L'homélie du dimanche (prochain)

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18 mai 2025

Si vous m’aimiez…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Si vous m’aimiez…


Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année C
25/05/25


Cf. également :
Se réjouir d’un départ 

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…
L’agneau mystique de Van Eyck

Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
La gestion des conflits
L’Esprit et la mémoire
Dieu nous donne une ville
L’Esprit nous précède
Lier Pâques et paix
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous
Les chrétiens sont tous des demeurés
Ton absence…
Ascension : la joyeuse absence

 

1. Ne pleure pas si tu m’aimes

La mort n’est rien, je suis seulement passé de l’autre côté,
Je suis Moi, tu es Toi.
Ce que nous étions l’un pour l’autre, je le suis toujours.
Donne-moi le nom que tu m’as toujours donné,
Parle-moi comme tu l’as toujours fait,
N’emploie pas un ton différent,
Ne prends pas un air solennel ou triste,
Continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Prie. Souris. Pense à moi. Prie pour moi.
Que mon nom soit prononcé à la maison comme il l’a toujours été :
sans emphase d’aucune sorte , sans une trace d’ombre.

La vie signifie toujours ce qu’elle a toujours signifiée,
Elle reste ce qu’elle a toujours été : le fil n’est pas coupé.

Pourquoi serai-je hors de ta pensée ? Simplement parce que je suis hors de ta vue ? 
Je t’attends, je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin…

Tu vois, tout est bien…
Ne pleure pas si tu m’aimes !
Si tu savais le don de Dieu et ce qu’est le ciel !
Si tu pouvais d’ici entendre le chant des anges et me voir au milieu d’eux !
Si tu pouvais voir se dérouler sous tes yeux les horizons et les nouveaux sentiers où je marche !

Si un instant, tu pouvais contempler comme moi la Beauté devant laquelle toutes les beautés pâlissent !
Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens comme elle a brisé ceux qui m’enchaînaient, et quand, un jour que Dieu seul connaît, ton âme viendra dans ce ciel où l’a précédée la mienne… ce jour-là, tu me reverras et tu retrouveras mon affection purifiée.
À Dieu ne plaise qu’entrant dans une vie plus heureuse, je sois fidèle aux souvenirs et aux vraies joies de mon autre vie et sois devenu moins aimant.
Tu me reverras donc, transfiguré dans l’extase et le bonheur, non plus attendant la mort, mais avançant, d’instant en instant avec toi, dans les sentiers nouveaux de la Lumière et de la Vie !

Alors… essuie tes larmes, et ne pleure plus…
Si tu m’aimes !…
St Augustin

Ce texte est souvent choisi par les familles en deuil pour accompagner la célébration des obsèques d’un proche. En le lisant, je me rappelle immanquablement les funérailles traditionnelles que j’ai vécues autrefois (il y a 45 ans !) en Afrique Noire. Quand c’est un ‘vieux’ – rassasié de jours – ou un notable qui meurt, le village organise trois jours de fête avec repas et bière de mil à volonté pour tous. Parfois, on sort les masques qui dansent pour accueillir le défunt dans la compagnie des ancêtres. Et puis une longue procession avec tambours, chants, youyous des femmes et pas de danse de la foule transporte le cercueil du défunt jusqu’au cimetière. J’ai vu des cercueils voler en l’air portés par des explosions de vieux fusils et l’allégresse de la multitude se passant le cercueil à bout de bras pour se réjouir du sort du défunt ! Les fanfares de jazz entourant le corbillard dans sa marche funèbre à la Nouvelle-Orléans en Louisiane sont un héritage direct de ce rapport joyeux à la mort, qui en étonne plus d’un…

Et si c’était eux qui avaient raison ? Un certain christianisme européen avait transformé le deuil en tristesse obligée, en chagrin démonstratif, avec catafalques, crêpes noirs et pleureuses de circonstance. La modernité a inversé ce rapport dramatique à la mort en l’évacuant de notre horizon : on meurt à l’hôpital, seul le plus souvent. On incinère discrètement, sans flonflons ni fanfares. On revient au bureau ou à l’usine deux jours après, comme si rien ne s’était passé, comme s’il ne fallait pas en parler.

Entre ces deux extrêmes, l’Évangile de ce dimanche (Jn 14,23-29) nous invite à concevoir l’absence autrement : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je pars vers le Père ».

Comment se comprendre ce lien absence–joie établie par le Christ ?

 

2. Vous ne m’aimez pas

Saint Augustin – toujours lui ! – relève d’abord que Jésus gifle ses amis par cette remarque cinglante :

Si vous m’aimiez… dans Communauté spirituelle« Si vous m’aimiez » ; que veulent dire ces mots ? « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père. – Si vous m’aimiez », ne signifie-t-il donc pas : « Vous ne m’aimez pas ?  » Mais alors qu’aimez-vous ? La chair que vous voyez et que, pour ce motif, vous, ne voulez pas perdre de vue. Mais « si vous m’aimiez », moi, moi-même qui suis le Verbe existant dès le principe, existant en Dieu et Dieu même, comme le dit encore saint Jean ; « si donc vous m’aimiez » en tant que je suis le Créateur de toutes choses, « vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père ». […]

Défaites-vous donc de vos désirs trop humains. Il semble que le Seigneur ait dit à ses Apôtres : « Vous ne voulez pas me quitter : tous vous êtes comme celui qui ne veut pas se séparer de son ami et qui lui dit en quelque sorte : Reste avec nous encore un peu de temps, car notre âme se ravive en te voyant ; mais il vous sera plus avantageux de ne plus voir ce corps et de songer davantage à ma divinité ».

(Sermon 264)

 

‘Tu ne m’aimes pas’ : oseriez-vous dire cela à votre ami intime ? à votre conjoint ? à votre collègue ou responsable hiérarchique ?

‘Si vous m’aimiez’ => ‘Vous ne m’aimez pas’ : par cette implication logique, saint Augustin souligne le double courage de Jésus, qui peut devenir le nôtre :

– le courage du constat

– le courage du reproche

 

Constater courageusement

On peut se faire illusion, de bien des manières, et longtemps, afin de sauvegarder l’apparence d’une relation de qualité avec des proches, des amis, des collègues, un conjoint.

Le déni est la stratégie inconsciente la plus répandue pour éviter une difficulté, un conflit, une rupture.

En ce moment par exemple, le déni du risque de guerre en Europe tente à nouveau les pacifistes de tous bords – catholiques, LFI ou RN – au nom de beaux idéaux. Ce même déni a déjà paralysé Chamberlain et Daladier devant Hitler, les communistes français devant les goulags russes, les belles âmes maoïstes devant la Révolution culturelle chinoise ou les camps de rééducation de Pol Pot etc. …

 

Constater un désamour demande du courage. Accepter que le réel soit ce qu’il est demande de quitter sa grille de lecture habituelle.

Un écrivain racontait un jour cette anecdote : lors d’une randonnée en montagne avec un ami, tous deux se perdent au milieu des massifs et des sentiers. Son ami déploie alors une carte, observe attentivement les lignes du relief autour de lui et déclare solennellement : « Ce paysage est faux ! ». Plutôt que de remettre en cause sa lecture des cartes, il préférait s’enfermer dans sa vision idéologique du monde qui l’entoure, quitte à affirmer que ce monde n’existe pas s’il ne correspond pas à ce qu’il veut y lire !

Cette anecdote rappelle le lapsus d’Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle de 2022 (03/02/22), qui mérite également une palme : « Je ne vois que ce que je crois ». On ne saurait mieux décrire l’aveuglement idéologique qui empêche de voir le réel (ce qui nous guette tous) !

Ainsi en est-il de nos désamours : ils devraient nous crever les yeux, et nous préférons détourner le regard pour continuer à y croire.

Combien se sont laissé détruire par ce refus de voir ce qui est ?

 

Jésus, lui, ne laisse pas s’installer de fausses amitiés, de dangereux sous-entendus.

Non, Pierre, tu n’es pas mon ami si tu veux éviter la Croix.

Non, Judas, tu ne sers pas la cause des pauvres en rêvant de violence et de domination inversée.

Non, Marie, tu n’es pas ma mère si tu mets les liens du sang au-dessus des liens de la Parole.

Il faut prendre conscience de la violence véhiculée par le courage du constat.

Dire : ‘Tu ne m’aimes pas’, c’est violent, c’est risqué. Dans la bouche de Jésus, c’est salvateur, car il appelle ainsi ses amis à une opération-vérité : pouvez-vous m’aimer pour moi-même, et non pour le réconfort que je vous apporte ?

 

Le courage du reproche

coeur-amour-geste-mains-t157h0 amour dans Communauté spirituelleJésus ne s’arrête pas au triste constat : « Vous ne m’aimez pas ». Il formule le grief qu’il ressent à l’encontre de ses amis : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez ». Il leur reproche de ne pas se réjouir pour lui, car ils s’attristent pour eux. Ce reproche n’a pas pour but de rompre le lien avec eux : au contraire, il leur indique la voie pour une autre communion d’amour avec lui. Autrement dit, il ne nous reproche pas pour s’éloigner, mais pour nous rendre proches à nouveau.

Il reproche pour rapprocher.

Trouver le ton juste, le bon moment, les paroles qui conviennent à ce type de reproche est l’œuvre de l’Esprit de Dieu en nous.

Proféré avec menace, il peut tout casser.

Dis au mauvais moment, il est inaudible.

Rempli de paroles destructrices, il peut désespérer.

Le reproche dans l’Esprit est une main tendue ; il propose à l’autre une alternative pour contourner l’obstacle ; il désire qu’il change et non qu’il disparaisse.

 

« Celui qui fait la vérité vient à la lumière », et « cette vérité vous rendra libres ». Le reproche ‘façon Jésus’ est l’opération-vérité qui, avec nos collègues, notre famille, nos amis, nous permettra de ne pas mettre sous le tapis les blessures subies, et nous rendra mutuellement libres pour franchir une nouvelle étape dans notre relation.

 

3. Si vous m’aimiez…

depositphotos_63587897-stock-illustration-i-love-jesus-heart-sign JésusQue propose Jésus à ses amis pour surmonter leur égoïsme ? De se réjouir de ce qu’il devient, et non de s’attrister de ce qu’il n’est plus. Reprenez l’image du deuil évoqué par saint Augustin. La plupart des gens pleurent sur eux-mêmes plus que sur leur défunt ! Ils sont tristes de ne plus recevoir de lui affection, chaleur humaine, présence, amour, amitié. Mais ils ne pensent pas un seul instant à ce que le défunt devient en Dieu à travers la mort ! Or, si c’est vraiment la communion avec Dieu et en Dieu qui nous attend, comment pourrait-on être triste pour l’être aimé qui va rejoindre cette plénitude ? Demandez aux mères : la douleur de l’accouchement s’efface devant la joie de voir une autre vie apparaître. Demandez aux parents qui ont appris à se réjouir du départ de leurs enfants, car ils doivent aller vers eux-mêmes.

Il est possible – et même salutaire – de se réjouir de l’absence d’un être aimé…

Sans cette espérance de le savoir en Dieu, il ne reste plus que le chagrin et la blessure.

VentsLeman reproche

Le vent souffle où il veut…

 

Garder sa Parole, c’est vivre dans la liberté de l’Esprit, qui sait tirer du neuf de l’ancien.

C’est ne jamais s’arrêter à ce qu’on a cru comprendre de la foi.

C’est privilégier l’inspiration à la copie, le pont à la barrière, l’Exode à la servitude.

« Le vent souffle où il veut » : si nous aimons le Christ, nous garderons sa Parole dans le souffle de l’Esprit, qui nous conduit vers la vérité tout entière en renouvelant toute chose.

 

Oser reprocher, avec le désir de bâtir une communion plus vraie, plus forte : que la parole du Christ nous apprenne cette patience envers les autres et envers nous-mêmes!
Si toutefois nous aimons le Christ plus que ce qu’il nous apporte…

 


Lectures de la messe


Première lecture
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15, 1-2.22-29)


Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, des gens, venus de Judée à Antioche, enseignaient les frères en disant : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question. Les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas. Voici ce qu’ils écrivirent de leur main : « Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris, sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi, nous avons pris la décision, à l’unanimité, de choisir des hommes que nous envoyons chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul, eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit : L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »


Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble !
ou : Alléluia.
 (Ps 66, 4)


Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.


Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.


La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !


Deuxième lecture
« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel » (Ap 21, 10-14.22-23)


Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ange. En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu : elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident. La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau. Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.


Évangile
« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 23-29)
Alléluia. Alléluia.
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
Patrick BRAUD

 

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10 mai 2025

Pourquoi rester dans l’Église ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pourquoi rester dans l’Église ?

 

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année C
11/05/25


Cf. également :
Dieu fait feu de tout bois

Il est fou, le voyageur qui…
Secouez la poussière de vos pieds
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
L’agneau mystique de Van Eyck
« Passons aux barbares »…
Du bon usage des leaders et du leadership
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
À partir de la fin !
Comme une ancre jetée dans les cieux
L’événement sera notre maître intérieur
La parresia, ou l’audace de la foi

 

Lumière des nations
Pourquoi rester dans l’Église ? dans Communauté spirituelle maxresdefaultÀ Pâques 2024, 7 135 adultes ont été baptisés (environ 11 200 sur l’année). Réjouissant ! Évidemment, cela ne comble pas le déficit des baptêmes d’enfants (qui s’écroulent), mais c’est un signe fort. À condition que ces néophytes (nouvelles plantes, en grec) prennent racine et restent dans le terreau commun pour porter du fruit avec les ‘anciens’ baptisés. Or beaucoup de néophytes décrochent après le  temps fort pascal. On ne sait pas combien exactement (certains estiment les départs à 75 % !), mais cela pose question. Pourquoi ? Par manque d’accompagnement sans doute : livrés à eux-mêmes après le temps fort du catéchuménat, ces néophytes n’ont plus d’équipe à leurs côtés, et trouve bien décevante la grisaille paroissiale après l’intensité de leur parcours initiatique. Finalement, ils rejoignent la cohorte de ceux qui désertent peu à peu nos assemblées, sur la pointe des pieds, sans rien dire.

 

Tout cela pose la question : pourquoi rester dans l’Église ? Comme interrogeait Jésus : « Et vous, voulez-vous partir vous aussi ? » (Jn 6,67)

Il faut bien avouer que le visage de l’Église catholique n’est guère brillant en ce moment dans notre pays : abus sexuels en masse (au point de se demander si ce n’est pas ‘systémique’…), conservatisme moral et liturgique, abus de pouvoir, cléricalisme, retour des croyances magiques et désuètes… Il faut avoir le cœur bien accroché pour ne pas s’enfuir à la vue des tumeurs défigurant le corps ecclésial !

Chaque période sombre de l’histoire de l’Église fait ainsi revenir le doute : pourquoi rester ?

La conviction de Paul dans notre première lecture (Ac 13,14-52) nous heurte alors de plein fouet : « Nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ».

https://s1.1zoom.me/big0/437/Lighthouses_Night_Fog_465001.jpgPaul ne peut ni ne veut déserter, malgré l’adversité, car cette vocation héritée du prophète Isaïe va le tenir debout, jusqu’au martyre. Isaïe le premier a conscience en effet de jouer un rôle universel : « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations » (Is 42,6). « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49,6). Nouvel Isaïe, Jésus assumera au plus haut point l’universalisme de la foi biblique, n’hésitant pas à accomplir la Torah pour qu’elle serve la Nouvelle Alliance de tous les peuples avec YHWH. Dans l’élan de son Esprit, les chrétiens continueront à annoncer que l’Évangile est pour tous et à croire que la lumière émanant du Christ est universelle. Jean dira ainsi que la Jérusalem nouvelle, la ville ultime que l’Église anticipe ici-bas, sera le centre d’attraction du monde entier : « Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y porteront leur gloire » (Ap 21,24). Il reprend ainsi la prophétie d’Isaïe annonçant avec audace que le petit bourg de Jérusalem deviendra un phare illuminant toutes les nations : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Is 60,3).

 

Quel contraste entre la vocation universaliste de Jérusalem/l’Église et leur apparence actuelle !

Même réduite à quelques poignées de condamnés promis aux fauves des cirques romains, l’Église naissante n’a pas déserté, car elle était habitée par la conviction de détenir en elle un trésor pour tous, même pour ses bourreaux.

 

Lunaire Église

S’interrogeant sur son identité et sa vocation, l’Église catholique réunie au concile Vatican II a commencé sa Constitution dogmatique sur l’Église par ces termes :

040c9e2a92f71ecc583f1107595a3144 Eglise dans Communauté spirituelle« Le Christ est la lumière des peuples : réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église » (Lumen Gentium n°1).

Commentant ce texte auquel il avait contribué en tant que jeune expert théologien, le futur pape Benoît XVI repartait de l’allégorie patristique Christ–soleil/Église-lune [1] pour expliquer pourquoi lui restait dans l’Église alors que beaucoup la quittaient – déjà ! – dans les années 70 :

« Comment peut-on, au regard de la situation actuelle, justifier le fait de demeurer dans l’Église ? […] 

J’aimerais […] fournir une première réponse sous forme d’une analogie. […] Nous avions dit qu’en examinant l’Église de trop près nous avions fini par perdre de vue l’ensemble. On peut approfondir cette idée en la rapprochant d’une image que les Pères de l’Église ont mise en évidence dans leur interprétation symbolique du monde et de l’Église.

Ils expliquèrent que la lune figurait dans l’organisation du cosmos ce qu’était l’Église dans l’organisation du salut, au sein du cosmos intellectuel et spirituel. […]

L’Église reflète la lumière du Christ !

Pour les Pères, l’application à l’Église de la symbolique de la lune découlait de deux idées principales : d’une part de la correspondance entre la lune et la femme (la mère), d’autre part de l’idée que la lune n’est pas source de lumière, puisqu’elle la reçoit d’Hélios. Sans lui, elle ne serait qu’obscurité ; elle brille, mais sa lumière n’est pas sa lumière, c’est la lumière d’un autre. Elle est lumière et obscurité à la fois. Elle-même n’est qu’obscurité, mais elle dispense une clarté, qui lui vient d’un autre, dont la lumière se propage par son intermédiaire. C’est exactement en cela qu’elle représente l’Église, qui illumine bien qu’elle ne soit elle-même qu’obscurité : elle ne puise pas la lumière en elle-même, mais elle la reçoit du véritable Hélios, le Christ, si bien qu’elle peut, bien qu’elle ne soit elle-même qu’un amas de pierre […], éclairer les ténèbres dans lesquelles nous vivons de par notre éloignement de Dieu – « la lune nous raconte le mystère du Christ » (Saint Ambroise).

 

Cette image patristique affirmant que l’Église est au Christ ce que la lune est au soleil permet de tenir ensemble deux lignes :

– L’Église n’est pas le Christ. 

Elle en dépend tout entière. Elle ne s’annonce pas elle-même. Elle n’a pas pour but de sa croissance, son pouvoir, sa réussite. Elle désire seulement refléter pour tous l’unique lumière qu’est le Christ, telle la lune pour le soleil. Il y a donc une réelle distance entre le Christ et l’Église, aussi grande que celle qui sépare la lune du soleil !

– L’Église est inséparable du Christ.

Elle vit par lui et pour lui. Sans elle, le monde marche dans les ténèbres comme lors des nuits sans lune.

En effet, si l’Église est distincte du Christ, dont elle est un signe, elle n’est pas seulement un signe du salut offert en Jésus-Christ, elle en est également un moyen, un instrument (comme l’écrit Vatican II). C’est toute la différence entre le simple signe et le symbole, dans une approche symbolique de la réalité sacramentelle. Le signe ne fait que désigner un autre que lui-même; le symbole (sacrement) rend présent ce qu’il annonce. C’est dire que l’Église est le signe efficace qui manifeste la présence de Dieu, elle est le symbole réel qui contient et rend présent Celui qu’elle révèle. Celui qu’elle signifie n’est pas séparé d’elle. Elle n’est pas un intermédiaire, mais une médiation dans l’Esprit-Saint, car « la communication du Christ, c’est l’Esprit Saint » [2]. Elle n’est pas simplement l’échafaudage nécessaire dans la construction d’une tour (le Royaume), qu’on enlève une fois la tour terminée parce qu’on n’en a plus besoin; elle est elle-même l’échafaudage et le matériau de la tour encore inachevée. C’est parce qu’elle est sacrement du salut que l’Église est la « société de l’Esprit » (St Augustin).

 

illustration-chr%C3%A9tienne-logo-de-l-%C3%A9glise-la-croix-est-un-symbole-du-salut-monde-bible-dieux-r%C3%A9v%C3%A9l%C3%A9-v%C3%A9rit%C3%A9-261729704 luneJoseph Ratzinger devenu pape reprendra cette double dépendance de l’Église : de Dieu, pour le monde : « elle ne devrait pas se regarder elle-même, mais parler de l’autre, pour l’autre » (16/09/2010). Lumen Gentium opère ainsi un décentrement de l’Église vers Dieu pour caractériser l’identité la plus profonde de l’Église. Gaudium et Spes opérera un décentrement similaire, de l’Église vers les hommes de ce temps, vers le monde à évangéliser.
Vatican II inscrit donc au cœur de l’identité ecclésiale un double exode, une double ex-stase, vers Dieu et vers les hommes. L’Église se reçoit de Dieu dans son être et dans sa mission, avant d’agir, pour et avec les hommes. Elle existe à partir d’un Autre qu’elle-même, et pour le communiquer à d’autres. Une Église qui est appelée à se dépouiller, dans l’humilité et la pauvreté qui sont celles de l’amour trinitaire, afin qu’à travers elle, un Autre se révèle.

Cette vision d’une « Église servante et pauvre » [3], en exode d’elle-même pour un monde lui-même en exode et en attente du retour en Dieu, est l’une des intuitions-clés de Vatican II. Impossible de s’installer dans cette marche au désert ! Cette double pro–existence fait entrer l’Église dans le mouvement eucharistique du Christ lui-même. Le pour Dieu fonde le pour les hommes qui vérifie le sérieux du pour Dieu. Le pour Dieu est le gage d’une fidélité à l’Évangile, d’une parole qui nous est donnée sans nous appartenir. Le pour les hommes est le gage de l’incarnation véritable de cette parole dans l’histoire. Le pour Dieu dit la communion comme visée et comme chemin. Le pour les hommes ancre ce désir de communion dans une transformation véritable de l’histoire humaine. Tenir ce double décentrement, vivre cette double pro–existence est une tension inhérente à la nature de l’Église : « rendre grâce à Dieu » et « vivre en grâce avec nos frères ». Une telle tension empêche de durcir les fausses oppositions entre liturgie et mission, entre Église rassemblée et Église à faire naître, entre visibilité et enfouissement etc…

 

Vatican II exprime ce double lien Christ–Église en termes de sacrement : « L’Église est dans le Christ en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (LG 1).

Comme la lune renvoie au soleil, l’Église est signe parce qu’elle renvoie à un autre qu’elle-même. Elle en indique la direction, comme le panneau routier fait signe et indique vers où aller.

Comme la lune reflète la lumière du soleil, l’Église est un moyen parce que n’est pas extérieure à la communion d’amour qu’elle annonce : en son sein, chacun peut déjà goûter l’union intime avec Dieu et l’unité fraternelle.

 

Des phases plus ou moins lumineuses

Saint Cyrille d’Alexandrie écrit : « L’Église est auréolée par la lumière divine du Christ, qui est la seule lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière : mais dans cette unique lumière, l’Église resplendit aussi, sans pour autant être le Christ lui-même ». L’Église ne peut pas mourir mais elle connaît des phases plus ou moins lumineuses.

Dans les périodes les plus sombres, celles où l’Église, de par son caractère lunaire, semble ne plus beaucoup refléter la lumière du Christ, il est bon de se souvenir de cette symbolique patristique pour ne pas perdre l’espérance et pour demeurer fidèles à ce que l’Église a toujours tenu pour vrai à cause de sa conformité avec l’enseignement du Christ. Si des paroles d’hommes d’Église se détournent du message évangélique, par des interprétations et des adaptations douteuses, elles ne doivent pas être occasion pour nous de tristesse incontrôlée mais invitation à renouveler notre propre vie spirituelle, à demeurer fidèles à ce qui appartient à jamais à la lumière du Christ.

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L’Église est lunatique, c’est-à-dire changeante comme la lune :

– tantôt mouvante comme le dernier quartier de lune, elle semble sur le point de disparaître tellement elle offre peu de surface à la réflexion de l’unique lumière divine.

– tantôt rayonnante comme la pleine lune, elle semble tout baigner de lumière et infuse dans la société des fruits de justice, de bonté, de beauté.

– tantôt renaissante comme le premier quartier de lune, elle émerge d’une période sombre où elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, comme si sa face cachée avait tout envahi. Mais le Christ lui donne de se renouveler – grâce notamment aux saints, aux théologiens, aux missionnaires etc. – et un nouvel âge d’or succède à l’éclipse précédente.

 

Joseph Ratzinger poussait la comparaison jusqu’à évoquer l’aridité de l’Église sans le Christ :

Surface-Lunaire Vatican IIL’astronaute ou la sonde lunaire ne découvrent sur la lune qu’un désert, des pierres, du sable et des montagnes, mais aucune source de lumière : la lune n’est en définitive que cela, elle n’est qu’un désert de sable et de pierres. Et pourtant, elle est, non pas en soi, mais parce qu’elle reçoit et réfléchit la lumière, source de lumière et elle le reste à l’époque des voyages dans l’espace. […] 

Alors je pose la question : n’avons-nous pas là une image véritable de l’Église ? Celui qui emprunte la navette spatiale pour faire des prélèvements sur l’Église et l’étudier, ne découvrira que le désert, le sable et les pierres, ne découvrira que l’humanité de l’homme et de son histoire avec ses déserts, sa poussière et ses montagnes. C’est ce qui lui est propre. Mais ce n’est pas ce qui la caractérise. L’essentiel est qu’elle est lumière bien qu’elle ne soit elle-même que sable et pierres, lumière provenant du Seigneur, provenant de l’Autre : ce qui ne lui est pas propre est en réalité véritablement ce qui lui est propre, sa caractéristique particulière, oui, elle trouve son essence dans le fait qu’elle n’a aucune valeur en elle-même, dans le fait que ce qui compte chez elle est précisément ce qu’elle n’est pas, et qu’elle n’existe que pour être dépossédée – qu’elle est source de lumière, alors qu’elle n’est pas lumière et que, de ce fait même, elle est néanmoins lumière. […]

Les astronautes qui posent leur scaphandre sur le sol lunaire ne voient que cailloux, poussière, atmosphère hostile. Ainsi l’Église sous la lunette des sociologues, des historiens, des analystes en tous genres. L’Église n’a pas grand-chose en elle-même pour plaire : son éclat lui vient d’un autre, du Christ, et non de ses trouvailles ou même de son génie. Dans ces périodes pitoyables où elle est défigurée et méconnaissable, l’Église garde pourtant sa beauté secrète : refléter quelque chose de la beauté du Christ, transmettre son Évangile, annoncer un Dieu-Trinité communion d’amour offerte à tous, que les sacrements permettent déjà de goûter. Lorsqu’elle vit de son message, l’Église est lumineuse comme la pleine lune. Lorsqu’elle le contredit en paroles ou en actes, l’Église n’est plus que poussière caillouteuse et inhospitalière. Même là cependant, elle demeure un signe qui indique ‑ faiblement – le Christ, un moyen pour aller vers lui.

 

Pour revenir à notre problématique de départ, le caractère lunaire de l’Église peut désormais nous aider à ne pas désespérer de la voir si affaiblie, ou si laide, ou si froide. Même déformée et obscurcie par elle, la lumière des nations qu’est le Christ continuera à guider notre marche. Voilà pourquoi rester dans l’Église, surtout à ses heures les plus sombres, est vital : déserter serait se condamner soi-même à marcher dans la nuit noire…

______________________________________

[1]. « Pourquoi je suis encore dans l’Église », Joseph Ratzinger, Conférence de Munich, 4 juin 1970, à l’occasion du 60°  anniversaire du concile Vatican II.
[2]. Irénée de Lyon, Adversus Haereses, t.1.III c 24,1.
[3]. L’expression vient de St Augustin, cf. CONGAR Y., Pour une Église servante et pauvre, Cerf, coll. L’Église aux cent visages, Paris, 1963.


Lectures de la mess


Première lecture

« Nous nous tournons vers les nations païennes » (Ac 13, 14.43-52)


Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place. Une fois l’assemblée dispersée, beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique les suivirent. Paul et Barnabé, parlant avec eux, les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu. Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région. Mais les Juifs provoquèrent l’agitation parmi les femmes de qualité adorant Dieu, et parmi les notables de la cité ; ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire. Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium, tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.


Psaume
(Ps 99 (100), 1-2, 3, 5)
R/ Nous sommes son peuple, son troupeau. ou : Alléluia.
 (cf. Ps 99, 3c)


Acclamez le Seigneur, terre entière,

servez le Seigneur dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !


Reconnaissez que le Seigneur est Dieu :

il nous a faits, et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.


Oui, le Seigneur est bon,

éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.


Deuxième lecture
« L’Agneau sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie » (Ap 7, 9.14b-17)


Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. L’un des Anciens me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »


Évangile
« À mes brebis, je donne la vie éternelle » (Jn 10, 27-30)
Alléluia. Alléluia.
 Je suis, le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. »
Patrick BRAUD

 

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20 avril 2025

Un seul cœur, une seule âme

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Un seul cœur, une seule âme

 

Homélie du 2° Dimanche de Pâques / Année C
27/04/25


Cf. également :
 
Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel
Quand vaincre c’est croire
Thomas, Didyme, abîme…
L’esprit, l’eau et le sang 
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?


1. La France éparpillée, façon puzzle

« Moi les dingues, j’les soigne, j’m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, j’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle… Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse, j’ventile ».

L'Archipel français: Naissance dune nation multiple et diviséeLes cinéphiles auront reconnu une des répliques-cultes ciselées par Michel Audiard dans le film « les Tontons Flingueurs » (1963) ! Eh bien, il faut croire que la France est devenue un peu dingue, plus dingue que Raoul ! En effet, les sociologues et politologues analysant depuis des décennies l’évolution de notre société cumulent des diagnostics de plus en plus inquiétants sur les fractures françaises. Le sentiment d’insécurité culturelle (Laurent Bouvet, 2015) se répand de plus en plus dans certaines catégories populaires ou rurales. C’est un sentiment diffus de dilution de l’identité nationale dans un melting-pot de communautarisme à l’anglo-saxonne. Certaines enclaves paraissent même vivre à l’écart des autres et en dehors du mode de vie traditionnel : ce sont les fameux territoires perdus de la de la république (Georges Bensoussan, 2002).

Cet éparpillement façon puzzle – pour reprendre les mots d’Audiard – conduisent à une dangereuse archipélisation de la France (Jérôme Fourquet, 2019) en de multiples îlots juxtaposés, mais étrangers les uns aux autres. La société française apparaît de plus en plus clivée, où les fractures territoriales, sociales, culturelles, politiques et religieuses s’imbriquent mutuellement. La France périphérique (Christophe Guilluy, 2014) a engendré les manifestations des ‘Gilets jaunes’ en octobre 2018, et continue à dériver loin des métropoles, loin des banlieues et quartiers populaires. Ces oppositions rejoignent les clivages repérés par David Goodhart (The road to somewhere, 2017) entre les Somewhere et les Anywhere, les enracinés et les cosmopolites, les perdants et les gagnants de la mondialisation…

 

Bref : depuis l’effondrement après-guerre de la matrice catholique qui maintenait une certaine unité sociale, la cohésion de la société française est mise à rude épreuve, source de profonds changements à venir, et des violences qui vont avec…

 

2. Un unanimisme de façade ?

Cette archipélisation touche-t-elle l’Église de France ? Les catholiques ne sont-ils pas unis, et ce d’autant plus qu’ils se savent minoritaires ?

La première lecture de ce dimanche (Ac 4,32-35) nous fait rêver. Elle dépeint une communauté chrétienne n’ayant qu’« un seul cœur et une seule âme », partageant ses richesses pour prendre soin des pauvres, rendant témoignage à la résurrection de Jésus « avec grande puissance »… Trop beau pour être vrai ?

Acts 4:33-35 Ananie et SaphireLuc lui-même montre à plusieurs reprises dans les Actes des Apôtres que cette vision de l’Église unie est idyllique. Cela commence tout de suite après le beau tableau précédent avec Ananie et Saphire (Ac 5,1-11) qui trichent dans le partage de leurs biens, ce qui leur vaut une mort symbolique (une excommunication sans doute) par Pierre en personne. Certains dans la communauté avaient donc le cœur trop près du portefeuille ! Visiblement, tous ne jouent pas le jeu de ce communisme ecclésial idéal, et ce dès le début…


Les fractures internes s’aggravent avec les conflits opposant Grecs et Hébreux dans l’Église de Jérusalem : « En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien » (Ac 6,1). Le risque de division est si fort, si grave, qu’on invente alors le ministère diaconal – sous l’inspiration de l’Esprit Saint – pour éviter la rupture (Ac 6,5-6).


Plus tard, un autre conflit opposera les partisans de la circoncision qui veulent l’imposer aux nouveaux baptisés non juifs. Conflit redoublé avec la question des viandes provenant des sacrifices d’animaux faits aux idoles : peut-on les manger ou non ? Il faudra convoquer une assemblée de crise avec tous les courants représentés ; il faudra l’autorité collégiale des Douze, l’autorité singulière que Pierre mettra dans la balance, et la prière et le discernement de tous pour que ce premier concile de Jérusalem apaise quelque peu les tensions (Ac 15).


Le problème n’est pas réglé pour autant, car les judéo-chrétiens continuent de s’attacher aux prescriptions alimentaires et rituelles de la Torah, ce qui les coupent des autres (séparatisme religieux, déjà !). Paul est obligé de tonner contre Pierre en lui reprochant cette complicité avec des pratiques fragmentant la communauté (aujourd’hui, il tournerait contre la cacherout, le halal et autres coutumes séparatistes !) : « Quand Pierre est venu à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, parce qu’il était dans son tort. En effet, avant l’arrivée de quelques personnes de l’entourage de Jacques, Pierre prenait ses repas avec les fidèles d’origine païenne. Mais après leur arrivée, il prit l’habitude de se retirer et de se tenir à l’écart, par crainte de ceux qui étaient d’origine juive. Tous les autres fidèles d’origine juive jouèrent la même comédie que lui, si bien que Barnabé lui-même se laissa entraîner dans ce jeu. Mais quand je vis que ceux-ci ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre devant tout le monde : “Si toi qui es juif, tu vis à la manière des païens et non des Juifs, pourquoi obliges-tu les païens à suivre les coutumes juives ?” » (Ga 2,11-15).

Le même Paul, au caractère visiblement irascible, va se fâcher avec son collègue Barnabé ‑ à cause de Marc –, si bien qu’on faillit en venir aux mains : « L’exaspération devint telle qu’ils se séparèrent l’un de l’autre » (Ac 15,39) ! Même entre apôtres, on peut avoir de telles incompatibilités d’humeur qu’il vaut mieux rester loin l’un de l’autre pour éviter les clashs !

 

Tout cela lézarde significativement le bel unanimisme de façade proclamé dans notre première lecture…

Ces lézardes s’élargiront jusqu’à constituer des gouffres, des schismes, des oppositions meurtrières générant des guerres de religion et massacres en tout genre dans l’histoire des Églises. Le schisme de 1054 entre l’Orient et l’Occident déchire pour longtemps le tissu ecclésial. La réforme de Luther au XVI° siècle a mis l’Europe à feu et à sang. Et depuis, les protestants ne cessent de s’éparpiller façon puzzle : à chaque fois qu’un leader ne pense pas comme les autres, il fonde sa propre Église, à côté. Il existe plus de 45 000 dénominations protestantes dans le monde, d’après le Center for the Study of Global Christianity (ces dénominations incluent des Églises évangéliques, luthériennes, réformées, baptistes, pentecôtistes, adventistes etc.)

 

On voit que le rêve d’être « un seul cœur, une seule âme » s’est évanoui avec les siècles !

 

Le pape François parle de polarisation pour décrire les forces antagonistes et centripètes qui ont malmené l’Église catholique dans la réception du concile Vatican II :

« Le Concile nous rappelle que l’Église, à l’image de la Trinité, est communion (cf. Lumen gentium, n. 4.13). Le diable, au contraire, veut semer l’ivraie de la division. Ne cédons pas à ses flatteries, ne cédons pas à la tentation de la polarisation. Combien de fois, après le Concile, les chrétiens se sont-ils efforcés de choisir un camp dans l’Église, sans se rendre compte qu’ils déchiraient le cœur de leur Mère ! Combien de fois a-t-on préféré être « supporter de son propre groupe » plutôt que serviteurs de tous, progressistes et conservateurs plutôt que frères et sœurs, « de droite » ou « de gauche » plutôt que de Jésus ; s’ériger en « gardiens de la vérité » ou « solistes de la nouveauté », plutôt que de se reconnaître comme enfants humbles et reconnaissants de la Sainte Mère l’Église. Le Seigneur ne nous veut pas ainsi. Tous, nous sommes tous fils de Dieu, tous frères dans l’Église, tous Église, tous. »

Homélie du Pape François pour le 60° anniversaire du Concile Vatican II, 

Basilique Saint-Pierre, Mardi 11 octobre 2022, 

Mémoire de Saint Jean XXIII, Pape.

Un seul cœur, une seule âme dans Communauté spirituelle verresPolaClassiques
Polarisation
est un terme des sciences de l’optique : la lumière blanche du soleil est comme filtrée à travers les verres polarisants, qui ne laissent passer qu’une partie des spectres de cette lumière, en absorbant ou réfléchissant les autres. Une communauté polarisée filtre les lumières qu’elle tire de l’Écriture ou de l’Église, en ne laissant passer que les couleurs qui la conforte dans ses opinions a priori. La polarisation religieuse rejoint ainsi l’enfermement algorithmique par lequel les abonnés des réseaux sociaux ne vont aller regarder que les vidéos qui vont dans leur sens, poussés par les algorithmes qui ont détecté leur préférence.

 

Alors, « un seul cœur et une seule âme » ?

Il se pourrait que le portrait dressé par Luc de la communauté de Jérusalem ne soit pas un reportage journalistique, mais plutôt ce que le sociologue allemand Max Weber appelait un « idéal-type ». Autrement dit un modèle théorique rassemblant des éléments partiellement vécus (ici : l’unité, le partage, l’élan missionnaire) dans une construction « idéale » où s’exprime la vocation de la communauté.

« On obtient un idéal-type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie. » [1]

 

Par exemple, la visée du partage des richesses pour venir en aide aux pauvres est une caractéristique incontournable pour qu’un groupe se dise Église. Mais les modalités pour la réaliser pourront varier dans le temps. À Antioche, les chrétiens ne pratiquent déjà plus le communisme ecclésial de Jérusalem, mais l’entraide, la solidarité, l’aumône, sans vendre la totalité de leurs biens (Ac 11,29). Et dans les Actes des Apôtres, on voit Paul organiser une collecte pour les pauvres de l’Église de Jérusalem sans demander aux baptisés de se déposséder de tout (Ac 11,30 ; 1Co 16,1-3 ; 2Co 8).

 

Prendre soin des pauvres est essentiel. La manière de le faire variera.

Être unis dans la communauté est au cœur du message du Christ. La manière de vivre cette unité variera.

Rendre témoignage à la Résurrection est capital. Les visages de l’activité missionnaire de l’Église seront multiples et changeants.

 

3. La méthode du « consensus différencié »

En matière d’unité, les chrétiens ont très vite abandonné un modèle unitaire unique. Il y avait dans les cinq premiers siècles une pentarchie, c’est-à-dire une communion entre cinq sièges apostoliques (Jérusalem, Rome, Antioche, Constantinople, Alexandrie) qui chacun avait une primauté et une certaine indépendance. On était alors loin du monolithisme ecclésial ! Cette communion entre différents patriarcats ne s’est pas imposée par pragmatisme, mais sous l’influence de l’Esprit Saint, qui puise au cœur de Dieu une communion trinitaire rejaillissant en communion différenciée au sein des Églises et entre elles.


La doctrine de la justification ; déclaration communeLe mouvement œcuménique né du Congrès des Sociétés missionnaires protestantes d’Édimbourg en 1920 a très vite renoncé à la restauration d’une seule Église, pour promouvoir des liens d’affection, de connaissance et reconnaissance mutuelle, de charité entre toutes les Églises.

Depuis 1937, il existe un dialogue non officiel entre des théologiens catholiques et protestants francophones, fondé par l’abbé Paul Couturier (1881-1953) et quelques pasteurs réformés suisses. En 1942, ce groupe prit le nom de Groupe des Dombes. Il a publié, depuis, un certain nombre de rapports de haute valeur comme « Un seul maître. L’autorité doctrinale dans l’Église » en 2006. La méthode est le « consensus différencié » où chacun expose sa foi dans un souci de spécificité pour « entrer dans le point de vue de son frère, pour le mieux comprendre dans sa cohérence et pour s’en enrichir ».


Le 31 octobre 1999, catholiques et luthériens signaient la Déclaration commune sur la doctrine de la justification, mettant fin au conflit théologique sur le salut qui provoqua la Réforme. Le document précise comment chaque Église comprend le rôle premier de la foi dans le salut offert en Christ, tout en reconnaissant que la compréhension des autres Églises, exprimée en des termes différents, n’est pas incompatible avec la sienne.

Les artisans de la Déclaration commune peuvent se féliciter non seulement d’un geste historique, mais aussi d’avoir démontré la pertinence de la méthode du « consensus différencié ». Elle consiste à chercher et trouver les termes d’un consensus dans les vérités fondamentales, sans interdire que subsistent des différences dans le langage et les accentuations de chaque Église. On pourrait dire que les deux doctrines différentes ‑ catholique et luthérienne – représentent deux perspectives différentes sur le même Évangile. De la même manière que si je regarde la cathédrale de Strasbourg de deux côtés différents, je vois des choses différentes, néanmoins, c’est la même Église. Cette approche implique une compréhension de la vérité qui n’impose pas l’uniformité. Le pasteur André Birmelé aime ainsi parler de « consensus différenciant ». « C’est une manière de bien montrer que la différence fait partie du consensus. Que le consensus est lui-même ouvert à la différence, précise-t-il. Le texte biblique nous montre l’exemple d’un consensus différenciant : Matthieu, Jean ou Paul disent la même vérité en se servant de langages tout à fait différents. »

Cette méthode évite les pièges du relativisme comme du dogmatisme. C’est tout à fait différent d’une compréhension postmoderne qui dirait “tout se vaut”. Accepter les différences nécessite d’abord d’identifier ce qui est commun.

 

Les catholiques auraient intérêt à retrouver pour eux-mêmes la pratique de ce consensus différencié et différenciant !

En paroisse, c’est l’acceptation de pratiques liturgiques autres (répertoire de chants, styles de prière, gestes et expressions de foi etc.) sans imposer un seul style à tous les pratiquants, ni fuir ailleurs dès que quelque chose (ou quelqu’un) ne me convient plus…

Entre Églises, c’est la valorisation du charisme particulier propre à chacune. Les Églises orientales catholiques par exemple nous rappellent que les prêtres et diacres peuvent être mariés, que la vénération de l’icône peut avoir autant d’importance que l’adoration eucharistique etc.

Ce consensus différencié se concentre d’abord sur ce qui est commun, le noyau dur de la foi en quelque sorte, et opère un discernement entre les différents niveaux d’importance et de vérité des pratiques et des croyances de chacun.

 

Ce concept de consensus différencié et différenciant pourrait d’ailleurs être une source d’inspiration en entreprise également : cultiver une vision commune de la raison d’être et des valeurs de l’entreprise, tout en promouvant les initiatives diverses sans les aligner sur un seul modèle hiérarchique.

 

Avoir « un seul cœur, une seule âme » suppose de rester plusieurs ! C’est l’enjeu trinitaire de toute évangélisation : « qu’ils soient un comme nous sommes UN » (Jn 17,22), non pas à la manière des sociétés totalitaires, mais à la manière du Dieu-Trinité, dont l’unité résulte des relations d’amour entre les Trois. Sans cette visée « idéaltypique », malgré nos fractures actuelles, nous manquerions à notre vocation chrétienne : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35). Cette unité de cœur et d’âme n’est pas une construction humaine, mais un don de Dieu, à accueillir activement : « Je leur donnerai un seul cœur, un seul chemin, afin qu’ils me craignent chaque jour, pour leur bonheur et celui de leurs fils après eux » (Jr 32,39). Ézéchiel annonçait cette unité comme le fruit de l’Esprit de Dieu : « Je leur donnerai un même cœur, et je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de leur corps le cœur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair » (Ez 11,19). Et les chroniqueurs de la royauté en Judas attribuent à « la main de Dieu » l’élan enthousiaste qui unissait le peuple dans l’exécution de la parole de YHWH : « Dans Juda aussi la main de Dieu se déploya pour leur donner un même cœur et leur faire exécuter l’ordre du roi et des chefs, selon la parole de YHWH » (2Ch 30,12).

 

Être un seul cœur, une seule âme : aspirer à ce don de Dieu demeure la ligne d’horizon de tout groupe se disant chrétien !

 

4. Thomas, ou l’unité par la foi

 archipel dans Communauté spirituelleRevenons à nos lectures de ce dimanche, en regardant Thomas parmi les Douze (Jn 20, 19-31). Curieusement, il n’était pas avec eux « en ce premier jour de la semaine » ; on dirait aujourd’hui qu’il a séché la messe du dimanche ! Ou plus exactement : il a manqué à l’Église en n’étant pas présent. Or déserter l’assemblée, c’est priver le Corps du Christ d’un de ses membres, irremplaçable. Thomas est le premier d’une longue série d’absences qui fracturent l’unité de l’Église : « Ne désertons pas nos assemblées, comme certains en ont pris l’habitude » (He 10,25). Comme quoi l’absentéisme dominical ne date pas d’aujourd’hui… Or c’est un coup de canif dans la tunique sans couture du Christ qu’est l’Église !

 

Thomas fait l’effort d’être là le dimanche suivant, sans doute intrigué par le récit des autres. C’est la rencontre avec le Ressuscité qui le convertira définitivement à l’unité ecclésiale. En touchant ses plaies, Thomas touchait le Corps du Christ (l’Église) et désormais ne le quittera plus.

Sans cette rencontre pascale, comment aimer l’Église, la pratiquer, vivre en communion avec elle ? C’est bien dans cet ordre que nous devons examiner à frais nouveaux l’absence de tant de baptisés à nos assemblées : non pas d’abord l’impératif moral ou une exigence autoritaire (‘aller à la messe’) mais d’abord une expérience pascale, dont découle l’amour de l’Église, en Église (faire corps avec le Christ, comme Thomas).

 

« Un seul cœur, une seule âme » : nous n’avons pas fini de laisser résonner cet appel de Luc ! Dans nos couples, nos familles, nos entreprises, nos paroisses… : où et comment pourrais-je pratiquer la méthode du consensus différencié pour progresser vers cet horizon de communion ?

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[1]. Max Weber, L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales (1904) in Essais sur la théorie de la science, Paris, Pocket, 1992, p. 181.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32-35)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.

PSAUME
(117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! ou : Alléluia ! (117,1)


Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !


Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !


Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.
Il m’a frappé, le Seigneur, il m’a frappé,
mais sans me livrer à la mort.


La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !


DEUXIÈME LECTURE
« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » (1 Jn 5, 1-6)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.


ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia.Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick Braud

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12 janvier 2025

Cana : servir la joie d’un autre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Cana : servir la joie d’un autre

 

Homélie pour la 2° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
19/01/25


Cf. également :

La pureté ne sert à rien
Notre angoisse de Cana
Intercéder comme Marie
La hiérarchie des charismes
Jésus que leur joie demeure
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

 

1. Un traiteur pas comme les autres

Cana : servir la joie d’un autre dans Communauté spirituelle carte-resto1985 : Franck Chaigneau, père jésuite et cadre informatique dans une grande entreprise, distribue des repas aux sans domicile fixe d’Antony (92160), dans la grande banlieue parisienne. Pour les aider à trouver un travail simple et valorisant, il crée une association de bénévoles : La Table de Cana, dont la mission est de former des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de la restauration. La Table de Cana est aujourd’hui implantée dans une dizaine de villes, et forme le premier réseau de traiteurs-restaurateurs d’insertion en France, avec 370 salariés dont 270 en contrat d’insertion, une centaine de bénévoles et un chiffre d’affaires de 11 M€ en année normale (hors Covid-19). Les personnes en situation de précarité y sont formées à une dizaine de métiers : commis de cuisine, serveur, plongeur, chauffeur-livreur, préparateur de commandes, assistant commercial, aide en pâtisserie ou en chocolaterie…  À l’issue de deux années de formation, le taux de réussite est de 65 %, et les salariés en insertion sont employables quasi-immédiatement. 

 

Jean n’a sûrement pas imaginé une telle fécondité sociale pour son récit des noces de Cana (Jn 2,1-11) ! Pourtant, la filiation est belle : réinsérer par le travail des gens en déshérence, sans logement ni profession, c’est bien faire en sorte que le vin ne manque pas pour les invités sans le sou. Mieux encore, c’est en se mettant au service de la joie des autres – qu’est-ce qu’un traiteur sinon cela ? – que ces exclus de la société vont peu à peu trouver leur place au festin commun…

 

Voilà qui nous invite à nous focaliser sur les serviteurs du mariage de Cana. On peut tour à tour s’identifier aux différents personnages du récit : Jésus intervenant pour que la joie coule à flots ; Marie  attentive aux failles du banquet ; les disciples invités de raccroc et témoins ébahis ; et finalement nos discrets serviteurs qui font confiance à Marie et exécutent l’étrange manipulation prescrite par Jésus.

Ces serviteurs, comme à La Table de Cana, sont le dernier maillon, indispensable, pour que la joie des mariés ne s’évanouisse pas à la fin du repas. 

Grâce à eux, la fête sera complète, jusqu’au bout de la nuit. 

Grâce à eux, Jésus se manifeste (Jean emploie le verbe φανέρωσεν = se manifester, qui a donné épiphanie) à ses disciples, « et ils crurent en lui »

Grâce à eux, la médiation de Marie est couronnée de succès.

Ils sont les serviteurs de la joie d’un autre.

 

2. Le miracle des mains vides

Ces domestiques ont bien vu que c’est de l’eau qu’ils ont versée dans les jarres (600 litres environ !). Et lorsqu’ils puisent dans les jarres pour servir à table les invités de la noce, ils voient bien que c’est du vin, et qu’ils n’y sont absolument pour rien ! Comme l’écrit Saint Ambroise de Milan : « Tu donnes la saveur du vin aux amphores remplies d’eau : le serviteur puisait, conscient qu’il ne les avait pas remplies ».

Les-Mains-vides Cana dans Communauté spirituelleIls sont conscients qu’ils ne savent pas d’où vient la joie qu’ils communiquent aux convives. La seule chose qu’ils sachent, c’est qu’elle ne vient pas d’eux.

Lacan disait avec un humour un peu grinçant que « l’amour consiste à donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Il avait à moitié raison : l’amour consiste bien à donner ce que nous n’avons pas, mais recevons de Dieu pour le donner à d’autres. C’est ce que la tradition chrétienne appelle « le miracle des mains vides » : pour donner à l’autre un cadeau vraiment divin, il faut que j’accepte d’avoir les mains vides. Sinon, je lui donnerai de ce qui m’appartient, je donnerai de ma richesse, mais je ne donnerai pas de Dieu.

Donner de mes biens, de mon temps, de mon intelligence ne suffit pas, et reste encore une aide trop humaine. Alors que donner ce que je n’ai pas, qui vient de Dieu et va à l’autre en me traversant, donner ainsi est plus grand que de faire l’aumône !

 

C’est la vocation du peuple de l’Alliance que les serviteurs de Cana accomplissent au plus haut point. Rappelez-vous les paroles du peuple s’engageant à respecter l’Alliance du Sinaï et à la mettre en pratique : « Tout ce que YHWH a dit, nous le ferons » (Ex 24,3). Ce sont les mêmes termes qu’emploie Marie pour demander aux domestiques de servir l’Alliance nouvelle : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». De même qu’Israël a pour vocation de servir la joie des nations en témoignant du Dieu unique au milieu d’elles, de même l’Église, personnifiée dans les serviteurs de Cana, a pour mission de servir la joie de l’humanité invitée au banquet des noces de l’Agneau.

 

Sainte Thérèse de Lisieux écrivait ainsi dans son acte d’offrande :

« Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice, et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même » (9 Juin 1895, fête de la Trinité).

Comme la plupart des mystiques, avec son souhait d’arriver devant le Père avec des mains vides, Thérèse se situe hors du modèle économique de l’échange, loin du point de vue du ‘mérite’. Elle est imprégnée d’un amour gratuit, qu’on appelait au XVII° siècle le « pur amour », comme est gratuit l’amour de Dieu lui-même. Elle ne cherche pas à accumuler ses mérites, mais les oublie en Dieu. Ses mains restent vides car elle reçoit tout de Dieu, pour le donner aux autres.

 

Le franciscain Éloi Leclerc a merveilleusement décrit l’esprit de pauvreté intérieure qui animait François d’Assise dans ce domaine. Au moment où il est contesté, puis évincé par l’Ordre qu’il a pourtant fondé, il découvre que le but de sa vie n’était pas de fonder quelque chose ou de ne pas fonder, mais de se fonder lui-même sur l’amour gratuit de Dieu :

- Dieu, fit observer frère Léon, réclame notre effort et notre fidélité.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas l’accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, vois-tu, s’il est accepté, peut devenir l’espace libre où Dieu peut encore créer.

(Éloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Éditions franciscaines, 1984, p.114)

Celui qui ne laisse pas couler le flux de la grâce passant à travers lui vers les autres, celui qui comptabilise ses mérites au lieu d’oublier le bien qu’il a fait, celui-là sera bientôt seul, éloigné de Dieu, méprisant les autres.

 

Journal-d-un-cure-de-campagne joieBernanos a formidablement mis en scène ce miracle des mains vides dans le passage du « Journal d’un curé de campagne » où l’on voit le jeune abbé Donissan, en proie au doute et en pleine dépression spirituelle, apporter cependant le réconfort et la paix à la comtesse obsédée par la mort de sa fille :

Le prêtre est allé au château pour parler à la comtesse de sa fille, Chantal, dont la révolte est pour lui source d’angoisse. Par-delà l’apparence policée d’une grande dame chrétienne et résignée, le petit prêtre perce le secret d’une âme fermée à Dieu, révoltée depuis la mort de son premier enfant. Après un échange terrible sur le désespoir et l’enfer, la comtesse se rend, et jette, dans un geste fou, le médaillon et la mèche de son enfant qu’elle gardait, dans le feu où le prêtre essaie de les reprendre : « Prenez-vous Dieu pour un bourreau ? » lui dit-il. Et il ajoute : « Il veut que nous ayons pitié de nous-mêmes ».

Rentré chez lui, il trouve une lettre de la comtesse qui lui écrit :

« Le souvenir désespéré d’un petit enfant me tenait éloignée de tout, dans une solitude effrayante, et il me semble qu’un autre enfant m’a tiré de cette solitude. J’espère ne pas vous froisser en vous traitant ainsi d’enfant ? Vous l’êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais (…). Tout est bien. Je ne croyais pas la résignation possible. Et ce n’est pas la résignation qui est venue en effet. Elle n’est pas dans ma nature (…) Je ne suis pas résignée, je suis heureuse. Je ne désire rien ».

Puis, sur son journal intime, le prêtre note : « 6h30, Mme la Comtesse est morte cette nuit ».

L’abbé Donissan a donné à cette femme la paix que lui-même cherchait en vain. 

L’amour consiste à donner ce que l’on n’a pas…

Seul celui qui arrive les mains vides peut expérimenter l’absolue gratuité de l’amour divin.

 

3. Génitif objectif / génitif subjectif

Servir la joie d’un autre : telle est notre vocation, c’est-à-dire, comme pour La Table de Cana, apporter à d’autres de quoi festoyer et se réjouir.

La joie d'un autreServir la joie d’un autre : en français, ce génitif peut désigner aussi bien l’autre qui est le sujet de cette joie (génitif subjectif) que l’autre qui en est le destinataire (génitif objectif). Ainsi la crainte des ennemis peut signifier la crainte qu’ont les ennemis (génitif subjectif), ou la crainte qu’ils inspirent (génitif objectif).

Génitif subjectif : ce n’est pas notre joie que nous communiquons, c’est celle du Christ. C’est lui qui en est le sujet. Elle nous est donnée d’ailleurs. Elle vient du Royaume, d’un au-delà qui transcende nos productions et nos joies habituelles.

Génitif objectif : ce n’est pas une joie pour nous, mais pour d’autres. Elle leur appartient. Elle est pour ceux que nous aimons, que nous voulons chérir, et également pour ce que nous n’aimons pas assez, ou  qui nous font du mal.

Paradoxalement, c’est la dans la dépossession de ce que nous transmettons que nous trouvons notre propre joie. À la double condition qu’elle vienne d’un autre – le Christ – comme celle que transmet le curé de campagne de Bernanos, et qu’elle soit destinée à un autre, ce qui exclut toute appropriation, toute possession du serviteur de ce qu’il transmet.

L’amour consiste alors à recevoir d’un autre (Dieu) ce qui va réjouir les autres lorsque je leur communiquerai, sans que cela m’appartienne, sans que j’y sois pour quelque chose.

 

Insistons sur la docte ignorance qui est celle des serviteurs de Cana dans cette alchimie joyeuse : ils ne savent pas comment l’eau est changée en vin ; ils savent juste qu’ils n’en sont pas la cause ni l’origine, seulement le vecteur. Accepter de ne pas savoir comment s’opère le miracle des mains vides est la condition  pour y participer pleinement ! Ceux qui veulent maîtriser la transformation eau-vin termineront comme Midas empoisonné par son pouvoir égoïste.

 

Catalyseurs…

Les premiers repas servis à Antony par des extras peu reluisants ont prospéré d’eux-mêmes. Les serviteurs de Cana jouent le rôle d’un catalyseur en chimie : pour que deux substances entrent en interaction et qu’il se produise une réaction chimique, il faut souvent qu’un corps différent – un catalyseur – se mêle à eux pour amorcer la réaction et ensuite se retirer pour la laisser se poursuivre. Le catalyseur rend possible l’interaction sans en être le sujet ni l’objet.


Devenir un catalyseur de la joie de nos proches est une belle vocation, digne de Cana !

Comment pourrais-je la mettre en œuvre cette semaine… ? 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac)
R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !
 (Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

Deuxième lecture
« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Évangile
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Patrick BRAUD

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