Schadenfreude : quelle est la vôtre ?
Schadenfreude : quelle est la vôtre ?
Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
06/07/25
Cf. également :
Voyagez léger et court-vêtu !
Secouez la poussière de vos pieds
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Je voyais Satan tomber comme l’éclair
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?
Le pas de danse d’Hitler
L’archive audiovisuelle est glaçante.
Hitler vient inspecter le 21 juin 1940 la clairière de Rethondes, où il a fait venir le wagon-symbole de l’humiliation allemande, celui-là même où l’armistice fut signé par le maréchal Foch et les généraux allemands lors de la défaite de 1918. On voit Hitler descendre du wagon, tout sourire, laissant même éclater sa joie en esquissant un pas de danse comme rarement. Ce triomphe jubilatoire crée en nous malaise et dégoût, à juste titre. Comment peut-on se réjouir du malheur d’autrui à ce point ? Comment se réjouir de la domination, des milliers de morts, de blessés, de réfugiés qui en sont le prix ? La joie d’Hitler est pire encore : il rend le mal pour le mal. Il répond à une humiliation par une autre, plus grande. C’est donc plus qu’un simple plaisir face au malheur : c’est une mise en scène théâtrale de vengeance historique, nourrie par le ressentiment et l’humiliation collective. On pourrait presque parler d’un sadisme politique symbolique, un geste de jouissance narcissique dans l’abaissement de l’autre.
Quel rapport entre Hitler à Rethondes et notre Évangile (Lc 10,1–20), me direz-vous ? Lisez bien la dernière phrase du texte : « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».
Les 72 n’esquissent pas de pas de danse, mais leur joie est symétrique de celle d’Hitler, à camps renversés : ils se réjouissent de la défaite totale des forces du mal. Et, après tout, nous ferions sûrement comme eux ! Songez à la liesse populaire lors de la libération de Strasbourg ou Paris, à l’ivresse des Roumains crachant sur les cadavres des Ceausescu, ou plus simplement à la joie bizarre des supporters lorsque le joueur de foot adverse manque son penalty… À Roland-Garros, il est de tradition (mais la tradition se perd !) de ne pas applaudir un point gagné sur une faute directe. Car l’éthique sportive se méfie comme de la peste de cette joie mauvaise qui guette les aficionados : lorsque le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors la violence n’est jamais bien loin, et l’inhumanité progresse.
Les Allemands ont un terme bien spécifique pour nommer cette joie maligne : Schadenfreude. Schaden désigne le dommage causé à autrui : si cela engendre de la joie (Freude) en nous – même si l’autre est dans son tort – nous sommes les 72, à nous tromper de motif pour nous réjouir.
Nous n’avons pas l’équivalent en français. On parlera de joie mauvaise, ou maligne, de se réjouir du malheur d’autrui, d’éprouver un malin plaisir…
La Schadenfreude repose sur un sentiment d’injustice réparée : « C’est bien fait ! » « Il l’a bien mérité… ». Mais c’est une réparation « œil pour œil, dent pour dent », qui hélas n’arrête pas la violence. Elle la propage au contraire. Comme le cycle infernal des attentats–représailles entre Gaza et Israël : les militants du Hamas exultaient lors du massacre (pogrom) du 7 octobre 2023, en pensant : « C’est bien fait pour les juifs ! ». Et certains en Israël se réjouissent des frappes en retour sur Gaza : « Les Palestiniens n’ont que ce qu’ils méritent ». Tant que chacun se réjouit du malheur de l’autre, la violence prolifère.
D’où vient cette Schadenfreude ? Comment la Bible et les auteurs anciens en ont-ils parlé ? Quel serait l’antidote proposé par Jésus ?
Aristote, déjà…
Au IV° siècle avant J.-C., Aristote pointait déjà ce qu’il qualifiait de « vice moral » et qu’il appelait en grec : ἐπῐχαιρέκᾰκος = epĭkhairékăkos).
Ce nom peut se traduire littéralement par : la joie (epi-khaírō = se réjouir de) née du mal (kăkós = le mal). Cette joie-là est incompatible avec les vertus telles que la grandeur d’âme et l’amitié. Aristote la distingue de l’envie et de l’indignation, en la caractérisant par une joie malveillante face au malheur d’autrui.
Aristote distingue plusieurs attitudes face au bonheur ou au malheur d’autrui :
« L’indignation que cause le bonheur immérité d’autrui tient le milieu entre l’envie et la malignité ; ces sentiments ont rapport à la peine et au plaisir causés par ce qui arrive aux autres. C’est qu’en effet l’homme qui ressent cette indignation s’afflige d’un bonheur immérité, tandis que l’envieux, allant plus loin, s’afflige du bonheur d’autrui, en toutes circonstances, et celui qui est réellement atteint de malignité, loin de s’affliger du malheur d’autrui, s’en réjouit » (Éthique à Nicomaque, Livre II, ch. 7 – Sur la malignité).
Plus loin, dans sa discussion sur la grandeur d’âme (megalopsychia), Aristote souligne que l’homme magnanime « ne se réjouit pas des malheurs d’autrui, mais plutôt s’afflige de leur infortune » (Livre IV, ch. 6). Cela montre que la Schadenfreude est incompatible avec la vertu de grandeur d’âme, qui implique compassion et bienveillance. Elle est également incompatible avec l’amitié : « les amis se réjouissent des biens de leurs amis et s’attristent de leurs maux » (Livre IX, ch. 4). Ainsi, la Schadenfreude est contraire à l’essence même de l’amitié, qui repose sur la sympathie et le partage des émottions.
Thomas d’Aquin a traduit ce terme ἐπῐχαιρέκᾰκος par l’expression latine : « gaudium de malo » = la joie provenant du malheur fait à autrui.
Les philosophes se sont également intéressés à « la joie malsaine ». Nul n’a été plus clair que Schopenhauer, qui l’a rangée du côté de la corruption morale :
« Ressentir de l’envie est humain, se réjouir du malheur d’autrui est diabolique ».
« Il n’y a pas de signe plus infaillible d’un cœur foncièrement mauvais que la Schadenfreude pure et sincère. Il faut éviter à jamais celui en qui on l’a perçue ». « La Schadenfreude est étroitement liée à la cruauté ».
Le révérend Trench, un archevêque britannique du XIX° siècle, a d’ailleurs écrit qu’avoir un mot pour une émotion aussi damnable était la preuve de la corruption d’une culture !
À l’opposé de Schopenhauer, Nietzsche constatait cyniquement : « Voir les autres souffrir fait du bien ». Dans « Le Voyageur et son ombre », il analyse la Schadenfreude comme une manifestation du désir d’égalité : « La Schadenfreude naît du fait que chacun se sent mal dans certains aspects bien connus de lui-même, éprouve de l’inquiétude, de l’envie ou de la douleur : le malheur qui frappe l’autre le met à égalité avec lui, apaise son envie. [...] La Schadenfreude est l’expression la plus commune de la victoire et du rétablissement de l’égalité, même au sein de l’ordre supérieur du monde. Ce n’est que depuis que l’homme a appris à voir en d’autres hommes ses semblables, donc depuis la fondation de la société, que la Schadenfreude existe ». La revanche du dominé, en quelque sorte.
On comprend que les nazis se soient emparés de cette justification pour rire en brûlant les livres et œuvres d’art « dégénérées », en jouissant et se réjouissant du châtiment frappant les juifs dans les camps de la mort…
Pierre Desproges ne disait-il pas, avec son ironie habituelle :
« Il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux » ?…
Friedrich Schiller dénonce la Schadenfreude comme une vengeance mesquine contre la grandeur d’autrui : « Apprenez à connaître cette race, fausse et sans cœur ! C’est par la Schadenfreude qu’ils se vengent de votre bonheur, de votre grandeur » (Die Braut von Messina, 1803).
L’Analyse Transactionnelle a repéré que chacun peut rire de lui-même et de ses propres malheurs, dans un réflexe d’auto-dérision où le rire vient confirmer la piètre idée que l’on se fait de soi : « tu n’es vraiment bon à rien »… Une Schadenfreude retournée contre nous-même, que l’on appelle : « le rire du pendu » ! Car certains brigands autrefois pendus à la potence ironisaient sur leur propre fiasco, convaincus de mériter leur fin pitoyable… Cette joie autodestructrice interprète le moindre aléa comme la confirmation de notre nullité, ce qui en coaching relève d’une « croyance limitante », nous paralysant dans notre progression personnelle.
La Schadenfreude dans la Bible
Fins observateurs de la nature humaine, les auteurs bibliques n’ont pas manqué eux aussi de croquer cette inclination à la Schadenfreude, présente même chez les meilleurs, même chez les croyants les plus fidèles. Ainsi le livre des Proverbes avertit explicitement et solennellement : « Si ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il s’effondre, ne jubile pas : le Seigneur verrait cela d’un mauvais œil et détournerait de lui sa colère ! » (Pr 24,17-18). Ici, la Bible va jusqu’à dire que se réjouir du malheur d’un ennemi est mal vu par Dieu lui-même, et peut détourner la justice divine.
Les textes sapientiaux multiplient les condamnations de cette attitude, car Dieu – lui – fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants.
« Qui se moque d’un pauvre insulte Dieu qui l’a fait, qui se réjouit du malheur ne restera pas impuni » (Pr 17,5).
Job lui-même proteste de son innocence en rappelant à Dieu que la Schadenfreude lui est étrangère, ce qui à ses yeux est une preuve de sa justice. « Me suis-je réjoui de la ruine de mon ennemi ? Ai-je bondi de joie quand le malheur le frappait ? Jamais je n’ai laissé ma langue pécher en réclamant sa vie par une imprécation ! » (Jb 31,29–30).
La réprobation des sages est unanime : « Ils [les injustes] prennent plaisir à faire le mal, ils se complaisent dans la pire des perversités » (Pr 2,14).
Les prophètes d’Israël dénoncent eux aussi l’inhumanité de ceux qui se réjouissent de la chute de Jérusalem (en -587) : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem : “Est-ce la ville que l’on disait “Toute-belle”, “Joie de toute la terre” ?” Contre toi ils ouvrent la bouche, tous tes ennemis, ils sifflent et grincent des dents ; ils disent : “Nous l’avons engloutie ! Voilà bien le jour que nous espérions : nous y arrivons, nous le voyons !” Le Seigneur fait ce qu’il a résolu, il accomplit sa parole décrétée depuis les jours d’autrefois : il détruit sans pitié ! Il réjouit à tes dépens l’ennemi, il accroît la force de tes adversaires » (Lm 2,15–17). Ce comportement est cruel, injuste, et passible du jugement divin.
Les nations voisines, comme Édom et Moab, jubilent en voyant la chute du royaume de Juda. Leur joie malveillante leur vaudra le châtiment de Dieu en retour : « Ne regarde pas avec plaisir le jour de ton frère, le jour de son désastre. Ne te réjouis pas au sujet des fils de Juda, le jour de leur perdition. N’aie pas le verbe haut, le jour de la détresse » (Abdias 1,12). Dieu condamne cette Schadenfreude collective, vue comme une trahison fraternelle.
« Ainsi parle le Seigneur Dieu : Parce que tu as battu des mains et tapé du pied, que tu as eu une joie profonde, un mépris total pour ce qui arrivait à la terre d’Israël… » (Ez 25,6). Ici encore, des peuples se réjouissent activement et publiquement du malheur d’Israël — avec des gestes physiques de joie. Dieu y voit une profanation. Amos leur transmet la conséquence inévitable de leur manque de compassion : « Ainsi parle le Seigneur : À cause de trois crimes d’Édom, et même de quatre, je l’ai décidé sans retour ! Parce qu’il a poursuivi de l’épée son frère, étouffant sa pitié, et entretenu sans fin sa fureur, gardant à jamais sa rancune, j’enverrai un feu dans Témane, et il dévorera les palais de Bosra » (Am 1,11–12).
Dans le livre d’Esther, le premier ministre perse Amane jubile à l’idée de faire pendre Mardochée, le juif. Il prépare même la potence. Finalement, grâce à Esther, c’est lui-même qui sera pendu sur cette même potence ! La Schadenfreude d’Amane devient son châtiment. C’est là une des constantes de la Bible : le mal finit toujours par se retourner contre son auteur, et par causer sa perte.
Le Nouveau Testament reprend ce triste constat de l’inhumanité de ceux qui se réjouissent du malheur d’autrui. Ainsi les spectateurs de la crucifixion de Jésus (les foules exultent souvent aux exécutions) : « Les passants l’injuriaient en hochant la tête » (Mt 27,39). On y entend l’écho de la Schadenfreude des contempteurs de Jérusalem applaudissant sa destruction : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem… » (Lm 2,15–17).…
Jésus avait prévenu ses disciples : le monde se réjouira de les voir livrés aux fauves dans les arènes romaines, ou lapidés par les juifs, ou brûlés en torches humaines par Néron : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie » (Jn 16,20).
Les grands prêtres se réjouissent de la trahison de Judas qui leur livre leur adversaire sur un plateau : « Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les grands prêtres pour leur livrer Jésus. À cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable » (Mc 14,10–11).
Dans la parabole du fils prodigue, le fils aîné témoigne d’une forme subtile de ‘Schadenfreude inversée’ en quelque sorte : il voulait voir son frère souffrir en expiation de sa désertion familiale, et cela l’aurait réjoui, car à ses yeux ce ne serait que justice. D’où son amertume devant la miséricorde imméritée accordée par son Père. Il refuse de se réjouir du retour de son frère, et semble déçu qu’il n’ait pas été puni : « Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !” » (Lc 15,28-30)
L’amertume face à la miséricorde accordée à autrui est un indice de l’emprise de la Schadenfreude sur nous…
La dénonciation biblique de la Schadenfreude met en évidence les racines cachées de ce mépris :
– une conception mécanique de la justice, conçue comme essentiellement punitive : « il l’a bien mérité ! ». Or la justice divine est salvifique, et non meurtrière : « Je ne veux pas la mort du méchant, mais qu’il se convertisse » (Ez 18,23).
– l’absence d’empathie : si vous arrivez à « chausser les mocassins de votre ennemi », à vous mettre à sa place, vous aurez du mal à vous réjouir de son malheur.
- le ressentiment : si une mésaventure arrive à une personne que nous n’aimons pas ou qui s’est mal comportée avec nous, la sensation serait liée à un sentiment de restauration de l’ordre naturel, rétablissant en quelque sorte à l’équilibre. C’est la revanche du dominé.
- la déshumanisation. Déshumaniser autrui – que ce soit l’ennemi juif ou gazaoui, ukrainien ou russe, le migrant mexicain ou l’adversaire politique – permet de ressentir de la joie face à l’échec d’une personne ou d’un groupe. Chaque fois qu’on traite quelqu’un de noms d’animaux, de choses grossières ou d’objets repoussants, on prépare l’opinion à rire de son malheur. L’antisémitisme nazi avait bien compris ce ressort de la haine populaire…
– l’aveuglement sur nous-mêmes. Ceux qui n’ont pas d’intériorité, de vie spirituelle ou morale auront du mal à discerner les mouvements qui les animent, et plus encore à les qualifier. Applaudir au malheur d’autrui leur semblera aussi naturel que de prendre de force ce qu’ils convoitent. Sans une éducation au discernement de nos émotions, sans une pédagogie d’apprentissage de l’empathie, comment s’étonner que certains cèdent à la Schadenfreude sans complexe ?
L’antidote de Jésus à la Schadenfreude
« Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».
Voilà l’antidote : non seulement refuser de céder à l’inclination à la joie malsaine, mais orienter sa joie vers ce qui – en Dieu – est positivement une bonne nouvelle, inaliénable : « nos noms sont écrits dans les cieux ». Paul le redira à sa manière : « L’amour ne se réjouit pas de ce qui est injuste, il trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1Co 13,6).
Dans un premier temps, la menace de nous exposer à ce que notre mépris se retourne contre nous devrait nous faire réfléchir lorsque nous sommes tentés de rire du malheur d’autrui. C’est la version Schadenfreude du constat de Jésus : « celui qui vit par l’épée périra par l’épée » (Mt 26,52).
Cet avertissement ne suffit pas : nous pouvons apprendre à désirer ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est beau, au lieu de nous laisser avilir à des réjouissances malsaines. Et Jésus oriente notre désir vers la contemplation de la gratuité absolue du salut qui nous est offert en lui : « Vos noms sont écrits dans les cieux ». C’est fait ; c’est déjà réalisé ! Pas besoin d’angoisser ni de vouloir le « mériter » : il suffit d’accueillir ! Marie le sait d’expérience, depuis la parole de Gabriel : « L’ange entra chez elle et dit : « Réjouis-toi (χαίρω = chairō), comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1,28 ; cf. So 3,14 ; Za 9,9).
Il y a une manière divine d‘écrire les noms humains pour les graver à jamais en lui.
Name and rejoice en quelque sorte, au lieu de Name and shame…
Ce que nous pouvons faire nous aussi avec ceux que nous aimons à jamais. À la manière du grand-prêtre qui portait sur sa poitrine les noms des douze tribus d’Israël : « Les pierres étaient aux noms des fils d’Israël ; comme leurs noms, elles étaient douze, écrites (gravées) dans la pierre à la manière d’un sceau ; chacune portait le nom de l’une des douze tribus » (Ex 39,14). À la manière également de Paul qui chérit les communautés qu’il a engendrées, et les compare à une lettre écrite par le Christ dans le cœur des fidèles : « Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire. De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2Co 3,2-3).
Nos noms sont inscrits dans les cieux, gravés sur le pectoral du Grand-Prêtre, écrits en nos cœurs par l’Esprit du Dieu vivant, formant en nous une lettre de chair au lieu de la Loi de pierre… À la fin des temps, nous auront la surprise de découvrir notre vrai nom écrit sue la caillou que Dieu remettra en chacun en signe de sa véritable identité divine : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, écrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit » (Ap 2,17).
Pour la Bible, écrire le nom de quelqu’un sur la pierre, dans les cieux, dans les cœurs ou sur la terre – comme Jésus pourrait l’avoir fait face à ses accusateurs devant la femme adultère – est donc lourd de sens !
Lorsque nous aurons envie de sourire, de rire ou d’applaudir au malheur d’autrui ‑ même le plus cruel de nos ennemis – rappelons-nous le pas de danse d’Hitler dans la clairière de Rethondes. Rappelons-nous surtout la bonne nouvelle affirmée par Jésus : « Vos noms sont écrits dans les cieux ».
La Schadenfreude est réellement inhumaine.
Mais, au fait : quelle est la vôtre ?…
Lectures de la messe
Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! (cf. Ps 65, 1)
Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !
Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.
Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia. Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD
Mots-clés : 72, Jésus, joie, nom, Schadenfreude