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9 août 2020

Marie et le drapeau européen

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marie et le drapeau européen

Homélie pour la fête de l’Assomption de la Vierge Marie / Année A
15/08/2020

Cf. également :

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Le clash de Mélenchon

Vous souvenez-vous du clash de Jean-Luc Mélenchon peu après l’élection présidentielle de 2017 ? Il voulait retirer la bannière bleue à douze étoiles de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale au motif qu’il s’agirait d’un « symbole confessionnel ». Le chef de file de La France Insoumise avait déposé, avec les autres députés de son parti, un amendement, rejeté mercredi 11 octobre 2017 par les députés, visant à retirer le drapeau européen de l’Assemblée Nationale, pour le remplacer par celui de l’Organisation des Nations Unies. Pour sanctuariser sa présence, le président Emmanuel Macron souhaite au contraire reconnaître officiellement le drapeau européen, présent dans l’Hémicycle depuis 2008. Jean-Luc Mélenchon s’est indigné de cette annonce, en publiant un communiqué dans lequel il explique son rejet de cet « emblème européen confessionnel », contraire à la laïcité française selon lui :

« Monsieur le Président, vous n’avez pas le droit d’imposer à la France un emblème européen confessionnel. Il n’est pas le sien et la France a voté contre son adoption sans ambiguïté.
Je rappelle que notre opposition à cet emblème ne tient pas au fait qu’il prétend être celui de l’Europe, mais parce qu’il exprime une vision confessionnelle de l’Union, et cela à l’heure où plus que jamais religion et politique doivent être séparées.
Le refus du traité constitutionnel de 2005, dans lequel cet emblème était proposé, vaut décision du peuple français sur le sujet. »

La première lecture de la fête de l’Assomption (Ap 11,19-12,10) est en effet ce passage grandiose de l’Apocalypse où l’on voit une femme enceinte, couronnée de 12 étoiles, être emmenée au désert pour que son fils à naître échappe au dragon cherchant à le dévorer dès sa naissance :

« Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. […] L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place ».

Bien sûr, la femme fait immédiatement penser à Marie, sa place préparée par Dieu au désert fait penser à son Assomption, sa couronne d’étoiles au couronnement de la Vierge si souvent peint et sculpté, la lune-piédestal et le soleil-manteau à son rôle cosmique de Vierge-Mère.

Y aurait-il un lien entre l’Apocalypse et le drapeau européen, entre l’Assomption et le projet politique des 27 pays adhérents à l’Union Européenne ?
Oui dans la pensée de son concepteur. Non dans les commentaires officiels qu’en donnent les organisations européennes.

 

L’inspiration mariale d’Arsène Heitz

Le drapeau européen a été créé en 1955, à l’origine pour symboliser non pas l’Union européenne, ni même son ancêtre la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), mais bien le Conseil de l’Europe, une modeste organisation de défense des droits de l’homme et de la culture.
Plusieurs projets de drapeaux sont proposés et successivement rejetés, expliquait en 1985  Robert Bichet, président du comité ad hoc pour un emblème européen :

•   un grand « E » vert sur fond blanc, symbole du Mouvement européen, dont l’esthétique a été critiquée (il était comparé à « un caleçon qui sèche sur un pré ») ;
•   un cercle doré barré d’une croix, sur fond bleu : proposition que les Français et les Turcs (membres du Conseil de l’Europe) ont refusée en raison justement du symbole religieux ;
•   des constellations d’étoiles, complexes à reproduire, ou une quinzaine d’étoiles en cercle, représentant le nombre de membres du Conseil à l’époque – mais les Allemands ne souhaitaient pas que la Sarre y soit comptée comme un État membre.

Finalement, le projet retenu reprend un cercle d’étoiles sur un fond azur. Pas 15 ni 14 étoiles (à cause la Sarre), pas 13 étoiles (nombre maudit…), mais 12, nombre qui parle à tous. Le fonctionnaire européen qui a dessiné le drapeau, Arsène Heitz, était un fervent catholique. Il a raconté bien plus tard qu’il avait tiré son inspiration de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie, qui la représente entourée de douze étoiles d’or. Heitz se disait « très fier que le drapeau de l’Europe soit celui de Notre-Dame ».

[image]

 

La médaille miraculeuse de la Rue du Bac

Médaille Miraculeuse enversLe 27 novembre 1830, en fin d’après-midi, alors que la jeune religieuse Catherine Labouré prie dans la chapelle de la rue du Bac à Paris, elle voit se dessiner deux tableaux au-dessus de l’autel. Sur le second tableau (qui sera le verso de la médaille), Catherine voit apparaître le « M » de Marie, entrelacé avec la croix de Jésus, comme pour rappeler le lien indéfectible qui les unit. Autour, sont dessinées les douze étoiles de la « Reine du ciel ». Deux cœurs se tiennent côte à côte. À gauche, celui de Jésus reconnaissable à la couronne d’épines qui l’entoure. Sur sa droite, un cœur transpercé par un glaive, comme pour représenter la douleur d’une mère voyant son enfant souffrir. C’est le cœur de Marie.

En février 1832 éclate à Paris une terrible épidémie de choléra, qui fera plus de 20 000 morts. En juin, les premières médailles réalisées par l’orfèvre Vachette sont distribuées par les Filles de la Charité. Aussitôt guérisons, conversions, protections se multiplient. C’est un raz-de-marée. Le peuple de Paris appelle la médaille de l’Immaculée la « médaille miraculeuse ».

 

Heitz ou Lévy ?

Marie et le drapeau européen dans Communauté spirituelle 440px-EU_Flag_specification.svgAgent au service du courrier du Conseil de l’Europe, Arsène Heitz prend le projet très au sérieux. De 1952 à 1955, il dessine plusieurs croquis différents. L’un d’entre eux représente un rectangle bleu uni, orné d’un cercle de quinze étoiles, dont une en son centre. Le drapeau plaît au directeur de la presse du Conseil, Paul Michel Gabriel Lévy, et au rapporteur Robert Bichet. Mais le nombre d’étoiles est ramené de quinze à douze: le Conseil de l’Europe compte bien quinze membres à cette période, mais à cause du statut  problématique de la Sarre d’après-guerre, à cause du nombre de pays pouvant être amené à varier, on lui préfère le douze. En 1955, le drapeau définitif est adopté à l’unanimité par l’Assemblée parlementaire. Depuis 1986, il est la bannière de la totalité des institutions européennes.

Par un clin d’œil de l’histoire, hasard de l’agenda, le texte portant adoption du drapeau a été voté un jour avant le calendrier officiel qui prévoyait de le faire le 9 décembre 1955 : c’est donc un 8 décembre que l’Europe s’est dotée du cercle de 12 étoiles d’or sur fond bleu… soit le jour même de la fête de l’Immaculée Conception, si liée à la médaille de la rue du Bac et à son invocation : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous » ! ! !

Pour les dirigeants chrétiens-démocrates à l’origine de la construction européenne (Conrad Adenauer, Robert Schuman, Alcide De Gasperi…), cette inspiration mariale, explicite ou cachée, ne pose pas problème… Mais cette inspiration est totalement absente de la genèse du drapeau telle que décrite par le rapporteur Robert Bichet en 1985, et est démentie dès 1998 par Paul Michel Gabriel Lévy chargé du projet, qui revendique la réduction de quinze à douze étoiles sur fond d’argumentation politique. Il affirme que la ressemblance avec la couronne de Marie n’est qu’une coïncidence qui lui a été indiquée postérieurement à la décision. Elle ne rend pas compte non plus de pourquoi la première soumission de la commission en 1953 avait quinze étoiles. Selon Paul Collowald, témoin de l’avancement du projet auprès de Paul Lévy, Arsène Heitz ne saurait revendiquer la conception car sa participation relève d’un simple concours technique dans l’ultime phase de présentation au Conseil.

Dans le texte de l’Apocalypse, les 12 étoiles symbolisent sans doute les 12 apôtres, et accomplissent les 12 tribus d’Israël. Sur le drapeau européen, on pourrait y voir une allusion aux racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Mais ce ne sont pas des étoiles de David, car elles n’ont que cinq branches. Dans le texte de l’Apocalypse, le nombre 12 renvoie plutôt à l’Église, nouvel Israël, image de la Jérusalem céleste ayant 12 portes pour accueillir tous les peuples de l’univers.

Les 12 étoiles disposées en couronne sont devenues le thème classique du couronnement de la Vierge dans l’art occidental à partir du XII° siècle.

La couleur or des étoiles peut faire penser au soleil qui sert de manteau à la femme de l’Apocalypse, mais également à l’or royal des empires et royaumes qui ont marqué l’histoire européenne.

Le bleu est pour nous actuellement la couleur mariale par excellence. Pas une statue de la vierge qui n’ait une touche de bleu ! Bernadette Soubirous à Lourdes en 1858 décrira la Dame de ses apparitions portant une belle ceinture bleue. Pourtant il n’en fut pas toujours ainsi. Cherchez le mot bleu dans la Bible tout entière : il n’y est jamais mentionné ! Ni comme adjectif, ni comme substantif. Associer Marie à la couleur bleue est donc une invention tardive.

 

Le bleu marial

assumption.png« Marie n’a pas toujours été habillée de bleu. Il faut même attendre le XII° siècle pour que dans la peinture occidentale elle soit prioritairement associée à cette couleur. [...]

Auparavant, dans les images, Marie peut être vêtue de n’importe quelle couleur mais il s’agit presque toujours d’une couleur sombre : noir, gris, brun, violet ou vert foncé. L’idée qui domine est celle d’une couleur d’affliction, une couleur de deuil. [...]

C’est aux alentours de 1140 que les maîtres-verriers mettent au point le célèbre « bleu de Saint-Denis », lié à la reconstruction de l’église abbatiale. Ce bleu verrier exprime une conception nouvelle du ciel et de la lumière [...] Plus tard encore, dans les premières décennies du XIII° siècle, quelques grands personnages, à l’imitation de la reine du ciel, se mettent à porter des vêtements bleus, ce qui aurait été impensable deux ou trois générations plus tôt. Saint Louis est le premier roi de France qui le fasse régulièrement.

[...] Avec l’art baroque, une mode nouvelle se met progressivement en place : celle des vierges d’or, ou dorées, couleur passant pour celle de la lumière divine. Cette mode triomphe au XVIII° siècle et se maintient fort avant dans le XIXe. Cependant, à partir du dogme de l’Immaculée Conception – selon lequel, Marie, dès le premier instant de sa conception, par un privilège unique de Dieu a été préservée de la souillure du péché originel -, dogme définitivement reconnu par le pape Pie IX en 1854, la couleur iconographique de la Vierge devient le blanc, symbole de pureté et de virginité. Dès lors, pour la première fois depuis les temps les plus anciens du christianisme, la couleur iconographique de Marie et sa couleur liturgique sont enfin identiques : le blanc. Dans la liturgie en effet, depuis le V° siècle pour certains diocèses et depuis le pontificat d’Innocent III (1198-1216) pour une bonne partie de la Chrétienté romaine, les fêtes de la Vierge sont associées à la couleur blanche. » [1]

Au fil des siècles, la Vierge est ainsi passée par toutes les couleurs ou presque, comme le montre une étonnante statue taillée dans un beau bois de tilleul peu après l’an mil et aujourd’hui conservée au musée de Liège. Cette vierge romane avait d’abord été peinte en noir, comme c’était fréquemment le cas à cette époque. Au XIII° siècle, elle fut repeinte en bleu, selon les canons de l’iconographie et de la théologie gothiques. Mais à la fin du XVII° siècle cette même Vierge fut, comme tant d’autres « baroquisée » et quitta le bleu pour le doré, couleur qu’elle conserva pendant deux siècles environ, avant d’être visitée par le dogme de l’Immaculée Conception et, ce faisant, entièrement badigeonnée de peinture blanche (vers 1880). Cette superposition de quatre couleurs successives en un millénaire d’histoire fait de cette fragile sculpture un objet vivant ainsi qu’un exceptionnel document d’histoire picturale et symbolique. »

 

Les commentaires officiels

exposition-sur-le-drapeau-europeen Assomption dans Communauté spirituelleSur le site officiel de l’Europe, les symboles du drapeau européen sont expliqués indépendamment de toute connotation religieuse.

Voici la description officielle du drapeau européen : « Sur le fond bleu du ciel, les étoiles figurant les peuples d’Europe forment un cercle en signe d’union. Elles sont au nombre invariable de douze, symbole de la perfection et de la plénitude. Sur fond azur, un cercle composé de douze étoiles d’or à cinq rais dont les pointes ne se touchent pas. »

« Les étoiles symbolisent les idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples d’Europe. Le nombre d’étoiles n’est pas lié au nombre d’États membres, bien que le cercle soit symbole d’unité. Il y a douze étoiles, car ce chiffre est traditionnellement un symbole de perfection, de plénitude et d’unité. Ainsi, le drapeau restera le même, indépendamment des futurs élargissements de l’Union européenne. »
« Dans différentes traditions, douze est un chiffre symbolique représentant la complétude (il correspond également au nombre de mois de l’année et au nombre d’heures sur le cadran d’une montre). Quant au cercle, il est entre autres un symbole d’unité. »

 

Décidément, politique et religion sont inextricablement mêlées dans l’histoire européenne comme dans ses symboles…

L’essentiel est peut-être pour nous en ce 15 août de contempler en Marie la femme de l’Apocalypse. Comme elle, nous sommes dans les douleurs de l’enfantement : l’enfantement du Verbe en nous.

C’est un travail très personnel, pour que chacun(e) accouche de sa véritable identité (« ce n’est pas moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » Ga 2,20).

C’est également un travail collectif, donc politique, pour que nos sociétés accouchent de conditions de vie dignes de la vocation divine de notre humanité. Particulièrement en Europe où le christianisme a puissamment contribué à façonner les institutions, les mentalités, les symboliques depuis 2000 ans.

 


[1]. Michel Pastoureau, Bleu, Histoire d’une couleur, Seuil, 2000, pp 54-55.

 

MESSE DU JOUR

 

PREMIÈRE LECTURE

« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire.
Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

 

PSAUME

(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)
R/ Debout, à la droite du Seigneur,se tient la reine, toute parée d’or. (cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

 

DEUXIÈME LECTURE

« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

 

ÉVANGILE

« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia.Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »  Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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11 août 2019

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Homélie pour la fête de l’Assomption / Année C
15/08/20149

Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
Assomption : Ne vous faites pas voler votre espérance
Assomption : les sentinelles de l’invisible
L’Assomption de Marie, étoile de la mer
L’Assomption de Marie : une femme entre en Résistance
Marie, parfaite image de l’Église à venir
Marie en son Assomption : une femme qui assume !
Toussaint : le bonheur illucide

Quelle place a Marie dans votre vie ?

Le 15 Août est une bonne date pour se poser cette question !

Quelle place a Marie dans votre vie ? dans Communauté spirituelle gf15-0051-grand-format-l-assomption-de-la-vierge-marie-gf15-0051Il y a les réponses toutes faites : elle est la mère de Jésus, la Mère de Dieu, l’Immaculée Conception… Ces réponses sont toutes faites au sens où elles existent avant nous, formulées avec les mots de la Tradition. Elles sont justes théologiquement, mais elles ne sonneront pas vrai aux oreilles de votre auditeur si vous vous contentez de les réciter sans les personnaliser.

Quelle place a Marie dans votre vie ? C’est-à-dire : lui parlez-vous ? la priez-vous ? a-t-elle joué un rôle pour vous à certains moments précis ? vous inspire-t-elle et comment ? qui vous a parlé d’elle ? où ? quand ?

Des amis protestants que j’ai interrogés m’ont dit simplement : « pour moi, c’est une femme comme les autres. Une femme dont la foi était très grande, que j’admire à ce titre. Mais rien de plus de. Une femme comme les autres. Point-barre. »

Au moins, c’était clair ! Et cela n’empêche pas ces amis d’avoir une foi vivante et agissante. Quand ils me retournèrent la question, je réfléchis quelques secondes, sans savoir quel angle d’attaque choisir pour leur en parler. Et soudain m’est apparu en mémoire le visage – ou plutôt la moitié de visage – d’un homme, intimement lié à celui de Marie pour moi. Jean est un de ces malades que l’on emmenait régulièrement à Lourdes avec l’Hospitalité diocésaine. La règle d’or quand on est brancardier est de ne pas poser de questions intempestives ou gênantes aux malades sur l’origine de leur état de santé ou handicap : s’ils veulent ils en parlent, à qui ils veulent et quand ils veulent ; sinon ce qui prime c’est le partage des événements du jour avec eux, du petit déjeuner à la procession aux flambeaux. Après deux ou trois jours passés ainsi à partager avec bonheur le quotidien chargé de Lourdes, Jean me dit :

« Tu veux savoir pourquoi je n’ai plus qu’une moitié du visage ? »  Évidemment la question m’avait assailli, devant sa tête recousue de partout où les lunettes masquaient mal une orbite vide et une joue absente. Mon silence voulait dire oui, sans oser le dire.

« J’ai voulu me suicider. Mais le coup de fusil a dévié et m’a arraché tout le côté gauche du visage. Depuis j’ai changé. À Lourdes j’ai retrouvé le courage de vivre. Ici on n’est pas jugé. Chacun est accepté avec son fardeau, visible ou pas. Ici, devant la grotte, je fais provision de force pour toute l’année. »

La grande famille hospitalière

C’est cela – dis-je à mes amis protestants – : quand je pense à Marie, je pense à cet homme et à tous les blessés de la vie qui à Lourdes sont enfin honorés comme des frères et sœurs, à égalité avec tous. Le vrai miracle de Lourdes pour moi, c’est la révélation de la première place accordée à ceux qui d’habitude sont parqués dans nos mouroirs, nos établissements spécialisés, nos EHPAD, USLD, IME, ESAT, foyers long séjour et autres  acronymes les faisant disparaître de l’horizon des valides. Car c’est vraiment la cour des miracles à Lourdes : grâce à Marie et à sa petite Bernadette, les milliers de fauteuils roulants et les brancards concentrent sur quelques centaines de mètres carrés toute la misère humaine, physique et psychologique, soigneusement mise à l’écart hors de portée des gens normaux ailleurs. Du coup, Marie est d’abord pour moi celle grâce à qui les petits de ce monde sont reconnus. Grâce à elle, les pauvres ont enfin la première place. Lourdes anticipe cette Jérusalem céleste promise par le Christ. Fêter l’Assomption, c’est croire que Marie habite déjà cette ville fraternelle où elle attend Jean et tous les défigurés de ce monde pour partager avec eux la beauté et la dignité données par Dieu.

Quelle place à Marie dans notre vie ?

Une autre façon de poser la question serait : aimez-vous prier Marie ? avec elle ? comme elle ? Personnellement, je suis un peu gêné par ceux qui se veulent les champions du culte marial. Ils récitent des « Je vous salue Marie » à tout bout de champ, même lorsque cela n’est pas nécessaire (à la messe particulièrement, où 2000 ans de liturgie ne l’ont toujours pas prévu !), alors que le Magnificat fait partie de l’office des Vêpres chaque soir depuis des siècles. Ils portent ostensiblement leurs chapelets et le rabâchent (au sens dénoncé par Jésus) comme un mantra hypnotique ou une formule magique. Car Marie est souvent mélangée à des pratiques très intéressées relevant plus de la magie, voire de la superstition, que de la foi évangélique.

Vierge-Marie-1.jpgUne amie me demande de participer à une neuvaine de prière mariale pour que son mari guérisse de son cancer. Je lui ai dit : « tu sais, un cancer du foie, Marie n’y pourra rien. Mais je prierai pour lui afin qu’il soit entouré d’amour pour partir en paix et qu’il ait la force de mener ce combat sans désespérer. » Cette amie a mobilisé tout un réseau ‘très catho’ de groupe de prières demandant à Marie la guérison de son mari. Évidemment, le cancer du foie l’a emporté en quelques mois comme c’est la règle hélas. Mon amie m’a écrit : « je réfléchis sur la prière du Christ à Gethsémani : que ta volonté soit faite, et non la mienne. J’ai demandé la guérison pour mon mari, et c’est la mort qui est venue. Mon défi est maintenant de comprendre pour-quoi, en vue de quoi c’est arrivé. Je suis sûr qu’avec Dieu et Marie, quelque chose sortira de cette catastrophe. » J’ai entendu dans ses paroles l’écho de celles de Marie à Cana : « faites tout ce qui vous dira » (et non l’inverse…).

Chapelet dans des mains étreintesMon rapport personnel au chapelet est marqué par la mort de mes grands-parents. À l’époque, on veillait de longues heures auprès du défunt. La famille faisait venir les enfants près du corps pour l’embrasser, le toucher, avec des paroles douces et paisibles. À 8-10 ans, je me souviens du chapelet entrecroisé aux doigts de mon grand-père sur son lit funéraire. C’était l’un des premiers gestes que l’on faisait lorsque quelqu’un décédait : avant que la rigidité ne l’empêche, on allait chercher son chapelet, et on le faisait passer mystérieusement entre les mains croisées de telle façon qu’il devenait comme partie prenante, inséparable, soudé à ce corps d’où la vie venait de s’en aller imperceptiblement. Dans l’Antiquité, on mettait des pièces de monnaie sur les yeux du mort pour qu’ils puissent payer son passage du Styx au passeur Charon. Je ne connaissais pas cette coutume, mais je trouvais en effet que le chapelet était sûrement le laisser-passer le plus sûr pour mon grand-père, lui qui avait fait la guerre. Le lien marial incarné par cette chaîne d’argent et ces graines brillantes comme des bijoux étaient à mes yeux d’enfant le signe que la mort et la naissance devait bien être semblables…

Avec le temps, chacun de nous rationalise, s’instruit, et construit son propre discours sur Marie. Nous restons cependant marqués par ces personnes rencontrées, ces moments familiaux, ces événements éminemment personnels où Marie est devenue pour nous une figure, plus ou moins consciemment. Pour certains, cette initiation n’aura pas forcément été positive. Car on a au nom de Marie humilié des femmes en les confinant à des rôles  inférieurs, ou survalorisé un rôle maternel écrasant et étouffant, d’autant plus si la mère biologique a donné une très mauvaise image de la maternité. Il y a sans doute bien des blessures humaines à apaiser avant de plaquer des discours mariaux exaltés et irréalistes.

Reste qu’en cette fête de l’Assomption, savoir notre sœur en humanité déjà parvenue au terme du voyage nous réjouit et nous encourage : en regardant vers elle, le but n’est pas loin. Jean-Paul II nous le rappelait à Lourdes le 15 Août 2004 :

« Quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi; et là où je suis, vous y serez aussi », nous a dit Jésus (Jn 14, 3). Marie est le gage de l’accomplissement de la promesse du Christ. Son Assomption devient pour nous ‘un signe d’espérance assurée et de consolation’ » (Lumen Gentium n° 68).

Et vous, par quels visages, par quels prénoms, par quels événements pourriez-vous raconter et témoigner : voici quelle est la place de Marie dans ma vie ?

 

Messe du jour

Première lecture
« Une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds » (Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire. Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

Psaume
(Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16)

R/ Debout, à la droite du Seigneur,
se tient la reine, toute parée d’or.
(cf. Ps 44, 10b)

Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille ;
oublie ton peuple et la maison de ton père :
le roi sera séduit par ta beauté.

Il est ton Seigneur : prosterne-toi devant lui.
Alors, les plus riches du peuple,
chargés de présents, quêteront ton sourire.

Fille de roi, elle est là, dans sa gloire,
vêtue d’étoffes d’or ;
on la conduit, toute parée, vers le roi.

Des jeunes filles, ses compagnes, lui font cortège ;
on les conduit parmi les chants de fête :
elles entrent au palais du roi.

Deuxième lecture
« En premier, le Christ ; ensuite, ceux qui lui appartiennent » (1 Co 15, 20-27a)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie, mais chacun à son rang : en premier, le Christ, et ensuite, lors du retour du Christ, ceux qui lui appartiennent. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds.

Évangile
« Le Puissant fit pour moi des merveilles : il élève les humbles » (Lc 1, 39-56)
Alléluia. Alléluia.
Aujourd’hui s’est ouverte la porte du paradis : Marie est entrée dans la gloire de Dieu ; exultez dans le ciel, tous les anges ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. »  Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.
Patrick BRAUD

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11 février 2018

Cendres : soyons des justes illucides

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Cendres : soyons des justes illucides 


Homélie pour le Mercredi des Cendres / Année B
14/02/2018

Cf. également :

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres
Toussaint : le bonheur illucide
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter


Matriona ou la non-remarquée des hommes

La_maison_de_Matriona_et_autres_recits avenir dans Communauté spirituelleUn village perdu de l’ex-URSS. Une femme âgée vivait là, dans une cabane misérable, apparemment seule avec ses animaux. Alexandre Soljenitsyne raconte que dans l’été 1953, de retour d’exil, sans attache et sans le sou, il trouve un petit emploi de professeur de mathématiques en Russie. Dans le village, une vieille femme – Matriona – accepte de l’héberger, plus pour lui rendre service qu’autre chose. L’auteur nous raconte la vie misérable de Matriona, et le terme accidentel de son existence : la brave femme encaisse tous les travers et n’agit que pour aider son prochain. Le livre : « la maison de Matriona » s’achève par cette phrase superbe : « … elle n’avait pas accumulé d’avoir pour le jour de sa mort. Une chèvre blanc sale, un chat bancal, des ficus… Et nous tous qui vivions à ses côtés, n’avions pas compris qu’elle était ce juste dont parle le proverbe et sans lequel il n’est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre entière. »
Au milieu de ce village se tenait cette vieille femme, Matriona, que personne ne connaissait vraiment, mais qui pourtant soutenait le village à bout de bras de manière  invisible, sans même en avoir conscience …

Cela rejoint l’étonnement d’un ami devant cette phrase de notre évangile du Mercredi des Cendres (Mt 6, 1-6.16-18) : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment oublier ce que je fais de bien et pourquoi ? Tout le passage d’évangile est d’ailleurs basé sur ce leitmotiv : « ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer ». Jusqu’à s’inclure soi-même dans ceux devant qui il est inutile de briller par sa générosité : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ».

Toussaint : le bonheur illucide dans Communauté spirituelle 9782020251556FSOn peut appeler illucide [1] le juste qui accomplit sa justice sans comptabiliser pour lui-même, sans même en être conscient. Le juste illucide ne tient pas la liste des personnes secourues, ni des aides accordées. Il oublie le bien qu’il fait au moment même où il l’accomplit.

On peut penser à l’industriel allemand Schindler qui se met à sauver des juifs dans son usine en 39-45 sans trop réfléchir. Le film « La liste de Schindler » a immortalisé cette démarche presque naïve, car sans aucun repli sur elle-même. Si vous allez d’ailleurs au mémorial de Yad Vashem en Israël, vous verrez le nom de Schindler parmi des milliers d’autres justes. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les vrais justes sont connus de Dieu plus que des hommes.

Cela rejoint le thème du bonheur illucide déjà rencontré pour la fête de Toussaint avec les Béatitudes. Les pauvres sont heureux parce qu’ils possèdent le Royaume des cieux, mais ils ne le savent pas. De même pour les doux, les assoiffés de justice, les artisans de paix…

Le bonheur comme la justice ne se possèdent pas. Leur illucidité est la conséquence de cette non-possession. Comme le disait Jeanne d’Arc à ses juges qui lui demandaient si elle était en état de grâce : « Si je ne suis pas, Dieu m’y mette. Si j’y suis, Dieu m’y mette ». Autrement dit : il ne me revient pas de savoir si je suis heureux ou juste. Cela appartient à Dieu seul. Il me revient par contre de ne pas m’attacher à mes œuvres, de ne pas comptabiliser mes bonnes actions, jusqu’à ignorer même ce que j’aurais pu faire de bien.

D’où la surprise promise par Jésus lors du jugement dernier (Mt 25). « Comment ? Je t’ai vu nu et je t’ai habillé ? En prison et je t’ai visité ? Mais où et quand l’ai-je fait ? » C’est donc que le juste ne peut pas fournir la liste de ses dons et de ses visites. Il est étonné, car sa main gauche ignore ce que fait sa main droite.

Nous connaissons tous de ces personnes qui rayonnent d’une grande bonté sans s’en apercevoir. Elles le font quasi naturellement, sans calcul, sans stratégie. Elles irradient sans compter. Être reconnues des hommes leur importe peu, car elles ne le font pas pour cela, et n’ont d’ailleurs pas conscience de le faire.

L’humilité évangélique est elle aussi illucide, comme le notait Luther avec finesse :

« La vraie humilité ne sait jamais qu’elle est humble, car, si elle le savait, elle tirerait orgueil de la contemplation de cette belle vertu : au contraire, elle s’attache par le cœur, les pensées et tous les sens aux choses viles: elle les a sans relâche devant les yeux; c’est là l’image dont elle est pleine, et parce qu’elle a ces choses sous les yeux, elle ne peut pas se voir elle-même ni s’apercevoir qu’elle existe, et encore moins prendre conscience des choses élevées : c’est pourquoi, l’honneur et l’élévation lui échoient forcément à l’improviste et la surprennent forcément dans des pensées tout à fait étrangères à l’honneur et à l’élévation : c’est là ce que dit Luc .
La fausse humilité, en revanche, ne sait jamais qu’elle est orgueil (car, si elle le savait, elle deviendrait vite humble à la vue de ce vilain défaut); au contraire, elle s’attache par le cœur, la pensée et les sens aux choses élevées et les tient sans relâche sous ses yeux. » (Commentaire du Magnificat).

Ainsi l’Esprit de Dieu en Marie l’entraînait à exalter/exulter, sans même s’en rendre compte : son Magnificat jaillit sans retenue, exprimant le fond de son être, en toute humilité.

 

Pourquoi ignorer ce que je fais de bien ?

Tout simplement parce que la gratuité est au cœur du salut offert en Jésus-Christ. Ce n’est pas à la force du poignet que je pourrai me hisser à la sainteté du Christ : c’est un cadeau offert sans condition. Ce n’est pas en accumulant les bonnes œuvres que j’obtiendrai mon passeport vers la vie éternelle : il me suffit de croire et d’accueillir, comme le criminel crucifié à la droite de Jésus.

Si l’amour de Dieu est gratuit, alors je n’ai pas à le mériter, ni même à chercher à le mériter. J’arriverai devant Dieu au terme de ma vie « les mains vides » comme l’écrivait Thérèse de Lisieux.

 

Comment arriver à cette illucidité ?

Elle viendra comme conséquence et non un but atteint. Libéré de l’obsession d’être juste par mes propres forces, je peux me recentrer sur l’expérience de l’amour inconditionnel. Et si je laisse cette gratuité m’habiter au point de devenir intime, plus intime que le fait de respirer ou de faire battre mon cœur – activités ordinairement illucides s’il en est – alors, sans effort, cette gratuité se répandra dans tous les actes comme le sang dans l’organisme, au point de ne plus savoir ce que je fais de bien, car aucune comptabilité n’est nécessaire.

 

Nous sommes tous des soldats inconnus

Les saints authentiques ne savent pas eux-mêmes qu’ils vivent en odeur de sainteté – comme dit la sagesse populaire – car ce n’est pas cela qui les intéresse. Ils n’agissent pas pour obtenir une récompense des hommes, mais « Dieu le leur rendra »  comme dit Jésus, sans qu’on sache ni comment ni quand.

Anne Frank, Etty Hillesum, Irena Sendler sont trois jeunes femmes qui ont vécu l’horreur nazie, à Amsterdam ou Varsovie. Nous reconnaissons en elles aujourd’hui des figures d’humanité absolument remarquables. Mais à leur époque, elles passèrent inaperçues. Sans le journal intime d’Anne ou d’Etty, sans l’enquête d’historiens postcommunistes pour Irena, jamais nous n’aurions distingué leur justice. Elles s’en moquaient d’ailleurs. Ce n’est qu’après coup, une fois leur visage évanoui, que nous avons pris conscience de leur sainteté. Il y en a sans doute des milliers d’autres, oubliés des hommes, connus de Dieu.

Cendres : soyons des justes illucides dans Communauté spirituelle known-unto-god_dsc_0290Dans les cimetières militaires aux milliers de croix impeccablement alignées, les tombes de soldats inconnus anglais portent justement cette épitaphe : known unto God (connu de Dieu seul). À ce titre, nous sommes chacun ce soldat inconnu des hommes, connu de Dieu seul. « Mieux vaut compter sur Dieu que de s’appuyer sur des mortels », chantaient déjà les psaumes (Ps 118,8).

Les justes n’agissent pas pour être remarqués des hommes. Ils laissent simplement déborder l’amour reçu. Ils s’appuient sur Dieu seul, et Dieu seul sonde les reins et les cœurs. Les généreux, les solidaires ne calculent pas leur déduction fiscale : ils donnent  comme la rose fleurit, sans pourquoi. Les partageux ignorent ce que donne leur main droite, car leur attention est ailleurs.

Ne cherchons donc pas à devenir ces justes illucides dont parle Jésus. Cela nous sera donné, par surcroît, lorsque justement nous aurons cessé de vouloir être justes.

Car il suffit d’accueillir…

 


[1] . Lucide = qui a conscience, qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité (Larousse). Vient du latin lux, lucis = lumière (élucider = mettre en pleine lumière). Illucide = qui n’a pas conscience de lui-même.

 

 

 

PREMIÈRE LECTURE
« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)

Lecture du livre du prophète Joël

Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

PSAUME(50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu,
dans ton amour, selon ta grande miséricorde,
e
fface mon péché.

Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.

Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture: Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

ÉVANGILE

« Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.

Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD

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4 septembre 2017

Lier et délier : notre pouvoir des clés

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Lier et délier : notre pouvoir des clés

Homélie du 23° Dimanche du temps ordinaire / Année A
10/09/2017

Cf. également :

La correction fraternelle

Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu

Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?

Une autre gouvernance

 

Le Pape et l’Église

Lier et délier : notre pouvoir des clés dans Communauté spirituelle clefL’expression : « le pouvoir des clés » est devenu courante en français, désignant l’autorité papale bien sûr, mais également le pouvoir confié à telle instance dirigeante ou tel personnage-clé (justement nommé ainsi !). Pensez aux bourgeois de Calais remettant les clés de la ville aux anglais… Il est remarquable que Matthieu n’ait pas réservé ce pouvoir des clés à Pierre seul. Les catholiques connaissent bien le premier passage de son évangile où Pierre est investi par Jésus de cette responsabilité :

« Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt 16,19)

Mais peu pourraient citer le deuxième passage, celui de ce dimanche, où le même pouvoir est remis à l’Église (l’assemblée, l’ekklèsia) dans son ensemble :

« Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel » (cf. Mt 18, 15-20).

En fait, c’est une vieille règle ecclésiologique qui s’enracine là : ce qui est confié au pape (successeur de Pierre) personnellement l’est également à l’Église collectivement, et ce qui est confié à toute l’Église l’est également au pape personnellement. Si bien que ces deux dimensions, personnelle et communautaire, sont indissociables (il faudrait même y ajouter une troisième dimension : collégiale, car les Douze et leurs successeurs – les évêques – jouent un rôle particulier dans ces prises de décision).

Prenez par exemple la proclamation du dogme de l’Assomption en 1950. Le pape Pie XII a pris soin de consulter des mois durant les évêchés de toute la catholicité pour examiner s’il y avait un consensus dans l’opinion publique catholique sur cette question. Fort des remontées unanimes des diocèses, il proclame au nom de son autorité personnelle ce qui est cru par toute l’Église, sans hiatus entre les deux (le « Nous » du texte n’est alors pas seulement le « Nous » de majesté !) :

« Nous affirmons, Nous déclarons et Nous définissons comme un dogme divinement révélé que : l’immaculée mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. »

À l’inverse, lorsqu’une position de foi est énoncée par le pape mais non partagée largement par l’Église, elle finit inéluctablement par se transformer ou disparaître pour correspondre au sens de la foi des fidèles (sensus fidei fidelium).

Le premier exemple de ce pouvoir de lier/délier est dans l’assemblée de Jérusalem en Ac 15. Faut-il oui ou non circoncire les païens qui demandent le baptême ? Il y a débat. Tous s’expriment. Puis la décision est prise par Pierre et les Apôtres, en accord avec l’assemblée : « l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que… » Abolir la circoncision était une véritable audace, qui a choqué les juifs (et qui choque aujourd’hui les musulmans) ! Jésus lui-même n’avait rien dit à ce sujet…

L’Église a donc le pouvoir de décider ce que le Christ n’avait pas imaginé ou prévu ! Il en va ainsi du ministère diaconal dont les Sept, choisis par les Apôtres et présentés par toute la communauté, sont la figure (Ac 7).

Pascal-Grégoire Delage - Les Pères de l'Eglise et les dissidents ou Dessiner la communion - Dissidence, exclusion et réintégration dans les communautés chrétiennes des six premiers siècles - Actes du 4e colloque de La Rochelle, 25, 26 et 27 septembre 2009.Dans l’histoire, un exemple célèbre est celui des lapsi (lapsus = celui qui a chuté) : pouvait-on oui ou non réintégrer des baptisés qui avaient renié leur foi sous la menace des persécutions et voulaient quand même revenir ? La bataille des arguments fut sévère. Il y avait le clan des rigoristes et celui des miséricordieux. Finalement, ces derniers l’emportèrent, et l’Église inventa un rituel de réintégration des lapsi  qui est à l’origine du sacrement de réconciliation ultérieur. La question actuelle de la réintégration des divorcés-remariés pourrait être relue à la lumière de celle des lapsi…

La liste est longue de ce que l’Église (et le pape uni à elle) ont lié/délié au cours des siècles : le canon (la liste officielle) des Écritures, les sept sacrements, l’état clérical…

Inversement, les cas où il y a eu désaccord entre les papes et l’Église sont instructifs : la question du prêt à intérêt (que les banquiers et autres métiers d’argent pratiqués par les chrétiens malgré les interdictions papales finiront par faire légitimer), et plus près de nous la question de la contraception (le sens de la foi des fidèles a fini en pratique par affaiblir la position officielle très intransigeante)…

 

LES 3 SENS DE LIER/DÉLIER

1. Réintégrer / exclure

Le pape et l’Église sont donc indissociables dans l’exercice du pouvoir des clés !

Plus précisément, Mathieu 18,16 parle de lier et de délier. Le contexte est celui de l’exclusion d’un pécheur public hors de la communauté chrétienne. Ex-communier est l’aboutissement de ce long processus de reproches/réconciliation que décrit Jésus, si le pécheur ne veut pas changer de conduite. Ananie et Saphire sont les premiers à être exclus de la communauté à cause de leur tricherie (Ac 5). On a un autre exemple dans l’Église de Corinthe, où Paul essaie de remettre un peu d’ordre. Il demande d’exclure un incestueux tant qu’il continue ses pratiques ; il s’appuie pour cela sur le sens de la foi des corinthiens. C’est l’Église locale qui doit retrancher de son sein le coupable impénitent (1Co 5,1-12), c’est aussi l’Église qui a le pouvoir de le réintégrer s’il est revenu dans la bonne voie. « À qui vous pardonnez, je pardonne aussi » (2Co 2,5-10).

C’est le premier sens de lier/délier : intégrer ou exclure (ou plutôt : constater l’auto-exclusion d’un membre).

 

2. Autoriser / interdire

Le deuxième sens est dérivé du premier : lier/délier signifie interdire/permettre. On en trouve une trace dans le ‘dégagement’ du gouverneur de Jérusalem Shebna, que nous avons lu le 20° dimanche il y a un quinze jours :

Parole du Seigneur adressé à Shebna le gouverneur : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place. Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. » (Is 22, 19-23)

L’expression « Je mettrai la clé sur son épaule » montre qu’à cette époque l’insigne du pouvoir c’est la clé, la clé du Palais portée en évidence sur l’épaule afin que tous sachent que le porteur a la faveur du Maître, qu’il en gère les biens et les serviteurs avec l’autorité déléguée du Maître. Recevoir du propriétaire la clé de sa maison, c’est la marque suprême de confiance qu’il soit possible de témoigner à quelqu’un. Mais s’il commet des abus, il mérite d’être chassé.  Dans la lettre à l’Église de Philadelphie, (Ap 3,7) le Christ s’identifie à Dieu puisqu’il s’attribue les titres divins de « Saint » et de « Vrai » et affirme qu’il détient le jugement.  « Ainsi parle le Saint et le Vrai, celui qui détient la clé de Daniel. S’il ouvre, nul ne fermera et s’il ferme, nul n’ouvrira. Je connais ta conduite. J’ai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer, et disposant de peu de puissance, tu as gardé ma parole sans renier mon Nom. »

Cigarette électronique : Vapoter dans les lieux publics français n'est plus interdit

3. Libérer / abandonner

Le troisième sens se rapporte à la libération apportée par Jésus : libération des forces du mal (les démons dans la pensée biblique) et finalement de la mort. Les démons lient les personnes en leur enlevant leur liberté propre. La forme moderne de cette démonologie serait à chercher aujourd’hui du côté… de l’addictologie. Il existe des addictions (alcool, tabac, jeu, sexe…) qui « lient » ceux qui sont possédés par le démon du jeu ou autre… Délier ces personnes est un pouvoir de libération que Jésus a confié à son Église. L’exercice ordinaire de ce pouvoir se joue dans la confession, la miséricorde, le pardon des péchés. La forme extraordinaire va jusqu’à l’exorcisme. Nous sommes ici dans le droit fil de l’action de Jésus redonnant vie à Lazare ligoté dans son tombeau : « déliez-le et laissez-le aller » (Jn 11,44).

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Notre pouvoir des clés

Considérez alors ces trois usages du pouvoir de lier/délier confié à l’Église/Pierre.

Quand vous est-il arrivé d’être confronté à prendre de telles décisions ?

Comment allez-vous faire la prochaine fois ? Car il est juste de décider de lier ou de délier. Le pire serait de laisser pourrir une situation sans intervenir (penser aux  corinthiens !).

Nous avons tous ce pouvoir à un moment de notre vie de réintégrer ou d’exclure, d’autoriser ou d’interdire, de libérer ou de vouer aux gémonies… : qu’en faisons-nous ? Exerçons-nous ce pouvoir dans l’Esprit du Christ ? Assumons-nous la dimension personnelle et communautaire de l’exercice de ce pouvoir ?…

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Lectures de la messe

Première lecture
« Si tu n’avertis pas le méchant, c’est à toi que je demanderai compte de son sang » (Ez 33, 7-9)
Lecture du livre du prophète Ézékiel
La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. »

Psaume
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur ! (cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

Deuxième lecture
« Celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi » (Rm 13, 8-10)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour.

Évangile
« S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Mt 18, 15-20) Alléluia. Alléluia.
Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.
Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »
Patrick BRAUD

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