L'homélie du dimanche (prochain)

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21 mai 2023

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Homélie pour le Dimanche de Pentecôte / Année A
28/05/2023

Cf. également :
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

Il faut du temps…
Le délai entre Pâques et Pentecôte dans Communauté spirituelle Cloud-to-ground
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après. Il me donnait mon premier cours de physique : « tu vois, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».
J’étais fasciné par ce temps de latence entre l’éclair et le tonnerre, secondes de silence suspendues dans l’espace, pendant lesquelles on craignait être beaucoup trop près…

Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir, comme l’atteste la découverte de Mathusalem – la bien nommée – la plus vieille étoile de l’univers (13,6 milliards d’années) située à 6000 années-lumière de la Terre. Elle pourrait donc être morte alors que nous la voyons briller dans le télescope spatial !
Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne !

Vous voyez une zébrure dans le ciel, et il faut du temps pour entendre le tonnerre.
Vous voyez une étoile scintiller, mais il faut du temps pour savoir si elle est vivante ou morte.
Il en est ainsi de bien des choses !
Vous vous mariez, et il faut bien plusieurs dizaines d’années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même geste au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…

50_temoignages_annonce1 Esprit dans Communauté spirituelleIl y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte. La résurrection de Jésus n’échappe pas à cette règle empirique. Les apôtres ont été témoins de cet événement unique, inimaginable. Sous le choc, ils se sont confinés au Cénacle. Le temps de digérer l’énorme nouvelle et de commencer à intégrer cette donnée improbable. Après « un certain temps » – comme aurait plaisanté Fernand Raynaud autrefois – ils osent pointer le bout de leur nez dehors, encore convalescents de l’heureux traumatisme pascal. Symboliquement, Luc fixe ce délai à 50 jours pour ainsi passer de Pâques à Pentecôte, en situant le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint 50 jours après la lumière fulgurante de Pâques :
« Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble… » (Ac 2,1).
Évidemment, on ne parle pas ici de secondes, mais de l’accomplissement de la promesse du Christ d’envoyer l’Esprit ; on parle de la plénitude de la Résurrection du Christ qui est l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun.

Parcourons quelques interprétations symboliques de ces 50 jours par lesquelles il nous faut toujours passer aujourd’hui.

 

1. Il faut du temps pour récolter
jours_de_croisance_50 jubilé
Les hébreux n’ont pas inventé la fête de Pentecôte. Ils l’ont empruntée aux cananéens qui étaient là avant eux dans le pays. C’est une fête agricole comme il y en a tant, célébrant le renouveau de la vie grâce aux premières récoltes qui arrivent. On l’appelait à cause de cela la « fête des prémices », car devait apporter les premières gerbes de céréales aux divinités païennes pour les remercier de l’abondance qui revient. Israël a gardé cette coutume, en la transposant sur YHWH et non plus Baal. Le sens est le même : il faut du temps entre les semailles et la moisson. La récolte demande d’être patient, d’anticiper le bon moment pour enfouir les graines et ensuite d’attendre le délai qu’imposera la nature pour cueillir et récolter.

Le nombre 50 est ainsi devenu symbolique d’une durée d’accomplissement. Par exemple, la Bible fixe la retraite des lévites … à 50 ans !
« À cinquante ans, le lévite se retirera du service actif, il ne servira plus » (Nb 8,25).
Et ses adversaires doutent que Jésus soit un prophète mature, car il n’a pas encore atteint cet âge de plénitude :
« Les Juifs lui dirent alors : ‘Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham !’ » (Jn 8,57)

Ainsi en est-il de nos propres semailles : le délai de 50 jours nous apprend à être patients, envers nous-mêmes et envers les autres. Nous ne pouvons récolter immédiatement les fruits de ce que nous avons semé. Que ce soit au travail, en famille, dans la vie associative, la sagesse est de voir à long terme, de ne pas calculer trop court, de miser sur le temps avant de juger ou de récolter.

 

2. Il faut du temps pour intérioriser ce qui m’arrive
 Pentecôte
Tout en gardant le sens agricole de la fête, les hébreux lui ont associé un événement historique majeur : le don de la Loi à Moïse sur la montagne du Sinaï pendant l’Exode (Ex 19,16-25) La sortie d’Égypte était l’éclair déchirant leur servitude ; la théophanie sur la montagne fumante sera le tonnerre qui en délivre toute la signification, grâce à la Torah qui fait passer le peuple de la servitude de Pharaon au service de YHWH. D’ailleurs, le nombre 50 garde la trace de cette plénitude : c’est 5×10, soit le nombre de livres de la Torah (Gn, Ex, Nb, Lv, Dt) multiplié par le nombre de commandements inscrits sur les tables de la Loi. La Pentecôte juive fête donc la plénitude donnée par la Torah.

La Pentecôte chrétienne reprendra ce symbolisme, en allant jusqu’au bout de l’accomplissement : c’est l’Esprit de la Torah et non sa lettre qui fait vivre.
Il a fallu des années au désert pour que les fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes. Il a fallu des siècles pour que les juifs apprennent avec les prophètes que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme. C’est dans le cœur de chacun que réside la véritable règle de conduite, et non dans des interdits extérieurs. L’Esprit de Pentecôte est celui qui fait passer la loi de l’extérieur à l’intérieur : intérioriser la Loi, c’est se laisser conduire par l’Esprit du Christ.

Shavouot prémicesNous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu et que nous appelons fort justement l’Esprit de Dieu.

Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent (santé, succès, amour etc.) observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs.
Ceux qui veulent imposer leurs croyances par la force ne savent pas vouloir ce que Dieu veut.
Ceux qui confondent foi et morale idolâtrent le texte, au lieu d’en retrouver le souffle.
Par contre, ceux qui font confiance à l’Esprit comme à leur ami le plus intime découvrent au contraire que Dieu n’est pas à l’extérieur, et qu’il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime.

 

3. Il faut du temps pour devenir libre
Une troisième signification de la Pentecôte tient dans sa manière de compter les semaines. Car la Bible dit : « À partir du lendemain du sabbat, jour où vous aurez apporté votre gerbe avec le geste d’élévation, vous compterez 7 semaines entières. Le lendemain du 7° sabbat, ce qui fera 50 jours, vous présenterez au Seigneur une nouvelle offrande » (Lv 23, 15-16).
C’est pourquoi les juifs appellent cette fête « shavouot » [1] (les semaines en hébreu), et la cinquantaine (πεντήκοντα = pentekonta en grec), ce qui a donné « pentecôte ».
L’allusion au Jubilé est très claire : de même que tous les 50 ans Israël devaient normalement libérer les esclaves, remettre les dettes à zéro, répartir à nouveau les terres à cultiver pour éviter d’injustes  accumulations de richesses (cf. Lv 25, la première loi antitrust en quelque sorte !), de même à Pentecôte le 50°jour Israël fête sa libération d’Égypte enfin complète.

Jubilee ShavouotLa Pentecôte est jubilaire ! La jubilation des apôtres (« ils sont pleins de vins doux ») le 50° jour à Jérusalem exprime cette liberté nouvelle accordée par l’Esprit : tous les peuples sont invités, l’inspiration accomplit la Loi, le baptême unit toutes les différences, les interdits (alimentaires, sexuels, rituels etc.) se révèlent n’être que les ombres portées de la vie spirituelle en Christ.

Nous aussi, nous mettons du temps à devenir vraiment libres…
Enserrés dans notre éducation familiale, la culture de notre pays, de notre milieu social, dans les aveuglements de notre époque, nous cherchons des sauveurs, des leaders, des modèles, des gourous. L’Esprit de Pentecôte nous délie de ces esclavages de pensée, comme il nous a déliés de l’esclavage en Égypte. Il annule nos dettes grâce au pardon, comme s’il était un Jubilé permanent. Il répartit ses dons entre tous mieux que les terres redistribuées l’année du Jubilé.

À nous de laisser l’Esprit de Pentecôte nous enivrer de sa liberté. Car la sobre ivresse de l’Esprit est de celles qui nous ouvrent les yeux sur la réalité du monde, et sur la vraie dignité de tout être humain.

 

4. Il faut du temps pour ressusciter
resurrection-tombeau-vide-1024x683 TorahFinalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur, ce qui demande du temps, de la patience, un savant mélange de désir et de laisser-faire l’Esprit en nous.

Nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire.
Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse.
Il nous faut des années de joies et de déceptions, de foi et de doute, de malheurs et d’extases pour que vivre en Christ devienne notre identité la plus vraie.

Apprivoisons les délais qui nous sont imposés.
Apprenons à ressusciter jour après jour.
Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, comment notre mort pourrait-elle l’empêcher de continuer ?

 

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[1]. « Tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘), des premiers fruits, de la moisson des blés, et aussi la fête de la Récolte, en fin de l’année. » (Ex 34,22)
« Le jour des Prémices, quand vous apporterez au Seigneur la nouvelle offrande de céréales pour la fête des Semaines (shabuwa‘), vous tiendrez une assemblée sainte et vous n’accomplirez aucun travail, aucun labeur. » (Nb 28,26)
« Tu compteras sept semaines (shabuwa‘) : dès que la faucille commence à couper les épis, tu commenceras à compter les sept semaines (shabuwa‘). Puis tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘) en l’honneur du Seigneur ton Dieu, avec l’offrande volontaire que fera ta main ; ton offrande sera à la mesure de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. » (Dt 16,9-10)

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD

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23 avril 2023

Allez ouste, sortez ! du balai !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Allez ouste, sortez ! du balai !

Homélie pour le 4° Dimanche de Pâques / Année A
30/04/2023

Cf. également :
Jésus abandonné
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
Le berger et la porte

La messe est dite
 Allez ouste, sortez ! du balai ! dans Communauté spirituelle 2014-04-02_183431_MRC-DELPECH-1
10 Mars 2023. Coup de théâtre au Sénat : le gouvernement a recours à l’article 44-3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites. Cet article permet à une assemblée de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. « La messe est dite. Avant la grande journée [de mobilisation] du 11 mars, vous avez décidé de montrer vos intentions réactionnaires », a tonné le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.

Il devait sans doute avoir des souvenirs de ses années de catéchisme… d’avant Vatican II ! Car la liturgie romaine autrefois se terminait effectivement par cette formule célèbre : « ite missa est », mal traduite par : « la messe est dite ». La formule latine signifiait en bas latin : « allez, c’est l’envoi ! ». Le mot messe [1], déformation gallo-romaine de missa, est au départ le participe passé du verbe latin mittere, qui signifie envoyer, renvoyer. À l’origine, dans les premiers siècles, cette formule ne se trouvait pas à la fin de la célébration, mais après l’homélie et le Credo, quand on commençait la liturgie proprement eucharistique. Ite missa est voulait alors dire : « maintenant, c’est le renvoi (des catéchumènes) ». En effet, les catéchumènes participaient à la première partie de la célébration, la liturgie de la Parole, mais pas à la deuxième, eucharistique, car ils  n’avaient pas encore été initiés aux mystères. N’ayant pas encore reçu les trois sacrements de l’initiation (baptême, confirmation, eucharistie, dans cet ordre), ils ne pouvaient pas rester pour la célébration à laquelle ils n’étaient pas préparés et à laquelle ils n’auraient pas pu participer vraiment ni comprendre grand-chose.

Indication précieuse au passage sur la pédagogie des Pères de l’Église : graduelle, culminant dans l’eucharistie après la Parole. Aujourd’hui, on fait assister à la messe tout le monde, initiés ou pas, confirmés ou pas, et on s’étonne que cela ne passionne pas les foules…

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Être expulsés hors de l’enclos
Mais revenons à nos moutons. C’est le cas de le dire, avec l’évangile de ce dimanche. Jean  utilise le verbe chasser, jeter dehors (κβλλω= ekballō en grec) pour évoquer l’action du bon Berger faisant sortir toutes ses brebis hors de l’enclos : « Quand il a poussé dehors (ekballō) toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix » (Jn 10,4).

On a très nettement l’impression que le bon Pasteur - le doux Jésus - doit forcer son troupeau à quitter la tranquille quiétude de l’enclos, quitte à faire la grosse voix et à donner quelques coups de baguette sur les flancs des moutons bêlant d’être dérangés…

C’est le même verbe que Jean emploie pour montrer Jésus chassant les marchands du Temple (Jn 2,15), ou les pharisiens chassant l’aveugle-né hors du Temple lui aussi (Jn 9,34–35). Il y a donc une certaine violence dans cette sortie d’enclos à laquelle nous oblige le bon Pasteur ! Cela peut faire penser à l’insistance quasi physique de Jésus pour obliger ses disciples à monter dans la barque pour une traversée du lac qui leur faisait peur, piètres marins qu’ils étaient : « Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules » (Mt 14,22).

Si le Christ nous chasse de notre enclos intérieur, c’est pour ouvrir notre espace à d’autres horizons. C’est surtout pour que nous puissions nous nourrir, comme le précise le texte de l’Évangile : « Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver de quoi se nourrir » (Jn 10,9).

Le psaume 22 de ce dimanche l’annonçait : « sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer » ; « il me mène vers les eaux tranquilles ». Et ce psaume fait le lien avec le repas pris en présence du Seigneur : « Tu prépares la table devant moi » / « ma coupe est  débordante » / « j’habiterai la maison du Seigneur ».

accouchement-expulsionAutrement dit, l’ite missa est de la fin ne correspond pas d’abord comme on le croit à la mission des chrétiens dans ce monde. Ils sont envoyés… pour se nourrir, comme les brebis sont expulsées de l’enclos pour aller chercher de l’herbe dans les verts pâturages. C’est comme si on leur disait : ‘vous vous êtes nourris du Christ pendant la messe. Très bien. Allez maintenant vous nourrir de sa présence ailleurs que dans l’Église, là où vivent les autres’. C’est un envoi pour se nourrir avant d’être un envoi en mission pour convertir !
En français, être expulsé se dit également du fœtus hors du ventre maternel lors de la naissance : comme quoi il nous est bon parfois d’être chassés de nos enclos maternels…
Il ne s’agit donc pas d’appliquer la semaine ce qu’on a reçu le dimanche, mais de continuer la semaine à s’alimenter de la même nourriture que celle du dimanche, autrement.

Le dimanche, cette nourriture est sacramentelle ; la semaine, elle est existentielle.
L’une sans l’autre est inconsistante.
La vie seule demeure indigeste sans le sacrement.
Le sacrement seul dégénère en ritualisme sans les événements de la semaine.

 

Être libérés par cette sortie d’enclos
Cette obligation faite aux brebis de sortir est renforcée par l’autre verbe employé par Jean – et c’est le seul usage dans son Évangile – pour décrire le bon Berger
conduisant dehors (ἐξάγω = exagō en grec) ses brebis : « Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir » (Jn 10,3).

Dans le Nouveau Testament, conduire dehors (exagō) s’emploie le plus souvent pour évoquer la sortie d’Égypte, avec le leitmotiv : « il nous a fait sortir (exagō) du pays d’Égypte » (Ac 7,36.40 ; 13,17 ; He 8,9), ou une sortie de prison (Ac 5,19 ; 12,17 ; 16,37.39).

Bigre ! Comparer l’enclos des brebis à l’Égypte ou à la prison, c’est osé ! Pourtant, c’est bien cela : le Christ nous fait sortir de l’enclos-Église (de l’Église enclose sur elle-même) comme un Exode hors de l’esclavage ou comme une libération de sortie de prison. C’est peut-être qu’à être enclos sur nous-mêmes, nous risquons de devenir esclaves de nos projections idolâtriques sur Dieu, prisonniers de nos rites et de nos dogmes…
Voilà qui heurte quelque peu nos représentations du doux Jésus maintenant son Église en paix, à l’écart des autres troupeaux…

Bosch Le Portement de croixJésus sait d’expérience qu’il nous faut parfois accepter d’être chassés, expulsés de nos enclos sans nourriture vraie. Même lui a dû se laisser guider ainsi, à travers le combat des tentations au désert, à travers la sueur et le sang de Gethsémani, pour aller là où il n’aurait jamais pensé trouver de quoi nourrir son identité de fils de Dieu. « Quand ils se furent bien moqués de lui, les soldats lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements. Puis, de là, ils l’emmènent (exagō) pour le crucifier » (Mc 15,20). En le  conduisant ainsi hors de la ville, au-delà des remparts (c’est-à-dire hors de la citoyenneté romaine et de l’héritage juif), les soldats ne se doutaient pas qu’ils étaient alors le bon Berger du Messie : sur la croix, immergé dans l’humiliation, la dérision, la honte apportée par la malédiction du gibet (Dt 21,23), Jésus a découvert que c’est là que le Père le conduisait, pour communier à la solitude de ceux que tous abandonnent : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Paradoxalement, le Golgotha est devenu son pâturage, car c’est là qu’il accomplit au plus haut point la volonté de son Père : aller « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 9,10). C’est bien là son pâturage : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4,34).

Soyons donc attentifs à tous ces coups de baguette dont nous frappent les événements de la semaine, nous provoquant – pour notre plus grand bien – à quitter nos enclos de toutes sortes : « allez, ouste, dehors ! Sortez, du balai !

_______________________________

[1]. Dans les premiers siècles, on n’appelait pas messe la célébration, mais fraction du pain, repas du Seigneur (Cène), dominicum (assemblée du dimanche), eucharistie, saints mystères, divine liturgie, communion…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 14a.36-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.

PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. ou : Alléluia ! (cf. Ps 22, 1)

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes retournés vers le berger de vos âmes » (1 P 2, 20b-25)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.

ÉVANGILE
« Je suis la porte des brebis » (Jn 10, 1-10)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Patrick BRAUD

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16 avril 2023

Emmaüs : une catéchèse de cheminement

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Emmaüs : une catéchèse de cheminement

Homélie pour le 3° Dimanche de Pâques / Année A
23/04/2023

Cf. également :

Et nous qui espérions…
Le courage pascal

Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Le premier cri de l’Église
La grâce de l’hospitalité

On demande des pédagogues !
L’Éducation Nationale manque cruellement de professeurs. La faute sans doute à des salaires trop bas. Et plus encore à des conditions difficiles : une classe de trente adolescents qui ne jurent que par leurs écouteurs, leurs écrans et leurs réseaux sociaux n’est pas facile à apprivoiser. Pour peu que les élèves viennent de quartiers défavorisés, tous les handicaps se cumulent pour faire de la charge d’enseignant une mission presque impossible. Et encore, à 35 ans, un jeune prof peut s’en sortir ; mais à 60 ans et plus, cette perspective effraie la plupart d’entre eux !

L’une des sources de ce problème – que l’on retrouve d’ailleurs en catéchèse – est la difficulté d’ajuster la pédagogie scolaire aux jeunes d’aujourd’hui, dont l’attention dépasse rarement trois minutes. Être pédagogue ne s’apprend pas à l’université. C’est un savoir-être qui relève de l’intelligence du cœur plus que du diplôme. Même dans des écoles Montessori ou Freinet, on cherche des pédagogues pour mettre en œuvre des apprentissages adaptés à chacun !

Catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisseLe célèbre passage d’évangile (Lc 24,13-35) de ce dimanche est pour nous à cet égard une source d’inspiration inépuisable : le Ressuscité agit envers les deux disciples d’Emmaüs avec une telle délicatesse et méthode que nous pouvons y puiser des points de repères toujours pertinents pour notre catéchèse. Les théologiens et catéchistes qui ont fait ce travail d’actualisation ont formalisé leur travail en une belle expression : catéchèse de cheminement [1]. Et ils ont distingué 7 attitudes catéchétiques de base pour être fidèle à la pédagogie du Christ accompagnant les disciples d’Emmaüs :

1. Rejoindre, s’approcher
2. Faire route avec
3. Questionner, écouter
4. Interpréter les événements à la lumière des Écritures
5. Séjourner chez l’autre
6. Célébrer
7. Savoir s’éclipser

Commentons rapidement chacune de ces étapes, en les appliquant à nos relations avec nos collègues de travail, avec qui ce cheminement est possible et fécond.

 

1. Rejoindre, s’approcher
Emmaüs : une catéchèse de cheminement dans Communauté spirituelle
Ça n’a l’air de rien, mais le premier mouvement est d’aller vers.
Aller vers l’autre : le Ressuscité ne se délecte pas en privé de la vie retrouvée. Il ‘repère’ en quelque sorte deux disciples désabusés qui s’éloignent de Jérusalem, leur espérance déçue.
Sortir de soi pour aller vers l’autre est le premier mouvement du catéchiste. Or la plupart des paroisses se contentent de mettre des affiches et des annonces pour dire de s’inscrire au caté à la rentrée. Comment s’étonner dès lors que le taux de catéchisation soit en chute libre, autour de 10%–15% dans le meilleur des cas [1] (1% à 5% le plus souvent) ? Rejoindre les enfants là où ils vivent : c’est la mission de l’École catholique, mais aussi de l’Aumônerie de l’Enseignement Public et de la catéchèse en primaire. On devrait voir dans les cités, les immeubles, les clubs sportifs etc. des adultes partageant « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » (Vatican II, Gaudium et spes n° 1) des enfants de tous milieux et origines…

Dans le monde du travail, c’est plus évident. On est d’emblée immergé dans des relations professionnelles où l’on est proche de collègues, de clients, de fournisseurs etc. À condition de ne pas travailler en solo, le nez rivé sur son seul écran, à l’abri des cloisons de son open-space (pas si open que cela…). Se rendre proche demande de ne pas toujours être en mode compétition mais collaboration, de briser les fonctionnements ‘en silos’ (ou ‘tuyaux d’orgue’) où chacun ignore ce que fait l’autre et ne lui communique rien.

Notons le côté gratuit de cette proximité : il ne s’agit pas de proposer tout de suite quelque chose, de même que le Christ ne propose pas d’emblée aux disciples d’Emmaüs d’ouvrir les Écritures ou de célébrer l’eucharistie ! Non : il s’agit d’être là, d’être avec, d’être proche. Sans calcul, ni stratégie, ni arrière-pensée. Avoir de tels collègues à ses côtés est un trésor de réassurance, de partage, d’ambiance positive et solidaire au travail…

 

2. Faire route avec
Jésus et les disciples d’Emmaüs
C’est étymologiquement la caractéristique du pédagogue dans le monde grec. Le pédagogue était le serviteur qui allait chercher l’enfant (παῖς, paîs) pour marcher avec lui et le conduire (ἄγω, ágô) jusqu’à l’école. Marcher avec l’autre demande de régler son pas sur le sien, ni trop lent ni trop rapide.

Le Christ fait route avec ses disciples : il va partager leurs émotions, leurs souvenirs, leurs rêves brisés… Et cela dure : selon les estimations, la distance de Jérusalem à Emmaüs varie entre 10 et 30 kilomètres ! Annoncer l’Évangile demande de cheminer dans la durée, de faire route avec, jusqu’à éprouver les mêmes peines, les mêmes difficultés et épreuves de ceux vers qui nous somme envoyés. Impossible d’évangéliser ‘de l’extérieur’ : c’est en chemin que surviennent les rencontres où le Christ se partage en plénitude.

Au travail, faire route avec ses collègues demande de jouer collectif et pas perso (comme on dit au foot !), de se rendre solidaire de l’équipe, d’avancer avec elle. Le terme cheminement exprime bien ce compagnonnage patient. Au début, on n’échange que des banalités. Peu à peu, avec le temps et les événements de la vie de chacun ou de l’entreprise, on échange des confidences plus personnelles, on débat de convictions plus intimes, on partage des souvenirs ou des moments plus impliquants. Il faut parfois des années de conversation sur la météo, le match de rugby ou la dernière série de Netflix avant qu’un jour, à l’occasion d’un événement, la parole devienne personnelle, vraie, profonde. C’est le fruit du cheminement, patient et respectueux, que les pressés ne connaîtront jamais.

 

3. Questionner, écouter
Questions ouvertes et question fermées - Exemples et définition
Cheminer ainsi avec nos collègues se fait grâce au questionnement et à l’écoute. Des questions ouvertes comme celle du Christ (« de quoi discutiez-vous ? ») et non des questions fermées comme celles des journalistes (« vous discutiez sans doute de la croix… »), qui n’attendent d’ailleurs jamais la réponse complète.

Questionner est un art : sans être intrusive, la question ouverte laisse à l’autre la possibilité d’ouvrir les portes ou les fenêtres qu’il désire ouvrir, pas les vôtres. Là encore, la gratuité préside à ce type d’échange : il ne s’agit pas d’amener l’autre sournoisement sur votre terrain, mais réellement de lui laisser la possibilité de trouver les mots pour dire ce qui est important pour lui.

Écouter la réponse est tout aussi important : sans interrompre l’autre, à l’image du Ressuscité qui n’interrompt pas le long développement des disciples racontant « tout ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth ». Pourtant, Jésus aurait pu couper court à cette longue évocation, car s’il y en avait un qui était au courant, c’était bien lui ! Il voulait sans doute entendre de la bouche des deux ex-disciples comment eux l’avaient vécu, avec leurs mots, leurs émotions, leurs doutes, leurs interrogations.

Au travail comme ailleurs, il faut souvent se mordre la langue pour ne pas intervenir trop tôt, pour ne pas répliquer, pour ne pas réagir avant que l’autre ait fini de dire ce qu’il voulait dire ! Que ce soit en tête-à-tête autour de la tasse de café ou en réunion devant son chef, écouter l’autre jusqu’au bout, attentivement, en pensant à ce que lui est en train de dire et non pas à ce que je vais lui répondre, est une véritable ascèse ! C’est pourtant à ce prix que l’écoute porte du fruit. La tradition chrétienne appelle chasteté cette qualité d’écoute de l’autre pour lui-même, et non pour ce que je voudrais en faire.

 

4. Interpréter les événements à la lumière des Écritures
 catéchèse dans Communauté spirituelle
Ayant bien entendu leur souffrance, leur déception, leur espérance, le Ressuscité « partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait… ».

C’est le moment de l’annonce explicite, où le croyant se risque à abattre ses cartes, à  confesser sa foi, à s’appuyer sur les Écritures pour comprendre et déchiffrer ce qui arrive. L’enjeu est l’interprétation des événements : pourquoi tel conflit entre nous ? Comment réagir à tel plan social ? Comment relever tel défi collectif etc. ? Les conversations entre collègues abordent tôt ou tard les questions essentielles de chacun : que veut dire ce divorce, ce deuil, cette maladie, les problèmes avec les enfants etc. ?

Interpréter les événements demande au croyant de scruter les Écritures, et de partager honnêtement avec d’autres sa lecture des faits tels que l’Esprit lui l’inspire, éclairé par les textes.

 

5. Séjourner chez l’autre
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« Le Ressuscité fit semblant d’aller plus loin ». Il ne veut pas forcer les disciples à l’accueillir. Mais s’il est  invité, il accepte avec joie : « Il entra donc, pour rester avec eux ».
Entrer chez l’autre, c’est entrer dans sa culture, son histoire, sa langue, sa famille…
Rester chez lui, c’est prendre le temps, ne pas être pressé, s’imprégner de son univers avant de poser le geste sacramentel.

On dit à raison qu’on ne connaît pas vraiment un collègue tant qu’on n’a pas été chez lui, pour l’apéro, le dîner ou un match à la télé ! Tout change quand on voit les photos, les cadres, les meubles, l’arrangement de son appartement, de sa maison, et bien sûr son conjoint et ses enfants !

« Il a planté sa tente parmi nous » dira Jean du Verbe de Dieu (Jn 1) : l’incarnation est ce mouvement pour aller vers l’autre et rester chez lui.

 

6. Célébrer
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« Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ». Le geste eucharistique vient en point d’orgue de ce compagnonnage, de ce parcours sur la route où le Christ a cheminé avec ses disciples.
Avec nos collègues de travail, les occasions de célébrer ensemble seront rares. Mais il y en a : des obsèques, un baptême, un mariage, Noël etc. Notre catéchèse peut d’ailleurs s’appuyer sur ces célébrations qui sont souvent des points de départ, des sources et pas seulement des sommets.
Aller jusqu’à ce moment sacramentel est essentiel à la catéchèse de cheminement, qui autrement risque de se cantonner à un accompagnement humaniste, de valeur certes, mais tronqué.

 

7. Savoir s’éclipser
S’éclipser
« Il disparut à leurs regards » : juste au moment où enfin il aurait pu se faire adorer, vénérer, fêter, le Ressuscité prend la tangente… C’est tout le contraire de la lâcheté : le vrai pédagogue est celui qui conduit l’autre à lui-même, puis s’éclipse pour le rendre adulte et autonome. Seuls les gourous maintiennent leurs adeptes dans leur dépendance.
Le maître se réjouit que l’élève aille plus loin que lui sans lui.
Le catéchiste espère non pas que l’enfant se souvienne de lui mais qu’il grandisse dans la foi et se passe de lui. Savoir disparaître pour ne pas peser sur la liberté de l’autre est la délicatesse du bon samaritain qui donne l’argent suffisant à l’aubergiste pour s’occuper du blessé, puis disparaît sans laisser sa carte de visite. Au réveil, le blessé ne saura pas qui l’a sauvé. Du coup il aura à cœur de faire circuler cette dette d’amour en devenant à son tour le samaritain d’un autre…

Ce cheminement à travers ces 7 étapes est un processus graduel, progressif, avec des hauts et des bas.

« Il faut une conversion continuelle, permanente, qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont reçu du mystère du Christ, soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie. » (Jean-Paul II, Familiaris Consortio n° 9, 1981)

Puisse l’Esprit du Ressuscité nous inspirer une pédagogie de cheminement avec nos collègues, nos familles, et même nos ennemis !

_______________________________________

[1]. En 2016, le taux moyen d’enfants catéchisés en France, entre le CE2 et le CM2, était de 17,4 %, selon une enquête publiée par le Service national de la catéchèse et du catéchuménat. La dernière étude réalisée à ce sujet avec des critères similaires, établissait qu’en 1993, 42,1 % enfants étaient catéchisés en France. Sacrée chute !

[2] Cf. Luc Aerens, Catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisse, Ed. Lumen vitae, 2003.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Ac 2, 14.22b-33)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche :il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ;ma chair elle-même reposera dans l’espérance :tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence.
Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

PSAUME

(Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11)
R/ Tu m’apprends, Seigneur, le chemin de la vie.ou : Alléluia ! (Ps 15, 11a)

Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon cœur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

DEUXIÈME LECTURE
« Vous avez été rachetés par un sang précieux, celui d’un agneau sans tache, le Christ » (1 P 1, 17-21)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu, pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers. Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

ÉVANGILE
« Il se fit reconnaître par eux à la fraction du pain » (Lc 24, 13-35)
Alléluia. Alléluia. Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.
Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.
Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Patrick BRAUD

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9 avril 2023

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Homélie pour le 2° Dimanche de Pâques / Année A
16/04/2023

Cf. également :
Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel
Thomas, Didyme, abîme…
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?
Aimer Dieu comme on aime une vache ?

Pierre, métallurgiste spirituel
En tant que petit patron de pêche indépendant, Simon-Pierre connaît d’expérience la valeur du travail manuel. Pas de moteur à l’époque pour propulser la barque de pêche sur les eaux du lac de Tibériade, pas de treuil électrique pour relever les lourds filets pleins d’algues, de rochers et de poissons. Pas de machine pour réparer les mailles déchirées, pas de camions frigorifiques pour aller vendre au marché du Capharnaüm… Immergé dans le monde du travail, Pierre a dû observer ses collègues, et les autres artisans sur les marchés. Visiblement cela lui a donné des idées théologiques ! Ainsi dans notre deuxième lecture (1P 1,3–9), il prend l’image des fondeurs d’or qu’il a vu faire couler le métal précieux dans des moules pour bijoux ou lingots :

« Vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ ».

Pierre a entendu Jésus faire souvent la transposition du monde professionnel à la vie spirituelle. Ainsi les métiers du semeur, du berger, de la femme qui met du levain dans le pétrin ou qui balaie la terre battue de sa maison, du commerçant de perles, du gérant d’un domaine, des ouvriers embauchés à la vigne, des vignerons cupides, des banquiers faisant profiter l’argent, des juges iniques etc. Dans cet esprit, Pierre prolonge la réflexion de Jésus sur la sagesse cachée des savoir-faire de son époque.

Première invitation donc : apprenons à lire dans les savoir-faire professionnels qui nous entourent les harmoniques de l’Évangile. Apprenons à extraire du métier de l’autre les points d’appui pour une catéchèse qui lui parle, parce que c’est sa culture de tous les jours.

Ici c’est avec le processus pour obtenir de l’or purifié. Pierre se fait métallurgiste avec les métallos, du moins ceux qui savent comment passer du minerai brut à la pépite étincelante. Suivons-le dans son raisonnement, en transposant au domaine spirituel les différentes étapes de fabrication de l’or.

 

Cet or, vérifié par le feu…
Et si nos épreuves étaient d’or ? dans Communauté spirituelle mine_or-1-900x506
En pleine période de persécutions romaines et juives, et même de divisions internes, Pierre réfléchit au sens des épreuves que les premières communautés traversent. En faisant le parallèle avec le processus de transformation aurifère, il permet à ses lecteurs de comprendre deux choses :
– le but de tout cela est d’une immense valeur, comme un bijou finement ciselé d’or.
– ce qui arrive avant est un processus de transformation, individuelle et collective, pour nous ajuster à ce que nous allons devenir.

Situer le but des événements éprouvants dans un résultat final en or est une invitation à tenir bon dans l’espérance. Tout cela ne conduira pas nulle part. Il y a bien une promesse, et elle se réalisera, même si nous ne savons ni quand ni comment.

Dire ensuite que nous sommes en chemin vers ce salut en or est une autre invitation : à nous laisser transformer par ce qui nous arrive, comme le minerai brut se laisse travailler par le fondeur d’or. Dieu ne nous lâchera pas la main en cours de route sur cette voie difficile :

« L’épreuve qui vous a atteints n’a pas dépassé la mesure humaine. Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces. Mais avec l’épreuve il donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1 Co 10,13).

Suivons de plus près ces différentes étapes de ce travail sur nous-même auxquelles nos épreuves nous obligent.
Au temps de Pierre, dans le monde romain notamment, on connaît depuis Pline l’Ancien trois étapes pour transformer de la roche en poudre d’or : le concassage, le lavage et le chauffage. Ces techniques étaient attestées depuis au moins 6000 ans avant J.-C., en Mésopotamie, en Syrie etc. Pierre peut donc avoir en tête trois interprétations théologiques de ce que nous appelons « épreuves ».

 

1. Être broyé, concassé, fracturé
 épreuves dans Communauté spirituelle
Le minerai brut taillé dans une carrière ou une montagne doit d’abord être préparé avant de pouvoir extraire l’or. Cela implique généralement le concassage et le broyage de la roche pour la réduire en petits morceaux. La transposition est facile à imaginer.

Rappelez-vous : quand vous êtes-vous fracassés sur un échec retentissant ? Vous aviez construit quelque chose de solide (carrière, couple, réputation…) et voilà que cela est réduit en miettes en quelques instants ! Vous vous croyiez invulnérable, et soudain la maladie vous a broyé de douleur. Vous pensiez « avoir » la foi, et puis goutte-à-goutte le doute a fini par dissoudre vos certitudes. Vous aviez un logement, un peu d’épargne, et soudain un licenciement vint tout remettre en cause…

Soyons clair : ces catastrophes sont des catastrophes, pas des cadeaux déguisés. Elles ne viennent pas de Dieu, qui n’est pas pervers au point de susciter le malheur de ceux qu’il aime pour les forcer à se rapprocher de lui ! Non, pas plus que la tour de Siloé s’effondrant en faisant 18 victimes (Lc 13,1-5), les épreuves qui nous tombent sur la tête ne sont pas liées à notre péché, et ne viennent pas de Dieu.

Par contre, ce que nous allons en faire – avec l’aide de Dieu – dépend de nous. Le fait divers de la tour infernale de Siloé est pour Jésus une invitation à prendre conscience de l’urgence de la conversion. La préparation du minerai aurifère est pour Pierre l’invitation à réfléchir sur ce qu’opèrent en nous les épreuves qui nous broient.

Et, de fait, pensez à ce qui vous a déjà fracturé de partout, et vous verrez peut-être ce qui a volé en éclats : une trop grande confiance en soi, une difficulté à demander de l’aide, un goût trop prononcé pour le paraître etc.

Un ami qui travaille dans les Ressources Humaines me confiait : « avant d’être moi-même concerné par un plan social, j’étais dur envers ceux qui devaient partir. C’était de leur faute, à eux de rebondir, de ne pas pénaliser ceux qui restent. Maintenant que c’est mon tour, il me semble que je deviens plus humain, en voyant les choses du point de vue de ceux qui subissent… »

Si l’épreuve fait voler en éclats notre inhumanité, notre dureté du cœur, notre autosuffisance, alors bénissons-la !

 

2. Être lavé de nos impuretés
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L’orpailleur amateur secoue pendant des heures son tamis dans l’eau de la rivière pour enfin apercevoir un éclat sous la boue… Bien sûr, Pierre pense à l’eau du baptême qui nous débarrasse de toutes ces impuretés qui empêchent l’éclat divin en nous de resplendir.

Et nous pouvons penser à tous ce qui joue ce rôle purificateur pour nous en temps d’épreuve : des lectures, des paroles amicales, du silence intérieur… Après le choc et le fracas du concassage, c’est le temps du dépouillement, de la perte, du deuil assumé.
Heureuse perte qui nous lave ainsi de notre surpoids spirituel ! Pierre sait d’expérience combien c’est humiliant de se faire laver, lui qui a protesté au soir du Jeudi saint contre ce geste de Jésus. Maintenant, il voit dans les événements – même les plus éprouvants – une œuvre comparable au lavement des pieds.

À nous de déchiffrer ce que nos épreuves nous invitent à abandonner, boues et roches sans valeur auxquelles nous étions trop attachés.

 

3. Devenir des fondus de Dieu
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La troisième étape du processus aurifère est la fusion. Dans un creuset de terre ou un four à haute température, les miettes minérales changent de nature, de phase. De solides, elles deviennent liquides, libérant ainsi les différents éléments qui les composent. Des gouttelettes d’or flottent alors à la surface ; les scories peuvent être filtrées, et l’or purifié être coulé dans des moules puis séché à l’air libre.

Entrer en fusion n’est agréable pour personne… Dans le bouillonnement intérieur qui suit les deux premières étapes, nous devinons pourtant que quelque chose – ou plutôt quelqu’un – de neuf commence à apparaître. Cette fusion spirituelle peut s’opérer pendant une retraite dans un monastère, ou grâce à un accompagnement judicieux, pendant une lecture, une musique ou un spectacle, devant un paysage inspirant…

C’est par exemple l’incandescence du buisson du Sinaï qui achève le parcours de transformation de Moïse, du haut fonctionnaire égyptien au meurtrier rebelle en fuite puis finalement en libérateur de son peuple.
C’est le « mal de vivre, au creux des reins » que chantait Barbara, et qui s’en même savoir pourquoi se transforme un matin en « joie de vivre » à notre surprise.

C’est l’inquiétude du jeune et noble Charles de Foucauld faisant la fête avec alcool, argent, maîtresse et compagnie douteuse, jusqu’à ce qu’il réalise avoir faim d’autre chose.

Nous sommes ces fondus de Dieu qui ont laissé nos épreuves nous façonner pour dégager en nous l’éclat divin enseveli et obscurci sous nos succès apparents.

Puissions-nous témoigner qu’être vérifié par le feu est un chemin de naissance à soi et aux autres !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » (Ac 2, 42-47)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres.Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun.
Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.

PSAUME

(Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (Ps 117, 1)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !

Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le Seigneur m’a défendu.

Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » (1 P 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps. Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.

ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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