Une puanteur de 4 jours
Une puanteur de 4 jours
Homélie pour le 5° dimanche de Carême / Année A
Dimanche 10 Avril 2011
Flash-post sur le parfum
Dans ce récit de la résurrection de Lazare, Jean a recours à un curieux procédé littéraire, symétrique du flash-back au cinéma. Il fait en quelque sorte une avance sur image, un flash-post et précise que Marie, la soeur de Lazare, versera du parfum odoriférant lors de l’onction à Béthanie qui débutera la Semaine Sainte de Jésus en Jn 12.
Pourquoi ?
Sans doute à cause de l’odeur du parfum que Marie versera sur les pieds de Jésus. Le contraste entre le nard précieux et la senteur fétide du cadavre est si fort qu’il ne peut pas ne pas être voulu.
- Le corps de Lazare sent la mort.
- Le corps de Jésus sera oint d’un parfum de grand prix.
- Jésus fait ouvrir le tombeau en roulant la pierre, et la puanteur de la décomposition s’échappe au nez de la foule.
- Marthe ouvrira le flacon de parfum, et « toute la pièce en est remplie ».
- Lorsque coulent des larmes de Jésus, des témoins de la scène protestent (v37) contre le gaspillage de temps (v6) qui du coup n’a pas empêché Lazare de mourir.
- Judas protestera contre le gaspillage d’argent que représentera le geste de Marie.
Marie-parfum / Marthe-senteur
Bizarrement, ce flash-post ne mentionne que pour Marie le lien de famille avec Lazare, alors que Marthe est également sa soeur (11,2) ! Le rédacteur signale ainsi que Marie est du côté du parfum de vie, alors que Marthe est liée à l’odeur de mort (v39). Le verset 45 ne mentionne à nouveau Marie comme soeur de Lazare qu’à la fin de l’épisode.
Dure discrimination entre Marie et Marthe, que Jésus aime pourtant toutes les deux (v5).
Cette différenciation sur l’odeur n’est donc pas anodine : la figure de Marthe ici sert d’avertissement pour tous ceux qui se laisseraient fasciner par le morbide, par ce qui se décompose, par ce qui va du côté de la mort.
Les déclinologues en tout genre se reconnaîtront dans cette figure…
Hélas, cette tendance morbide est toujours à l’oeuvre, individuellement et collectivement.
À l’inverse, la figure de Marie sert d’invitation à dilater le parfum de vie à toutes les pièces de nos existences, jusqu’à les remplir de « la bonne odeur du Christ ».
Les quatre jours
Pourquoi alors insister sur le caractère affreux de l’état du cadavre avec la précision des quatre jours ? ! On se croirait à un épisode de la série « Les Experts », qui vont passer le cadavre au crible et faire parler la chair décomposée.
v 17 : Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre.
v 39 : Marthe, la soeur du mort, lui dit: Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là.
Plusieurs hypothèses sont possibles.
- Une croyance populaire de l’époque décrivait l’âme du défunt tournant autour du corps, tant qu’elle peut le reconnaître. Après quatre jours, quand le visage se décompose, l’âme quittait pour toujours ? pensait-on – les alentours de la tombe.
- Trois jours, c’est la durée de la résurrection dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau. Après trois jours donc, normalement, « c’est plié », c’est impossible.
Mais rien n’est impossible à Dieu !
Même lorsque la mort paraît avoir gagné à ce point, ce n’est pas encore fini. « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » là où n’y avait plus d’espoir.
Car lorsqu’il n’y a plus d’espoir humain, il y a encore l’espérance (à la manière de Dieu).
Vous voyez comment il laisse le champ libre à la mort, il donne ses chances au tombeau, il permet à la décomposition de s’exercer, il n’empêche ni la pourriture ni l’odeur infecte. Il accepte que le séjour des morts se saisisse de Lazare, l’engloutisse, le garde prisonnier. Il agit pour que tout espoir humain soit perdu, et que toute la violence de la désespérance terrestre se déchaîne, afin qu’on voie bien que ce qui va se passer est l’oeuvre de Dieu, non de l’homme. Il reste au même endroit à attendre la mort de Lazare jusqu’à ce qu’il puisse l’annoncer lui-même et déclarer qu’il ira vers lui (saint Pierre Chrysologue : sermon LXIII).
« Sors ! »
L’ordre du Christ est extraordinairement efficace pour nous sortir de nos « 4 jours », de notre fascination pour les odeurs de mort, de nos reproches envers le silence de Dieu devant notre détresse.
« Sors ! » : cet ordre est salutaire.
C’est la voix du Maître, l’ordre du Roi, le commandement du Souverain : « Sors ! » Dépose la corruption et retrouve ta peau dans l’incorruption : « Lazare, sors ! » Que les Juifs sachent que l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et vivront : « Sors ! » La pierre d’achoppement est ôtée, avance vers moi qui t’appelle : « Sors ! » Je m’adresse à toi comme un ami, mais je t’ordonne comme un maître : « Sors ! » Moi qui fais lever du tombeau un mort de quatre jours, les Juifs sauront qu’à bien plus forte raison je ressusciterai moi-même après trois jours, si je dois goûter à la mort : « Lazare, sors ! » La mort n’est pas une fin. Sors enveloppé de bandelettes et entouré d’un suaire, que les Juifs ne croient pas ta mort simulée. Ils verront tes mains et tes pieds liés, tes yeux recouverts ; qu’ils ne restent pas incrédules devant ce miracle : « Sors ! » L’odeur fétide de ton corps sera le garant de ce que tu es bien revenu à la vie. Les Juifs délieront eux-mêmes les bandelettes qui t’entourent, et reconnaîtront celui qu’ils avaient déposé dans le tombeau : « Sors ! » Recouvre la vie, reprends haleine et marche hors de ton cercueil. Montre comment, en un instant, les morts se retrouvent avec un corps entièrement animé, au son de l’ultime trompette de la résurrection générale des morts : « Sors ! »(saint André de Crète : Discours VIII sur Lazare le mort de quatre jour).
· Quels sont les tombeaux dans lesquels une partie de nous-mêmes est prisonnière, comme le corps de Lazare enserré de bandelettes ?
Quelles sont nos fascinations pour ce qui se décompose ?
Où aller respirer le parfum de vie de Marie ?
Qu’avons-nous enfoui depuis plus de « 4 jours » ?
Pourquoi ne pas croire que Dieu a le pouvoir en Jésus-Christ de réveiller nos Lazares perdus ?
Résurrection de Lazare
Jean 11 1 Il y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie et de Marthe, sa soeur. 2 C’était cette Marie qui oignit de parfum le Seigneur et qui lui essuya les pieds avec ses cheveux, et c’était son frère Lazare qui était malade. 3 Les soeurs envoyèrent dire à Jésus: Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. 4 Après avoir entendu cela, Jésus dit: Cette maladie n’est point à la mort; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle.
5 Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare.
6 Lors donc qu’il eut appris que Lazare était malade, il resta deux jours encore dans le lieu où il était, 7 et il dit ensuite aux disciples: Retournons en Judée. 8 Les disciples lui dirent: Rabbi, les Juifs tout récemment cherchaient à te lapider, et tu retournes en Judée!
9 Jésus répondit: N’y a-t-il pas douze heures au jour? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne bronche point, parce qu’il voit la lumière de ce monde;
10 mais, si quelqu’un marche pendant la nuit, il bronche, parce que la lumière n’est pas en lui.
11 Après ces paroles, il leur dit: Lazare, notre ami, dort; mais je vais le réveiller. 12 Les disciples lui dirent: Seigneur, s’il dort, il sera guéri. 13 Jésus avait parlé de sa mort, mais ils crurent qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. 14 Alors Jésus leur dit ouvertement: Lazare est mort. 15 Et, à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n’étais pas là. Mais allons vers lui. 16 Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples: Allons aussi, afin de mourir avec lui.
17 Jésus, étant arrivé, trouva que Lazare était déjà depuis quatre jours dans le sépulcre. 18 Et, comme Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, 19 beaucoup de Juifs étaient venus vers Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère. 20 Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie se tenait assise à la maison. 21 Marthe dit à Jésus: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. 22 Mais, maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. 23 Jésus lui dit: Ton frère ressuscitera. 24 Je sais, lui répondit Marthe, qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour.
25 Jésus lui dit: Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort;
26 et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?
27 Elle lui dit: Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde.
28 Ayant ainsi parlé, elle s’en alla. Puis elle appela secrètement Marie, sa soeur, et lui dit: Le maître est ici, et il te demande. 29 Dès que Marie eut entendu, elle se leva promptement, et alla vers lui. 30 Car Jésus n’était pas encore entré dans le village, mais il était dans le lieu où Marthe l’avait rencontré. 31 Les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient, l’ayant vue se lever promptement et sortir, la suivirent, disant: Elle va au sépulcre, pour y pleurer.
32 Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus, et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds, et lui dit: Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort. 33 Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient venus avec elle, frémit en son esprit, et fut tout ému. 34 Et il dit: Où l’avez-vous mis? Seigneur, lui répondirent-ils, viens et vois. 35 Jésus pleura. 36 Sur quoi les Juifs dirent: Voyez comme il l’aimait. 37 Et quelques-uns d’entre eux dirent: Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point? 38 Jésus frémissant de nouveau en lui-même, se rendit au sépulcre. C’était une grotte, et une pierre était placée devant. 39 Jésus dit: Ôtez la pierre. Marthe, la soeur du mort, lui dit: Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. 40 Jésus lui dit: Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?
41 Ils ôtèrent donc la pierre. Et Jésus leva les yeux en haut, et dit: Père, je te rends grâces de ce que tu m’as exaucé.
42 Pour moi, je savais que tu m’exauces toujours; mais j’ai parlé à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé.
43 Ayant dit cela, il cria d’une voix forte: Lazare, sors! 44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus leur dit: Déliez-le, et laissez-le aller.
Patrick BRAUD