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8 décembre 2019

Le doute de Jean-Baptiste

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le doute de Jean-Baptiste

Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année A
15/12/2019

Cf. également :

Dieu est un chauffeur de taxi brousse
L’Église est comme un hôpital de campagne !
Du goudron et des carottes râpées
Que demander dans la prière ? 

Les religieuses ‘Missionnaires de la charité’ en restaient bouche bée : le Père Kolodiejchuk  venait de leur lire une lettre de Mère Teresa, leur fondatrice, décédée en 1991, dans laquelle elle montrait un tout autre visage que son éternel sourire accroché à son sari bleu et blanc :

« Jésus a un amour tout particulier pour vous. Pour moi, le silence et le vide sont si importants que je regarde et ne vois pas, que j’écoute et n’entends pas », a-t-elle écrit en 1979 à un confident, le pasteur Michael Van Der Peet.
Dans plus de 40 lettres rédigées au cours de 66 années, la religieuse catholique d’origine albanaise, qui s’est consacrée à l’aide aux pauvres et aux mourants dans les bidonvilles de Calcutta en Inde, écrit sur « l’obscurité », la « solitude » et la « torture » qu’elle traverse.
« Où est ma foi – tout au fond de moi, où il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité – mon Dieu, que cette souffrance inconnue est douloureuse, je n’ai pas la foi », a-t-elle écrit dans une lettre non datée adressée à Jésus.
En 1962, la religieuse écrivait: « Si un jour, je deviens une Sainte, je serai sûrement celle des ‘ténèbres’, je serai continuellement absente du Paradis ».

La célèbre sainte de Calcutta traversait donc d’intenses moments de doute, et personne ne le voyait, pas même ses sœurs !
Pourtant, la plupart des gens pense que le doute et la foi s’excluent mutuellement : douter empêcherait de faire confiance, croire éliminerait le doute. Et voilà que Jean-Baptiste dans notre Évangile (Mt 11, 2-11) se pose comme Mère Teresa des questions essentielles, irrésolues. Il ne sait quoi penser de son cousin, Jésus de Nazareth : « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

jean-baptiste-en-prison

Celui qui doit venir, c’est Élie, le grand prophète dont le retour signifierait la venue des temps messianiques, où il n’y aurait enfin plus de guerre ni d’injustice, mais l’Alliance intégralement vécue avec Dieu et partagée entre tous les hommes : « Souvenez-vous de la Loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai donné, à l’Horeb, des lois et des coutumes pour tout Israël. Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères pour que je ne vienne pas frapper la terre d’interdit » (Ml 3,22–24).

Devant ce portrait décrit par Malachie, Jean-Baptiste doute : ‘ça ne colle pas. La loi de Moïse ? Jésus semble prendre des libertés avec elle, guérissant le jour du sabbat alors que tout travail est interdit, s’invitant à la table des pécheurs alors que la Loi les déclare impurs, mangeant ce que la cacherout interdit, faisant bon accueil aux étrangers jusqu’à proclamer qu’un centurion romain a plus de foi que tout Israël… non, ça ne colle pas exactement à l’idée que je me faisais du Messie’, se dit Jean-Baptiste. Du fond de sa prison où il est détenu par Hérode depuis plus d’un an, les actes et la prédication de Jésus ne lui parviennent que de manière étouffée, indirecte. Il l’avait désigné comme l’Agneau de Dieu au bord du Jourdain, mais est-ce la même chose que le Messie ?

Nos propres doutes s’enracinent souvent dans un pareil éloignement du Christ. Lorsque nous ne le fréquentons plus dans la lecture des Écritures, lorsque nous ne l’entendons plus prêcher le dimanche, soigner et guérir dans nos associations caritatives, lorsque nous ne nous confrontons plus à son absence dans la prière, alors il peut nous sembler comme à Jean-Baptiste très loin du portrait-robot dont nous aurions envie.

Jean-Baptiste « avait entendu parler des œuvres du Christ réalisées par le Christ » mais par ouï-dire, indirectement. La rumeur se déforme davantage encore en traversant les murs de sa prison. Sa prison est la conséquence de son courage éthique – pourrait-on dire – car il a dénoncé publiquement la forfaiture d’Hérode couchant avec la femme de son frère. Notre prison à nous, c’est parfois la conséquence d’engagements très forts, très exigeants, dont les contraintes nous gardent le nez dans l’action, un peu comme Mère Teresa le seau à la main auprès des mourants de Calcutta. Ayant pris des risques pour le Christ, nous pourrions espérer que tout serait limpide, qu’il serait ostensiblement présent à nos côtés, dissipant toujours les doutes et les obstacles. C’est là qu’il se dérobe à nous, alors que nous avons déjà parié gros sur lui. Un flot de questions nous assaille : n’était-ce qu’un mirage ? pourquoi suis-je déçu ? cela en valait-il la peine ?

Jean-Baptiste a pressenti quelque chose de la grandeur du Christ au Jourdain, mais là il ne comprend pas pourquoi tout ne se passe pas comme Malachie l’annonçait, pour Israël qui ne reconnaît pas son Messie, comme pour lui Jean-Baptiste qui croupit en prison sans que Jésus fasse quelque chose en sa faveur. Comment cela se fait-il ?

Le doute de Jean-Baptiste – comme les nôtres – se nourrit donc d’un éloignement déformant la réalité, et d’une déception de ne pas voir nos attentes se réaliser.

Si nous croyons que Dieu nous doit la santé, nous serons dans le doute avec la maladie.
Si nous croyons que Dieu nous doit la prospérité, nous serons dans le doute si nous sommes au chômage ou dans la pauvreté.
Si nous croyons que Dieu nous doit l’amitié des autres, nous serons dans le doute si nous nous trouvons isolés.
Si nous croyons que Dieu nous doit des émotions paisibles, nous serons dans le doute si nous nous trouvons en proie à l’anxiété ou la colère.

La réponse de Jésus aux envoyés de Jean-Baptiste vaut également pour nous :
« Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle ».
C’est une réponse en actes, et non une idée, une théorie, un raisonnement ou une leçon de morale. Luc d’ailleurs donne une version encore plus réaliste que Matthieu :
« A l’heure même, Jésus guérit plusieurs personnes de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais, et il rendit la vue à de nombreux aveugles » (Lc 7, 20-21).
C’est la praxis qui compte, aurait écrit Marx (ou Ludwig von Mises, auteur d’un traité de praxéologie devenu un classique en économie : L’Action humaine, 1949). Autrement dit : mettez de côté vos a priori, vos préjugés, vos prétextes, et regardez les faits tels qu’ils sont. Si les boiteux marchent, votre conception du Messie doit marcher avec eux ; si les lépreux sont guéris, votre déception sera guérie avec eux ; si les aveugles voient, c’est que vous pouvez ouvrir les yeux avec eux sur la vraie nature du Christ. Si la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, c’est donc que ce prophète, si surprenant et dérangeant qu’il soit, est bien « celui qui doit venir ».

Il est d’ailleurs intéressant de noter que le prix Nobel d’économie a été attribué en 2019 à trois économistes (Michael Kremer, Abhijit Banerjee et Esther Duflo) s’inspirant de cette attitude mettant de côté les idéologies pour juger d’après les faits. Ils ont par exemple observé à quelles conditions l’aide au développement pouvait être efficace, en constituant deux groupes similaires à qui ils appliquaient des politiques différentes (comme on le fait pour tester l’efficacité d’un médicament), pour constater de la façon la plus objective possible quels sont les leviers économiques et politiques qui peuvent aider à sortir de la misère. Leur approche basée sur les expérimentations (et non sur les théories) a transformé l’économie du développement.

Traverser nos doutes demande donc de revenir à la réalité des événements de notre vie, sans le prisme déformant de nos projections sur Dieu ou sur nous-mêmes. Quels sont les signes qui accompagnent notre histoire ? Quelles sont les visages qui nous ont parlé de Dieu ? Quels textes ou œuvres d’art nous ont bouleversés ? Quelle proximité d’avec les pauvres nous a touché au plus intime ?

La foi n’est pas sans le doute, elle serait plutôt au prix du doute : en le traversant, elle est purifiée, transformée, pour accueillir ce que nous n’attendions pas, car nous ne savons pas ce qui est bon pour nous… Jésus à Gethsémani en fait l’expérience la plus déchirante : il éprouve de l’angoisse, de l’effroi devant sa Passion imminente et se demande si c’est bien là le chemin à emprunter. Il pourrait encore s’échapper. Ce dilemme le déchire intérieurement au point d’en suer « comme des gouttes de sang » nous dit Luc. Comment la volonté du Père pourrait-elle se réaliser si tout cela finit aussi lamentablement sur la croix ? « Père, si cela est possible, que cette coupe s’éloigne de moi. Cependant, que ta volonté soit faite et non la mienne » (Lc 23,42).

Se laisser conduire au moment où le déroulement des événements nous fait douter de la promesse divine est notre combat pour devenir fils dans le fils.

Pierre Chrysologue, un théologien du VI° siècle, écrit dans son Sermon 79 : « Il doute profondément, celui dont la foi est plus profonde. Il ne peut pas être trompé, celui qui n’est pas enclin à accepter des ouï-dire. Adam, sans expérience, est tombé rapidement en croyant rapidement ». Il n’y a donc pas de foi sans discernement, sans questionnement, sans doute.

Saint Augustin écrit dans son livre sur la Trinité, au chapitre 10 : « si l’homme doute, il comprend. S’il doute, il veut  être certain ; s’il doute, il pense ; s’il doute, il juge qu’il ne doit pas donner son assentiment à la légère ».

Le romancier Georges Bernanos avait cette formule lapidaire : « La foi, c’est 24 heures de doute moins une minute d’espérance ».

Le théologien jésuite Joseph Moingt  écrit : « le doute est partie intégrante de toute recherche de vérité et de toute relation humaine ; tantôt, on le laisse suivre son chemin, si troublant qu’il soit, car on sent qu’il conduit au vrai ; tantôt, on le bouscule et on l’écarte de sa route, car il empêche d’avancer » [1].

Il y a assez de lumière dans la foi pour croire et assez d’obscurité pour douter.

 « Es-tu celui qui doit venir ou dois-je en attendre un autre ? »
Faisons nôtre le doute de Jean-Baptiste, pour qu’il fasse grandir notre foi et la purifie de toute attente qui ne viendrait pas de Dieu.

 


[1]. Joseph Moingt, Croire quand même : Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, Flammarion, coll. Essais, 2013

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 1-6a.10) 

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

PSAUME

(Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a)
R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous ! ou : Alléluia ! (cf. Is 35, 4)

Le Seigneur fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
D’âge en âge, le Seigneur régnera.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Tenez ferme vos cœurs car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5, 7-10)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

ÉVANGILE
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-11)
Alléluia. Alléluia.L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,pour préparer le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »
Patrick BRAUD

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14 juillet 2019

Le rire fait chair

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le rire fait chair

Homélie pour le 16° Dimanche du temps ordinaire / Année C
21/07/2019

Cf. également :

Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !

La Trinité, icône de notre humanitéL’icône de la Trinité de Roublev a immortalisé notre première lecture (Gn 18, 1-10a) : nous y voyons l’hospitalité d’Abraham faire merveille auprès de trois visiteurs inconnus qui lui promettent un fils lors de leur prochain passage. L’alternance étrange entre le Je et le Nous dans la bouche de ces trois personnages fait irrésistiblement penser à la Trinité, et les chrétiens ne se sont pas privés de voir dans cette visite à l’improviste l’annonce du Dieu de Jésus-Christ, capable d’unir le singulier et le pluriel en une seule communion d’amour.

Allons un peu plus loin dans le texte et attardons-nous sur le rire de Sarah, qui a fasciné des générations de lecteurs de la Genèse. Car le rire de Sarah (après celui d’Abraham) est la première évocation du rire dans la Bible et Isaac va être l’héritier de ce rire.

À vrai dire, il y a trois rires dans cette histoire, et même un quatrième.

 

Le rire fait chair dans Communauté spirituelle levy-homme-chapeau-rire

Le premier rire

Le premier est celui d’Abraham lorsqu’il entend la promesse de la naissance d’un fils :

Abraham se jeta face contre terre et il rit ; il se dit en lui-même:  » Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Ou Sara avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ? (Gn 17,17)

On devine un rire nerveux, plein d’interrogation et de perplexité devant le caractère hautement improbable d’une telle annonce. C’est tellement énorme qu’Abraham éclate de rire ! Alors que cette naissance, il en rêve depuis son mariage avec Sarah, belle comme le jour, mais stérile. « À notre âge, tu es fou Seigneur – et cruel – de nous laisser entrevoir un tel bonheur impossible… On a tout essayé, et j’ai même couché avec ma servante Agar sur le conseil de Sarah pour ne pas être privé totalement de descendance. Ismaël n’est pas tout à fait le fils attendu, mais maintenant j’ai fait mon deuil et je m’en contente ».

Nous rions comme Abraham lorsque nous considérons comme impossible ce que Dieu désire pour nous…

 

9782296049086f Abraham dans Communauté spirituelle

Le deuxième rire

Le deuxième rire est celui de Sarah, beaucoup plus ironique et railleur. Pour elle, l’enjeu est le plaisir tout autant que la fécondité :

Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes. Sara se mit à rire en elle-même et dit:  » Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux!  » (Gn 18, 11-12)

Sans fausse pudeur, Sarah constate devant Dieu que le désir, le plaisir, la jouissance sexuelle ont disparu de sa vie de couple avec les années. Et l’on devine une pointe de regret dans ce constat amer. Son rire sonne comme une défense devant une promesse incroyable qui réveille en elle la nostalgie du plaisir perdu et d’une fécondité que la vie lui a refusée. Dieu sait bien ce qu’il y a de négatif dans ce rire, et le reproche à Sarah via Abraham :

Le Seigneur dit à Abraham:  » Pourquoi ce rire de Sara ? Et cette question:  » Pourrais-je vraiment enfanter, moi qui suis si vieille ?  » Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? (Gn 18,13)

Elle se justifie en bricolant un mensonge :

Sara nia en disant:  » Je n’ai pas ri « , car elle avait peur (Gn 18,15).

Mais Dieu n’est pas dupe : « Non. Tu as ri ». « Assume ! Assume ce que tu ressens, et je t’exaucerai au-delà de ton désir ».

Nous rions comme Sarah lorsque nous ne voulons pas réveiller nos désirs les plus vrais enfouis en nous…

 

Rire à tout âge

Vieille femme rire avec beaucoup de ridesNotons au passage que cette question de la vie sexuelle pendant le grand âge devient de plus en plus actuelle [1]. Avec l’allongement de l’espérance de vie, le boum des seniors nés après-guerre, la multiplication des habitats collectifs pour les plus de 70 ans (EHPAD, Résidences services, Maisons de retraite, Foyer logements etc.), la promiscuité qui y est plus ou moins bien gérée, le veuvage de la majorité qui les rend à nouveau disponibles pour d’autres relations, le suivi médical, toutes ces conditions créent la possibilité et l’envie de jouir de la vie, dans tous les sens du terme, jusqu’au bout. Et la Bible, qui appelle un chat un chat, semble bien approuver cette revendication des seniors à une sexualité épanouie ! La naissance d’Isaac marquera le retour de ce que Sarah croyait disparu. Le plaisir et la jouissance sexuelle sont ici un don de Dieu lui-même, à tout âge, pour faire réussir la promesse faite à Abraham d’avoir une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ! On retrouve cette connotation sexuelle du rire dans le terme employé pour décrire les caresses amoureuses d’Isaac envers Rébecca, sa femme, plus tard :

Comme son séjour à Gérare se prolongeait, il arriva qu’Abimélech, roi des Philistins, regardant par la fenêtre, aperçut Isaac qui riait avec sa femme (traduit souvent par : jouait, faisait des caresses à Rebecca) (Gn 26,8).

Pour l’hébreu, rire et jouer physiquement avec l’autre sont de la même racine…

 

Le troisième rire

Le troisième rire est celui d’Ismaël. Lors d’un banquet donné pour fêter le sevrage de son demi-frère Isaac, Ismaël rit (Gn 21,9), et Sarah interprète ce rire comme une moquerie vis-à-vis d’Isaac. Elle décide alors de chasser Ismaël avec sa mère Agar. Le rire d’Ismaël a provoqué sa chute en déclenchant la jalousie de Sarah : elle ne supporte plus de voir son ancienne déchéance sans cesse évoquée sous ses yeux par la seule présence d’Ismaël. Quant à lui, s’il a ri, rien ne nous empêche d’y déceler une nuance d’amertume, une souffrance, celle d’un aîné évincé de son droit d’aînesse par un cadet, au destin privilégié et fixé « arbitrairement ». Vu sous cet angle, le comportement d’Ismaël pourrait être rapproché de celui d’Ésaü, le frère du patriarche Jacob….

Nous rions comme Ismaël lorsque nous jalousons ce que l’autre a, ce que l’autre est, qui le transforme à nos yeux en un rival…

moquer_2-2b291 Isaac

 

Le quatrième rire

Ajoutons le quatrième rire que Sarah nous annonce :

Sara s’écria:  » Dieu m’a donné sujet de rire! Quiconque l’apprendra rira à mon sujet (Gn 21,6).

Boule et BillFaut rigoler !Le lecteur est donc impliqué dans le récit, car lui aussi rira en entendant l’histoire de Sarah ! Son rire (mon rire) sera-t-il de perplexité comme Abraham, de raillerie amère comme Sarah, de jalousie comme Ismaël ? Ou sera-t-il l’avant-goût du plaisir à venir comme il l’est devenu pour Sarah dans sa vieillesse, comme il arriva à Isaac (dont le nom signifie : « il rira ») caressant sa femme Rébecca ? À vous de décider !

En tout cas, nous sommes tous concernés : en riant de ce qui arrive à Sarah, nous nous exposons nous-mêmes à ce qu’il nous arrive une belle aventure semblable !

Et comme si Sarah nous disait : ‘vous qui pensez que le plaisir a disparu de votre vie, riez avec moi de bon cœur, car ce qui vous paraît impossible aujourd’hui pour tout un tas de raisons vous sera donné sans que vous sachiez comment’.

 

 

masque rire

Le rire dans la Bible

Les lecteurs de la Bible ont depuis longtemps remarqué que le rire n’y tient pas une grande place ; et quand il est mentionné, c’est souvent sous ce sous un angle négatif. Dans le Nouveau Testament, non seulement on ne dit jamais que Jésus a ri, mais quand il parle du rire, c’est pour dire : « malheur à vous qui riez maintenant, demain vous pleurerez » (Lc 6,25). Pas très réjouissant…

C’est que le rire dans la Bible est toujours une expression contre quelqu’un. Quand Dieu rit, le rire divin surgit explicitement sous forme d’ironie ou même de colère… Les exemples en ce sens, ne sont pas rares. Parmi d’autres :

- Puisque vous avez repoussé tous mes conseils (…) en retour, je rirai moi de votre malheur, je vous raillerai quand éclatera votre épouvante (Pr 1,25-26).
- Si un cataclysme entraîne des morts soudaines, Dieu se rit de l’épreuve des innocents (Job 9,23)

Le rire humain est souvent associé à l’ivresse. Ainsi lors la débauche idolâtre, dans la faute du Veau d’or :

- Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; puis ils se levèrent pour rire (Ex 32,6).

Le rire peut également faire allusion à la sexualité de caractère illicite, dans l’épisode de séduction manquée, entre la femme de Putiphar et Joseph :

- II est venu vers moi pour coucher avec moi (…) L’esclave hébreu, que tu nous as amené, est venu vers moi pour rire de (dans) moi (Gn 34,14-17)

Il peut préluder au meurtre, en référence au Livre 2 de Samuel :

- Et Avner dit à Yoav : que les plus jeunes s’avancent, jouent, rient (s’escriment) devant nous (2S 2,14).

Il est la plupart du temps synonyme de moquerie :

- Ainsi parle le Seigneur Dieu: La coupe de ta sœur, tu la boiras; elle est profonde, elle est large. Elle sera l’occasion de rire et de moquerie, à cause de sa grande contenance (Ez 23,32)
- Comment ! il s’est effondré ! hurlez ! Comment ! de honte, Moab tourne le dos ! Moab provoque rire et stupeur chez tous ses voisins (Jr 48,39).
- Tu nous exposes aux outrages de nos voisins, à la moquerie et au rire de notre entourage (Ps 44,14).
- Tu fais de nous la querelle de nos voisins, et nos ennemis ont de quoi rire (Ps 80,7).

La sagesse des Proverbes constate, désabusée, que le rire masque mal le chagrin qui pointe toujours derrière :

- Même dans le rire le cœur s’attriste, et la joie finit en chagrin (Pr 14,13).

Et l’Ecclésiaste en a fait le tour, comme du reste :

- Du rire, j’ai dit : » C’est fou !  » Et de la joie:  » Qu’est-ce que cela fait ?  » (Qo 2,2)
- Mieux vaut le chagrin que le rire, car sous un visage en peine, le cœur peut être heureux (Qo 7,3)

Le rire est éphémère et insignifiant en fin de compte :

- Car, tel le pétillement des broussailles sous la marmite, tel est le rire de l’insensé. Mais cela aussi est vanité (Qo 7,6)

Jésus et Jacques dans le Nouveau Testament sont les héritiers de cette longue tradition qui dénonce le rire comme la domination des puissants sur les faibles :

- Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! (Lc 6,25)
- Reconnaissez votre misère, prenez le deuil, pleurez; que votre rire se change en deuil et votre joie en abattement ! (Jc 4,9)

Le rire biblique est donc ambivalent, et les quatre rires de Gn 17-18 n’y échappent pas.

 

Notre vieille Église rira !

L’hospitalité d’Abraham peut devenir la nôtre : en accueillant des inconnus de passage, qui sait si un plaisir oublié ou d’une fécondité impossible ne nous sera pas donnée ?

Cette promesse ne vaut pas que pour les individus : elle vaut également pour l’Église en tant que communauté. Surtout dans la vieille Europe, la figure de Sarah peut changer notre regard sur nos communautés vieillissantes, sur une histoire chargée de siècles en clair-obscur. La France qui a engendré autrefois tant de saints et de saintes, tant de missionnaires, tant de théologiens reconnus semblent aujourd’hui à bout de souffle sur le plan spirituel. Pas besoin d’énumérer les statistiques des vocations, des baptêmes, des pratiquants etc. Nos assemblées clairsemées et aux cheveux blancs (sauf dans certains quartiers des métropoles) auraient bien du mal à ne pas rire si on leur promettait un avenir radieux.

Et pourtant…

300px-Communes_du_plateau_de_Millevaches SaraEn 1970, le vicaire général du diocèse de Limoges, Hervé de Bellefon, a écrit un texte remarquable appelant les communautés de la Creuse à l’espérance. Ce message, intitulé : « Pourquoi ris-tu Sarah ? » a rencontré un énorme écho, pas seulement diocésain. Il lisait dans la situation de Sarah celle de son Église en Creuse, apparemment faible et sans descendance, mais promise à un renouveau inespéré. Elle portera des fruits pour tous. Elle saura accueillir le don de Dieu à travers les mutations sociales et économiques du plateau de Millevaches.

Elle était vieille, Sara, vieille et usée.
Abraham accueille les 3 Visiteurs. Sara écoute dans l’embrasure de la porte de la tente, et elle rit quand on prédit qu’elle aura un fils
Elle pensait, Sara, et sans doute avait-elle raison, qu’elle ne pouvait plus donner la vie. C’était trop drôle… elle en riait.
Elle est vieille notre Église de Creuse, vieille et usée.
Elle pense, notre Église de Creuse, et semble avoir raison, que dans ce pays lui-même usé, elle ne peut plus guère donner la vie. Elle se dit : « il n’y a plus qu’à donner l’extrême-onction à ce pays qui meurt ; soyons réalistes, ne rêvons pas : c’est trop risible ! »
Semaine religieuse de Limoges, Octobre 1970

De fait, nombre d’initiatives ecclésiales et associatives sont nées dans la foulée de cette lecture de Gn 18. Et d’autres diocèses s’en sont également largement inspirés.

Avec Abraham, ouvrons notre table aux inconnus de passage.
Avec Sarah, n’ayons pas peur de rire de nos faiblesses.
Avec Isaac (« il rira »), gardons le rire dans notre programme de vie, et jouons de tous les plaisirs par lequel Dieu comble la descendance d’Abraham.

 


[1]. Cf. par exemple : Du rire de Sarah à l’enfant du rire ou le désir des âges dans la bible, Pierre Gibert, dans Gérontologie et société 2012/1 (vol. 35 / n° 140), pages 171 à 178 accessible ici : https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2012-1-page-171.htm

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
(Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !
Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia.
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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9 juin 2019

Les trois vertus trinitaires

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les trois vertus trinitaires

Homélie pour la fête de la Trinité / Année C
16/06/2019

Cf. également :

Vivre de la Trinité en nous
La Trinité, icône de notre humanité
L’Esprit, vérité graduelle
Trinité : Distinguer pour mieux unir
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Les bonheurs de Sophie
Trinité : au commencement est la relation
La Trinité en actes : le geste de paix
La Trinité et nous

La notion de réplique trinitaire

Souvenez-vous du tsunami de 2011 au Japon, de l’éruption volcanique du Santorin en -1646 ou du tremblement de terre de 1976 en Chine : à chaque manifestation de cette puissance naturelle colossale, les spécialistes rattachent une ou des répliques. C’est-à-dire une deuxième vague, une autre éruption ou une autre secousse sismique comme en écho à la première. Eh bien, de manière analogique mais positive, on pourrait dire que l’être humain est la réplique de la communion d’amour trinitaire. En ce sens qu’émerge au plus intime de chacun le principe qui structure Dieu lui-même dans sa dimension trinitaire : aimer l’autre jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, sans séparation ni confusion.

L’autre sens en français du mont réplique convient également. La réplique d’une œuvre d’art est sa transposition dans un autre siècle et contexte. La réplique trinitaire en nous  est comme la projection de l’identité divine sur notre nature humaine, qui nous rend capable d’aimer à son image. La projection mathématique d’un volume sur un plan peut nous donner une idée du rapport qui existe entre les deux.

Le terme réplique s’emploie encore au théâtre ou dans un débat : donner la réplique à un acteur ou à un débatteur, c’est entrer avec lui dans un jeu de dialogue qui fait exister le « je » de chacun. En ce sens aussi l’homme donne la réplique à Dieu. Notre identité humaine émerge du dialogue avec Dieu (depuis le début de l’humanité : rites funéraires, art  rupestre, langage…) à qui nous donnons la réplique.

Répliquer n’est pas dupliquer : l’homme n’est pas la photocopie de Dieu, ni Dieu la projection du rêve humain. Parce que nous sommes créés à son image, nous pourrons  découvrir en nous la réplique de l’amour trinitaire qui constitue l’être même de Dieu, en toute autonomie et liberté.

 

Les trois vertus

La fête de la Trinité célébrée ce dimanche peut donc orienter notre quête sur les traces de la réplique trinitaire en nous. Il y a de multiples façons de le faire. L’une des voies traditionnelles – que la deuxième lecture de ce dimanche illustre assez bien – est celle des trois vertus théologales. On n’en parle plus beaucoup. Elles ont pourtant aidé des siècles de croyants à avancer sur le chemin de la communion avec Dieu. Elles sont gravées sur les façades de nos églises romanes sous des visages divers. Elles sont faciles à retenir. Elles structurent nos choix, nos comportements, nos règles de vie, dès lors que l’on cherche une certaine cohérence entre nos actes de la semaine et nos paroles du dimanche.

Les trois vertus trinitaires dans Communauté spirituelle 220px-Schnorr_von_Carolsfeld_-_Glaube%2C_Liebe%2C_HoffnungElles, ce sont bien sûr : la foi, l’espérance et la charité. Parce qu’elles sont trois, elles nous rappellent que leur source est en Dieu-Trinité, et non pas dans nos efforts, nos mérites, notre ascèse ou notre morale. La force de ces vertus (en latin : vis, virtus = force) est la conséquence de notre communion à Dieu, et non l’inverse. Elles ne sont pas des moyens pour aller vers Dieu, mais des fruits, des conséquences de son intimité avec nous. Elles sont la projection – au sens quasi mathématique du terme – des mœurs trinitaires dans nos mœurs humaines. Le catéchisme de l’Église catholique rejoint cette approche en les définissant ainsi :

N° 1812 : Les vertus humaines s’enracinent dans les vertus théologales qui adaptent les facultés de l’homme à la participation de la nature divine (cf. 2P 1,4). Car les vertus théologales se réfèrent directement à Dieu. Elles disposent les chrétiens à vivre en relation avec la Sainte Trinité. Elles ont Dieu Un et Trine pour origine, pour motif et pour objet.

N° 1813  Les vertus théologales fondent, animent et caractérisent l’agir moral du chrétien. Elles informent et vivifient toutes les vertus morales. Elles sont infusées par Dieu dans l’âme des fidèles pour les rendre capables d’agir comme ses enfants et de mériter la vie éternelle. Elles sont le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit dans les facultés de l’être humain. Il y a trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité (cf. 1Co 13,13).

Dans notre deuxième lecture (Rm 5, 1-5), Paul y fait explicitement référence. La foi nous est donnée par Dieu pour devenir justes par le Christ pour avoir accès à la grâce. « Nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ». « L’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu » est alors le fruit ultime de la séquence : détresse-persévérance-vertus. Quant à l’amour, c’est celui que « l’Esprit Saint a répandu en nos cœurs ».

Trois encycliques successives des papes Benoît XVI et du pape François sont consacrées à ces trois vertus théologales : Deus caritas est, Dieu est amour, Benoît XVI, 2005 – Spes salvi, Sauvés dans l’espérance, Benoît XVI, 2007 – Lumen fidei, La lumière de la foi, Pape François, 2013  

Il y a donc une active interconnexion des trois personnes divines pour produire en nous la foi, l’espérance et la charité. Paul y reviendra dans sa première lettre aux corinthiens pour affirmer la supériorité de la charité (en grec : Agapê = amour divin) qui elle ne passera pas, car elle constitue l’être même de Dieu Trinité : « Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande de ces choses, c’est la charité » 1Co 13,13.

Au fur et à mesure de notre proximité d’avec Dieu, ces trois vertus théologales grandissent en nous et manifestent le travail de transformation intérieure que Dieu opère en nous pour nous conformer à sa manière d’être.

Ainsi par la foi qui nous est donnée croît la confiance en Dieu, l’adhésion au Christ, la docilité à l’Esprit Saint.
Par l’espérance nous expérimentons la capacité de résister à l’épreuve, de ne pas nous laisser broyer par la détresse – ce que l’on appellerait aujourd’hui la résilience -, de magnifier les instants de bonheur, de chanter la louange de ce qui vient.
Par l’amour répandu en nos cœurs, nous découvrons dans l’Esprit Saint le pardon et la bénédiction, même des ennemis, parce que nous apprenons à les voir à partir de Dieu, en épousant son point de vue si l’on peut dire.

 

Trois vertus en forme trinitaire

Sans détailler davantage, l’essentiel est de souligner en cette fête de la Trinité que ces trois vertus font système, comme font communion le Père et le Fils dans l’Esprit.

Foi-Espérance-Charité- Car la foi sans l’amour (et notamment l’amour des ennemis) devient vite une idéologie inhumaine. L’islamisme a disjoint les deux, comme autrefois l’Inquisition. Et des athées comme Feuerbach ont bien prophétisé au seuil du XX° siècle que la grande affaire serait justement le conflit entre la foi qui sépare (cf. les communautarismes et les intégrismes  religieux) et l’amour qui veut unir.

- À l’inverse, l’amour sans la foi devient ce vague humanisme sans racines qui caractérise l’Europe occidentale aujourd’hui. On s’y préoccupe d’aimer en occultant la question de savoir si cet amour est vrai ou non. On y promeut toutes les diversités en interdisant de poser un jugement de valeur quel qu’il soit. L’individualisme réduit l’amour à l’amour de soi. Le relativisme généralisé sert alors de boussole qui justement est incapable de fournir une direction et un sens. L’amour sans la foi s’épuise en sentiments successifs et contradictoires, sans direction ni cohérence.

- De même l’espérance sans la foi serait un rêve naïf, et son contenu une illusion pour éviter de souffrir.

- Et la foi son espérance risquerait de sacraliser trop vite ce qu’elle a commencé à réaliser, en oubliant que le royaume de Dieu ne sera jamais complètement réalisé sur terre. L’espérance oblige les Églises, les politiques à consentir à l’inachevé de leur action, à contester toute prétention totalitaire de quelque groupe que ce soit, car il y aura toujours quelque chose – ou plutôt quelqu’un – à espérer de plus grand que nos réalisations actuelles, toujours partielles.

- De même l’amour sans l’espérance se rétrécit au seul horizon de l’expérience vécue, sans dimension transcendante. C’est le risque de l’humanitaire, n’apportant aux pauvres que du pain et des moyens matériels, sans prendre en compte la soif des peuples à plus grand qu’eux.

- Réciproquement l’espérance son amour serait une affreuse comédie religieuse, une hypocrisie rituelle qui prétendrait célébrer la liturgie du ciel sans la traduire dès maintenant en actes concrets, notamment en faveur des plus petits et des plus faibles.

Pour être complet, il faudrait en plus faire jouer ces vertus deux à deux : la foi et l’amour sans l’espérance, la foi et l’espérance sans l’amour, l’amour et l’espérance sans la foi etc.

Nos inhumanités sont dramatiquement marquées d’une défiguration trinitaire (l’une des 12 défigurations relevées plus haut). C’est lorsque nous oublions l’une de ces vertus trinitaires que nous devenons « in-divins » et donc in-humains. C’est parce que nous défigurons notre ressemblance avec Dieu que notre relation aux autres devient violente, irrespectueuse, indigne, indifférente ou meurtrière.

foi-esperance-charite2 amour dans Communauté spirituelle

Croire – espérer – aimer est donc comme l’harmonique de la musique divine en nous, l’écho de la communion trinitaire, la réplique de l’identité divine dans notre identité humaine.

Que chacun s’examine : parmi ces trois vertus, quelle est ma valeur forte, ma valeur faible ?
Que notre prière nous expose alors à accepter de recevoir ce qui nous manque le plus !

 

Lectures de la messe

Première lecture
La Sagesse a été conçue avant l’apparition de la terre (Pr 8, 22-31)

Lecture du livre des Proverbes

Écoutez ce que déclare la Sagesse de Dieu : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre.
Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée, avant que le Seigneur n’ait fait la terre et l’espace, les éléments primitifs du monde.
Quand il établissait les cieux, j’étais là, quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme, qu’il amassait les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l’abîme, quand il imposait à la mer ses limites, si bien que les eaux ne peuvent enfreindre son ordre, quand il établissait les fondements de la terre. Et moi, je grandissais à ses côtés.
Je faisais ses délices jour après jour, jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »

Psaume
(Ps 8, 4-5, 6-7, 8-9)
R/ Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand, ton nom, par toute la terre !
(Ps 8, 2)

À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu fixas,
qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui,
le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?

Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu,
le couronnant de gloire et d’honneur ;
tu l’établis sur les œuvres de tes mains,
tu mets toute chose à ses pieds.

Les troupeaux de bœufs et de brebis,
et même les bêtes sauvages,
les oiseaux du ciel et les poissons de la mer,
tout ce qui va son chemin dans les eaux.

Deuxième lecture
Vers Dieu par le Christ dans l’amour répandu par l’Esprit (Rm 5, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. Bien plus, nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.

Évangile

« Tout ce que possède le Père est à moi ; l’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16, 12-15)
Alléluia. Alléluia.
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient ! Alléluia. (Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Patrick BRAUD

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2 juin 2019

Les langues de Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les langues de Pentecôte

Homélie pour la fête de Pentecôte / Année C
09/06/2019

Cf. également :

Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Lorsque la langue menait en enfer…

KTD16 langue 5Nos cathédrales romanes fourmillent de détails qui donnent à penser. Arrêtez-vous un jour de devant celle d’Angoulême, dont la splendide façade est un livre ouvert guidant le lecteur vers le retour du Christ en gloire. Vous lirez dans la première ligne horizontale des sculptures l’évocation du paradis, avec les apôtres et les médaillons des bienheureux. Dans la seconde ligne horizontale de la façade, vous verrez danser de joie ceux qui sont promis à les rejoindre, vision optimiste du purgatoire.

Du coup, vous chercherez logiquement où est évoqué l’enfer. C’est alors que vous remarquerez les deux damnés de droite et de gauche. De fait, l’évocation de l’enfer existe bien, comme possibilité tragique pour la liberté humaine de refuser la vie divine qui lui est offerte. Mais la cathédrale d’Angoulême traite l’enfer de façon « périphérique » pourrait-on dire. Deux damnés – et deux seulement, alors que les élus étaient symboliquement innombrables (cf. les séries de 10, 6, 5 médaillons) – sont sculptés à l’extrême droite et à l’extrême gauche de la façade. Ce n’est donc pas un thème central. C’est le rappel réaliste que le beau programme d’ascension dans la gloire avec le Christ ne se fera pas sans nous.

KTD16 langue 3À y regarder de près, le supplice infligé aux deux damnés est le même : ils sont assis sur une chaise richement décorée (une curule), signe de leur statut social aisé sur terre ; un diable va leur arracher la langue avec une fourche, dans un geste où sa pince franchit la limite entre les deux sculptures (un peu comme une action qui se déroule sur deux vignettes d’une bande dessinée…). Arracher la langue de ses ennemis était une pratique cruelle assez répandue autrefois… (« La bouche du juste exprime la sagesse, la langue perverse sera coupée » Pr 10,31).

C’est le péché de la langue qui a été choisi pour figurer l’enfer.
Pas le péché de l’argent, ou de la luxure, ou du pouvoir : le péché de la langue !

Car au 12° siècle, on est très sensible au mal que peut faire la langue humaine : calomnier, mépriser, humilier, se vanter, mentir, détruire… Les théologiens publient nombre d’ouvrages sur les usages de la langue qui peuvent mal se terminer… Finalement, ce supplice de l’enfer comme conséquence d’une langue mal pendue est très actuel ! Le message est clair : attention à ce que vous dites, à vos paroles, aux rumeurs que vous propagez, aux mots que vous employez pour les autres. « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous », avait prévenu Jésus… (Lc 6,38)

Les péchés de la langue étaient bien connus au Moyen Âge, et redoutés parmi les plus néfastes. La Bible les décrit sous toutes les coutures, à travers les 200 usages du mot « langue » qu’on y trouve : mensonge, hypocrisie, calomnies, insultes, arrogance, orgueil, destruction, haine, jalousie etc. La langue comme organe peut diviser et tuer ; la langue comme système d’expression peut conduire à l’idolâtrie comme pour la tour de Babel, et à la rivalité entre les peuples. « Bien des gens sont tombés par l’épée, mais beaucoup plus ont péri par la langue » (Si 28,18).

En même temps, la langue comme organe est capable de proclamer les louanges de Dieu, de prononcer la bénédiction sur le frère, sur les aliments ou la Création. Elle témoigne de la vérité, chante les psaumes, proclame que « Jésus est Seigneur » (Rm 8) et livre à l’autre les déclarations d’amour du Cantique des cantiques.

La langue comme culture est épousée par Dieu qui ne craint pas de graver la Torah en hébreu sur les deux tables de la Loi, de se faire appeler Yeshoua (Dieu sauve), en attendant d’emprunter les mots de la philosophie dans les premiers conciles.

LOMBARDGLOSSOLALIE0003En français, les expressions sont nombreuses qui détaillent les dangers de la langue : avoir la langue bien pendue est la marque des commères, être une langue de vipère caractérise les calomniateurs. On se méfie des beaux parleurs, des promesses en l’air. On se souvient du terrible pouvoir hypnotique sur les foules de la voix d’Hitler à Nuremberg ou à la radio allemande. On sait que les mots prononcés peuvent être plus meurtriers que les balles et causer plus de dégâts que les bombes. Mais prendre langue avec quelqu’un est l’amorce d’une relation.

Aujourd’hui, la langue c’est également le clavier, capable de répandre fake news et harcèlement à travers les réseaux sociaux, et capable de briser l’isolement et la censure.

Bref, la langue est ambivalente, aussi bien comme organe que comme culture. « Mort et vie sont au pouvoir de la langue, ceux qui la chérissent mangeront de son fruit » (Pr 18,21).

Capable du pire et du meilleur, elle a besoin d’une conversion radicale pour servir le bien, ainsi que le résume saint Jacques dans sa lettre :

« La langue est un petit membre, et elle se vante de grandes choses. Voici, comme un petit feu peut embraser une grande forêt ! La langue aussi est un feu; c’est le monde de l’iniquité. La langue est placée parmi nos membres, souillant tout le corps, et enflammant le cours de la vie, étant elle-même enflammée par la géhenne. Toutes les espèces de bêtes et d’oiseaux, de reptiles et d’animaux marins, sont domptées et ont été domptées par la nature humaine ; mais la langue, aucun homme ne peut la dompter ; c’est un mal qu’on ne peut réprimer; elle est pleine d’un venin mortel. Par elle nous bénissons le Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu. De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction. Il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi. » (Jc 3, 510)

« Si quelqu’un s’imagine être religieux sans mettre un frein à sa langue, il trompe son propre cœur, sa religion est vaine. » (Jc 1,26)

 

Les langues de Pentecôte

C’est le programme de la Pentecôte chrétienne : conjurer les péchés de la langue en la mettant - organe et culture - au service de la communion réalisée par l’Esprit Saint. Le discours de Pierre et des apôtres s’adressant à chaque peuple présent à Jérusalem ce jour-là accomplit la bénédiction de Babel, où Dieu accordait la diversité des langues à l’humanité pour la protéger de la tentation suicidaire de se faire l’égale de Dieu à nouveau. Dieu amorçait ainsi une communion des peuples à partir de la diversité des langues et non sans elle. Parler en langues étrangères (xénolalie en grec) est à Pentecôte le don de l’Esprit Saint à l’Église pour vivre de la même communion d’échange que celle qui existe au sein de Dieu Trinité. Déjà, l’écriteau de la croix du Christ avait été rédigé en trois langues : l’hébreu pour l’inscription locale dans la culture particulière des juifs ; le latin pour la diffusion du christianisme dans l’empire, son administration, son réseau commercial et politique ; le grec pour son rayonnement intellectuel dans le monde des idées, de l’art, de la pensée.

INRI

Malgré son caractère apparemment limité à la petite géographie de Galilée et de Judée, l’inscription « Jésus de Nazareth roi des juifs » (INRI) en trois langues (Jn 19, 19-20) était déjà une Pentecôte, ouvrant l’événement du Golgotha à l’universel, en assumant la particularité de toutes les langues. À l’inverse du Coran qui sacralise l’arabe (soi-disant parlé par Dieu lui-même à Mohamed), ni l’Ancien Testament (avec sa traduction grecque des Septante), ni le Nouveau Testament n’ont jamais enfermé la révélation dans une langue unique. Au contraire, le génie propre à chaque langue a enrichi à chaque traduction le donné révélé d’harmoniques infinies.

Les langues de Pentecôte dans Communauté spirituelle F-HamonÀ côté de ce phénomène de xénolalie qui caractérise Pentecôte, nous trouvons également une autre manifestation de l’Esprit Saint bien connue des pentecôtistes et autres Églises charismatiques : la glossolalie, c’est-à-dire le parler (ou plutôt le chanter) en langues. Il ne s’agit pas ici de parler en langues étrangères, mais dans la langue de Dieu pourrait-on dire en suivant saint Paul qui on parle longuement dans sa première lettre aux corinthiens : au-delà des mots, dans la pure louange de Celui qui est au-delà de tout, au-delà du langage. Un métalangage en quelque sorte qui n’est pas fait pour communiquer entre nous (à la différence du don de prophétie) mais pour nous tourner vers Dieu et en Dieu. Cela se traduit par un doux concert de murmures, de syllabes, d’onomatopées, de lignes mélodiques émergeant de l’assemblée en prière comme s’il y avait un chef d’orchestre invisible interprétant une partition non écrite. Un scat de Pentecôte en quelque sorte, une forme de transe ou d’extase dans un esprit de gratuité et de joie débordante, sans aucun aspect magique où l’on chercherait à avoir prise sur le divin pour l’utiliser. C’est ce concert littéralement inouï et surprenant que certains pèlerins de Jérusalem ont pris pour de l’ivresse : « ils sont pleins de vin doux » (Ac 2,13). Ils n’auraient pas dit cela s’ils avaient entendu leur langue maternelle.

Les deux phénomènes (xénolalie et glossolalie) ont donc été rassemblés, soudés l’un à l’autre en un seul pour donner plus de force à l’événement de Pentecôte. Mais on ne peut nier que le chanter en langues fut un signe majeur de la venue de l’Esprit Saint, car on le retrouve plus loin dans les Actes des apôtres comme la preuve indiscutable de cette venue sur le centurion Corneille (Pierre l’atteste en Ac 10,46) et sur une douzaine de disciples à Éphèse (Paul l’atteste en Ac 19,6). Pierre et Paul s’appuieront sur ces deux Pentecôtes ultérieures pour élargir le baptême à tous les peuples sans restriction aucune.

 

Du buisson ardent aux langues de feu

Pentecost1La louange et l’universel : les langues de Pentecôte mettent cela au cœur du message chrétien, comme des effets de la résurrection de Jésus. Et c’est déjà beaucoup. Mais il y a plus encore : des langues comme du feu se posaient sur la tête de chacun, dit le texte. Les icônes orthodoxes officielles le traduisent par des flammèches brûlant dans les auréoles au-dessus des Onze (+ Marie ?).

En français, on utilise cette image lorsque le feu lèche une construction (l’incendie du toit de Notre-Dame de Paris nous l’a rappelé). La comparaison ajoute de la violence de la force au phénomène évoqué, qui devient aussi puissant qu’un incendie et se propage à la même vitesse qu’un feu de forêt l’été dans une pinède desséchée. Un peu comme on dit d’Usain Bolt qu’il a des jambes de feu, alors que le forçat avance avec des pieds de plomb…

En fait, lorsque les apôtres ont vu cette traînée de poudre embraser la foule de Jérusalem sous l’action de l’Esprit Saint, ils ont instinctivement dû penser… au buisson ardent. Comme lui, les Onze puis la foule prennent feu inexplicablement ; comme lui ils brûlent d’amour sans se consumer ; comme lui ils sont l’humble signe par leurs visages transfigurés de la libération accordée à tous.

On peut reprendre les multiples interprétations symboliques du buisson ardent pour développer les dimensions de Pentecôte correspondantes :

Buisson ardent- Le groupe des onze de Pentecôte est à l’image du buisson un symbole de l’humilité qui doit constituer l’Église. Car ce ne sont pas des sages, ni des savants, ni des puissants, ni des gens connus, ni des religieux : ce sont de simples pêcheurs ou fonctionnaires venant de la périphérie du royaume. Comme le buisson était un simple épineux à ras du sol.

- Le buisson ne se consumant pas symbolisait l’existence éternelle d’Israël, que rien ne pourra détruire, pas même le feu des fours crématoires de la Shoah. Les langues de feu de Pentecôte annoncent que l’Église également ne sera jamais détruite dans son œuvre d’évangélisation : « les portes de la mort ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16,18).

- Un buisson ne porte pas de fruits, seulement des épines sur une terre désolée. En brûlant du ‘feu de Dieu’ le buisson fera porter à Moïse des fruits immenses de libération et de service du vrai Dieu. Le petit groupe de Pentecôte n’avait pas d’argent ni les honneurs de la société, mais en accueillant l’Esprit Saint, ils sont promis à une fécondité extraordinaire, universelle, que rien ne laissait présager selon les critères humains habituels.

- Le buisson ardent de Moïse symbolisait le don de la Torah au peuple, protectrice comme les haies d’épineux au désert, et brûlante au cœur de chacun. Les flammes de feu de Pentecôte symbolisent le don de l’Esprit Saint à l’Église, la conduisant sur les chemins de sa mission, le cœur brûlant comme sur le chemin d’Emmaüs.

- Les langues de feu nécessitent la même curiosité spirituelle que le buisson ardent : il faut faire un détour pour les observer et se laisser dérouter. Il revient à l’Église de continuer à poser ces signes qui intriguent, qui interrogent et détournent nos concitoyens de leur chemin ordinaire en sollicitant leur curiosité spirituelle. Comme Moïse, les pèlerins de Jérusalem font le détour pour voir ce phénomène étrange qu’est la sobre ivresse de l’Esprit faisant exulter un petit groupe de pêcheurs judéens.

- Comme le buisson ardent envoyant Moïse à son peuple, la flamboyante Pentecôte fait de chacun un missionnaire dans sa culture et dans sa langue.

Devenir comme un buisson ardent est le fruit de l’Esprit de Pentecôte. C’est à la fois un phénomène politique : s’engager avec Dieu pour la libération de son peuple, et une expérience mystique : être transporté en Dieu, le laisser devenir notre identité la plus intime. Loin d’être un feu dévorant ou destructeur, l’effusion de l’Esprit de Pentecôte est un feu personnalisant : plus l’Esprit m’unit à Dieu, plus je deviens moi-même, de manière singulière (cf. le rôle de chacun des Onze) et particulière (cf. la langue étrangère différente parlée par chacun), ouverte sur l’universel.

Les deux dimensions vont ensemble : pas de dynamisme missionnaire sans expérience mystique (être brûlé par l’Écriture, embrasé de l’amour de Dieu, exulter de louange etc.) ; pas de spiritualité authentique sans prise en charge des conséquences politiques, sociales et économiques de l’évangélisation à travers toutes les frontières.

 

MESSE DU JOUR

Première lecture
« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

Psaume
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
ou : Alléluia !
(cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

Deuxième lecture
« Tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu » (Rm 8, 8-17)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.
Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais elle n’est pas envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez. En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.

Séquence

Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort.
Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles.
Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.
À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.
Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen

Évangile

« L’Esprit Saint vous enseignera tout » (Jn 14, 15-16.23b-26)
Alléluia. Alléluia.
Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »
Patrick BRAUD

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