia.
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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