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26 décembre 2023

Anne, la 8ème femme prophète : discerner le moment présent

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min


Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année B 

31/12/2023

 

Cf. également :
Le vieux couple et l’enfant
Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?
Aimer nos familles « à partir de la fin »
Une sainte famille « ruminante »
Fêter la famille, multiforme et changeante
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
La Sainte Famille : le mariage homosexuel en débat
Une famille réfugiée politique
Familles, je vous aime?

 

Enfin, elles votent !

Anne, la 8ème femme prophète : discerner le moment présent dans Communauté spirituelle image1-2Éclipsé par l’actualité guerrière de ces dernières semaines, le Synode des évêques à Rome en octobre dernier inaugure une pratique révolutionnaire pour cette assemblée : pour la première fois de son histoire [1], des femmes ont voté ! Elles sont 54 femmes, religieuses ou laïques, qui participaient de droit aux deux assemblées générales du Synode, avec droit de vote. Il a fallu attendre 1944 en France pour que les femmes aient le droit de vote, et donc 2023 dans l’Église catholique… Le lourd, lent et long paquebot-Église a mis du temps, mais cette fois-ci le coup de barre est donné. François a pris un trousseau de clés. Il a ouvert une petite porte et a jeté la clé. On ne pourra plus la refermer.

Ce qui était autrefois le privilège exclusif des évêques du Synode devient désormais le droit commun des baptisés. Certes, 54 femmes pour 365 délégués synodaux, c’est encore bien loin de la parité. Mais l’affirmation théologique est là : le discernement ecclésial d’une assemblée synodale repose sur le don de prophétie lié au baptême, hommes et femmes, et non sur la seule responsabilité des ministres ordonnés.

 

L’Évangile de notre dimanche de la Sainte Famille (Lc 2,22-40) pourrait nous en convaincre s’il le fallait : Syméon n’est pas le seul à discerner en l’enfant Jésus le Messie d’Israël. Anne la prophétesse l’a également reconnu. Mieux encore, elle en a parlé largement autour d’elle, ce qui fait d’elle chez Luc la première annonciatrice du mystère du Christ, la première missionnaire en quelque sorte.

 

Prophétiser, c’est discerner le moment présent

 Anne dans Communauté spirituelleContrairement aux idées reçues, le rôle des prophètes bibliques n’est pas de prédire l’avenir, mais de discerner ce qui est en train de se passer aujourd’hui (ce qui permet ensuite d’avertir pour l’avenir). Là où les pèlerins du Temple ne voient qu’un nouveau-né qui va être circoncis, Syméon reconnaît un Messie, « lumière qui se révèle aux nations, gloire d’Israël ton peuple ». Même Joseph et Marie s’étonnent, car ils n’avaient pas encore mesuré la portée de ce qui leur arrivait avec cette naissance.

Anne elle aussi reconnaît en cet enfant le libérateur d’Israël. Elle ne le garde pas pour elle comme Syméon, mais répand la bonne nouvelle sur toute l’esplanade du Temple. « Elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ».

Prophétiser, pour Anne comme pour Syméon, c’est d’abord interpréter correctement le moment présent : ce n’est pas une simple circoncision, mais le début d’une épopée ; ce n’est pas un simple sacrifice de tourterelles, mais une vie humaine qui devient sacrifice.

Syméon et Anne deviennent les premières figures d’une Église tout entière prophétique, hommes et femmes ensemble, capable de discerner les germes de renouveau, les débuts du royaume de Dieu, les prémices de la libération, là où les autres ne voient que de l’ordinaire et des coutumes. Comme l’avait prédit le prophète Joël : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon Esprit en ces jours-là » (Jl 3,1‑2). Depuis la Pentecôte, hommes et femmes ensemble ont reçu l’Esprit de prophétie, qui n’est pas réservé à un seul sexe.

 

51BMG831SNL._SY466_ femmesÀ bien des égards, les caractéristiques d’Anne font d’elles une prophétesse bien plus remarquable encore que Syméon :

  • Anne porte un prénom qui en hébreu signifie grâce : et c’est bien la grâce étonnante (‘amazing grace’) de la libération qu’elle va annoncer. Une grâce déjà présente, déjà à l’œuvre.
    Anne est encore le prénom de la mère du prophète Samuel, elle qui avait déjà annoncé : « Le Seigneur donnera la puissance à son roi, il élèvera le front de son messie » (1S 2,10).
    Pour Luc, ce prénom à lui seul rattache Jésus à la lignée messianique, puisque Anne a donné naissance à celui qui oindrait le premier roi Messie en Israël : Saül. 
  • Notre Anne est de la tribu d’Acer, qui signifie heureux en hébreu, et de fait c’est une grande joie qu’elle annonce à tout le peuple : « Un enfant nous est né, le libérateur d’Israël ! ».
    C’est d’ailleurs assez rare que le Nouveau Testament mentionne la tribu de quelqu’un. Seules trois autres figures – des hommes - y ont droit : Joseph (Lc 2,4;3,33) de la tribu de Juda ; Barnabé (Ac 4,36) de celle de Lévi ; et Paul (Ph 3,5) de celle de Benjamin.
  • Son père était Phanuel (Penouël), dont le nom signifie « Face de Dieu », selon Gn 32,31 : « Jacob appela ce lieu Penouël (c’est-à-dire : Face de Dieu), car, disait-il, j’ai vu Dieu face à face, et j’ai eu la vie sauve ». Anne est donc éduquée par son père à voir la Face de Dieu, à le contempler au Temple pour le reconnaître lorsqu’il viendra en Jésus.
  • Elle a été mariée 7 ans, le temps d’une première création (7 étant le chiffre de Gn 2,2). Puis le veuvage, comme une seconde création en attente, comme Israël se lamentant de l’absence de son Dieu. Ne dit-on pas qu’Israël est la fiancée du shabbat, allumant les bougies pour accueillir son époux qui vient au-devant d’elle ? Anne, en devenant veuve, personnifie la fidélité d’Israël à son Dieu dont les nations proclament la mort, mais qu’elle attend comme son bien-aimé. Une veuve inconsolable, qui ne va pas courir après d’autres  dieux pour remplacer le seul qui lui manque. L’Église également se reconnaît en cette veuve qui depuis la mort du Christ refuse de changer d’espérance en allant s’unir à d’autres pseudos Messies.
  • L’âge d’Anne renforce cette symbolique : elle a 84 ans, soit 7 fois 12 ans. 7 est le chiffre de la Création, 12 celui des tribus d’Israël ou des apôtres de l’Église. Anne est donc parvenue à cet âge où l’attente des nations, d’Israël et de l’Église se réalise enfin, réconciliant l’humanité entière en cet enfant-Messie.

 

Les 7 femmes prophètes de l’Ancien Testament

En cela, Anne est elle-même un signe messianique, car elle devient par sa prophétie sur Jésus la 8e prophétesse des Écritures, et 8 est le chiffre messianique par excellence (le 8e jour est le jour de la nouvelle création, et aussi le jour de la résurrection un dimanche). En effet, la tradition juive reconnaît par deux fois dans le Talmud que d’Abraham à Néhémie, 48 prophètes et 7 prophétesses ont prophétisé en Israël. Les femmes citées par le Talmud sont : Sarah, Myriam, Deborah, Hannah, Abigaïl, Houldah et Esther.

Voyons rapidement comment chacune a su discerner l’enjeu et la signification du moment présent de l’histoire qu’elle vivait.

 

• Sarah

Sarah a su discerner en Isaac le véritable héritier de la promesse faite à Abraham, alors qu’Abraham lui-même n’avait rien vu ! 

« Or, Sara regardait s’amuser Ismaël, ce fils qu’Abraham avait eu d’Agar l’Égyptienne. Elle dit à Abraham : “Chasse cette servante et son fils ; car le fils de cette servante ne doit pas partager l’héritage de mon fils Isaac.” Cette parole attrista beaucoup Abraham, à cause de son fils Ismaël, mais Dieu lui dit : “Ne sois pas triste à cause du garçon et de ta servante ; écoute tout ce que Sara te dira, car c’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom » (Gn 21, 9‑12).

prophetesses-in-the-bible-front prophèteRachi dans son commentaire découvre dans le verbe s’amuser de Gn 21,9 une allusion à trois péchés capitaux : l’idolâtrie, la transgression d’interdits sexuels, et le meurtre. Sarah, en voyant les jeux pas si innocents que cela d’Ismaël, voit clair dans son jeu, et demande du coup à Abraham de renvoyer Agar et Ismaël au désert. Prophétiser pour Sarah est ici voir clair dans le jeu de l’autre, dénoncer le mal, et avertir ceux qui doivent prendre des décisions pour éloigner ce mal.

 

• Myriam

L’Exode la qualifie de prophétesse lorsqu’elle chante et danse la victoire de Moïse sur Pharaon : 

« La prophétesse Myriam, sœur d’Aaron, saisit un tambourin, et toutes les femmes la suivirent, dansant et jouant du tambourin » (Ex 15,20). 

La prophétie de Myriam consiste alors à entraîner le peuple dans sa joie, dans sa louange au Dieu Sauveur, dont elle reconnaît l’action éclatante dans la victoire sur Pharaon. Elle dont le prénom signifie amertume célèbre la fin de l’amertume de l’esclavage. Elle sait que désormais son peuple est libre, et elle l’entraîne à la louange pour ancrer cette liberté dans sa mémoire à jamais. Myriam voit dans la délivrance la marque de l’amour de YHWH, et elle l’enseigne au peuple par le chant et la danse…

 

• Déborah

Forte femme que cette Déborah ! Elle occupait la fonction de juge pour arbitrer les conflits entre les tribus : 

« Or, Déborah, une prophétesse, femme de Lappidoth, jugeait Israël en ce temps-là. Elle siégeait sous le palmier de Déborah, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Éphraïm, et les fils d’Israël venaient vers elle pour faire arbitrer leurs litiges » (Jg 4,4–5). 

9781974927852 SynodeÀ l’image du palmier qui n’a qu’un seul cœur (ce qu’évoque aussi le nom du loulav, la palme qu’on agite à la fête de Souccot : lo-lev, littéralement : « il a un (seul) cœur »), Déborah est tout entière consacrée à la justice. L’Israël de cette génération, grâce à Deborah, n’avait qu’un seul cœur (dirigé) vers son Père céleste.

Déborah a compris ensuite qu’aucune tribu ne pourrait vaincre l’ennemi seule. Elle a donc organisé une levée en masse parmi tous les Hébreux. Certaines tribus, dont celles d’Éphraïm, de Benjamin et la demi-tribu orientale de Manassé, ont répondu à l’appel et envoyé leurs milices. Tandis que d’autres ont fermé les yeux, qui ont été sévèrement dénoncées pour leur manque de courage et pour être restées « près des enclos » (Jg 5,16). Sous le commandement de Barac, les forces de Déborah sont ensuite allées affronter l’armée cananéenne au mont Tabor.

Les forces adverses étaient dirigées par le général Sisra. Dès que celui-ci a donné l’ordre à ses neuf cents chars d’avancer, YHWH – dit le texte – a déclenché une pluie torrentielle qui a inondé la vallée de Jizréel et embourbé les chars ennemis. La milice de Barac n’en a fait qu’une bouchée. Déborah a célébré la victoire par un cantique vibrant : 

« Rois, écoutez ! Prêtez l’oreille, souverains ! C’est moi, c’est moi qui vais chanter pour le Seigneur, moi qui vais jouer pour le Seigneur, Dieu d’Israël ! » (Jg 5,3).

Prophétiser avec Déborah, c’est proclamer que le temps est à la résistance et pas à la soumission, c’est unir les forces des réseaux de la résistance pour faire face, au lieu de fermer les yeux.

 

Anne, mère de Samuel

Le cantique d’action de grâces d’Anne après la naissance de son fils si attendu, Samuel, préfigure le Magnificat de Marie : 

« Et Anne fit cette prière : Mon cœur exulte à cause du Seigneur ; mon front s’est relevé grâce à mon Dieu ! Face à mes ennemis, s’ouvre ma bouche : oui, je me réjouis de ton salut ! Il n’est pas de Saint pareil au Seigneur. – Pas d’autre Dieu que toi ! Pas de Rocher pareil à notre Dieu ! Assez de paroles hautaines, pas d’insolence à la bouche. Le Seigneur est le Dieu qui sait, qui pèse nos actes. L’arc des forts est brisé, mais le faible se revêt de vigueur. Les plus comblés s’embauchent pour du pain, et les affamés se reposent. Quand la stérile enfante sept fois, la femme aux fils nombreux dépérit. Le Seigneur fait mourir et vivre ; il fait descendre à l’abîme et en ramène. Le Seigneur rend pauvre et riche ; il abaisse et il élève. De la poussière, il relève le faible, il retire le malheureux de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, et reçoive un trône de gloire. Au Seigneur, les colonnes de la terre : sur elles, il a posé le monde. Il veille sur les pas de ses fidèles, et les méchants périront dans les ténèbres. La force ne rend pas l’homme vainqueur : les adversaires du Seigneur seront brisés. Le Très-Haut tonnera dans les cieux ; le Seigneur jugera la terre entière. Il donnera la puissance à son roi, il relèvera le front de son messie » (1S 2,1–10). 

Elle reconnaît déjà en Samuel celui qui va verser l’huile sur Saül et David, préparant ainsi les chemins d’une lignée messianique durable. 

Prophétiser avec Anne, mère de Samuel, c’est discerner en chacun sa vocation singulière, sa mission spécifique. L’autre Anne, avec Jésus, s’inscrit dans cette même lignée prophétique.

 

• Abigaëlle

Abigaïl est l’épouse de Nabal, un riche propriétaire rural qui avait refusé à David, alors qu’il était fugitif, des vivres pour sa troupe fidèle. Au début (1S 25), David est prêt à venger dans le sang l’affront qui lui est fait, mais Abigaëlle descend à sa rencontre, munie des provisions réclamées, et lui tient un discours si brillant d’intelligence que David cède à sa demande d’épargner Nabal. Par ailleurs, le futur roi d’Israël est ébloui par son extraordinaire beauté et, lorsque le mari aura succombé à ce qu’on pourrait appeler un coup de sang en apprenant l’intervention de son épouse, celle-ci rejoindra David qui la prendra pour femme.

Prophétiser avec Abigaëlle, c’est reconnaître l’erreur des siens, et réparer le tort commis. C’est voir le roi dans le fugitif qui comme David est rejeté de porte en porte. C’est enfin épouser celui qui était exclu, et épouser sa cause.

 

• Houldah

HuldahQui était Houldah ? Houldah signifie « belette ». La belette est un petit animal, très discret, vivant de nuit. Son comportement est caractéristique. Souvent elle s’assoit sur ses pattes arrières et se dresse verticalement pour observer tout ce qui est autour d’elle en tournant la tête de tout côté. Ainsi Houldah était discrète, elle ne se mettait pas en avant. Mais elle était toujours attentive à discerner dans tout ce qu’elle voyait quelle était la pensée de Dieu, comment Dieu lui parlait.

À l’époque de la réforme religieuse du roi Josias de Juda, un rouleau de la Torah est découvert dans les ruines du Temple à reconstruire (621 av. J.-C.). Houldah se montre prophétesse lorsqu’elle interprète le passage lu par le grand prêtre : 

« Alors le prêtre Helcias et Ahiqam, Akbor, Shafane et Assaya allèrent chez la prophétesse Houlda, femme du gardien des vêtements Shalloum, fils de Tiqwa, fils de Harhas. Elle habitait à Jérusalem dans la ville nouvelle. Quand ils lui eurent parlé, elle leur dit : “Ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Dites à l’homme qui vous a envoyés vers moi : “Ainsi parle le Seigneur : Moi, je vais faire venir un malheur en ce lieu et sur ses habitants, accomplissant ainsi toutes les paroles du livre que le roi de Juda a lu. Parce qu’ils m’ont abandonné et qu’ils ont brûlé de l’encens pour d’autres dieux, afin de provoquer mon indignation par toutes les œuvres de leurs mains, ma fureur s’est enflammée contre ce lieu et ne s’éteindra plus !” 

Mais au roi de Juda qui vous a envoyés consulter le Seigneur, vous direz : “Ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Ces paroles, tu les as entendues : puisque ton cœur s’est attendri et que tu t’es humilié devant le Seigneur, quand tu as entendu ce que j’ai dit contre ce lieu et ses habitants pour qu’ils deviennent dévastation et malédiction, puisque tu as déchiré tes vêtements et pleuré devant moi, eh bien ! moi aussi, j’ai entendu – oracle du Seigneur. À cause de cela, moi, je te réunirai à tes pères ; tu seras ramené en paix dans leurs tombeaux ; tes yeux ne verront rien de tout le malheur que je fais venir sur ce lieu.”” Helcias et ses compagnons rapportèrent la réponse au roi » (2R 22,14–20).

Interpréter les événements historiques à la lumière des Écritures est bien le don de prophétie : ceux qui abandonnent YHWH se condamnent eux-mêmes au malheur, ceux qui s’inclinent devant lui seront réunis à leurs pères, c’est-à-dire maintenus dans la communion des croyants.

 

• Esther

Dans l’empire perse du terrible Xerxès, le grand vizir Haman veut mettre en œuvre la première Shoah de l’histoire : l’extermination du peuple juif, parce qu’il est juif : 

« Comme on lui avait appris de quel peuple était Mardochée, il dédaigna de porter la main sur lui seul, et il résolut de faire disparaître, avec Mardochée, tous les Juifs qui étaient établis dans tout le royaume d’Assuérus » (Est 3,6). 

Mais la reine Esther, juive, prévient Xerxès de ce complot. Et elle joue de sa beauté pour tendre un piège à Haman. Celui-ci s’était laissé tomber sur le divan où était installée Esther. Xerxès s’écria alors : « Cet individu veut-il en plus violer la reine sous mes yeux, dans mon palais ? » (Est 7,8). Haman et ses fils ont été traînés dehors et pendus, mais il était impossible d’annuler l’ordre de massacre prévu par Haman, car il avait fait l’objet d’un décret royal. Ému par les supplications d’Esther, le roi a alors promulgué un décret autorisant les juifs de son royaume à porter des armes pour se défendre. Ainsi, les juifs étaient préparés quand la milice est venue pour les tuer : « Les Juifs frappèrent alors tous leurs ennemis à coups d’épée. Ce fut une tuerie, un carnage ; leurs adversaires furent livrés à leur bon plaisir » (Est 9,5).

Prophétiser avec Esther, c’est déjouer les complots qui se trament contre la dignité humaine. C’est dévoiler le mensonge et la perfidie qui rendent possibles les pogroms, les massacres en tous genres. C’est finalement armer les plus faibles pour leur permettre de résister et de sauver leur vie…

Au cours du festin royal, la reine Esther dévoile à Assuérus le complot d’Haman contre les Israélites

 

Vos fils et vos filles prophétiseront

aquarelle-illustration-descente-de-l-esprit-saint-sur-les-apôtres-trinité-jour-pentecôte-blanc-prier-hommes-et-femmes-le-sous-226307953Anne vient donc au terme de cette lignée de 7 femmes prophètes [2]. Elle confirme que ce don de prophétie est répandu sur toute chair, ce que l’Esprit de Pentecôte réalise en plénitude : 

« Mais ce qui arrive a été annoncé par le prophète Joël : Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos anciens auront des songes. Même sur mes serviteurs et sur mes servantes, je répandrai mon Esprit en ces jours-là, et ils prophétiseront » (Ac 2,16-18 ; cf. Jl 3,1–2). 

Anne la prophétesse est avec Syméon l’incarnation de l’égalité hommes-femmes dans l’Église quant à la capacité de discerner ce qui est en jeu dans le moment présent, grâce à l’Esprit de prophétie de notre baptême commun.

« Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1,14).

C’est donc toute justice que de permettre à tous les baptisés, hommes et femmes, de participer à égalité au discernement spirituel que l’histoire requiert de nos Églises. Les prophétesses de la Bible nous ont montré ce qu’est discerner en paroles et en actes, avec toutes les implications politiques, sociales, religieuses que cela entraîne.

Puissions-nous nous encourager, hommes et femmes ensemble, à pratiquer ce discernement prophétique, et pas seulement au Synode des évêques à Rome.

 

_____________________


[1]
. En octobre 2019, 35 femmes participaient au Synode sur l’Amazonie. Elles ne disposaient toutefois pas de droit de vote sur le document final de l’assemblée.


[2]
. Le Nouveau Testament connaît d’autres prophétesses, comme par exemple les quatre filles du ‘diacre’ Philippe : « Partis le lendemain, nous sommes allés à Césarée, nous sommes entrés dans la maison de Philippe, l’évangélisateur, qui était l’un des Sept, et nous sommes restés chez lui. Il avait quatre filles non mariées, qui prophétisaient » (Ac 21,8 9).


 LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ton héritier sera quelqu’un de ton sang » (Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram ! Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. » Abram répondit : « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ? Je m’en vais sans enfant, et l’héritier de ma maison, c’est Élièzer de Damas. » Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance, et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier, mais quelqu’un de ton sang. » Puis il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Le Seigneur visita Sara comme il l’avait annoncé ; il agit pour elle comme il l’avait dit. Elle devint enceinte, et elle enfanta un fils pour Abraham dans sa vieillesse, à la date que Dieu avait fixée. Et Abraham donna un nom au fils que Sara lui avait enfanté : il l’appela Isaac.
 
PSAUME
(104 (105), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Le Seigneur, c’est lui notre Dieu ;il s’est toujours souvenu de son alliance.(104, 7a.8a)

Rendez grâce au Seigneur, proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ;
chantez et jouez pour lui,
redites sans fin ses merveilles.

Glorifiez-vous de son nom très saint :
joie pour les cœurs qui cherchent Dieu !
Cherchez le Seigneur et sa puissance,
recherchez sans trêve sa face.

Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites,
de ses prodiges, des jugements qu’il prononça,
vous, la race d’Abraham son serviteur,
les fils de Jacob, qu’il a choisis.

Il s’est toujours souvenu de son alliance,
parole édictée pour mille générations :
promesse faite à Abraham,
garantie par serment à Isaac.

DEUXIÈME LECTURE
La foi d’Abraham, de Sara et d’Isaac (He 11, 8.11-12.17-19)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.
 
ÉVANGILE
« L’enfant grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. À bien des reprises, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils. Alléluia. (cf. He 1, 1-2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. » Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

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10 décembre 2023

Le messianisme du trône vide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le messianisme du trône vide

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année B
17/12/2023

Cf. également :
Gaudete : je vois la vie en rose
Que dis-tu de toi-même ?
Tauler, le métro et « Non sum »

Réinterpréter Jean-Baptiste
Que dis-tu de toi-même ?
Un présent caché
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
La croissance illucide

Marie aurait-elle une conscience politique relativement nulle ?
Le messianisme du trône vide dans Communauté spirituelle Visitation%2BMagnificat
J’adore le Magnificat (Lc 1,47-55) que ce troisième dimanche de l’Avent nous sert en guise de psaume. Le chanter, l’étudier, le méditer, le réciter… : c’est une source extraordinaire d’élan pour la louange, de courage pour le combat spirituel, d’espérance pour tenir bon. Pourtant, un verset m’irrite à chaque fois : dans la version complète du Magnificat (pourquoi la liturgie n’en donne-t-elle que quelques morceaux ce dimanche ?), Marie proclame : « il renverse les puissants de leurs trônes ». Ce qui me choque, ce n’est pas la chute des puissants – au contraire, quelle joie ! –, c’est bien plutôt la persistance de leurs trônes. On m’a appris à distinguer le pécheur du péché : c’est celui-là qu’il faut renverser pour sauver celui-ci. On m’a appris que le tout est plus que la somme de ses parties : c’est le système qu’il faut changer et pas celui qui en profite. À quoi sert de renverser le tyran si le régime tyrannique demeure ? Un autre tyran montera sur le trône, et tout sera à refaire !

Certes, Marie n’est qu’une jeune fille de 16-18 ans lorsqu’elle est censée proclamer le Magnificat, peu instruite donc de la géopolitique du Moyen-Orient et au-delà. Mais quand même ! C’est un peu court de viser un ‘méchant’ seulement, et de croire que sa disparition va tout arranger. On l’a bien vu avec Saddam Hussein en Irak ou avec le Shah d’Iran, ou avec Kadhafi en Libye etc. : faire chuter le tyran n’est jamais que changer de maître, et obtient rarement la liberté. Nelson Mandela l’avait bien compris : il n’a pas voulu renverser le président De Klerk, mais au contraire œuvrer avec lui pour changer le régime et la constitution d’Afrique du Sud, et c’est ensemble qu’ils ont obtenu le prix Nobel de la paix. C’est l’apartheid qu’il faut renverser et non celui qui le met en œuvre, quel qu’il soit !
Jean Paul II parlait de « structures de péché » à détruire, car elles manipulent les individus pris à leur piège : « elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes » (Sollicitudo Rei Socialis, n° 36). C’est la corruption qu’il faut éliminer et non les corrompus, le trafic d’êtres humains et non les passeurs, les cartels de la drogue et non leurs chefs, la Mafia et non les mafieux etc.

Renverser les puissants de leurs trônes sans renverser leurs trônes apparaît alors comme une naïveté politique, presque touchante si elle n’était coupable de perpétrer le malheur des petits en ne touchant pas aux structures de leur oppression.
Comment sortir Marie de ce piège ? Comment l’innocenter de cette accusation d’immaturité politique qui fait le lit de l’exploitation des petits et des pauvres ?

 

Le pouvoir biblique et son auto-effacement
Il faut d’abord remarquer que le Magnificat est une savante et complexe construction théologique à partir d’une multitude de textes bibliques. J’ai compté pas moins de 39 références en marge du texte dans la colonne de droite de ma TOB ! Il est peu probable que Marie de Nazareth ait pu improviser cette composition remarquable d’un seul jet. On y voit plutôt l’œuvre des premières communautés judéo-chrétiennes, qui ont pendant des décennies relu les Écritures – il n’y avait que le premier Testament à l’époque – en les faisant converger vers la figure du Messie Jésus. En resituant ce texte dans l’expérience politique et militaire d’Israël, la naïveté politique de Marie prend une autre couleur : puisque les puissants seront renversés de leur trône, si d’autres prennent leur place, ils seront renversés à leur tour. Autrement dit : les trônes doivent rester vides. Nul puissant n’a le droit de s’asseoir à la place qui est celle de Dieu, décrétant ce qui est bien ou mal, usant de la force pour imposer ses intérêts.

Tout pouvoir vient de Dieu - Un paradoxe chrétien de Emilie Tardivel -  Livre - DecitreVoilà pourquoi Paul fait écho à Marie lorsqu’il avertit : « tout pouvoir vient de Dieu » (Rm 13,1). Il semble prêcher la soumission du citoyen aux autorités civiles, mais en fait il rappelle aux autorités qu’elles doivent être soumises à Dieu [1]. Paul ne prône pas la soumission à l’Empire romain qui persécute les chrétiens. Il relativise le pouvoir de César en rappelant que le pouvoir ne vient pas de celui qui l’exerce. Le pouvoir impérial n’a pas sa source en lui-même. Donc il agit arbitrairement s’il se coupe de sa source qui n’est pas en lui, mais en Dieu. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est prêcher un autre rapport au pouvoir, un rapport qui le maintient dans une distance critique vis-à-vis de lui-même, puisqu’il n’a pas en lui-même son origine. C’est empêcher l’idolâtrie qui guette la politique. La politique a tendance à se regarder elle-même, à contempler sa propre puissance, en ne cherchant rien d’autre que son accroissement. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est situer le pouvoir par rapport à quelque chose de plus grand que lui. C’est dire que la puissance n’est pas la norme ultime d’une bonne politique.

Plus encore, c’est situer le pouvoir dans l’horizon de sa suppression. Si tout vient de Dieu, tout revient également à Dieu. Le pouvoir est appelé à être supprimé : pas seulement à la fin des temps, mais en tant qu’il est conçu comme légitime seulement s’il fait advenir un lien politique qui se passe de pouvoir – lien que Saint Paul appelle d’un nom aujourd’hui galvaudé : l’amour. En ce sens dire que tout pouvoir vient de Dieu n’est pas une maxime théocratique, mais « anarchiste » – si l’on peut employer ce mot ambigu. Pour éclairer ce qu’elle appelle le « paradoxe eschatologique du pouvoir », Émilie Tardivel cite une phrase très intéressante de Gaston Fessard, selon laquelle si le pouvoir « poursuivait une autre croissance que celle qui le mène à disparaître, il deviendrait illégitime, et le droit par lui créé ne serait plus du droit ». Autrement dit : si le pouvoir ne cherche pas à s’abolir lui-même en instituant une société où règne l’Amour, il est condamné à disparaître [2].

Le pouvoir exercé selon la Bible  a tendance à s’effacer dans l’amour (agapê) ; il s’auto-limite pour laisser apparaître d’autres liens entre les humains. Il s’auto-détruit en quelque sorte – comme le message d’un épisode de ‘Mission impossible’ !– parce qu’il crée les conditions d’une vie sociale ne requérant plus l’exercice de la puissance. La puissance biblique est une puissance illimitée d’effacement de soi. C’est un concept destructeur de lui-même en quelque sorte. C’est pourquoi, si les puissants ne renversent pas eux-mêmes l’exercice de leur pouvoir en ce sens, ils seront renversés de leur trône. Le Magnificat de Marie est alors bien plus que la naïve espérance des pauvres voulant déboulonner la statue du tyran, bien plus que la volonté de revanche des révolutionnaires qui convoitent la place de celui qu’ils cherchent à destituer. C’est le rappel radical que les trônes doivent rester vides. Les puissants qui seraient tentés de s’y asseoir, de quelque bord qu’ils soient, seront vite renversés par l’action de Dieu dans l’histoire, passant par des Mandela, Martin Luther King et autres Gandhi.

 

L’hétimasie : garder le trône vide
Chanter le Magnificat en période d’Avent, c’est faire le lien entre l’attente de la seconde venue du Christ et la contestation du politique. Le Christ s’est absenté de l’Histoire : sa place doit rester vide, jusqu’au Jugement dernier. Les trônes politiques doivent être vidés de leurs occupants, qui usurpent la place du Christ. Les trônes religieux doivent eux aussi être laissés vides, si l’on veut que le Christ soit vraiment la tête de son Église, et pas un pape, ni un évêque, ni un prêtre, ni même une sainte, un prophète ou un gourou.

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

Dans la tradition byzantine, qu’elle soit de liturgie catholique ou orthodoxe, il y a dans les cathédrales, derrière l’iconostase et derrière le maître-autel, un trône sacré toujours vide, celui du Christ, avec, au-dessus, l’icône de Jésus-Christ. L’évêque (ou même le patriarche) qui siège dans cette cathédrale a son trône toujours placé en dessous du trône vide du Christ, le Chef invisible de l’Église. On appelle cette coutume l’hétimasie.

Le lien avec l’Avent est manifeste dans l’étymologie : hétimasie vient du grec ἑτοιμασία qui signifie préparation [3]. Il s’agit donc en laissant le trône vide de préparer la venue ultime du Messie, l’accomplissement de l’histoire

Le messianisme de Jésus est tout à fait paradoxal : il est le Messie en renonçant à « son droit d’être traité comme l’égal de Dieu » (Ph 2,6), il est le Messie en destituant toute figure de pouvoir, même la sienne. Il ne prend pas le trône des puissants, il laisse le trône vide pour lui substituer une communauté messianique. Messie sauveur veut donc dire pour nous : communion de frères et de sœurs unis dans l’Esprit.

Voilà pourquoi Dieu renverse les puissants, pas leurs trônes. Car laisser vide le trône permet de relativiser l’exercice du pouvoir, de le rapporter à Dieu comme à sa source, de préparer en cela la venue du seul roi de l’univers.
Vivre l’Avent, c’est vider nos trônes intérieurs de leurs occupants illégitimes.
C’est renverser tous les puissants - de l’Église, de la société, des entreprises etc. - pour attendre le Christ sans nous mettre à sa place.
Le messianisme du trône vide a des conséquences immenses sur notre exercice du pouvoir, de l’autorité, des distinctions honorifiques, des hiérarchies sociales, des décisions à prendre…
Laissez donc du vide dans vos agendas, vos projets, vos constructions. Alors grandira le Royaume au-dedans de vous et autour de vous, et vous ne saurez pas comment…

 

La part du pauvre
Évoquons pour terminer une forme dégradée – mais puissamment symbolique, et très populaire – de ce messianisme du trône vide.
Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

Cette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran.

Pourtant, de manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

203 chaises vides Octobre 2023

BDDPVOFTZBG5LJXA5XLJ2Q7ZYM Avent dans Communauté spirituelle
BDDPVOFTZBG5LJXA5XLJ2Q7ZYM hétymasie
Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Messie que les puissants n’ont pas le droit d’occuper.

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ?

 


[1]. Cf. Émilie Tardivel, Tout pouvoir vient de Dieu : un paradoxe chrétien, Ed. Ad Solem, 2015.

[3]. L’infinitif etoimasai, « préparer », est employé dans les évangiles de Luc (1,17;1,76;9,52) et de Jean (14,2).

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je tressaille de joie dans le Seigneur » (Is 61, 1-2a.10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur.
Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu. Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.

CANTIQUE
(Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54)
R/ Mon âme exulte en mon Dieu.   (Is 61, 10)

Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.

Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.

Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour

DEUXIÈME LECTURE
« Que votre esprit, votre âme et votre corps soient gardés pour la venue du Seigneur » (1 Th 5, 16-24)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera.
 
ÉVANGILE
« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jn 1, 6-8.19-28)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui es-tu ? » Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. » Ils lui demandèrent : « Alors qu’en est-il ? Es-tu le prophète Élie ? » Il répondit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le Prophète annoncé ? » Il répondit : « Non. » Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ? Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? » Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens. Ils lui posèrent encore cette question : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? » Jean leur répondit : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »
Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.
Patrick BRAUD

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26 novembre 2023

À l’improviste !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

À l’improviste !

 Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année B
03/12/2023

Cf. également :
Dans l’événement, l’avènement
L’événement sera notre maître intérieur
Se laisser façonner
L’Apocalypse, version écolo, façon Greta
Quand le cœur s’alourdit
Laissez le présent ad-venir
Encore un Avent…
L’absence réelle
Le syndrome du hamster

La venue. Quelle venue ?
Bonne année !
Sous le signe de la promesse
L’absence réelle
Anticiper la joie promise

C’est bien Versailles ici !
Connaissez-vous les publicités de TotalEnergies nous incitant à faire des économies d’électricité ? On y voit un homme éteindre systématiquement chez lui avant de se coucher toutes les lumières, veilleuses, aquariums et ordinateurs de la maison en admonestant ses enfants et sa femme : « c’est pas Versailles ici ! » Ce reproche est peut-être un signe annonciateur de l’écologie punitive que quelques ‘khmers verts’ voudraient imposer à tous… En tout cas, l’Évangile de ce dimanche (Mc 13,33-37) prend à contre-pied la symbolique de cette pub : ‘surtout n’éteins pas ta veille ! Garde sans cesse ta lampe allumée, fais provision d’huile pour tenir toute la nuit s’il le faut’ :

« Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

Autrement dit : c’est bien Versailles ici, dans le cœur et l’esprit de celui qui attend la venue du Christ ! Loin de tout éteindre, il nous faut au contraire maintenir tout allumé : notre intelligence, notre désir, notre amour. Rien de pire qu’un chrétien éteint ! Au lieu de mettre sur off, il nous faut paramétrer nos notifications intérieures pour être averti dès que de l’inattendu survient : c’est peut-être le Christ qui s’approche. Pierre à Gethsémani n’a pas su veiller une heure, alors que la bien-aimée du Cantique des cantiques demeure à l’affût : « je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5,2).

Jésus ne connaissait la théorie du chaos qui annonce l’imprévisibilité radicale de ce qui va arriver. Mais il en a l’intuition spirituelle. Pour lui visiblement, le présent de Dieu n’est pas la simple prolongation du passé humain. Il peut se produire du neuf à tout instant, déjouant les plans, les stratégies, les calculs. « Vous ne savez pas… » : ce constat d’inconnaissance revient très souvent dans les Évangiles. « Vous ne savez pas quand ce sera le moment. [...] Vous ne savez pas quand vient le maître de la maison…»

Ici, c’est l’ignorance de la date du retour du maître parti en voyage, du royaume de Dieu lui-même. C’est « à l’improviste » que se manifeste l’arrivée du maître.
Le présent de Dieu ne peut donc pas se programmer, se planifier. Il n’est pas prédictible, plus encore que la météo à 15 jours. Surveiller ou contrôler ne sert à rien. C’est veiller qui est l’attitude juste, c’est-à-dire guetter les signes d’une ad-venue inattendue et imprévisible.
Le présent de la foi chrétienne est un événement, au sens littéral du terme : ex-venire = ce qui vient d’ailleurs. Il nous est donné par un Autre. Il échappe à toute mainmise.
Plus encore : ce présent nous vient du futur. Le Christ ressuscité venant à notre rencontre engendre dans notre vie ces événements par lesquels il nous invite à orienter notre existence vers la plénitude finale. « Deviens qui tu seras » : notre vocation en Christ reflue sur notre condition actuelle, tel le mascaret remontant de la mer au fleuve par l’embouchure en une étrange vague à contre-courant…
D’où le nom du temps liturgique qui commence : ad-ventus = Avent = ce qui vient vers nous.

 

Une soudaineté heureuse
Arrêtons-nous sur l’une des caractéristiques de la venue du Christ que nous célébrons en ce début d’Avent : la soudaineté. « S’il arrive à l’improviste (ξαφνης), il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis ».
Le terme grec employé par Marc est ξαφνης (exaiphnes). C’est l’unique usage de ce mot en Marc. Les 4 autres emplois du terme dans le Nouveau Testament nous en disent un peu plus :

À l’improviste ! dans Communauté spirituelle– La soudaineté de Noël évoquée par Luc à l’arrivée des bergers nous invite à écouter tout ce qui chante la gloire de Dieu, surtout quand elle se cache dans la figure du tout-petit : « Et soudain (exaiphnes) il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu… » (Lc 2,13)
– Luc raconte qu’un ‘possédé’ – un épileptique sans doute – est secoué par des crises subites et violentes, ce qui invitent plutôt à nous méfier de la soudaineté du déchaînement du mal qui peut tout emporter, tel l’oued au désert : « Un esprit le saisit, et aussitôt (exaiphnes) il pousse des cris; et l’esprit l’agite avec violence, le fait écumer, et a de la peine à se retirer de lui, après l’avoir tout brisé » (Lc 9,39).
– Les deux derniers usages du mot
soudain sont placés par Luc dans la bouche de Paul lorsqu’il raconte son appel sur le chemin de Damas : « Comme j’étais en chemin, et que j’approchais de Damas, tout à coup (exaiphnes), vers midi, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi » (Ac 22,6;9,3). Lorsque Dieu nous appelle, il est capable de le faire à l’improviste, alors que nous sommes loin de lui, voire contre lui comme Saül le persécuteur de chrétiens allant vers Damas accomplir sa sinistre besogne.

Ce qui est remarquable, c’est que la soudaineté divine dans le Nouveau Testament est une soudaineté heureuse, alors que dans l’Ancien Testament lorsque Dieu vient à l’improviste c’est pour provoquer la ruine et le malheur sur Israël infidèle ou sur ses ennemis.
- Ainsi la maison de Jacob s’écroule tout d’un coup, sans prévenir, sur sa famille : « Soudain un grand vent est venu depuis l’autre côté du désert et a frappé contre les quatre coins de la maison. Elle s’est écroulée sur les jeunes gens et ils sont morts » (Jb 1,19).
- Les pratiques de magie et de sorcellerie attireront de grandes souffrances se déversant à l’improviste sur ceux qui ont recours : « 
Ces deux souffrances – la perte d’enfants et le veuvage – t’atteindront en un instant, en un seul jour. Elles te frapperont de plein fouet malgré tous tes rites de sorcellerie, malgré toute la puissance de tes pratiques magiques » (Is 47,9).
- La dévastation arrivera de manière rapide et inattendue sur Jérusalem si elle délaisse son Seigneur :
« Fille de mon peuple, habille-toi d’un sac et roule-toi dans la cendre, prends le deuil comme pour un fils unique, verse des larmes, des larmes pleines d’amertume, car c’est de façon soudaine que le dévastateur viendra sur nous » (Jr 6,26).
« Je rends ses veuves plus nombreuses que les grains de sable de la mer. J’amène sur eux, sur la mère du jeune homme, le dévastateur en plein midi. Je fais soudain tomber sur elle l’angoisse et la terreur » (Jr 15,8).
« C’est pourquoi, voici ce que dit l’Éternel: Je prépare contre ce peuple un malheur dont vous ne dégagerez pas votre cou, et subitement vous ne marcherez pas la tête haute (Mi 2,3).
43292358 Avent dans Communauté spirituelle- Seul Malachie annonce un revirement en nourrissant l’espérance du peuple d’accueillir un jour le messager du Seigneur se manifestant dans son temple, à l’improviste, inattendu, presque par surprise : « Voici que j’enverrai mon messager pour me préparer le chemin. Et soudain, il entrera dans son Temple, le Seigneur que vous cherchez ; le messager de l’alliance que vous désirez, le voici qui arrive, dit l’Éternel, le maître de l’univers » (Mal 3,1). Les chrétiens n’ont eu aucun mal évidemment à reconnaître ce messager en Jésus au Temple de Jérusalem.

Il y a donc une inversion de sens de la surprise de l’un à l’autre Testament : du malheur et de la ruine survenant à l’improviste, on passe à la soudaine venue du Christ apportant jugement et salut.
Cette soudaineté sera heureuse pour ceux qui l’attendent, mais confondante pour ceux qui s’étaient endormis dans le luxe et l’injustice : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste » (Lc 21,34) ; « Quand les gens diront : ‘Quelle paix ! Quelle tranquillité !’, c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper » (1Th 5,3).
L’enjeu est de ne pas passer à côté de cette irruption soudaine de l’amour de Dieu dans nos vies. Celui qui regarde le ciel sans regarder ne verra pas l’étoile filante ni la météorite qui soudain traverse l’espace…

 

Marie Madeleine et le jardinier inattendu
Le pape Grégoire le Grand (540-604) a prononcé une homélie (n° 25) extraordinaire sur Marie-Madeleine. Il note qu’après avoir vu le tombeau vide, Simon-Pierre et Jean rentrèrent chez eux (ils ont même repris leur métier de pêcheur comme si de rien n’était), alors que Marie-Madeleine reste là, dehors, à pleurer, refusant d’être consolée et de passer à autre chose : « Les disciples s’en retournèrent donc chez eux. Marie, elle, se tenait près du tombeau, au-dehors, et pleurait » (Jn 20, 10-11).

 désir« Elle recherchait celui qu’elle ne trouvait pas, elle pleurait en le cherchant, et, embrasée par le feu de son amour, elle brûlait du désir de celui qu’elle croyait enlevé. C’est pour cela qu’elle a été la seule à le voir, elle qui était restée pour le chercher, car l’efficacité d’une œuvre bonne tient à la persévérance, et la Vérité dit cette parole : Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé.

Elle a donc commencé par chercher, et elle n’a rien trouvé ; elle a persévéré dans sa recherche, et c’est pourquoi elle devait trouver ; ce qui s’est produit, c’est que ses désirs ont grandi à cause de son attente, et en grandissant ils ont pu saisir ce qu’ils avaient trouvé. Car l’attente fait grandir les saints désirs. Si l’attente les fait tomber, ce n’était pas de vrais désirs. C’est d’un tel amour qu’ont brûlé tous ceux qui ont pu atteindre la vérité. Aussi David dit-il : ‘Mon âme a soif du Dieu vivant : quand pourrai-je parvenir devant la face de Dieu ?’ Aussi l’Église dit-elle encore dans le Cantique des cantiques : ‘Je suis blessée d’amour’. Et plus loin : ‘Mon âme a défailli’.

Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? On lui demande le motif de sa douleur, afin que son désir s’accroisse, et qu’en nommant celui qu’elle cherchait, elle rende plus ardent son amour pour lui ».

Grégoire pointe là très justement le lien entre la veille et la rencontre : le désir. Celui qui ne désire plus rien ne veille pas. Il vit en automate (métro, boulot, dodo) en satisfaisant ses besoins primaires sans rien attendre d’autre. En désirant d’un saint désir, Marie-Madeleine fait grandir sa capacité d’attendre, de veiller, même devant un tombeau vide où normalement plus rien ne va se passer. Grâce à cela elle ne manque pas l’étoile filante dans le ciel que Pierre et Jean ne voient pas tout de suite. Elle reconnaît être rencontrée, prenant pour le jardinier celui qu’elle recherchait de tout son être sans oser y croire. Comme s’il fallait jardiner notre désir pour rencontrer le Ressuscité…

Notre désir nous garde en état de veille, s’il est un saint désir assoiffé de l’essentiel. Voilà l’huile pour la lampe. Lorsque le Christ nous intime : « veillez ! », l’Esprit nous indique le chemin : « désire ! ». Désire, et ne cède pas sur ton désir, s’il est vrai. Voilà comment veiller sans cesse : en désirant sans cesse, en désirant davantage, en désirant mieux, en élargissant notre désir à ce que nous ne pouvons contenir.
Désire, et tu veilleras. Veille à entretenir en toi ce désir mieux que la flambée dans la cheminée.

 

Quelle est l’improviste dans ma vie ?
– Si la caractéristique de la venue du Christ en nous est son caractère ‘à l’improviste’, nous avons là une bonne piste pour chercher des indices de cette venue dans notre histoire personnelle et collective. L’inattendu de Dieu est cette fracture de la glace à la surface d’un lac gelé qui soudain nous fait deviner une autre profondeur. Dieu vient à nous comme un voleur, par effraction. À l’improviste il nous surprend lorsque quelque chose de non-calculé nous bouleverse : une musique, une rencontre, une lecture, un geste de tendresse, de compassion…
Le gratuit souvent nous ouvre ‘à l’improviste’.
Le calculé se déroule logiquement sans surprise.
Le marchandé s’obtient par négociation, pas par grâce.

– À l’improviste, Dieu vient vers nous par le biais de notre désir trouvant soudain de quoi flamber sans mesure.
Une amie récemment divorcée me confiait au téléphone : « je sens que depuis ma séparation, mon cœur se ferme peu à peu et ne veut plus aimer. Je ne me laisse plus émouvoir par un visage, et je résiste malgré moi à la perspective de recréer ce lien ». C’est si tentant de se dessécher sur place, et de ne plus rien vouloir pour ne plus rien souffrir. L’extinction du désir est une forme d’anorexie spirituelle qui conduit à la mort.
Cette extinction peut également se dissimuler sous la poursuite de désirs superficiels ou vains. Ainsi l’homme riche qui ne sait plus quoi faire de ses greniers pleins de blé va mourir gavé : « insensé, cette nuit même on va te demander ta vie ! »

identite-narrative-storytelling Grégoire– Une troisième piste - après l’inattendu et le désir - pour reconnaître la venue de Dieu en nous est de raconter ce qui nous est arrivé. J’ai toujours été impressionné que Luc dans les Actes des Apôtres raconte trois fois la conversion de Paul sur le chemin de Damas : ni une, ni deux, mais trois fois ! Pourquoi ? Parce qu’un événement aussi inattendu, improbable – voire choquant – que la conversion d’un persécuteur demande de raconter, d’écrire, pour interpréter et garder en mémoire une telle bousculade. Imaginez que Poutine change pour se mettre au service de la paix entre les peuples ! Cela mériterait d’être raconté en détails pour les générations à venir…
On rejoint là ce que Paul Ricœur appelait l’identité narrative : tant que je n’ai pas fait le récit de ce qui m’est arrivé, je ne sais pas qui je suis (et les autres non plus).
Veiller demande de parler, d’écrire, de raconter les événements inattendus où quelque chose de l’amour de Dieu s’est manifesté pour nous. Un peu comme l’étoile filante demande à être filmée sur un smartphone pour être ensuite publiée sur les réseaux sociaux : un témoin, une image, et la déchirure du ciel à l’improviste devient crédible, reconnue, archivée.

L’inattendu, le désir, le récit : faisons feu de tout bois pour que flambe en nous l’attente de la venue de Dieu vers nous, pour que la vigilance nous prépare à recevoir, à l’improviste

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! » (Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe
C’est toi, Seigneur, notre père ; « Notre-rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom. Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Reviens, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face.
Voici que tu es descendu : les montagnes furent ébranlées devant ta face. Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï dire, nul œil n’a jamais vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend. Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. Tu étais irrité, mais nous avons encore péché, et nous nous sommes égarés. Tous, nous étions comme des gens impurs, et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés. Tous, nous étions desséchés comme des feuilles, et nos fautes, comme le vent, nous emportaient. Personne n’invoque plus ton nom, nul ne se réveille pour prendre appui sur toi. Car tu nous as caché ton visage, tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes. Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main.

PSAUME
(79 (80), 2ac.3bc, 15-16a, 18-19)
R/ Dieu, fais-nous revenir ;que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés ! (79, 4)

Berger d’Israël, écoute,
resplendis au-dessus des Kéroubim !
Réveille ta vaillance
et viens nous sauver.

Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l’homme qui te doit sa force.
Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

DEUXIÈME LECTURE
Nous attendons de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ (1 Co 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, à vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. Car le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous. Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ. Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.

ÉVANGILE
« Veillez, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison » (Mc 13, 33-37)
Alléluia. Alléluia. Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Patrick BRAUD

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19 novembre 2023

Christ-Roi : idéologie ou spiritualité ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Christ-Roi : idéologie ou spiritualité ?

Homélie pour la fête du Christ-Roi / Année A
26/11/2023

Cf. également :
Christ-Roi : Comme larrons en foire
Le jugement des nations

Un roi pour les pires
Église-Monde-Royaume
Le préfet le plus célèbre
Christ-Roi : Reconnaître l’innocent
La violence a besoin du mensonge
Non-violence : la voie royale
Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Roi, à plus d’un titre
Divine surprise
Le Christ-Roi fait de nous des huiles

D’Anubis à saint Michel
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Roi, à plus d’un titre
Les trois tentations du Christ en croix

Quand l’Église humiliait publiquement le comte de Toulouse
Imaginez la scène : le 18 juin 1209, Raymond VI comte de Toulouse s’avance pieds nus, vêtu simplement d’humbles braies et d’une chemise de bure, s’avance sur le parvis de la cathédrale Saint Gilles (près de Montpellier) vers le légat du pape, les nombreux évêques en grande tenue chamarrée qui l’entourent, la foule des badauds et les croisés venus soi-disant combattre l’hérésie albigeoise mais surtout s’approprier les terres des hérétiques. Devant ces personnages si importants, le comte de Toulouse, excommunié par le pape Innocent III pour avoir été trop complaisant envers les « bonshommes » – qu’on appellera « cathares » au XIX° siècle - prononce un long serment de fidélité à l’Église catholique et au Pape, pour lever les 15 chefs d’excommunication prononcés contre lui. Il ira même jusqu’à se croiser avec eux, pour éviter qu’on lui prenne ses terres (peine perdue !). Cette humiliation publique d’un souverain fait furieusement penser à la pénitence célèbre que le pape Grégoire VII a imposée à Henri IV, empereur germanique, à Canossa en janvier 1077.

Christ-Roi : idéologie ou spiritualité ? dans Communauté spirituelle OX6WTOVA7FYWpV00GIE9Vs1yEV8@686x240

Dans les deux cas, l’excommunication était l’arme nucléaire pour affirmer la supériorité du pouvoir ecclésial sur le politique. L’Église doit régner, par la force si besoin, pour que la société soit conforme à ce qu’elle interprète de la vérité de Dieu et de ses commandements. Le règne du Christ est alors très concrètement un règne politique, une vision que nous qualifierions aujourd’hui d’intégraliste, et même de contrôle total de la vie sociale sous prétexte du règne du Christ. De Constantin à Vatican II, l’Église catholique (et orthodoxe !) a constamment rêvé d’imposer sa version des Évangiles à toutes les sociétés du monde. Le sac de Béziers suite à la paix de Saint-Gilles en est un triste exemple : pour le légat du pape, mieux vaut exterminer des milliers de Biterrois plutôt que de laisser des idées folles se répandre. On lui devrait le célèbre : « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! » qui dit assez l’horreur dans laquelle bascule l’idéologie du Christ-Roi lorsqu’on l’applique aux sociétés civiles.

 

L’idéologie restauratrice de la fête du Christ-Roi
C’est cette même idéologie théocratique qui poussera le pape Pie XI à instituer notre fête du Christ-Roi en 1925 [1]. Nous sommes alors 20 ans après la loi de séparation d’Aristide Briand en France (que Pie XII qualifie de laïcisme), et 8 ans après la révolution bolchevique qui promeut l’athéisme comme principe structurant de la Russie. Le pape y voit les signes d’une « apostasie générale » qui met en danger l’influence de l’Église. Il veut allumer un contre-feu en instituant une fête liturgique proclamant à la face des nations et des chefs d’État que seul le Christ est roi, et qu’il faut lui obéir en tout, pour éviter la guerre, la décadence, le chaos. Le seul problème est que l’Église se dit l’unique interprète qualifiée de la volonté du Christ : obéir au Christ pour instaurer son règne est alors obéir à l’Église pour consolider sa puissance, son emprise sur les lois, les consciences, les mœurs.

Les catholiques ont soigneusement oublié l’encyclique Quas Primas par laquelle Pie XI institue et rend cette fête obligatoire en 1925. Pourtant, le texte est clair : il faut par cette fête affirmer l’autorité suprême de l’Église pour instaurer le règne social du Christ dès maintenant, partout [2].

image%2F3743165%2F20201106%2Fob_d6d362_31mcohu9y9l-sx299-bo1-204-203-200 Béziers dans Communauté spirituelle18. C’est ici Notre tour de pourvoir aux nécessités des temps présents, d’apporter un remède efficace à la peste qui a corrompu la société humaine. Nous le faisons en prescrivant à l’univers catholique le culte du Christ-Roi. La peste de notre époque, c’est le laïcisme, ainsi qu’on l’appelle, avec ses erreurs et ses entreprises criminelles.

Comme vous le savez, Vénérables Frères, ce fléau n’est pas apparu brusquement ; depuis longtemps, il couvait au sein des États. On commença, en effet, par nier la souveraineté du Christ sur toutes les nations; on refusa à l’Église le droit – conséquence du droit même du Christ – d’enseigner le genre humain, de porter des lois, de gouverner les peuples en vue de leur béatitude éternelle. Puis, peu à peu, on assimila la religion du Christ aux fausses religions et, sans la moindre honte, on la plaça au même niveau. On la soumit, ensuite, à l’autorité civile et on la livra pour ainsi dire au bon plaisir des princes et des gouvernants. Certains allèrent jusqu’à vouloir substituer à la religion divine une religion naturelle ou un simple sentiment de religiosité. Il se trouva même des États qui crurent pouvoir se passer de Dieu et firent consister leur religion dans l’irréligion et l’oubli conscient et volontaire de Dieu.

N° 19. Dans les conférences internationales et dans les Parlements, on couvre d’un lourd silence le nom très doux de notre Rédempteur; plus cette conduite est indigne et plus haut doivent monter nos acclamations, plus doit être propagée la déclaration des droits que confèrent au Christ sa dignité et son autorité royales.
Une fête célébrée chaque année chez tous les peuples en l’honneur du Christ-Roi sera souverainement efficace pour incriminer et réparer en quelque manière cette apostasie publique, si désastreuse pour la société, qu’a engendrée le laïcisme.

21. Les États, à leur tour, apprendront par la célébration annuelle de cette fête que les gouvernants et les magistrats ont l’obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d’obéir à ses lois. Les chefs de la société civile se rappelleront, de leur côté, le dernier jugement, où le Christ accusera ceux qui l’ont expulsé de la vie publique, mais aussi ceux qui l’ont dédaigneusement mis de côté ou ignoré, et punira de pareils outrages par les châtiments les plus terribles; car sa dignité royale exige que l’État tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l’établissement des lois, dans l’administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse, qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des mœurs.

22. Il faut donc qu’il règne sur nos intelligences : nous devons croire, avec une complète soumission, d’une adhésion ferme et constante, les vérités révélées et les enseignements du Christ. Il faut qu’il règne sur nos volontés: nous devons observer les lois et les commandements de Dieu.

Dans cet esprit, Pie XI donne un mandat de « reconquête » à l’Action Catholique fondée à cette époque, dont le slogan était alors : « Nous referons chrétiens nos frères » [3].

Mgr Lefebvre ne s’y est pas trompé, lorsqu’il reprend ce thème de « l’apostasie générale » pour légitimer sa nostalgie d’un ordre social chrétien artworks-CJyFJzyG6xi1oLlE-Bq5VNQ-t500x500 Canossarégulé par l’Église. Il est la trace, quasi archéologique, de cette ambition démesurée d’imposer le règne du Christ en soumettant la société à l’Église :

« Et non seulement ils ont eu pour dessein de détruire les institutions chrétiennes mais ils ont voulu, par-là, détruire le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ dans les âmes et créer ce climat d’apostasie générale. Le fait que les institutions ne sont plus chrétiennes, le fait que Notre Seigneur Jésus-Christ ne règne plus dans les institutions, crée nécessairement un climat d’apostasie, un climat d’athéisme, et ce climat d’athéisme atteint alors les familles par l’enseignement, par tous les moyens puissants que l’État a à sa disposition pour ruiner la foi dans les familles chrétiennes. C’est ainsi qu’on a vu l’apostasie s’étendre, petit à petit, dans la société.
De nos jours, on est tellement habitué à cette apostasie générale que l’on ne réagit même plus. C’est pourquoi cette fête du Christ-Roi est plus utile que jamais.
Nous voulons qu’il règne dans nos familles, dans les familles chrétiennes et dans la société. »
(Sermon de Mgr Lefebvre pour la fête du Christ-Roi, le 30 octobre 1988 à Écône)

Peut-on alors célébrer cette fête sans frémir d’indignation devant la volonté de toute-puissance ecclésiale qu’elle véhicule ?

 

Heureusement, il y a Vatican II !
Dans l’aggiornamento qui permet à l’Église de mieux comprendre son époque et de mieux se comprendre elle-même, l’idéologie du Christ-Roi va être justement infléchie :
- du règne social chrétien on va passer au règne eschatologique du Christ
- du Roi tout court on passe au Roi de l’univers
-
du dernier dimanche d’octobre avant la Toussaint (signe du triomphe du Christ et de ses élus), on passe au dernier dimanche de l’année liturgique juste avant un nouvel Avent.
C’est Paul VI – Saint Paul VI ! – qui opère cette évolution, avec douceur et pédagogie.
- On quitte ainsi les dangereux rivages d’une idéologie de restauration pour orienter la prière catholique vers l’avènement ultime du Christ.
- On quitte la nostalgie de la domination politique d’un État pour espérer la transformation ultime de tout l’univers.
- On passe de l’Église triomphante (dimanche d’octobre avant celui de la Toussaint) à la Parousie, point d’orgue qui dépasse toutes nos visions humaines (dernier dimanche liturgique).

Cette désidéologisation de la fête du Christ-Roi nous permet désormais de lui donner un sens eschatologique et spirituel :
- sens eschatologique :
Le royaume à venir est plus grand que toutes les réalisations humaines, même ecclésiales. Le jugement de Matthieu 25 nous dit que le critère en est l’amour et non l’appartenance ecclésiale. Quoi de plus fort pour relativiser une institution qui prétendrait réguler la vie quotidienne dans ses moindres détails ?

- sens spirituel :
Ce règne à venir est déjà inauguré en nos cœurs lorsque nous communions au Christ de tout notre être, de toutes nos forces. « Le royaume de Dieu est au-dedans de vous », ne cessait de répéter Jésus. Il y a là une mystique du royaume, intérieure, source d’inspiration pour une vie évangélique faite de pauvreté, de pardon, d’amour.
Une hymne de l’abbaye de Tamié, chantée pour ce dimanche, le dit avec beauté, élégance et justesse :

2354_apercu catharesAmour qui nous attends au terme de l’histoire,
ton Royaume s’ébauche à l’ombre de la croix ;
déjà sa lumière traverse nos vies.
Jésus, Seigneur, hâte le temps !
Reviens, achève ton œuvre !

R/ Quand verrons-nous ta gloire transformer l’univers ?

1. Jusqu’à ce jour, nous le savons, la création gémit en travail d’enfantement. R/
2. Nous attendons les cieux nouveaux, la terre nouvelle, où régnera la justice. R/
3. Nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision, jusqu’à l’heure de ton retour. R/

Cette dimension mystique et spirituelle n’empêche pas la fête du Christ-Roi d’avoir une connotation politique : non par l’imposition des lois d’une Église, mais par la force des consciences personnelles s’unissant autour de la défense des plus petits, des plus faibles, selon l’évangile de ce dimanche (Mt 25). Il y aura sans doute des conséquences législatives, judiciaires, politiques si un grand nombre de citoyens laissent ainsi le Christ régner davantage en leur cœur. Mais cela n’aura rien à voir avec la volonté de contrôle, de surveillance, de punition et de contrainte dont les tristes épisodes de Saint-Gilles ou de Canossa sont des symboles.

Gardons en tête les deux orientations majeures de la fête du Christ-Roi ce dimanche :
- elle déplace notre attente vers un au-delà de l’histoire, relativisant ainsi toute réalisation partielle.
- elle nous tourne vers le règne intérieur du Christ en nous : le laisser devenir par son Esprit « plus intime à moi-même que moi-même », ne plus faire qu’un avec lui au point de s’écrier comme Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ! » (Ga 2,20).

 


[1]. L’année 1925 était aussi le seizième centenaire du premier concile œcuménique de Nicée, qui avait proclamé l’égalité et l’unité du Père et du Fils, et par là même la souveraineté du Christ, « dont le règne n’aura pas de fin » (Symbole de Nicée).

[2]. On notera que le sous-titre de l’encyclique : « Sur la royauté sociale de Jésus-Christ », qui est bien le sujet de l’encyclique, ne figure pas dans le texte officiel, en particulier sur le site du Saint-Siège

[3]. Pie XI condamne cependant l’Action Française en 1926, refusant ainsi l’instrumentalisation de sa pensée politique.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Toi, mon troupeau, voici que je vais juger entre brebis et brebis » (Ez 34, 11-12.15-17)

Lecture du livre du prophète Ézékiel
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit. Et toi, mon troupeau – ainsi parle le Seigneur Dieu –, voici que je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs.

PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

DEUXIÈME LECTURE
« Il remettra le pouvoir royal à Dieu le Père, et ainsi, Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 20-26.28)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort. Et, quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils, lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous.
 
ÉVANGILE
« Il siégera sur son trône de gloire et séparera les hommes les uns des autres » (Mt 25, 31-46)
Alléluia. Alléluia. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’ Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’ Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’ Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’ Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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