L'homélie du dimanche (prochain)

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9 avril 2011

Une puanteur de 4 jours

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Une puanteur de 4 jours

 

Homélie pour le 5° dimanche de Carême / Année A

Dimanche 10 Avril 2011

 

Flash-post sur le parfum

Dans ce récit de la résurrection de Lazare, Jean a recours à un curieux procédé littéraire, symétrique du flash-back au cinéma. Il fait en quelque sorte une avance sur image, un flash-post et précise que Marie, la soeur de Lazare, versera du  parfum odoriférant lors de l’onction à Béthanie qui débutera la Semaine Sainte de Jésus en Jn 12.

Pourquoi ?

Sans doute à cause de l’odeur du parfum que Marie versera sur les pieds de Jésus. Le contraste entre le nard  précieux et la senteur fétide du cadavre est si fort qu’il ne peut pas ne pas être voulu.

Une puanteur de 4 jours dans Communauté spirituelle- Le corps de Lazare sent la mort.

- Le corps de Jésus sera oint d’un parfum de grand prix.


- Jésus fait ouvrir le tombeau en roulant la pierre, et la puanteur de la décomposition s’échappe au nez de la foule.

- Marthe ouvrira le flacon de parfum, et « toute la pièce en est remplie ».

 

- Lorsque coulent des larmes de Jésus, des témoins de la scène protestent (v37) contre le gaspillage de temps (v6) qui du coup n’a pas empêché Lazare de mourir.

- Judas protestera contre le gaspillage d’argent que représentera le geste de Marie.

 Lazare dans Communauté spirituelle

 

Marie-parfum / Marthe-senteur

Bizarrement, ce flash-post ne mentionne que pour Marie le lien de famille avec Lazare, alors que Marthe est également sa soeur (11,2) ! Le rédacteur signale ainsi que Marie est du côté du parfum de vie, alors que Marthe est liée à l’odeur de mort (v39). Le verset 45 ne mentionne à nouveau Marie comme soeur de Lazare qu’à la fin de l’épisode.

 

Dure discrimination entre Marie et Marthe, que Jésus aime pourtant toutes les deux (v5).

 

Cette différenciation sur l’odeur n’est donc pas anodine : la figure de Marthe ici sert d’avertissement pour tous ceux qui se laisseraient fasciner par le morbide, par ce qui se décompose, par ce qui va du côté de la mort.

Les déclinologues en tout genre se reconnaîtront dans cette figure…

Hélas, cette tendance morbide est toujours à l’oeuvre, individuellement et collectivement.

À l’inverse, la figure de Marie sert d’invitation à dilater le parfum de vie à toutes les pièces de nos existences, jusqu’à les remplir de « la bonne odeur du Christ ».

 

Les quatre jours

Pourquoi alors insister sur le caractère affreux de l’état du cadavre avec la précision des quatre jours ? ! On se croirait à un épisode de la série « Les Experts », qui vont passer le cadavre au crible et faire parler la chair décomposée.

 

v 17 : Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre.

v 39 : Marthe, la soeur du mort, lui dit: Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là.

 

Plusieurs hypothèses sont possibles.

- Une croyance populaire de l’époque décrivait l’âme du défunt tournant autour du corps, tant qu’elle peut le reconnaître. Après quatre jours, quand le visage se décompose, l’âme quittait pour toujours ? pensait-on – les alentours de la tombe.

 

- Trois jours, c’est la durée de la résurrection dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau. Après trois jours donc, normalement, « c’est plié », c’est impossible.

 

Mais rien n’est impossible à Dieu !

Même lorsque la mort paraît avoir gagné à ce point, ce n’est pas encore fini. « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » là où n’y avait plus d’espoir.

Car lorsqu’il n’y a plus d’espoir humain, il y a encore l’espérance (à la manière de Dieu).

Vous voyez comment il laisse le champ libre à la mort, il donne ses chances au tombeau, il permet à la décomposition de s’exercer, il n’empêche ni la pourriture ni l’odeur infecte. Il accepte que le séjour des morts se saisisse de Lazare, l’engloutisse, le garde prisonnier. Il agit pour que tout espoir humain soit perdu, et que toute la violence de la désespérance terrestre se déchaîne, afin qu’on voie bien que ce qui va se passer est l’oeuvre de Dieu, non de l’homme. Il reste au même endroit à attendre la mort de Lazare jusqu’à ce qu’il puisse l’annoncer lui-même et déclarer qu’il ira vers lui (saint Pierre Chrysologue : sermon LXIII).

 

« Sors ! »

L’ordre du Christ est extraordinairement efficace pour nous sortir de nos « 4 jours », de notre fascination pour les odeurs de mort, de nos reproches envers le silence de Dieu devant notre détresse.

 

« Sors ! » : cet ordre est salutaire.

C’est la voix du Maître, l’ordre du Roi, le commandement du Souverain : « Sors ! » Dépose la corruption et retrouve ta peau dans l’incorruption : « Lazare, sors ! » Que les Juifs sachent que l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et vivront : « Sors ! » La pierre d’achoppement est ôtée, avance vers moi qui t’appelle : « Sors ! » Je m’adresse à toi comme un ami, mais je t’ordonne comme un maître : « Sors ! » Moi qui fais lever du tombeau un mort de quatre jours, les Juifs sauront qu’à bien plus forte raison je ressusciterai moi-même après trois jours, si je dois goûter à la mort : « Lazare, sors ! » La mort n’est pas une fin. Sors enveloppé de bandelettes et entouré d’un suaire, que les Juifs ne croient pas ta mort simulée. Ils verront tes mains et tes pieds liés, tes yeux recouverts ; qu’ils ne restent pas incrédules devant ce miracle : « Sors ! » L’odeur fétide de ton corps sera le garant de ce que tu es bien revenu à la vie. Les Juifs délieront eux-mêmes les bandelettes qui t’entourent, et reconnaîtront celui qu’ils avaient déposé dans le tombeau : « Sors ! » Recouvre la vie, reprends haleine et marche hors de ton cercueil. Montre comment, en un instant, les morts se retrouvent avec un corps entièrement animé, au son de l’ultime trompette de la résurrection générale des morts : « Sors ! »(saint André de Crète : Discours VIII sur Lazare le mort de quatre jour).

 

·       Quels sont les tombeaux dans lesquels une partie de nous-mêmes est prisonnière, comme le corps de Lazare enserré de bandelettes ?

Quelles sont nos fascinations pour ce qui se décompose ?

Où aller respirer le parfum de vie de Marie ?

Qu’avons-nous enfoui depuis plus de « 4 jours » ?

Pourquoi ne pas croire que Dieu a le pouvoir en Jésus-Christ de réveiller nos Lazares perdus ?

 

 

Résurrection de Lazare

 

Jean  11  1  Il y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa soeur.  2  C’était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c’était son frère Lazare qui était malade.  3  Les soeurs envoyèrent dire à Jésus: Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade.  4 Après avoir entendu cela, Jésus dit: Cette maladie n’est point à la mort; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle.

  5 Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare.

  6 Lors donc qu’il eut appris que Lazare était malade, il resta deux jours encore dans le lieu où il était,  7 et il dit ensuite aux disciples: Retournons en Judée.  8 Les disciples lui dirent: Rabbi, les Juifs tout récemment cherchaient à te lapider, et tu retournes en Judée!

  9 Jésus répondit: N’y a-t-il pas douze heures au jour? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne bronche point, parce qu’il voit la lumière de ce monde;

  10 mais, si quelqu’un marche pendant la nuit, il bronche, parce que la lumière n’est pas en lui.

  11  Après ces paroles, il leur dit: Lazare, notre ami, dort; mais je vais le réveiller.  12  Les disciples lui dirent: Seigneur, s’il dort, il sera guéri.  13  Jésus avait parlé de sa mort, mais ils crurent qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil.  14 Alors Jésus leur dit ouvertement: Lazare est mort.  15 Et, à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n’étais pas là. Mais allons vers lui.  16 Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples: Allons aussi, afin de mourir avec lui.

  17  Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre.  18 Et, comme Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ,  19  beaucoup de Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère.  20  Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison.  21  Marthe dit à Jésus: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort.  22 Mais, maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera.  23 Jésus lui dit: Ton frère ressuscitera.  24 Je sais, lui répondit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour.

  25 Jésus lui dit: Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort;

  26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?

  27 Elle lui dit: Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde.

  28  Ayant ainsi parlé, elle s’en alla. Puis elle appela secrètement Marie, sa soeur, et lui dit: Le maître est ici, et il te demande.  29 Dès que Marie eut entendu, elle se leva promptement, et alla vers lui.  30 Car Jésus n’était pas encore entré dans le village, mais il était dans le lieu où Marthe l’avait rencontré.  31  Les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient, l’ayant vue se lever promptement et sortir, la suivirent, disant: Elle va au sépulcre, pour y pleurer.

  32 Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus, et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds, et lui dit: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort.  33   Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient venus avec elle, frémit en son esprit, et fut tout ému.  34 Et il dit: Où l’avez-vous mis? Seigneur, lui répondirent-ils, viens et vois.  35 Jésus pleura.  36 Sur quoi les Juifs dirent: Voyez comme il l’aimait.  37 Et quelques-uns d’entre eux dirent: Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point?  38  Jésus frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au sépulcre. C’était une grotte, et une pierre était placée devant.  39 Jésus dit: Ôtez la pierre. Marthe, la soeur du mort, lui dit: Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là.  40 Jésus lui dit: Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?

  41 Ils ôtèrent donc la pierre. Et Jésus leva les yeux en haut, et dit: Père, je te rends grâces de ce que tu m’as exaucé.

  42  Pour moi, je savais que tu m’exauces toujours; mais j’ai parlé à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé.

  43  Ayant dit cela, il cria d’une voix forte: Lazare, sors!  44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus leur dit: Déliez-le, et laissez-le aller.
Patrick BRAUD

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26 février 2011

L’insouciance de Jésus : du fatalisme à la recherche de l’essentiel

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L’insouciance de Jésus :
du fatalisme à la recherche de l’essentiel

Homélie pour le 8° dimanche ordinaire / Année A

Dimanche 27 Février 2011


Le souci du lendemain est au coeur de la modernité

·       Ce passage de l’évangile de Matthieu (Matthieu 6,24-34) est assez déconcertant pour un homme du XXIe siècle. Certaines phrases résonnent d’une actualité étonnamment prophétique et pertinente. Par exemple : « vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent ». Alors que nous souffrons encore des conséquences des crises économiques successives, on se dit que beaucoup d’acteurs des milieux bancaires et financiers auraient dû relire cet avertissement en le prenant au sérieux…

 

·       Par contre, d’autres phrases paraissent complètement obsolètes, inefficaces, voire dangereuses prises au pied de la lettre. Par exemple : « qui d’entre vous, à force de souci, peut prolonger tant soit peu son existence ? ».

Regardez le graphique ci-dessous. À partir du XVIIIe siècle, l’espérance de vie en France s’accroît régulièrement (excepté pendant les guerres bien sûr) et de façon spectaculaire. Du temps de Jésus, plus d’un enfant sur deux mourait à la naissance, et vivre vieux (40-50 ans) était réservé à une petite minorité. Aujourd’hui, la mortalité infantile est réduite à zéro ou presque en France, et en moyenne on a tous des chances de vivre jusqu’à 80 ans, avec au milieu de nous des centenaires à la pelle !

 

Heureusement donc que l’Occident n’a pas pris au pied de la lettre ce triste constat que Jésus fait à son époque : ‘on ne peut pas prolonger sa vie’, pensait-on.

Ce n’est pas une fatalité de mourir à 40 ans !

Collectivement, c’est bien le souci du lendemain qui a permis de prolonger notre existence, contrairement à ce que semble constater Jésus. Individuellement, c’est également efficace : arrêter de fumer, faire un régime, avoir un bon suivi médical préventif etc…. vous fera gagner quelques années de vie si vous avez le souci de votre santé.

 

·       Plus important encore, cette amélioration de la vie, en qualité et en durée, est due à  la faculté de prévision et d’anticipation modernes que Jésus semble rejeter. « Ne vous faites pas donc pas tant de souci pour demain ». C’est pourtant en s’inquiétant fortement pour demain qu’on a pu bâtir des systèmes de retraite performants (que l’on défend becs et ongles !), qu’on a pu dépister des maladies avant qu’elles n’arrivent etc…

C’est en refusant une conception ‘providentialiste’ que la science occidentale a pu découvrir les lois du climat, la physique, de la génétique, de la création des richesses économiques etc… Si on en était resté à la lettre des conseils de Jésus sur l’imitation des lis des champs et l’insouciance du lendemain, tous ces progrès modernes n’auraient guère été possibles…

D’ailleurs, l’aversion de l’Église catholique pour le prêt à intérêt (qu’elle confondait avec l’usure), véritable outil de l’émergence du capitalisme dès le XIIIe siècle, vient de là en partie ! Les marchands, les ingénieurs et les banquiers du Moyen Âge voulaient (à juste titre) anticiper, maîtriser les risques, changer les lendemains grâce à leur intelligence et leurs techniques. Apparemment tout le contraire de ce que dit Jésus ici de sa méfiance envers l’argent et de son insouciance du lendemain !

 

Car ne pas se soucier du lendemain s’est révélé dans l’histoire inefficace sur le plan économique et social, voire dangereux… Qui oserait aujourd’hui contester le souci écologique du lendemain pour notre planète par exemple !

« Gouverner c’est prévoir » : le souci du lendemain est au coeur de la modernité.

 

Comment se tirer de ces contradictions bien réelles ?

- Certains voudraient revenir à une conception providentialiste. Dans le domaine religieux par exemple, « s’abandonner à la Providence » est un thème qui revient en force.

Les fondateurs comptent sur la générosité des riches pour faire vivre leurs oeuvres ; mais est-ce cela la Providence ? ?

- D’autres prêchent une attitude quasi fataliste : ‘c’est écrit’. Quoi que vous fassiez, c’est écrit ; et si vous arrivez à prolonger votre vie, c’est que Dieu en avait décidé ainsi. Si quelqu’un meurt trop tôt, ce que ‘c’était son heure’Mektoub !’, diraient les croyances populaires musulmanes…

 

Ces visions, fataliste ou providentialiste, ne sont guère compatibles avec l’ensemble de la révélation biblique. Depuis la responsabilité initiale de la Genèse où Dieu confie la terre à l’homme (« croissez et multipliez-vous ») jusqu’à la ville de l’Apocalypse, symbole de l’effort humain pour mieux vivre ensemble, la Bible n’incite guère à l’insouciance !

 

Alors ? Comment interpréter cette expression devenue proverbiale : « à chaque jour suffit sa peine » ?

 

Ne pas confondre la fin et les moyens

Comme pour le lien entre Dieu et la pluie (Mt 5,45), Jésus semble s’appuyer ici sur une évidence culturelle indépassable à son époque (‘la nature nourrit l’homme gratuitement’) pour conduire vers une révélation d’un autre ordre : Dieu le premier vous nourrit gratuitement.

Non pas en faisant tout arriver de manière magique et cruelle (la pluie/la sécheresse, les récoltes/la famine…).

Mais en assurant à l’homme qu’ « il vaut beaucoup plus que les oiseaux du ciel ».

En invitant à ne pas se tromper d’objectif : c’est « chercher le Royaume et sa justice » qui est au coeur du désir humain, tout le reste n’est que de l’ordre des moyens (bien manger, bien boire, s’habiller, vivre vieux), pas de l’ordre de la fin ultime.

 

·       D’ailleurs, Jésus ne dit pas : « soyez insouciants », mais : « ne vous faites pas tant de souci ». C’est-à-dire : souciez-vous du lendemain, de votre retraite, de votre santé, de la planète – oui, mais n’y mettez pas tout votre coeur, toute votre énergie, au risque de passer à côté de l’essentiel. Tout en poursuivant ceci (assurer les lendemains), n’oubliez pas cela (habiter le présent, chercher l’essentiel).

Quand on visite des maisons de retraite et qu’on voit des personnes âgées assises en silence tout l’après-midi en rond sur leurs fauteuils, on peut se demander effectivement si l’augmentation quantitative de la durée de vie ne s’est pas faite au détriment de la qualité relationnelle et humaine de ces longues années, surtout sur la fin…

 

Un avertissement salutaire

·       « À chaque jour suffit sa peine » résonne alors comme un avertissement aussi salutaire aujourd’hui que : « vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’Argent ». Au lieu de s’inquiéter toujours pour beaucoup de choses, ne perdez pas de vue l’essentiel. « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire… » (Mc 10,41)

 

À force de trop vivre dans le lendemain, le risque est réel de passer à côté du présent.

 

 

Sans renoncer à l’exceptionnelle capacité de prévision et d’anticipation que nous ont donnée les sciences modernes, pourrons-nous nous entendre cet appel à mettre tout cela au service du présent ?

 

« Père céleste », donne-nous d’habiter la peine où la joie de chaque jour.

Apprends-nous à recevoir gratuitement ce que la recherche de l’essentiel peut produire dans nos vies.

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »… (Lc 11,3)

 

 

1ère lecture : Dieu ne peut pas oublier son peuple (Is 49, 14-15)

Lecture du livre d’Isaïe

Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée. »

Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait l’oublier, moi, je ne t’oublierai pas. – Parole du Seigneur tout-puissant.

Psaume : 61, 2-3, 8, 9

R/ En Dieu seul, le repos de notre âme.

Je n’ai de repos qu’en Dieu seul,
mon salut vient de lui.
Lui seul est mon rocher, mon salut,
ma citadelle : je suis inébranlable.

Mon salut et ma gloire 
se trouvent près de Dieu. 
Chez Dieu, mon refuge, 
mon rocher imprenable ! 

Comptez sur lui en tous temps, 
vous, le peuple. 
Devant lui épanchez votre coeur : 
Dieu est pour nous un refuge.

 

2ème lecture : C’est Dieu qui juge : ne jugez pas (1 Co 4, 1-5)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
il faut que l’on nous regarde seulement comme les serviteurs du Christ et les intendants des mystères de Dieu.

Et ce que l’on demande aux intendants, c’est en somme de mériter confiance.

Pour ma part, je me soucie fort peu de votre jugement sur moi, ou de celui que prononceraient les hommes ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même.

Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me juge, c’est le Seigneur.

Alors, ne portez pas de jugement prématuré, mais attendez la venue du Seigneur, car il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il fera paraître les intentions secrètes. Alors, la louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu.

Évangile : Sermon sur la montagne. Confiance en Dieu notre Père (Mt 6, 24-34)

 Acclamation : Alléluia. Alléluia. Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout vous sera donné par surcroît. Alléluia. (Mt 6, 33)

 Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.

C’est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?

Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?

D’ailleurs, qui d’entre vous, à force de souci, peut prolonger tant soit peu son existence ?

Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.

Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’eux.

Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ?

Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’

Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin.

Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché.

Ne vous faites pas tant de souci pour demain : demain se souciera de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »

 

Patrick Braud

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19 février 2011

También la lluvia : même la pluie !

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También la lluvia : même la pluie !

 

Homélie pour le 7° dimanche ordinaire / Année A

Dimanche 20 Février 2011

 

·       « Même la pluie ! »

C’est le titre d’un film de la réalisatrice Icíar Bollaín, sorti en 2010.

« Même la pluie ! Ils veulent tout acheter, même l’eau qui tombe du ciel… »

En protestant contre la privatisation de l’eau en Bolivie en Avril 2000, un humble « survivant » de la ville de Cochabamba va bouleverser le destin de sa famille, de son peuple, des Américains venus tourner un film où il figure Hatuey, le leader indien de la révolte contre Christophe Colomb en 1511.

 

« Même la pluie ! »

Ce cri de révolte contre l’injustice fait presque écho, de manière inversée, au cri d’admiration de Jésus envers l’amour de Dieu : « même la pluie » tombe sur les injustes comme sur les justes ! C’est donc que Dieu lui-même aime ses ennemis : il fait tomber la pluie sur tous, sans considération de leurs mérites.

« Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »

 

La pointe de cet argument ne porte pas sur le lien entre Dieu et la pluie. Dans une société préscientifique, Jésus lui-même ne peut remettre en cause ce lien magique, naïf, archaïque. Non, la pointe de l’argument c’est que « même la pluie » (ou le soleil d’ailleurs) atteste de la bonté de Dieu pour tous, en tombant également pour les injustes.

 

·       De la récompense / punition à la gratuité pour tous

Il faut se souvenir qu’aujourd’hui encore, un juif pratiquant récite trois fois par jour dans la prière du ?Shema Israël’ (« écoute Israël ! » Dt 6,4) que la pluie ne tombe en Israël que si les commandements de la Loi sont respectés. « Si tu observes mes commandements, je ferai tomber la pluie et bénirai tes récoltes… Mais si tu n’observes pas mes commandements, je fermerai les cieux et la terre ne produira plus de récoltes» (Dt 11,13-17 : c’est dans la 2° section du shema Israël en fait, Dt 11,13-21, après Dt 6,4 et avant Nb 15, 37-41).

Jésus connaît bien ces versets, incorporés depuis au Shema Israël… Et pourtant il ose affirmer en quelque sorte que Dieu n’est pas lié par cette loi, puisqu’il fait tomber la pluie même sur les injustes ! Il ose se réjouir de cet amour de Dieu pour tous, qui devient ainsi la source de son amour pour ses ennemis. L’eau qui jaillira de son côté ouvert sur la croix tombera en pluie de grâce sur les soldats romains qui l’ont torturé et cloué, sur les chefs des prêtres qui l’ont jugé et condamné, comme sur Marie ou sur Jean…

 

Cela scandalise encore les ultras-religieux trop raides dans leur foi ! Ou les amoureux d’une justice éblouissante.

Comment ? Dieu ne punit pas les méchants ? Il pardonne à ses bourreaux ? Il va jusqu’à aimer ses ennemis ? Mais c’est un faible, un sous homme (cf. Marx), un esclave (cf. Nietzsche) qui supporte l’insupportable !

 

·       Même Élie a dû apprendre à aimer ses ennemis

Souvenez-vous du prophète Élie (1R 17-19). Le grand prophète Élie, dont le peuple juif attend le retour à la fin des temps. Il était tellement ‘religieux’ qu’il a voulu être plus royaliste que le roi, plus sévère que le Dieu d’Israël. Révolté par l’idolâtrie du roi Achab et de sa fameuse compagne Jézabel, il s’attendait à ce que Dieu fasse cesser la pluie sur le pays, en châtiment, selon la Loi. Or la pluie tombe encore sur Israël, et cela irrite Élie, qui décide alors de faire ce que Dieu aurait dû faire d’après lui (tous les terroristes religieux suivent ce raisonnement, hélas). Il décrète (de sa seule initiative) à Achab qu’il n’y aura plus de pluie qui tombera en Israël. Élie se prend pour Dieu. Il exige de Dieu qu’il applique sa Loi à la lettre.

Ce coup de force contre Dieu marchera un temps au mont Carmel contre les prophètes de Baal. Mais ensuite, à travers les signes du pain et de la cruche d’huile de la veuve de Sarepta, à travers le doux murmure devant sa grotte, Élie découvrira que Dieu n’est pas dans la violence qui s’impose, pas dans l’ouragan qui foudroie [1]. Il est dans l’humble nourriture chaque jour (« notre pain quotidien »), dans le patient murmure qui annonce son passage, « de dos »… 

Elie réclamait la sévérité pour les idolâtres.

Jésus révèle l’amour de Dieu pour les injustes.

Les ultras-religieux veulent punir ceux qui ne le sont pas.

Jésus fait tomber une pluie de grâce sur « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ».

Seule la contemplation de cet amour universel en Dieu peut nous donner le courage et la force d’aimer nos ennemis, nous aussi, avec Lui et en Lui. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ».

 

La loi de gradualité

·       Pour cela, il nous faudrait peut-être réapprendre la « loi de gradualité », que la Doctrine Sociale de l’Église décline comme une patience bienveillante envers tous :

« Il faut une conversion continuelle, permanente, qui, tLa loi de gradualité: Une nouveauté en morale? : fondements théologiques et applicationsout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont reçu du mystère du Christ, soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie. » (Jean-Paul II, Familiaris Consortio n° 9, 1981)

 

Cette loi de gradualité n’implique pas la gradualité de la loi : elle n’enlève pas l’exigence un impératif absolu (« aimez vos ennemis ! »), mais elle nous laisse le temps de progresser vers cet horizon, par degrés, patiemment, graduellement.

 

·       « Même la pluie » qui tombe témoigne de l’amour des ennemis. Cette pluie-là n’est pas à vendre, pas plus que la pluie bolivienne. Personne ne peut l’acheter.

Qu’elle empêche notre rapport à la loi de se dessécher !

 


[1]. Les rabbins, constatant eux aussi que la pluie tombe sur Israël même idolâtre, vont distinguer deux pluies : une pluie minimale, garantie à tous, et une pluie de bienfaisance, surabondance de vie accordée à ceux qui observent les commandements.

[2]Cf. Le doux murmure, Sébastien Allali, DDB, 2010, ou Ce Dieu censé aimer la souffrance, François Varone, Cerf, 1984.

 

 

 

1ère lecture : Tu aimeras ton prochain, car je suis saint (Lv 19, 1-2.17-18)

 

Lecture du livre des Lévites

Le Seigneur adressa la parole à Moïse :
« Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël ; tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
Tu n’auras aucune pensée de haine contre ton frère. Mais tu n’hésiteras pas à réprimander ton compagnon, et ainsi tu ne partageras pas son péché.

Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Je suis le Seigneur ! »

 

Psaume : 102, 1-2, 3-4; 8.10, 12-13

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits ! 

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

2ème lecture : La sagesse véritable: appartenir tous ensemble au Christ (1 Co 3, 16-33)

 

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
n’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous.

Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira ; car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous.

Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage.

Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. L’Écriture le dit : C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.

Elle dit encore : Le Seigneur connaît les raisonnements des sages : ce n’est que du vent !

Ainsi, il ne faut pas mettre son orgueil en des hommes dont on se réclame. Car tout vous appartient,

Paul et Apollos et Pierre, le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Aimez vos ennemis, soyez parfaits comme votre Père céleste (Mt 5, 38-48)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Celui qui garde la parole du Christ connaît l’amour de Dieu dans sa perfection. Alléluia. (cf. 1 Jn 2, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Vous avez appris qu’il a été dit : Oeil pour oeil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. 
Et si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter.
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Patrick Braud

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12 février 2011

Accomplir, pas abolir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Accomplir, pas abolir 

 

Homélie pour le 6° dimanche ordinaire / Année A

Dimanche 13 Février 2011

 

« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ».

Si les Églises s’étaient davantage souvenues de cette phrase de Jésus en Mt 5, elles n’auraient sans doute pas diabolisé les rites chinois, supprimé autant de coutumes africaines, ou imposé tant de points de vue orientaux au début puis occidentaux ensuite… Heureusement, certains ne l’ont pas oublié : des missionnaires ont sauvé les langues locales en les mettant par écrit, avec dictionnaires et grammaire. D’autres ont magnifié les coutumes locales dignes d’admiration et les ont fait entrer dans le trésor chrétien. D’autres encore cherchent dans la musique contemporaine, ou la culture numérique, ou la mondialisation… ce qui peut être « accompli » en le « baptisant » en Christ.

 

Mais justement qu’est-ce que accomplir pour Jésus ?

 

Mt 5 ne développe ce thème de l’accomplissement que pour la Loi. C’est à la fois peu et beaucoup. En suivant quelques étapes du travail d’accomplissement auquel Jésus se livre par rapport à la Loi, nous aurons quelques indications pour les autres éléments à accomplir (les prophètes, la sagesse, la culture d’un peuple…).

 

·       Accomplir c’est d’abord connaître

Pour Jésus, c’est clair : la lettre de la loi est très importante. « Pas un iota n’en disparaîtra » annonce-t-il. Il la connaît par coeur, par le coeur, cette version littérale de la Torah.

Il est capable de citer l’Écriture au diable qui le tente au désert par trois fois avec d’autres citations (Mt 4).

Il est même assez habile pour aller chercher dans la Torah ce qui est contraire à la Torah ! Ainsi, lorsque les fanatiques de la loi juive se scandalisent du non-respect du shabbat par ses disciples qui cueillent des épis pour manger ce jour-là, il leur propose un autre passage de la Loi où David et ses compagnons osent manger les pains consacrés réservés aux seuls prêtres (Lc 6,2-5).

 

« Nul n’est censé ignorer la loi ». Parce qu’il la connaît mieux que quiconque, de l’intérieur, Jésus peut à la fois appeler à son respect et jouer de sa sophistication. Parce qu’il connaît la Loi, il peut en manifester la subtile complexité, qui appelle à un discernement. Il peut même faire apparaître des contradictions internes qui appellent à un dépassement de la lettre de la Loi…

 

Il faut donc connaître par le coeur ce que l’on désire « accomplir ».

Voilà pourquoi les Pères Blancs passent tant de temps à apprendre une langue locale africaine, ou pourquoi Charles de Foucauld est resté tant d’années à étudier le touareg et la culture touarègue.

Accomplir c’est d’abord connaître.

 

·       Accomplir, c’est ensuite relativiser

Non pas au sens de fragiliser, ou diminuer. Mais au sens de replacer dans son contexte (car tout est relatif !), de retrouver la relation que la loi voulait restaurer lorsqu’elle a été promulguée. Pour cela, Jésus n’absolutise la lettre de la Loi. Il revient à la tradition orale, vivante, évolutive, attentive à l’humain.

« Vous avez entendu qu’il a été dit… » « Eh bien moi je vous dis » : ce leitmotiv  revient cinq fois dans ce discours sur la montagne. Il se réfère à la tradition orale plus qu’à l’écrit ici, pour 5 questions disputées : le meurtre, l’adultère et le divorce, le serment, la vengeance, l’attitude face aux ennemis. Or 5 est le chiffre de la Loi, des cinq livres de Moïse constituant la Torah, le Pentateuque.

Accomplir ce n’est donc pas répéter sans rien changer de la lettre.

Accomplir, c’est retrouver une tradition vivante qui fait face aux questions contemporaines en sachant « tirer du neuf de l’ancien ». (Mt 13,52)

 

·  Accomplir, c’est radicaliser

Radicaliser : revenir à la racine de l’intuition de la loi.

C’est ce que fait Jésus ici par rapport aux cinq points évoqués. Pour ces questions de meurtre / d’adultère-divorce / de serment / de vengeance / ou d’amour des ennemis, Jésus ne se satisfait pas du légal, mais il veut retrouver ce qui était à la racine de la Loi : rétablir la communion entre les êtres.

Pas seulement sanctionner, pas seulement être ?en règle’, mais faire surgir une communion plus grande qu’avant le conflit.

 

Il est à noter d’ailleurs que cette radicalisation n’est jamais dirigée contre les autres, mais envers soi-même.

Le drame des intégristes ou des fanatiques de la loi (de la charia aux idéologies sécuritaires actuelles…) c’est de faire de la loi une machine de guerre contre les autres : contre les délinquants, contre la ?racaille’, contre les ?impies’, contre les ?blasphémateurs’, contre la finance ou contre les multinationales…

Or Jésus renverse ce mouvement de radicalisation : c’est envers soi-même qu’il appelle à être radical.

« Si ton frère a quelque chose contre toi ». « Si ton oeil t’entraîne à pécher ». « Quand vous dites oui… ». « Ne jure pas sur ta tête ». « Aimez vos ennemis »?

Cette radicalisation-là ne vise pas à éliminer l’autre, supposé mauvais, mais bien à éliminer le mal en soi d’abord.

Tout le contraire d’une dérive autoritaire ou légaliste…

 

·  Le sommet de la loi c’est la miséricorde

Allant chercher en soi la racine du mal à guérir, chacun pourra alors considérer l’autre bien autrement que sous le seul angle du droit.

C’est un frère, pas un « crétin » ou un adversaire. (v22)

C’est une compagne, plus qu’une femme adultère. (v 32)

C’est un compagnon de route avec qui faire le double du chemin, et pas un « méchant » à abattre. (v 41)

C’est un ennemi à aimer, pas à éliminer. (v 44)

 

« Allez donc apprendre ce que veut dire cette parole : c’est la miséricorde que je désire et non les sacrifices » (Mt 9,13 ; 12,7; cf. Os 6,6). Voilà la clé d’interprétation de la Loi que Jésus est allé chercher dans la Loi.

La miséricorde est le sommet de la Loi.

Toute « radicalisation » qui s’éloignerait de cette perspective deviendrait vite inhumaine, à la manière des régimes autoritaires et policiers (même au nom d’alibis  religieux…).

 

·    Connaître, relativiser, radicaliser, orienter vers la miséricorde : voilà quelques étapes de l’accomplissement de la Loi par Jésus, avec lui et en lui.

Cet accomplissement n’est jamais figé.

Il ne vise pas que la loi. Le Christ est venu accomplir ce qu’il y a de meilleur en chacun, en chaque peuple.

La mission de l’Église est essentiellement une mission d’accomplissement :

accomplir la culture , l’intelligence, les sciences et techniques, en  « tout homme, tout l’homme, tous les hommes » (Paul VI, Popularum Progressio).

 

Pour ne pas céder aux sirènes identitaires et légalistes, répétons-nous souvent cette phrase-clé de Jésus : « je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ».

 

 

 

1ère lecture : « Tu peux observer les commandements » (Si 15, 15-20)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle.

Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères.

La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix.

Car la sagesse du Seigneur est grande, il est tout-puissant et il voit tout.

Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes.

Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a permis à personne de pécher.

 

Psaume : 118, 1-2, 4-5, 17-18, 33-34

R/ Heureux qui règle ses pas sur la parole de Dieu.

Heureux les hommes intègres dans leurs voies
qui marchent suivant la loi du Seigneur !
Heureux ceux qui gardent ses exigences,
ils le cherchent de tout coeur ! 

Toi, tu promulgues des préceptes
à observer entièrement.
Puissent mes voies s’affermir
à observer tes commandements ! 

Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,
j’observerai ta parole.
Ouvre mes yeux,
que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;
à les garder, j’aurai ma récompense.
Montre-moi comment garder ta loi,
que je l’observe de tout coeur.

2ème lecture : La sagesse de Dieu est ignorée du monde (1 Co 2, 6-10)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
c’est bien une sagesse que nous proclamons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent.

Au contraire, nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.

Aucun de ceux qui dominent ce monde ne l’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.

Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le coeur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu.

Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, a révélé cette sagesse. Car l’Esprit voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu.

 

Evangile : Sermon sur la montagne. Accomplir, pas abolir. (Mt 5, 17-37)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. La loi du Seigneur est joie pour le c?ur, lumière pour les yeux. Alléluia. (cf. Ps 18, 9)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait :
« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il en répondra au tribunal. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu’un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu’un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.  Accorde-toi vite avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou.


Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l’adultère avec elle dans son coeur. Si ton oeil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s’en aille pas dans la géhenne.

Il a été dit encore : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation. Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère. 

Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites ‘oui’, que ce soit un ‘oui’, quand vous dites ‘non’, que ce soit un ‘non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. »

      Patrick Braud

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