L'homélie du dimanche (prochain)

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9 novembre 2025

L’oecuménisme du sang

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’œcuménisme du sang


Homélie pour le 33° Dimanche du temps ordinaire / Année C
16/11/25

Cf. également :
Répliquer aux bourreaux
Il n’en restera pas pierre sur pierre
Nourriture contre travail ?
« Même pas peur »…
La « réserve eschatologique »
Ordinaire ou mortelle, la persécution
Conjuguer le bonheur au présent
Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
L’effet saumon

1. Les martyrs du XXI° siècle

L'oecuménisme du sang dans Communauté spirituelle meyer

Index Mondial de Persécution des Chrétiens 2025
https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens

Période d’étude de l’Index 2025 : du 1er octobre 2023 au 30 septembre 2024


Voilà une carte dramatiquement impressionnante. L’association Portes ouvertes recense depuis des années les nombreuses persécutions dont sont victimes les chrétiens de par le monde. On constate sans surprise que les pays dangereux pour la foi chrétienne sont les pays communistes (Corée-du-Nord, Chine), islamistes (Somalie, Yémen, Pakistan, Libye…), hindous (Inde) ou bouddhistes (Myanmar). Sur une année, Portes ouvertes a recensé 4476 chrétiens tués en raison de leur identité religieuse.

Le Christ ne s’était pas trompé lorsqu’il annonçait ce dimanche à ses disciples qChiffres_Index_2025 martyre dans Communauté spirituelleue le suivre ne serait pas une partie de plaisir (Lc 21,5-19) : « On portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. […] Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom ».

Depuis Tertullien, nous avons bien que « le sang des martyrs est semence de chrétiens », mais quand même… Le prix à payer pour oser professer notre foi, librement et publiquement, est très lourd.
« Entouré de cette immense nuée de témoins » (He 12,1), nous sommes appelés ce dimanche à retrouver la dimension confessante de notre foi, avec tous les risques que cela peut nous faire encourir.

Icône des 21 martyrs de la Libye

Le pape François a salué le témoignage courageux des 21 chrétiens coptes orthodoxes tués par l’ISIS en 2015, les qualifiant de « saints de tous les chrétiens ».

2. L’œcuménisme du sang
Pourtant, les martyrs qui aujourd’hui encore préfèrent mourir plutôt que de renier leur foi nous rendent un précieux service : ils nous encouragent à résister au mal, ils anticipent une réconciliation des Églises dans l’eucharistie la plus vraie et la plus commune à tous les baptisés, le sang versé, la vie offerte, par amour de la vérité.

Le pape Léon XIV a célébré ce qu’il appelle l’œcuménisme du sang en réunissant le dimanche 14/09/25 – jour de la fête de la Croix glorieuse – dans la basilique Saint-Paul-hors-les-murs de Rome des représentants de 24 Églises, (orthodoxes, coptes, luthériens, méthodistes, baptistes etc.) pour une prière commune.

« Aujourd’hui encore, a-t-il dit, de nombreux frères et sœurs, à cause de leur témoignage de foi dans des situations difficiles et hostiles, portent la même croix du Seigneur : comme Lui, ils sont persécutés, condamnés, tués. (…) Oui, leur espérance est désarmée. Ils ont témoigné de leur foi sans jamais recourir à la force ni à la violence, mais en embrassant la faible et douce force de l’Évangile ».

« Comme nous l’avons reconnu lors du récent Synode [sur la synodalité, dont la dernière assemblée s’est réunie en octobre 2024], l’œcuménisme du sang unit les chrétiens de différentes appartenances qui donnent ensemble leur vie pour la foi en Jésus-Christ. Le témoignage de leur martyre est plus éloquent que toute parole : l’unité vient de la Croix du Seigneur ».

C’est en réalité une intuition très ancienne. Cette expression d’« œcuménisme du sang » avait été popularisée par le pape François, qui l’avait appliquée aux 21 Coptes exécutés par Daesh en Libye en 2015. « C’est la première fois que des martyrs appartenant à une autre Église non en communion avec Rome sont inscrits dans le martyrologe romain », rappelle une source vaticane. Mais l’intuition remonte plus loin : Paul VI, en 1964, avait déjà évoqué l’unité scellée par le sang des martyrs ougandais, anglicans et catholiques, tués ensemble en 1886. Le décret conciliaire Unitatis Redintegratio parlait lui aussi du « sang d’autres Églises » comme d’un ferment d’unité. Et Jean-Paul II avait réuni lors du Grand jubilé de l’an 2000, au Colisée, une commémoration des martyrs du XXᵉ siècle, victimes du nazisme et du communisme.

« Il est nécessaire que les catholiques reconnaissent avec joie et apprécient les valeurs réellement chrétiennes qui ont leur source au commun patrimoine et qui se trouvent chez nos frères séparés. Il est juste et salutaire de reconnaître les richesses du Christ et sa puissance agissante dans la vie de ceux qui témoignent pour le Christ parfois jusqu’à l’effusion du sang car, Dieu est toujours admirable et doit être admiré dans ses œuvres » (Unitatis Redintegratio n°5).

logo-oecumenisme oecuménisme
Le XX° siècle n’est-il pas un temps de grand témoignage, qui va « jusqu’à l’effusion du sang » ? Ce témoignage ne concerne-t-il pas aussi les différentes Églises et Communautés ecclésiales, qui tirent leur nom du Christ, crucifié et ressuscité ? Ce témoignage commun de sainteté, comme fidélité à l’unique Seigneur, est un potentiel œcuménique extraordinairement riche de grâce » (Ut Unum Sint n°47)

« Selon un point de vue théocentrique, nous avons déjà, nous chrétiens, un Martyrologe commun. Il comprend aussi les martyrs de notre siècle, plus nombreux qu’on ne pourrait le penser, et il montre, en profondeur, que Dieu entretient chez les baptisés la communion dans l’exigence suprême de la foi, manifestée par le sacrifice de la vie. Si l’on peut mourir pour la foi, cela prouve que l’on peut arriver au but lorsqu’il s’agit d’autres formes de la même exigence. J’ai déjà constaté, avec joie, que la communion est maintenue, imparfaite mais réelle, et qu’elle grandit à divers niveaux de la vie ecclésiale. J’estime qu’elle est déjà parfaite en ce que nous considérons tous comme le sommet de la vie de grâce, la martyria jusqu’à la mort, la communion la plus vraie avec le Christ qui répand son sang et qui, dans ce sacrifice, rend proches ceux qui jadis étaient loin (cf. Ep 2,13). Si, pour toutes les Communautés chrétiennes, les martyrs sont la preuve de la puissance de la grâce, ils ne sont toutefois pas les seuls à témoigner de cette puissance » (Ut Unum Sint n°84).

La Bible TOB - Traduction œcuménique de la Bible

La Bible TOB – Traduction œcuménique de la Bible

Dans la foulée du concile Vatican II, nous avons vu plusieurs dimensions de l’œcuménisme se déployer rapidement, en un demi-siècle : l’œcuménisme biblique (la traduction œcuménique de la Bible = la TOB), l’œcuménisme théologique (les accords sur la justification par la foi, les propositions du groupe des Dombes etc.), l’œcuménisme sacramentel (reconnaissance d’un seul baptême, le BEM etc.), l’œcuménisme de charité (Paul VI et Athénagoras, levée des excommunications mutuelles, diaconie en commun etc.), l’œcuménisme de prière (les groupes charismatiques) etc.
Depuis le début de ce siècle, toutes ces avancées œcuméniques semblent marquer le pas. Il n’y a plus d’accords majeurs en vue ; l’exercice du ministère pétrinien ne semble pas bouger ; la guerre en Ukraine divise les Églises ; l’attitude à adopter envers les LGBT également etc. Alors, il nous est bon de reprendre conscience de cet œcuménisme du sang qui ne cesse d’irriguer nos Églises depuis les premières persécutions romaines.

Rappelez-vous : la véritable eucharistie est de s’offrir soi-même, par amour. C’est ce que signifient les reliques des martyrs placées dans les autels consacrés : communier au corps et au sang du Christ, c’est recevoir de lui la force et le courage de livrer notre corps et de verser notre sang, par lui, avec lui et en lui.

L’œcuménisme du sang est le témoignage commun que nous assumons à la face des peuples : quelques soient nos différences – voire nos divergences – entre confessions chrétiennes, ce qui nous unit dans le sacrifice ultime est plus grand que ce qui nous sépare encore.

Sommes-nous conscients en France que le témoignage (martyria = martyr en grec) rendu au Christ peut, sinon nous exposer à la mort, du moins nous attirer beaucoup d’ennuis ?

3. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang
Lorsque les chrétiens d’un pays ne gênent plus, lorsqu’ils se fondent dans la masse, lorsqu’ils oublient d’être le sel de la Se démarquer d'une foulesociété, lorsqu’ils se conforment à tout ce qui se pratique autour d’eux, c’est alors qu’ils sont en grand danger ! La sagesse populaire ne dit-elle pas que seuls les poissons morts descendent le courant ? Ou bien que celui qui épouse son temps se retrouve très vite veuf ?

Le martyre chez nous sera rarement l’assassinat (Père Hamel), mais plutôt la disqualification, la mise à l’écart, la dérision à cause de nos convictions. La persécution ne passera pas par la prison (quoique…) mais plutôt par les accusations d’être trop réactionnaires ou trop révolutionnaires, trop décalés, pas en phase avec les grandes évolutions sociétales majoritaires.

Prenez par exemple le débat autour de l’avortement : il est difficile – voire impensable – de faire entendre dans les médias une autre voix que la doctrine officielle, selon laquelle l’IVG serait un progrès majeur de l’Occident, un Droit de l’homme, désormais gravé dans le marbre de la Constitution. Et malheur à qui oserait contester ! Il serait taxé de fasciste, d’obscurantiste, de machiste, de rétrograde, et son propos sera criminalisé.
Pourtant, comment nous taire [1] ?
Au nom de la raison tout d’abord : il y a désormais 1 naissance sur 4 qui n’aboutit pas en France. Le pays compte désormais plus de décès que de naissances chaque année. Mais cela n’inquiète personne. Le taux d’IVG par naissance est de 0,33 ; une femme sur deux en moyenne pratiquera un IVG au cours de sa vie. Comment ne pas s’alarmer ? Et comment justifier rationnellement que le délai légal pour l’IVG soit si différent en Europe d’un pays à l’autre : 10 semaines au Portugal, 16 en France, 24 aux Pays-Bas ? ! Éliminer un fœtus de 10 semaines de grossesse serait-il plus éthique qu’à 24 semaines ? Car il est impossible de dater l’apparition de l’humain dans le développement de l’embryon. Le seuil qui autorise l’IVG avant et l’interdit après est purement politique. Et il y a encore bien d’autres problématiques à développer dans ce débat (démographiques, économiques, spirituelles…).
À côté de ces arguments rationnels, les chrétiens témoignent bien sûr de leur conception de la vie telle que la lumière du Christ leur fait comprendre l’aventure humaine.



Si nous n’avons plus le courage de résister à « la culture de mort » (Jean-Paul II), la culture majoritaire banalisant l’IVG ou la glorifiant, nous devenons des déserteurs préférant notre tranquillité à nos convictions.


Relisez la Lettre à Diognète (II° siècle) : le témoignage des premiers chrétiens – qui ne voulaient pas le chaos – était d’abord éthique. Ils se conforment le plus souvent aux usages établis. Mais
« ils placent sous les yeux de tous l’étonnant spectacle de leur vie toute angélique et à peine croyable.
Ils habitent leur cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère. Comme les autres, ils se marient, comme les autres, ils ont des enfants, seulement ils ne les abandonnent pas. Ils ont tous une même table, mais pas le même lit. Ils vivent dans la chair et non selon la chair. Ils habitent la terre et leur conversation est dans le ciel. Soumis aux lois établies, ils sont par leurs vies, supérieurs à ces lois. Ils aiment tous les hommes et tous les hommes les persécutent. Sans les connaître, on les condamne. Mis à mort, ils naissent à la vie. Pauvres, ils font des riches. Manquant de tout, ils surabondent. L’opprobre dont on les couvre devient pour eux une source de gloire ; la calomnie qui les déchire dévoile leur innocence. La bouche qui les outrage se voit forcée de les bénir, les injures appellent ensuite les éloges. Irréprochables, ils sont punis comme criminels et au milieu des tourments ils sont dans la joie comme des hommes qui vont à la vie. Les Juifs les regardent comme des étrangers et leur font la guerre. Les Grecs les persécutent, mais ces ennemis si acharnés ne pourraient dire la cause de leur haine ».

Le second témoignage qu’ils rendaient devant tous était liturgique : ils refusaient d’adorer l’empereur, ils dénonçaient toute idolâtrie et préféraient être livrés aux fauves de l’arène plutôt que de faire semblant d’honorer César comme un dieu.

Voilà la double résistance qui est attendue de nous : éthique, théologique.
Si nous cédons sur les exigences qu’implique notre foi, nous serons foulés aux pieds comme le sel devenu sans saveur…
Notre dénonciation de l’IVG nous classera à droite pour certains. Notre défense de l’étranger à gauche pour d’autres. De même pour notre contestation de l’idolâtrie des puissances d’argent, ou le refus de la marchandisation du corps humain (GPA, prostitution), ou la promotion de la paix plutôt que de la guerre, ou la critique des théories du genre etc.
Peu importe les étiquettes qu’ils nous colleront !
L’essentiel est de témoigner fidèlement, jusqu’au bout, dans le respect et le service de tous, en aimant nos ennemis quoi qu’il arrive. Comme l’écrivait l’auteur de la lettre aux hébreux : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché » (He 12,4).

4. Remonter à la source, comme les saumons
La métaphore la plus parlante au sujet de cette posture chrétienne à contre-courant de beaucoup d’opinions majoritaires est sans doute celle des saumons.
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Vous avez sûrement déjà vu ces images magnifiques de saumons argentés quittant le vivier de l’océan pour remonter les fleuves et rivières, jaillissant hors de l’eau, survolant les barrages, les roches et autres obstacles naturels, bravant les griffes des ours dans lesquels beaucoup vont finir. Ils retournent chez eux (homing), à la source, là où ils sont nés, pour à leur tour donner la vie. C’est un vrai travail, épuisant, dangereux, que de remonter ainsi le courant sur des kilomètres. Beaucoup mourront épuisés avant la fin, ou happés par un grizzli, ou échoués sur un rocher.
Mais aller en sens inverse du flux est un impératif porteur de vie.

Les baptisés sont ces saumons d’eau vive !
On se souvient que le symbole de poissons les désigne sur les murs de catacombes des trois premiers siècles (ICTUS). Ces poissons-baptisés « ne se modèlent pas sur le monde présent » (Rm 12,2) et entreprennent comme les saumons leur homing, leur remontée  à la source. La source, c’est l’Écriture, la prière, la Tradition vivante, qui leur permet de ne pas épouser l’air du temps, d’oser être différents, quitte à être minoritaires.

Nous ne sommes pas des prophètes de malheur, toujours insatisfaits. Nous sommes les témoins d’un monde nouveau qui ne demande qu’à faire irruption dans notre présent.
Les saumons qui remontent à la source témoignent tranquillement que le don et la gratuité ont toute leur place dans une économie de marché ouverte ; que le respect de la vie humaine dès sa conception est une bénédiction pour tous ; que l’espérance dans un au-delà de la mort ré-ordonne les vraies priorités d’une existence etc.

« Résiste. Suis ton cœur qui insiste. Ce monde n’est pas le tien, viens, bats-toi, insiste et persiste. Résiste ! », chantait autrefois France Gall sur les paroles de Michel Berger.
En pratiquant leur homing à la manière des saumons, les baptisés retrouvent le courage de cette résistance à tous les conformismes d’aujourd’hui.
Alors, foin des feuilles mortes flottant dans l’air du temps et autres poissons morts dérivant au gré du courant, faisons notre homing out : osons « ne pas nous modeler sur le monde présent », au nom de notre espérance.

_____________________

[1] Cf. http://lhomeliedudimanche.unblog.fr/2025/01/17/ivg-les-50-ans-de-la-loi-veil/  et
http://lhomeliedudimanche.unblog.fr/2024/03/04/1-ivg-pour-3-naissances-en-france/



LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Pour vous, le Soleil de justice se lèvera » (Ml 3, 19-20a)

Lecture du livre du prophète Malachie
Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, – dit le Seigneur de l’univers –, il ne leur laissera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.

PSAUME
(Ps 97 (98), 5-6, 7-8, 9)
R/ Il vient, le Seigneur, gouverner les peuples avec droiture. (cf. Ps 97, 9)

Jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ;
au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur !

Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ;
que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie.

Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture !
 
DEUXIÈME LECTURE
« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 7-12)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, vous savez bien, vous, ce qu’il faut faire pour nous imiter. Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ; et le pain que nous avons mangé, nous ne l’avons pas reçu gratuitement. Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous. Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge, mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter. Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains d’entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné.

ÉVANGILE
« C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » (Lc 21, 5-19)
Alléluia. Alléluia. Redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Alléluia. (Lc 21, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit ». Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ‘C’est moi’, ou encore : ‘Le moment est tout proche.’ Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin ». Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie ».
Patrick BRAUD

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19 octobre 2025

La tentation du mépris

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La tentation du mépris


Homélie pour le 30° dimanche du Temps ordinaire / Année C
 26/10/25
 
 Cf. également :

Pharisien lucide, publicain illucide ?
D’Anubis à saint Michel 
Dans les petits papiers de Dieu
Simul peccator et justus : de l’intérêt d’être pécheur et de le savoir
« J’ai renoncé au comparatif »
Cendres : soyons des justes illucides
Toussaint : le bonheur illucide
La croissance illucide
Divine surprise
La docte ignorance

 

1. Votre dernier mépris, c’était pour qui ?

La tentation du mépris dans Communauté spirituelle 250px-PSM_V36_D704_Facial_expression_of_contemptRappelez-vous : cette légère moue, ce petit rictus, cette commissure aux lèvres, ce détour du regard pour ne pas voir… Lorsque le visage se durcit et que les yeux deviennent froids, accusateurs ; lorsqu’un geste de la main suffit à repousser un intrus dont on ne veut pas…

Peu de personnes pourraient avouer – surtout devant d’autres – qu’elles ont récemment ressenti et exprimé du mépris envers quelqu’un. En toute bonne conscience, nous nous identifions rarement au pharisien de la parabole de ce dimanche (Lc 18,9-14), persuadé que les autres sont injustes, méprisables. Pourtant, la gêne éprouvée en passant près d’un mendiant malodorant, d’un migrant baragouinant son mauvais français, ou le jugement ‘in petto’ devant tel comportement public, tel étalage de richesses, telle réussite imméritée nous font passer par toutes les couleurs du mépris : de la dénégation ou dégoût, du désaveu au jugement sévère, de l’étonnement au sarcasme, de l’ironie à la condamnation.

 

Le mépris est meurtrier.

Il empêche le pharisien de fraterniser avec le publicain. Il sépare ceux qui se croient « justes » des « injustes ». Pour les pauvres, les petits, les sans-défense, le mépris des puissants se traduit toujours par plus de misère, plus de domination, et des procès en tous genres. Le mépris inverse est tout aussi dangereux : lorsque les pauvres méprisent les riches, la violence armée n’est pas loin. Car le mépris nourrit la haine, si bien que chaque révolution nourrit sa Terreur présentée comme un « juste » renversement des choses.

 

2 Le mépris dans la Bible

125926158 juste dans Communauté spirituelleNotre parabole montre le malheur dont le pharisien s’entoure lui-même en méprisant les pécheurs publics. Le mot employé par Luc est le verbe grec ξουθενω (= exoutheneo) : mépriser. Il ne l’emploie que deux fois dans son Évangile : ici dans cette parabole (« à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres »), et ensuite lors du procès de Jésus, lorsqu’il comparaît devant Hérode : « Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate » (Lc 23,11). Le rapprochement des deux occurrences est saisissant : le pécheur dont le juif pieux se moque est bien Jésus ; l’inculpé lamentable qu’on traîne devant Hérode devient l’objet de son mépris. D’où la dérision dont il revêt ce soi-disant prétendant au trône royal : l’habit rouge vermeil, comme une caricature méchante ; les moqueries, comme des lanières de fouet destinées à faire rire la foule et l’entraîner elle aussi au mépris, à la dérision. Bientôt, ces mots méprisants se changeront en coups de fouet bien réels, puis en crachats, en insultes, et finalement en clous plantés dans les poignets et les chevilles…

 

Luc réutilise ensuite – volontairement – le même verbe ξουθενω pour caractériser la Passion de Jésus : « Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle » (Ac 4,11).

En étant ainsi identifié aux méprisés les plus vils de l’Empire romain par le supplice infamant de la croix, Jésus plonge au plus bas de notre humanité – jusqu’aux enfers mêmes – pour aller chercher et sauver ceux qui se croyaient perdus, condamnés par les hommes, oubliés de Dieu.

 

Image de dessin animé d'une mouette Mépris ou Mascot Pelican avec les bras croisés - 15889367Cette interprétation de la Passion du Christ comme tragédie du mépris aurait dû vacciner les premiers chrétiens contre un tel ressentiment. Hélas, dès les communautés de Jérusalem et de Rome, Paul est témoin que les baptisés sont capables de se mépriser mutuellement. Ceux  par exemple qui observaient les interdits alimentaires de la cacherout juive avaient tendance à juger sévèrement ceux qui ne le faisaient pas. Paul intervient vigoureusement pour stopper ce mépris des « bienfaisants » : « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli, lui aussi » (Rm 14,3).

Et il rappelle à tous la commune humanité qui unit le pharisien au publicain, le juif au païen, le croyant attaché aux traditions à celui qui se sent libre : « Alors toi, pourquoi juger ton frère ? Toi, pourquoi mépriser ton frère ? Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu » (Rm 14,10).

Plus encore, à Corinthe – ville où le canal de l’isthme rassemble dockers, prostituées et populace en tous genres près du port – Paul est obligé de rappeler que, depuis Jésus méprisé par tous, Dieu choisit « ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas. Voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est » (1Co 1,28). « Nous, nous sommes fous à cause du Christ, et vous, vous êtes raisonnables dans le Christ ; nous sommes faibles, et vous êtes forts ; vous êtes à l’honneur, et nous, dans le mépris » (1Co 4,10).

Jacques quant à lui s’étonne qu’en plus du malheur d’être démunis, les pauvres soient sévèrement jugés par les baptisés de Jérusalem : « Mais vous, vous méprisez le pauvre. Or n’est-ce pas les riches qui vous oppriment, et vous traînent devant les tribunaux ? » (Jc 2,6).

 

Rousseur et cécité : la divine embauche ! Dans l’Ancien Testament, on se souvient que le jeune David était méprisé parce qu’il était roux (et en ce temps-là, cela sentait le diabolique, comme les albinos ou les difformes !) : « Lorsqu’il le vit, il le regarda avec mépris car c’était un jeune garçon ; il était roux… » (1S 17,42). C’est pourtant lui – le roux devant qui on se détourne – que YHWH choisit pour être son Messie !

Outre sa rousseur, David a eu l’impudence de danser de joie devant l’arche d’alliance lorsqu’il la fit entrer dans Jérusalem. Spectacle choquant : un roi à demi-nu virevoltant en public pour célébrer YHWH !

« Or, comme l’arche du Seigneur entrait dans la Cité de David, Mikal, fille de Saül, se pencha par la fenêtre : elle vit le roi David qui sautait et tournoyait devant le Seigneur. Dans son cœur, elle le méprisa » (2S 6,16 ; cf. 1Ch 15,29).

Cela aurait dû vacciner David contre le mépris envers autrui ! Hélas… Il n’a pas hésité envoyer le mari de la belle Bethsabée au front, en première ligne de la guerre, pour qu’il soit tué et qu’il puisse prendre sa femme tant convoitée. En méprisant la vie d’un rival amoureux, David a méprisé YHWH lui-même : « Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé par l’épée Ourias le Hittite ; sa femme, tu l’as prise pour femme ; lui, tu l’as fait périr par l’épée des fils d’Ammone. Désormais, l’épée ne s’écartera plus jamais de ta maison, parce que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Ourias le Hittite pour qu’elle devienne ta femme » (2S 12,9-10).

David-Dancing-before-the-Lord mépris

Décidément, nous n’apprenons pas grand-chose en traversant les malheurs qui nous frappent, puisque nous sommes capables comme David de condamner après avoir était sauvés, de mépriser après avoir été choisis… !

 

Job sur son fumier à Jean FouquetLes longues complaintes de Job souffrant du mépris général à cause de soi-disant châtiments  divins qui s’abattent sur lui sont célèbres. Tout semble sourire aux injustes, alors que les malchanceux sont mis à l’écart : « Au malchanceux, le mépris ! pense l’homme heureux. Un coup de plus à ceux dont le pied chancelle ! » (Jb 12,5). « Même les garnements ont pour moi du mépris ; si je me lève, ils parlent contre moi » (Jb 19,18).

Jésus apparaîtra pour les chrétiens comme le nouveau Job, qui a tenu bon dans l’épreuve du mépris, et que YHWH a relevé du fumier, des insultes et du dégoût en lui donnant la résurrection à partager à tous.

 

Les psaumes font écho à la plainte de Job, à la Passion du Christ ridiculisé sur le gibet : « Et moi, je suis un ver, pas un homme, méprisé par les gens, rejeté par le peuple » (Ps 22,7).

« Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous : notre âme est rassasiée de mépris. C’en est trop, nous sommes rassasiés du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux ! » (Ps 123,3-4).

« Épargne-moi l’insulte et le mépris : je garde tes exigences. » (Ps 119,22).

 

Ce rapide tour d’horizon biblique suffit à mettre le mépris au cœur de la Passion-Résurrection de Jésus : l’humiliation, la dérision, la condamnation religieuse, la négation de son humanité ont conduit le Nazaréen à sa chute, à son élimination, avec l’approbation des foules.

 

3. Soigner les causes profondes du mépris

Comment expliquer qu’on en arrive là, aujourd’hui comme hier ?

Comment empêcher cette vague meurtrière de mépris de déferler en nous et autour de nous ?

Le pharisien de la parabole nous donne quelques pistes, quelques indices sur les causes : il est « convaincu d’être juste », c’est pourquoi « il méprise les autres ».

Convaincu d’être juste : voilà le drame des révolutionnaires, des bien-pensants, des gens très religieux, des tièdes évitant les excès…

Pas facile de marier convictions fortes et respect de ceux qui ne pensent pas pareil !

68138061 pharisienLe problème surgit quand le juste veut savoir s’il est juste : au lieu de demeurer – illucide – dans la confiance en son Seigneur, il cherche alors dans ses œuvres la confirmation de son statut de privilégié. Il croit qu’il peut faire son salut, qu’il peut mériter la grâce, qu’il est juste grâce à ses bonnes actions. Et donc ceux qui ne produisent pas des œuvres semblables sont sûrement écartés du salut, de la grâce. À force de vouloir posséder son statut de juste, il finit par le perdre…

Il vaudrait mieux pour lui accepter de ne pas savoir – illucide – à la manière de Jeanne d’Arc à qui on demandait si elle était en état de grâce :

« Si je n’y suis pas, Dieu m’y mette. Si j’y suis, Dieu m’y garde ».

Autrement dit : ce n’est pas à moi de savoir si je suis juste ou pas. Je l’ignore, et c’est très bien ainsi.

 

Cette docte ignorance s’applique alors à autrui : qui suis-je pour dire que l’autre est injuste ou pas ? Il vaut mieux laisser ce jugement en suspens, et confier à Dieu le soin de gérer tout cela !

 

Ne pas vouloir savoir si je suis juste est donc le chemin pour me libérer de la tentation du mépris. Car je renoncerai alors au comparatif, confiant autrui à Celui qui seul sonde les reins et les cœurs (Ps 7,10).

Mépriser, c’est rabaisser, comparer, introduire une échelle de valeurs, subordonner. Si je renonce à m’évaluer, je ferai de même pour le publicain si peu fréquentable.

 

Le salut (être « juste ») est illucide : celui qui veut en prendre conscience et possession le laissera couler entre ses doigts !

Le salut n’est pas de mieux faire/être/penser que l’autre, mais ensemble de se confier à l’amour gratuit d’un Dieu qui ne raisonne pas comme les humains.

 

La prochaine fois qu’une marque de dégoût ou un durcissement du regard trahira votre exposition à la tentation du mépris, souvenez-vous du publicain au Temple, et plus encore du condamné affublé d’un tissu rouge pour le désigner à la dérision des gens ordinaires…

 

« He was despised and rejected of men.. » : il était méprisé, rejeté de tous…
Extrait du Messie de Haëndel, version Gospel (« Young Messiah »)

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« La prière du pauvre traverse les nuées » (Si 35, 15b-17.20-22a)

 

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui, ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.

 

PSAUME

(Ps 33 (34), 2-3, 16.18, 19.23)
R/ Un pauvre crie ; le Seigneur entend. (Ps 33, 7a)

 

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

 

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

 

Il est proche du cœur brisé,
il sauve l’esprit abattu.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice » (2 Tm 4, 6-8.16-18)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

 

ÉVANGILE

« Le publicain redescendit dans sa maison ; c’est lui qui était devenu juste, plutôt que le pharisien » (Lc 18, 9-14)
Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’ Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’ Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé ».

Patrick BRAUD

 

 

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12 octobre 2025

Étonnez-vous du juge inique !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Étonnez-vous du juge inique !


Homélie pour le 29° dimanche du Temps ordinaire / Année C
19/10/25

Cf. également :
La pédagogie du « combien plus ! »
Lutte et contemplation
À temps et à contretemps
Ne baissez pas les bras !
La grenouille qui ne se décourageait jamais


1. De Dreyfus au ‘Mur des cons’

La dégradation du Capitaine Dreyfus dans la Cour d'honneur de l'Ecole MilitaireLe 22 décembre 1894, les sept juges militaires chargés de « l’affaire Dreyfus » condamnent le capitaine pour « intelligence avec une puissance étrangère ». Ils prononcent la peine maximale : déportation à vie dans le bagne de l’Île du Diable (Guyane française), destitution de son grade et dégradation militaire. Grâce au scandale qui s’en suivit (cf. Le « J’accuse » de Zola), on découvrit que les juges avaient complaisamment validé de faux documents fabriqués par des officiers supérieurs, sur fond d’atmosphère complotiste (contre l’Empire allemand) et antisémite largement partagé par ces juges peu éthiques…

 

Étonnez-vous du juge inique ! dans Communauté spirituelle beltramo-mur-1Ne croyez pas que ce type de juges est révolu. Souvenez-vous récemment de l’affaire du ‘Mur des cons’ en 2013 : des journalistes avaient découvert et diffusé un mur de photographies dans le local du conseil syndical de la Magistrature épinglant une liste de personnalités publiques – hommes politiques, intellectuels ou journalistes, majoritairement de droite – de hauts magistrats ou de syndicalistes policiers, signalées comme étant des « cons », ainsi que des victimes et des proches de victimes d’affaires sordides.

Être jugé par ces juges auteurs du ‘Mur des cons’ ne garantissait certes pas un procès équitable…
Le débat sur « les juges iniques » a ressurgi lors des condamnations prononcées dans les procès contre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen.

Et la liste s’allonge sans cesse : des juges iniques ont condamné Boualem Sansal en Algérie, Cécile Kohler et Jacques Paris en Iran etc. sans raisons autres que politiques…


veuveetjuge juge dans Communauté spirituelleCette corruption des juges est si ancienne que Jésus lui-même y fait référence dans notre parabole de ce dimanche (Lc 18,1-8) :

« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes ».

Et là, il faudrait nous étonner, nous indigner, nous révolter en entendant ce constat : il existe donc des juges iniques ? ! C’est un oxymore, une contradiction dans les termes : ce juge « dépourvu de justice » peut-il encore être en poste ? Accepteriez-vous un commissaire de police qui ne respecterait pas la loi, un professeur qui ne connaîtrait pas sa matière, un chirurgien ayant horreur du sang ?

Banksy : une nouvelle œuvre retirée du Royal Courts of Justice à Londres

Banksy, Royal Courts of Justice, Londres

Si nous nous étonnons qu’un juge puisse être inique, alors nous sommes conduits à réfléchir, et à nous poser la question : d’où vient cette conduite mauvaise ? Comment réagir à ce scandale ?

Souffrir du mal qui vient de la nature, c’est… naturel. Cela relève de notre finitude, de nos limites, de notre condition de créature au milieu d’un monde nécessairement imparfait. Mais souffrir du mal provoqué par l’homme, c’est un défi terrible.

Que faire de ce constat troublant : il existe des juges iniques ?


2. La réponse de droite (libérale)

Elle tient en quelques mots-clés, puisant à l’héritage catholique (car en Europe, les pensées politiques ne sont jamais que des sécularisations de pensées théologiques antérieures…) : péché originel, liberté, responsabilité individuelle, répression.


71s1c+g94vL._SL1429_ paraboleLes philosophes libéraux (Hobbes, Machiavel, Smith etc.) constatent avec réalisme que l’être humain est traversé par l’égoïsme, l’intérêt, la concupiscence. La violence et la justice prennent selon eux naissance dans le cœur de chacun, inéluctablement. Nous sommes libres d’y céder ou pas. C’est de la responsabilité de chacun d’éviter le mal et de faire le bien. La société est là pour punir ceux qui s’écartent du droit chemin.


Ce réalisme pousse souvent jusqu’au pessimisme social : il est vain de croire qu’on peut faire disparaître la pauvreté, la délinquance, les injustices. Tout au plus peut-on les réguler, grâce à la répression. Et conférer à l’état « le monopole de la violence légitime » (Max Weber) pour qu’il soit l’arbitre de nos conflits.


Si elle avait été de droite, notre veuve de la parabole aurait dû multiplier les recours, dépenser une fortune en avocats, et dénoncer médiatiquement cet individu comme planche  pourrie de sa profession.


3. La réponse de gauche (socialiste)

Pour Rousseau, Marx et les penseurs socialistes des XVIII°–XIX° siècles, c’est une illusion libérale de croire que 61wFft4IaOL._SL1500_ veuvele mal vient du cœur de l’homme. Il est produit par des structures injustes d’inégalité, de domination et de légitimation des puissants par la « morale bourgeoise ». Éradiquer le mal est possible, si l’on change nos structures économiques et sociales grâce à une révolution populaire. Pas de péché originel dans la pensée rousseauiste, car c’est la société qui corrompt l’homme supposé naturellement bon. Les socialistes adoptent une version sécularisée de la rédemption : le remplacement des structures iniques sauvera les opprimés. Agir sur les causes économiques et sociales vaut mieux que d’appeler à l’humanité des ennemis.


Face à l’énigme du mal, les maîtres-mots de gauche sont sans surprise symétrique de ceux de droite : déterminismes socio-économiques (vs péché originel), réformes et révolutions structurelles (vs conversion individuelle), responsabilité collective (vs individuelle), prévention (vs répression).

Si notre veuve de la parabole avait été de gauche, elle aurait monté un collectif de veuves opprimées et aurait milité pour une réforme de la magistrature…


Voilà le drame des Européens face à l’injustice : ceux de droite ne croient pas en la rédemption, ceux de gauche ne croient pas au péché originel…


4. La réponse chrétienne

Ni de droite, ni de gauche, la voie empruntée par Jésus nous conduit à tenir à la rédemption sans nier le péché originel, à miser sur la prévention sans renoncer à la répression, à affirmer les deux dimensions du péché ainsi que de la responsabilité : dimension personnelle / dimension communautaire.


Les structures de péché dans le monde contemporain - 1Prenez par exemple la notion de péché. Loin de toute culture de l’excuse, la Bible ne cesse d’affirmer la responsabilité de celui ou celle qui rompt l’Alliance avec Dieu. « C’est moi qui ai péché », et je ne peux me défausser sur autrui.
Tout en affirmant cette dimension singulière irréductible du péché humain, l’Église constate qu’il existe des structures injustes qui poussent chacun à pécher, contre sa volonté profonde parfois. Pensez à la corruption, à la mafia, à l’occupation nazie, au narcotrafic etc. : je suis parfois manipulé par des systèmes qui aliènent une part de ma liberté et de ma responsabilité propres.

C’est ce que Jean-Paul II appelait les « structures de péché » :

Quand elle parle de situations de péché ou quand elle dénonce comme péchés sociaux certaines situations ou certains comportements collectifs de groupes sociaux plus ou moins étendus, (…) l’Église sait et proclame que ces cas de péché social  sont le fruit, l’accumulation et la concentration de nombreux péchés personnels (Reconciliatio et paenitentia n° 16).


Si la situation actuelle relève de difficultés de nature diverse, il n’est pas hors de propos de parler de « structures de péché », lesquelles, comme je l’ai montré dans l’exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia, ont pour origine le péché personnel et, par conséquent, sont toujours reliées à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir (Sollicitudo rei socialis n° 36).


Le diagnostic qu’il posait à l’époque de la guerre froide redevient hélas d’actualité :

Il faut souligner qu’un monde divisé en blocs régis par des idéologies rigides, où dominent diverses formes d’impérialisme au lieu de l’interdépendance et de la solidarité, ne peut être qu’un monde soumis à des « structures de péché (ibid.).


51CvQsP7a1L._SL1500_Les chrétiens affirment donc il y a une responsabilité inaliénable de chacun, tout en reconnaissant qu’il y a des systèmes et des structures injustes qui s’auto-reproduisent en nous manipulant.

Ces structures de péché se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes (ibid.).


Contre les libéraux, nous préférons la personne à l’individu, car la personne est un être en relation (per-sona en latin) alors que l’individu est un atome social supposé insécable et indépendant des autres.

Contre les socialistes, nous préférons la communauté au collectif, car la communauté est personnalisante alors que le collectif nivelle et uniformise. Nous voyons chaque être humain comme une personne en communauté, et non comme un individu ou un collectif.
C’est la dimension trinitaire de notre vision de l’homme qui nous oblige à critiquer toutes les pensées réductrices ne retenant qu’une de ces dimensions [1].


Essayons alors de lire comment la parabole fait face au scandale du juge inique.

Ce juge a peut-être le cœur mauvais, ou bien il est corrompu, ou bien il est prisonnier d’un système judiciaire vicié. Jésus ne s’attarde pas en réalité sur les causes de l’iniquité de ce juge, il n’explique pas pourquoi « il ne respecte ni Dieu ni les hommes ». Il part du constat que ce juge est inique. Il indique un chemin pour qu’émerge de cette iniquité une pratique de miséricorde, même si elle est inspirée par des motifs égoïstes. Et il invite ses disciples à manier cette habileté plus que la force : « Soyez habiles comme les serpents, et simples comme les colombes »  (Mt 10,16).


Citation d'Adam Smith sur les business tirée de La Richesse des nations - Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts.Avec un brin d’humour et de malice, on pourrait même dire que Jésus anticipe une stratégie bien connue des libéraux comme Adam Smith : faire appel à l’intérêt égoïste de mon interlocuteur est parfois plus efficace que de solliciter sa bonté, ou le droit, ou la force.

Adam Smith écrivait :

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur, ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais de leur souci de leur propre intérêt. Nous nous adressons, non à leur humanité mais à leur amour-propre (self-love) ».
« Ne leur parlez jamais de nos propres nécessités, mais de leur avantage » (Enquête sur les causes de la richesse des nations, 1776).

C’est parce que cette veuve lui casse les oreilles et lui pourrit la vie que le juge inique va enfin accéder à sa demande. Sachons donc parler au portefeuille de nos ennemis autant qu’à leur cœur, à leur égoïsme autant qu’à leur compassion.

Si Poutine a intérêt (ne serait-ce que pour éviter des sanctions trop lourdes) à arrêter sa guerre contre l’Ukraine, il stoppera l’invasion. Sinon, les appels à son humanité ou à sa bonté resteront lettre morte…


Selon Luc, notre parabole nous invite à prier Dieu sans nous décourager.

Il n’est pas illégitime d’y lire également un appel à prier nos ennemis sans désespérer, en sollicitant avec réalisme (péché originel) leur humanité, leur conversion (rédemption), voire  leur intérêt égoïste…

À qui allons-nous « casser les oreilles » cette semaine pour obtenir justice ?…

________________________________

[1] Cf. le dossier historique publié par François Huguenin, docteur en histoire et en sciences sociales, enseignant l’histoire des idées politiques à l’Ircom de Lyon et à l’Institut catholique de Paris (ICP) : Le Je & le Nous : Une histoire de la pensée politique des origines à nos jours, Cerf, 2025.

 


LECTURES DE LA MESSE


PREMIÈRE LECTURE
« Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort » (Ex 17, 8-13)

 

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim. Moïse dit alors à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. » Josué fit ce que Moïse avait dit : il mena le combat contre les Amalécites. Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.

 

PSAUME
(Ps 120 (121), 1-2, 3-4, 5-6, 7-8)
R/ Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. (Ps 120, 2)

 

Je lève les yeux vers les montagnes :
d’où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me viendra du Seigneur
qui a fait le ciel et la terre.

 

Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.

 

Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur, ton ombrage,
se tient près de toi.
Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.

 

Le Seigneur te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
Le Seigneur te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Grâce à l’Écriture, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien » (2 Tm 3, 14 – 4, 2)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ; grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien.
Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire.

 

ÉVANGILE
« Dieu fera justice à ses élus qui crient vers lui » (Lc 18, 1-8) *Alléluia. Alléluia. 

Elle est vivante, efficace, la parole de Dieu ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Alléluia. (cf. He 4, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’ Longtemps il refusa ; puis il se dit : ‘Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ » Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Patrick BRAUD

 

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5 octobre 2025

Devenir le dixième lépreux

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Devenir le dixième lépreux

Homélie pour le 28° dimanche du Temps ordinaire / Année C
12/10/25

Cf. également :
Jésus, Élisée et moi
Cadeau de janvier, ingratitude de février
Quel sera votre sachet de terre juive ?
De la santé au salut en passant par la foi
Faire miniane
Fréquenter les infréquentables
Pour en finir avec les lèpres
Cendres : une conversion en 3D

Antonietta Raco lors d'un précédent pèlerinage à LourdesLe sanctuaire de Lourdes vient d’annoncer son 72e miracle officiellement reconnu depuis 1858 : l’Italienne Antonia Lofiégo a été subitement guérie d’une sclérose latérale primitive après un pèlerinage à Lourdes en 2009.
Le processus du bureau médical chargé d’examiner les malades se déclarant guéris à Lourdes est très précis : critères exigeants, enquête à charge et à décharge, avec des experts scientifiques croyants et athées, puis constat final d’une guérison inexpliquée dans l’état actuel de nos connaissances. Le diocèse du malade guéri prend alors le relais et enquête à son tour sur le plan spirituel pour voir si l’Église peut qualifier cette guérison de miraculeuse, selon des critères de foi, et selon le témoignage de vie de l’ex-malade.
Devant la guérison de nos 10 lépreux de ce dimanche (Lc 17,11-19), le bureau médical de l’époque aurait pu constater 10 guérisons inexpliquées, mais seul le diocèse de Samarie aurait pu proclamer un miracle pour celui qui est revenu vers Jésus !

1. Des miracles, toutes les religions en arborent fièrement !

* L’Ancien Testament juif est rempli de guérisons et hauts faits étonnants accomplis par Moïse, les prophètes, ou YHWH lui-même. Environ 80 à 90 miracles sont ainsi recensés, qui vont de la guérison (comme le syrien Naaman guéri de la lèpre dans notre première lecture 2R 5,14-17) à la résurrection des morts en passant par le franchissement de la mer Rouge ou la manne etc.

* L’évangile de Luc que nous lisons en cette année C relate environ 21 miracles. On en trouve 22 chez Matthieu, 20 chez Marc et 7 chez Jean. Soit 37 miracles au total si on enlève les doublons entre les 4 versions. C’est donc qu’ils tiennent une grande place dans la foi des premières communautés.

Il n’y a pas que les traditions juives ou chrétiennes qui parlent de miracles.
Devenir le dixième lépreux dans Communauté spirituelle les-miracles-du-prophete-ibn-kathir-almadina* En islam, outre la reprise de quelques miracles bibliques (et l’invention d’autres qui sont dans des apocryphes), Mohamed (comme Jésus, bizarrement ; faut-il y voir un décalque ?) a guéri un enfant possédé (épileptique), et également un aveugle. Il a guéri l’œil de ‘Ali (en lui crachant sur les yeux, à la manière de Jésus là encore). Et les hadiths racontent le miracle du jaillissement de l’eau d’entre les doigts du Prophète pour les ablutions de 300 personnes… Le livre même du Coran, supposé descendre du ciel, est présenté comme le plus grand miracle. Notons qu’une femme demanda à Mohamed de la guérir, mais il lui promit le Paradis à la place de la guérison, trace de la distinction guérison / salut que fait avant lui notre évangile de Luc.
La tradition musulmane attribue également aux saints (awliyā’ Allāh) le don de guérison. Ainsi de nombreux témoignages soufis racontent qu’Abd al-Qādir al-Jīlānī (XI°–XII°), fondateur de la Qādiriyya, guérissait des malades incurables par ses prières. D’autres certifient que Rābiʿa al-ʿAdawiyya apaisait par sa seule présence les douleurs ou fièvres de ceux qui venaient la voir. Des pèlerins disent avoir été guéris en priant sur la tombe de Aḥmad al-Badawī (Égypte, XIII°) ou en buvant de l’eau ayant touché son linceul. Les mausolées contenant les reliques des saints musulmans font l’objet de pèlerinages et de nombreux récits de guérison.

1024px-Shahadin_001 guérison dans Communauté spirituelle

Krishna soulève le Mont Govardhana

* Dans le bouddhisme, on raconte la guérison du lépreux Suppabuddha grâce à son illumination, ou l’efficacité de la parole du Bouddha sur ses disciples malades. Et les maîtres bouddhistes (bodhisattvas) guérissent par des mantras, des talismans bénis, ou un chant méditatif. Comme à Lourdes, l’eau bénite dite « eau du Bouddha » peut guérir des fidèles malades, et les statues ou reliques des grands saints ont un pouvoir de guérison attestée par les croyants.

* Le shintoïsme n’est pas en reste, avec des divinités stoppant des épidémies, des sources et bains sacrés (onsen) soignant massivement, des amulettes favorisant la santé, des sanctuaires portatifs (mikoshi) portés lors de grandes fêtes, de l’eau bénite (misogi ou temizu) que les pèlerins boivent pour s’imprégner de la force salutaire de la divinité locale (kami) etc.

Cette rapide énumération est troublante : il semblerait que les miracles de guérison ne soient pas l’apanage du seul christianisme…
La science moderne explique l’universalité de ce phénomène par l’effet placebo, et l’interaction si forte entre le psychique, le spirituel et le physique chez l’homme. Il est vrai qu’aujourd’hui on ne voit plus de guérisons miraculeuses de la lèpre, depuis qu’on a découvert que c’est l’œuvre d’une bactérie (le bacille de Hansen) en 1873 et qu’on sait la guérir plus efficacement avec une polychimiothérapie qu’avec une gourde d’eau bénite… De même on ne parle plus de miracle en voyant Jésus guérir un enfant épileptique, même si l’impact relationnel peut être énorme dans ce genre de maladie.
Autrement dit : il n’est pas impossible qu’un miracle aujourd’hui devienne une guérison explicable demain. Ce qui faisait dire au grand scientifique protestant Théodore Monod : « Je ne crois pas à cause des miracles, mais malgré les miracles »…
Car le miracle n’est pas central en christianisme. On sait qu’on peut être catholique sans croire à ceux de Lourdes : ce n’est pas l’essentiel de la foi. La foi repose sur un don gratuit venant de Dieu, et non une démonstration de force qui obligerait à croire.

Alors, revenons à notre lépreux samaritain pour examiner en quoi sa transformation peut devenir la nôtre.

 lèpre

Faire miniane / faire Église

2. L’itinéraire d’un enfant gâté
– Le contexte liturgique
Luc veut sans aucun doute faire une catéchèse sur la vraie liturgie à travers ce récit. Avec le nombre de lépreux d’abord : 10, c’est le nombre minimum de juifs à rassembler pour constituer un miniane, une assemblée de prière habilitée à réciter les psaumes et les bénédictions au Temple ou à la synagogue. Il faut faire 10 (symbole d’alliance cf. le Décalogue), faire miniane, sinon ce n’est pas valable. On accepte même un samaritain – un hérétique ! – dans cette ekklesia liturgique, car sans lui les lépreux ne seraient pas 10 et ne pourraient pas rendre grâce à Dieu.

Le contexte liturgique est souligné par l’adresse que ces 10 lancent à Jésus : « Maître ! ». Or, chez Luc, seuls les apôtres – Pierre et Jean tout particulièrement – appellent Jésus ainsi. Il n’y a que 7 usages du nom « maître » (πισττης = epistates) dans son Évangile [1] : 6 pour les apôtres et 1 pour nos lépreux qui sont donc mis sur le même rang ! Cette invocation est liturgique, et ressemble au « Seigneur ! » dont est parsemée notre liturgie chrétienne.
Comme est liturgique la supplication des lépreux : « aie pitié de nous » (λεω = eleeō). Vous y avez reconnu notre Kyrie eleison du début de la messe…

L’orientation liturgique se confirme avec le demi-tour du samaritain une fois guéri. Les autres continuent vers le Temple de Jérusalem. Le Samaritain se retourne, opère littéralement une conversion en se tournant vers Jésus au lieu du Temple. Il savait bien que le vrai Temple n’est pas à Jérusalem (il croyait qu’il était sur le Mont Garizim !) ; du coup il peut plus facilement se « convertir » = faire demi-tour pour ne plus aller vers le Temple de Jérusalem, mais vers Jésus ; il ne se prosterne plus devant le Saint des Saints mais aux pieds de Jésus…

Le vrai Temple n’est pas quelque part, mais « au cœur » de chacun : « On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous.” » (Lc 17,21)
Une autre personne de Samarie – la femme au puits de Jacob – a elle aussi cherché le vrai Temple : « Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là (Garizim), et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem.” Jésus lui dit : “Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. […] Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer.” » (Jn 4,20-24)

Derrière le récit de guérison se cache donc une catéchèse liturgique : le culte de Jérusalem est remplacé par la vénération de Jésus ; rendre gloire à YHWH c’est reconnaître Jésus comme Maître et Seigneur ; le royaume de Dieu n’est pas ici ou là mais dans le cœur de chacun ; l’adoration véritable est « en esprit et en vérité », et nul temple ne peut l’enfermer.

– Marcher pour guérir
28DTO2019 miracle
Comment ne pas être étonné ? Jésus ne les guérit pas avec une incantation, un geste ou une parole magique, une imposition des mains par exemple. Il leur dit juste d’aller au Temple, ce qui à l’époque veut dire marcher, se mettre en route dans la chaleur et la poussière, sur des kilomètres. Ce n’est qu’en cours de route qu’ils sont guéris, on ne sait comment. Sans la marche, rien n’aurait changé pour eux. Or, marcher des heures sous le soleil de Palestine quand on est lépreux, marginalisé et dénué de tout à cause de la maladie, ce n’est pas rien…

On connaît aujourd’hui les bienfaits que la marche procure pour la santé de l’organisme. Et les marcheurs des sentiers de Compostelle témoignent de la transformation intérieure que cette pérégrination exerce sur eux. En obéissant à Jésus, en marchant, les 10 lépreux redeviennent acteurs de leur lutte contre la maladie. Ils ne mendient plus. Ils n’errent plus sans but. Ils ne se résignent ni ne se révoltent. Il marchent…
De quoi nous secouer, lorsque nos problèmes de santé physique ou spirituelle nous démoralisent et nous paralysent…

– Faire demi-tour
 prodige
On l’a souligné : le retournement géographique du samaritain est symbolique le sa conversion spirituelle.

N’espérons pas devenir chrétien sans une telle conversion par retournement, lorsqu’il nous faudra faire demi-tour, en rebroussant chemin à 180° sur certaines orientations de nos vies…

– Ta foi t’a sauvé
Étonnons-nous encore : si on suit la lettre du texte, ce n’est pas Jésus qui a sauvé le lépreux guéri, mais la foi de l’ex-malade ! « Ta foi t’a sauvé » est un leitmotiv qu’on retrouve 4 fois dans l’évangile de Luc. Au cours d’un repas dans la maison d’un pharisien, Jésus constate que la foi d’une femme ayant répondu du parfum et ses larmes sur ses pieds lui a apporté le salut : « Jésus dit alors à la femme : “Ta foi t’a sauvée. Va en paix !” » (Lc 7,50). De même pour la femme hémorroïsse : « Jésus lui dit : “Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix.” » (Lc 8,48). Puis c’est notre samaritain lépreux : « Jésus lui dit : “Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé.” » (Lc 17,19). Et enfin l’aveugle de Jéricho : « Et Jésus lui dit : “Retrouve la vue ! Ta foi t’a sauvé.” » (Lc 18,42).

Nous devrions être choqués : ce n’est pas Jésus qui sauve ici, mais la foi (et on ne dit pas d’ailleurs la foi en qui). C’est donc que chacun de nous peut être acteur de son salut, s’il accueille la foi comme le principe moteur de sa vie (= ce qui le fait « marcher »).

- Distinguer guérison / salut / signe-miracle / prodige
Notons au passage les distinctions ainsi opérées :

EV_Jesus__Lepreux signe* La guérison est un phénomène physique qui n’entraîne pas automatiquement le salut. Même les 9 autres lépreux qui ne manifestent pas leur foi en Jésus en bénéficient.
* Le salut n’est pas lié à la guérison, mais à la foi.
* Le miracle (en grec : σημεον = semeion = signe) est plus grand que la guérison, car c’est un signe qui manifeste la foi du guéri, et peut aider les autres à croire. Plus de 10 000 miracles ont été reçus et étudiés collégialement par le bureau des constatations médicales de Lourdes depuis sa création en 1883. Or, seuls 72 ont été officiellement reconnus à ce jour.
* Le prodige ne relève d’aucun de ces termes : le prodige est une violation apparente des lois de la nature, qui s’impose à tout le monde (ex : les 10 plaies d’Égypte). Là encore, toutes les religions revendiquent des prodiges plus ou moins spectaculaires [2]. Jésus - lui - n’a pas opéré de prodiges. À vrai dire, il s’en méfiait… comme de la peste ! On lui demandait sans cesse de faire des guérisons, des signes, des miracles, des prodiges… et cela l’insupportait au plus haut point ! « À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle » (Lc 23,8). « D’autres, pour le mettre à l’épreuve, cherchaient à obtenir de lui un signe venant du ciel » (Lc 11,16). Jésus leur répond vertement : « Cette génération est une génération mauvaise : elle cherche un signe, mais en fait de signe il ne lui sera donné que le signe de Jonas. Car Jonas a été un signe pour les habitants de Ninive ; il en sera de même avec le Fils de l’homme pour cette génération » (Lc 11,29-30).
Le seul signe que Jésus veut livrer est « le signe de Jonas », c’est-à-dire sa Passion et sa résurrection par amour de tous.

Nous sommes capables de nous auto-guérir. Mais seule la foi peut nous transformer en signes vivants de l’amour du Christ, malades ou non.
Méditons cette semaine l’itinéraire du lépreux samaritain guéri, puis sauvé : que voudrait dire marcher pour guérir ? Quel serait mon demi-tour à moi ?…

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[1]. Lc 5,5 ; 8,24 ; 8,45 ; 9,33 ; 9,49 ; 17,13.

[2]. Par exemple, le 23 septembre 1995, au Temple Sri Manicka Alayam, (Paris) la communauté hindoue affirme avoir assisté à un événement sans précédent : les statues du dieu-éléphant Ganesh, boivent le lait qui est déposé en offrande le jour de sa fête. Le prodige aurait même pu être observé à la même époque dans différents temples à New York, New Delhi, Los Angeles, à l’île Maurice, au Sri Lanka, à Londres et au Canada. Pour les hindous, cette manifestation spectaculaire annonce la fin d’un cycle (plusieurs milliers d’années), et l’entrée dans une ère nouvelle inscrite dans les écritures sacrées du Véda.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Naaman retourna chez l’homme de Dieu et déclara : Il n’y a pas d’autre Dieu que celui d’Israël » (2 R 5, 14-17)
 
Lecture du deuxième livre des Rois
En ces jours-là, le général syrien Naaman, qui était lépreux, descendit jusqu’au Jourdain et s’y plongea sept fois, pour obéir à la parole d’Élisée, l’homme de Dieu ; alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant : il était purifié ! Il retourna chez l’homme de Dieu avec toute son escorte ; il entra, se présenta devant lui et déclara : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur. » Mais Élisée répondit : « Par la vie du Seigneur que je sers, je n’accepterai rien. » Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa. Naaman dit alors : « Puisque c’est ainsi, permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays autant que deux mulets peuvent en transporter, car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d’autres dieux qu’au Seigneur Dieu d’Israël. »
 
PSAUME
(Ps 97 (98), 1, 2-3ab,3cd-4)
R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. (Ps 97, 2)
 
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez !
 
DEUXIÈME LECTURE
« Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons » (2 Tm 2, 8-13)
 
Lecture de la deuxième lèpre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David : voilà mon évangile. C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu ! C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle.

Voici une parole digne de foi : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même.
 
ÉVANGILE
« Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » (Lc 17, 11-19)
Alléluia. Alléluia. Rendez grâce à Dieu en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. Alléluia. (1 Th 5, 18) 
 
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés.

L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »
Patrick Braud

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