L'homélie du dimanche (prochain)

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14 février 2018

Poussés par l’Esprit

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Poussés par l’Esprit


Homélie du 1° Dimanche de Carême / Année B
18/02/2018

Cf. également :

Ne nous laisse pas entrer en tentation
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?


Avez-vous déjà fait l’expérience d’une retraite ignacienne ? Et particulièrement de cette  retraite, inspirée des Exercices spirituels de St Ignace de Loyola, qu’on appelle retraite d’élection ? Il s’agit, pendant une semaine ou un mois, dans un lieu retiré (abbaye, Foyer de Charité…), accompagné par un maître expérimenté, dans la solitude et le silence, de prendre le temps de méditer les Écritures, de relire son histoire, de se taire pour entendre autre chose, de porter devant Dieu et en Dieu ses choix à venir, ses décisions à prendre les plus engageantes.

Ce premier dimanche de carême nous parle du désert où Jésus va demeurer. Non pour nous inquiéter, mais au contraire pour nous donner le courage et la force de le traverser nous-mêmes.
Une fois n’est pas coutume, commentons le début de ce passage ligne à ligne.

 

·      « Jésus vient d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert ».

Poussés par l’Esprit dans Communauté spirituelle 900_1828873HighResLe premier effet du baptême pour Marc est d’être poussé par l’Esprit à faire des choses qu’on ne faisait pas avant. La vie spirituelle commence ainsi lorsqu’on se laisse conduire au lieu de maîtriser sa route. Être poussé par l’Esprit peut arriver en répondant à un coup de fil, à une demande imprévue, ou bien à travers un événement littéralement dé-routant. Il faut pour cela écouter cette petite voix intérieure qui me souffle telle interrogation, tel désir neuf. Être habité par l’Esprit suppose de lui laisser de l’espace, et de ne pas étouffer sa voix par trop de décibels provenant de notre rythme de vie ordinaire.

Être baptisé, comme l’écrit Pierre dans sa deuxième lecture, n’est pas « être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite ». Ce n’est donc pas la pratique religieuse (aller à la messe, recevoir les sacrements, donner au Denier  de l’Église…) qui caractérise d’abord l’identité du baptisé. C’est la capacité à se laisser conduire par l’Esprit, tel un voilier qui suit le vent grand largue pour aller au meilleur de son allure.

Est musulman celui qui observe les cinq piliers de l’islam. Est juif celui qui est né de mère juive. Est chrétien celui qui est poussé par l’Esprit… Voilà une identité à nulle autre pareille !

Ici, l’Esprit pousse Jésus au désert.

Nous connaissons bien la résonance biblique de ce mot : le désert primordial d’où surgit la création, le désert d’Égypte où le peuple hébreu a erré 40 ans avant d’être conduit en Terre promise, le désert des prophètes où Dieu conduit Israël pour se fiancer à elle (le peuple est féminin en hébreu) etc. Le désert, c’est également ces retraites spirituelles avant de commencer une période nouvelle de son histoire etc. On dit que Gandhi passait un jour par semaine en silence. S’abstenir de parler lui amenait la paix intérieure. Ces jours-là il communiquait avec les autres en écrivant sur un papier. C’était son désert hebdomadaire…

Le désert prendra encore bien d’autres formes au cours d’une existence. L’essentiel est de ne pas le choisir (par orgueil), et de le traverser, poussé par l’Esprit…

 

·      « Et dans le désert, Jésus reste à 40 jours, tenté par Satan ».

40 jours pour le déluge, 40 jours et 40 nuits pour le retrait et le jeûne de Moïse sur la montagne, 40 ans d’errance pour le peuple hébreu avant de rejoindre Canaan, 40 ans de règne pour les rois David et Salomon, 40 jours de désert pour Jésus, 40 jours de carême avant Pâques, 40 jours après la Résurrection pour monter vers le Père : 40 est donc un temps codé pour signifier l’épreuve ou la durée nécessaire.
C’est en tout cas suffisamment consistant pour ne pas être juste un touriste prenant quelques photos de désert en 4×4 lors d’une excursion de quelques heures !

3 Carême dans Communauté spirituelleRester dans le désert est aride. Éprouver sa monotonie et pas seulement sa grandeur, sa canicule, son effet perte de repères n’est pas une mince affaire. C’est d’ailleurs le terreau propice à toutes les tentations, que Marc ne détaille pas comme Luc et Matthieu, mais dont il précise la source : Jésus est tenté par Satan. La nouvelle traduction du Notre Père nous habitue désormais à cette justesse théologique : la tentation ne vient pas de Dieu. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » est la prière pour ne pas être exposé, car ce n’est pas Dieu qui me soumettrait à la tentation. St Jacques dit clairement :

« Que nul, s’il est éprouvé, ne dise: « C’est Dieu qui m’éprouve. » Dieu en effet n’éprouve pas le mal, il n’éprouve non plus personne. Mais chacun est éprouvé par sa propre convoitise qui l’attire et le leurre » (Jc 1, 13-14).

Le génial St Augustin nous encourageait ainsi :

Dans le Christ, c’est toi qui étais tenté, parce que le Christ tenait de toi sa chair, pour te donner le salut ; tenait de toi sa mort, pour te donner la vie ; tenait de toi les outrages, pour te donner les honneurs ; donc il tenait de toi la tentation, pour te donner la victoire.
Si c’est en lui que nous sommes tentés, c’est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu’il a vaincu ? Reconnais que c’est toi qui es tenté en lui ; et alors reconnais que c’est toi qui es vainqueur en lui. Il pouvait écarter de lui le diable ; mais, s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire. (Homélie sur le psaume 60)

Reste un personnage mystérieux – Satan – dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est ici qu’il ose tenter le Christ lui-même. Il a au moins le mérite d’innocenter Dieu du mal omniprésent… Pourquoi le laisser nuire encore ? Pourquoi cette puissance négative trouve-t-elle tant d’écho en nous ? L’énigme du mal et de la tentation ne sera levée qu’à la fin, lorsqu’enfin nous connaîtrons comme nous sommes connus…

 

·      « Jésus vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Il y a comme un parfum messianique de réconciliation universelle dans cette peinture à la Rousseau. Les prophètes annonçaient que la venue du Messie s’accompagnerait de cette harmonie contre nature : « Le loup et l’agnelet paîtront ensemble, le lion comme le bœuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, dit Yahvé » (Is 65,25)

mc-1_-12-15-jesus_anges désertL’homme et les bêtes sauvages ne sont plus en concurrence, en rivalité ni domination. En Christ, un monde nouveau advient où le règne animal est ami de l’humanité, où la sauvagerie ne se traduit plus par des égorgements mais des modes de vie différents, apaisés, coexistant sans se dévorer. Cette harmonie s’étend au monde de l’invisible : les anges servant le Christ sont les annonciateurs d’un jour où les forces invisibles nous seront familières, et seront à notre service.

La belle-mère de Pierre fut la première dans l’Évangile de Marc à servir Jésus et ses disciples. Au désert, les anges prennent le relais : en Christ, notre nature humaine est promise à régner sur l’univers, et même les anges nous serviront ! Autant dire que nous n’avons rien à craindre de l’invisible, et donc que toute pensée magique est inutile, toute  pratique occulte dangereuse.

 

·      « Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » ».

Voilà. Le temps du désert est terminé. Car tout désert se termine un jour. Et il est bon pour nous de le savoir afin de tenir bon jusque-là.
Le temps de l’action commence. Pour Jésus, c’est l’itinérance prophétique, qui le conduira de village en village. Il sait grâce à ces 40 jours quel est le cœur de son message : le royaume de Dieu. Il se centre sur cet essentiel, et ne le perdra jamais de vue.
Heureux désert qui lui a permis de se mettre ainsi en marche, sûr de ses appuis, cherchant l’unique nécessaire !

Désert ou action, tentation ou assurance prophétique, puissions-nous vivre ce carême « poussés par l’Esprit » là où il veut nous conduire…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse

Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Patrick BRAUD

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29 mai 2017

La sobre ivresse de l’Esprit

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La sobre ivresse de l’Esprit

Homélie pour la fête de Pentecôte / Année A
04/05/17

Cf. également :

Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

On pourrait évoquer la Pentecôte comme un feu qui brûle sans consumer, à l’image des langues de feu sur la tête des apôtres et des femmes réunis à Jérusalem (hommes et femmes ensemble reçoivent l’Esprit Saint ! : pas de discrimination sexiste dans la vie spirituelle de l’Église…)

Partons sur une autre image qui nous parle de l’Esprit : l’image de la boisson qui désaltère.

Paul nous dit : « Tous nous avons été désaltérés par l’Unique Esprit » (1Co 12,13). Arrêtons-nous plus précisément sur l’image de la boisson qui enivre, utilisée selon les Actes des Apôtres par les témoins de la scène : « ils sont pleins de vin doux » (Ac 2,13). C’est la réaction de la foule qui se moque en entendant ce phénomène étrange qu’est le chant en langues (glossolalie, à ne pas confondre avec la xénolalie, c’est-à-dire parler des langues étrangères), comme on se moque trop souvent de la culture qui nous est étrangère (cf. les remarques navrantes de bien des touristes à l’étranger…), comme on traîne en dérision au début un message qui détonne dans la culture dominante. Les pèlerins venus à Jérusalem pour la fête juive entendent les apôtres chanter en langues et ils pensent que c’est l’effet de l’alcool…

Cyrille de Jérusalem prend la foule au mot :

« Oui, ils sont ivres. Mais pas du vin de Palestine. Hommes d’Israël, nous pensons avec vous que ces gens sont ivres, ce n’est pas dans le sens que vous le prenez, mais selon ce qui est dit dans l’Écriture : ‘Tu les abreuveras aux torrents de tes délices.’ Ils sont ivres d’une sobre ivresse qui tue le péché et vivifie le cœur, d’une ivresse contraire à l’ivresse corporelle. Car celle-ci fait oublier même ce que l’on sait, tandis que celle-là fait connaître ce qu’on ne sait pas. Ils sont ivres d’avoir bu le vin de la vigne mystique qui dit : ‘Je suis la vigne et vous les sarments.’ »

Voilà donc avec Cyrille de Jérusalem l’origine d’une belle expression qui a traversé les siècles : la sobre ivresse de l’Esprit.

Les spécialistes de la langue française appellent cette figure de style un oxymore, une expression qui associe deux contraires : sobriété & ivresse. C’est pour obliger les auditeurs à réfléchir: comment lever l’apparente contradiction des termes ? Comment une ivresse peut-elle être sobre ?

Cyrille nous l’a dit : l’ivresse du vin est comme le négatif de l’ivresse de l’Esprit. L’abus d’alcool provoque perte de conscience, perte de la maîtrise de soi, envol des connaissances. La plénitude de l’Esprit provoque une conscience accrue de son identité chrétienne, une nouvelle maîtrise de soi qui va jusqu’à ne plus s’appartenir, une nouvelle connaissance qui va jusqu’à parler la langue de l’autre, ou même la langue de Dieu.

Laissons Ambroise de Milan voler au secours de Cyrille de Jérusalem :

« Chaque fois que tu bois (au calice), tu reçois la rémission des péchés et tu es enivré par l’Esprit. C’est pour cela que l’Apôtre dit: ‘Ne vous enivrez pas de vin, mais emplissez-vous de l’Esprit’ (Ep 5,18). Car celui qui s’enivre de vin chancelle et titube, mais celui qui s’enivre de l’Esprit est enraciné dans le Christ. C’est donc une excellente ivresse, qui produit la sobriété de l’âme ! »

Les chrétiens de Milan font donc la même expérience que dans les Actes des Apôtres : l’Esprit Saint, tout particulièrement lorsqu’il est reçu dans les sacrements, nous donne une sorte d’ivresse qui n’a rien de désordonné ni de superficiel. Cette « sobre ivresse » nous conduit hors de nous-mêmes, hors de nos impuissances et de nos contradictions, dans un « état de grâce » où il n’y a plus de place pour les amertumes, les replis sur soi, les regrets. La sobre ivresse de l’Esprit nous conduit vers une joie profonde que nul ne peut nous ravir. L’âme est ainsi enracinée dans le Christ, enracinée dans une paix et une jubilation qui permet d’affronter avec courage les épreuves, et même les persécutions (les martyrs ont vécu et vivent encore cette ivresse spirituelle). 

Appelons Augustin en renfort de Cyrille de Jérusalem et d’Ambroise de Milan :

« L’Esprit Saint – dit-il aux nouveaux baptisés – est venu habiter en vous (c’est le jour de Pâques et ils viennent de recevoir le baptême dans la nuit pascale) : ne le laissez pas s’éloigner, gardez-vous de l’éloigner de vos cœurs. Il est un bon invité : il vous a trouvé pauvres et il vous enrichit ; il vous a trouvé affamés et il vous a rassasié; il vous a trouvé assoiffés et il vous a enivrés (…) celui qui se réjouit dans le Seigneur et chante avec une grande allégresse ne ressemble-t-il pas à quelqu’un qui est ivre ? J’aime cette ivresse ! (…) L’Esprit de Dieu est à la fois breuvage et lumière » (Sermon 225).

Dans la vie de tout baptisé, cette expérience que décrit St Augustin est possible : goûter une joie réaliste et profonde, être enraciné dans la paix même au cœur des épreuves, déborder d’action de grâce sans détourner son regard des souffrances présentes, déborder d’enthousiasme divin (en-Théo = demeurer en Dieu) qui donne la passion et le courage de transformer ce monde…

La sobre ivresse de l’Esprit peut vous tomber dessus à l’improviste : elle peut vous prendre au volant de votre voiture, devant un paysage magnifique, en revenant de la communion, en butant sur des difficultés énormes, en frémissant à une musique sublime, en pleurant de joie devant un texte de la Bible ou dans le silence de la prière… Si vous voulez une comparaison profane, allez sur Youtube écouter le scat d’Ella Fitzgerald et laissez-vous emporter par sa jubilation au-delà des mots : vous éprouverez quelque chose de ce ravissement (être ravi = être emporté au-delà) de Pentecôte. Si vous voulez entendre une trace bimillénaire de cette ivresse spirituelle, allez dans une abbaye bénédictine écouter les moines jubiler sur une seule voyelle du mot « Alléluia » pendant des minutes entières : portée par cet art du grégorien décidément très « pentecostal », votre prière vous transportera vers des délices inconnus…

 

Enivrez-vous de l’Esprit : par l’inspiration qui parcourt la Parole, par le lien fraternel dans nos assemblées, par l’accueil du Christ dans les sacrements, par toute la Création…

Aimez cette sobre ivresse spirituelle, elle vous ancrera fermement dans une joie indicible, même dans le feu de l’épreuve.

 

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME (Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre ! ou :Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand ! Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses œuvres ! Que mon poème lui soit agréable ; moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.  Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE

Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière.

Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.

Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.

Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort.

Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles.

Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.

Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.

Assouplis ce qui est raide, baigne ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.

À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.

Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE

« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. 

Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia. Évangile de Jésus Christ selon saint Jean C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Patrick BRAUD

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21 mai 2017

Désormais notre chair se trouve au ciel !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 18 h 00 min

Désormais notre chair se trouve au ciel !


Homélie pour la fête de l’Ascension / Année A
25/05/2017

Cf. également :

Jésus : l’homme qui monte

Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »

Ascension : la joyeuse absence

Ascension : l’ascenseur christique

Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie

Les vases communicants de l’Ascension


« Sens dessus dessous.

Actuellement, mon immeuble est sens dessus dessous.
Tous les locataires du dessous voudraient habiter au-dessus !
Tout cela parce que le locataire  qui est au-dessus  est allé raconter par en-dessous  que l’air que l’on respirait à l’étage au-dessus était meilleur que celui que l’on respirait à l’étage en-dessous !… »

Ainsi commence un sketch célèbre de Raymond Devos, magicien des mots. Quand l’ordre habituel est bouleversé au point de ne plus respecter les séparations entre les étages, l’immeuble tout entier est sens dessus dessous !

C’est notre humanité tout entière qui aujourd’hui est sens dessus dessous, avec cette fête de l’Ascension. Le départ du Christ nous fait monter au ciel avec lui, puisqu’il emporte notre nature humaine au plus haut. L’ascenseur christique promet à chacun de nous de partager un jour, corporellement, la plénitude de divinité : folie pour les sans-Dieu, scandale pour les juifs et les musulmans…

Et bientôt, 50 jours symboliques après Pâques, la fête de Pentecôte retracera le mouvement descendant, symétrique : l’Esprit de Dieu viendra habiter en-bas, et l’effusion de l’Esprit deviendra la marque de l’église pérégrinante.

Vraiment, le voisin du dessus passe en-dessous, et celui du dessous au-dessus…

L’Ascension donne lieu à ce chassé-croisé improbable, ainsi condensé par St Jean Chrysostome :

« Nous avons donc, grâce à lui (le Christ), une garantie au ciel : la chair qu’il a prise de nous, et ici-bas : l’Esprit Saint qui demeure en nous. [1] 

D’habitude, notre représentation est inverse : l’homme est en-bas, et Dieu est au ciel. Ici, c’est notre chair qui est au ciel, là-haut, et l’Esprit qui est en-bas, depuis la Pentecôte qui approche. Vraiment, l’Ascension du Christ met tout sens dessus dessous, comme Raymond Devos le pressentait !

Au-delà du jeu de mots, quels sont les enjeux pour nous de ce double mouvement d’ascension (du Christ) / descente (de l’Esprit) ? Dieu et l’homme se croisent dans l’ascenseur post-pascal : quelles conséquences ?

 

1. Notre chair humaine y revêt une noblesse incomparable

Rendez-vous compte : si Jésus en chair et en os a été élevé dans l’intimité divine, alors notre chair actuelle peut espérer une telle transformation elle aussi ! Déjà, la transfiguration du Christ sur la montagne nous avait laissé entrevoir une promesse inouïe : le corps humain peut rayonner d’une beauté incroyable lorsqu’il se laisse habiter par l’Esprit ! Avec l’Ascension, Dieu nous promet que nos éblouissements furtifs, nos transfigurations fulgurantes deviendront l’ordinaire de la vie après.

De quoi donner une sacrée valeur à ce que nous appelons la chair humaine, c’est-à-dire notre mode de présence au monde actuel. Notre chair, muscles et sangs mêlés en action, c’est notre interface, notre hub in and out, qui nous permet d’être présents aux autres, à la création. Cette chair-là sera ressuscitée : un nouveau mode de présence nous sera donné au monde nouveau qui nous attend. La bonne nouvelle est quelle sera l’accomplissement de notre chair actuelle, non sa négation ni son oubli. Si le Ressuscité fait toucher ses plaies à Thomas, s’il mange du poisson grillé sur le bord du lac de Tibériade, c’est bien qu’il y a à la fois continuité et transfiguration dans ce que nous deviendrons à travers la mort. Dès maintenant, notre chair humaine a une valeur immense, puisque Dieu ne nous fera pas monter auprès de lui sans elle, transformée, renouvelée pour le monde de la résurrection.

Citation Beaute, Ame & Passer (Simone Weil - Phrase n°56303)

Apprenons donc à aimer cette chair, au sens fort, au sens spirituel du terme, la nôtre et celle des autres. La chair de l’être aimé comme la chair de l’ennemi, la chair des animaux comme celle des arbres, celle des créatures magnifiques et admirées comme celle dégradée et repoussante des SDF ou des malades défigurés…

Ni le mépris ni l’idolâtrie de la chair ne sont fidèles à l’expérience de l’Ascension. Aimons  notre propre chair, chérissons-la, nourrissons-la, matériellement et spirituellement, afin de faire de même les uns pour les autres.

 

2. Si la chair est au-dessus et l’Esprit en-dessous, c’est donc que la vie spirituelle se joue en-bas

Autrement dit : rien de plus spirituel que le travail humain pour transformer cette terre, que l’économie pour la gérer, les sciences pour la déchiffrer etc. ! En christianisme, il n’y a pas d’évasion par le haut : « pourquoi restez-vous là à fixer le ciel ? » s’étonne notre texte d’évangile de l’Ascension. C’est en-bas que se joue notre salut. Même les ermites qui s’isolent pour anticiper le face-à-face avec Dieu reconnaissent le travail manuel comme une école de sainteté, et la visite du passant comme une épiphanie à laquelle ils ne peuvent se soustraire au nom de l’élévation dans la prière. Selon le mot de St Vincent de Paul, c’est « quitter Dieu pour Dieu » que de passer de la liturgie à la diaconie, de l’oraison au service des pauvres, de la contemplation au labeur professionnel. Il est possible de vivre son métier, sa vie de famille, ses engagements comme de vrais chemins de communion avec Dieu, à chaque instant. La vie spirituelle ne commence pas le dimanche matin : elle est une autre manière d’expérimenter la rencontre des autres, le travail humain. De l’écran d’ordinateur au lit conjugal, des courses en hypermarché au bain des enfants, des embouteillages du matin au bulletin d’information du soir, rien n’est plus spirituel que de vivre ces merveilles du quotidien habités par l’Esprit de Dieu. Alors nous vivons ce battement caractéristique que les électriciens appellent opposition de phase [2]: sans cesse notre nature humaine et l’Esprit de Dieu montent et descendent, et l’abaissement maximum de la divinité correspond à l’élévation maximum de notre humanité…

Désormais notre chair se trouve au ciel ! dans Communauté spirituelle image012

Que cette fête de l’Ascension nous donne de voir autrement notre chair humaine, et celle des autres. Puissions-nous l’aimer de tout cœur. Car depuis la montée du Christ aux cieux, elle est promise elle aussi à la plus belle ascension qui soit…

 


[1] . St Jean Chrysostome (+ 407), sur l’Ascension, 16-17, PG 52, 789-792.

[2] . Deux tensions alternatives (sur deux fils différents) sont en phase (ou en opposition de phase) lorsqu’elles passent à la valeur zéro simultanément. Si le maximum de l’une coïncide avec le minimum de l’autre, les deux courbes sont dites « en opposition de phase ».

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu. Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

PSAUME
(Ps 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9)
R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (Ps 46, 6)

Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut,
le redoutable, le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

DEUXIÈME LECTURE
« Dieu l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux » (Ep 1, 17-23)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. Il l’a établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination, au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, non seulement dans le monde présent mais aussi dans le monde à venir. Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

ÉVANGILE

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 16-20)
Alléluia. Alléluia. Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

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15 mai 2017

L’agilité chrétienne

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’agilité chrétienne

Homélie pour le 6° dimanche de Pâques / Année A 21/05/2017

Cf. également :

Fidélité, identité, ipséité

Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous

Tu dois, donc tu peux

Une Loi, deux tables, 10 paroles

Quand Dieu appelle

Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous

L’Esprit et la mémoire

 

Étonnamment, la façon dont les premières communautés chrétiennes ont su géré les événements (cf. 1° lecture) ! Les imprévus que l’Esprit leur faisait traverser peuvent devenir une source d’inspiration pour le management en entreprise aujourd’hui. Expliquons-nous.

De plus en plus d’entreprises explorent ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’agilitéQuatre grandes raisons au moins les poussent à cela [1] :

1. La montée de la complexité et, de façon liée, une perte de sens ;

2. La montée de l’individualité, qui plaide pour une reconnaissance de la capacité de l’individu à penser et à agir, donc à avoir son libre arbitre et ses exigences, qu’il soit placé dans une posture de consommateur sur un marché ou de producteur dans une organisation ;

3. La montée de l’incertitude, qui impose naturellement la nécessité d’anticiper pour améliorer encore nos capacités de réaction.

4. La montée de l’interdépendance, qui implique de partager le pouvoir tant à l’intérieur d’une organisation qu’à l’extérieur.

Nuages de mots Agilité-Accueil

Qu’est-ce qu’être agile ?

Sept principes managériaux, faisant système, caractérisent les entreprises dites agiles :

1. La capacité d’anticipation des ruptures de son environnement, mais aussi des conséquences de ses propres décisions et actions,

2. La coopération, tant en interne de façon à rechercher un optimum collectif plutôt qu’un maximum par fonction, qu’en externe vis-à-vis de tous les acteurs de son environnement grâce à de multiples conventions renégociables à loisir,

3. L’innovation permanente dans son offre client (grâce à un mix « coûts maîtrisés – valeur créée »),

4. Une offre globale s’appuyant bien sûr sur des produits toujours plus performants mais aussi sur des offres de services et une relation personnalisée avec chaque client,

5. Une culture client généralisée dans une organisation par processus où chacun est client de l’autre et réciproquement,

6. Une complexité à échelle humaine visant à favoriser la reconfiguration des équipes ou des services,

7. Une culture du changement faisant de celui-ci un allié souhaité plutôt qu’un ennemi craint.

Revisitons note première lecture ainsi que l’ensemble du livre des Actes des Apôtres, avec ces 7 principes comme grille de lecture.

 

1. Être capable de s’adapter, et mieux encore d’anticiper les ruptures se produisant dans son environnement.

L’agilité chrétienne dans Communauté spirituelle elephant-agile@w_378Pour l’Église de Jérusalem, la rupture c’est la persécution qui éclate après la lapidation d’Étienne (Actes 8). Personne n’avait prévu de sortir hors de Jérusalem au début. C’est la menace de l’emprisonnement et du supplice qui provoque la dispersion des premiers chrétiens, en Samarie notamment. Alors le diacre Philippe (l’un des Sept cf. Actes 6) transforme cette fuite en un nouveau départ, la menace en opportunité. Philippe profite de cette mini-migration forcée pour annoncer le Christ, et les foules de Samarie lui font bon accueil

Les ruptures, les événements disruptifs comme aiment les appeler les économistes sont nombreux aujourd’hui dans le contexte d’une entreprise. Ruptures numériques (ubérisation…), écologiques (transformation des sources d’énergie), ruptures de consommation (le bon, le local, le sain…), ruptures technologiques (robots, automatisation, intelligence artificielle etc.). Seules survivront les entreprises sachant s’adapter, anticiper, transformer le danger en source de progrès.

 

2. La coopération, tant en interne qu’en externe.

Au début d’Actes 8, Philippe semble bien seul en Samarie. Mais très vite, Jérusalem entend parler de ses succès imprévus, et dépêche Pierre et Jean pour faire le lien. La coopération qui se met ainsi en place deviendra un trait structurant des Églises : donner/prendre des nouvelles, s’écrire, se visiter, s’entraider (cf. la collecte que Paul organise autour du bassin méditerranéen pour l’Église de Jérusalem en difficulté financière). Ici, c’est le ministère de Philippe qui est comme complété par celui de Pierre et Jean : ceux-ci imposent  les mains pour donner aux samaritains l’Esprit Saint que le baptême du diacre Philippe n’avait pas suffi à répandre. Certains y ont vu la figure de ce qui allait devenir le sacrement de confirmation ensuite, conféré par l’évêque. D’autres y ont vu la figure de l’effusion de l’Esprit, pratiquée encore aujourd’hui dans les communautés charismatiques. Quoi qu’il en soit, c’est l’indice d’une coopération très forte entre diacres et prêtres/évêques, entre Jérusalem et la Samarie, entre anciens et nouveaux chrétiens etc.

3. L’innovation permanente dans l’offre client.

4. Une offre globale s’appuyant bien sûr sur des produits toujours plus performants mais aussi sur des offres de services et une relation personnalisée avec chaque client.

6. Une complexité à échelle humaine visant à favoriser la reconfiguration des équipes ou des services.

7. Une culture du changement faisant de celui-ci un allié souhaité plutôt qu’un ennemi craint.

Évidemment, l’Église n’est pas une entreprise et n’a pas de clients ! Cependant, le peuple de Dieu est bien destinataire du ministère apostolique, qui doit innover en permanence pour nourrir les baptisés (pasteur = faire paître). C’est ainsi que Philippe, l’un des Sept, avait été institué pour le service des tables, et non pour l’annonce de la parole, apparemment réservée aux apôtres (Ac 6,2–4) ! Pourtant, face à une situation nouvelle, Philippe n’hésite pas à innover, même ministériellement : il proclame l’Évangile, il baptise, il rassemble l’ekklèsia.

L’Esprit fait toutes choses nouvelles : c’est lui qui conduit l’Église à trouver à chaque époque les ministères, les rôles et les fonctions de chacun qui vont permettre à tous de ne pas mourir de faim (spirituelle). Les Sept eux-mêmes sont la preuve éclatante de l’agilité chrétienne. Jésus n’avait jamais prévu ni demandé ce ministère diaconal. Mais l’Esprit a poussé l’Église à innover. Il continue à le faire ! Seuls les traditionalistes refusent l’innovation de l’Esprit : pour eux, la vérité est immobile, l’identité figée. Or ne pas être agile est sans doute le véritable « péché contre l’Esprit » ! L’agilité spirituelle conduit à complexifier relativement l’organisation de l’Église, plutôt dans le sens d’une complexité adaptée à la société environnante que d’une complication rébarbative. Complexité ne signifie pas compliqué !

Lorsque l’Église n’a pas voulu innover, ses raidissements ont provoqué des catastrophes : la rupture d’avec Luther voulant réformer l’Église, le rejet par la Chine (cf. Matteo Ricci et l’affaire des rites chinois) ou le Japon (le dernier film de Martin Scorcèse : Silence, évoque l’imperméabilité du Japon aux croyances et rites romains du XVIIe siècle). À l’inverse, chaque fois que l’Église a su faire du changement un allié, elle a suscité une adhésion immense : en Afrique avec l’inculturation, en Amérique latine avec la théologie de la libération, en Europe ou en Amérique du Nord avec le rétablissement du diaconat permanent etc.

résistance auchangement

5. Une culture client généralisée.

Avec Philippe en Samarie, l’Église expérimente que les ministères sont pour les croyants. Paul exprimera cette « conviction-client » à sa manière : « C’est le Christ qui a donné (à l’Église) certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres enfin comme chargés d’enseignement, afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ  » (Ep 4, 11-12).

Dans la famille chrétienne, nous sommes tous clients (au sens noble) les uns des autres. Les fidèles sont redevables aux prêtres/diacres/évêques des sacrements et de la présidence ecclésiale. Les ministres se nourrissent de la foi des fidèles, de leur générosité, de leur témoignage de vie en tant que laïcs dans leurs entreprises, familles, communes etc. La réciprocité, multiple et croisée entre tous, est le signe d’une Église en bonne santé. Le Concile de Trente lui-même évoquait cet état d’esprit où le bien commun du peuple de Dieu est le critère final du ministère et de l’eucharistie, « pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim et que les petits ne demandent pas du pain et que personne ne leur en donne » (Session XXII ch VIII).

Résumons-nous : dès le début, les premiers disciples du Ressuscité sont poussés par l’Esprit à innover, à s’adapter, à complexifier le service rendu au peuple élu en fonction des événements (persécution) ou des besoins (s’occuper des veuves, mettre en place des responsables de communauté etc.).

Cette agilité chrétienne est la caractéristique de l’Esprit animant l’Église. Elle n’est pas étrangère à l’agilité managériale que bon nombre d’entreprises recherche aujourd’hui : pourquoi s’en étonner ? C’est de la même humanité qu’il s’agit : une humanité à nourrir spirituellement et économiquement, à écouter dans ses besoins fondamentaux, à accompagner dans les changements de société.

Que l’Esprit du Ressuscité nous donne d’être agiles à sa manière !

 

 


 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (Ac 8, 5-8.14-17)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint.

PSAUME
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

« Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. » Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec. De là, cette joie qu’il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance.

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ; Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour !

 

DEUXIÈME LECTURE « Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a reçu la vie » (1 P 3, 15-18)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit.

 

ÉVANGILE « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur » (Jn 14, 15-21) Alléluia. Alléluia.  Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Patrick BRAUD

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