L'homélie du dimanche (prochain)

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29 décembre 2024

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ?

 

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année C
05/01/25


Cf. également :

Épiphanie : l’étoile de Balaam
Signes de reconnaissance épiphaniques
L’Épiphanie du visage
Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Épiphanie : l’économie du don
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations
Hérode, ou le côté obscur de l’Épiphanie
Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?

Épiphanie : étoile, GPS, boussole…

Au VI° siècle, le pape Grégoire le Grand, dans son Homélie X sur l’Épiphanie, écrit : « Les mages proclament, par leurs présents symboliques, qui est celui qu’ils adorent. Voici l’or : c’est un roi ; voici l’encens : c’est un Dieu ; voici la myrrhe ; c’est un mortel ». Le symbolisme des trois présents épiphaniques des mages est clair côté Jésus : ils révèlent sa triple messianité comme prêtre, prophète et roi, à laquelle nous sommes associés par notre baptême.

Mais, côté Mages (dont on n’est pas sûr qu’ils soient trois ni qu’ils soient rois, mais seulement des savants calés en mécanique céleste !), de quoi ces cadeaux sont-ils le nom ?

Tentons une actualisation de ces trois coffrets déposés au pied du bébé de la maison de Bethléem (Mt 2,1-12) [1].


1. Lui confier nos trésors

La consonance or/trésor nous met sur une piste : l’Épiphanie nous invite à déposer aux pieds du Christ ce que nous avons de plus précieux, les trésors qui nous tiennent plus à cœur, la réserve d’or que nous protégeons jalousement en rêvant de l’augmenter sans cesse.

Épiphanie : qu’allons-nous lui offrir ? dans Communauté spirituelle 22591734037Pourquoi abandonner ainsi au Christ ce qui nous est le plus cher ? Parce que, comme dit le proverbe cité par Jésus : « là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6,21). Un théologien protestant (Tillich) l’appelle ultimate concern [2] (préoccupation ultime). L’or de ma vie est ce par quoi je me sens concerné au plus haut point, ce qui met ma vie en jeu selon moi. C’est peut-être mon conjoint ou ma famille pour lesquels je serais prêt à tout ‑ même au pire –. C’est souvent la reconnaissance sociale, que je cherche à obtenir à travers une carrière, des engagements associatifs, l’entretien d’une réputation. C’est banalement l’argent, ou du moins le pouvoir et le plaisir qu’il peut donner, pour lesquels je veux bien fermer les yeux de temps en temps sur les compromissions qu’il exige.


À chacun de s’examiner : quel est l’or de ma vie ? Ce (ceux) à quoi (qui) je tiens le plus ?

Que voudrait dire : lâcher prise sur cette quête qui me vampirise, guérir ma fièvre de l’or et ne plus se ruer vers lui ?


Offrir mon or, c’est accepter que rien ne soit plus précieux pour moi que la compagnie du Christ.

Seigneur, voici l’or de ma vie, pour que tu en sois le sanctuaire.


2. Lui confier nos incandescences

resine-d-encens-a-bruler-purification-tibetaine-rouleau-de-10-charbons encens dans Communauté spirituelleQu’est-ce que l’encens, sinon ce minéral capable de se sublimer en volutes odorantes sous l’action du feu qui le consume ? Les charbons et l’encens deviennent alors une métaphore de notre capacité à passer du minéral au céleste, lorsque nous nous laissons incendier par le désir de Dieu. La sainteté se nourrit alors de nos incandescences : lorsque nous brûlons d’un vrai désir, lorsque l’Esprit nous transfigure jusqu’à nous rendre pareil à Dieu.

En pratique, devenir incandescent, c’est se laisser envahir par le combat pour la justice, ou la passion pour la beauté, ou la communion avec les plus pauvres, ou le silence de la contemplation, ou l’intelligence théologique du monde…

Passer de l’état de pierre brute à celui de vapeur parfumée demande cependant d’être guidé et accompagné. On a déjà connu trop de tyrans brûlants de fureur, trop de despotes  flamboyants, trop de génies du mal se répandant par tout l’univers … !

Offrir au Christ les incandescences qui nous consument permet de les réorienter à son service. Alors qu’Hérode brûle de jalousie contre ce rival potentiel de Bethléem, les mages en offrant l’encens à Jésus vont convertir leur soif de connaissance scientifique (l’étoile !) en quête spirituelle authentique : « ils repartirent par un autre chemin » (Mt 2,12).

Mais au fait, quelles braises rougeoient en vous ?
Qu’est-ce qui vous consume ?

61Tw-1ACaSL._SL1221_ EpiphanieLe mot sublimation qu’emploie la physique pour désigner le changement d’état opéré par la combustion a été employé par Freud pour désigner la transformation du désir contraint. Il existe des activités humaines (la création littéraire, artistique et intellectuelle par exemple) sans rapport apparent avec la sexualité mais tirant leur force de la pulsion sexuelle en tant qu’elle se déplace vers un but non sexuel en investissant des objets socialement valorisés. Autrement dit, il s’agit du processus de transformation de l’énergie sexuelle (libido) en la faisant dériver vers d’autres domaines, notamment les activités artistiques. Ainsi, choisir librement le célibat pour la vie consacrée peut s’apparenter à cette transformation du désir où la renonciation à l’exercice charnel peut déboucher sur une autre manière d’aimer, sublimée dans la charité. L’énergie qu’on ne met pas là, on la met ici, sous contraintes. Un peu comme le barrage contraint les eaux du lac artificiel pour produire en sortie une autre énergie. La gravité de l’eau qui s’accumule se sublime en électricité dans une alchimie qui n’a rien de magique ni d’illusoire.

Ah, si nous osions apprendre du Christ à sublimer nos énergies brutes ! Il nous montrerait comment transformer la force en service, l’intelligence en compagnonnage, la pulsion en saint désir…


Seigneur, voici l’encens de mes incandescences, pour que la braise rougeoie en moi et me transforme au gré de ton Esprit…


3. Lui confier la myrrhe de nos passions

La myrrhe des mages renvoie sans aucun doute à la Passion à venir de l’enfant de Bethléem : « Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres » (Jn 19,39). La myrrhe est liée à l’ensevelissement de Jésus au tombeau.

Cantique-des-Cantiques-1-13-LSG-Mon-bien-aimé-est-pour-moi-un-bouquet-de-myrrhe--I22001013-L01 HillesumDans l’Ancien Testament, la myrrhe renvoie également à la passion amoureuse qui unit le bien-aimé à sa bien-aimée dans le Cantique des cantiques : « Avant le souffle du jour et la fuite des ombres, j’irai à la montagne de la myrrhe, à la colline de l’encens. [...] le nard et le safran, cannelle, cinnamome, et tous les arbres à encens, la myrrhe et l’aloès, tous les plus fins arômes. Ô source des jardins, puits d’eaux vives qui ruissellent du Liban ! » (Ct 4,6.14–15). Et le roi-Messie diffuse l’ivresse de ce parfum amoureux autour de lui : « Oui, Dieu, ton Dieu t’a consacré d’une onction de joie, comme aucun de tes semblables ; la myrrhe et l’aloès parfument ton vêtement. Des palais d’ivoire, la musique t’enchante » (Ps 45,8–9).

Pourquoi séparer les deux passions ? Celle des amants qui livrent à l’autre leur corps par amour, et celle du Christ livrant son corps par le même amour ?

Être passionné pour l’autre, c’est le servir et servir son bonheur jusqu’à tout lui donner, jusqu’à se sacrifier s’il le faut, ou au moins sacrifier son propre égoïsme, son repli sur soi, sa convoitise etc.

Ce qui explique que la myrrhe évoque aussi la souffrance, car se livrer à l’autre demande inévitablement de se laisser dépouiller comme le Christ sur la croix, d’ensevelir ses revendications de puissance comme le Christ au tombeau.

Mais au fait, quelles sont vos passions ?
Pour quoi, pour qui accepteriez-vous de tout perdre ?

41-no-m60cL._SX210_ myrrhe« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies » : cette prière d’Etty Hillesum devant le sort des juifs d’Amsterdam puis du camp de détention de Westerbork en 1943 où elle va mourir avec eux est la myrrhe qu’elle dépose sur les souffrances de son peuple [3]. Elle répand la joie et l’espérance dans l’enfer du camp de détention. Elle choisit de rester au milieu des siens au lieu de se sauver. Elle a offert à Dieu la passion pour l’humain qui l’étreignait autrefois dans sa psychanalyse et sa relation ambiguë à son thérapeute. Elle est désormais libre de partager le sort des prisonniers, et d’y être cette radieuse présence dont le seul frôlement peut guérir du désespoir.

Encore un autre exemple de sublime sublimation…

 

« La myrrhe, plante médicinale, est un baume pour toutes nos blessures ; en offrant à Dieu la myrrhe, c’est elles que nous lui présentons : ce que nous avons de plus précieux, les nombreux stigmates que nous a laissés notre vie. Ces blessures ont ouvert notre cœur ; elles nous ont obligés à prendre une distance en face des richesses extérieures. Ce que nous avons de plus précieux, c’est un cœur capable d’amour. Or nos blessures nous ont mis en contact avec notre cœur ; c’est lui, blessé, brisé, que nous offrons à l’Enfant divin, assurés qu’il va le guérir, le métamorphoser. Quand nous lui présentons notre vie blessée, abîmée, nous pouvons avoir l’impression que tout est en ordre ; nous n’avons plus de ressentiment, nous nous abandonnons, tels quels, à l’amour lumineux qui émane de l’Enfant. Alors, en dépit de toutes nos misères intérieures et extérieures, nous sommes au paradis » (Anselm Grün).


Seigneur, voici la myrrhe de mes passions, pour que l’amour qui me presse devienne le signe de ta Passion pour chacun de nous.


4. Allons mon cœur, mets-toi en route…

Terminons en parodiant l’immense théologien catholique Karl Rahner qui s’encourage lui-même à fêter l’Épiphanie en se mettant en route pour la nouvelle année, avec pour seul bagage les trois présents des Mages :


Nous venons d’entrer dans une nouvelle année. Tous les chemins qui la traversent, de l’Orient à l’Occident, seront entraînés avec elle dans l’écoulement sans fin des années et des siècles. Mais on peut, même sur ces chemins, être de ces bienheureux pèlerins qui marchent vers l’Absolu, de ceux dont le voyage terrestre est un voyage vers Dieu.
Allons, mon cœur, ouvre-toi et mets-toi en route, car l’étoile a lui.
Tu ne peux sans doute emporter beaucoup de bagages, et tu en perdras bien d’autres en chemin. N’importe, va de l’avant.
 L’or de tes trésors, l’encens de tes incandescences, la myrrhe de tes Passions [4], tu possèdes déjà tout cela. Il acceptera tout cela. Et nous finirons par le trouver…

________________________________

[1]. Matthieu parle seulement d’une maison οἰκία (oikia) ordinaire à Bethléem, là où Luc parlait d’étable (crèche) φάτνη (phatne).
[2] . “Faith is the state of being ultimately concerned : the dynamics of faith are the dynamics of man’s ultimate concern”.
[3]Cf. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil, 1985.
[4]. Rahner écrivait : « L’or de l’amour, l’encens du désir, la myrrhe de la souffrance ».


LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

Psaume
(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi.
 (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

Deuxième lecture
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

Évangile
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12) Alléluia. Alléluia.
Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD

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1 décembre 2024

La rumeur de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La rumeur de Dieu

 

Homélie pour le 2° Dimanche de l’Avent / Année C
08/12/24

Cf. également :
Rendez droits ses sentiers
Réinterpréter Jean-Baptiste
Devenir des précurseurs
Crier dans le désert
Le Verbe et la voix
Maintenant, je commence
Le courage pascal
Yardén : le descendeur
Comme l’oued au désert 

 

Le grognement démocratique des gorilles

La rumeur de Dieu dans Communauté spirituelleEntre voix et parole, les animaux ont développé des codes pour se comprendre et décider ensemble. Une très sérieuse étude scientifique vient de le confirmer pour les gorilles de l’Ouest de l’Afrique. Ces gorilles sont obligés de se déplacer fréquemment pour cueillir de nouveaux fruits et végétaux, tout en assurant la sécurité du groupe. Comment font-ils pour décider de partir ? En « votant », par des grognements valant approbation ou non lorsque l’un d’entre eux se lève et montre une direction.

Il est intéressant de noter que le mot « ragot » en français désignait autrefois le grognement d’un jeune sanglier : ragoter, répandre des ragots était alors comparé à des grognements de sangliers immatures…


Entre voix et parole, les grognements démocratiques des gorilles nous rappellent le lien entre les deux, qui est justement l’objet de l’Évangile de ce dimanche : « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; et tout être vivant verra le salut de Dieu » (Lc 3, 1‑6). Jean-Baptiste est la voix, Jésus est la Parole (Logos en grec). L’enjeu du récit au désert de Transjordanie semble bien être celui-là : passer de la voix à la Parole. Pas facile pour les animaux humains que nous sommes : nous grognons souvent comme les gorilles, peinant dans l’élaboration d’un langage chrétien !

Peut-être allons-nous trop vite au Christ sans prendre le temps de passer par Jean-Baptiste ? Peut-il y avoir une parole sans voix ? Les orthodoxes le savent mieux que nous, eux qui peignent systématiquement Jean-Baptiste en poils de chameau sur les portes de l’iconostase, comme s’il était un passage obligé.

 

Le smartphone du Christ

1000_F_92370900_jxR6p3eQ9jLEfgd2yjYXNtOV4Nr95Hoe Jean Baptiste dans Communauté spirituelleDe fait, sans Jean-Baptiste pas de Messie-Christ !

Il est véritablement l’humus prophétique sur lequel a prospéré son cousin Jésus. Il avait rassemblé des disciples qu’il donna généreusement à son cadet. Et surtout il a campé la toile de fond sur lequel Jésus va pouvoir se détacher : le pardon des péchés, la conversion, la préparation de la venue du Messie, le salut de Dieu (Is 40,3). C’est pourquoi Jean-Baptiste est à Jésus ce que la voix est à la parole : le substrat indispensable pour pouvoir parler de façon articulée, le terreau anthropologique sur lequel va pousser la culture chrétienne grâce au langage parlé et écrit.

 

En grec, Luc l’appelle « phone » (‘φων, fōnē) : la voix. La téléphonie vient de là, et le smartphone vissé à notre oreille n’est jamais que l’avatar technologique de Jean-Baptiste : une condition indispensable pour communiquer, se comprendre, recevoir et émettre des messages à d’autres humains. « Smart » (en anglais : intelligent, adapté, malin), Jean-Baptiste l’est tout autant que nos téléphones de poche : il est ajusté à la communication que le Christ va faire à partir de lui ; il est assez intelligent pour s’effacer derrière le message dont il n’est qu’un émetteur-récepteur ; il est assez droit et juste pour préparer fidèlement la réception de la parole du Christ.

Avoir une vocation de smartphone pourrait bien être une noble ambition spirituelle finalement ! En tout cas, cette voix, nourrie de sauterelles sauvages et vêtue de poils de chameau se fait entendre tout le long du Jourdain : tel un bulldozer labourant le terrain, Jean-Baptiste prépare la prise de parole de son cousin, et sa prédication fait du bruit !

 

Faire courir la rumeur mieux que la calomnie

On peut traduire l’activité de Jean-Baptiste en la rapprochant des actuels influenceurs  sur YouTube, Facebook, TikTok et autres réseaux sociaux. Leur métier (Beruf en allemand = vocation) est de répandre des bruits, des informations (vraies ou fausses, hélas !), des scoops, bref : ils créent la rumeur. Ils propagent des envies de consommer, de s’amuser, de se cultiver. En propageant une rumeur, ils suscitent et amplifient les ondes de désir qui mettent les internautes en mouvement pour adopter tel comportement ou acheter tel produit.

 

Ce rôle social de la rumeur est vieux comme le monde !

Dans les poèmes homériques (IX° siècle av. J.-C.), la personnification de la rumeur se nomme Ὄσσα (Ossa). On peut lire dans l’Iliade : « Les troupes grecques s’avançaient en ligne sur le bord de la mer profonde, marchant par masses vers la place. Parmi elles, comme une traînée de feu, s’étendait la Rumeur [Ossa], qui les poussait à venir, messagère de Zeus ; et elles se rassemblaient » (2,93). Et dans l’Odyssée : « Cependant la Rumeur  [Ossa], cette prompte messagère, parcourut la ville en tous sens, annonçant la mort terrible et le trépas des prétendants de Pénélope » (24,413-414). Les métaphores aujourd’hui encore utilisées pour désigner la rumeur sont déjà présentes : elle est rapide, elle se propage comme le feu, elle court, et la rumeur attise les passions.

En français, le mot rumeur désigne un bruit confus, portant une information à déchiffrer : la rumeur de la mer, de la ville, d’une émeute ; la rumeur de sainteté qui entoure la mort d’une figure spirituelle etc.

Elle a tout d’un être vivant, autonome et même incontrôlable. C’est pourquoi les personnifications de la rumeur ont pu en faire une puissance extérieure à l’homme, de nature quasi divine. C’est pourquoi aussi les métaphores de la rumeur la décrivent comme un être biologique et animé : la rumeur naît, vit et meurt, elle se multiplie, elle mute, elle court, elle vole, elle ressurgit, elle rampe, elle blesse et elle tue. Pour arrêter une rumeur, il faut lui « tordre le cou ».

 

Elle peut également devenir calomnie, lorsqu’elle colporte mensonges et déformations de la vérité. Elle se développe alors comme un cancer, avec ses stades d’incubation, ses métastases, puis sa résorption.

L’air de la calomnie du Barbier de Séville de Rossini en décrit la maléfique puissance :


C’est d’abord rumeur légère,
Un petit vent rasant la terre.
Puis doucement,
Vous voyez calomnie
Se dresser, s’enfler, s’enfler en grandissant.
Fiez-vous à la maligne envie,
Ses traits dressés adroitement,
Piano, piano, piano, piano,
Piano, par un léger murmure,
D’absurdes fictions
Font plus d’une blessure
Et portent dans les cœurs
Le feu, le feu de leurs poisons.


Le mal est fait, il chemine, il s’avance ;
De bouche en bouche il est porté
Puis riforzando il s’élance ;
C’est un prodige, en vérité.
Mais enfin rien ne l’arrête,
C’est la foudre, la tempête.
Mais enfin rien ne l’arrête,
C’est la foudre, la tempête.
Un crescendo public, un vacarme infernal
Un vacarme infernal
Elle s’élance, tourbillonne,
Étend son vol, éclate et tonne,
Et de haine aussitôt un chorus général,
De la proscription a donné le signal
Et l’on voit le pauvre diable,
Menacé comme un coupable,
Sous cette arme redoutable
Tomber, tomber terrassé.

Eh bien, l’enjeu de Jean-Baptiste au désert, c’est de convertir l’air de la calomnie en rumeur de Dieu, avec la même puissance de propagation et d’émotion ! 

 

9780385066303_p0_v2_s1200x630 paroleRépandre la rumeur de Dieu [1] autour de nous comme Jean-Baptiste, c’est créer les conditions de l’acte de croire, c’est rendre possible l’ouverture au transcendant, c’est labourer le terrain des croyances, des idées, des représentations, afin que l’Évangile puisse y trouver un humus favorable, un terreau fertile.

 

La rumeur de Dieu est de l’ordre de la voix. Ce n’est pas encore la Parole, annonce explicite. Mais sans elle, la Parole tombe à plat, telles les graines du semeur sur le chemin pierreux.

La rumeur possède un pouvoir attractif comparable à celui des bonbons et autres sucreries placées stratégiquement près des caisses de nos supermarchés : les enfants ne résistent pas à les goûter. On picore, on en reprend, et c’est tellement addictif qu’on peut se gaver devant la télé sans s’en apercevoir…

L’idée est alors de convertir ce pouvoir addictif de la rumeur en attirance vers Dieu !

Un illustre jésuite, Joseph Moingt, raconte dans un de ses livres [2] comment il est devenu jésuite, grâce à la rumeur de Dieu qui lui est parvenue par des témoins, des rencontres. Puis il relit les évangiles comme le début de la propagation d’une rumeur inouïe sur Jésus.

Qui est ce Jésus de Nazareth ? Un homme devenu Fils de Dieu par sa résurrection des morts ? C’est ce que raconte la rumeur qui se répand après sa résurrection. Un Fils de Dieu descendu sur terre et devenu homme ? C’est ce que proclame très tôt la foi chrétienne. Analysant les fondements de cette rumeur, Joseph Moingt cherche comment s’est opéré ce retournement et à travers quelles étapes et quelles hésitations s’est construit le dogme du Verbe incarné.

 

Répandre la rumeur de Dieu autour de nous est beaucoup plus profond que simplement engager une apologétique abstraite. Il s’agit de montrer, en actes d’abord, qu’il est possible de redresser ce qui est tordu, d’aplanir ce qui est orgueilleux, de combler les fossés séparant les hommes, bref de préparer le chemin pour que l’Évangile soit ensuite accueilli, crédible, attractif.

 

Faire courir la rumeur dans le désert, tout le long du Jourdain

Jean-Baptiste prêche dans le désert, c’est bien connu. Trop connu d’ailleurs, car l’expression en français est synonyme d’incompréhension et d’inefficacité. Visiblement, avec Jean-Baptiste, c’est l’inverse ! Il parcourt la région du Jourdain et soulève  l’enthousiasme des foules de pénitents qui se pressent autour de lui pour recevoir son baptême. Mais il ne fait pas entendre la rumeur de Dieu à Jérusalem, à Jéricho ou Césarée. Non : sa voix résonne dans les déserts jalonnant le Jourdain, de Massada à Tibériade.

Yardén : le descendeurSouvenez-vous : le Jourdain est le Descendeur (Yardèn en hébreu), celui qui descend de la montagne de l’Hermon au Liban, torrent clair et impétueux, puis se charge de tous les déchets et impuretés des villes traversées pour finir en dessous du niveau de la mer dans la Mer Morte. Autrement dit : le Jourdain est la parabole d’un dieu qui descend au plus bas de notre humanité. Répandre la rumeur de Dieu ne se fait pas dans les palais, les thermes ou les arènes : Jean-Baptiste va rejoindre les plus humbles, les plus ordinaires, les plus bas, pour leur faire entendre cette rumeur d’un Dieu-pardon. Lui-même fit l’expérience de sa vocation au désert, lieu symbolique de notre quête intérieure lorsque nous acceptons d’avoir faim et soif d’autre chose, lorsque nous évacuons nos idoles pour faire place nette.

 

Dans quel désert, le long de quel Jourdain sommes-nous aujourd’hui appelés à répandre la rumeur de Dieu ?

Pour certains, ce sera le Jourdain de la recherche scientifique, s’interrogeant plus que jamais sur la complexité du réel et l’émergence de la vie. Pour d’autres, ce sera la Silicon Valley et les promesses du transhumanisme, annonçant un saut dans l’évolution de notre espèce avec la fusion homme-machine.

Pour la plupart d’entre nous, ce sera notre famille, notre entreprise, notre quartier, notre vie amicale et associative.

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Avant de proclamer explicitement Jésus-Christ ressuscité, prenons le temps d’être Jean-Baptiste, préparant les chemins du Seigneur, dégageant les possibilités de croire dans notre culture et notre histoire.

________________________________________

 [1]. C’est le titre français d’un ouvrage du sociologue américain Peter Burger : A Rumor of Angels: Modern Society and the Rediscovery of the Supernatural, Peter L. Berger, Ed. Doubleday, 1969. Il y explore les pistes possibles du retour du surnaturel dans nos sociétés sécularisées.

[2]. Joseph Moingt, L’Homme qui venait de Dieu, Cerf, Collection Cogitatio Fidei n° 176, 1999.

Marie-Madeleine et les disciples répandent la rumeur de la résurrection de Jésus
dans La Passion d’Adrian Snell

(mettre les sous-titres)

LECTURES DE LA MESSE


Première lecture

« Dieu va déployer ta splendeur » (Ba 5, 1-9)


Lecture du livre du prophète Baruc

Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours, enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu, mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’Éternel. Dieu va déployer ta splendeur partout sous le ciel, car Dieu, pour toujours, te donnera ces noms : « Paix-de-la-justice » et « Gloire-de-la-piété-envers-Dieu ». Debout, Jérusalem ! tiens-toi sur la hauteur, et regarde vers l’orient : vois tes enfants rassemblés du couchant au levant par la parole du Dieu Saint ; ils se réjouissent parce que Dieu se souvient. Tu les avais vus partir à pied, emmenés par les ennemis, et Dieu te les ramène, portés en triomphe, comme sur un trône royal. Car Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu. Sur l’ordre de Dieu, les forêts et les arbres odoriférants donneront à Israël leur ombrage ; car Dieu conduira Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec sa miséricorde et sa justice.


Psaume 

(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
 (Ps 125, 3)

 

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

 

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

 

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

 

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

 

Deuxième lecture

« Dans la droiture, marchez sans trébucher vers le jour du Christ » (Ph 1, 4-6.8-11)


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens

Frères, à tout moment, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais, à cause de votre communion avec moi, dès le premier jour jusqu’à maintenant, pour l’annonce de l’Évangile. J’en suis persuadé, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. Dieu est témoin de ma vive affection pour vous tous dans la tendresse du Christ Jésus. Et, dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important. Ainsi, serez-vous purs et irréprochables pour le jour du Christ, comblés du fruit de la justice qui s’obtient par Jésus Christ, pour la gloire et la louange de Dieu.


Évangile

« Tout être vivant verra le salut de Dieu » (Lc 3,1-6) Alléluia. Alléluia. 
Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers : tout être vivant verra le salut de Dieu. Alléluia. (cf. Lc 3,4.6)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; et tout être vivant verra le salut de Dieu.
Patrick BRAUD

 

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30 novembre 2024

Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous » dans Communauté spirituelle Les-premieres-images-de-Notre-Dame-de-Paris-le-29-novembre-2024-1987372Alors que la réouverture de la cathédrale Notre Dame de Paris suscite des flots d’éloges (justifiés et légitimes) dans tous les médias, apportons une petite note critique : pour les disciples du Christ, les pierres c’est bien, les humains c’est mieux !

Le vrai sanctuaire n’est pas un monument historique, mais le corps du Christ que nous formons ; le vrai Temple de l’Esprit de Dieu n’est pas sous les voûtes gothiques, mais dans le corps personnel de chacun.

De quoi relativiser l’enthousiasme ambiant légèrement idolâtre !

« Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1Co 3,16)

Si nous avons remis le bâtiment debout, c’est pour que Dieu habite en nous, car il n’habite pas les pierres… : « Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai en eux » (Ex 25,8)

Étienne, premier martyr, rappelait à ses juges : « Le Très-Haut n’habite pas dans ce qui est fait de main d’homme, comme le dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, quel sera le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait tout cela ? » (Ac 7,48-50)

 

Voici à nouveau l’article publié le 15 Avril 2019 au moment où l’incendie éclatait.

 

Incendie de Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »

L’incendie de « la forêt » (la charpente) de Notre Dame de Paris nous bouleverse, nous émeut aux larmes. En ce début de semaine sainte, elle est déjà crucifiée, l’effondrement de sa charpente la marquant d’un immense stigmate rouge flamboyant dans le ciel de Paris. Des milliers de parisiens la contemplent, incrédules, dans un impressionnant silence qu’on aurait auparavant qualifié « de cathédrale ». Des millions de par la terre entière se sont joints à eux par leurs écrans envahis de reportages en direct. Choqués, ils ont fait bruisser les réseaux sociaux d’une immense rumeur de stupéfaction, de chagrin, de colère aussi.

Incendie Notre Dame de Paris

Viendra le temps du bilan, puis de l’analyse des causes, des responsabilités, et ensuite de la reconstruction.

Ce soir c’est une immense tristesse qui étreint les amoureux de la beauté de cette cathédrale, des œuvres d’art qu’elle recèle, de l’histoire de France qui lui est intimement liée.

Cependant, la foi chrétienne sait bien que les demeures des hommes ne sont pas éternelles. Jésus lui-même a choqué les habitants de Jérusalem en annonçant qu’il ne resterait pas pierre sur pierre de son Temple pourtant magnifique (Lc 21, 5-11). Et Paul nous demande de ne pas nous tromper de sanctuaire :

« Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (1Co 3,16)

Non, la nature n’est pas sacrée, ni les bois, ni les pierres. Non, le sanctuaire n’est pas fait d’or ou d’argent, mais de chair et le sang, car « le sanctuaire c’est vous ».

Le peuple hébreu se l’est entendu dire dès le début de l’Exode :

« Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai en eux » (Ex 25,8)

Vous avez bien lu. Le texte ne commet pas de faute. Normalement, on aurait dû lire : « vous construirez ce sanctuaire afin que j’habite en lui ». Mais non ! Israël a construit le Temple pour que Dieu habite dans le cœur de chacun, et non dans les pierres. L’Église construit des cathédrales, non pour y enfermer l’Esprit du Christ, mais pour que l’Esprit du Christ habite en nous. Les bâtiments sont des symboles, des médiations, pour que Dieu fasse de nous son Temple vivant. Même si Notre-Dame de Paris était détruite dans l’incendie ou dans une prochaine guerre, la foi chrétienne n’en serait pas détruite pour autant, car l’inhabitation de Dieu en chacun n’est pas liée au sort de nos cathédrales.

Reste que notre attachement à ce symbole de notre peuple nous fait tous désirer que la reconstruction ne tarde pas. Les collectes, les élans de générosité, les solidarités de tous bords ne manqueront pas, soyons en sûrs. L’espérance non plus.

Puisse ces flammes raviver le désir de devenir nous-mêmes le vrai sanctuaire de Dieu parmi les hommes.

 

NB : Dans son roman « Notre-Dame de Paris » publié en 1831, Victor Hugo avait décrit, avec une imagination qui fait froid dans le dos ce soir, la possibilité de cette destruction de Notre Dame :
« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. »

 

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10 novembre 2024

Apprendre à ne pas savoir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Apprendre à ne pas savoir

 Homélie pour le 33° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
17/11/24

Cf. également :
Ephapax : une fois pour toutes
Jésus, Fukuyama ou Huntington ?
Lire les signes des temps
« Même pas peur »…
La destruction créatrice selon l’Évangile
La « réserve eschatologique »
L’antidote absolu, remède d’immortalité
Plus je sais, plus j’ignore

La docte ignorance
Divine surprise

1. Un livre, un article, le silence
Apprendre à ne pas savoir dans Communauté spirituelle pere_shynse
Dans les années 70, j’ai eu la chance de passer deux années de coopération en Afrique de l’Ouest, auprès des Pères Blancs à la gandoura imposante et la barbe vénérable. Dans les premières semaines, j’étais tellement enthousiaste et volubile que je n’arrêtais pas de leur parler de mes découvertes qui s’enchaînaient. Ils m’écoutaient avec bienveillance, en souriant. Au bout d’un mois de mes verbiages, le Père Blanc le plus âgé, qui avait passé plus de 40 ans dans le pays et en avait appris la langue, les coutumes, les proverbes, la mentalité, la culture etc., me confie à mi-voix : « Tu sais, nous aussi quand on est arrivés on était tout excités et chacun écrivait de longues lettres à sa famille pour tout raconter. Au début, on a envie d’écrire un livre. Puis, quelques années après, on s’aperçoit que c’est si complexe qu’on se dit qu’un article ou deux ce ne serait déjà pas mal. Aujourd’hui, j’avoue que je reste toujours un étranger avec de gros yeux qui ne voient rien, et je crois que le silence convient mieux… »

Si un ancien comme lui reconnaissait finalement ignorer davantage de choses dans la culture du peuple qui l’accueillait que tout ce qu’il y avait appris, alors ma prétention aurait été insupportable de pérorer avec assurance sur « l’Afrique » après seulement deux années de présence ! Il m’a ainsi appris à ne pas savoir, à accepter que ce qui reste à découvrir est infiniment plus grand que le peu déjà découvert. Il m’a aidé à accepter de demeurer un étranger au milieu d’un peuple avec qui pourtant je vibrais à l’unisson. Loin d’éteindre la soif de savoir, le côté mystérieux de ce voile d’ignorance qui recouvrait ma perception de l’ethnie locale me stimulait pour continuer à l’explorer, en renonçant à croire maîtriser, contrôler ou tout comprendre.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 13,24–32), il semble que Jésus fasse une expérience semblable, assez troublante pour ceux qui croient en sa divinité [1] . En effet, il assure à ses disciples ne pas tout savoir, et en particulier il ignore la date du Jour de sa venue dans la gloire : « Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père » (Mc 13,32 ; cf. Mt 24,36).

Comment comprendre cette confession de non-savoir ? Quel impact pour nous aujourd’hui ?
Parcourons quelques interprétations de ce verset difficile pour essayer d’en situer les enjeux contemporains.


2. Les différentes interprétations de l’ignorance de Jésus

Hérésies tableau

a) Il ne sait pas, donc il n’est pas Dieu
311208_trinite ignorance dans Communauté spirituelle
Dans les premiers siècles, Arius, Eunome et d’autres prêtres ou évêques ont vu dans ce verset l’indice de l’infériorité de Jésus par rapport à son Père. Parce qu’il ignore ce que son Père connaît, Jésus est en dessous de lui en termes de rang et d’honneur. Les Ariens ont donc professé l’humanité de Jésus, mais pas sa divinité. Au mieux, il aurait été adopté par Dieu au moment du baptême dans le Jourdain. Mais il lui reste inférieur. De nombreuses sectes d’origine chrétienne se sont engouffrées dans ce type d’argumentation pour nier la divinité de Jésus : ébionites, marcionistes, adoptianistes etc. Les Mormons, les Témoins de Jéhovah, et même le Coran ne font que reprendre l’argument : puisque Jésus ne sait pas tout alors que Dieu est omniscient, il n’est donc pas Dieu. C.Q.F.D.

Danger : canoniser trop vite l’ignorance de Jésus peut conduire à la résignation au lieu de l’acceptation. Se résigner à ne pas savoir conduit à se soumettre, à obéir aveuglement, à croire au destin (mektoub !). Or accepter n’est pas se résigner. Accepter de ne pas tout connaître ne signifie pas renoncer à connaître davantage…

b) Il ne sait pas, donc il dépend du Père
Une autre réponse (II°–III° siècles) vient de ce que l’on appelle le monarchianisme, essentiellement oriental. Soucieux de préserver la primauté et la transcendance du Dieu unique (mon-archie = un seul principe), les monarchianistes soutiennent que le Fils est engendré par le Père, qui lui reste supérieur. Jésus émane du Père mais le Père garde toutes les prérogatives ‘monarchiques’ de la divinité, dont l’omniscience.

Danger : rompre l’égalité entre le Fils et le Père interdit à terme la participation humaine à la nature divine, qui est pourtant l’espérance de la foi chrétienne.

c) La théorie des deux fils
Une autre explication (Nestorius, Sabellius au III° siècle) – certes capillotractée ! – avance qu’en Jésus coexistent non pas deux natures (humaine et divine) mais deux personnes : le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. Côté humain, le Fils de l’homme ignore le Jour de sa venue. Côté divin, le Fils de Dieu pleinement manifesté en Jésus après sa résurrection partage l’omniscience du Père.
Bien sûr, cette façon de couper Jésus en deux pour sauver sa divinité fut rapidement condamnée par les premiers conciles.

Danger : diviser Jésus en deux, c’est empêcher la communication en lui comme en nous entre le divin et l’humain.

d) Dans son incarnation, le Christ renonce à la connaissance divine (théorie kénotiste)
parabole-philippiens omniscience
L’hymne de Ph 2,6–11 évoque la kénose du Verbe de Dieu en Jésus de Nazareth : lui, de condition divine, ne considéra pas comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu, mais il s’est vidé de lui-même (kénose), pour prendre la condition humaine. L’ignorance de Jésus sur le jour J relèverait alors de cet abaissement volontaire et temporaire par lequel Jésus renonce à l’omniscience divine le temps de son passage parmi nous. Exalté auprès du Père par sa résurrection, Jésus partagerait désormais l’omniscience du Père sur toute chose, mais ce n’était pas encore le cas avec ses disciples.

Évidemment, cette position est largement compromise par la réponse de Jésus à ses disciples après la Résurrection : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1,7).

Intérêt : souligner l’humilité du Christ qui ne fait pas semblant d’être à nos côtés.
Danger : réduire l’ignorance humaine un détail anecdotique et provisoire.

e) « C’est chez lui un dessein secret de se taire »
Récusant toutes les précédentes interprétations jugées hérétiques, les Pères de l’Église sont bien embarrassés pour interpréter ce verset !
Augustin y lit la volonté de Jésus de laisser le Père communiquer lui-même sur le jour du jugement :

« Le Père fait connaître ce jour au Fils ; et s’il est dit du Fils qu’il ne sait pas, c’est parce qu’il ne communique point cette connaissance aux hommes ».

Thomas d’Aquin reprendra cette lecture en parlant de « simulation édifiante » : le Christ aurait fait semblant de ne pas savoir pour apprendre à ses disciples à tout attendre du Père.
Hilaire de Poitiers préfère prendre acte du refus de Jésus de répondre à la demande de ses disciples sur la date du jour J, sans avoir d’explication autre que le désir de Jésus de se taire là-dessus :

« Le Fils n’ignore donc pas ce que n’ignore pas le Père. Et si le Père seul connaît, ce n’est pas que le Fils ne le sache : mais, puisque tous deux demeurent dans l’unité d’une seule nature, si le Fils ‘en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science’ (Col 2,3), ignore quelque chose, c’est chez lui un dessein secret de se taire, comme l’affirme le Seigneur lorsqu’il répond à ses Apôtres qui s’enquièrent de la fin des temps : ‘Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa puissance divine’ » (Ac 1,7).

Intérêt : accepter de ne pas savoir pourquoi Jésus ne sait pas.
Danger : réduire le mystère à une exigence d’obéissance. Figer le mouvement de l’interprétation alors que c’est une invitation à explorer sans cesse.

f) Il ne nous appartient pas de tout connaître
Jean Chrysostome a posé les bases de l’interprétation qui est sans doute la plus féconde pour nous : Jésus a appris à ses disciples à ne pas vouloir tout savoir, ce qui est finalement le meilleur moyen d’en savoir toujours davantage !

« Il ajoute à dessein que les anges ne savaient rien de ce jour, afin d’ôter à ses disciples le désir d’apprendre une chose que les anges même ne savaient pas; mais en disant que le Fils même ne le savait pas, non-seulement, il leur ôte le désir de le connaître, mais la volonté même de s’en informer. Et pour confirmer ce que je dis, il ne faut que considérer ce qu’il dit à ses disciples après sa résurrection, et de quelle manière il arrête leur curiosité lorsqu’ils s’informaient trop curieusement de l’avenir. Car il prédit ici beaucoup de signes ; mais il leur dit alors clairement : « Ce n’est pas à vous à savoir les temps et les moments ». (Ac 1,7). Et pour qu’ils ne regardent point ce refus comme une marque de mépris, et qu’ils ne s’imaginent pas que le Sauveur les jugeait indignes de cette connaissance, il ajoute aussitôt : « que le Père a mis dans sa puissance ». Car il a toujours au contraire témoigné avec grand soin à ses apôtres qu’il les traitait avec honneur, et qu’il ne leur voulait rien cacher. C’est pourquoi il attribue cette connaissance au Père, et il la fait passer dans leur esprit pour une chose trop élevée au-dessus d’eux ».

Hilaire de Poitiers était lui aussi sur cette piste lorsqu’il examine la même question des disciples de Jésus après sa résurrection :

« Ayant compris que ce mystère du non-savoir du Fils relève d’un dessein divin de se taire, maintenant qu’il est ressuscité, ils l’interrogent à nouveau, croyant que le temps est venu pour lui de parler. Et ici, le Fils ne leur répond plus qu’il l’ignore, mais leur dit que ce n’est pas à eux de connaître ce moment que le Père a fixé dans sa puissance divine ».


De l’intérêt de ne pas (tout) savoir
Tel un pédagogue, Jésus a éveillé ses disciples à désirer les réalités les plus hautes, à accueillir la révélation des mystères les plus inaccessibles. Pourquoi alors leur fixer une limite (la date du jour J) ?

Cela nous renvoie au premier interdit de la Genèse : « du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas ». Interdire cette connaissance-là est salutaire pour l’humanité, car elle se suiciderait à décider par elle-même ce qui est bien ou ce qui est mal (ce que l’on constate hélas de nos jours…) en dehors de YHWH. Le psychanalyste Jacques Lacan rappelle fort justement que l’inter-dit est ce qui est dit entre partenaires du dialogue, qui n’existe pas sans cet espace de communication (entre l’homme et Dieu, entre l’homme et la femme etc.).

Sans interdit, pas de parole (inter-dit = dit entre), pas de communication ni de communion, mais seulement la violence de la prédation (s’emparer du fruit et le manger). D’où la reprise de cet interdit fondamental dans le Décalogue : « Tu ne convoiteras pas ».

Vers l'infini et au-delàAccepter de ne pas tout savoir est libérateur. À plusieurs titres :

– ceux qui veulent tout savoir bâtissent des théories totalitaires, inventent des idoles pour boucher les trous de leur connaissance, et verrouillent des sociétés fermées où il n’est pas possible de contester le savoir officiel. Imposer une explication à tout, qu’elle soit mythologique, religieuse ou politique, transforme les relations humaines en soumission obligée à l’unique savoir dominant. Les sociétés communistes, les États islamiques, les dictateurs de tout poil savent manier à merveille hélas cette soumission à l’omniscience du parti, d’Allah, du grand leader.

- l’ignorance nourrit la gratuité
Une homélie anonyme du II° siècle établit clairement ce lien :
« Parmi les justes, aucun n’a recueilli un fruit précoce : il faut savoir attendre. Si Dieu donnait immédiatement aux hommes justes leur récompense, ce serait bientôt un marché que nous pratiquerions, et non le culte de Dieu. Nous aurions l’apparence de la justice en recherchant non pas la religion, mais notre profit ».
Ne pas connaître la date du Jour J, ni celle de notre mort, nous empêche de calculer d’ici là, de compter sur le temps qui nous reste, d’exiger un retour immédiat sur investissement…

– croire tout savoir fige la recherche
Les failles, les béances, les contradictions des savoirs actuels sont justement le moteur de la quête scientifique. Si l’on accepte de ne pas savoir, alors la recherche est toujours possible, car le savoir absolu n’est jamais atteint et il en reste toujours plus à découvrir. La quête scientifique est par essence inachevée (Karl Popper) ; c’est sa grandeur et sa puissance. Pour les chrétiens, la quête spirituelle est de même nature : Dieu est l’au-delà de tout, et accepter de ne pas le posséder n’est pas se résigner à ignorer.
Au contraire, « dans l’éternité du siècle sans fin, celui qui court vers Toi devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l’accroissement des grâces (…) ; mais comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient pour ceux qui montent le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par d’éternels commencements qui n’ont jamais de fin » (Grégoire de Nysse).


Que veut dire savoir pour Dieu ?
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Si Dieu est le Tout-Autre, non soumis à l’espace-temps, l’acte de savoir lui est complètement étranger. Car savoir suppose un passé et un futur (je sais ce qui s’est passé, je sais ce qui va arriver ici…). Savoir la date du jour J, c’est encore se situer dans le temps (et donc dans l’espace), ce qui convient à des idoles mais pas au Tout-Autre. Donc nous pouvons dire en un sens que Dieu lui-même renonce à savoir, puisqu’il est au-delà des catégories de la connaissance… L’omniscience n’est pas un attribut divin, mais une projection humaine ! C’est inventer Dieu sous les traits d’un humain sans limites (anthropomorphisme). Dieu « ne sait pas », car l’acte de savoir ne s’applique pas à Dieu.

La docte ignoranceVertige métaphysique certes, qui a l’immense mérite de nous dépouiller de toute velléité de convoitise dans l’acte de chercher à savoir…


Conclusion :
Il est bon pour nous de chercher à savoir, il est meilleur encore d’apprendre à ne pas savoir.
La question de la date du jour J est dans l’Évangile le meilleur exemple de l’utilité de cette « docte ignorance » : ne connaître ni le jour ni l’heure nous rend libres pour vivre ce Jour aujourd’hui tout en l’espérant demain.

Apprendre à ne pas savoir s’applique à tant d’autres domaines de recherche : ne pas chercher à savoir si je suis sauvé, heureux, riche, aimé ou admiré etc. est libérateur, et suscite une quête infinie, désintéressée, gratuite.

Car le salut, le bonheur, la vraie richesse, l’amour etc. sont illucides : dès que j’ai conscience de les posséder, ces réalités m’échappent.
Mieux vaut alors ignorer tout en désirant sans cesse… 

______________________________________

 [1] . Jean a bien perçu cette difficulté, et se garde bien d’évoquer cette ignorance de Jésus. Au contraire, ses disciples lui reconnaissent l’omniscience : « Maintenant nous savons que tu sais toutes choses, et tu n’as pas besoin qu’on t’interroge : voilà pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jn 16,30).


 
Lectures de la messe

Première lecture
« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré » (Dn 12, 1-3)

Lecture du livre du prophète Daniel
En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent, jusqu’à ce temps-ci. Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré, tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles. Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais.

Psaume
(Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)
R/ Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
(Ps 15, 1)

Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

 Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

Deuxième lecture
« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 11-14.18)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Dans l’ancienne Alliance, tout prêtre, chaque jour, se tenait debout dans le Lieu saint pour le service liturgique, et il offrait à maintes reprises les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais enlever les péchés.
Jésus Christ, au contraire, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds. Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie. Or, quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour le péché.

Évangile
« Il rassemblera les élus des quatre coins du monde » (Mc 13, 24-32) Alléluia. Alléluia. 

Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous pourrez vous tenir debout devant le Fils de l’homme. Alléluia. (cf. Lc 21, 36)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »

 

 

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