L'homélie du dimanche (prochain)

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12 septembre 2021

Agir sans comprendre, interroger sans contraindre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Agir sans comprendre, interroger sans contraindre

25° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
19/09/2021

Cf. également :

Dieu s’est fait infâme
La jalousie entre nature et culture
Jesus as a servant leader
« J’ai renoncé au comparatif »
C’est l’outrage et non pas la douleur
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Un roi pour les pires
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite

Agir sans comprendre ?

Agir sans comprendre, interroger sans contraindre dans Communauté spirituelle tumblr_inline_oyhphauI0m1r5pfnb_500Avec le confinement, un certain nombre de travailleurs se sont posés beaucoup de questions sur l’utilité sociale de leur emploi, de leur entreprise : si on s’en passe aussi facilement (chômage partiel, arrêt d’activité etc.), est-ce vraiment important de continuer ? Qu’est-ce que j’apporte au monde par mon travail ? Mon entreprise est-elle utile socialement, écologiquement, humainement ? Ces questions ont rejoint celles que les sociologues identifiaient déjà à travers la crise du sens au travail. Après le burn-out, on voit des bore-out consumer l’énergie des salariés dans des tâches insignifiantes, redondantes, inutiles en fait. On voit également la souffrance éthique au travail devenir un symptôme de notre temps : des jeunes générations écolos travaillent à contrecœur chez Amazon ou Mc Donalds, des humanistes sont requis pour mettre en place des systèmes déshumanisants, on veut faire avaler des couleuvres managériales à des seniors qui y voient clair… La perte de sens induit démotivation et souffrance. Chaque fois que les valeurs de l’entreprise font le grand écart avec les valeurs du salarié, la question du sens revient inéluctablement : cela vaut-il la peine de continuer un travail dont je ne vois pas le sens ? Peut-on agir sans comprendre ?

L’évangile de ce dimanche (Mc 9, 30-37) montre une de ces situations où l’équipe ne comprend pas ce que lui demande son leader : « les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger ».

Affronter le déshonneur, l’humiliation et l’échec de la croix comme annoncé par Jésus est incompréhensible pour les disciples. Cela ne cadre pas avec leur conception du Messie. Alors ils hésitent.

Bien d’autres situations de l’Évangile décrivent le chemin de confiance que les Douze doivent parcourir pour mettre leurs pas dans ceux de Jésus.

Ainsi au Temple de Jérusalem lors d’une colère devenue célèbre : « Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs (…) Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment » (Jn 2, 15 17). Ils n’ont pas compris tout de suite ce qui se passait. Ce n’est qu’après coup – après Pâques – que la signification de ce geste prophétique leur est apparue : purifier la religion de tout trafic, annoncer la gratuité de la résurrection. « Quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite » (Jn 2, 21‑22)

876818565 agir dans Communauté spirituelleLors de l’épisode de la pêche miraculeuse, les pêcheurs du lac ont du mal à faire ce que Jésus leur demande. En professionnels expérimentés, ils savent que c’est la nuit que la pêche est la plus fructueuse. Cela n’a aucun sens de recommencer au petit matin ce qui n’a porté aucun fruit toute la nuit. Et pourtant, « Simon lui répondit : ‘Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets’ » (Lc 5,5).

L’incompréhension va être maximum lorsque Jésus se met à laver les pieds de ses amis : ils ne s’étaient pas engagés pour faire le travail des domestiques, mais pour rétablir le royaume de Dieu en Israël contre les Romains ! Tout à coup, le sens de leur mission se brouille à leurs yeux, et tout flotte dans leur esprit. À tel point que Pierre se raidit et veut refuser cet abaissement humiliant pour un Messie : « non tu ne me laveras pas les pieds ». Alors Jésus lui demande paisiblement de lui faire confiance, d’accepter d’agir sans comprendre, en le croyant sur parole : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras » (Jn 13, 1 7). C’est là encore après coup – après Pâques – que Pierre comprendra le sens de la Cène partagée avec Jésus : faire de sa vie une offrande d’amour, en devenant serviteurs les uns des autres.

Agir sans comprendre : Jésus lui-même se débattra avec cette contradiction éprouvante, dans un débat intérieur qui le fera suer sang et eau à Gethsémani. Il ne comprend pas pourquoi il lui faut en passer par là. L’épouvante le saisit en réalisant le drame total qui s’approche : il va être rayé de la carte de l’espérance juive, rejeté par le pouvoir romain, abandonné par tous, même de son Père (car le supplice de la croix se double d’une malédiction divine : « maudit soit qui pend au gibet de la croix ! » Dt 21,23). Peut-il continuer à agir sans comprendre pourquoi ni où cela le mène ? La résolution ultime de ce conflit intérieur incandescent est à nouveau la confiance : « Allant un peu plus loin, il tomba face contre terre en priant, et il disait : ‘Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux’ » (Mt 26, 39).

Il y aura donc dans nos vies tôt ou tard de tels moments où nous ne pourrons pas continuer s’il n’y a pas quelqu’un – ou une parole – à qui faire confiance au-delà de l’incompréhension présente. Les plus vieux d’entre nous s’exerceront à repérer quand ils ont déjà accepté – ou au contraire refusé – d’agir sans comprendre, sur la seule confiance en quelqu’un ou en sa parole : ‘fais-moi confiance ; tu comprendras plus tard.’

resilience comprendreBien sûr, il ne faut pas abuser de cet appel à la foi-confiance. Bien des tyrans ont exigé qu’on leur obéisse aveuglément sans se poser de questions sur le but réel de leur action. Boris Cyrulnik, connu pour son concept de résilience qui permet de résister aux épreuves, écrit fort justement : « Il est nécessaire de penser un fracas pour lui donner du sens, autant qu’il est nécessaire de passer à l’acte en l’affrontant, en le fuyant ou en le métamorphosant. Il faut comprendre et agir pour enclencher un processus de résilience. Quand l’un des deux facteurs manque, la résilience ne se tricote pas et le trouble s’installe. Comprendre sans agir est propice à l’angoisse. Et agir sans comprendre fabrique des délinquants. » (Les Vilains Petits Canards)

Comment se relever de la mort d’un enfant par exemple si les parents n’arrivent pas à donner un sens à leur épreuve ? Comment combattre l’apartheid sans la vision d’une société réconciliée ? Comment survivre à la Shoah si elle reste absurde et injuste, sans conséquences morales ou politiques ?

Ce que nous demande le Christ n’est pas une obéissance aveugle, mais une confiance en actes. La plupart du temps, il vaut mieux comprendre pour agir, et ne pas quitter des yeux le sens ultime que nous désirons pour nos actions. Cependant, il y a des moments – décisifs – où la claire maîtrise du sens des choses nous échappe. Soit nous sommes paralysés par cet aveuglement temporaire, soit nous nous appuyons sur la confiance en un autre qui nous indique où aller. À condition de bien choisir cet autre, ce saut dans la confiance est salutaire. Il permet d’agir sans comprendre, ce qui normalement est impossible, sauf à être réduit un rouage mécanique d’un système impersonnel.

 

Interroger sans contraindre

Par quoi se traduit cette difficulté à agir sans comprendre pour les Douze ? Par leur silence envers Jésus, par leur peur de l’interroger : « les disciples ne comprenaient pas ces paroles, et ils avaient peur de l’interroger ». À l’inverse, Jésus aussitôt se met à les questionner : « de quoi discutiez-vous tout en marchant ? »

Les Questions Puissantes - ICF Synergie - YouTubeLe remède à la peur d’agir sans comprendre est donc dans notre capacité à poser de vraies questions, au lieu de se taire et de ruminer en silence notre incompréhension. Remarquez d’ailleurs la forme de la question adressée par Jésus aux Douze : « de quoi discutiez-vous tout en marchant ? » C’est ce qu’on appelle aujourd’hui une question ouverte. Pas une de ces questions fermées qu’affectionnent les journalistes induisant leur propre point de vue dans leur formulation. Par exemple : ‘ne pensez-vous pas que le pass sanitaire est une limitation injustifiable de nos libertés ?’ au lieu de demander : ‘que pensez-vous du pass sanitaire ?’, ce qui est une question ouverte. Ils mettent le focus sur leur propre opinion, et quelle que soit la réponse (d’ailleurs le plus souvent coupée par le journaliste avant la fin !), l’auditeur retiendra l’expression formulée dans la question plus que la réponse de l’interviewé.

Oser interroger, de manière ouverte, est la pédagogie de Jésus pour les amener à comprendre le pour-quoi de la Passion qui les révulse autant : accueillir le Royaume à la manière des petits enfants qui acceptent joyeusement l’amour qui leur est offert gratuitement, au lieu de le conquérir par la force en voulant y être le plus grand.

Lorsque nous ne comprenons plus pourquoi continuer à agir, notre salut est dans l’interrogation tenace, voire têtue. Job abreuvera son Dieu de questions sur l’injustice de son sort jusqu’à ce qu’il réponde. À force de questions, Jonas finira par apprendre pourquoi Dieu l’envoie à Ninive, ce dont il ne veut pas. Pour Jean, la dernière parole du Christ avant son cri final est une question abyssale : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

N’espérons pas comprendre finalement le sens de notre vie, de nos combats, de nos passions, si nous ne cultivons pas cet art du questionnement. Parce qu’ils n’osent plus interroger, les disciples se sont complètement trompés sur le sens du combat de Jésus. Ils en viennent à croire que c’est le pouvoir politique qui est en jeu, jusqu’à vouloir être ministres dans ce shadow-gouvernement qu’ils imaginent déjà, jusqu’à vouloir être ‘le plus grand’ parmi l’équipe.

En leur apprenant à questionner, Jésus les libère de cette tentation de se fabriquer eux-mêmes le sens de leur action. Poser de vraies questions, des questions puissantes, des questions ouvertes, permet de recevoir peu à peu les clés pour déchiffrer les enjeux et le sens de nos actes.

Agir sans comprendre est périlleux. À certains moments, nous ne pouvons nous y soustraire. Cela nous demande de pratiquer la confiance envers autrui, et de savoir interroger.
Quels sont les domaines où vous sentez actuellement appelés à agir sans tout comprendre ni tout maîtriser ?

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Condamnons-le à une mort infâme » (Sg 2, 12.17-20)

Lecture du livre de la Sagesse

Ceux qui méditent le mal se disent en eux-mêmes : « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie, il s’oppose à nos entreprises, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu, et nous accuse d’infidélités à notre éducation. Voyons si ses paroles sont vraies, regardons comment il en sortira. Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, et l’arrachera aux mains de ses adversaires. Soumettons-le à des outrages et à des tourments ; nous saurons ce que vaut sa douceur, nous éprouverons sa patience. Condamnons-le à une mort infâme, puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui. »

Psaume
(Ps 53 (54), 3-4, 5, 6.8)
R/ Le Seigneur est mon appui entre tous. (Ps 53, 6b)

Par ton nom, Dieu, sauve-moi,
par ta puissance rends-moi justice ;
Dieu, entends ma prière,
écoute les paroles de ma bouche.

Des étrangers se sont levés contre moi,
des puissants cherchent ma perte :
ils n’ont pas souci de Dieu.

Mais voici que Dieu vient à mon aide,
le Seigneur est mon appui entre tous.
De grand cœur, je t’offrirai le sacrifice,
je rendrai grâce à ton nom, car il est bon !

Deuxième lecture
« C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de paix » (Jc 3, 16 – 4, 3)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Bien-aimés, la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix. D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre. Vous n’obtenez rien parce que vous ne demandez pas ; vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs.

Évangile
« Le Fils de l’homme est livré…Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le serviteur de tous » (Mc 9, 30-37) Alléluia. Alléluia.
Par l’annonce de l’Évangile, Dieu nous appelle à partager la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »
Patrick BRAUD

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5 septembre 2021

Étanche à l’insulte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Étanche à l’insulte

24° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
12/09/2021

Cf. également :

Le vertige identitaire
Yardén : le descendeur
Prendre sa croix
Croire ou agir ? La foi ou les œuvres ?
Faire ou croire ?
Jésus évalué à 360°
De l’art du renoncement
C’est l’outrage et non pas la douleur
Prendre sa croix chaque jour
Talion or not talion ?
Jésus face à la violence mimétique
Exigeante et efficace : la non-violence
Non-violence : la voie royale

Étanche à l’insulte dans Communauté spirituelle l_insulte_afficheUn film très original a récemment été diffusé sur Arte. Il s’intitule : L’insulte (de Ziad Doueiri, 2017). Un chrétien libanais arrose par mégarde la tête d’un Palestinien du haut de son balcon. Une dispute éclate et une insulte est proférée. Les deux hommes finissent au tribunal. Peu importe qui a tort ou qui a raison. Ce film de prétoire démontre que la haine engendre la haine, jusqu’à ici atteindre l’absurde, il milite fiévreusement pour la réconciliation, entre les deux antagonistes, et de manière plus générale entre les peuples. Brillant, bouleversant.

Chacun de nous pourrait raconter comment l’insulte envenime des relations normalement paisibles, que ce soit au volant, en famille, entre collègues ou amis… L’étymologie du mot indique qu’il s’agit bien d’une violence délibérée, destinée à faire mal : in sultum = assaut contre quelqu’un. L’insulte a quelque chose d’un acte de guerre, d’un commando verbal, d’une expédition punitive violente. À tel point qu’elle est facilement qualifiée de délit si elle porte atteinte à l’intégrité voire à la dignité d’autrui. Les insultes racistes, homophobes, sexistes etc. sont désormais sévèrement punies par la loi française. Jésus avait lui-même durci la législation juive sur le sujet – si l’on peut dire – en assimilant l’insulte à un crime verbal passible du tribunal : « Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu » (Mt 5, 22).

Le pape François commentait en privé (14/06/2018) :

la-capitaine-haddock-est-celebre-pour-ses-jurons-tres-sophistiques-1475149553 insulte dans Communauté spirituelle« En substance, le Seigneur dit : l’insulte ne finit pas en elle-même ; l’insulte est une porte qui s’ouvre, c’est commencer une route qui finira en tuant, parce qu’insulter c’est commencer à tuer, c’est disqualifier l’autre, lui ôter le droit d’être respectable, c’est le rejeter, c’est le tuer dans la société. Nous sommes habitués à respirer l’air des insultes. Du reste, il suffit de conduire sa voiture aux heures de pointe (à Rome tout particulièrement ! NDLR). Mais l’insulte détache, brise la communauté et tue l’autre, elle commence par ternir la bonne réputation, puis elle va au-delà, au-delà, au-delà. Même les petites insultes que l’on prononce par hasard aux heures de pointe quand nous conduisons la voiture, deviennent, ensuite, de grosses insultes. Et ce ne sont pas que des insultes avec la bouche: mais avec le cœur. Précisément c’est ce qui tue : l’insulte. Et l’insulte efface le droit d’une autre personne. »

Dans la première lecture de ce dimanche (Is 50, 5-9a), affronter l’insulte est au cœur de la fidélité du Serviteur souffrant d’Isaïe à sa mission :

« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. »

Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre » : elle exprime la résolution et le courage. En français, on dit quelquefois « avoir le visage défait »; eh bien ici le Serviteur affirme : « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure, parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le Seigneur Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages ».

Qui est ce mystérieux serviteur ? Pourquoi réagit-il ainsi à l’outrage et aux crachats ?

L’identité de ce serviteur a fait l’objet d’innombrables commentaires. On peut les synthétiser en avançant que le portrait de ce personnage superpose au moins 4 figures historiques selon les chrétiens : Israël, le prophète Isaïe, Jésus, l’Église.

illustrations_1156_photo_2-1-300x225 IsaïeL’interprétation la plus courante voit dans ce Serviteur souffrant des chapitres d’Isaïe (42, 1-9, 49, 1-7, 50, 4-11 et 52,13-53,12) l’incarnation du peuple d’Israël en exil à Babylone (entre -587 et -537). Loin de ceux qui sont restés à Jérusalem, les déportés juifs (déjà !) subissent mépris et vexations. Ils sont employés comme esclaves aux chantiers de Nabuchodonosor à Babylone, dont la célèbre ziggourat a inspiré le récit de la tour de Babel (Gn 11, 1-9). Ils sont moqués pour leur foi en un soi-disant Dieu unique tout-puissant et universel, qui pourtant ne les a pas protégés de la débâcle, et paraît insignifiant à côté de Mardouk et autres divinités babyloniennes au sommet de leur gloire. Pourtant, malgré l’opposition, la déchéance, la dérision qui l’entoure, ce petit reste d’Israël continue à y croire. Impuissant à se révolter militairement, il fait le dos rond, attendant avec patience et espérance que YHWH se manifeste à nouveau. Il l’a bien fait en Égypte autrefois, alors pourquoi pas à Babylone maintenant ?

Nul doute que cette identification du Serviteur souffrant au peuple d’Israël a nourri la prière, l’espoir et la supplication des millions de juifs déportés dans les camps nazis au XX° siècle. Et le souhait de chaque fête de Pâques : « l’an prochain à Jérusalem ! » a fini par se réaliser quelques années après la fin du cauchemar nazi. Cela avait commencé par les insultes d’Hitler contre l’identité juive dans une brasserie munichoise, puis dans Mein Kampf. Et puis l’insulte a pris corps, le mépris s’est incarné, les crachats sont devenus physiques, les outrages abominables. Revenu sur la terre de Canaan, Israël doit à nouveau assumer sa vocation prophétique face aux nations. Cette fois-ci, avec son armée high-tech, il est farouchement déterminé à rendre coup pour coup, pour que la débâcle ne se reproduise jamais. Pas sûr que cet engrenage de l’insulte répondant à l’insulte, de la violence répliquant à l’agression, des missiles en représailles des mortiers soient très biblique ni très efficace. Seule la non-violence prônée par Isaïe pourra désamorcer le cycle infernal des assauts/vengeances endeuillant juifs et palestiniens sans fin.

Une 2e interprétation voit Isaïe lui-même dépeint sous les traits du Serviteur souffrant. En butte à l’hostilité que suscite la Parole qu’il répand – Parole de conversion et de réforme radicale – Isaïe ne se décourage pas, et compte sur son Dieu pour le défendre et laver son honneur. Tout baptisé, de par sa vocation prophétique, peut se reconnaître en Isaïe outragé, méprisé, lorsqu’il proclame une Parole tranchante contredisant l’opinion ou les mœurs majoritaires.

mockingofchrist1700 PassionCe qui prépare la voie à la 3e interprétation, où les chrétiens reconnaissent en Jésus tout ce qu’Isaïe décrivait des serviteurs de YHWH. « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice » (1P 2,23). Porteur d’une parole radicalement exigeante, Jésus sera non-violent jusqu’au bout. Fra Angelico a immortalisé les injures, la dérision, les soufflets, les crachats qui ont accompagnés la descente aux enfers de Jésus dans sa Passion. En aimant ses ennemis, en pardonnant à ses bourreaux, en se confiant à son Père jusqu’à l’ultime, Jésus incarne au plus haut point ce serviteur centré sur sa mission, jusqu’à se rendre étanche à l’insulte pour ne pas en dévier. « Il durcit son visage comme pierre » (Chouraqui traduit : « j’ai mis mes faces comme un silex ») pour montrer sa détermination à ne pas se laisser détourner de sa mission par l’hostilité ambiante. Luc reprendra ces termes pour montrer Jésus monter à Jérusalem avec courage, alors qu’il sait fort bien que cela va très mal se terminer : « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus durcit sa face et prit la route de Jérusalem » (Lc 9, 51)

Lisant le Serviteur souffrant en filigrane au travers du Christ, les chrétiens n’avaient aucune peine à exulter de joie avec Isaïe dans son chant final dans lequel il voit l’annonce de la résurrection : « Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler » (Is 52, 13-15).

800px-Jesus_graffito serviteurLa 4e interprétation découle de la première : l’Église, « véritable Israël de Dieu », est elle aussi soumise à l’opprobre, à l’insulte, à la persécution depuis son origine. Se propageant grâce au sang des martyrs, caricaturée très tôt sous les traits d’un crucifié à tête d’âne gravé dans la pierre (Charlie Hebdo n’a rien inventé !), insultée à cause de sa foi ou de ses (réelles) fautes nombreuses et lourdes dans l’histoire, l’Église baisse la tête mais pas le pavillon de l’espérance. Si elle sait traverser sans violence le flot des insultes charriées contre elle, elle pourra avec le Christ découvrir la fidélité de Dieu à son désir de salut universel. Paul écrivait : « On nous insulte, nous bénissons. On nous persécute, nous le supportons » (1 Co 4, 12).

Ce parcours des interprétations du Serviteur souffrant d’Isaïe ne serait pas complet si on n’y ajoutait pas la 5e interprétation : le Serviteur souffrant, c’est moi, c’est vous. Sans prétention aucune, sans orgueil ni démesure. Chacun de nous a rencontré ou rencontrera dans sa vie l’insulte, l’outrage, les crachats. Pire, chacun en sera l’auteur. Relire Isaïe peut alors nous aider à durcir notre visage comme la pierre pour affronter l’adversité le cœur en paix. L’Esprit du Christ saura nous rendre étanche à l’insulte, c’est-à-dire garder fermement la main sur la barre du gouvernail pour maintenir le cap malgré les déferlantes et les vents contraires. Il ne s’agit pas de devenir insensible de cœur, ni étranger au drame qui se joue. Il s’agit de ne pas laisser l’opprobre pénétrer en nous et fissurer le roc de notre confiance en Dieu. Être étanche à l’insulte, c’est ne pas prendre pour soi la colère de notre interlocuteur, ne pas lui répondre sur le même ton ni le même plan, bref « tendre l’autre joue », c’est-à-dire montrer à l’agresseur un autre visage que celui d’une victime ou d’un bourreau en retour : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23) Voilà pourquoi ne pas renchérir à l’insulte est plus efficace que de lever le poing : tourner la clé de contact avant que le moteur ne s’emballe évitera les surchauffes dangereuses.

effet-hydrophobeÊtre imperméable à l’insulte demande parfois de savoir mettre de la distance entre soi et l’agresseur, jusqu’à fuir s’il le faut plutôt que d’engager un cycle de violence inarrêtable. Cela demande aussi de garder les yeux fixés sur le cap à suivre, s’il est juste. Ainsi un syndicaliste annonçant une grève à son patron, ou à l’inverse un DRH annonçant des licenciements inéluctables et nécessaires. Ou bien une femme insultée et harcelée dans la rue pour sa tenue vestimentaire. Cet endurcissement du visage ne signifie pas renoncer à ses droits, ni à sa dignité. Jésus demande calmement à ses insulteurs d’en rendre compte ; il demande de recourir au tribunal pour juger de la gravité d’une insulte. Et Isaïe n’a pas peur de comparaître devant des juges pour faire valoir son bon droit face à ses insulteurs : « Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ? » On croirait déjà entendre Paul crier sa confiance face à ses juges : « Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? » (Rm 8, 33 34)

A côté des réponses bibliques à l’insulte, les causes de l’insulte méritent également d’être analysées : pourquoi insulte-t-on ?
Une première cause évidente : la haine, la violence de celui qui insulte.
Une deuxième cause moins visible : l’absence ou la faiblesse d’argumentations remplacées par des injures, des amalgames ou des invectives de mépris. La violence verbale remplace le raisonnement.
Une troisième cause plus subtile est l’exploitation de l’émotivité pour faire exploser l’interlocuteur qui répond par des insultes tandis que l’agresseur réel reste calme (technique rhétorique).
Enfin une dernière cause de l’insulte est le cynisme de celui qui promet et ne tient pas et se fait traiter de menteur. Mais à ce niveau-là est- ce encore une insulte ?
Attirer volontairement les insultes peut être aussi une façon de se « blanchir » ou d’apparaître comme une victime pour se dédouaner d’une conduite indigne.

Notre propre responsabilité dans l’insulte subie est donc à examiner avec honnêteté.
Ne pas répondre à l’insulte par l’insulte demande de comprendre pourquoi l’autre réagit ainsi, afin d’y ajuster notre attitude.

Reste que pour Isaïe comme pour Jésus, rendre coup pour coup n’arrange rien.
Rendre coup pour coup n’arrange rien.
Mais la non-violence n’abolit pas le droit ni la justice, au contraire.
L’étanchéité à l’insulte rend intraitable sur le respect dû à chacun.
Répondre à l’insulte n’est pas insulter en retour, mais faire condamner cet acte dégradant pour celui qui prononce l’insulte plus encore que pour sa victime, si elle sait se protéger.

Entraînons-nous à pratiquer cette forme de courage.
Durcissons notre visage comme pierre lorsqu’il nous faut aller au bout de nos Passions…

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient » (Is 50, 5-9a)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. Il est proche, Celui qui me justifie. Quelqu’un veut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble ! Quelqu’un veut-il m’attaquer en justice ? Qu’il s’avance vers moi ! Voilà le Seigneur mon Dieu, il prend ma défense ; qui donc me condamnera ?

Psaume
(Ps 114 (116 A), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. ou : Alléluia ! (Ps 114, 9)

J’aime le Seigneur :
il entend le cri de ma prière ;
il incline vers moi son oreille :
toute ma vie, je l’invoquerai.

J’étais pris dans les filets de la mort,
retenu dans les liens de l’abîme,
j’éprouvais la tristesse et l’angoisse ;
j’ai invoqué le nom du Seigneur :
« Seigneur, je t’en prie, délivre-moi ! »

Le Seigneur est justice et pitié,
notre Dieu est tendresse.
Le Seigneur défend les petits :
j’étais faible, il m’a sauvé.

Il a sauvé mon âme de la mort,
gardé mes yeux des larmes
et mes pieds du faux pas.
Je marcherai en présence du Seigneur
sur la terre des vivants.

Deuxième lecture
« La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte » (Jc 2, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. »

Évangile
« Tu es le Christ… Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Mc 8, 27-35) Alléluia. Alléluia.
Que la croix du Seigneur soit ma seule fierté ! Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Alléluia. (Ga 6,14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus s’en alla, ainsi que ses disciples, vers les villages situés aux environs de Césarée-de-Philippe. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? » Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. » Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. » Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. »
Patrick BRAUD

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16 mai 2021

Pentecôte : un universel si particulier !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pentecôte : un universel si particulier !

Homélie pour la fête de Pentecôte / Année B
23/05/2021

Cf. également :

Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Le lien de notre unité

Le 3 octobre 2018, Gérard Collomb, socialiste, ministre de l’Intérieur démissionnaire, avait énoncé lors de sa passation de pouvoir ce constat inquiétant : « Aujourd’hui, on vit côte à côte. Moi, je le dis toujours : je crains que demain on vive face à face ». Qu’un homme politique de gauche s’alarme des tensions opposant les Français entre eux résonne comme une alerte. Depuis, la succession de crimes terroristes, de troubles en banlieues, de  radicalisations de tous bords mettent cette question de l’unité du pays sous le feu des projecteurs. Des journalistes et sociologues observent cette évolution attentivement. Souvenez-vous de Christophe Guilluy (La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014), montrant que les territoires perdus de la République se constituent en périphéries de plus en plus coupées des centres. David Goodhart prenait le relais en montrant dans son livre : The road to somewhere. The populist revolt and the future of politics, Hurst Publishers, 2017 qu’il voyait poindre une fracture entre les gagnants de la mondialisation, prêts à vivre et travailler n’importe où en changeant plusieurs fois de pays (les anywhere), et les perdants de la mondialisation, enracinée dans leurs territoires, attachés à leur identité locale, voyant leur niveau de vie décliner (les somewhere). Jérôme Fourquet (L’Archipel français, 2019) dressait quant à lui un tableau clinique très froid de « l’archipélisation de la France », ce que Gérard Collomb appelait le côte-à-côte, craignant qu’il ne devienne un face-à-face générateur de violence.

Pentecôte : un universel si particulier ! dans Communauté spirituelle archipel-fran%C3%A7ais-j%C3%A9r%C3%B4me-fourquet-1Puis la loi sur les séparatismes a montré le vif débat et les divergences d’analyse sur ce phénomène social. L’extrême-gauche rappelle que le premier apartheid social est celui imposé par les riches. Ils se regroupent pour vivre entre eux, le plus souvent à l’ouest des  métropoles, dans les mêmes écoles, clubs de sport, résidences etc. Faisant monter le prix du mètre carré, ils rejettent ainsi les autres au nord ou à l’est, et dans les banlieues lointaines. L’extrême droite dénonce le séparatisme religieux – musulman le plus souvent – qui fait se regrouper des familles dans un quartier bientôt dominé par les barbus. Tous dénoncent l’emprise des caïds de la drogue sur ces quartiers, mais préconisent des remèdes fort différents pour en sortir (aide sociale vs ordre républicain).

La mosaïque France semble prise d’un vertige d’éparpillement implacable…

Qu’y a-t-il de commun en effet entre une famille aisée du centre de Paris qui a fui le confinement pour aller passer le mois d’avril les pieds dans l’eau du Golfe du Morbihan dans une belle résidence secondaire avec un grand jardin, et une famille d’immigrés musulmans pratiquant le ramadan, coincée dans une étroite maison 1930 en briques rouges des anciennes courées du Nord ? Elles ne se connaissent pas, ne se rencontrent pas, ne se parlent pas, leurs enfants ne jouent pas ensemble, ne vont pas dans les mêmes écoles, clubs ou associations etc. L’une parlera de littérature, cinéma, culture et éduquera au débat ;  l’autre parlera dans une autre langue des prochaines vacances au bled (Maghreb) ou au village (Afrique noire).

 

Les peuples de Pentecôte cités dans les Actes

Que devient le fameux vivre ensemble dans tout cela ?
Qu’est-ce qui unit encore des groupes de populations aussi disparates, voire opposées ?
Sommes-nous loin de la fête de Pentecôte de ce dimanche ? Pas tant que cela. Nous le savons : l’enjeu de Pentecôte est l’unité de tous les peuples en un seul corps.
Jean-Paul est un témoin représentatif de cette exégèse :

Le récit de l’événement de la Pentecôte souligne que l’Église naît universelle : tel est le sens de la liste des peuples – Parthes, Mèdes, Élamites… – qui écoutent la première annonce faite par Pierre. L’Esprit Saint est donné à tous les hommes, quelle que soit leur race ou leur nation, et il accomplit en eux la nouvelle unité du Corps mystique du Christ. Saint Jean Chrysostome souligne la communion réalisée par l’Esprit Saint à travers cette observation concrète : « Qui vit à Rome sait que les habitants des Indes sont ses membres » (Audience générale du 17/06/1998).

Salzburg_Sankt_Peter_Antiphonar_-_Pfingsten Esprit dans Communauté spirituellePour être fidèle au texte de notre première lecture, il faut souligner que c’est d’abord de la maison d’Israël dont il s’agit ici. Pierre précise bien dans son discours qu’il s’adresse aux « hommes d’Israël » : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem… », « Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici… », « Que toute la maison d’Israël le sache… ». Et Luc précise que ce sont les juifs pieux et prosélytes du monde entier qui sont réunis à Jérusalem pour la fête juive de Chavouot (Pentecôte). Les non-juifs ne sont pas encore concernés. Il faudra une autre Pentecôte, une autre intervention décisive de l’Esprit, pour ouvrir le baptême à des païens comme le centurion romain Corneille et sa maisonnée (Ac 10). Pour l’instant, il n’est question que de la communauté juive dispersée (diaspora) dans tous les pays du monde, comme le clame Pierre : « que toute la maison d’Israël le sache… ».

Cette liste des peuples d’Ac 2, 8-11 est toujours étrange à nos oreilles. Ces anciens territoires, au nom parfois imprononçable ou mal prononcé au micro de l’ambon, n’évoquent plus grand-chose aujourd’hui. Et l’on peut se demander avec raison : pourquoi saint Luc s’est-il senti obligé d’en dresser la liste ?

Elle ressemble à la Table des nations de Gn 10, déjà mentionnée à propos de l’envoi en mission des 72 disciples (Lc 10), qui dresse la liste des descendants de Noé et de leurs territoires. Ou encore à la liste des nations d’Is 11, 10-12 : « Ce jour-là, la racine de Jessé, père de David, sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure. Ce jour-là, une fois encore, le Seigneur étendra la main pour reprendre le reste de son peuple, ce reste qui reviendra d’Assour et d’Égypte, de Patros, d’Éthiopie et d’Élam, de Shinéar, de Hamath et des îles de la mer. Il lèvera un étendard pour les nations ; il rassemblera les exilés d’Israël ; il réunira les dispersés de Juda des quatre coins de la terre ».

Le plus important est de relever ce que le parcours de notre première lecture suggère au lecteur : en trois vagues successives (quatre peuples, puis quatre provinces romaines, puis quatre régions), Luc dresse l’image du monde vu de Jérusalem. Les trois cycles en effet suivent chacun un mouvement circulaire autour de la Ville sainte. C’est donc une image du monde qu’a voulu dresser Luc, mais en précisant que la foule est composée de juifs et de prosélytes, il restreint ce microcosme au judaïsme de la diaspora. En d’autres termes, l’universalité de la Pentecôte n’est encore qu’interne au judaïsme.

Pourquoi cette restriction au judaïsme dans l’empire romain ? Luc est historien et théologien. Comme historien, il sait que l’extension universelle de la mission chrétienne ne fut pas immédiate, mais a résulté d’un processus évolutif. Comme théologien, il maintient qu’Israël est le premier destinataire de la venue du Messie.

 

Un universalisme progressif

L’universalisme de Pentecôte est donc graduel, progressif. D’abord Jérusalem, puis la diaspora juive de tous les pays, puis les païens. On le voit : il ne s’agit pas de renoncer au particularisme juif pour s’ouvrir à l’universel. Il s’agit de l’assumer en Christ, en gardant le cœur du judaïsme sans encombrer les païens avec l’accidentel du judaïsme. Le cœur, c’est l’élection par Dieu comme responsabilité envers tous, les Écritures comme trésor de révélation sur l’homme, le Dieu Un, l’importance de l’éthique comme amour concret, la relecture de l’histoire collective et individuelle etc. L’accidentel, c’est la circoncision, les interdits alimentaires (la cacherout), les vêtements (barbe, papillotes, téphillim), la lettre de la Torah et ses 613 obligations etc. Non pas que cet accidentel soit sans valeur, loin de là. Et après tout, des milliers de chrétiens juifs l’ont conservé pendant des siècles ! Mais il n’a pas à être imposé aux non-juifs souhaitant devenir chrétiens.

Luc tient à faire savoir que, dès le commencement, l’universalité était préfigurée. C’est pourquoi, si l’explosion spirituelle de la Pentecôte est destinée au judaïsme exclusivement, le discours interprétatif de Pierre, qui suit l’événement, fait résonner déjà des échos universels : « Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Ac 2, 39). Et plus loin : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).

Or, ces accents massivement universalistes évoquent immanquablement l’espérance prophétique de la restauration eschatologique d’Israël, avec le rassemblement attendu des exilés de toutes nations sur le mont Sion annoncé par Isaïe. L’évènement de Pentecôte sonne ainsi l’essor mondial de la Parole tout en réalisant l’antique promesse du pèlerinage eschatologique des exilés de la Diaspora à la Ville sainte.

descarga Esprit SaintRépétons-le : il a fallu des Pentecôtes successives nombreuses pour que peu à peu l’Église naissante comprenne ce travail de discernement et le mette en œuvre. Les Samaritains reçoivent l’Esprit avant le baptême, montrant ainsi que les schismatiques peuvent être intégrés à la construction commune (Ac 8). Puis c’est le centurion Corneille qui reçoit l’Esprit avec sa famille, avant le baptême lui aussi, montrant que les païens sont associés au même héritage que les juifs (Ac 10). Ce qui au passage rend toute nourriture pure à manger, et pour Pierre c’est une vraie révolution, inconcevable sans le passage en force de l’Esprit de cette mini-Pentecôte dans la ville de Joppé (notons au passage que c’est Pierre – et non Paul – qui initie le passage aux païens, sous l’impulsion de l’Esprit Saint) ! Imaginez aujourd’hui des musulmans renoncer à l’interdit halal pour s’ouvrir à d’autres cultures que celle de leur origine… Puis c’est l’assemblée de Jérusalem (le premier concile ! Ac 15) qui expérimenta une autre Pentecôte, puisqu’elle décide sous l’inspiration de l’Esprit de ne pas imposer la circoncision et autre obligations juives aux païens qui demandent le baptême : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que… ».

Passer du particulier à l’universel demande donc un énorme travail de discernement et beaucoup de Pentecôtes successives !

Le judaïsme chrétien des débuts de l’Église a été capable de ce travail de discernement pour garder l’essentiel du particularisme juif tout en l’ouvrant d’abord aux autres cultures juives de par le monde, puis aux païens. N’en doutons pas : ce travail est toujours devant nous, notamment pour l’Église latine qui doit s’ouvrir à d’autres cultures que l’Occident.

Articuler le singulier (Pierre, chacun des 120 disciples), le particulier (l’identité juive) et l’universel (l’ouverture aux païens) a été l’alchimie réussie de Pentecôte. À nous de poursuivre aujourd’hui cette alchimie ecclésiale…

 

De Rome à Jérusalem

La liste des peuples énumérés par Luc dans le récit des Actes est à ce titre très instructive. Quand on suit sur la carte les noms alignés par Luc, on voit qu’il balaie le monde connu de l’époque, d’est en ouest, avec la Judée et Jérusalem au milieu, presque comme centre de gravité de l’ensemble. Vision très contestatrice de l’ordre impérial romain qui soumettait alors tous les royaumes, tous les peuples.

carte-ac-2-pentecote particulier

Mentionner Rome à la fin de cette liste, en codicille, est un pied-de-nez à l’orgueil des maîtres du monde de l’époque. C’est l’affirmation de Jérusalem comme vrai centre du monde : la Torah au-dessus de l’Empire, le particularisme juif plus vrai que l’impérialisme romain. L’accent est polémique : tandis que Rome vantait son rôle ambitieux de maîtresse du monde habité, et se servait à cette fin de listes des peuples soumis, Luc revendique par cette « liste des peuples » la seigneurie de Jésus et de l’Église sur l’humanité, en contestant celle de Rome.

Aujourd’hui encore, l’universel chrétien conteste les grands centres de pouvoirs qui dominent le monde (Wall Street, Pékin) pour réhabiliter le droit des peuples à cultiver leur identité propre au sein d’une unité organique très différente de celle des marchés américains ou de l’idéologie chinoise. Ironie de l’histoire, après la chute de Rome aux mains des barbares, l’Église latine a cependant réintroduit en son sein le centralisme romain qu’elle contestait à ses débuts…

L’Église de Pentecôte unit « toute la maison d’Israël » en parlant toutes les langues de la terre. Mais elle réalise cette union dans une communion vivante qui relie en permanence ces communautés : parler la langue de l’autre, se visiter, s’entraîner, échanger, former un seul corps dans le respect de la diversité de ses membres, et d’abord des plus fragiles.

 

L’Esprit, lien de l’unité

AggloSeineEure_Fourapain-Cover_StGermaindePasquier_Octobre-2020 PentecôtePour terminer, lisons à nouveau la belle image de saint Augustin voyant dans le feu de l’Esprit de Pentecôte le lien de l’unité entre tous les grains de blé formant un même pain, le Corps du Christ parlant toutes les langues de la terre :

« Pourquoi sous l’apparence du pain ? Ne disons rien de nous-mêmes; écoutons encore l’Apôtre, voici comment il s’exprimait en parlant de ce sacrement: « Quoiqu’en grand, nombre, nous sommes un seul pain, un seul corps (1 Co 10,17) ». Comprenez et soyez heureux. O unité ! ô vérité ! ô piété ! ô charité ! « Un seul pain ». Quel est ce pain ? « Un seul corps ». Rappelez-vous qu’un même pain ne se forme pas d’un seul grain, mais de plusieurs. Au moment des exorcismes, vous étiez en quelque sorte sous la meule ; au moment du baptême, vous deveniez comme une pâte ; et on vous a fait cuire en quelque sorte quand vous avez reçu le feu de l’Esprit-Saint. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce qu’enseigne l’Apôtre sur ce pain sacré ».
Augustin  (+ 430), Sermon 269

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

 

PSAUME
(103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
ou : Alléluia ! (cf. 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes oeuvres, Seigneur !
La terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.
 

DEUXIÈME LECTURE
« Le fruit de l’Esprit » (Ga 5,16-25)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates

Frères, je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair. Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi. On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui commettent de telles actions ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu. Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit.

SÉQUENCE ()

Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort.
Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous les fidèles.
Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.
À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.
Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière » (Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15)
Alléluia. Alléluia.Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Patrick Braud

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13 mai 2021

Remplacer Judas aujourd’hui

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Remplacer Judas aujourd’hui

 Homélie du 7° Dimanche de Pâques / Année B
16/05/2021

Cf. également :

Quand Dieu appelle
Les saints de la porte d’à côté
Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
Dieu est un trou noir
Poupées russes et ruban de Möbius…

Un prénom maudit

Remplacer Judas aujourd’hui dans Communauté spirituelle Le-pre%CC%81nom-afficheAvez-vous vu la pièce de théâtre : « Le prénom » (ou le film qui en a été tiré, avec Patrick Bruel) ? Un couple s’y amuse à faire croire à ses amis qu’ils ont choisi Adolphe comme prénom pour leur futur enfant dont elle est enceinte. Ce prénom était très répandu au début du XX° siècle en Europe (j’avais un grand-père et un oncle qui s’appelaient Adolphe) ; il est finalement honni depuis la chute d’Hitler. Donner un tel prénom aujourd’hui relèverait de l’antisémitisme, ou de l’ignorance de l’histoire !

Il en est de même avec le prénom Judas, depuis 2000 ans. Prénom biblique dont les dérivés existent encore (Jude, Judee, Judith…), il n’est plus donné en France depuis des lustres. La langue française a même intégré plusieurs expressions très négatives d’origine biblique avec ce prénom : ‘traiter quelqu’un de Judas’, c’est le désigner comme un traître ; regarder par le judas d’une porte, c’est espionner en douce celui qui vient frapper ; ‘donner le baiser de Judas’, c’est l’hypocrisie même de l’assassin déguisé en ami. L’humour de Verlaine avait bien croqué le contraste entre Judas et les autres apôtres : « Il ne faut jamais juger les gens sur leurs fréquentations. Tenez, Judas, par exemple, il avait des amis irréprochables »…

Pourtant en hébreu Judas (YeHouDa) est proche de Jésus (YeHoshua) avec le Nom de YHWH en eux : le second signifie Dieu sauve, et le premier Dieu sera loué.
Difficile pourtant de louer Dieu quand on lit la triste fin de Judas…

 

L’étrange mort de Judas

passth5 apôtre dans Communauté spirituelleLa liturgie a pudiquement écarté les versets 18 et 19 de notre première lecture (Ac 1, 15-17.20a.20c-26), alors qu’ils sont importants pour comprendre ce qui se passe entre Pâques et Pentecôte : « avec le salaire de l’injustice, Judas acheta un domaine ; il tomba la tête la première, son ventre éclata, et toutes ses entrailles se répandirent. Tous les habitants de Jérusalem en furent informés, si bien que ce domaine fut appelé dans leur propre dialecte Hakeldama, c’est-à-dire Domaine-du-Sang. Car il est écrit au livre des Psaumes : ‘Que son domaine devienne un désert, et que personne n’y habite’, et encore : ‘Qu’un autre prenne sa charge’ » (Ac 1, 18 20).

Il y a là une opposition fort symbolique dans les termes entre Judas qui se vide de ses entrailles et les Douze qui sont remplis de l’Esprit Saint. L’enjeu de cette séquence tourne autour de la plénitude : plénitude de vie vs mort horrible, plénitude d’Esprit vs Satan à l’œuvre, plénitude de l’humanité (Pentecôte pour tous les peuples réunis à Jérusalem) vs vide et néant de Judas, être rempli de l’Esprit vs se vider de ses entrailles.

mort-de-judas divorceCette mention de la mort par éventration de Judas dans les Actes pose problème, car elle est fort différente et même irréductible à l’autre version, celle qu’en donne Matthieu et qui est passée à la postérité aux dépens de celle des Actes : « Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre » (Mt 27, 5).

Alors : Judas est-il mort par pendaison ou par éventration ? Suicide ou accident ? Désespoir ou maladie ? Depuis 2000 ans, des dizaines de théories plus ou moins farfelues ont été échafaudées pour opposer les deux versions au contraire les réconcilier. Certains supposent que Judas aurait raté son suicide (!) et n’a fait que « s’étrangler » (selon le verbe grec de Mt 27,5), car la corde aurait cassé… Ce qui laisse ensuite la possibilité d’un accident où il tomberait sur une pierre pointue qui lui déchirerait l’estomac (!). D’autres pensent qu’on tombant de son arbre de pendu, Judas serait tombé sur un tel rocher tout de suite. D’autres soutiennent que c’est Matthieu qui a raison et que les Actes brodent sur l’accomplissement des Écritures ; et d’autres l’inverse. Bizarrement, Paul ne fait jamais mention de Judas, dont il semble même ignorer l’existence ; il ne le nomme nulle part dans ses lettres alors qu’il a passé plusieurs années à Jérusalem auprès de Pierre et Jacques pour se former aux événements du Jésus historique. Paul dit seulement que Jésus a été livré, sans autre précision. S’il avait entendu parler de Judas, nul doute qu’il l’aurait évoqué.

Impossible de trancher ! Les interprétations qui veulent absolument faire concorder Matthieu et les Actes semblent quand même invraisemblables. La version des Actes est avant tout soucieuse de montrer que le sort de Judas accomplit les Écritures, en l’occurrence les psaumes 69, 26 : « que leur camp devienne un désert, que nul n’habite sous leurs tentes ! » et 109,8 : « que les jours de sa vie soient écourtés, qu’un autre prenne sa charge ». Peut-être y a-t-il également une allusion à la mort du mauvais roi Achab et de sa méchante reine Jézabel, défenestrée et dévorée par les chiens (2R 9,33), dont le prénom a une réputation semblable à celle de Judas ?

En tout cas, c’est d’abord une construction théologique, qui a un seul point commun avec celle de Matthieu : la mention du « champ du sang » (Hakeldama on hébreu). Matthieu essaie de le raccrocher au « champ du potier » d’une prophétie de Jérémie grâce aux 30 pièces d’argent (construction théologique là encore, citant librement Za 11, 12–13 combiné avec des éléments de Jr 18, 2–3 ; 19, 1–2 ; 32, 6–15) : « Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec cette somme le champ-du-potier pour y enterrer les étrangers. Voilà pourquoi ce champ est appelé jusqu’à ce jour le Champ-du-Sang (Hakeldama). Alors fut accomplie la parole prononcée par le prophète Jérémie : Ils ramassèrent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël » (Mt 27, 7 9).

 

Finalement, pourquoi Judas est-il mort ?

3054070093_2_9_efQ9L3sI JudasRésumons les différentes interprétations qui hantent toujours notre imaginaire :

- admirateur et jaloux de Jésus à la fois, Judas désespère et se suicide après la fin lamentable de son héros. La peur chrétienne du suicide au cours des âges est hantée par la figure de Judas la corde au cou.
- possédé par Satan, Judas pousse au bout de la logique d’auto-anéantissement qui caractérise les forces du mal. Voilà un message puissant adressé à tous ceux qui seraient tentés de se laisser fasciner par le mal.
- sa mort est le châtiment de sa trahison, avertissement à tous les traîtres en puissance.
- il a livré Jésus pour de l’argent, dont le pouvoir maléfique est ainsi manifesté ; sa mort horrible est le vrai salaire de son forfait. La répulsion catholique envers l’argent se nourrira des trente deniers de Judas.
- il a été victime de son calcul politique, où il croyait pouvoir allier Jésus avec les pouvoirs juifs dans une grande coalition révolutionnaire contre les Romains. En refusant la violence, Jésus a fait échouer sa stratégie qui s’est retournée contre Judas. La non-violence chrétienne dénoncera dans les révolutionnaires ultérieurs des Judas en puissance.

Hélas, l’antisémitisme chrétien a très vite rapproché le prénom Judas du nom de la tribu de Juda, de qui vient le terme juif. Judas le traître permettait d’assimiler tous les juifs à des Antéchrists, perfides et peu fiables. Il aura fallu un immense travail historique, patristique et exégétique préparant Vatican II pour enfin démentir officiellement cette confusion meurtrière.

 

Pourquoi remplacer Judas ?

Reste que Judas est bien mort, que ce soit par pendaison ou par éventration. Pourquoi chercher à le remplacer ? Pourquoi ne pas passer à un collège de onze apôtres seulement ? Pourquoi ne pas laisser sa place vide ?

holyapostles_icon MathiasLa réponse est bien connue. Elle est dans la force symbolique et théologique du nombre 12. Être 12, faire 12, c’est accomplir les promesses faites aux 12 tribus d’Israël, c’est devenir le nouvel « Israël de Dieu » (Ga 6,16), ouvert à toutes les nations. Voilà pourquoi Jésus prend soin de « faire 12 » ceux qu’il appelle à le suivre de près : « il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3, 14). C’est annoncer, figurer et anticiper l’entrée dans la Jérusalem céleste par les 12 portes ornées de pierres précieuses de l’Apocalypse, qui donnent accès à la ville. Impossible d’incarner l’espérance en ce monde nouveau à 11 seulement ! Il faut être 12, et le collège des apôtres – unique dans l’histoire – sera à nouveau complet (question de plénitude l’encore).

 

Remplacer Judas aujourd’hui

Tentons d’actualiser cette problématique pour nous au XXI° siècle.

- Le lien d’amitié rompu entre Jésus et Judas nous parle de nos propres amitiés déçues. En vieillissant, qui n’a pas vu un ou une amie très proche s’éloigner sans bruit, avec une indifférence surprenante et blessante ?! Qui n’a pas constaté que des amis d’hier déversent calomnies et mépris sur vous, suite à des échecs peu glorieux (accusations, faillite, divorce, maladie…) ? Même si la faute est souvent partagée, l’amère expérience d’une amitié rompue fait partie du lot habituel de l’existence.

Remplacer Judas, c’est alors ne pas confondre cet ami avec l’amitié, ne pas tirer un trait sur la nécessité de se confier, mais au contraire réinvestir dans une autre relation amicale plus mature parce que plus consciente des pièges qui ont pu ruiner la première : idéalisation, projection–transfert, intérêt, soumission etc.

QPPPMPP2VZRITGQ6LO67RJXATU suicide- Mais c’est évidemment dans le couple que remplacer Judas est le plus d’actualité en Europe ! Plus d’un couple sur deux se sépare, que ce soit par rupture de PACS, divorce, ou simplement départ de l’un des deux. Si l’on est réaliste, cela suppose bien davantage d’infidélités encore ! Il y a même des réseaux sociaux comme Tinder qui sont fiers d’organiser l’adultère à grande échelle : comme quoi l’infidélité conjugale est un énorme marché, rentable… Avant de partir du couple, il y a l’adultère, les adultères. Vivre 70 ans de vie commune sans tromper l’autre est sans doute l’apanage de la reine Elizabeth II et de son feu mari Philippe, mais sera statistiquement peu probable pour les jeunes générations actuelles.

Eh bien, quitte à être légèrement iconoclaste, pourquoi ne pas entendre l’appel des Actes des apôtres à remplacer Judas lorsque la trahison a fait mourir l’amour ? Les orthodoxes pratiquent ce discernement plein de miséricorde pour célébrer un second mariage sacramentel après divorce. Existentiellement, refaire sa vie comme on dit maladroitement, n’est-ce pas remplacer Judas, c’est-à-dire affirmer que nous sommes faits pour aimer, qu’il n’est pas bon que l’être humain soit seul (Gn 2,18), qu’il faut que la charge (ici la charge conjugale) du partant soit confiée à un autre (comme le dit Pierre dans les Actes) ?

- Même en entreprise, il y a des Judas qui compromettent notre aventure commune. Lorsque quelqu’un part à la concurrence pour de l’argent, lorsqu’il abandonne le navire sans prévenir ni préparer son départ, lorsqu’il sape de l’intérieur le travail d’une équipe mobilisée autour d’un projet, un collaborateur se révèle Judas en trahissant ainsi son équipe. Remplacer Judas relève ici de l’urgence (d’où le recours à l’intérim souvent) pour sauver ceux qui restent.

On pourrait continuer, en transposant le personnage de Judas dans une famille, dans une Église, dans une association etc.

 

Sur quels critères remplacer Judas aujourd’hui ?

– Notre première lecture montre que le choix du remplaçant est très rigoureux. Pierre fixe deux critères pour être apôtre à la place du douzième homme : avoir suivi Jésus de près depuis le début de sa vie publique, avoir été témoin de sa résurrection. Le premier critère exclut par exemple Paul d’emblée (ce qui contredit la tendance iconographique ultérieure à le mettre dans le collège des Douze).

Si nous voulons remplacer notre Judas manquant, en amitié, en couple, en entreprise, il nous faudra donc définir auparavant des critères objectifs, clairs et précis. Le danger serait de se précipiter à nouveau pour combler un vide, sans réfléchir, ou bien de se fier à nouveau au seul sentiment, à la première impression, en oubliant quels tours cela nous a déjà joué. Il n’est pas rare de voir des gens bégayer leur erreur plusieurs fois de suite, en divorçant 2, 3, 4 fois… Ils trompent parce qu’ils se sont trompés eux-mêmes !

– Ensuite, l’assemblée propose deux candidats qui correspondent à ces critères. C’est donc de notre responsabilité de ne pas rester purement passif, attendant qu’un nouvel ami/amant/collaborateur tombe du ciel. Nous avons à chercher un remplaçant à Judas, ce qui demande d’ouvrir à nouveau son cœur, son esprit, son désir d’intimité, de collaboration, sans laisser la blessure nous replier sur nous-mêmes. Pour choisir quelqu’un, il vaut mieux commencer par secrètement le vouloir en soi-même, se rendre disponible.

– Enfin, l’assemblée tire au sort entre les deux désignés-candidats. Antique coutume pour ne pas décider tout seul, et laisser au hasard / Dieu la possibilité d’intervenir [1].

Aujourd’hui, tirer au sort serait plutôt demander l’avis d’autrui, prendre le temps de consulter, de se faire accompagner, bref de ne pas faire reposer le choix du remplaçant sur une démarche trop individuelle ; ne pas décider tout seul, laisser à Dieu (au hasard) sa part de liberté, sa marge de manœuvre.

– Bonus ultime : celui qui choisit est rarement celui qu’on attendrait !
En effet, le premier candidat a toutes les qualités et davantage encore. Il s’appelle Joseph = « que l’Éternel ajoute », ce qui n’est déjà pas rien. En plus, il a deux surnoms, ce qui montre l’estime qu’on lui attribue, la richesse de sa personnalité. Barsabas implique qu’il est le fils de quelqu’un de connu et d’estimé dans la communauté (Bar-sabas = « fils de Sabas »), ce qui est une sacrée référence. Plus encore, on lui donne du Justus = « le juste », ce qui en fait un modèle, une figure déjà communément acceptée par tous.
Sur un CV professionnel, il n’y aurait pas photo : avec de telles références, entre lui et le pauvre Mathias sans recommandations, pas d’hésitation pour choisir le bon candidat !

Eh bien non : Dieu choisit souvent ceux que nous n’aurions pas choisis. C’est Mathias qui remplacera Judas, c’est le sans-titres, le sans-références. De même, c’est celui auquel on n’aurait pas pensé qui devient notre ami après coup, notre amant après une séparation, notre collaborateur après un départ. D’où l’intérêt de ne pas décider tout tout seul ! En laissant sa part au hasard, on se prépare des remplaçants à Judas de la qualité d’un Mathias ! D’ailleurs, le nom de Mathias signifie « don de Dieu ». C’est parce que Dieu se faufile dans les failles de notre volonté de maîtrise pour nous donner les meilleurs compagnons en amitié, en couple, en entreprise…

Vous voyez : remplacer Judas aujourd’hui n’est pas une mince affaire !

Cela demande de définir des objectifs et critères rigoureux, de se mettre en quête des candidats idoines, de ne pas tout maîtriser, de se faire accompagner, et ainsi d’accepter ceux qui nous sont donnés comme des Mathias en amitié, en couple, au travail etc.

La bonne nouvelle est que vouloir remplacer notre Judas est une aspiration légitime. Mieux : remplacer nos Judas est salvateur, et nous ouvre la plénitude que Dieu veut nous donner. Pourquoi dès lors nous en priver ?…

 


[1]. Les apôtres se veulent fidèles à une tradition héritée des anciens d’Israël, pour dénouer des situations incertaines : « Vous vous partagerez le pays par tirage au sort selon vos clans… » (Nb 33,54) ; « Saül dit : Jetez les sorts entre moi et mon fils Jonathan. Et Jonathan fut désigné » (1S 14, 42) ; « Les uns comme les autres, on les répartit en tirant au sort… » (1Ch 24, 5), et tant d’autres encore. Tirer au sort était un appel solennel à Dieu afin de s’assurer que sa volonté serait accomplie.

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Il faut que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de la résurrection de Jésus » (Ac 1, 15-17.20a.20c-26)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères qui étaient réunis au nombre d’environ cent vingt personnes, et il déclara : « Frères, il fallait que l’Écriture s’accomplisse. En effet, par la bouche de David, l’Esprit Saint avait d’avance parlé de Judas, qui en est venu à servir de guide aux gens qui ont arrêté Jésus : ce Judas était l’un de nous et avait reçu sa part de notre ministère. Il est écrit au livre des Psaumes : Qu’un autre prenne sa charge. Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection. » On en présenta deux : Joseph appelé Barsabbas, puis surnommé Justus, et Matthias. Ensuite, on fit cette prière : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs, désigne lequel des deux tu as choisi pour qu’il prenne, dans le ministère apostolique, la place que Judas a désertée en allant à la place qui est désormais la sienne. » On tira au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias, qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres.

PSAUME
(102 (103), 1-2, 11-12, 19-20ab)
R/ Le Seigneur a son trône dans les cieux.ou : Alléluia ! (102, 19a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ;
aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.

Le Seigneur a son trône dans les cieux :
sa royauté s’étend sur l’univers.
Messagers du Seigneur, bénissez-le,
invincibles porteurs de ses ordres !

DEUXIÈME LECTURE
« Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 11-16)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection. Voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné part à son Esprit. Quant à nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

 

ÉVANGILE
« Qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jn 17, 11b-19)
Alléluia. Alléluia.Je ne vous laisserai pas orphelins, dit le Seigneur ; je reviens vers vous, et votre cœur se réjouira. Alléluia. (Jn 14, 18 ; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »
Patrick Braud

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