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5 mai 2024

La case vide de l’Ascension

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La case vide de l’Ascension

 

Homélie pour la fête de l’Ascension / Année B 

09/05/24

 

Cf. également :

Ascension : sur la terre comme au ciel
Ascension : apprivoiser la disparition
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : les pleins pouvoirs
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension
Ton absence
Le messianisme du trône vide
Se réjouir d’un départ

 

La circoncision et l’icône

Des amis m’ont raconté récemment la circoncision de leur petit-fils, car leur fille a épousé un juif américain. Belle fête familiale le 8e jour, avec un symbolisme religieux très fort tournant autour de l’Alliance (la circoncision se dit « brit milah » en hébreu = coupure d’alliance). Un détail les a intrigué et amusé : pendant tout le repas, une place est restée vide, avec sa chaise et ses couverts mis, sans que personne n’ose s’y asseoir ni encore moins l’enlever. La case vide de l’Ascension dans Communauté spirituelle icone_pentecote_novgorodOn a demandé pourquoi, et le rabbin a répondu : « c’est la chaise du prophète Élie, qui doit rester vide jusqu’à son retour à la fin des temps ».

Cette histoire d’Élie emporté au ciel par un chariot de feu (2R 2,11) fait irrésistiblement penser à notre récit de l’Ascension (Ac 1,1-11). Les supporters anglais qui chantent à tue-tête : « swing low, sweet chariot », sur les gradins du temple du rugby qu’est Twickenham ne savent pas tous qu’ils chantent pour être eux aussi enlevés au ciel grâce à ce chariot doux et bringuebalant, « coming for to carry me home »…

Comme Élie, Jésus ressuscité est élevé au plus haut ; comme lui il reviendra à la fin des temps ; comme pour lui, sa place à la table de l’Église depuis lors doit rester vide. Il s’agit de ne pas occulter le manque fondamental qui nous constitue comme êtres de désir et d’attente (du retour d‘Élie/du Christ ici).

 

Contemplez l’icône de la Pentecôte. Les Douze sont en arc de cercle autour du vieillard couronné enfermé dans le noir qui représente l’humanité captive. L’Esprit est posé sur chacun des Douze, faisant ainsi de l’Église l’accomplissement des promesses faites à cette humanité.

Le plus curieux est ce trou béant au sommet. 

Il y a comme un passage de cheminée qui coupe l’arc de cercle en deux, en l’empêchant d’être complet. 

Il y a une chaise vide entre les 6 de droite et les 6 de gauche. 

Il y a une brèche, une ouverture par laquelle l’Esprit va se diffuser à toute l’humanité à travers les Douze. 

Ce vide spirituel est celui de l’Ascension, car la place du Christ élevé au plus haut des cieux doit rester inoccupée ici-bas. Il n’est plus ici devant nos yeux, et personne ne doit prendre sa place. L’Église pratique la politique de la chaise vide, jusqu’à la fin des temps !

 

Explorons quelques-unes des significations de cette place vide de l’Ascension pour nous aujourd’hui.

 

1. Une histoire ouverte

71vKtn8quCL._SL1318_ absence dans Communauté spirituelleL’icône est ouverte : grâce à ce vide, l’Église ne forme pas un cercle fermé. Le vieillard captif peut entrevoir le ciel à travers cette ouverture. Et l’Esprit peut descendre sur tous sans que les Douze fassent obstacle.

À l’image du cercle des Douze, notre histoire elle aussi est ouverte. 

En topologie, on dit d’un espace qu’il est ouvert s’il existe en lui une suite convergente dont la limite n’appartient pas à cet espace [1]. Notre histoire est topologiquement ouverte, car la suite de nos moments avec Dieu converge vers un avenir au-delà de l’histoire. 

À l’inverse, une société se ferme lorsqu’elle ne connaît pas d’autres limites que celles qu’elle se choisit [2]. Les idoles individualistes et libérales de l’Occident réduisent leurs citoyens à leur liberté et leur intérêt individuels, sans autre horizon qu’eux-mêmes. Les idoles communistes, nationalistes, ethniques ou musulmanes ne font pas mieux, avec leurs sociétés totalitaires où seules comptent la masse, la nation, l’ethnie, l’Oumma.

 

Depuis l’Ascension, notre histoire est ouverte. Elle est parcourue par un souffle de transcendance qui nous appelle à lever la tête, à regarder au-delà de l’horizon, à discerner les trouées par lesquels l’Esprit du Christ vient en nous. La mort de Jésus a déchiré le rideau du Temple, et les cieux se sont ouverts. Voilà pourquoi nous sommes partisans d’une société ouverte, qui ne boucle pas sur elle-même. La liturgie, l’art, l’émerveillement, la beauté de la nature, l’humilité, la communion amoureuse etc. sont des ouvertures où soudain le ciel se déchire et laisse entrevoir un au-delà de nous-mêmes.

 

Fêter l’Ascension, c’est donc pratiquer des brèches pour nous ouvrir à l’Esprit du Christ ; c’est construire une société ouverte qui ne boucle pas sur elle-même.

 

2. La réserve eschatologique

9782227486041 AscensionUne première conséquence de l’ouverture historique est de ne jamais établir de jugement définitif, ni de savoir éternel. L’histoire n’est pas finie. Il peut arriver tant d’autres choses encore… Ne croyez pas ceux qui vous disent que la monarchie/la république/l’empire/la démocratie/le parti sont indépassables. Ne croyez pas que quelque chose est écrit dans le marbre pour toujours ! Il n’y a rien d’éternel ici-bas. Ce qui a été fait par les hommes aujourd’hui sera défait par eux demain. Ce qui paraît solide va s’écrouler. Ce qui devait durer s’achèvera. Les règnes de 1000 ans sont des cauchemars…

« Elle passe la figure de ce monde » (1Co 7,31). On l’a déjà dit : une vérité est provisoire, en attendant que d’autres vérités l’englobent ou l’effacent. Une vérité est négative, car elle ne peut dire ce qui est vrai, seulement ce qui est faux ; elle reconnaît ne pas savoir encore en plénitude : ce sera seulement ‘à la fin’…

 

En théologie, on appelle cela la réserve eschatologique. Puisque l’histoire n’est pas fermée, bien malin qui pourrait prétendre avoir le dernier mot, le mot final, le mot ultime ! Les chrétiens ont un devoir de réserve qui les empêche d’adhérer totalement aux idéologies de leur temps, car elles ne sont que passagères. Puisque l’Ascension a ouvert une brèche dans les systèmes fermés, nous avons toujours une réserve à émettre dans les obéissances que réclame notre époque. Nous ne sommes jamais libéraux à 100 %, ni démocrates à 100 %, ni partisans à 100 %. Nous avons toujours une double appartenance : l’une, loyale, à la conduite de ce siècle la moins mauvaise possible, et l’autre, fondamentale, au royaume de Dieu qui transcende toute réalisation partielle.

« Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom » dit le psaume (Ps 49,12) : n’imitons pas ces hommes comblés de leurs possessions, car « l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat ».

 

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques
de Giotto à Assise

3. La dénonciation de toute usurpation du pouvoir « au nom de… »
La place du Christ demeure vide depuis son départ vers le Père. Celui qui voudrait s’asseoir à sa place serait donc un usurpateur ! Même le vicaire du Christ ne devrait pas – en théorie – se substituer à lui. On voit que cette place vide sur l’icône est une puissante contestation de toute usurpation du pouvoir « au nom de »…
Au nom du peuple, que de crimes n’a-t-on pas commis !
Au nom de Dieu, que de croisades et d’inquisitions n’a-t-on pas légitimé !
Au nom de la justice, que de vengeances et de représailles !

Un rite liturgique symbolise cette contestation avec force : dans une basilique orthodoxe, le trône du patriarche est toujours au-dessous d’un autre trône, qui reste vide celui-là. C’est le trône du Christ parti auprès du Père, et ce vide préside à toute célébration.
Si quelqu’un prend sa place, comment se laisser guider par le Christ ? Belle contestation de l’usurpation du pouvoir « au nom de… » !
Ainsi, même avec leurs incroyables chasubles d’or et d’argent, leurs couronnes rutilantes, leur air grave et important, les patriarches reconnaissent qu’ils ne sont pas au centre. Car le centre de l’Église est vide depuis l’Ascension, comme était vide le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Ceux qui prétendent parler au nom du Christ en son absence doivent vérifier constamment qu’ils ne prennent pas sa place, qu’ils n’usurpent pas son trône, qu’ils ne lui volent pas la vedette.

Pour nous, citoyens ordinaires, fidèles sans habit chamarré, sa place vide est notre légitimité pour contester toute tyrannie dans la société ou dans l’Église. Elle fonde notre égale dignité, car par elle l’Esprit est répandu sur chacun, et pas sur quelques-uns seulement.

 

4. L’acceptation joyeuse de l’absence

Parle-moi de ton absenceC’est donc une bonne nouvelle que cette place vide !

C’est donc une joyeuse absence que l’absence du Christ ! 

Il avait reproché à ses disciples d’être trop possessifs dans leur attachement à lui : « si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je pars vers le Père ». « Il est bon pour vous que je m’en aille ». Lorsque vous accepterez l’absence comme cette ouverture vers le ciel, alors « votre joie sera parfaite ».

Depuis l’Ascension, il nous est offert de vivre les absences qui nous marquent comme de joyeuses promesses. La plupart des gens pleurent sur eux-mêmes en pleurant leurs morts. Si nous les aimions vraiment pour eux-mêmes, nous nous réjouirions de les espérer en Dieu.

 

Ce parti-pris d’espérance ne vaut pas que pour les êtres qui nous manquent. Il joue aussi dans les situations apparemment sans issue, dans les souffrances insupportables, dans les tyrannies qui n’en finissent pas. L’espérance en un au-delà de l’histoire nous dit que ni les tyrans, ni la souffrance, ni les impasses ne seront éternels. Le mal n’aura pas le dernier mot. Avec cette espérance chevillée au corps, qu’avons-nous à craindre ?

À la mesure des 3,8 milliards d’années de notre Terre et des 4,6 milliards d’années du système solaire, quelle folie d’appeler éternelles des aventures de quelques décennies, siècles ou millénaires ?

 

Le rite orthodoxe évoqué plus haut, qui laisse vide le trône du Christ dans la cathédrale au-dessus de celui de l’évêque, s’appelle hétymasie, du grec ἑτοιμασία = etoimasia = préparer, selon les termes de Jésus dans l’Évangile de Jean : « Je pars vous préparer une place. Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14,2-3). La chaise vide nous rappelle que le Christ est parti nous préparer une place auprès de son Père, et que personne ne doit prendre sa place d’ici là…

 

La place vide de l’Ascension garantit notre place personnelle avec le Christ en Dieu. Si un ami véritable me promet une place gratuite avec lui le long de la Seine pour la cérémonie d’ouverture des JO, je n’irai certainement pas prendre d’autres rendez-vous ce jour-là : je laisserai mon agenda vide et disponible pour profiter de l’aubaine…

L’espérance maintient ouverte notre histoire, notre société.

La désespérance nous replie, nous recroqueville sur nous-mêmes.

Depuis l’Ascension, toutes les absences qui nous taraudent deviennent sources de joie et d’espérance.

 

5. La part du pauvre

Une forme ‘dégradée’ de l’Ascension est la place laissée vide à la table des repas familiaux.

Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

 

Café Suspendu : le plaisir du partageCette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran. Pas tout à fait cependant, comme en témoigne la pratique généreuse des « cafés suspendus », où des clients payent un café ou plat en plus que ce qu’ils ont consommé, afin que le restaurateur l’offre aux plus démunis ensuite…

De manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

 

Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Christ élevé au ciel, que les puissants n’ont pas le droit d’occuper. 

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ? Inviter ceux qui sont seuls à Pâques, à Noël ou autre fête commune est une façon de prolonger cette tradition.

Si l’affamé est une figure du Christ, ne pas lui faire de la place à notre table serait le renier aux yeux de tous. Le Christ de l’Ascension n’est pas localisé ici ou là, il peut surgir à l’improviste où il veut. S’il n’y a pas d’espace libre pour l’accueillir, comment pourra-t-il nous nourrir comme il a fait pour les disciples d’Emmaüs ? La part du pauvre nous appelle à garder du temps, de l’attention, de l’amour pour l’imprévu, pour l’événement. Un agenda rempli à ras bord ne saura pas nous rendre disponibles. Une vie sans vide est un espace fermé sur lui-même, fermé à Dieu. Offrez « un café suspendu », laissez une part du pauvre à votre table, une case vide dans votre agenda, une disponibilité à l’événement.…

 

L’Ascension du Christ possède toutes ces harmoniques et bien plus encore : une histoire ouverte, avec un devoir de réserve qui nous rend libres face aux puissants ; une acceptation joyeuse de l’absence, dans l’espérance ; une part du pauvre qui ouvre le cercle familial, amical ou social.

Pour une fois, faisons l’éloge de cette case vide, et ne la remplissons avec rien ! 

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[1]. Espace ouvert

[2]. Cf. Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (2 tomes).

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
 
PSAUME
(46 (47), 2-3, 6-7,8-9)

R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (46, 6)
Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre,
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Parvenir à la stature du Christ dans sa plénitude » (Ep 4, 1-13)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. À chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ. C’est pourquoi l’Écriture dit : Il est monté sur la hauteur, il a capturé des captifs,il a fait des dons aux hommes. Que veut dire : Il est monté ? – Cela veut dire qu’il était d’abord descendu dans les régions inférieures de la terre. Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. Et les dons qu’il a faits, ce sont les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.
 
ÉVANGILE
« Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16, 15-20)

Alléluia. Alléluia. Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus ressuscité se manifesta aux onze Apôtres et leur dit : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »

Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s’en allèrent proclamer partout l’Évangile. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.
Patrick Braud

 

 

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28 avril 2024

Dieu premier Aimant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu premier Aimant

 

Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année B 

05/05/24

 

Cf. également :

Êtes-vous entourés d’amis ou des serviteurs ?
L’Esprit nous précède
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Le communautarisme fait sa cuisine
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Les chrétiens sont tous des demeurés
Jésus que leur joie demeure
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
« Passons aux barbares »…


La puce et l’éléphant

Dieu premier Aimant dans Communauté spirituelle dessin_de_mila_cpcUne puce voyageait avec une de ses amies dans l’oreille d’un éléphant. L’éléphant passe sur une passerelle en bois qui tremble sous le poids de l’animal. Arrivé à l’autre bout de la passerelle, la puce dit à son amie : « Tu as vu comme on a fait trembler le pont ! »

 

Nous sommes souvent cette puce enivrée d’exploits qui ne sont pas les siens. Et le risque est grand d’être excité comme une puce en entendant le commandement central du christianisme en ce dimanche (Jn 15,9-17) : « aimez-vous les uns les autres ». Nous croyons un peu trop vite que c’est un à nous d’abord d’aimer en premier. Nous faisons de ce commandement une morale d’injonction, alors que c’est une morale de réponse. Pour les chrétiens, aimer n’est pas un préalable (au salut, au pardon, à la communion) mais une conséquence. La preuve ? Notre Évangile commence par rappeler que le Christ nous a aimés d’abord, sans aucun mérite de notre part : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». Et notre deuxième lecture (1Jn 4,7-10) enfonce le clou : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés ».

Jean insiste avec force sur l’antériorité divine : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

 

On ne le répétera jamais assez, surtout dans notre culture occidentale volontariste et pélagienne : aimer pour la Bible est un passif, car nous sommes aimés avant que de pouvoir aimer en retour. Ce passif est très actif, car il suscite une réponse d’amour à la hauteur du don reçu.

 

Se laisser choisir

i-want-you amour dans Communauté spirituelleOn présente quelquefois la Confirmation des adolescents comme le sacrement de leur engagement chrétien adulte. Grossière erreur ! L’intention pastorale est d’instrumentaliser ce sacrement pour maintenir les jeunes au caté ou à l’aumônerie le plus longtemps possible, ou pour sacraliser leur adhésion supposée pleinement volontaire. Mais les trois sacrements de l’initiation chrétienne sont normalement conférés en une seule fois. Cela est manifeste lors du baptême d’adultes qui sont confirmés pour être solidement ancrés dans l’Esprit de Dieu, puis eucharistiés pour nourrir la vie divine en eux, dans cet ordre (baptême-confirmation-eucharistie). Les orthodoxes donnent ces trois sacrements aux bébés qu’ils baptisent, pour souligner que la grâce divine est vraiment gratuite, donnée sans condition avant même que nous puissions répondre.

Bref : nous sommes choisis par Dieu avant que de le choisir en réponse. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

Les termes : militant, engagement, effort, impératif moral etc. sont ambigus, et même dangereux s’ils conduisent à faire comme la puce de l’éléphant en s’attribuant une capacité de croire/aimer/pardonner qui n’est pas la nôtre.

Le cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger a explicité comment « le choix de Dieu » [1] a bouleversé sa vie. Le jeune juif Aaron Lustiger a été choisi par Dieu pour devenir le cardinal de Paris : il ne l’a pas obtenu à force de le vouloir, il a accepté le choix fait par Dieu en sa faveur. De même, selon Lustiger, le choix de Dieu envers le peuple juif n’est pas une performance d’Israël qui aurait fait le bon choix, mais une responsabilité confiée par Dieu à Israël de témoigner de son Alliance afin que toutes les nations entrent dans leur alliance propre et singulière.

Autrement dit : le choix de Dieu est un génitif subjectif (c’est Dieu qui en est le sujet) qui engendre ensuite un génitif objectif (Dieu fait l’objet d’un choix). Mais l’action de Dieu est première, comme le barrit l’éléphant à sa puce…

 

Le Choix de Dieu - LustigerSe laisser choisir par Dieu a des conséquences très concrètes :

- ne pas tout décider dans sa vie mais accueillir ce que l’Esprit nous dit à travers les événements

- ne pas tout décider par soi-même mais accepter que d’autres interviennent

- ne pas tout programmer ni planifier, mais laisser une ouverture pour l’imprévu, l’étrange

- ne pas s’enorgueillir du chemin déjà parcouru mais rendre grâce pour ce qui m’a été donné.

« Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7). Ce n’est pas à la force du poignet que je réussirai ma vie ! Ce n’est pas en serrant les dents et en me calant sur le mythe prométhéen du self-made-man (ou woman !) que je réaliserai vraiment ma vocation. On voudrait nous faire croire que l’indépendance et l’autonomie sont la clé de voûte de notre dignité : grossière erreur à nouveau ! C’est dans la relation, donc dans l’interdépendance et dans l’échange mutuel don/contre-don que nous devenons plus humains.

 

Un débat dans l’histoire a marqué la réception de cette phrase de l’Évangile : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». C’est le débat sur la prédestination, que Calvin a porté à son incandescence. Le réformateur est tellement obnubilé par la gratuité du salut que seule la foi permet d’accueillir qu’il en conclut que Dieu librement nous destine au ciel ou à l’enfer, et que nous ne pouvons rien y faire, même si cela nous paraît incompréhensible :

« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie » (Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1541).

 

Cette doctrine de la prédestination a même – selon le grand sociologue allemand Max Weber – encouragé le développement du capitalisme occidental. En effet, le calviniste veut savoir – avec angoisse – de quel côté de la prédestination Dieu l’a rangé. Il va chercher à se rassurer en regardant si sa richesse augmente. Car Dieu bénit ses élus en leur accordant prospérité et réussite, selon l’Ancien Testament tel que Calvin le lit. Donc travailler dur, s’enrichir, vivre sobrement dans l’esprit des Béatitudes, épargner pour réinvestir à nouveau etc. : voilà la martingale du calviniste qui vérifie dans ses affaires que Dieu l’a bien prédestiné au ciel et non à l’enfer. Voilà pourquoi, selon Max Weber, il y a une « affinité élective » entre « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ».

 

On le voit : durcir à l’extrême l’antériorité du choix de Dieu est aussi dangereux que l’annulation de la grâce par la morale du mérite.

Le juste milieu est sans doute de garder le cap de la passivité-active tenant ensemble l’initiative première de Dieu et la libre réponse nécessaire de l’homme. La passivité-active de Marie reste à cet égard le modèle qui conjugue grâce divine et coopération humaine. Et il nous faut maintenir avec Paul que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4).

Se laisser choisir est alors le chemin proposé à tout homme, quelle que soit sa religion, sa culture, son histoire.

 

Se laisser aimer

Accepter-de-se-laisser-aimer-692x415 choisir« Celui qui aime est né de Dieu » (1Jn 4,7) Or naître ne relève pas d’abord de notre volonté. Ce sont nos parents qui en premier ont voulu nous faire naître, ou qui n’ont pas voulu, comme le rappelle avec désolation le chiffre des 245 000 IVG en France en 2022. Le premier, Dieu nous fait naître, en nous aimant inconditionnellement. Nos parents humains ont pour vocation de participer à cet amour premier : hélas, ils faillissent souvent, allant même jusqu’à ne pas faire naître… Les enfants non-nés ne nous manquent pas, et c’est bien là le drame. En Dieu, l’amour est offert, du début à la fin, sans reniement.

 

Se laisser aimer n’est pas si facile en réalité. On sait que beaucoup ont du mal dans un couple à se laisser aimer par l’autre, physiquement, émotionnellement, intellectuellement… Se raidir sous la caresse, se refuser à l’invitation amoureuse, croire qu’on n’est pas digne, s’épuiser à vouloir ‘être à la hauteur’, ou au contraire se laisser aller par amertume et déception… : les voies sont multiples qui reviennent à se dérober à l’amour de l’autre ! Il en est de même dans notre relation à Dieu, et d’ailleurs les deux vont ensemble : se raidir sous l’impulsion de l’Esprit, imaginer un Dieu-surmoi inatteignable, ou désespérer de lui, ou se croire indigne de lui…

En fait, se laisser aimer n’est pas le résultat de notre volonté : c’est là encore le fruit de l’accueil du don gratuit que Dieu nous fait de nous-mêmes.

Recevoir de Dieu la capacité de nous laisser aimer est une forme d’abandon spirituel, mobilisant activement toutes nos ressources.

 

Se laisser aimanter

 LustigerUne image peut nous aider à visualiser comment Dieu nous façonne à travers son choix et son amour. Prenez un tas de limaille de fer, informe et gris, sur une feuille de papier. Passez au-dessus de lui un fort aimant. Vous verrez se dessiner des lignes de force qui tout d’un coup transforment le tas de limaille en figure géométrique ordonnée et structurée. C’est l’attraction magnétique de l’aimant qui opère cette métamorphose. Ainsi fait Dieu avec nous : par la force de son attraction d’amour, il nous fait émerger de l’animalité, il dessine en nous des lignes de force spirituelles. En nous choisissant, il nous structure à son image et à sa ressemblance.

En nous laissant faire par cette attraction amoureuse, nous prenons forme divine, nous devenons nous-mêmes, nous naissons à la vie véritable.

 

Dieu est en ce sens le premier Aimant de l’homme, de tout l’homme, tous les hommes.

Le Christ, élevé de terre, nous attire à lui mieux que l’aimant la limaille ; il nous suscite comme des êtres de désir, capables d’aimer en réponse à son amour, jusqu’à aimer ceux qui ne nous aiment pas comme il le fit lui-même. Jusqu’à aimer nos ennemis. Pour un palestinien ou un ukrainien, cela résonne comme un appel impossible, sauf si cela ne vient pas de nous mais nous est donné par un autre…

 

Nous sommes la petite puce dans l’oreille de l’éléphant qui peut s’émerveiller : « tu vois comment nous avons fait trembler le pont ! », en sachant bien que l’éléphant a fait le plus gros…

 

La pucelle d’Orléans avait choisi comme devise : Dieu premier servi. Nous pouvons la paraphraser : Dieu premier Aimant est la devise des artisans de paix, des martyrs, des champions des Béatitudes…

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[1]. Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, Ed. de Fallois, 1987.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Même sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint avait été répandu » (Ac 10, 25-26.34-35.44-48)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Comme Pierre arrivait à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine, celui-ci vint à sa rencontre, et, tombant à ses pieds, il se prosterna. Mais Pierre le releva en disant : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. » Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors : « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils lui demandèrent de rester quelques jours avec eux.
 
PSAUME
(Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)
R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. ou : Alléluia ! (Ps 97, 2)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez !

DEUXIÈME LECTURE
« Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-10)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés.
 
ÉVANGILE
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »
Patrick Braud

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7 avril 2024

Gracier sans renier

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Gracier sans renier

 

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année B 

14/04/24

 

Cf. également :

Toucher, manger, bref : témoigner
Parresia : le courage pascal
Le premier cri de l’Église
Bon foin ne suffit pas
Lier Pâques et paix
La paix soit avec vous


Préférer le coupable au Juste

Gracier sans renier dans Communauté spirituelleIl n’y a pas si longtemps, les Français préféraient Pétain à Jean Moulin, et même l’Église catholique soutenait Franco plus que les républicains espagnols, Pinochet plus que ses victimes. Actuellement, le peuple russe dans son immense majorité soutient Poutine, et ne s’est guère ému de l’élimination de Navalny. Les Américains s’apprêtent à élire Trump, et en même temps à enfermer Julien Assange jusqu’à sa mort. Le peuple chinois approuve la main de fer de Xi Jinping tout en fermant les yeux sur le sort des Tibétains ou des Ouïghours. Les Israéliens ont élu Netanyahou en tournant le dos à la ligne de paix incarnée par Yitzhak Rabin, assassiné en 1995. Les Palestiniens ont élu le Hamas et le soutiennent, alors que les préparatifs des Accords d’Abraham auraient pu ouvrir un chemin de réconciliation. La haine anti-Tutsis refait surface en RDC Congo 30 ans après le million de morts du génocide rwandais… Et que dire des Coréens du Nord ?

Bref, il semblerait que les peuples soient enclins à plébisciter leur malheur…

On ne peut dédouaner trop vite les peuples (les Églises, les pouvoirs religieux) de leur responsabilité historique dans le triomphe de l’injustice. Le peuple allemand adhérait fanatiquement à la doctrine d’Hitler. Un régime ne devient inhumain que si la majorité silencieuse laisse faire, s’arrange avec sa conscience, ou ne considère que ses intérêts à court-terme.

L’Évangile n’a pas peur de dénoncer cette culpabilité de tous, et pas seulement de quelques chefs. Dans notre première lecture (Ac 3,13-19), Pierre s’adresse à la foule ébahie de la Pentecôte à Jérusalem ; il ne mâche pas ses mots : « Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier ».

Comment et pourquoi sommes-nous capables – foules d’aujourd’hui – de cette même forfaiture : renier le juste et gracier le coupable ?


Dire la vérité

Alexandre Soljénitsyne : la vérité comme exigenceCommençons par souligner à nouveau le courage politique de Pierre : même si elle ne plaît pas à ses auditeurs, la vérité est bonne à dire. Ils ont livré, renié, tué le Juste (Jésus), et gracié le meurtrier (Barabbas). On veut nous faire taire les violences et les meurtres commis par les puissants de ce monde. Sous prétexte de réalisme politique, de prudence, de négociations secrètes, on étouffe les voix prophétique qui révèlent les massacres, les déportations, les viols, les génocides, les crimes d’État…

Pierre n’aurait jamais annoncé la résurrection de Jésus s’il avait voulu se ménager les pouvoirs juifs et romains. Paul n’aurait jamais évangélisé les païens s’il n’avait pas dénoncé l’hypocrisie religieuse et l’idolâtrie romaine. Bref : Pentecôte, c’est d’abord le courage (la parresia en grec) de dire haut et fort la vérité, quoiqu’il en coûte.


Par ignorance

Ayant ainsi lourdement chargé le peuple de Jérusalem, Pierre tempère aussitôt son accusation : « je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs ».

stazione11 coupable dans Communauté spirituelleLe motif invoqué par Pierre pour expliquer l’incompréhensible renversement de valeurs Barabbas/Jésus est donc l’ignorance. Il rejoint en cela Jésus qui avait prié pour ses bourreaux en s’appuyant sur cette circonstance atténuante : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». La plupart des bourreaux ne savent pas ce qu’ils font lorsqu’ils exécutent l’innocent et glorifient le coupable. Nous non plus d’ailleurs : si nous réalisions en pleine conscience l’ampleur du mal que nous infligeons aux autres, nous reculerions, horrifiés et coupables…

Faire le mal par ignorance : reconnaissons que c’est bien souvent le cas ! Les Russes, empoisonnés depuis plus d’un siècle par une propagande tsariste puis communiste puis poutiniste savent-ils réellement ce qui se passe chez eux ?

Le premier devoir de l’apôtre est alors d’ouvrir les yeux de tous sur ce qui se déroule réellement. Réveiller le goût de chercher la vérité, la réalité, est un préalable. Car le goût du vrai semble s’estomper si facilement dans notre monde, au profit des Doxa officielles, quelle que soit leur orientation.

Lever le voile d’ignorance qui fait appeler mal ce qui est bien et bien ce qui est mal demande de s’engager dans un combat d’interprétations. Non, Jésus n’est pas le révolutionnaire juif qu’on vous a décrit : il est « le Prince de la vie », pour le salut de tous. Sa croix n’est pas l’échec lamentable d’un faux prophète, mais le chemin d’humilité choisi  par Dieu pour aller sauver ceux qui étaient perdus, au plus bas.

Il y a une dimension proprement idéologique (au bon sens du terme) à toute évangélisation : combattre les idées inhumaines, les doctrines travestissant la réalité pour la tordre au service des puissants, et révéler en contrepoint la dignité humaine accomplie en Jésus.

Comment lever ce voile d’ignorance ? Par le rappel des Écritures, par les signes que l’Esprit pose dans notre histoire (la Pentecôte ici), par un raisonnement cohérent et argumenté, par un engagement total des témoins, par une offre de pardon offerte à ceux qui veulent se détourner du mal commis. S’il manque un de ces éléments de Ac 3,13–19, l’annonce chrétienne sera reléguée au rang de la magie, du complotisme ou du délire religieux.

 

Comment expliquer l’inversion Jésus/Barabbas ?

La préférence de l’affreux Barabbas à bien d’autres motifs possibles que l’ignorance. Décrivons-en quelques-uns.


– La manipulation

Être manipulé ‘à l’insu de son plein gré’ par les médias, les gouvernements, les associations bien-pensantes etc. est hélas chose courante sous tous les régimes ! Notre culpabilité réside dans notre complicité avec cette manipulation, lorsque nous préférons notre paresse ou notre confort, lorsque nous regardons ailleurs, lorsque nous nous laissons asservir aux Doxa officielles. Les pouvoirs en place sont toujours très forts pour infiltrer les opinions publiques et les diriger à leur guise. Ainsi les chefs religieux ont-ils manipulé la foule à Jérusalem pour condamner Étienne : « ils soudoyèrent des hommes pour qu’ils disent : “Nous l’avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu.” Ils ameutèrent le peuple, les anciens et les scribes, et, s’étant saisis d’Étienne à l’improviste, ils l’amenèrent devant le Conseil suprême » (Ac 6 10–12).


– La lâcheté

Pilate se lave les mains (par Duccio di Buoninsegna)Pilate s’est lavé les mains de la condamnation du Juste. Pierre l’avait renié trois fois par peur des gardes.

Oser être à contre-courant de son époque, de sa société est risqué. Les voix discordantes au minimum sont moquées, au pire sont étouffées violemment. Si les martyrs chrétiens des trois premiers siècles avaient laissé cette lâcheté idéologique les dominer, jamais l’Évangile ne se serait répandu aussi vite tout autour de la Méditerranée. La lâcheté repose sur la peur. Celui qui n’a pas peur des tyrans – quitte à y laisser sa vie – est libre d’annoncer la vérité à temps et à contretemps. À l’inverse, celui qui a peur va enfouir le talent de sa foi et deviendra alors stérile. Si le sel s’affadit…


– La déception

Judas ne comprenait pas Jésus lorsqu’il acceptait le gaspillage apparent de Marie de Béthanie répandant une fortune en parfum précieux sur ses pieds : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données à des pauvres ? » (Jn 12,5).

220px-Cimabue01 grâceAlors qu’il était très proche, jusqu’à mériter sa confiance dans la gestion de l’argent des Douze, Judas sera de plus en plus déçu par le pacifisme non-violent de Jésus. Il rêvait d’un Messie guerrier, libérateur par la force. D’où sans doute son ultime tentative pour négocier un arrangement avec les prêtres juifs. Judas livre Jésus parce qu’il est déçu. Étienne rappelle que les Hébreux avaient renié Moïse parce qu’il ne correspondait pas à leur image d’un chef libérateur (Ac 7,35).

Nous brûlons si facilement ce que nous avons adoré…

Le ressentiment est un moteur puissant pour l’injustice. Le traité de Versailles de 1918, la chute du mur de Berlin en 1989, l’humiliation chinoise lors des guerres de l’opium au XIX° siècle, la mémoire des colonies d’Afrique Noire… : les déçus de la paix, de la croissance, de la colonisation peuvent à leur tour préférer le meurtrier au juste, comme l’actualité le montre hélas dans ces pays. S’il n’y a pas de pardon mutuel – avec la recherche préalable de vérité que cela implique –, de conversion de chaque partie, de projet commun pour réconcilier, la déception brouillera le jugement, et l’inversion des valeurs se fera passer pour une revanche méritée.


- L’attrait pour le mal

 justeC’est l’interprétation de Jean et Luc pour expliquer la traîtrise de Judas : « Satan entra en Judas, appelé Iscariote, qui était au nombre des Douze » (Lc 22,3).
Il ne faut jamais exclure que la fascination pour le mal envahisse quelqu’un au point d’inverser en lui toute capacité de jugement.
Il ne faut jamais sous-estimer l’addiction des peuples au malheur.
Tel un drogué complètement possédé par son addiction, certains feront du mal à d’autres pour le plaisir, ou pour la seule volonté de profaner. Les soldats qui violent dans les ruines des villes conquises sont parfois submergés par cette rage meurtrière proche de la folie. Certaines cultures idolâtrent la férocité brutale…
Loin d’être une excuse, cet attrait pour le mal présent en tout homme devrait nous mobiliser pour protéger les victimes et dénoncer toute naïveté.

N’oublions pas que les Israéliens ont élu Netanyahou, les Palestiniens le Hamas, les Russes Poutine, les Américains Trump, et que les Chinois plébiscitent Xi Jinping… Les peuples sont capables de choisir le mal, et de suivre les tyrans en adhérant à leur doctrine de mort. La folie des allemands ou des italiens adhérant à leur Führer / Duce au siècle dernier devrait nous ouvrir les yeux sur la force de l’attrait du mal sur les masses…

Chacun de nous est capable du pire : lorsqu’il en a les moyens, ne croyons pas qu’il s’arrêtera uniquement avec de bonnes paroles. Pour ne pas prendre en compte la force de l’attrait du mal, nous laissons la barbarie s’installer dans les têtes et les cœurs…


Gracier sans renier

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés » (Lc 4,18) : le jubilé proclamé par Jésus est toujours d’actualité.

Pierre reproche au peuple d’avoir exalté le meurtrier tout en reniant le juste. Pourtant ce n’est pas la grâce qu’il dénonce, c’est le prix de cette grâce lorsqu’elle s’opère en inversant les valeurs. Un autre choix est possible : gracier sans renier.

C’est ce que Jésus fait avec le même verbe gracier (χαρζομαι = charizomai, faire grâce)  dans l’Évangile de Luc : il rend la vue à plusieurs aveugles (Lc 7,21), il remet les dettes au débiteur sans le sou (Lc 7,42). La pointe de la plaidoirie de Pierre n’est donc pas de rétablir une justice punitive ‘correcte’ : reconnaître le juste et condamner le coupable, mais bien : gracier le meurtrier sans renier l’innocent. C’est là l’œuvre de l’Esprit (charizomai contient le mot charisme, c’est-à-dire un don gratuit de l’esprit).

conversion-saint-paulC’est ainsi que le criminel à la droite de Jésus est accueilli le premier en paradis. C’est ainsi que Saül le meurtrier, qui ne respirait que haine et menaces envers les chrétiens (« Saul était toujours animé d’une rage meurtrière contre les disciples du Seigneur » Ac 9,1) va se convertir grâce au pardon le renversant sur la route de Damas. Paul sait de quoi il parle quand il décrit la transformation profonde produite par le pardon accordé au coupable : « Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs »  (Rm 5,7-9).

 

Le contraire de ‘renier le juste et gracier le coupable’ n’est pas ‘condamner le coupable et exalter le juste’, comme on le croirait trop facilement. Pour Pierre ou Paul, le contraire de ‘renier et gracier’ est ‘gracier sans renier’, manifester la miséricorde sans sacrifier la justice et la vérité, offrir le pardon en faisant droit aux victimes, établir la réconciliation sans cacher la vérité ni léser les innocents.

 

Ne croyons pas que ce soient uniquement des enjeux de géopolitique internationale.

Nous avons tous des Barabbas et des Jésus entre lesquels il nous faut choisir.

Nous avons tous, en entreprise, en association, dans nos quartiers etc. des justes et des coupables qui nous obligent à prendre position. Et parfois nous sommes même l’un ou l’autre.

Demandons-nous cette semaine : comment gracier l’un sans renier l’autre ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts » (Ac 3, 13-15.17-19)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, devant le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. »
 
PSAUME (4, 2, 4.7, 9)
R/ Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! ou : Alléluia ! (4, 7b)

Quand je crie, réponds-moi,
Dieu, ma justice !
Toi qui me libères dans la détresse,
pitié pour moi, écoute ma prière !


Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle,
le Seigneur entend quand je crie vers lui.
Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »

Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage !
Dans la paix moi aussi,
je me couche et je dors,
car tu me donnes d’habiter, Seigneur,
seul, dans la confiance.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est lui qui obtient le pardon de nos péchés et de ceux du monde entier » (1 Jn 2, 1-5a)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.
 
ÉVANGILE
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour » (Lc 24, 35-48)
Alléluia. Alléluia. Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore,  lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »
Patrick Braud

 

 

 

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14 février 2024

La part des anges

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La part des anges

 

Homélie pour le 1° Dimanche du Carême / Année B 

18/02/2024

 

Cf. également :

Ce déluge qui nous rend mabouls
Poussés par l’Esprit
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

Sacrée belle-mère !


Un champignon ivre

La part des anges dans Communauté spirituelle fungus%20cognacSi vous allez visiter un jour la jolie petite ville de Cognac, avec ses chais au bord de la Charente, vous ne manquerez pas de voir sur de nombreux murs en pierre de la cité d’étranges traînées grises, comme des filets de toile d’araignée descendant entre les pierres ou s’accrochant sous les tuiles des toits. Pourquoi ne pas nettoyer les pierres et les tuiles de ces traînées noires ? Parce qu’elles reviennent sans cesse, du moins là où l’eau-de-vie est entreposée. En effet, un champignon qui se nourrit spécifiquement des vapeurs d’alcool (le torula compniacensis) se développe là où il y a des barriques, des caves, des réserves. Impossible de cacher son stock de cognac ! On est trahi par ce champignon ivre. Mais les vapeurs d’alcool font le bonheur d’autres créatures : on dit que les anges qui tournoient au-dessus des tuiles des chais de Cognac respirent eux aussi les effluves s’échappant des foudres, des distilleries, des cuves et des caves. Environ 3% en volume des eaux-de-vie de cognac s’évaporent chaque année, pour le plus grand bonheur de nos compagnons ailés. C’est la part des anges, le cadeau qui leur est offert en quelque sorte pour la transformation de l’eau-de-vie en cognac grâce au vieillissement en fûts de chêne du Limousin.

La part des anges à Cognac, c’est de s’enivrer de ce qui réjouit le cœur de l’homme.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 1,12-15) la part des anges c’est de servir Jésus au désert pendant qu’il se prépare à sa mission en combattant les tentations par lesquelles Satan veut l’en détourner :

« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Ce texte est si court que pour une fois, exerçons-nous à le commenter presque mot à mot.

 

Aussitôt

As Soon As Possible"« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt… » : le petit mot important qui fait la liaison avec l’épisode précédent est aussitôt. Ça n’a l’air de rien, mais pour Marc l’effet du baptême est immédiat. Hasard ou choix symbolique, Marc emploie cet adverbe 40 fois dans son Évangile (comme les 40 jours au désert !). C’est donc pour lui une constante de l’agir de Jésus : il y a urgence ! Chaque action, chaque déplacement de Jésus est marqué du sceau de cette urgence : le règne de Dieu est tout proche, vite, saisissez-le !

Ce dimanche, c’est aussitôt son baptême que Jésus part au désert.

Pourquoi remettre à demain ce que notre baptême nous pousse à faire ? Pourquoi différer notre conversion à l’Évangile ? Pourquoi procrastiner sans cesse les changements que nous devons opérer dans notre manière de vivre ?

Laissons résonner en nous cet aussitôt de Marc : qu’est-ce qu’il m’appelle à faire dès maintenant ? où m’appelle-t-il à aller sans tarder ?

 

L’Esprit le pousse au désert

On ne comprend rien à Jésus sans l’Esprit. C’est son être même d’Oint (= Christ) : il vient de recevoir l’onction, et dégouline encore de cet Esprit divin qui lui a entrouvert les cieux au Jourdain. Se laisser faire par l’Esprit est notre meilleure façon d’agir. Pas par nous-mêmes, mais poussé par lui. On retrouve la passivité-active qui fut celle de Marie à l’Annonciation, ou celle de l’Église de Jérusalem abolissant la circoncision sous la motion de l’Esprit de Pentecôte. Puisque nous aussi nous sommes des christs de par notre baptême, notre identité la plus vraie est de nous laisser conduire par l’Esprit, notre hôte intérieur plus intime à nous-même que nous-même…

La spiritualité chrétienne c’est cela : pas une accumulation d’exercices extérieurs (génuflexions, chapelets, processions etc.) ni une recherche de phénomènes magiques, mais une entière disponibilité à écouter ce que l’Esprit nous dit, à faire ce qu’il nous inspire, quoi qu’il en coûte.

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Cet Esprit pousse Jésus au désert. Le texte grec dit plus précisément : l’Esprit expulse (κβλλω = ekballō) Jésus au désert. C’est ce verbe que Marc emploie 12 fois pour l’action de chasser les démons en les expulsant hors de quelqu’un.

Voilà donc que Jésus est traité comme un démon !

Comme le bouc émissaire qu’on expulse au désert pour qu’il soit affronté à Azazel le démon, Jésus est chassé par l’Esprit au désert pour être confronté à Satan. Dans ce verbe chasser, expulser, on devine la violence de l’Esprit qui oblige Jésus à partir des rives du Jourdain pour aller au désert.

 

Il en va ainsi pour nous également : nous n’allons pas de bon cœur ni facilement vers les justes combats qui nous attendent. Il faut que l’Esprit nous force la main : par les événements, par une médiation, un ordre, une contrainte, un appel…

Se laisser expulser des lieux douillets où nous aimerions vivre notre baptême est donc le travail de l’Esprit en nous. Jonas ne voulait pas aller à Ninive : l’Esprit de Dieu l’y a obligé, par le naufrage et le poisson. Pierre ne voulait pas baptiser le païen Corneille : il y a été conduit par l’Esprit, presque à son corps défendant, lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur Corneille et sa famille (Ac 10).

Nous renâclons devant les missions que nous n’avons pas choisies, mais heureusement l’Esprit se débrouille pour nous chasser de nos oasis de tranquillité et ainsi nous préparer à nos combats. Il nous expulse de nos régressions spirituelles de tous ordres (depuis nos écrans jusqu’à notre argent) pour connaître le désert. Pour certains (comme Mère Teresa) cela prendra la figure d’une nuit spirituelle épouvantable, rempli de doutes et d’absurde. Pour d’autres (comme Ignace de Loyola) ce sera le dépouillement d’une vie mondaine et superficielle à travers un accident, une catastrophe ; pour d’autres encore (comme Claudel) c’est une exaltation, un bonheur soudain qui leur révélera d’autres horizons à poursuivre en laissant tout tomber.
Laissons-nous conduire dans nos dépouillements successifs, comme autant de départs au désert, poussés par l’Esprit.

 

Dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan 

 CarêmeQuant au désert, inutile d’en dire beaucoup : les 40 années des Hébreux au désert restent  la référence de toutes les expériences de libération. Une génération (40 ans) s’y purifie de ses idoles, de ses veaux d’or. Une horde d’esclaves en fuite y devient un peuple. Des sans-loi y reçoivent une Alliance pour toujours. Jésus refait ce passage, comme s’il récapitulait en lui l’histoire de ses ancêtres assoiffés de liberté. Mais lui ne plie pas. Il est tenté constamment par Satan, mais ne s’incline pas devant lui : le veau d’or n’a pas de prise sur lui. Marc, sans doute plus proche du récit primitif, ne met pas en scène le jeûne (trop ?) spectaculaire de Jésus ni les trois tentations (trop ?) soigneusement construites pour explorer toutes les tentations que Jésus rencontrera après dans sa vie publique, jusqu’à l’ultime tentation sur la croix (« sauve-toi toi-même ! »). Non : Marc reste sobre, mais emploie l’imparfait pour montrer que ce combat contre Satan était continu, et durait.


Dieu que c’est long parfois d’être expulsé au désert ! Ne désespérons pas lorsque cette aridité dure et semble s’installer. Les 40 jours seront peut-être pour nous des mois, des années : notre départ pour la Galilée viendra pourtant, et l’Esprit nous fera discerner ce moment.

 

Un mot sur Satan, l’obstacle, l’adversaire : il sera actif tout au long de la prédication de Jésus. Les tentations au désert cristallisent en 40 jours les tentations des trois années à venir. Un peu comme la Transfiguration ramasse en un éblouissement toutes les facettes divines de Jésus se manifestant, éparpillées, lors de ses rencontres sur les chemins de Palestine.

Notre Satan est tout ce qui veut nous faire trébucher, ou changer d’orientation, ou abandonner par désespoir…

 

« Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient »

tumblr_neh4o57RLp1r3ov9vo1_1280 cognacEncore un imparfait qui dure, comme beaucoup d’imparfaits de nos vies…

La compagnie de bêtes sauvages, inoffensives ici, renvoie sans doute à l’Éden mythique où l’humanité vivait en paix avec tout être vivant ; ou au Déluge quand tous les animaux côtoyaient les 8 personnes sauvées dans l’arche (cf. 1° et 2° lectures de ce dimanche). Une nouvelle Création, enfin réconciliée, entoure Jésus au désert.

Nous avons nous aussi nos bêtes fauves, qui rôdent en nous et cherchent à nous dévorer, tel le loup de Gubbio terrorisant les habitants de ce petit village du temps de Saint François d’Assise. Nous savons que, si nous nourrissons ce loup intérieur qu’est notre part d’ombre [1], il deviendra notre ami et compagnon, comme François d’Assise nous l’a montré. Vivre avec les bêtes sauvages qui nous entourent demande cette pureté du cœur qui était celle de Jésus, en qui nul fauve ne pouvait lire de menace ni de convoitise.

Apprenons à vivre avec nos fauves ! [2]

 

« Et les anges le servaient »

Jan_van_Eyck_-_The_Ghent_Altarpiece_Adoration_of_the_Mystic_Lamb_Singing_angels_1432_-_%28MeisterDrucke-1201901%29 désertLa voilà la part des anges de ce dimanche : servir le Christ ! Ce sont les premiers diacres (ou diaconesses, selon le sexe des anges…) chez Marc, car c’est bien le verbe διακονω (= diakoneō) qui est utilisé. Souvenez-vous qu’ensuite, le premier être humain à revêtir cette fonction angélique du service, c’est la belle-mère de Pierre, première diaconesse de l’Église de Capharnaüm (« et elle les servait », Mc 1,31).

Autant dire que la part des anges nous revient désormais : servir le Christ rend libre comme lui. En le servant au désert, les anges le nourrissaient : à nous de nourrir les christs qui aujourd’hui encore sont chassés au désert, entourés de bêtes sauvages…

Les anges qui nous servent dans le désert sont ces mains tendues, ces inconnus qui passent en nous faisant du bien, ces messagers qui nous apportent de quoi tenir bon. Comme le bon samaritain qui devint l’ange du blessé sur la route. Comme pour Jésus lors de son agonie au mont des Oliviers : « du ciel lui apparut un ange qui le réconfortait » (Lc 22,43).

Parfois nous sommes nous-mêmes ces anges qui sans le savoir nourrissent  et réconfortent ceux qui ont été chassés au désert…

 

Quelle étrange réunion au final autour du Christ au désert : Satan, les bêtes fauves, les anges, c’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel !

Jésus était dans le désert, tenté par Satan.

Jésus était avec les bêtes sauvages, servi par les anges.

Ces deux phrases sont parallèles, avec un antagonisme terme à terme : désert vs bêtes / tenté vs servi / Satan vs anges. De quoi espérer le retournement final aujourd’hui invisible !

 

Ruminons cette scène qui symbolise la préparation spirituelle aux combats qui seront les nôtres.
Sans oublier l’issue promise : « et les anges le servaient… »

 

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[2]. On pourrait d’ailleurs développer à partir de là une théologie animalière qui associe les bêtes au salut réalisé en Christ…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse
Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux Esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
 Patrick BRAUD

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