L'homélie du dimanche (prochain)

  • Accueil
  • > Recherche : homelie trinité

19 mai 2019

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…

Homélie pour le 6° dimanche de Pâques / Année C
26/05/2019

Cf. également :

L’Esprit nous précède
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
Le communautarisme fait sa cuisine
Fidélité, identité, ipséité
La gestion des conflits
La bourse et la vie

G01 A2La formule est emphatique. Jacques, premier évêque de Jérusalem, l’utilise à dessein pour légitimer une décision inconcevable pour des juifs : ne pas imposer la circoncision pour accéder au nouveau peuple élu. La formule est solennelle. Le livre des Actes la rapporte avec des guillemets pour bien montrer que le rédacteur n’a rien inventé. Ce sont vraiment les mots de Jacques, le « frère du Seigneur », pour annoncer une co-décision historique, la première d’une longue série dans l’Église.

Notre deuxième lecture plaide ainsi pour une conception très dynamique (en grec dynamos = en mouvement, et en puissance) de l’Église. Le Christ « parti » auprès du Père, on aurait pu réduire le rôle de l’Église à celui d’un musée chargé de conserver précieusement les paroles et les gestes de ce Messie extraordinaire. Bien sûr, ce rôle « conservateur » fait partie de sa mission. Mais sans la limiter à cela. Ainsi, confrontés à une situation nouvelle – l’afflux des non-juifs dans les premières communautés – les chrétiens vont devoir « tirer du neuf de l’ancien » (Mt 13,52). Il ne suffit pas de répéter la Loi de Moïse qui oblige les hommes à être circoncis pour entrer dans l’Alliance. Il ne suffit pas de répéter les paroles de Jésus : « je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24). Il serait incompréhensible d’imposer les mêmes interdits alimentaires à des convertis du paganisme pour qui manger casher n’a aucun sens. « À vin nouveau outres neuves » (Mc 2,22).

Le facteur décisif de cette capacité d’innover en fidélité au Christ est l’écoute du travail de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui a obligé Pierre à entrer chez Corneille, manger avec lui et le baptiser, lui et sa famille. Car Pierre n’aurait jamais osé prendre une telle initiative de lui-même. Il a été conduit dans sa mission à l’accepter : « Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint aussi bien que nous ? » (Ac 10,47).

De même, c’est l’Esprit Saint qui a révélé à Pierre que l’impureté alimentaire est désormais caduque. Dans la célèbre vision de la nappe tendue dans le ciel, il regarde autrement les animaux et la création qui grouille sur la terre et dans les eaux : « ne va pas déclarer impur ce que Dieu a rendu pur » (Ac 10, 15). Et c’est encore l’Esprit Saint qui a « ouvert la porte de la foi » aux païens, selon l’expérience de Paul et Barnabé qui en font le récit à l’Église d’Antioche (Ac 14,27).

Déchiffrant ces événements étonnants à la lumière de l’Écriture, les apôtres comme les simples baptisés constatent que Dieu s’est engagé pour le salut des païens et demandent à son Église de le faire avec lui.

Alors, le chapitre 15 du livre des Actes nous raconte ce premier tournant capital de l’histoire de l’Église qu’est l’assemblée de Jérusalem faisant sauter la circoncision, la cashrout, et dans la foulée les obligations rituelles de la Loi mosaïque : les traditions vestimentaires, le shabbat etc.

Insistons sur deux éléments du texte :

- c’est une décision, visiblement historique, et l’on sait que ne pas décider peut-être mortel en cas de crise.

- c’est une co-décision qui relève de ce qu’on appellerait aujourd’hui une co-construction entre tous les acteurs. Car Pierre joue les premiers rôles en témoignant de la venue de l’Esprit Saint sur Corneille (notons au passage que ce n’est pas Paul seulement qui fait passer l’Église aux barbares comme on le présente trop souvent). Mais Paul et Barnabé interviennent également, et Jacques, le ‘local’ – on ne peut plus juif que lui ! – de Jérusalem, et toute l’assemblée qui délibère, débat, échange, prie. Le résultat est un peu comme sur le chemin d’Emmaüs : dès lors que deux ou trois débattent en vérité et veulent se mettre d’accord pour écouter ce que Dieu dit à travers les événements, l’Esprit Saint lui-même se joint à eux. Et c’est ce qui rend la décision indissociablement spirituelle et ecclésiale : spirituelle parce que pleinement ecclésiale (dans ses trois dimensions : personnelle / collégiale / communautaire) ; ecclésiale parce que pleinement spirituelle (l’accueil de ce que l’Esprit Saint suscite à travers les événements).

Diacres Séez juin 2010À vrai dire, il y avait déjà eu un précédent dans le livre des Actes, avec l’invention du ministère des Sept, dans lesquels nous voyons la figure de l’actuel diaconat permanent. Le chapitre sept raconte comment là aussi l’assemblée de Jérusalem fut confrontée à une crise grave : divisions entre juifs et grecs (ou hellénisants), et accusations de délaisser les veuves de ces derniers. Là encore, on fait jouer à chacun son rôle : on a l’exposé des faits, tout le monde débat, Pierre propose une décision pour sortir du conflit, tous agréent, l’assemblée présente des candidats, les apôtres imposent les mains. Au final, on pourrait écrire à nouveau : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé » qu’un ministère nouveau – celui des sept (diacres) – serait désormais utile à la croissance de l’Église.

Au cours des siècles, c’est particulièrement dans les conciles que la formule actuelle : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que » a retenti à maintes reprises.

Ouverture du concile Vatican II le 11 octobre 1962 en présence de 2500 évêques (DR)Le concile de Nicée I en 325 affirme la double nature humaine et divine de Jésus de Nazareth.
Le concile de Constantinople en 381 définit la divinité de l’Esprit Saint et le dogme de la Trinité.
Celui d’Éphèse en 481 légitime l’appellation de Marie ‘Theotokos’ (Mère de Dieu).
Celui de Chalcédoine en 451 rend obligatoire le célibat pour les moines et religieuses.
Le concile de Nicée II légitime le culte des icônes (images) et la représentation du Christ (vs les iconoclastes).
Après le schisme entre l’Orient et l’Occident en 1054 les conciles catholiques continuent de décider en fonction de l’actualité de l’Église.
Latran I en 1123 oblige au célibat ceux qui sont appelés à devenir diacres ou prêtres dans l’Église de rite latin.
Le concile de Trente au XVI° siècle fixe la date la liste des sept sacrements (contre Luther et la réforme protestante) et définit la transsubstantiation eucharistique.
Le concile Vatican I (1869-70) établit l’infaillibilité pontificale (sous conditions très strictes).
En 1858, l’Immaculée Conception de Marie, puis en 1950 son Assomption seront les seuls exemples de la mise en œuvre de cette infaillibilité.
Enfin, au concile Vatican II (1962-65) la nature sacramentelle de l’Église est proclamée. On rétablit le diaconat permanent ouvert aux hommes mariés. On ouvre la porte à la célébration de la messe dans les langues vernaculaires. On engage l’Église de manière irréversible dans l’œcuménisme.

Cette trop courte énumération montre au moins une chose : ça bouge ! La Tradition est vivante, en ce sens que l’Église ne cesse de susciter dans l’Église des co-décisions sur le contenu de sa foi, de sa liturgie, de sa discipline et de sa morale.

Alors pourquoi figer le mouvement à ce qu’il est aujourd’hui ? L’histoire n’est pas finie ! Il y aura d’autres décisions importantes que l’Esprit Saint prendra de concert avec toute l’Église.

http://static.flickr.com/42/263885608_5739282337.jpgOn pense évidemment au célibat des prêtres dans l’Église latine (puisque les orientaux ont gardé l’antique coutume d’ordonner des hommes mariés). Le processus de la décision qui a été prise au XII° siècle pour des raisons légitimes (train de vie des prêtres, biens ecclésiastiques, disponibilité, modèle du moine…) pourrait tout aussi légitimement donner autre chose au XXI° siècle. Pas seulement à cause des scandales qui secouent l’Église. Mais également au nom d’une vision renouvelée de la sexualité et du couple, du sacrement de mariage qui va si bien avec le sacrement de l’autel.

« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé » de ne plus imposer la loi du célibat à ceux que l’Église appelle pour devenir diacres ou prêtres. Rien n’empêcherait que cette  déclaration résonne un jour à Saint-Pierre de Rome, dans le droit-fil des premières déclarations à Jérusalem du livre des Actes des apôtres.

Pierre avait surpris tout le monde en racontant comment le centurion Corneille avait eu accès au baptême sur intervention expresse de l’Esprit Saint, alors que ni Pierre ni les autres n’envisageaient cette possibilité sacramentelle. Aujourd’hui, quand on écrit l’histoire spirituelle de tant de divorcés/remariés qui font un chemin extraordinaire à partir de leur divorce – quelquefois grâce à leur divorce si on nous pardonne cette audace – on a l’impression d’être devant de nouveaux Corneille. Ils n’étaient pas invités ni prévus au programme, et pourtant l’Esprit Saint leur est donné en telle plénitude qu’il faudrait se prendre pour Dieu pour ne pas en tirer les conséquences : « qui suis-je pour refuser l’eucharistie/la réconciliation à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint ? » pourrait-on s’exclamer en plagiant Pierre dans les Actes des apôtres.

Bien d’autres domaines relèvent de cette codécision Esprit Saint - Église. Tout ce qui touche à la contraception notamment : l’Église n’a jamais officiellement révisé son discours ni ses prises de position sur le sujet, alors que l’immense foule des baptisés vit tranquillement une certaine pratique de la contraception intégrée à une authentique spiritualité de couple. S’il y avait débat, réflexion, prière et participation de tous, une codécision plus juste que l’actuelle situation pourrait très simplement émerger.

Là encore, il y a eu un précédent célèbre en matière de mœurs : celui du prêt à intérêt. Alors que dans les premiers siècles l’Église l’interdisait au nom de l’Ancien Testament et pour éviter l’usure, peu à peu les banquiers, les marchands chrétiens l’ont fait évoluer jusqu’à décider en pratique de ne pas condamner les métiers de l’argent à l’enfer (quitte a inventer le purgatoire pour les y envoyer quand même…) en distinguant le prêt et l’usure et en légitimant le gain au nom du risque encouru. Ce qui s’est passé dans le rapport à l’argent pourrait inspirer l’Église dans son rapport à la sexualité…

Plus près de nous, l’enjeu de la codécision Esprit Saint - Église se joue dans la participation de tous aux grandes et petites décisions dans nos paroisses, nos mouvements, nos équipes,  nos diocèses. Se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint qui parle à travers des événements, solliciter chacun selon son intelligence et ses charismes, débattre et faire un vrai travail de consensus pourrait nous permettre de dire fièrement nous aussi, à tout niveau de la vie de l’Église : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que… »

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15, 1-2.22-29)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

 En ces jours-là, des gens, venus de Judée à Antioche, enseignaient les frères en disant : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question. Les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas. Voici ce qu’ils écrivirent de leur main : « Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris, sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi, nous avons pris la décision, à l’unanimité, de choisir des hommes que nous envoyons chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul, eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit : L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »

Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble !
ou : Alléluia.
(Ps 66, 4)

Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

Deuxième lecture

« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel » (Ap 21, 10-14.22-23)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ange.  En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu :  elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin.  Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël.  Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident.  La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau.  Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau.  La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.

Évangile

« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 23-29)
Alléluia. Alléluia.
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , ,

12 mai 2019

Dieu nous donne une ville

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu nous donne une ville

Homélie pour le 5° Dimanche de Pâques / Année C
19/05/2019

Cf. également :

À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

  • La Cité de Dieu

Dieu nous donne une ville dans Communauté spirituelleL’incendie de la toiture de Notre-Dame de Paris a révélé l’importance d’un tel symbole au cœur d’une métropole. Sans elle, la ville de lumière aurait été comme éborgnée. Comme si les parisiens faisaient corps en partie grâce à elle. Et la nation tout entière se reconnaît en Paris comme Paris se reconnaît en sa cathédrale. Et dans le monde entier !

La question de la ville est au cœur de nos identités modernes. Comment rendre nos mégapoles plus fraternelles malgré l’anonymat et le béton qui sépare ? Comment rendre nos agglomérations plus sûres alors que le crime et la délinquance y prolifèrent ? Comment mélanger ses habitants alors qu’ils ont tendance à s’isoler en une multitude d’îlots juxtaposés, par classes sociales, revenus, religions… ? Comment ouvrir nos villes à l’étranger, aux touristes, aux passants, sans pour autant perdre notre art de vivre ?

En fait, ces questions sur la ville ne sont pas nouvelles. La Bible commence avec Caïn et Abel par le conflit entre nomades et agriculteurs, et la fondation d’une ville - la première – par Caïn le fratricide. Et la Bible se termine par la grandiose image de l’Apocalypse de notre deuxième lecture de ce dimanche :

« Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. » (Ap 21, 1-5)

Entre ce point d’arrivée et le point de départ, l’histoire humaine tente de se déployer, alternant nostalgie et volonté de puissance prométhéenne.

Que retenir de cette promesse d’une cité radieuse (pour parler comme Le Corbusier) telle que l’Apocalypse nous la révèle ?

 

  • Du jardin jadis perdu à la ville

La nostalgie du jardin originel nous taraude toujours. Le mythe de l’Éden de Gn 1 est à l’opposé de Pékin ou New York ! Et nous chantions autrefois :
« Tu nous conduis, Seigneur Jésus vers la fraicheur des sources vives, vers le jardin jadis perdu ».

Or Jean nous affirme que le terme de l’histoire n’est pas un retour au point de départ, comme si l’histoire n’avait rien apporté. Le Coran cède à cette nostalgie en dépeignant le paradis sous l’effet idyllique d’un jardin où tout coule à flots, où les plaisirs terrestres deviennent infinis et permanents. Avec l’Apocalypse, on ne revient pas au jardin jadis perdu. On ne cautionne plus le mythe de l’éternel retour, où le salut serait en arrière, aux origines. Car il y a du neuf avec l’action humaine dont Dieu lui-même tient compte pour bâtir l’avenir. Aucun romantisme christiano-champêtre dans la vision de la Jérusalem céleste ! Avec l’accélération de la migration des campagnes vers les villes (75% de l’humanité fin 20° siècle vs 10% à peine dans l’Antiquité), l’enjeu n’en est que plus actuel.

390007 Jérusalem dans Communauté spirituelle

  • Une ville donnée et non construite de main d’homme

Pourtant la ville est une invention humaine, pas divine. Condamné à l’errance après le meurtre de son frère, Caïn résiste et refuse cette condition trop insécurisante. Il fonde la première ville – Hénoc - et y établit sa famille. Il s’installe au lieu d’errer. Il se protège avec des murailles au lieu d’être exposé à tous les dangers. La ville naît donc de la révolte de l’homme et de sa volonté d’autonomie. Du coup, les cités de la Bible sont à l’image de nos cités contemporaines : des concentrés de l’ambiguïté humaine capable d’édifier des Notre-Dame non loin des bidonvilles ou de la Bourse. Les villes bibliques sont pleines de bruit et de fureur. Sodome et Gomorrhe incarnent le non respect de l’hospitalité et de l’étranger ; Babel la confusion entre les peuples ; Babylone la déportation et l’exil ; Jéricho la ville refermée sur ses murailles ; Ninive la corruption ; Rome l’empire colonisateur etc. Quand nous construisons nos villes, nous y concentrons le pire et le meilleur de nous-mêmes : criminalité et entraide, animations et solitudes, cultures et argent roi, cathédrales et places financières, urbanisme délirant et quartiers magnifiques…

L’Apocalypse nous promet étrangement que Dieu tient compte de nos rêves urbains, en les purifiant de ce qu’ils recèlent d’inhumain. La ville qui descend du ciel n’est pas faite de main d’homme, mais de l’amour de Dieu. La technique de nos métiers ne peut pas la construire, pourtant il y a bien une technique divine qui a réalisé une telle conception. Elle ne ressemble pas à nos cités illustres, au contraire elle invite nos cités à lui ressembler. Cette ville qui descend du ciel est un don à recevoir et non une construction à réussir.

Dieu avait déjà retourné comme un gant le désir humain de bâtir grand avec le Temple de Jérusalem. Le grand roi David veut laisser une trace derrière lui (un peu comme Mitterrand avec la pyramide du Louvre ou Macron avec la reconstruction de Notre-Dame…) et se met en tête de bâtir un temple si extraordinaire qu’il établira son prestige et sa renommée pour les siècles des siècles. Heureusement, le prophète Nathan le fait descendre de son piédestal (2S 7) : ‘tu crois que c’est toi qui vas bâtir une demeure pour Dieu alors que c’est l’inverse. Aussi Dieu te donne une descendance royale, mais toi tu ne construiras pas le Temple. C’est ton fils Salomon qui l’achèvera, selon des plans qui lui seront inspirés par la sagesse et non par l’orgueil’.

Avec l’Apocalypse, tout se passe donc comme si Dieu nous disait : ‘tu veux une ville et non l’errance ? D’accord, je te prends au mot. Je vais te donner ce que tu désires, mais non pas selon ton rêve de puissance, de technique et de domination. Tu renonceras à faire habiter Dieu chez toi, à ta manière, parce que c’est toi qui vas habiter en Dieu lui-même.

 

  • La Jérusalem céleste, et non Rome ou Paris

Au moment où Jean écrit l’Apocalypse, Jérusalem n’est plus qu’un tas de ruines fumantes. La révolte des juifs contre l’occupation romaine a entraîné une guerre, puis le siège et la prise de la ville par l’empereur Titus, avec son lot de destructions, d’exactions et de pillages. L’Arc de Triomphe de Titus toujours visible à Rome porte gravé le souvenir de cette humiliation imposée aux juifs en 70 : la destruction du Temple de Jérusalem, le vol de ses trésors, la déportation en esclavage de ses habitants, l’incendie et la ruine de la ville.

L'Arc de Titus (Crédit : CC-BY- Steerpike/Wikimedia Commons)

Si Jean avait rêvé d’une ville forte et puissante à la manière humaine, il nous aurait dépeint une Rome éternelle enfin devenue chrétienne. Eh bien non ! C’est Jérusalem qui devient le symbole de notre avenir, justement parce que la ville est maintenant trop faible pour croire dominer le monde ou rayonner de splendeur par sa seule force. Dieu renverse  les puissants de leur trône, il élève des humbles.

Du coup, on s’aperçoit que la Jérusalem éternelle descendant du ciel n’est pas une copie de l’ancienne, terrestre. C’est plutôt l’inverse : le meilleur de la capitale de David était déjà inspiré parce qu’elle allait devenir en Dieu. Par exemple les murailles : elles protègent, mais n’isolent plus, car les portes nombreuses font respirer et communiquer avec tout l’univers. Ainsi la réconciliation entre juifs et chrétiens : la symbolique des chiffres de la nouvelle Jérusalem l’annonce. Il y a 12 portes comme les 12 tribus d’Israël ou les 12 apôtres. 12 fondations en pierres précieuses, 12 anges aux portes, 12 000 coudées de largeur. Les 12 portes sont une combinaison (4×3) du chiffre cardinal de l’univers (4) combiné à celui de la Trinité (3). Les 144 coudées de hauteur évoquent le carré de 12, c’est-à-dire la plénitude d’Israël et l’Église enfin réunis.

Il y a donc comme une conversion de notre désir de ville dans le don de cette Jérusalem céleste à l’humanité, « ville où tout ensemble ne fait qu’un ».

Dans son ouvrage « Sans feu ni lieu » (1970) Jacques Ellul commente :

« Par amour, Dieu révise ses propres desseins, pour tenir compte de l’histoire des hommes, y compris de leurs plus folles révoltes. […]

Et c’est ici, que se produit le fait le plus étrange. L’homme actuel a raison aussi spirituellement. Inconsciemment et sans le savoir lorsqu’il préfigure l’avenir sous la couleur de la ville, il a raison en vérité. Seulement, il y a un saut à faire. Alors qu’il la voit sous son aspect technique et sociologique, le véritable avenir, le véritable but de l’histoire qui apparaît quand l’histoire s’achève et se clôt est bien une ville, mais une autre que celle imaginée : il s’agit de la Jérusalem céleste ».

 

  • Reconstruire nos villes à partir de la fin

En décrivant la Jérusalem céleste descendant du ciel, Jean nous invite à transformer nos villes à cette image, pour commencer à vivre dès maintenant ce que Dieu veut nous donner pour toujours. Quel urbaniste traduira en plan audacieux la vocation urbaine à rassembler de manière trinitaire, sans confusion ni séparation, sans violence ni indifférence ? Quels architectes inventeront des murailles qui protègent tout en laissant respirer à pleines portes ? Quelles seront les fondations invisibles aussi précieuses que les bâtiments construits dessus ? Quelle Église osera proclamer que le vrai Temple de Dieu c’est l’homme, au point qu’il n’y a plus besoin de cathédrale dans la ville nouvelle ? Et si on construit quand même des cathédrales parce qu’il faut bien des panneaux indicateurs le long de la route tant qu’on n’est pas arrivé au but, comment renverront-elles au vrai sanctuaire qui est le cœur de l’homme ? Comment réconcilier juifs et chrétiens dans cette cité, musulmans et hindous, communautés de toutes religions, ethnies ou opinions comme elles sont appelées à l’être dans la Jérusalem aux 12 portes ? N’attendons pas que les puissants, les princes ou  les présidents fassent ce travail de conversion de notre vie urbaine pour nous, ou à notre place ! Chacun peut dès lors s’engager, les yeux fixés sur la cité radieuse de Jean, pour transformer son immeuble, sa maison, son quartier, sa commune à l’image de sa vocation ultime : rassembler dans une communion fraternelle ceux que tout diviserait autrement.

Futur Présent Passé

À Noël, nous chantions : « un enfant nous est né, un fils nous est donné ». En ces temps qui sont les derniers, nous chantons avec l’Apocalypse : « une ville nous est donnée ».

Venant de la fin des temps, une ville nous est donnée pour inspirer nos cités en conjurant leur dureté, leur violence. Non faite de main d’homme, la Jérusalem céleste descend du ciel pour que nos constructions ou reconstructions de Paris, de Rome ou de New York sachent accueillir la présence de Dieu en chacun et lui servent d’écrin.

Comment pouvons-nous nous engager à recevoir ce don d’une ville plus « divine » ?
Par quels engagements de quartier, d’associations culturelles ou sportives ?
Par quelle réconciliation entre groupes séparés, juxtaposés ou opposés ?
Par quels témoignages spirituels au cœur de la ville pour appeler à recevoir plutôt qu’à construire ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)

R/ Mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
ou : Alléluia.
(Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

21 avril 2019

Quel sera votre le livre des signes ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Quel sera votre le livre des signes ?

Homélie pour le 2° Dimanche de Pâques / Année C
28/04/2019

Cf. également :

Lier Pâques et paix
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Riches en miséricorde ?
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous

Le-Livre-Memoire-de-ma-Famille-de-Marie-Odile-Mergnac-Livre-etat-tres-bonImaginez qu’on vous demande de mettre par écrit l’histoire de votre famille. Impossible de tout raconter ! Vous allez passer en revue les visages, les événements, les dates qui vous paraissent importantes, et vous allez choisir les plus significatifs. Sinon – c’est trop souvent le cas hélas dans les mémoires familiales rédigées sans la plume d’un professionnel - votre ouvrage va partir dans tous les sens, confondre l’anecdotique et l’essentiel, et sera finalement illisible. Alors que tel grand-père qui a été « poilu » en 14-18, telle arrière-grand-mère qui était parmi les premières femmes à faire des études supérieures après-guerre, le suicide d’un oncle longtemps caché, la réussite éclatante d’un autre, tels drames surmontés avec courage etc. tous ces faits saillants en diront plus long sur votre famille qu’un simple arbre généalogique ou la description banale des métiers de chacun.

Jean applique lui aussi ce principe de sélection lorsqu’il écrit son Évangile. Il nous le dit clairement à la fin, de notre passage de ce dimanche (Jn 20, 19-31) : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ».

Comme souvent, cette phrase de conclusion est un petit trésor de méthode qui vaut pour nous encore aujourd’hui. Voyons comment.

 

On ne peut pas tout écrire

« Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre… ». C’est une évidence : Jean n’a pas tout écrit. « Jésus a fait encore bien d’autres choses: si on les écrivait une à une, le monde entier ne pourrait, je pense, contenir les livres qu’on écrirait » (Jn 21,25). Dans son livre, il manque par exemple la Cène, la naissance de Jésus, son enfance, et tellement d’autres épisodes que Matthieu, Marc et Luc racontent pourtant. D’ailleurs, on les a appelés les synoptiques (= qu’on peut regarder en même temps en les  mettant en parallèle) alors que Jean ne ressemble à aucun des trois autres.

Car exhaustivité n’est pas vérité.

Quel sera votre le livre des signes ? dans Communauté spirituelle trad1Jean sait que la tradition orale continuera à perpétuer ce qu’il n’a pas écrit. Et c’est très bien ainsi. Pas d’écrit sans oral qui l’accompagne, l’entoure, le conceptualise, le précise. Pour les juifs, tout n’est pas dans la Torah : il y a également la tradition rabbinique qui au cours des siècles a produit le Talmud, la Michna, la Guémara etc. Pour les chrétiens, la Révélation n’est pas enfermée dans le livre, car l’Esprit Saint parle à travers d’autres médiations (comme la nature, la conscience, les signes des temps etc.). D’ailleurs la Révélation n’est pas une vérité, ni un texte, c’est une personne vivante : le Verbe de Dieu, irréductible aux témoignages écrits ou oraux. Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe.

Il est donc bon de ne pas vouloir tout écrire, faisant en somme confiance à la tradition orale. Mais la question redouble : si tout écrire est impossible, comment choisir ce qu’on va raconter ?

 

Le livre des signes

Le critère pour Jean est simple : « ces faits-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ». Le filtre pour retenir tel ou tel événement et non tel autre, c’est sa capacité ou non à nourrir la confiance de lecteurs en la personne de Jésus. Le premier qu’il retient est le mariage de Cana : « Tel fut à Cana en Galilée, le commencement des signes que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui » (Jn 2,11).

Littérature engagée ? Bien sûr, car quel livre pourrait se prétendre objectif, uniquement factuel ? « Un fait, ça se fait » : les historiens savent bien qu’il y a une multitude d’approches légitimes de la Révolution française ou de la Guerre de cent ans par exemple. Selon que l’on adapte le point de vue des vainqueurs, des puissants, des petites gens, des perdants… on n’aura pas le même récit ! Il suffit de comparer le contenu des journaux télévisés de France 2, Radio France International, et Arte - qui pourtant sont toutes des chaînes publiques - pour comprendre facilement que ce qui est présenté comme factuel dépend en fait du point de vue de l’observateur.

La différence entre un fait et un signe demeure capitale pour nous aujourd’hui encore. Beaucoup de faits divers ne nourrissent pas, au sens où ils ne nous font ni grandir en humanité, ni réfléchir, ni nous convertir. Si nous voulons éveiller la foi d’autrui, nous devons discerner parmi les tonnes d’informations dont nous sommes abreuvés celles qui peuvent faire signe à nos contemporains, à nos proches, à notre public. Si on vous demande de « rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1P 3,15), n’allez pas réciter le Credo ni invoquer les miracles de Lourdes ! Témoignez plutôt de votre rencontre personnelle avec le Christ, à travers une retraite, une lecture, une rencontre, une expérience bouleversante, tout ce qui a jalonné la construction de votre foi personnelle, et pas seulement familialement héritée ou socialement conforme.

Cahiers Evangile. n° 145, Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean, 1 : le livre des signes (Jn 1-12)Jean a fait ce travail. Il a choisi 7 signes (parce que 7 est le chiffre de la Création, et avec  Jésus c’est une nouvelle création du monde qui est en jeu) qui structurent la première partie de son Évangile. Ses 12 premiers chapitres du livre sont souvent appelés : le livre des signes, et le suivant : le livre de l’Heure, tout orienté vers la Croix.

Les sept signes de l’évangile de Jean :

1. L’eau changée en vin à Cana (Jn 2, 1-12)
2. La guérison du fils d’un officier (Jn 4, 43-54)
3. La guérison d’un paralytique (Jn 5, 1-16)
4. La multiplication des pains pour les cinq mille hommes (Jn 6,15)
5. Jésus marche sur les eaux (Jn 6, 16-21)
6. La guérison de l’aveugle-né (Jn 9, 1-41)
7. La résurrection de Lazare de Béthanie (Jn 11, 1-46)

Le huitième signe est celui que nous lisons depuis Pâques : le tombeau vide, les manifestations aux femmes, aux disciples, à Thomas. Car 8 est le chiffre messianique par excellence (cf. les 8 jours de Hanoucca, de la circoncision, les 8 personnes en tout sauvées dans l’arche de Noé, les 8 marches du Temple d’Ézéchiel 40,31 etc.), le chiffre de la nouvelle création du monde (après les 7 jours de la première) qui est accomplie avec Pâques (d’où nos clochers et baptistères hexagonaux…).

 

Quel sera votre livre des signes ?

Le défi pour nous est donc celui-ci : quels événements de notre histoire peuvent devenir des signes invitant d’autres à croire ? Qu’est-ce qui dans notre parcours personnel peut faire signe à d’autres, parce qu’ils s’y reconnaîtront, ou parce que cela leur ouvrira les portes de la foi en leur rendant possible la découverte du Christ ?

220px-Chappe_telegraf Jean dans Communauté spirituelleLe mot signe (semeion en grec) employé par Jean est souvent traduit par miracle. Or c’est trop réducteur. Le mot a servi à forger celui de sémaphore, qui fait des signes aux bateaux ou aux voyageurs pour les guider à travers les dangers. Il a également donné le mot sémiotique, la science de l’analyse du langage basée sur le texte lui-même (et non son contexte). De même la sémantique, discipline étudiant la signification des mots, notamment à partir de leur étymologie et de leur histoire.

Jean discerne un signe dans un fait lorsque celui-ci peut porter à adhérer à la personne de Jésus. À ce titre, il distingue soigneusement les signes (qui font appel à la liberté intérieure de chacun) des prodiges (qui s’imposent à tous), ou même des miracles (au sens moderne du terme = de l’inexplicable, de l’irrationnel). À l’image de Jésus qui se méfiait de la course aux miracles polluant le désir spirituel des foules : « Comme les foules s’amassaient, il se mit à dire: « Cette génération est une génération mauvaise; elle demande un signe ! En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe de Jonas. Car, de même que Jonas fut un signe pour les gens de Ninive, de même aussi le Fils de l’homme en sera un pour cette génération » » (Lc 11, 29-35).
Notre foi ne repose pas sur des miracles, mais sur des signes, comme les 7 dont Jean atteste en s’en portant garant personnellement, témoin véridique et crédible :
« C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est conforme à la vérité » (Jn 21,24).

Alors, si on vous demande : ‘pourquoi croyez-vous ?’, quels seront les signes que vous allez choisir de raconter ? Quel sera votre livre des signes que vous allez consigner ? Qu’allez-vous mettre par écrit des événements de votre vie dans lesquels vous avez reconnu (après coup) les traces de l’amour de Dieu ? Éliminez d’emblée le miraculeux (il ne doit pas y en avoir des masses…), l’anecdotique, le convenu, l’impersonnel, bref tout ce qui ne fera pas signe à votre lecteur/auditeur. Passez au crible, au tamis de la relecture spirituelle les rencontres, les lectures, les amis, les témoignages, les expériences qui vous ont bouleversé et vous ont mis à la recherche du Christ.

Arrêtez-vous à 7, comme Jean. Davantage, ce serait du bavardage !

Et si vous n’en trouvez pas, demandez-vous sur quoi repose votre foi…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachèrent au Seigneur » (Ac 5, 12-16)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

À Jérusalem, par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris.

Psaume
(Ps 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a)

R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! ou : Alléluia ! (117, 1)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Oui, que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !
Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

Donne, Seigneur, donne le salut !
Donne, Seigneur, donne la victoire !

Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
De la maison du Seigneur, nous vous bénissons !
Dieu, le Seigneur, nous illumine.

Deuxième lecture
« J’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles » (Ap 1, 9-11a.12-13.17-19)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

 Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d’une trompette. Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. » Je me retournai pour regarder quelle était cette voix qui me parlait. M’étant retourné, j’ai vu sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme, revêtu d’une longue tunique, une ceinture d’or à hauteur de poitrine. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. »

Évangile
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia.
Thomas parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

 Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

20 janvier 2019

Faire corps

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Faire corps


Homélie pour 3° dimanche du temps ordinaire / Année C
27/01/2019

Cf. également :

Saules pleureurs
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies
L’événement sera notre maître intérieur
Accomplir, pas abolir

L’image du corps que Paul déploie dans notre deuxième lecture (1Co 12, 12-30) est devenue majeure dans la foi chrétienne. À sa suite, l’Église se comprend comme un corps vivant, le corps du Christ. La communion eucharistique nous agrège à ce corps que nous recevons au creux de nos mains. Ainsi unis au Christ qui en est la Tête, notre corps collectif et personnel est associé à sa résurrection. Bref : impossible d’évoquer le cœur du christianisme sans parler du corps.

Faire corps avec  / contre

La force de cette image paulinienne a diffusé dans toute la société. Faire corps est un enjeu majeur dans presque tous les domaines : faire corps avec son équipe en sport, au théâtre avec son public, dans les arts avec la nature ou l’œuvre, en politique avec le peuple, en équitation avec sa monture, en surf avec les vagues etc.
On ne fait pas corps qu’avec, on doit également le faire contre. Faire corps contre le terrorisme est devenu une urgence nationale. Faire corps contre les maladies rares garantit le succès du Téléthon. Faire corps contre la misère ou l’injustice a suscité la naissance des syndicats et partis politiques hier, des Gilets Jaunes aujourd’hui…
La cohésion sociale trouve dans l’image du corps utilisé par Paul sa meilleure défense.

Vivre ensemble demande de s’accepter aussi différents que l’oreille et l’œil qui pourtant font partie du même corps. Vivre ensemble demande également de protéger les plus faibles et les moins brillants, comme nous protégeons les parties intimes (les moins décentes dit Paul) de notre corps. Cela va même jusqu’à leur accorder une certaine priorité, une « option préférentielle pour les pauvres » : « Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu ». Vivre ensemble demande encore de la sympathie, de la compassion, c’est le même mot en grec et en latin qui signifie « souffrir avec », selon l’expression de Paul : « si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ». Souffrir avec ceux qui souffrent pour rompre leur isolement et trouver avec eux et les chemins de la guérison. Se réjouir avec ceux qui se réjouissent pour décupler leur joie et la nôtre.
Le but ultime de cette intériorité mutuelle de tous les membres est l’unité du corps : notre corps ne fait qu’un quoiqu’ayant plusieurs membres, car il n’y a qu’un unique Esprit. « Dieu a voulu ainsi qu’il n’y pas de division dans le corps ».

Cette image du corps ne vaut pas seulement pour l’Église. Elle nous donne une autre vision de la nature et de la finalité de nos familles, de nos entreprises, de nos associations, de notre vie politique.

L’entreprise comme corps vivant

L'Entreprise libéréeAppliquez cette image du corps à l’entreprise, quelle que soit sa taille ou son activité. Sa finalité, quoi qu’en disent les économistes libéraux, n’est pas de faire du profit, mais de faire exister et vivre une communauté grâce à une activité commune. La communauté des salariés, des partenaires, les fournisseurs, des clients même. Faire corps grâce au travail partagé au sein d’un même groupe humain est l’objectif ultime que les autres indicateurs doivent servir. Ainsi le profit est utile lorsqu’il est cantonné à ce rôle de serviteur de l’unité du corps économique et social. La nature de l’entreprise réside dans la mise en commun des talents de chacun, comme les membres du corps, et non dans des rapports de domination hiérarchique, salariale ou actionnariale. Cette conception est bien éloignée des entreprises tayloriennes du XIX° siècle ! Mais les jeunes générations aspirent aujourd’hui à un management moins vertical, plus coopératif, sollicitant l’intelligence collective plus que l’autorité d’un seul.
Faire corps dans le domaine économique a donné lieu à de belles réalisations : les coopératives, les Mutuelles, l’actionnariat des salariés, la participation aux bénéfices, le Familistère de Guise, les kibboutz israéliens…
Actuellement, des courants de pensée comme « l’entreprise libérée » (Isaac Getz), l’holacratie ou les startups des millenials témoignent que la recherche de l’unité en faisant corps ensemble au travail n’a pas fini de faire émerger de nouveaux modes de production.

Les deux corps du roi

Faire corps dans Communauté spirituelleL’image paulinienne du corps a également marqué la politique occidentale. La thèse des deux corps du roi de Kantorowicz est devenue célèbre : le roi (ou le président sous la V° République…) possède certes un corps personnel, un corps privé affecté comme les autres par les émotions, les événements et les maladies. Mais, de par son sacre (ou son élection) ce corps physique est investi d’une symbolique plus grande que lui : il incarne l’État, la nation. C’est le corps mystique du roi en quelque sorte, en tant que représentant l’unité du pays qui transcende sa personne.

« Son corps politique est un corps qui ne peut pas être vu ni tenu matériellement, car il consiste dans l’action publique et le gouvernement, et il est constitué pour le peuple et la gestion du bonheur public » [1].

Les deux corps doivent être en harmonie, si bien que les attitudes et comportements du premier ne doivent pas contredire la grandeur du second.
Le premier corps est mortel, le deuxième corps ne peut pas mourir : « le roi est mort, vive le roi ! »
De Gaulle et Mitterrand savaient l’importance de maintenir la cohérence entre les deux corps. Ils restaient discrets, sobres et dignes pour leur intimité tout en incarnant la grandeur dans leur fonction. Sarkozy, Hollande et sans doute Macron aujourd’hui ont fait voler en éclats cette unité des deux corps du roi, les premiers en n’incarnant pas la grandeur de leur rôle mystique, le dernier en ne montrant pas la compassion et le souci des plus faibles qui caractérise celui qui a le souci du corps dans son ensemble. Il y a dès lors comme une nostalgie en France de cette synthèse perdue où les deux corps du roi incarnaient la grandeur du pays et sa cohésion vivante.

Faire corps est plus que jamais un impératif pour qui veut refonder la politique après la colère sociale de fin 2018. Faire corps demande de ne pas penser à la place de mais avec, de ne pas décider sans que tous puissent participer, de rester en contact de manière continue et non discontinue avec les citoyens, et de nourrir les liens qui empêchent l’oreille et l’œil de faire sécession sous prétexte qu’ils sont trop différents…

Les trois corps du Christ

Revenons à l’Église pour laquelle Paul a forgé cette comparaison du corps. En fait, l’unique corps du Christ se manifeste sous trois modalités qui font système, indissolublement.
Les Pères de l’Église ont inlassablement déployé la richesse de cette métaphore :

Chaque fois que le prudent lecteur trouvera dans les livres quelque chose concernant la chair ou le corps du Dieu Jésus, qu’il ait recours à cette triple définition de sa chair ou de son corps, telle que je ne l’ai pas trouvée dans ma présomption ni forgée par mon sens propre, mais telle que je l’ai tirée des sentences des Pères… Il faut en effet se représenter autrement cette chair ou ce corps qui pendit au bois et est sacrifié sur l’autel, autrement sa chair ou son corps qui est Vie demeurant en celui qui l’a mangé, autrement enfin sa chair ou son corps, qui est l’Église : car l’Église est dite la chair du Christ… […]

Cette trinité du Corps du Seigneur ne doit pas être comprise autrement que comme le Corps lui-même du Seigneur, considéré soit selon l’essence, soit selon l’unité, soit selon l’effet. Car le corps du Christ pour autant qu’il est en lui, se livre à tous en nourriture de vie éternelle, et il fait que ceux qui le reçoivent fidèlement vivent en unité avec lui, et par l’amour spirituel et par le partage de sa propre nature, à lui qui est la Tête du Corps de l’Église. [2]

La première modalité est le corps personnel de Jésus de Nazareth, que nous confessons comme Christ. Ce corps né de Marie, exposé sur le gibet de la croix, est désormais ressuscité, transfiguré à la droite de Dieu. Parce qu’il est fait de notre nature humaine, ce corps est pour nous la promesse de vie éternelle si nous pouvons y être greffés.

C’est précisément le rôle du deuxième corps, le corps eucharistique du Christ, que de nous associer à lui, en communiant à tout son être. Le corps sacramentel du Christ nous unit au corps vivant de Jésus ressuscité. Il ne le fait pas individuellement, car l’unité est la marque du corps vivant. Il le fait en Église, il fait l’Église en agrégeant chacun au Christ. « L’eucharistie fait l’Église » – selon le mot du Père de Lubac – en ce sens qu’elle crée la communauté en unissant chacun au Christ-Tête.

La mise ensemble symbolique de ces trois corps du Christ constitue ainsi ce que saint Augustin et les Pères de l’Église appelaient le Christ Total, Tête et corps. Le corps sacramentel (eucharistie) agrège chacun au Christ vivant dont nous devenons alors le corps vivant, ecclésial, membres chacun pour notre part. La structure des prières eucharistiques repose sur cet enlacement symbolique des trois corps du Christ, que l’on peut schématiser ainsi :

Les 3 corps du Christ

Ne séparons donc pas ce que le Christ a uni ! L’attachement à la personne du Christ, la vie sacramentelle et la vie en Église ne font qu’un, quoique différents (et parfois contradictoires dans la réalité historique hélas !).

Faire corps est un défi majeur de tous temps, en tous domaines.

Et si nous commencions par nos familles ? notre travail ?

 

 


[1]. Ernst Kantorowicz, Les Deux corps du roi. Une étude de la théologie politique médiévale, 1957.

[2]. Guillaume de Saint-Thierry (XII° siècle), Sur le sacrement de l’Autel, ch. 12 (PL 180, 361-362) in Catholicisme, Les aspects sociaux du dogme, Œuvres complètes VII, pp. 345-346, Cerf, Paris, 2003.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Tout le peuple écoutait la lecture de la Loi » (Ne 8, 2-4a.5-6.8-10)

Lecture du livre de Néhémie

En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »

Psaume
(Ps 18 (19), 8, 9, 10, 15)
R/ Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie.
(cf. Jn 6, 63c)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon cœur ;
qu’ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon rocher, mon défenseur !

Deuxième lecture
« Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Co 12, 12-30)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, prenons une comparaison : notre corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ? Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ? En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Mais en organisant le corps, Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.

Évangile
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture » (Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21) Alléluia. Alléluia.
Le Seigneur m’a envoyé, porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération. Alléluia. (Lc 4, 18cd)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.
En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ».
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,
1...89101112...19