L'homélie du dimanche (prochain)

  • Accueil
  • > Recherche : homelie te manque

29 juin 2025

Schadenfreude : quelle est la vôtre ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 14 h 30 min

Schadenfreude : quelle est la vôtre ?


Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
 06/07/25
 
 
Cf. également :
Voyagez léger et court-vêtu !
Secouez la poussière de vos pieds
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Je voyais Satan tomber comme l’éclair
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?

 

Le pas de danse d’Hitler

L’archive audiovisuelle est glaçante. 

Hitler vient inspecter le 21 juin 1940 la clairière de Rethondes, où il a fait venir le wagon-symbole de l’humiliation allemande, celui-là même où l’armistice fut signé par le maréchal Foch et les généraux allemands lors de la défaite de 1918. On voit Hitler descendre du wagon, tout sourire, laissant même éclater sa joie en esquissant un pas de danse comme rarement. Ce triomphe jubilatoire crée en nous malaise et dégoût, à juste titre. Comment peut-on se réjouir du malheur d’autrui à ce point ? Comment se réjouir de la domination, des milliers de morts, de blessés, de réfugiés qui en sont le prix ? La joie d’Hitler est pire encore : il rend le mal pour le mal. Il répond à une humiliation par une autre, plus grande. C’est donc plus qu’un simple plaisir face au malheur : c’est une mise en scène théâtrale de vengeance historique, nourrie par le ressentiment et l’humiliation collective. On pourrait presque parler d’un sadisme politique symbolique, un geste de jouissance narcissique dans l’abaissement de l’autre.

 

Quel rapport entre Hitler à Rethondes et notre Évangile (Lc 10,1–20), me direz-vous ? Lisez bien la dernière phrase du texte : « Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».

Les 72 n’esquissent pas de pas de danse, mais leur joie est symétrique de celle d’Hitler, à camps renversés : ils se réjouissent de la défaite totale des forces du mal. Et, après tout, nous ferions sûrement comme eux ! Songez à la liesse populaire lors de la libération de Strasbourg ou Paris, à l’ivresse des Roumains crachant sur les cadavres des Ceausescu, ou plus simplement à la joie bizarre des supporters lorsque le joueur de foot adverse manque son penalty… À Roland-Garros, il est de tradition (mais la tradition se perd !) de ne pas applaudir un point gagné sur une faute directe. Car l’éthique sportive se méfie comme de la peste de cette joie mauvaise qui guette les aficionados : lorsque le malheur des uns fait le bonheur des autres, alors la violence n’est jamais bien loin, et l’inhumanité progresse.

 

SchadenfreudeLes Allemands ont un terme bien spécifique pour nommer cette joie maligne : Schadenfreude. Schaden désigne le dommage causé à autrui : si cela engendre de la joie (Freude) en nous – même si l’autre est dans son tort – nous sommes les 72, à nous tromper de motif pour nous réjouir. 

Nous n’avons pas l’équivalent en français. On parlera de joie mauvaise, ou maligne, de se réjouir du malheur d’autrui, d’éprouver un malin plaisir… 

La Schadenfreude repose sur un sentiment d’injustice réparée : « C’est bien fait ! » « Il l’a bien mérité… ». Mais c’est une réparation « œil pour œil, dent pour dent », qui hélas n’arrête pas la violence. Elle la propage au contraire. Comme le cycle infernal des attentats–représailles entre Gaza et Israël : les militants du Hamas exultaient lors du massacre (pogrom) du 7 octobre 2023, en pensant : « C’est bien fait pour les juifs ! ». Et certains en Israël se réjouissent des frappes en retour sur Gaza : « Les Palestiniens n’ont que ce qu’ils méritent ». Tant que chacun se réjouit du malheur de l’autre, la violence prolifère.

 

D’où vient cette Schadenfreude ? Comment la Bible et les auteurs anciens en ont-ils parlé ? Quel serait l’antidote proposé par Jésus ?

 

Aristote, déjà…

Au IV° siècle avant J.-C., Aristote pointait déjà ce qu’il qualifiait de « vice moral » et qu’il appelait en grec : πχαιρέκκος  = epĭkhairékăkos).

Éthique à NicomaqueCe nom peut se traduire littéralement par : la joie (epi-khaírō = se réjouir de) née du mal (kăkós = le mal). Cette joie-là est incompatible avec les vertus telles que la grandeur d’âme et l’amitié. Aristote la distingue de l’envie et de l’indignation, en la caractérisant par une joie malveillante face au malheur d’autrui.

Aristote distingue plusieurs attitudes face au bonheur ou au malheur d’autrui :

« L’indignation que cause le bonheur immérité d’autrui tient le milieu entre l’envie et la malignité ; ces sentiments ont rapport à la peine et au plaisir causés par ce qui arrive aux autres. C’est qu’en effet l’homme qui ressent cette indignation s’afflige d’un bonheur immérité, tandis que l’envieux, allant plus loin, s’afflige du bonheur d’autrui, en toutes circonstances, et celui qui est réellement atteint de malignité, loin de s’affliger du malheur d’autrui, s’en réjouit » (Éthique à Nicomaque, Livre II, ch. 7 – Sur la malignité). 

Plus loin, dans sa discussion sur la grandeur d’âme (megalopsychia), Aristote souligne que l’homme magnanime « ne se réjouit pas des malheurs d’autrui, mais plutôt s’afflige de leur infortune » (Livre IV, ch. 6). Cela montre que la Schadenfreude est incompatible avec la vertu de grandeur d’âme, qui implique compassion et bienveillance. Elle est également incompatible avec l’amitié : « les amis se réjouissent des biens de leurs amis et s’attristent de leurs maux » (Livre IX, ch. 4). Ainsi, la Schadenfreude est contraire à l’essence même de l’amitié, qui repose sur la sympathie et le partage des émottions.

Thomas d’Aquin a traduit ce terme πχαιρέκκος par l’expression latine : « gaudium de malo » = la joie provenant du malheur fait à autrui.

 

Les philosophes se sont également intéressés à « la joie malsaine ». Nul n’a été plus clair que Schopenhauer, qui l’a rangée du côté de la corruption morale :

« Ressentir de l’envie est humain, se réjouir du malheur d’autrui est diabolique ».

« Il n’y a pas de signe plus infaillible d’un cœur foncièrement mauvais que la Schadenfreude pure et sincère. Il faut éviter à jamais celui en qui on l’a perçue ». « La Schadenfreude est étroitement liée à la cruauté ». 

 

Le révérend Trench, un archevêque britannique du XIX° siècle, a d’ailleurs écrit qu’avoir un mot pour une émotion aussi damnable était la preuve de la corruption d’une culture !

 

Pierre DesprogesÀ l’opposé de Schopenhauer, Nietzsche constatait cyniquement : « Voir les autres souffrir fait du bien ». Dans « Le Voyageur et son ombre », il analyse la Schadenfreude comme une manifestation du désir d’égalité : « La Schadenfreude naît du fait que chacun se sent mal dans certains aspects bien connus de lui-même, éprouve de l’inquiétude, de l’envie ou de la douleur : le malheur qui frappe l’autre le met à égalité avec lui, apaise son envie. [...] La Schadenfreude est l’expression la plus commune de la victoire et du rétablissement de l’égalité, même au sein de l’ordre supérieur du monde. Ce n’est que depuis que l’homme a appris à voir en d’autres hommes ses semblables, donc depuis la fondation de la société, que la Schadenfreude existe ». La revanche du dominé, en quelque sorte.

On comprend que les nazis se soient emparés de cette justification pour rire en brûlant les livres et œuvres d’art « dégénérées », en jouissant et se réjouissant du châtiment frappant les juifs dans les camps de la mort…

Pierre Desproges ne disait-il pas, avec son ironie habituelle :

« Il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux » ?…

Friedrich Schiller dénonce la Schadenfreude comme une vengeance mesquine contre la grandeur d’autrui : « Apprenez à connaître cette race, fausse et sans cœur ! C’est par la Schadenfreude qu’ils se vengent de votre bonheur, de votre grandeur » (Die Braut von Messina, 1803).

L’Analyse Transactionnelle a repéré que chacun peut rire de lui-même et de ses propres malheurs, dans un réflexe d’auto-dérision où le rire vient confirmer la piètre idée que l’on se fait de soi : « tu n’es vraiment bon à rien »… Une Schadenfreude retournée contre nous-même, que l’on appelle : « le rire du pendu » ! Car certains brigands autrefois pendus à la potence ironisaient sur leur propre fiasco, convaincus de mériter leur fin pitoyable… Cette joie autodestructrice interprète le moindre aléa comme la confirmation de notre nullité, ce qui en coaching relève d’une « croyance limitante », nous paralysant dans notre progression personnelle.


La Schadenfreude dans la Bible

Fins observateurs de la nature humaine, les auteurs bibliques n’ont pas manqué eux aussi de croquer cette inclination à la Schadenfreude, présente même chez les meilleurs, même chez les croyants les plus fidèles. Ainsi le livre des Proverbes avertit explicitement et solennellement : « Si ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il s’effondre, ne jubile pas : le Seigneur verrait cela d’un mauvais œil et détournerait de lui sa colère ! » (Pr 24,17-18). Ici, la Bible va jusqu’à dire que se réjouir du malheur d’un ennemi est mal vu par Dieu lui-même, et peut détourner la justice divine.

Schadenfreude : quelle est la vôtre ? dans Communauté spirituelle LHEVIII_5b111903ae527_moleiro.com-LHEVIII-Jobenelmuladar_6Les textes sapientiaux multiplient les condamnations de cette attitude, car Dieu – lui – fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants.

« Qui se moque d’un pauvre insulte Dieu qui l’a fait, qui se réjouit du malheur ne restera pas impuni » (Pr 17,5).

Job lui-même proteste de son innocence en rappelant à Dieu que la Schadenfreude lui est étrangère, ce qui à ses yeux est une preuve de sa justice. « Me suis-je réjoui de la ruine de mon ennemi ? Ai-je bondi de joie quand le malheur le frappait ? Jamais je n’ai laissé ma langue pécher en réclamant sa vie par une imprécation ! » (Jb 31,29–30).

La réprobation des sages est unanime : « Ils [les injustes] prennent plaisir à faire le mal, ils se complaisent dans la pire des perversités » (Pr 2,14).

 

Les prophètes d’Israël dénoncent eux aussi l’inhumanité de ceux qui se réjouissent de la chute de Jérusalem (en -587) : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem : “Est-ce la ville que l’on disait “Toute-belle”, “Joie de toute la terre” ?” Contre toi ils ouvrent la bouche, tous tes ennemis, ils sifflent et grincent des dents ; ils disent : “Nous l’avons engloutie ! Voilà bien le jour que nous espérions : nous y arrivons, nous le voyons !” Le Seigneur fait ce qu’il a résolu, il accomplit sa parole décrétée depuis les jours d’autrefois : il détruit sans pitié ! Il réjouit à tes dépens l’ennemi, il accroît la force de tes adversaires » (Lm 2,15–17). Ce comportement est cruel, injuste, et passible du jugement divin. 

Les nations voisines, comme Édom et Moab, jubilent en voyant la chute du royaume de Juda. Leur joie malveillante leur vaudra le châtiment de Dieu en retour : « Ne regarde pas avec plaisir le jour de ton frère, le jour de son désastre. Ne te réjouis pas au sujet des fils de Juda, le jour de leur perdition. N’aie pas le verbe haut, le jour de la détresse » (Abdias 1,12). Dieu condamne cette Schadenfreude collective, vue comme une trahison fraternelle.

« Ainsi parle le Seigneur Dieu : Parce que tu as battu des mains et tapé du pied, que tu as eu une joie profonde, un mépris total pour ce qui arrivait à la terre d’Israël… » (Ez 25,6). Ici encore, des peuples se réjouissent activement et publiquement du malheur d’Israël — avec des gestes physiques de joie. Dieu y voit une profanation. Amos leur transmet la conséquence inévitable de leur manque de compassion : « Ainsi parle le Seigneur : À cause de trois crimes d’Édom, et même de quatre, je l’ai décidé sans retour ! Parce qu’il a poursuivi de l’épée son frère, étouffant sa pitié, et entretenu sans fin sa fureur, gardant à jamais sa rancune, j’enverrai un feu dans Témane, et il dévorera les palais de Bosra » (Am 1,11–12).

 

Dans le livre d’Esther, le premier ministre perse Amane jubile à l’idée de faire pendre Mardochée, le juif. Il prépare même la potence. Finalement, grâce à Esther, c’est lui-même qui sera pendu sur cette même potence ! La Schadenfreude d’Amane devient son châtiment. C’est là une des constantes de la Bible : le mal finit toujours par se retourner contre son auteur, et par causer sa perte.

 

Bosch Portement de croixLe Nouveau Testament reprend ce triste constat de l’inhumanité de ceux qui se réjouissent du malheur d’autrui. Ainsi les spectateurs de la crucifixion de Jésus (les foules exultent souvent aux exécutions) : « Les passants l’injuriaient en hochant la tête » (Mt 27,39). On y entend l’écho de la Schadenfreude des contempteurs de Jérusalem applaudissant sa destruction : « Tous les passants du chemin battent des mains contre toi ; ils sifflent et hochent la tête devant la fille de Jérusalem… » (Lm 2,15–17).…

Jésus avait prévenu ses disciples : le monde se réjouira de les voir livrés aux fauves dans les arènes romaines, ou lapidés par les juifs, ou brûlés en torches humaines par Néron : « Amen, amen, je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira ; vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie » (Jn 16,20).

 

Les grands prêtres se réjouissent de la trahison de Judas qui leur livre leur adversaire sur un plateau : « Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les grands prêtres pour leur livrer Jésus. À cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable » (Mc 14,10–11).

 

Dans la parabole du fils prodigue, le fils aîné témoigne d’une forme subtile de ‘Schadenfreude inversée’ en quelque sorte : il voulait voir son frère souffrir en expiation de sa désertion familiale, et cela l’aurait réjoui, car à ses yeux ce ne serait que justice. D’où son amertume devant la miséricorde imméritée accordée par son Père. Il refuse de se réjouir du retour de son frère, et semble déçu qu’il n’ait pas été puni : « Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !” » (Lc 15,28-30)

L’amertume face à la miséricorde accordée à autrui est un indice de l’emprise de la Schadenfreude sur nous…

 

La dénonciation biblique de la Schadenfreude met en évidence les racines cachées de ce mépris :

– une conception mécanique de la justice, conçue comme essentiellement punitive : « il l’a bien mérité ! ». Or la justice divine est salvifique, et non meurtrière : « Je ne veux pas la mort du méchant, mais qu’il se convertisse » (Ez 18,23).

– l’absence d’empathie : si vous arrivez à « chausser les mocassins de votre ennemi », à vous mettre à sa place, vous aurez du mal à vous réjouir de son malheur.

- le ressentiment : si une mésaventure arrive à une personne que nous n’aimons pas ou qui s’est mal comportée avec nous, la sensation serait liée à un sentiment de restauration de l’ordre naturel, rétablissant en quelque sorte à l’équilibre. C’est la revanche du dominé.

- la déshumanisation. Déshumaniser autrui – que ce soit l’ennemi juif ou gazaoui, ukrainien ou russe, le migrant mexicain ou l’adversaire politique – permet de ressentir de la joie face à l’échec d’une personne ou d’un groupe. Chaque fois qu’on traite quelqu’un de noms d’animaux, de choses grossières ou d’objets repoussants, on prépare l’opinion à rire de son malheur. L’antisémitisme nazi avait bien compris ce ressort de la haine populaire…

– l’aveuglement sur nous-mêmes. Ceux qui n’ont pas d’intériorité, de vie spirituelle ou morale auront du mal à discerner les mouvements qui les animent, et plus encore à les qualifier. Applaudir au malheur d’autrui leur semblera aussi naturel que de prendre de force ce qu’ils convoitent. Sans une éducation au discernement de nos émotions, sans une pédagogie d’apprentissage de l’empathie, comment s’étonner que certains cèdent à la Schadenfreude sans complexe ?

 

L’antidote de Jésus à la Schadenfreude

« Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ».

Luc-1017-24 72 dans Communauté spirituelleVoilà l’antidote : non seulement refuser de céder à l’inclination à la joie malsaine, mais orienter sa joie vers ce qui – en Dieu – est positivement une bonne nouvelle, inaliénable : « nos noms sont écrits dans les cieux ». Paul le redira à sa manière : « L’amour ne se réjouit pas de ce qui est injuste, il trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1Co 13,6).

Dans un premier temps, la menace de nous exposer à ce que notre mépris se retourne contre nous devrait nous faire réfléchir lorsque nous sommes tentés de rire du malheur d’autrui. C’est la version Schadenfreude du constat de Jésus : « celui qui vit par l’épée périra par l’épée » (Mt 26,52).

Cet avertissement ne suffit pas : nous pouvons apprendre à désirer ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est beau, au lieu de nous laisser avilir à des réjouissances malsaines. Et Jésus oriente notre désir vers la contemplation de la gratuité absolue du salut qui nous est offert en lui : « Vos noms sont écrits dans les cieux ». C’est fait ; c’est déjà réalisé ! Pas besoin d’angoisser ni de vouloir le « mériter » : il suffit d’accueillir ! Marie le sait d’expérience, depuis la parole de Gabriel : « L’ange entra chez elle et dit : « Réjouis-toi (χαρω = chairō), comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1,28 ; cf. So 3,14 ; Za 9,9).

 

Il y a une manière divine d‘écrire les noms humains pour les graver à jamais en lui. 

Name and rejoice en quelque sorte, au lieu de Name and shame… 

 JésusCe que nous pouvons faire nous aussi avec ceux que nous aimons à jamais. À la manière du grand-prêtre qui portait sur sa poitrine les noms des douze tribus d’Israël : « Les pierres étaient aux noms des fils d’Israël ; comme leurs noms, elles étaient douze, écrites (gravées) dans la pierre à la manière d’un sceau ; chacune portait le nom de l’une des douze tribus » (Ex 39,14). À la manière également de Paul qui chérit les communautés qu’il a engendrées, et les compare à une lettre écrite par le Christ dans le cœur des fidèles : « Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire. De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2Co 3,2-3).

Nos noms sont inscrits dans les cieux, gravés sur le pectoral du Grand-Prêtre, écrits en nos cœurs par l’Esprit du Dieu vivant, formant en nous une lettre de chair au lieu de la Loi de pierre… À la fin des temps, nous auront la surprise de découvrir notre vrai nom écrit sue la caillou que Dieu remettra en chacun en signe de sa véritable identité divine : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, écrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit » (Ap 2,17).

Pour la Bible, écrire le nom de quelqu’un sur la pierre, dans les cieux, dans les cœurs ou sur la terre – comme Jésus pourrait l’avoir fait face à ses accusateurs devant la femme adultère – est donc lourd de sens !

 

Lorsque nous aurons envie de sourire, de rire ou d’applaudir au malheur d’autrui ‑ même le plus cruel de nos ennemis – rappelons-nous le pas de danse d’Hitler dans la clairière de Rethondes. Rappelons-nous surtout la bonne nouvelle affirmée par Jésus : « Vos noms sont écrits dans les cieux ».

La Schadenfreude est réellement inhumaine.

Mais, au fait : quelle est la vôtre ?…

 

Lectures de la messe


Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)


Lecture du livre du prophète Isaïe
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.


Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !
 (cf. Ps 65, 1)


Acclamez Dieu, toute la terre ;

fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.


Il changea la mer en terre ferme :

ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.


Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :

je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !


Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.


Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia.
Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD

 

 

Mots-clés : , , , ,

15 juin 2025

Une étoile à la mer

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Une étoile à la mer

Homélie pour la fête du Saint Sacrement Corps et Sang du Christ / Année C
22/06/25

Cf. également :
Le réel voilé sous le pain et le vin
Comme une ancre jetée dans les cieux
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie
L’Alliance dans le sang
Bénir en tout temps en tout lieu
Communier, est-ce bien moral ?
Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Comme une ancre jetée dans les cieux
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange

Écoutez cette histoire, comme une parabole.
Bassin d’Arcachon : un tapis d’étoiles de mer au pied de la dune du PilatUn jour, je marchais sur une plage déserte, au coucher du soleil. Peu à peu, je commence à distinguer la silhouette d’un autre homme dans le lointain. Quand il fut plus près, je remarquais que l’homme ne cessait de se pencher pour ramasser quelque chose qu’il rejetait aussitôt à l’eau. Maintes et maintes fois, inlassablement, il lançait des choses à tour de bras dans l’océan. En m’approchant encore d’avantage, je me rendis compte que l’homme ramassait en fait des étoiles de mer, que la marée avait rejetées sur la plage, et une par une il les relançait dans l’eau. Intrigué, j’aborde l’homme et je lui dis :
– « Bonsoir mon ami. Je me demandais ce que vous étiez en train de faire ».
– « Je rejette les étoiles de mer dans l’océan. C’est marée basse, voyez-vous, et toutes ces étoiles de mer ont échoué sur la plage. Si je ne le rejette pas à la mer, elles vont mourir du manque d’oxygène ».
– « Je comprends, mais il doit y avoir des milliers d’étoiles de mer sur cette plage ! Vous ne pourrez pas toutes les sauver. Il y en a tout simplement trop. Et vous ne vous rendez pas compte que le même phénomène se produit probablement à l’instant même sur des centaines de plages tout au long de la côte. Vous ne voyez pas que vous ne pouvez rien y changer ? »
L’homme sourit, se pencha et ramassa une autre étoile de mer. En la rejetant à la mer, il répondit :
– « Pour celle-là, ça change tout ».

En ce dimanche de la Fête-Dieu, de la fête du Corps et du Sang du Christ, des milliers d’enfants dans nos paroisses font leur première communion Cette histoire d’étoile de mer peut s’entendre à plusieurs niveaux.

Une étoile à la mer dans Communauté spirituelle catechisme-1024x1024-1-1024x1024Pour les éducateurs que nous sommes – personnel ou enseignants en école catholique, catéchistes en paroisse – c’est une grande espérance. Même si vous avez parfois l’impression que votre travail d’éducation est une goutte d’eau dans la mer, il suffit d’un seul enfant que vous aurez aidé à se construire, humainement ou spirituellement, pour qu’une vie entière de labeur éducatif soit justifiée. Beaucoup d’enfants resteront peut-être échoués sur la plage, mais ceux que vous aurez mis à l’eau témoigneront pour vous.

Pour vous, les parents, cette histoire vous invite à semer sans compter. Les étoiles de mer, ce sont peut-être tous ces gestes que vous avez faits et refaits par amour inlassablement sur vos enfants en vous demandant parfois si cela sert à quelque chose. Eh bien, il suffit d’une parole qui fasse son chemin dans le cœur de votre fils, il suffit d’un geste d’affection, de pardon ou de confiance qui s’imprime dans la mémoire de votre fille et ils en seront changés pour toute leur vie !

Pour nous tous en Église, cette parabole d’étoiles de mer nous appelle à ne pas laisser ces enfants s’asphyxier. À leur donner le souffle de l’Esprit comme une réserve d’oxygène pour s’aventurer dans l’océan et aller au large, au lieu de vivoter et de se dessécher à marée basse. La mer pour l’étoile, c’est son milieu nutritif. C’est là où elle se nourrit, où elle puise de quoi grandir, de quoi rejoindre le large. L’eucharistie est la nourriture qui va permettre à ces enfants de première communion de nager loin, loin dans les eaux de leur baptême.

Communier aujourd’hui, communier demain, communier dans les jours de détresse comme dans les jours d’allégresse : cette première communion leur ouvre un chemin où ils pourront toujours ouvrir la main pour recevoir de quoi continuer leur route. Une étoile de mer sans la mer se dessèche et meurt. Un baptisé sans l’eucharistie vécue en Église se dessèche et sa vie intérieure meurt peu à peu. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement », dit Jésus, en parlant de lui-même. Il est la vraie nourriture, il est la vraie boisson comme le dit saint Jean.
Tant il est vrai que se nourrir d’amour vaut mieux que toutes les autres nourritures.

Mais au fait, de quoi nourrissez-vous votre enfant ?
trop-decrans-pour-vos-enfants communion dans Communauté spirituelleOn fait de plus en plus attention – et on a raison – à ce qu’il y a dans l’assiette familiale. Pas trop sucré pour éviter l’obésité, un peu bio pour respecter la planète, un peu de qualité pour éduquer le goût, en circuit court pour manger local.
Faites-vous autant attention à ce dont vos enfants vont se nourrir, par la lecture, la vision, leur imaginaire, etc. ?
Dans quelle mer plongez-vous vos petites étoiles pour ne pas les laisser sur le sable ?
Toutes les enquêtes montent que les enfants en France, en moyenne, passent plus de temps devant la télé qu’en classe à l’école. Si vous ajoutez tous les écrans qui nourrissent l’imaginaire d’un enfant aujourd’hui, il y a de quoi réveiller votre vigilance de parents : Internet, jeux vidéo, téléphones portables, etc. Une étude publiée en 2023 avait mesuré les temps d’écran chez les enfants français. On y apprend que les enfants de 1 à 6 ans passent en moyenne 2h par jour devant un écran, 3h30 de 7 à 12 ans, et 5h10 de 13 à 19 ans !!!

Infographie: Combien de temps les jeunes passent-ils devant les écrans ? | Statista

Un ancien fait divers sordide, montre hélas que la nourriture virtuelle des enfants peut avoir une profonde influence sur eux. En 2008, un pré-adolescent –  comme on dit – de 11 ans invite chez lui son ami de 12 ans, qui vient accompagné de sa petite sœur de 10 ans. Les parents étant absents, ils regardent un film pornographique sur un DVD. Une fois la séance terminée, les jeunes entreprennent de reproduire toutes les scènes du film avec la petite sœur. La petite fille était complètement sous l’emprise psychologique des deux garçons et n’a rien pu faire pour leur échapper. Les deux collégiens se filment avec leurs smartphones et diffusent de leurs ébats durant une semaine dans leur classe de sixième au collège. Rapidement, l’histoire et la vidéo font le tour de l’établissement de plusieurs centaines d’élèves issus de ce coin huppé des Yvelines. L’enquête sur l’environnement familial révélera que ce ne sont pas des enfants livrés à eux-mêmes. Ils évoluent comme tous les enfants de ce collège dans des milliers sociaux plutôt favorisés, ajoutent un gendarme. Les parents sont effondrés.

Vous voyez l’urgence de proposer à vos enfants d’autres nourritures que celles qu’ils vont trouver à marée basse, au risque de s’asphyxier. Nourriture artistique, littéraire, spirituelle et éducative, nous n’en manquons pas en fait ! Mais parfois, nous n’osons pas transmettre. Nous nous réfugions derrière de faux alibis : « Il choisira plus tard ». « Je ne veux rien lui imposer ». « Tout se vaut après tout… ». Ce pain-là conduit à la mort spirituelle. Alors que celui qui mange du paix eucharistique vivra, et il vivra éternellement nous promet le Christ. Et une promesse du Christ, c’est quelque chose ! C’est plus fort même que la cover-r4x3w1200-654b52abd6c85-043-dpa-pa-221215-99-913175-dpai étoilepromesse scoute, et même que la promesse du mariage ! Lui tient sa promesse. Il nous fait vivre, en se donnant en nourriture, dans sa Parole, dans son Corps qui est l’Église, dans son corps et son sang qui est l’eucharistie.

Petites étoiles de mer, vous les enfants de la première communion, même s’il vous arrive  dans votre vie de suffoquer à marée basse, de vous asphyxier sur du mauvais sable, revenez à l’eucharistie. Souvenez-vous plus tard de votre première communion. La messe dans l’assemblée du dimanche, tout simplement, peut devenir votre océan et vous ouvrir une belle, une profonde, une indicible course au large.
Bonne navigation ! Et n’oubliez pas : se nourrir d’amour vaut mieux que toutes les autres nourritures…

 

Lectures de la messe

Première lecture
Melkisédek offre le pain et le vin (Gn 14, 18-20)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.

Psaume
(Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
R/ Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melkisédek.
(cf. Ps 109, 4)

Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite,
et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »

De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »

Le jour où paraît ta puissance,
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui naît de l’aurore,
je t’ai engendré. »

Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais
selon l’ordre du roi Melkisédek. »

Deuxième lecture
« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Séquence
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.

* Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

Évangile
« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Lc 9, 11b-17)
Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. » Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.

Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , ,

10 mai 2025

Pourquoi rester dans l’Église ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pourquoi rester dans l’Église ?

 

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année C
11/05/25


Cf. également :
Dieu fait feu de tout bois

Il est fou, le voyageur qui…
Secouez la poussière de vos pieds
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
L’agneau mystique de Van Eyck
« Passons aux barbares »…
Du bon usage des leaders et du leadership
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
À partir de la fin !
Comme une ancre jetée dans les cieux
L’événement sera notre maître intérieur
La parresia, ou l’audace de la foi

 

Lumière des nations
Pourquoi rester dans l’Église ? dans Communauté spirituelle maxresdefaultÀ Pâques 2024, 7 135 adultes ont été baptisés (environ 11 200 sur l’année). Réjouissant ! Évidemment, cela ne comble pas le déficit des baptêmes d’enfants (qui s’écroulent), mais c’est un signe fort. À condition que ces néophytes (nouvelles plantes, en grec) prennent racine et restent dans le terreau commun pour porter du fruit avec les ‘anciens’ baptisés. Or beaucoup de néophytes décrochent après le  temps fort pascal. On ne sait pas combien exactement (certains estiment les départs à 75 % !), mais cela pose question. Pourquoi ? Par manque d’accompagnement sans doute : livrés à eux-mêmes après le temps fort du catéchuménat, ces néophytes n’ont plus d’équipe à leurs côtés, et trouve bien décevante la grisaille paroissiale après l’intensité de leur parcours initiatique. Finalement, ils rejoignent la cohorte de ceux qui désertent peu à peu nos assemblées, sur la pointe des pieds, sans rien dire.

 

Tout cela pose la question : pourquoi rester dans l’Église ? Comme interrogeait Jésus : « Et vous, voulez-vous partir vous aussi ? » (Jn 6,67)

Il faut bien avouer que le visage de l’Église catholique n’est guère brillant en ce moment dans notre pays : abus sexuels en masse (au point de se demander si ce n’est pas ‘systémique’…), conservatisme moral et liturgique, abus de pouvoir, cléricalisme, retour des croyances magiques et désuètes… Il faut avoir le cœur bien accroché pour ne pas s’enfuir à la vue des tumeurs défigurant le corps ecclésial !

Chaque période sombre de l’histoire de l’Église fait ainsi revenir le doute : pourquoi rester ?

La conviction de Paul dans notre première lecture (Ac 13,14-52) nous heurte alors de plein fouet : « Nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre ».

https://s1.1zoom.me/big0/437/Lighthouses_Night_Fog_465001.jpgPaul ne peut ni ne veut déserter, malgré l’adversité, car cette vocation héritée du prophète Isaïe va le tenir debout, jusqu’au martyre. Isaïe le premier a conscience en effet de jouer un rôle universel : « Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice ; je te saisis par la main, je te façonne, je fais de toi l’alliance du peuple, la lumière des nations » (Is 42,6). « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49,6). Nouvel Isaïe, Jésus assumera au plus haut point l’universalisme de la foi biblique, n’hésitant pas à accomplir la Torah pour qu’elle serve la Nouvelle Alliance de tous les peuples avec YHWH. Dans l’élan de son Esprit, les chrétiens continueront à annoncer que l’Évangile est pour tous et à croire que la lumière émanant du Christ est universelle. Jean dira ainsi que la Jérusalem nouvelle, la ville ultime que l’Église anticipe ici-bas, sera le centre d’attraction du monde entier : « Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y porteront leur gloire » (Ap 21,24). Il reprend ainsi la prophétie d’Isaïe annonçant avec audace que le petit bourg de Jérusalem deviendra un phare illuminant toutes les nations : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Is 60,3).

 

Quel contraste entre la vocation universaliste de Jérusalem/l’Église et leur apparence actuelle !

Même réduite à quelques poignées de condamnés promis aux fauves des cirques romains, l’Église naissante n’a pas déserté, car elle était habitée par la conviction de détenir en elle un trésor pour tous, même pour ses bourreaux.

 

Lunaire Église

S’interrogeant sur son identité et sa vocation, l’Église catholique réunie au concile Vatican II a commencé sa Constitution dogmatique sur l’Église par ces termes :

040c9e2a92f71ecc583f1107595a3144 Eglise dans Communauté spirituelle« Le Christ est la lumière des peuples : réuni dans l’Esprit Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église » (Lumen Gentium n°1).

Commentant ce texte auquel il avait contribué en tant que jeune expert théologien, le futur pape Benoît XVI repartait de l’allégorie patristique Christ–soleil/Église-lune [1] pour expliquer pourquoi lui restait dans l’Église alors que beaucoup la quittaient – déjà ! – dans les années 70 :

« Comment peut-on, au regard de la situation actuelle, justifier le fait de demeurer dans l’Église ? […] 

J’aimerais […] fournir une première réponse sous forme d’une analogie. […] Nous avions dit qu’en examinant l’Église de trop près nous avions fini par perdre de vue l’ensemble. On peut approfondir cette idée en la rapprochant d’une image que les Pères de l’Église ont mise en évidence dans leur interprétation symbolique du monde et de l’Église.

Ils expliquèrent que la lune figurait dans l’organisation du cosmos ce qu’était l’Église dans l’organisation du salut, au sein du cosmos intellectuel et spirituel. […]

L’Église reflète la lumière du Christ !

Pour les Pères, l’application à l’Église de la symbolique de la lune découlait de deux idées principales : d’une part de la correspondance entre la lune et la femme (la mère), d’autre part de l’idée que la lune n’est pas source de lumière, puisqu’elle la reçoit d’Hélios. Sans lui, elle ne serait qu’obscurité ; elle brille, mais sa lumière n’est pas sa lumière, c’est la lumière d’un autre. Elle est lumière et obscurité à la fois. Elle-même n’est qu’obscurité, mais elle dispense une clarté, qui lui vient d’un autre, dont la lumière se propage par son intermédiaire. C’est exactement en cela qu’elle représente l’Église, qui illumine bien qu’elle ne soit elle-même qu’obscurité : elle ne puise pas la lumière en elle-même, mais elle la reçoit du véritable Hélios, le Christ, si bien qu’elle peut, bien qu’elle ne soit elle-même qu’un amas de pierre […], éclairer les ténèbres dans lesquelles nous vivons de par notre éloignement de Dieu – « la lune nous raconte le mystère du Christ » (Saint Ambroise).

 

Cette image patristique affirmant que l’Église est au Christ ce que la lune est au soleil permet de tenir ensemble deux lignes :

– L’Église n’est pas le Christ. 

Elle en dépend tout entière. Elle ne s’annonce pas elle-même. Elle n’a pas pour but de sa croissance, son pouvoir, sa réussite. Elle désire seulement refléter pour tous l’unique lumière qu’est le Christ, telle la lune pour le soleil. Il y a donc une réelle distance entre le Christ et l’Église, aussi grande que celle qui sépare la lune du soleil !

– L’Église est inséparable du Christ.

Elle vit par lui et pour lui. Sans elle, le monde marche dans les ténèbres comme lors des nuits sans lune.

En effet, si l’Église est distincte du Christ, dont elle est un signe, elle n’est pas seulement un signe du salut offert en Jésus-Christ, elle en est également un moyen, un instrument (comme l’écrit Vatican II). C’est toute la différence entre le simple signe et le symbole, dans une approche symbolique de la réalité sacramentelle. Le signe ne fait que désigner un autre que lui-même; le symbole (sacrement) rend présent ce qu’il annonce. C’est dire que l’Église est le signe efficace qui manifeste la présence de Dieu, elle est le symbole réel qui contient et rend présent Celui qu’elle révèle. Celui qu’elle signifie n’est pas séparé d’elle. Elle n’est pas un intermédiaire, mais une médiation dans l’Esprit-Saint, car « la communication du Christ, c’est l’Esprit Saint » [2]. Elle n’est pas simplement l’échafaudage nécessaire dans la construction d’une tour (le Royaume), qu’on enlève une fois la tour terminée parce qu’on n’en a plus besoin; elle est elle-même l’échafaudage et le matériau de la tour encore inachevée. C’est parce qu’elle est sacrement du salut que l’Église est la « société de l’Esprit » (St Augustin).

 

illustration-chr%C3%A9tienne-logo-de-l-%C3%A9glise-la-croix-est-un-symbole-du-salut-monde-bible-dieux-r%C3%A9v%C3%A9l%C3%A9-v%C3%A9rit%C3%A9-261729704 luneJoseph Ratzinger devenu pape reprendra cette double dépendance de l’Église : de Dieu, pour le monde : « elle ne devrait pas se regarder elle-même, mais parler de l’autre, pour l’autre » (16/09/2010). Lumen Gentium opère ainsi un décentrement de l’Église vers Dieu pour caractériser l’identité la plus profonde de l’Église. Gaudium et Spes opérera un décentrement similaire, de l’Église vers les hommes de ce temps, vers le monde à évangéliser.
Vatican II inscrit donc au cœur de l’identité ecclésiale un double exode, une double ex-stase, vers Dieu et vers les hommes. L’Église se reçoit de Dieu dans son être et dans sa mission, avant d’agir, pour et avec les hommes. Elle existe à partir d’un Autre qu’elle-même, et pour le communiquer à d’autres. Une Église qui est appelée à se dépouiller, dans l’humilité et la pauvreté qui sont celles de l’amour trinitaire, afin qu’à travers elle, un Autre se révèle.

Cette vision d’une « Église servante et pauvre » [3], en exode d’elle-même pour un monde lui-même en exode et en attente du retour en Dieu, est l’une des intuitions-clés de Vatican II. Impossible de s’installer dans cette marche au désert ! Cette double pro–existence fait entrer l’Église dans le mouvement eucharistique du Christ lui-même. Le pour Dieu fonde le pour les hommes qui vérifie le sérieux du pour Dieu. Le pour Dieu est le gage d’une fidélité à l’Évangile, d’une parole qui nous est donnée sans nous appartenir. Le pour les hommes est le gage de l’incarnation véritable de cette parole dans l’histoire. Le pour Dieu dit la communion comme visée et comme chemin. Le pour les hommes ancre ce désir de communion dans une transformation véritable de l’histoire humaine. Tenir ce double décentrement, vivre cette double pro–existence est une tension inhérente à la nature de l’Église : « rendre grâce à Dieu » et « vivre en grâce avec nos frères ». Une telle tension empêche de durcir les fausses oppositions entre liturgie et mission, entre Église rassemblée et Église à faire naître, entre visibilité et enfouissement etc…

 

Vatican II exprime ce double lien Christ–Église en termes de sacrement : « L’Église est dans le Christ en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (LG 1).

Comme la lune renvoie au soleil, l’Église est signe parce qu’elle renvoie à un autre qu’elle-même. Elle en indique la direction, comme le panneau routier fait signe et indique vers où aller.

Comme la lune reflète la lumière du soleil, l’Église est un moyen parce que n’est pas extérieure à la communion d’amour qu’elle annonce : en son sein, chacun peut déjà goûter l’union intime avec Dieu et l’unité fraternelle.

 

Des phases plus ou moins lumineuses

Saint Cyrille d’Alexandrie écrit : « L’Église est auréolée par la lumière divine du Christ, qui est la seule lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière : mais dans cette unique lumière, l’Église resplendit aussi, sans pour autant être le Christ lui-même ». L’Église ne peut pas mourir mais elle connaît des phases plus ou moins lumineuses.

Dans les périodes les plus sombres, celles où l’Église, de par son caractère lunaire, semble ne plus beaucoup refléter la lumière du Christ, il est bon de se souvenir de cette symbolique patristique pour ne pas perdre l’espérance et pour demeurer fidèles à ce que l’Église a toujours tenu pour vrai à cause de sa conformité avec l’enseignement du Christ. Si des paroles d’hommes d’Église se détournent du message évangélique, par des interprétations et des adaptations douteuses, elles ne doivent pas être occasion pour nous de tristesse incontrôlée mais invitation à renouveler notre propre vie spirituelle, à demeurer fidèles à ce qui appartient à jamais à la lumière du Christ.

infographie-phases-lune_67515-95 universel 


L’Église est lunatique, c’est-à-dire changeante comme la lune :

– tantôt mouvante comme le dernier quartier de lune, elle semble sur le point de disparaître tellement elle offre peu de surface à la réflexion de l’unique lumière divine.

– tantôt rayonnante comme la pleine lune, elle semble tout baigner de lumière et infuse dans la société des fruits de justice, de bonté, de beauté.

– tantôt renaissante comme le premier quartier de lune, elle émerge d’une période sombre où elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, comme si sa face cachée avait tout envahi. Mais le Christ lui donne de se renouveler – grâce notamment aux saints, aux théologiens, aux missionnaires etc. – et un nouvel âge d’or succède à l’éclipse précédente.

 

Joseph Ratzinger poussait la comparaison jusqu’à évoquer l’aridité de l’Église sans le Christ :

Surface-Lunaire Vatican IIL’astronaute ou la sonde lunaire ne découvrent sur la lune qu’un désert, des pierres, du sable et des montagnes, mais aucune source de lumière : la lune n’est en définitive que cela, elle n’est qu’un désert de sable et de pierres. Et pourtant, elle est, non pas en soi, mais parce qu’elle reçoit et réfléchit la lumière, source de lumière et elle le reste à l’époque des voyages dans l’espace. […] 

Alors je pose la question : n’avons-nous pas là une image véritable de l’Église ? Celui qui emprunte la navette spatiale pour faire des prélèvements sur l’Église et l’étudier, ne découvrira que le désert, le sable et les pierres, ne découvrira que l’humanité de l’homme et de son histoire avec ses déserts, sa poussière et ses montagnes. C’est ce qui lui est propre. Mais ce n’est pas ce qui la caractérise. L’essentiel est qu’elle est lumière bien qu’elle ne soit elle-même que sable et pierres, lumière provenant du Seigneur, provenant de l’Autre : ce qui ne lui est pas propre est en réalité véritablement ce qui lui est propre, sa caractéristique particulière, oui, elle trouve son essence dans le fait qu’elle n’a aucune valeur en elle-même, dans le fait que ce qui compte chez elle est précisément ce qu’elle n’est pas, et qu’elle n’existe que pour être dépossédée – qu’elle est source de lumière, alors qu’elle n’est pas lumière et que, de ce fait même, elle est néanmoins lumière. […]

Les astronautes qui posent leur scaphandre sur le sol lunaire ne voient que cailloux, poussière, atmosphère hostile. Ainsi l’Église sous la lunette des sociologues, des historiens, des analystes en tous genres. L’Église n’a pas grand-chose en elle-même pour plaire : son éclat lui vient d’un autre, du Christ, et non de ses trouvailles ou même de son génie. Dans ces périodes pitoyables où elle est défigurée et méconnaissable, l’Église garde pourtant sa beauté secrète : refléter quelque chose de la beauté du Christ, transmettre son Évangile, annoncer un Dieu-Trinité communion d’amour offerte à tous, que les sacrements permettent déjà de goûter. Lorsqu’elle vit de son message, l’Église est lumineuse comme la pleine lune. Lorsqu’elle le contredit en paroles ou en actes, l’Église n’est plus que poussière caillouteuse et inhospitalière. Même là cependant, elle demeure un signe qui indique ‑ faiblement – le Christ, un moyen pour aller vers lui.

 

Pour revenir à notre problématique de départ, le caractère lunaire de l’Église peut désormais nous aider à ne pas désespérer de la voir si affaiblie, ou si laide, ou si froide. Même déformée et obscurcie par elle, la lumière des nations qu’est le Christ continuera à guider notre marche. Voilà pourquoi rester dans l’Église, surtout à ses heures les plus sombres, est vital : déserter serait se condamner soi-même à marcher dans la nuit noire…

______________________________________

[1]. « Pourquoi je suis encore dans l’Église », Joseph Ratzinger, Conférence de Munich, 4 juin 1970, à l’occasion du 60°  anniversaire du concile Vatican II.
[2]. Irénée de Lyon, Adversus Haereses, t.1.III c 24,1.
[3]. L’expression vient de St Augustin, cf. CONGAR Y., Pour une Église servante et pauvre, Cerf, coll. L’Église aux cent visages, Paris, 1963.


Lectures de la mess


Première lecture

« Nous nous tournons vers les nations païennes » (Ac 13, 14.43-52)


Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place. Une fois l’assemblée dispersée, beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique les suivirent. Paul et Barnabé, parlant avec eux, les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu. Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région. Mais les Juifs provoquèrent l’agitation parmi les femmes de qualité adorant Dieu, et parmi les notables de la cité ; ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire. Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium, tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.


Psaume
(Ps 99 (100), 1-2, 3, 5)
R/ Nous sommes son peuple, son troupeau. ou : Alléluia.
 (cf. Ps 99, 3c)


Acclamez le Seigneur, terre entière,

servez le Seigneur dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !


Reconnaissez que le Seigneur est Dieu :

il nous a faits, et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.


Oui, le Seigneur est bon,

éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.


Deuxième lecture
« L’Agneau sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie » (Ap 7, 9.14b-17)


Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. L’un des Anciens me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »


Évangile
« À mes brebis, je donne la vie éternelle » (Jn 10, 27-30)
Alléluia. Alléluia.
 Je suis, le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , ,

27 avril 2025

Lier responsabilité et amour

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Lier responsabilité et amour

 

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année C
04/05/25


Cf. également :
Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?
Les 153 gros poissons
Quand tu seras vieux…
Le devoir de désobéissance civile
Les 7 mercenaires
L’agneau mystique de Van Eyck
Manager en servant-leader
Jesus as a servant leader


Le choix des Douze

On raconte que Jésus s’interrogeait beaucoup sur le choix de ses associés les plus proches au début de son ministère public. Pour en avoir le cœur net, il demanda à un célèbre cabinet-conseil de la capitale, expert en management, une étude sur l’équipe qu’il avait constituée. Voici la réponse qu’il a reçue :

 

Lier responsabilité et amour dans Communauté spirituelleCabinet McKinsey Palestine

3 Rue du Calvaire Jérusalem

 

Cher Monsieur Christ,

 

Nous vous remercions de nous avoir confié les CV des douze hommes que vous avez sélectionnés pour leur confier des postes de responsabilité dans votre nouvelle entreprise internationale de « pêcheurs de têtes ».

Suite à de nombreux examens et entretiens avec nos consultants en aptitude pour le ministère, ainsi qu’une rencontre avec notre psychologue spécialisé, nous vous faisons part des résultats de ce processus d’évaluation. Malheureusement, il s’avère que la plupart de vos candidats manquent d’expérience, de formation et d’aptitudes pour le genre d’entreprise dans laquelle vous comptez vous lancer. Ils n’ont pas l’esprit d’équipe et leur connaissance des langues étrangères est nettement insuffisante. Nous vous recommandons donc de continuer vos recherches en vue de découvrir des candidats qui aient de l’expérience dans la gestion des affaires et qui aient prouvé leurs compétences.

 

Afin de vous permettre de cibler qualitativement vos prochaines candidatures, voici le résultat de certains profils que vous nous avez transmis.

  • Simon Pierre est un instable émotionnel, en proie à des sautes d’humeur, un peu borné pour tout dire.
  • André n’a aucune disposition pour assumer des responsabilités.
  • Les deux frères Jacques et Jean, les fils de Zébédée, placent leur intérêt personnel au-dessus du dévouement envers la société.
  • Thomas a tendance à douter de tout et pourrait avoir une influence négative sur le groupe.
  • Nous nous voyons dans l’obligation de vous faire savoir que Matthieu figure sur la liste noire de la « commission de Jérusalem pour la transparence des affaires ».
  • Jacques a une tendance dangereuse à la radicalisation et à l’utopie, stigmatisant les riches sans raison.
  • Les relations de Simon – dit le zélote – avec des milieux extrémistes font de lui un élément difficile à contrôler et susceptible de mener des actions irresponsables.
  • Les autres postulants sont sans relief, quasiment invisibles.

 

Toutefois, un des candidats a de grandes possibilités…. Il est capable et imaginatif, a le contact facile et un sens développé des affaires, il ne manque pas de relations avec les personnalités haut placées. Son goût pour la discrétion et pour l’organisation sont de vrais atouts et les différents entretiens réalisés ont montré qu’il est motivé, ambitieux et n’a pas peur des responsabilités. Nous vous conseillons donc de prendre Judas Iscariote comme votre administrateur et bras droit. 

 

Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre nouvelle aventure.

En joignant à cette étude notre facture (à régulariser sous huitaine), nous restons à votre disposition pour compléter votre recherche et vous aider dans le développement de votre organisation à laquelle nous souhaitons succès et durée.

 

Comme quoi le choix des Douze ne s’aligne pas sur les modes managériales d’une époque ! 

Ce dimanche, c’est le choix de Pierre qui est sous le feu des projecteurs (Jn 21,1-19). En répétant par trois fois : « M’aimes-tu ? » « Sois le pasteur (leader) de mes brebis », Jésus ne rappelle pas seulement à Pierre son triple reniement – trois fois pardonné – mais surtout il lui confie une mission particulière, il lui donne une responsabilité majeure : « Sois le pasteur de mes brebis ».

 

Parce qu’il aime, Pierre sera pasteur. Dans cet ordre.

Est-ce ainsi que les responsables sont nommés dans notre monde actuel ?
Passons en revue quelques fondements de l’autorité dans nos entreprises, familles ou Églises, afin de de les comparer à la pratique de Jésus envers Pierre et les Douze.

 

L’accès aux responsabilités selon les païens


– Fonder la responsabilité sur la compétence

133549680 amour dans Communauté spirituelleC’est l’une des premières raisons auxquelles on pense : confier les plus grosses responsabilités à ceux qui sont les plus compétents. En France, cela a donné Polytechnique et l’ENA ou Science-Po comme voie royale pour devenir haut fonctionnaire, député ou ministre.

Jésus a-t-il choisi des énarques de son temps ? Pas sûr que Pierre ait réussi un grand oral de quelque concours de grande école que ce soit… Car le problème du critère de compétence, c’est qu’il s’appuie sur le passé, sans préjuger du futur. Et quelle compétence ? Sur quels critères ? À quel horizon (le court-terme est souvent en contradiction avec le moyen ou le long-terme) ? Si bien que le ‘principe de Peter’ fonctionne à plein dans nos administrations et nos entreprises : on promeut de plus en plus haut quelqu’un qui a réussi, jusqu’à ce qu’il se révèle inefficace au poste confié, parce que qu’ayant dépassé son seuil de compétence maximum, et donc ayant atteint son seuil d’incompétence…
De plus, on confond souvent plusieurs types de compétences : l’expert maîtrise son sujet technique, le manager sait animer une équipe et valoriser chacun. Mais un bon expert ne fera pas forcément un bon manager ! Promouvoir un excellent expert à un poste managérial peut s’avérer désastreux (et réciproquement).

 

Les compétences passées de Pierre ne sont pas exceptionnelles : il n’avait rien pêché (même de nuit) la première fois que Jésus l’a rencontré. Il n’a rien compris à l’annonce de la Passion, jusqu’à se faire traiter de ‘Satan’ par le patron en personne. Et il a renié publiquement trois fois celui qu’il disait avec fanfaronnade être capable de suivre au bout du monde. Pas brillant ! Pourtant, Jésus ne voit pas en lui le pécheur du passé, mais le pêcheur d’hommes du futur. Il fait le pari qu’avec l’Esprit Saint, ce caractère sanguin et entier se donnera entièrement à sa mission, avec brio. On dirait aujourd’hui qu’il fait le pari de l’empowerment de son associé : il saura grandir à la hauteur de l’énorme responsabilité « papale » que le Ressuscité lui confie.

 

Fonder la responsabilité sur la seule compétence passée (et laquelle ? mesurée comment ?) est trop court.

 

– Fonder la responsabilité sur le mérite

C’est une variante de la compétence. On fait souvent l’éloge du mérite républicain pour récompenser ceux qui ont su avoir un beau parcours d’études ou d’affaires grâce à leur travail, sans rien devoir à l’héritage. Pourquoi pas ? Récompenser un talent sorti de nulle part a valeur d’exemple. À condition que ce parcours de réussite soit possible pour le plus grand nombre et pas seulement quelques-uns. Et il restera encore à vérifier que ce mérite passé se traduira bien en mérite futur, que le médaillé d’hier ne devienne pas le petit chef de demain…

- Fonder l’autorité sur le vote
C’est presque une évidence de nos démocraties occidentales. On remet à l’heureux élu les manettes du pouvoir politique (élections des maires, députés, présidents etc.), managérial (par le vote du Conseil d’administration), on attribue aux distingués une autorité morale (prix littéraires, Eurovision etc.). Pourtant, les frasques d’un certain Donald (le bien nommé !) nous montre que cette assise de l’autorité sur le vote est fragile : les élections reviennent très souvent et peuvent se contredire les unes les autres (Biden/Trump, Merkel/Merz etc.) car les opinions publiques sont versatiles, et manipulables. De plus, on sait d’expérience que le vote populaire peut se tromper et amener le pire.
Les chrétiens savent en outre que le vote de la foule a condamné Jésus lors de son procès (« Crucifie-le ! »). Le Bien ne découle pas forcement de l’avis d’une majorité, ni le Beau, ni le Vrai… Sans transcendance, le vote démocratique n’est jamais que le reflet des intérêts, des peurs, des égoïsmes des individus (Cf. par exemple la question de l’IVG).

Nécessaire, mais non suffisant : le vote est utile, mais ne peut fonder à lui seul l’autorité légitime.

– Fonder la responsabilité sur le copinage

copinage_tunis leadershipC’est une pratique plus courante qu’on ne le croit ! Les grenouilles se font reines les unes les autres… Au moment de recruter un collaborateur, c’est plus facile de faire appel à des gens qu’on connaît déjà par ailleurs, et avec qui le courant passe bien. C’est ainsi que les anciens élèves des grandes écoles se cooptent de promotion en promotion : on est sûr de rester dans un certain moule de pensée. C’est ainsi que Richard Ferrand a été nommé président du Conseil Constitutionnel, lui qui n’a aucune compétence juridique mais peut seulement se prévaloir du passeport de son amitié avec Emmanuel Macron. On pourrait également citer Alexandre Kohler, Emmanuelle Wargon, Christophe Castaner, Amélie de Montchalin, Jean Castex, Stéphane Séjourné, Florence Parly etc. La République des copains !

C’est encore une des raisons de la prospérité des clubs où l’on pratique l’entre-soi (Rotary, Lions club, loges maçonniques etc.).
C’est ce qui motive certains à être de serviles béni-oui-oui des puissants, dans l’espoir de bénéficier des prochaines promotions. À l’extrême, c’est le principe mafieux de la famille, de la Cosa Nostra, des amis débiteurs, de la corruption généralisée…

 

Or les nominations par copinage affaiblissent le pouvoir : par manque d’altérité, par oubli de la compétence, par le sentiment d’injustice qu’elles génèrent. Même les monarques absolus choyaient leur fou du roi, qui les aidait à penser contre eux-mêmes.

Jésus n’a pas choisi ses amis pour devenir les Douze. Il a pris douze inconnus, il en a fait ses amis parce qu’il les avait choisis, et non l’inverse.

 

Fonder la responsabilité sur le copinage est un confort relationnel qui trop souvent finit en catastrophe (et c’est vrai dans l’Église comme ailleurs…).

 

– Fonder la responsabilité sur la richesse

Elon Musk a déjà la plus grosse fortune du monde et pourrait mettre le cap sur les 1.000 milliards de dollarsOn y pense moins, mais c’est aux riches qu’on attribue fréquemment des charges prestigieuses, des titres impressionnants. Pensez à Elon Musk : voilà un jeune ingénieur surdoué qui cumule compétences technologiques et réussite entrepreneuriale, fortune immense et copinage avec Trump. Alors qu’il n’est pas élu, le voilà à la tête d’un quasi-ministère chapeautant des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux, avec un statut de quasi vice-Président aux USA et de quasi chef d’État à l’étranger !

‘On ne prête qu’aux riches’ : il semblerait qu’on leur prête également beaucoup de responsabilités, auxquelles les citoyens modestes ont du mal à accéder. Et ne parlez pas des milliards de Donald Trump, de Vladimir Poutine ou de MBS (Mohammed Ben Salmane, Arabie Saoudite) et autres richissimes chefs d’État… !

 

Jésus a expressément choisi les Douze parmi les gens ordinaires de son peuple. Il n’a jamais méprisé les riches, mais savait combien c’est difficile pour eux d’entrer dans le royaume des cieux (Mt 19,23). Dès lors, il a conditionné l’accès aux responsabilités dans son Église à l’abandon de toute cupidité, de toute soif d’accumulation. Pierre était le petit patron d’une PME familiale de pêche, mais il ne roulait pas sur l’or. Les papes qui après lui ont cédé à la fascination de la richesse – et il y en a eu, hélas ! – ont été considérés comme des renégats par l’opinion publique ecclésiale. À juste titre.

 

– Fonder la responsabilité sur la capacité d’influence

Devin AstérixChoisir des collaborateurs qui appuieront ma cause auprès des puissants, parce qu’ils sont bien introduits dans les sphères du pouvoir : la tentation du carnet d’adresses est une dérive toujours actuelle. Choisir un fils de famille pour avoir sa parenté dans la poche, un cadre du Parti pour décrocher la bénédiction de la nomenklatura, un membre de telle congrégation religieuse pour la canaliser : cela fait des siècles que l’on voit des chefs débarquer à un poste grâce à leur carnet d’adresses plus qu’à leurs compétences.

Elon Musk – encore lui – est un peu cet influenceur (réseau X, ex Twitter) incontournable que Donald Trump a intérêt à flatter en lui confiant des titres ronflants. Mieux vaut l’avoir comme allié – même encombrant – que comme ennemi, vu son incroyable impact social !

 

Ces calculs machiavéliques d’alliances et d’influences manipulatrices n’ont jamais été des critères pour le ministère dans l’Esprit de Jésus. Simon Pierre ne connaissait pas grand monde à Jérusalem, et encore moins à Rome ! Pourtant, c’est bien de lui dont on parle encore à Rome, plus que des empereurs habiles en stratégie relationnelle…

 

Fonder la responsabilité sur la capacité d’influence est un calcul païen dangereux : acquérir par ruse des alliés ne remplacera jamais les amis que Jésus s’est acquis par le lavement des pieds et le sang versé.

 

– Fonder la responsabilité sur ‘la nature des choses’

pyramide_des_castes-min Pierre

On l’a oublié, mais autrefois la naissance suffisait à fixer à chacun son poste de responsabilité. Être de sang royal suffisait à prétendre à la couronne. Appartenir à la noblesse suffisait à se voir confier des terres, du personnel domestique, des fonctions administratives. Être né paysan ne donnait comme horizon que de reprendre la ferme familiale, sans ambitionner d’autres responsabilités.

On considérait comme ‘naturel’ d’attribuer à chacun selon sa naissance, et non selon sa compétence, son mérite ou même ses richesses. Le système des castes en Inde continue à reproduire ce schéma social. Et en France, il est encore peu fréquent de voir des femmes, des personnes handicapées ou des figures issues de la diversité parmi les grands dirigeants et responsables… Ne parlons même pas de l’accès des femmes à un réel pouvoir de gestion et de décision dans l’Église ! Nous n’en sommes encore qu’à des balbutiements (même si cela progresse) !

 

Fonder la responsabilité sur ‘la nature des choses’ nous rend aveugles sur les dominations cachées, les fausses légitimations construites dans l’intérêt de quelques-uns.

 

Lier responsabilité et amour

3eme-dimanche-de-Paques-2022-1 responsabilitéArrêtons-là la liste des fondements païens de la responsabilité. Si certains sont nécessaires, ils ne sont jamais suffisants. Et Jésus les critique radicalement en mettant l’amour comme critère d’entrée : « M’aimes-tu ? » « Sois le pasteur de mes brebis ». Pas un amour vague et sentimental. Un amour de service (lavement des pieds des subordonnés) et de don de soi (Passion). Jésus voyait bien comment les hauts placés de son époque avaient obtenu leurs grades, leurs médailles, leurs titres et comment ils exerçaient leur pouvoir : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave » (Mt 20,25-27).

 

Fonder la responsabilité sur la compétence, le mérite, la richesse, le copinage, la capacité d’influence ou la nature des choses : parmi nous, il ne doit pas en être ainsi 

Dans l’Église, ces pratiques païennes du pouvoir devraient être dénoncées, combattues, et remplacées par un authentique amour fraternel. Dans la société (l’économie, la politique, l’associatif…), les chrétiens doivent révéler l’inhumanité des pratiques courantes de l’accès aux responsabilités, et témoigner que l’amour-service est le critère le plus pertinent, le plus réaliste, le plus efficace.

 

Avant de confier ou d’accepter une responsabilité, laissons résonner en nous cette question à poser à l’autre et à nous-même : « aimes-tu ? »

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint » (Ac 5, 27b-32.40b-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Psaume
(Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.Douze, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur, tu m’a relevé. ou : Alléluia.
 (Ps 29, 2a)

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.


Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.


Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !


Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !


Deuxième lecture
« Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse » (Ap 5, 11-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.

Évangile
« Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson » (Jn 21, 1-19)
Alléluia. Alléluia.
Le Christ est ressuscité, le Créateur de l’univers, le Sauveur des hommes. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,
12345...64