Les résistances de Moïse… et les nôtres
Les résistances de Moïse… et les nôtres
Homélie du troisième dimanche de carême / Année C
07/03/2010
Ce célébrissime épisode du buisson ardent contient une multitude de pistes : le symbole du buisson ; la révélation de la transcendance ; le tétragramme (Y. H. W. H.) ; le « détour » de Moïse pour voir ; le lien entre la vision de Moïse, celle de Dieu (« j’ai vu ») et la libération de l’esclavage etc…
Je vous propose encore un autre fil d’Ariane à suivre tout au long de ce récit : les refus que Moïse oppose à Dieu, ou plutôt ses résistances à se laisser envoyer vers ses frères et vers Pharaon.
Quand on regarde l’ensemble du texte (Exode 3,1-22), on peut compter le nombre de fois où Moïse résiste, se regimbe, et négocie avec Dieu : 5 fois.
Cinq est le chiffre symbolique de la loi (la loi = Tora compte cinq livres : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome : c’est le « Pentateuque » = les cinq livres).
Cette même loi que Moïse donnera plus tard au peuple, pour l’instant il y résiste de toutes ses forces.
Voyons comment.
Première résistance
« Qui suis-je pour aller vers Pharaon et faire sortir d’Égypte les fils d’Israël ? » (3,11)
En positif, c’est le signe d’une grande humilité, car « Moïse était l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3).
Mais derrière cette humilité peut se cacher une forme de refus de faire confiance à Dieu alors que lui nous fait confiance ! « Qui suis-je pour que tu m’envoies ? » peut signifier très vite : « tu es fou d’avoir pensé à moi ; tu as du te tromper ; prends conscience de ton erreur sur moi et laisse-moi tranquille »…
Cette résistance à l’appel de Dieu est bien la nôtre : sous prétexte d’avoir conscience de notre indignité, nous nous défilons, nous disons : « ce n’est pas pour moi ; c’est pour ceux qui sont mieux que moi »… Et on ne fait pas confiance au choix de Dieu lorsqu’il nous appelle, par une médiation ou par une autre (de l’humble buisson à l’appel en fin de messe… !)
Deuxième résistance
« S’ils me disent : quel est le nom du Dieu qui t’envoie, que leur dirai-je ? » (3,13) ».
La tactique de Moïse pour échapper à sa mission varie. « Je ne sais même pas qui tu es. J’aurais l’air malin de venir en ton nom alors que je ne connais pas ton Nom ! ».
De bonne grâce, Dieu reconnaît que l’argument est valable, et du coup il se dévoile : « Je suis Y. H. W. H. ». Ces quatre lettres imprononçables ont fait couler beaucoup d’encre, mais ce qui nous intéresse ici est la pédagogie que Dieu suggére à Moïse pour vaincre sa résistance : « tu diras aux fils d’Israël : « Je Suis » (Y. H.) m’a envoyé vers vous ». Il suggére à Moïse de tronquer son Nom devant le peuple, pour ne pas l’effrayer avec le futur qui l’attend (W. H. = « qui je serai » = l’Exode, les exils ultérieurs etc…).
Dans notre combat avec Dieu où nous négocions terme à terme les conditions de notre mission, nous avons le droit de lui opposer des arguments recevables, à condition de nous laisser guider et enseigner par sa pédagogie en réponse à nos objections.
Troisième résistance
« Ils ne me croiront pas » (4,1).
On perçoit le doute et la lassitude de Moïse par avance : ce peuple a la nuque raide, ils vont me renvoyer sans m’écouter.
C’est la tentation défaitiste, du genre : « c’est fichu d’avance, pas la peine d’essayer ».
Tentation qui guette bon nombre de nos communautés chrétiennes : « faut pas rêver, ça marchera pas ».
Résistance à l’appel de Dieu qui nous traverse tous : « annoncer Dieu aujourd’hui, c’est trop difficile ; personne ne m’écoutera. Je cours à l’échec ».
Eh bien Dieu se fâche tout rouge devant ce doute défaitiste de Moïse : il lui montre sa puissance avec le signe du bâton-serpent (4,4) et le frappe un instant de la lettre (4,6) comme il frappera de la lèpre pendant sept jours sa soeur Myriam lorsqu’elle osera critiquer Moïse (Nb 12,10) par jalousie.
Quatrième résistance
« Je suis pas doué pour la parole ». (4,10)
Moïse ne s’avoue pas vaincu. Il enchaîne avec une autre objection : il n’a aucun talent oratoire, comment pourrait-il convaincre ce peuple ? Certains commentaires suggèrent qu’il pourrait être bègue, d’autres qu’il ne peut que baragouiner l’hébreu avec un fort accent égyptien car il connaît mal sa langue maternelle etc…
Quoi qu’il en soit, Moïse croit que c’est à lui d’avoir du talent. Alors que Dieu lui répond : « je serai sur tes lèvres ; je te soufflerai ce que tu as à dire. Aie confiance en moi au lieu de trembler en ne comptant que sur toi !
C’est à cette même résistance que Jésus s’adressera lorsqu’il invitera ses disciples à avoir confiance dans l’inspiration que l’Esprit leur donnera : « Mettez-vous donc bien dans l’esprit que vous n’avez pas à préparer d’avance votre défense: car moi je vous donnerai un langage et une sagesse, à quoi nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire. » (Lc 21,14-15)
Cinquième résistance (et même refus catégorique)
« Envoie-le dire par qui tu voudras ! » (4,13)
« N’importe qui, mais pas moi ! Je ne veux pas ».
Là, il n’y a même plus d’arguments, seulement le refus obstiné de Moïse à se laisser envoyer.
Là encore, la colère de Dieu lui revient comme un boomerang en plein visage : « j’en ai assez de ton marchandage et de tes refus. Je t’offre une dernière concession : ton frère Aaron parlera pour toi. Alors maintenant, arrête de faire l’enfant capricieux : prends ton bâton-signe, ton frère-parole, crois que je suis dans ton coeur et sur tes lèvres, et arrête de te plaindre et de gémir : va, je t’envoie ! Cette fois-ci c’est un ordre. »
« Et Moïse s’en alla » (4,18) vers l’Égypte, vers ses frères…
Que chacun s’examine.
Le carême est la période du combat spirituel. Dans les cinq résistances que Moïse oppose à Dieu, quelle est la nôtre actuellement ? Quel est notre refus de nous laisser envoyer ? Vers quel Pharaon ? Vers quel peuple en esclavage ? Comment laisser la pédagogie de Dieu vaincre nos refus et nos résistances à son appel ?…
1ère lecture : Le buisson ardent (Ex 3, 1-8a.10.13-15)
Lecture du livre de l’Exode (Exode 3,1 -4,18)
Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro, son beau-père, prêtre de Madiân; il l’emmena par-delà le désert et parvint à la montagne de Dieu, l’Horeb. L’Ange de Yahvé lui apparut, dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda: le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas. Moïse dit: « Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas. » Yahvé vit qu’il faisait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson. « Moïse, Moïse », dit-il, et il répondit: « Me voici. » Il dit: « N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » Et il dit: « Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu.
Yahvé dit: « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel, vers la demeure des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites, et des Jébuséens. Maintenant, le cri des Israélites est venu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que font peser sur eux les Egyptiens. Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon, fais sortir d’Egypte mon peuple, les Israélites. »
Moïse dit à Dieu: « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et faire sortir d’Egypte les Israélites? » Dieu dit: « Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé. Quand tu feras sortir le peuple d’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. » Moïse dit à Dieu: « Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis: Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. Mais s’ils me disent: Quel est son nom?, que leur dirai-je? » Dieu dit à Moïse: « Je suis celui qui est. » Et il dit: « Voici ce que tu diras aux Israélites: Je suis m’a envoyé vers vous. » Dieu dit encore à Moïse: « Tu parleras ainsi aux Israélites: Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est mon nom pour toujours, c’est ainsi que l’on m’invoquera de génération en génération. « Va, réunis les anciens d’Israël et dis-leur: Yahvé, le Dieu de vos pères, m’est apparu – le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob – et il m’a dit: Je vous ai visités et j’ai vu ce qu’on vous fait en Egypte, alors j’ai dit: Je vous ferai monter de l’affliction d’Egypte vers la terre des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel. Ils écouteront ta voix et vous irez, toi et les anciens d’Israël, trouver le roi d’Egypte et vous lui direz: Yahvé, le Dieu des Hébreux, est venu à notre rencontre. Toi, permets-nous d’aller à trois jours de marche dans le désert pour sacrifier à Yahvé notre Dieu. Je sais bien que le roi d’Egypte ne vous laissera aller que s’il y est contraint par une main forte. Aussi j’étendrai la main et je frapperai l’Egypte par les merveilles de toute sorte que j’accomplirai au milieu d’elle; après quoi, il vous laissera partir. « Je ferai gagner à ce peuple la faveur des Egyptiens, et quand vous partirez, vous ne partirez pas les mains vides. La femme demandera à sa voisine et à celle qui séjourne dans sa maison des objets d’argent, des objets d’or et des vêtements. Vous les ferez porter à vos fils et à vos filles et vous en dépouillerez les Egyptiens. » Moïse reprit la parole et dit: « Et s’ils ne me croient pas et n’écoutent pas ma voix, mais me disent: Yahvé ne t’est pas apparu? » Yahvé lui dit: « Qu’as-tu en main? – Un bâton, dit-il. – Jette-le à terre », lui dit Yahvé. Moïse le jeta à terre, le bâton se changea en serpent et Moïse fuit devant lui. Yahvé dit à Moïse: « Avance la main et prends-le par la queue. » Il avança la main, le prit, et dans sa main il redevint un bâton. « Afin qu’ils croient que Yahvé t’est apparu, le Dieu de leurs pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Yahvé lui dit encore: « Mets ta main dans ton sein. » Il mit la main dans son sein, puis la retira, et voici que sa main était lépreuse, blanche comme neige. Yahvé lui dit: « Remets ta main dans ton sein. » Il remit la main dans son sein et la retira de son sein, et voici qu’elle était redevenue comme le reste de son corps. « Ainsi, s’ils ne te croient pas et ne sont pas convaincus par le premier signe, ils croiront à cause du second signe. Et s’ils ne croient pas, même avec ces deux signes, et qu’ils n’écoutent pas ta voix, tu prendras de l’eau du Fleuve et tu la répandras par terre, et l’eau que tu auras puisée au Fleuve se changera en sang sur la terre sèche. » Moïse dit à Yahvé: « Excuse-moi, mon Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu adresses la parole à ton serviteur, car ma bouche et ma langue sont pesantes. » Yahvé lui dit: « Qui a doté l’homme d’une bouche? Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle? N’est-ce pas moi, Yahvé? Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire. » Moïse dit encore: « Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras. » La colère de Yahvé s’enflamma contre Moïse et il dit: « N’y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite? Je sais qu’il parle bien, lui; le voici qui vient à ta rencontre et à ta vue il se réjouira en son coeur. Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche. Moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous indiquerai ce que vous devrez faire. C’est lui qui parlera pour toi au peuple; il te tiendra lieu de bouche et tu seras pour lui un dieu. Quant à ce bâton, prends-le dans ta main, c’est par lui que tu accompliras les signes. » Moïse s’en alla?
Psaume : Ps 102, 1-2, 3-4, 6-7, 8.11
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !
Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.
Le Seigneur fait oeuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.
Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.
2ème lecture : Les leçons de l’exode : appel à la conversion (1Co 10, 1-6.10-12)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer ce qui s’est passé lors de la sortie d’Égypte. Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée, et tous ils ont passé la mer Rouge.
Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer ;
tous, ils ont mangé la même nourriture, qui était spirituelle ;
tous, ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ; car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c’était déjà le Christ.
Cependant, la plupart n’ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert.
Ces événements étaient destinés à nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer le mal comme l’ont fait nos pères.
Cessez de récriminer contre Dieu comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés.
Leur histoire devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a racontée pour nous avertir, nous qui voyons arriver la fin des temps.
Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber.
Evangile : Sans cesse, Dieu nous invite à nous convertir (Lc 13, 1-9)
Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice.
Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ?
Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux.
Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ?
Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »
Jésus leur disait encore cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas.
Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. A quoi bon le laisser épuiser le sol ?’
Mais le vigneron lui répondit : ‘Seigneur, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier.
Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ »
Patrick BRAUD