L'homélie du dimanche (prochain)

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3 juin 2015

Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 1 h 01 min

Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite

Fête du Corps et du Sang du Christ
Dimanche 04/06/2015 / Année B

cf. également :
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek


C’est la première 
fois que je le remarque !

Pourtant j’ai bien du lire ce texte d’évangile de Marc des dizaines de fois, mais cette semaine, en méditant ce récit, cela m’a sauté aux yeux : Jésus donne le pain en livrant immédiatement sa signification (« prenez, ceci est mon corps »), alors qu’il donne la coupe, attend qu’ils en boivent tous et après seulement leur livre la clé : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance… ». 

Petit détail, me direz-vous ! C’est vrai. Et pourtant, comme tous les détails, il fait sens.

À y réfléchir en effet, le Christ nous fait souvent faire des choses que nous ne pouvons pas comprendre sur le moment, mais qui s’éclairent après…

Pensez à telle décision professionnelle, à tel événement familial, à telle sollicitation d’un ami ou d’une association etc.

Là c’est flagrant : il est inconcevable pour un Juif de boire du sang, car le sang c’est la vie, et la vie appartient à Dieu. D’où les interdits alimentaires qui régissent encore aujourd’hui la cuisine juive casher (et la cuisine musulmane hallal également) : pas de boudin ! pas de sauce mélangeant du sang et du vin… (cf. Dt 12, 23-35). Boire du sang est « péché » comme diraient les musulmans aujourd’hui !


La 1
ère lecture du rite de l’Alliance par Moïse nous a bien décrit comment le sang devait être retiré de la victime pour en asperger l’autel et le peuple, réunis ainsi en une alliance de sang. Être aspergé avec du sang, oui, mais le boire pour un Juif, c’est inconcevable ! C’est même un blasphème : car le sang appartient à Dieu, c’est la vie qui vient de Dieu. Le boire, c’est donc affirmer que la vie de Dieu coule dans nos veines : blasphème… L’eucharistie chrétienne accomplit ce blasphème jusqu’à l’extrême : en buvant au calice, c’est la vie même de Dieu-Trinité qui coule dans nos veines, nous devenons frères de sang avec lui, nous devenons Dieu…

Le sang de l’agneau pascal, qui était étalé sur les linteaux des portes des maisons des hébreux pour l’Exode, n’est désormais plus apposé à l’extérieur, mais bien à l’intérieur, au plus intime de nous-mêmes, par l’acte de boire à la coupe : c’est cette consanguinité entre Dieu et l’homme qui est en jeu dans l’eucharistie.

Souvenons-nous que pour les romains, les chrétiens des premiers siècles étaient des païens, puisqu’ils refusaient d’adorer l’empereur et les dieux ; alors que pour les juifs ils étaient des blasphémateurs, puisqu’ils osaient affirmer la communion entre Dieu et l’homme. Les caricaturistes de Charlie Hebdo savent bien que les accusations de blasphème sont dangereuses…

Jésus est donc obligé de prendre ses disciples par surprise, pour contourner leur opposition à ce geste. « Buvez, vous comprendrez après ». Comme pour le lavement des pieds, auquel Pierre voudra s’opposer; et Jésus lui dit : « tu comprendras plus tard… »
Pour la coupe, Jésus leur donne cette explication énigmatique qui ne s’éclairera que dans sa Passion et sur la Croix :
« Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude ». D’ailleurs, pour qu’ils ne restent pas là à discuter indéfiniment de la signification de la coupe de vin de l’eucharistie, il les entraîne aussitôt vers l’eucharistie en actes qui va suivre : « après le chant d’action de grâce, ils partirent pour le mont des oliviers », c’est-à-dire vers la Passion et la mort sanglante.

 

Deux pistes pour continuer cette semaine à méditer sur ce « détail » de la coupe bue d’abord puis parlée ensuite :

- Je n’ai pas besoin de tout comprendre de l’eucharistie pour me laisser porter par elle.

Il s’agit d’abord d’une expérience : manger pour faire corps avec le Christ, boire ses paroles et sa vie. Les interprétations viendront après : l’initiation à l’eucharistie se fait plus souvent par osmose que par explication, par capillarité (les chants, l’orgue, la fraternité, le silence, la joie…) plus que par démonstration théorique. Il s’agit de se laisser saisir par la liturgie de la messe, et de laisser l’Esprit du Christ nous enivrer à travers elle. Les mots viendront après. Se laisser ainsi porter par l’eucharistie (au lieu de la supporter…) permet ensuite de se laisser porter par le Christ pour aller là où je n’aurai jamais pensé aller. À l’image des disciples étonnés découvrant qu’ils viennent de boire le sang de l’alliance, nous pouvons peut-être découvrir que telle grande joie, telle grande épreuve sont en fait les signes d’une alliance extraordinaire entre Dieu et nous.

 

- Mais il faut du temps pour cela… C’est la 2° piste: il faut que la coupe de l’Alliance nous fasse partir nous aussi vers le Mont des oliviers, sitôt la messe finie.
Autrement dit : communier au Corps et au Sang du Christ le Dimanche ne s’éclaire que dans la passion vécue avec le Christ
« pour la multitude » d’aujourd’hui.
 

Osons-nous croire assez à cette vérité permanente du mystère pascal qui est le cœur de la liturgie eucharistique et de tous les sacrements ? Dans le Christ vivant, le cœur de l’Eucharistie, c’est la victoire de l’Amour de Dieu sur le mal et la violence du monde. En sorte que « seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » (Joseph Ratzinger, le nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 17).

Rappelez-vous saint Paul, pour qui le véritable culte eucharistique est justement l’offrande de soi : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. (Rm 12,1) ».  

 

Nous étions partis du sang de la coupe et nous voici arrivés au service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel, au travail comme en famille…

Quel est le donc votre Mont des oliviers auquel votre communion eucharistique vous envoie ?

Quelle coupe accepterez-vous de boire, même sans comprendre sur l’instant, pour que l’Alliance soit vraiment offerte à la multitude ?

Ne communiez pas machinalement, surtout aujourd’hui en cette fête du Corps et du Sang du Christ. Approchez-vous du pain rompu, approchez-vous de la coupe en désirant de tout votre être ne plus vous appartenir, jusqu’à devenir ensemble une vraie nourriture et une vraie boisson pour la multitude…

 

1ère lecture : « Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Ex 24, 3-8)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances. Tout le peuple répondit d’une seule voix : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur. Il se leva de bon matin et il bâtit un autel au pied de la montagne, et il dressa douze pierres pour les douze tribus d’Israël. Puis il chargea quelques jeunes garçons parmi les fils d’Israël d’offrir des holocaustes, et d’immoler au Seigneur des taureaux en sacrifice de paix. Moïse prit la moitié du sang et le mit dans des coupes ; puis il aspergea l’autel avec le reste du sang. Il prit le livre de l’Alliance et en fit la lecture au peuple. Celui-ci répondit : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. » Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. »

Psaume : 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18

R/ J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur.
ou : Alléluia !  
(115, 13)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

2ème lecture : « Le sang du Christ purifiera notre conscience » (He 9, 11-15)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères,
le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir. Par la tente plus grande et plus parfaite, celle qui n’est pas œuvre de mains humaines et n’appartient pas à cette création, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais son propre sang. De cette manière, il a obtenu une libération définitive. S’il est vrai qu’une simple aspersion avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, sanctifie ceux qui sont souillés, leur rendant la pureté de la chair, le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. Voilà pourquoi il est le médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau : puisque sa mort a permis le rachat des transgressions commises sous le premier Testament, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis.

Séquence : « Lauda Sion » (ad libitum) ()

Sion, célèbre ton Sauveur,
chante ton chef et ton pasteur
par des hymnes et des chants.

Tant que tu peux, tu dois oser,
car il dépasse tes louanges,
tu ne peux trop le louer.

Le Pain vivant, le Pain de vie,
il est aujourd’hui proposé
comme objet de tes louanges.

Au repas sacré de la Cène,
il est bien vrai qu’il fut donné
au groupe des douze frères.

Louons-le
à voix pleine et forte,
que soit joyeuse et rayonnante
l’allégresse de nos cœurs !

C’est en effet la journée solennelle
où nous fêtons de ce banquet divin
la première institution.

À ce banquet du nouveau Roi,
la Pâque de la Loi nouvelle
met fin à la Pâque ancienne.

L’ordre ancien le cède au nouveau,
la réalité chasse l’ombre,
et la lumière, la nuit.

Ce que fit le Christ à la Cène,
il ordonna qu’en sa mémoire
nous le fassions après lui.

Instruits par son précepte saint,
nous consacrons le pain, le vin,
en victime de salut.

C’est un dogme pour les chrétiens
que le pain se change en son corps,
que le vin devient son sang.

Ce qu’on ne peut comprendre et voir,
notre foi ose l’affirmer,
hors des lois de la nature.

L’une et l’autre de ces espèces,
qui ne sont que de purs signes,
voilent un réel divin.

Sa chair nourrit, son sang abreuve,
mais le Christ tout entier demeure
sous chacune des espèces.

On le reçoit sans le briser,
le rompre ni le diviser ;
il est reçu tout entier.

Qu’un seul ou mille communient,
il se donne à l’un comme aux autres,
il nourrit sans disparaître.

Bons et mauvais le consomment,
mais pour un sort bien différent,
pour la vie ou pour la mort.

Mort des pécheurs, vie pour les justes ;
vois : ils prennent pareillement ;
quel résultat différent !

Si l’on divise les espèces,
n’hésite pas, mais souviens-toi
qu’il est présent dans un fragment
aussi bien que dans le tout.

Le signe seul est partagé,
le Christ n’est en rien divisé,
ni sa taille ni son état
n’ont en rien diminué.

* Le voici, le pain des anges,
il est le pain de l’homme en route,
le vrai pain des enfants de Dieu,
qu’on ne peut jeter aux chiens.

D’avance il fut annoncé
par Isaac en sacrifice,
par l’agneau pascal immolé,
par la manne de nos pères.

Ô bon Pasteur, notre vrai pain,
ô Jésus, aie pitié de nous,
nourris-nous et protège-nous,
fais-nous voir les biens éternels
dans la terre des vivants.

Toi qui sais tout et qui peux tout,
toi qui sur terre nous nourris,
conduis-nous au banquet du ciel
et donne-nous ton héritage,
en compagnie de tes saints.

Evangile : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » (Mc 14, 12-16.22-26)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ;
si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. » Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

 Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

 Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
Patrick BRAUD

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27 mai 2015

Trinité : Distinguer pour mieux unir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Distinguer pour mieux unir

 

cf. également

Trinité : ne faire qu’un à plusieurs

Les bonheurs de Sophie

Trinité : au commencement est la relation

La Trinité en actes : le geste de paix

La Trinité et nous

Homélie pour la fête de la Trinité /Année B
31/05/2015

 

Trinité : Distinguer pour mieux unir dans Communauté spirituelle« Distinguer pour unir »: c’est le titre d’un ouvrage du philosophe Jacques Maritain, l’un des inspirateurs du personnalisme chrétien (avec Emmanuel Mounier). Il formula ce principe pour analyser les différentes formes de science : naturelle, philosophique, théologique etc. en plaidant pour une intégration de ces degrés de la connaissance dans une science plus globale, caractérisée essentiellement par l’amour.

 

Distinguer pour mieux unir : c’est également le principe structurant de la fête de la Trinité de ce dimanche.

Il est évident que l’homme Jésus de Nazareth n’est pas identiquement superposable à Dieu, et pourtant il revendique avec lui une intimité, une intériorité mutuelle unique. « Qui m’a vu a vu le Père ». « Le Père et moi nous sommes un ».

Cette distinction du Père d’avec le Fils redouble avec le troisième sujet, qui procède de l’un et de l’autre (cf. Credo) : l’Esprit, souffle créateur du Père et mémoire vivante du Fils, parachevant son oeuvre aujourd’hui.

 communion dans Communauté spirituelleLe Père n’est pas le Fils, et le Fils n’est pas l’Esprit, et pourtant tous les trois ne font qu’un.

C’est donc qu’effectivement la distinction des trois personnes nourrit l’unité de leur  unique nature. C’est donc que ce principe de différenciation/unité est au cœur de l’identité divine trinitaire.

 

Un rapide survol biblique montre d’ailleurs que distinguer pour mieux unir est une loi vieille comme le monde :

- dès la Genèse, Dieu sépare la lumière des ténèbres, les eaux du dessus des eaux du dessous, les espèces végétales, puis animales, pour manifester dans cette explosion de vie la puissance de l’amour créateur. L’amour trinitaire engendre à son image de la différence au service de la communion.

- la création d’Adam et Ève est le climax de ce principe : tiré d’un être androgyne au départ d’après le premier récit de la création dans le livre de la Genèse, ou immédiatement en vis-à-vis d’après le second récit, l’être humain est à l’image de la Trinité : une seule nature humaine, des personnes distinctes appelées à ne faire qu’un dans l’amour.

clip_image010 distinguer- la Bible elle-même conjugue avec bonheur dans ses textes la différence et l’unité. La tradition juive comme chrétienne reconnaît en effet dans la Bible trois catégories de textes : la Torah (ou Pentateuque : Gn, Ex, Nb, Dt, Lv), les Prophètes (Isaïe, Jérémie…) et les Écrits (ou livre de Sagesse). Ces trois courants bibliques sont fort différents les uns des autres, et pourtant c’est leur convergence, leur interaction, leur cohérence qui constitue la révélation biblique. Lire la Torah sans la mettre en relation avec les critiques des prophètes, ou en oubliant ce que la sagesse apporte à la loi divise la Bible contre elle-même. Comme me disait mon professeur d’exégèse : ‘dans ce livre, le plus important c’est la reliure, parce qu’elle tient le tout ensemble…’

 

- le principe (trinitaire) de différenciation/unité joue encore pour beaucoup d’autres réalités :

* les 12 tribus, avec un rôle spécifique pour la tribu de Lévi, qui forment l’unique peuple d’Israël.

* les 12 apôtres, avec un rôle spécifique pour Pierre, qui forment un seul collège apostolique. En plus, ce qui est accordé à Pierre individuellement l’est aussi aux 12 et à l’Église collectivement. « Tout ce que tu auras lié / délié sur la terre sera lié / délié dans le ciel » (Mt 16,19)… « Tout ce que vous aurez lié / délié… » (Mt 18,18).

* Dieu et César.
La question de l’impôt donne à Jésus l’occasion de fonder la célèbre distinction entre spirituel et temporel :« rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». La laïcité française, qui a ses racines ici, ne doit pas oublier que cette distinction n’est pas faite pour opposer ni séparer, mais pour articuler des domaines de responsabilité distincte.

 

* « Sans séparation ni confusion ».

 MaritainLes premiers conciles ont débattu avec passion de l’identité de Jésus : est-il vraiment homme ? Est-il vraiment Dieu ? La réponse, subtile et nuancée, des pères conciliaires s’inspire également du principe trinitaire : distinguer pour mieux unir. Ils  distinguent en Jésus de Nazareth deux ‘natures’, divine et humaine, assumées en une seule personne, sans séparation ni confusion. Cette formule conciliaire qui s’applique d’abord aux Christ vaut par extension pour toutes les réalités humaines appelées à être divinisées par lui, avec lui et en lui.

 

* Devenir époux, sans séparation ni confusion entre les deux êtres ni les deux rôles, est l’affaire de toute une vie de couple.

Assumer et son rôle d’époux et son rôle de parent, sans confondre ces deux responsabilités ni les séparer, redouble l’ambition du défi amoureux. Être trop amant et pas assez père, ou au contraire trop mère et pas assez amante (et réciproquement !) fait partie des tâtonnements inévitables d’une relation qui grandit en intégrant ces vocations sans les confondre ni les opposer.

 

* Vie privée / vie professionnelle

C’est vrai encore de la vie privée et de la vie professionnelle, qu’on désire mener de front sans que l’une absorbe l’autre, sans qu’elles deviennent contradictoires non  plus.

 

* C’est également la même tension qui unit l’action et la contemplation, dans tous les combats qui sont les nôtres.

 

* C’est vrai de la foi et la religion dans leurs dimensions intérieure et institutionnelle : des théologiens protestants comme Karl Barth ou Rudolph Bultmann ont utilement distingué foi et religion, jusqu’à durcir cette différence en opposition irréductible. Des théologiens catholiques comme Urs von Balthasar ont cherché à concilier les deux pour ne pas ruiner l’unité de l’homme croyant.

 

 Trinité* Distinguer le politique et le religieux a été la grande affaire des 20 premiers siècles du christianisme. Les unir sera le défi de ce siècle. Saint Augustin, devant le spectacle de l’empire romain s’effondrant sous les invasions barbares, a posé les bases de la distinction entre Cité de Dieu et Cité des hommes, distinction qui a eu une postérité étonnante dans la société moderne. Ces deux cités dialoguent toujours fortement entre elles (mais dans d’autres pays que la France à vrai dire) à la recherche d’une unité supérieure.

 

On pourrait continuer longtemps cette énumération des réalités humaines structurées selon le principe trinitaire de distinction/unité.
En termes savants, on pourrait dire que la révélation d’un Dieu trinitaire devient une clé anthropologique, qui nous aide à déchiffrer qui est l’homme. Créés à l’image de Dieu Trinité, chacun et ensemble, nous sommes appelés à distinguer pour mieux unir. Nous sommes faits pour apprivoiser nos différences, sans séparation ni confusion (sans communautarisme ni assimilation forcée, sans jalousie ni indifférence, sans rivalité ni juxtaposition…).

 

Relisons alors les responsabilités qui sont les nôtres :

Qu’ai-je tendance à séparer plutôt qu’à unir ?

Quelle distinction ai-je du mal à faire et à respecter sous couvert d’une unité trop rapide ?

 

 

 

1ère lecture : « C’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre » (Dt 4, 32-34.39-40)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »  

Psaume : 32 (33), 4-5, 6.9, 18-19, 20.22

R/ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. (32, 12a)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffle de sa bouche.
Il parla, et ce qu’il dit exista ;
il commanda, et ce qu’il dit survint.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

2ème lecture : « Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; en lui nous crions “Abba !”, Père ! » (Rm 8, 14-17)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.

Evangile : « Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 16-20)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient !
Alléluia. (cf. Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

 

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1 avril 2015

Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 17 h 40 min

La vilaine mort du Christ

Homélie pour le Vendredi Saint 2015
cf. également :

Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Comment mourir ?
La tragédie du crash de l’Airbus A320 dans les Alpes du Sud a mis en évidence la préoccupation majeure des médias : comment sont morts les 140 passagers du vol ? Ont-ils réalisé ce qui se passait pendant ces huit minutes infernales de descente en vol plané ? Étaient-ils conscients ou inconscients (cf. l’hypothèse de la dépressurisation) ? Ont-ils souffert lors de l’impact de l’avion s’écrasant contre la montagne ?

La question des derniers moments avant de mourir est devenue la plus importante. Peu importe ce qu’il y a après ou non, l’attention médiatique se concentre sur le comment mourir, sans lien avec l’après.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Pensez aux catastrophes autrement plus effrayantes (quantitativement) qui ont décimé nos pays : la grande peste a rayé un tiers de la population de la carte d’Occident, les guerres, épidémies et famines en tous genres ont fait le reste, si bien que le continent était sous-peuplé, et l’espérance de vie limitée à 40 ans environ jusqu’au XIXe siècle. Devant la mort omniprésente, l’Occident a développé l’art de bien mourir (ars moriendi), mais pas du tout à la manière d’aujourd’hui. Bien mourir, ce n’était pas bien vivre ses derniers instants, c’était bien préparer l’éternité qui allait commencer.

Pensez aux danses macabres, aux derniers sacrements, à l’immense (et sublime !) fresque des hospices de Beaune sur le jugement dernier pour nourrir la méditation des agonisants…

Bref, depuis le XIXe siècle, l’Occident est obsédé par le juste avant la mort, alors qu’auparavant c’était  le juste après qui était le plus important.

La première contestation chrétienne de l’air du temps s’inscrit ici, dans cette inversion des perspectives : l’après mort est infiniment plus intéressant (et plus long !) que la phase de départ de ce monde.

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Fresque des hospices de Beaune sur le jugement dernier 

Mais bon ! Regardons quand même à la lumière de ce Vendredi Saint ce que la Passion du Christ nous dit sur le comment mourir, puisque c’est cela qui fascine nos contemporains.

Une deuxième contestation chrétienne surgit alors de la lecture de la Passion : la mort du Christ ne ressemble en rien aux canons de beauté, de dignité et de sérénité qu’on voudrait nous imposer.

Passons en revue ses canons d’une belle mort aux yeux de notre culture actuelle.

 

Une mort sereine
Si un malade ressent de l’angoisse en phase terminale, psychologues et psychotropes sont convoqués pour l’aider à surmonter son mal être. Si le sommeil s’en va, les médicaments nous en donneront un  artificiel de substitution. Si la souffrance est insupportable, les sédatifs l’endormiront, quitte à nous plonger dans une inconscience peu à peu fatale.

Nous rêvons finalement d’une fin de vie paisible, sans débat intérieur.

Jésus sur la croix, lui, n’est guère serein. À Gethsémani, il a déjà sué du sang et de l’eau à l’approche de cette horrible mort. Suspendu au gibet, il pousse un grand cri d’angoisse au moment ultime. Visiblement, il ne s’est pas endormi à la manière sereine d’un patriarche ayant dit adieu aux siens.

C’était pour que tous ceux qui sont étreints par l’angoisse à l’approche de leur mort puissent se tourner vers lui, y reconnaître leur frère en humanité, et glisser leur cri dans le sien.

 

Une mort glorieuse
Lorsqu’un soldat meurt au combat ou en opérations extérieures (opex) comme en Afghanistan ou au Mali, il en sort auréolé d’une gloire nationale aux yeux de la société. On dit qu’il est tombé au « champ d’honneur », et cet honneur rejaillit sur sa famille. On le décore à titre posthume de la Légion d’honneur. On en fait une figure héroïque (même si la raison de sa mort est d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment).

Bref, nous pouvons rêver d’une mort glorieuse, civile ou militaire, qui nous valoriserait aux yeux des nôtres.

Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ dans Communauté spirituelle 15Rien de tel dans la crucifixion. C’est une mort infamante, réservée aux esclaves, au humiliores de l’empire romain, c’est-à-dire aux moins que rien. Il n’y a rien de glorieux dans la mort de Jésus. C’est une mort de paria.

 

Une mort accompagnée
Mourir seul effraie la plupart d’entre nous. Nous désirons à juste titre une main à serrer, une voix qui rassure, une écoute qui permet de se livrer. Nous avons mis en place des soins palliatifs justement pour réaliser cet accompagnement humain et humanisant jusqu’au bout. C’est ce que Marie de Hennezel appelle avec délicatesse la « mort intime », parce que dans cet accompagnement la parole dénoue l’angoisse, l’affection soutient le combat intérieur, l’intime est partagé et donc moins lourd.

__eli__eli__lama_sabachthani____by_hippyemo52-d2yvk8h Christ dans Communauté spirituelleSur la croix, le Christ ressent une terrible solitude. Même si sa mère et Jean sont là, ils ne peuvent l’aider. Et surtout, la déréliction de ce condamné est totale. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Le Christ n’est pas accompagné, mais abandonné par celui qui est le plus intime de son être : Dieu son Père. Pire encore, le bois de la croix n’évoque pas la mort d’un héros, mais d’un maudit de Dieu. Car une vieille malédiction juive est attachée à cette peine déjà humiliante et infamante : « maudit soit celui qui pend au gibet ». Suspendu au bois, Jésus devient un maudit. Sur la croix, Dieu est abandonné de Dieu !

C’était pour que tous ceux qui ressentent cette effroyable solitude au moment de mourir, abandonnés des hommes et de Dieu, puissent tourner vers le Christ et glisser leur déréliction dans la sienne.


Une mort dans la dignité
À juste titre, le débat pour des lois sur la fin de vie va occuper nos parlementaires pendant des années encore. Le but est de permettre à chacun de partir dignement : à la demande du malade, euthanasie ou suicide assisté. Nous voulons rester dignes et en pleine possession de nous-mêmes jusqu’au bout.

Kim_Crucifixion_500 croixMais le supplice de la crucifixion n’a rien de digne. Il a été précédé pour Jésus d’une séance de fouet et de couronnes d’épines et de dérision qui l’ont rabaissé, physiquement et moralement, au rang d’un ver de terre avec qui l’on joue avant de l’écraser. Le crucifié n’a rien de superbe. Dépouillé de ses vêtements, exposés à la moquerie de la foule, ensanglanté et meurtri de toutes parts, la mort du Christ est indigne, déshumanisante, dégradante.

C’était pour que tous ceux que la souffrance, ou la haine des hommes, défigure avant que d’être tués glissent leur indignité dans la sienne, dans l’attente de la transfiguration promise.

 

Une mort choisie
La revendication deviendra de plus en plus forte : choisir le moment de son départ, et la manière de le faire. Ne pas subir les diktats de la maladie ou de la vieillesse (penser à la maladie d’Alzheimer) relèvent de la dignité nouvelle fasse à la mort.

25_VERTUS_CHRIST_AUX_LIENS_XVI crucifixionLe Christ n’a pas choisi la crucifixion. Des passages des évangiles attestent qu’il envisageait d’être lapidé, comme les prophètes d’autrefois. Mais jamais il n’aurait pensé à la croix, cet infamant et dégradant supplice romain, source de malheur absolu pour un juif. Il n’a pas choisi de mourir ni encore moins de mourir de cette façon-là : il a dû combattre à Gethsémani pour accepter que sa mission aille jusque là, jusqu’à faire corps avec les damnés de la terre.

C’était pour que tous ceux à qui on impose une fin atroce, inhumaine, dégradante, puissent se tourner vers lui et vivre cette mort imposée dans l’espérance que Dieu s’imposera plus encore, après.

 

Une mort subite
« Il en a eu la chance : il ne s’est pas vu partir ». « Il est mort dans son sommeil », ou « en un clin d’oeil à cause de l’infarctus ».

C’est cela la belle mort actuelle : celle qu’on ne voit pas venir, qui nous prend par surprise sans qu’on ait conscience. Une non-mort en quelque sorte, puisqu’elle passe inaperçue aux yeux de celui qui est frappé.
La mort du Christ n’a rien d’instantané. Le supplice de la croix est prévu pour être long, plusieurs jours suspendu jusqu’à ce que l’asphyxie fasse son oeuvre. Seul l’état d’exténuation physique de Jésus explique qu’il soit mort aussi vite, en quelques heures ce vendredi, alors qu’on était obligé de briser les jambes des autres condamnés pour qu’enfin ils ne puissent plus s’appuyer sur elle pour respirer.

C’était pour que tous ceux qu’une longue agonie torture en leur chair et esprit puissent se tourner vers Jésus, et trouvent en lui la force de tenir bon au-delà du supportable, parce que Dieu s’engage pour un infini à nul autre pareil.


Une mort utile
Le don d’organes, l’expérimentation de nouveaux traitements, mais aussi une présence irradiante qui fait du bien à toute la famille jusqu’au bout et après : il y a beaucoup de manières de rendre utile aux autres la cessation de notre vie organique. Jusqu’au don de soi dans le martyre en se sacrifiant pour sauver d’autres vies, ou pour proclamer sa foi au milieu de la persécution.

En ce sens, la mort de Jésus est sans aucun doute la mort utile par excellence, puisque de ce mal absolu va sortir une espérance bien plus absolue.« Par ses blessures nous sommes guéris ». « En sa mort nous trouvons la source de la vie ».

L’utilité de la mort du Christ nous appelle à faire de même si possible : transformer nos derniers instants en source d’amour, de don de soi et de partage à ceux qui restent.


La vilaine mort de Jésus de Nazareth
Vous voyez : ce rapide parcours — non exhaustif — des canons actuels d’une belle mort font apparaître celle du Christ comme une mort vilaine.

La mort de Jésus n’est pas sereine mais angoissée.
La crucifixion n’a rien de glorieux : elle est infamante.
Jésus agonise seul, abandonné de Dieu et les hommes, pas accompagné.
C’est une mort indigne, dégradante.
On lui a imposé, il ne l’a pas choisie.
Loin d’être une fin rapide, cela a été long et douloureux.
Par contre, c’est la mort la plus utile que l’humanité connaîtra jamais…

Tout cela s’est déroulé ainsi pour que nul être humain ne désespère désormais de sa propre mort, quelques soient les conditions, même plus atroces encore, dans lesquelles il devra la traverser.

resurrection2007 mort 

En ce Vendredi Saint, Christ est descendu aux enfers, dans les enfers de nos angoisses, de nos solitudes, de nos indignités, de nos souffrances interminables.

C’était pour saisir chacun de nous par le poignet fermement et ainsi le faire remonter avec lui dans la transfiguration de Pâques.

Puissions nous regarder autrement nos crucifix, comme le signe de cette formidable solidarité de Dieu  avec notre humanité, jusque dans notre mort.

 

 

Célébration de la Passion du Seigneur

1ère lecture : « C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé »(Is 52, 13 – 53, 12)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ;
il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler

Qui aurait cru ce que nous avons entendu ?
Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous

Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira

Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Psaume : 30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25

R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit. (cf. Lc 23, 46)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ; garde-moi d’être humilié pour toujours.

En tes mains je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires et même de mes voisins ;

je fais peur à mes amis, s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.

On m’ignore comme un mort oublié, comme une chose qu’on jette.

J’entends les calomnies de la foule : ils s’accordent pour m’ôter la vie.

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur, je dis : « Tu es mon Dieu ! »

Mes jours sont dans ta main : délivre-moi des mains hostiles qui s’acharnent.

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ; sauve-moi par ton amour.

Soyez forts, prenez courage, vous tous qui espérez le Seigneur !

2ème lecture : Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

 Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

Evangile : Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)

Acclamation :
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)

La Passionde notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean

Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants : = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. »

Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe.

Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta.

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit.

Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient.

Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié.

Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »

L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats.

Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.)

Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD

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25 février 2015

Le sacrifice interdit

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Le sacrifice interdit


Homélie du 2° dimanche de Carême / Année B
01/03/2015

Dieu serait-il pervers ?
On pourrait le croire à une lecture trop rapide du 1er texte d’aujourd’hui : « sacrifie pour moi celui que tu aimes » semble dire Dieu à Abraham dans la traduction  approximative qui nous est proposée.

Quel est le père qui pourrait entendre cela sans broncher ?

Dieu demanderait-il des sacrifices humains ?

Est-il assez pervers, soit pour pousser Abraham vers le désespoir, soit pour demander un meurtre, et le meurtre d’un fils ?

Cette fausse lecture d’un Dieu pervers qui s’amuserait à mettre Abraham à l’épreuve a produit la révolte de générations d’athées, refusant à juste titre cette fausse image d’un Dieu qui dévore ses enfants, comme l’ogre des contes d’enfants dévore ceux qui s’approchent de lui…

Or Dieu est Père, il n’est pas pervers.

(cf. Maurice Bellet : le Dieu pervers, DDB, 1998)

Comment sortir de cette fausse et dangereuse interprétation ?

LE SACRIFICE INTERDITEn faisant attention au texte (cf. Marie Balmary : le sacrifice interdit, Grasset, 1989 et le moine et la psychanalyste, Albin Michel, 2005).

En effet, le texte dit littéralement à Abraham : « prends ton fils unique, élève-le en élévation », et on pas « offre-le en sacrifice ». Chouraqui traduit en hébreu : « fais-le monter en montée ». Évidemment, c’est moins clair, et Abraham fait comme nous : il croit entendre dans l’appel à faire « monter » son fils un appel au meurtre, un appel au sacrifice humain, comme les dieux païens Moloch l’exigeaient autour de lui dans les religions païennes.

Du coup il fait jouer à Dieu un rôle pervers en lui attribuant une volonté qu’il n’a jamais exprimée. Il interprète : « sacrifie ton fils » là où Dieu lui disait : « élève-le ».

Il entend : « immole », là où on lui demandait de « faire monter » son fils.

Il croit qu’il faut égorger celui qu’il aime alors qu’il faut l’élever.

Cela nous arrive à nous aussi de nous tromper dans l’interprétation de la Parole de Dieu, et du coup de l’affubler de nos projections infantiles ou perverses. Pensez aux djihadistes qui se font exploser pour tuer des ennemis au nom d’Allah. Pensez aux jansénistes qui croyaient que Dieu demande l’austérité et la répression de la chair.

Pensez à toutes les caricatures du visage de Dieu que nous autres croyants nous véhiculons parfois, plus violentes encore que les caricatures du Canard Enchaîné ou de Charlie Hebdo…

Pensez au Dieu vengeur, au Père Fouettard, au Dieu justicier… qui punit et prend plaisir à faire souffrir…

 

Les noms de Dieu
Un indice de cette 1° erreur d’Abraham, c’est le double nom de Dieu dans le texte.
La 1° fois, quand Abraham croit qu’il faut tuer par obéissance, il croit entendre cela en direct de la bouche d’Elohims, nom hébreu qui est au pluriel, et qui évoque les idoles, les faux dieux des polythéismes ambiants.
La 2
° fois, c’est non pas Elohims mais le Messager de YHWH, qui crie vers lui pour arrêter le meurtre.
Non plus Dieu soi-disant en direct, mais une médiation, un ange : un messager. Non plus un Dieu pluriel, mais YHWH, les 4 lettres imprononçables pour un Juif, le tétragramme, qui interdit de mettre la main sur Dieu (justement parce que son nom est imprononçable) qui interdit d’interpréter sa volonté selon nos fantasmes, nos peurs païennes, nos caricatures sur Dieu.

Ce changement de nom sur Dieu est le signe du changement qui s’opère chez Abraham : il sort de l’idolâtrie et découvre le Tout Autre ; il quitte les faux dieux qui veulent la mort et se tourne vers le Dieu Père qui veut la vie.
Sa foi se purifie pour ne plus obéir à un Dieu imaginaire, mais au vrai Dieu qui était à la source de son amour pour son fils.

 

Du sacrifice d’un autre à l’offrande de soi 

Le sacrifice interdit dans Communauté spirituelle sacrificeofisaacUn commentateur juif du Moyen Age, le célèbre Rachi, avait déjà commenté ce texte dans le sens de l’offrande et non de l’holocauste.

« Le texte dit littéralement : Fais-le monter.
Dieu ne lui dit pas : immole-le. Le Saint, béni soit-il !, ne voulait nullement cela, mais seulement le faire MONTER sur la montagne pour donner à la personne d’Isaac le caractère d’une offrande à Dieu.
Et une fois qu’il l’aura fait MONTER, il lui dit : « Fais-le redescendre ».

Vous comprenez alors pourquoi l’Esprit pousse Jésus à monter sur la montagne du mont Thabor ! Jésus désire que sa vie soit une offrande d’amour à son Père, et ce désir d’offrande le transfigure d’une beauté éblouissante.

Vous comprenez pourquoi dans la messe on parle de la procession de présentation des offrandes ; et pourquoi le but de la messe est de faire de nous « une vivante offrande à la louange de la gloire du Père » (Prière eucharistique n°4), grâce au Christ qui le premier est monté sur la montagne, mieux encore qu’Isaac, mieux encore qu’Abraham, si lent à comprendre que Dieu ne désire pas un sacrifice qui mutile, mais l’offrande qui élève.

Le chemin de Carême est alors celui de la purification de notre foi.
Croire, ce n’est pas se soumettre aveuglément à un Dieu pervers qui nous enverrait des épreuves, c’est laisser le Christ nous unir à lui dans l’offrande d’amour qu’il fait de sa vie à son Père.
Ça change tout…

En montant au Thabor, comme Isaac est élevé lors de la montée du mont Moriah, Jésus révèle la vraie beauté de l’être humain.
La bouleversante beauté qui transfigure son visage, notre visage, ne vient pas du sacrifice, mais de l’offrande.
Bonne Nouvelle : Dieu ne veut pas d’automutilation, mais la beauté de ses enfants !
Il n’exige pas de sacrifice humain, mais invite au libre dessaisissement de soi par amour.

C’est un bélier qui va se substituer à Isaac : un adulte animal est sacrifié à la place de l’enfant humain. C’est comme si Abraham devait tuer en lui le père possessif pour laisser son enfant être élevé plus haut que lui…

 

Dieu est Père, pas pervers !
Que ce Carême purifie nos fausses images idolâtriques de Dieu !

 

 

1ère lecture : Dieu met Abraham à l’épreuve, et lui renouvelle ses promesses (Gn 22, 1-2.9a.10-13.15-18)

Lecture du livre de la Genèse
Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! »
Dieu dit : « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que je t’indiquerai. »
Quand ils furent arrivés à l’endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils.
Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! »
L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur l’enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique. »
Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s’était pris les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
Du ciel l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham :
« Je le jure par moi-même, déclare le Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance tiendra les places fortes de ses ennemis.
Puisque tu m’as obéi, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »

Psaume : Ps 115, 10.15, 16ac-17, 18-19
R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants

Je crois, et je parlerai,
moi qui ai beaucoup souffert.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, 
moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple, 
à l’entrée de la maison du Seigneur,
au milieu de Jérusalem !

2ème lecture : Le sacrifice du Fils (Rm 8, 31-34)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
Il n’a pas refusé son propre Fils, il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ?
Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? puisque c’est Dieu qui justifie.
Qui pourra condamner ? puisque Jésus Christ est mort ; plus encore : il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous.

Evangile : La Transfiguration (Mc 9, 2-10)
Acclamation :
 Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père à retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
Élie leur apparut avec Moïse, et ils s’entretenaient avec Jésus.
Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. »
Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
En descendant de la montagne, Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ». 
Patrick Braud

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